• Aucun résultat trouvé

L'école paulinienne: évaluation d'une hypothèse

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'école paulinienne: évaluation d'une hypothèse"

Copied!
23
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

L'école paulinienne: évaluation d'une hypothèse

DETTWILER, Andreas

Abstract

L'article discute l'hypothèse de l'existence d'une "école paulinienne", notamment pour mieux comprendre le phénomène des écrits du corpus paulinien du Nouveau Testament que l'on qualifie habituellement de deutéropauliniens (Colossiens, Ephésiens, 2 Thessaloniciens et les trois épîtres pastorales). L'article propose entre autre une rapide comparaison avec les écoles philosophiques antiques et conclut que l'hypothèse garde toute sa valeur heuristique, à condition de différencier de manière suffisamment claire entre plusieurs types de réception de l'héritage paulinien au temps post-apostolique.

DETTWILER, Andreas. L'école paulinienne: évaluation d'une hypothèse. In: Dettwiler, A., Kaestli, J.-D., Marguerat, D. Paul, une théologie en construction . Genève : Labor et Fides, 2004. p. 419-440

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:39617

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

in: .Andreas DEITWILER

1

Jean-Daniel KAESTLI

1

Daniel MARGUERAT (éd.),

Paul, une théologie en çonstruction

(Le Monde de la Bible 51), Genève, Labor et Fides, 2004,

p:

419-440

L'école paulinienne: évaluation d'une hypothèse

Andréas DEITWILER (Neuchâtel)

Pour donner un ancrage socio-historique au processus de réception de la théolo- gie paulinienne (littérature deutéro-paulinienn~). la recherche a, dès le XIX" siè- , cle; mis en avant·l'idée d'une« écolé paulinienne». L'article soumet l'hypothèse.

à une évaluation critiqùe. L'auteur conclut à sa plausibilité, en particulier si l'on tient compte des écoles philosophiques de Z'Antiquité. Elle ne saurait pourtant pas cacher la diversité étonnante, voire en partie l'hétérogénéité au sein de la littérature deutéro-paulinienne. C'est pourquoi il est préférable de parler de plusieurs« classes» ou« ailes» au sein de l'école paulinienne.. ·

1. Introduction : émergence et problèmes de définition du terme « école pa~linienne » 1

Les écrits deutéro-pauliniens témoignent d'un processus de réception intense et variée de la personne et de la théologie de Paul. Pour donner un ancrage socio- historique à ce phénomène de maintien et d'actualisation de la tradition, la re- cherche a, depuis le

xixe

siècle, parlé d'une «école paulinienne »2 Mais

1 Choix bibliographique au sujet de «l'école paulinienne» (ordre chronologique): Hans CONZELMANN, «Paulus und die Weisheit », NTS 12, 1965/1966, p. 231-244; Hans-Martin SCHENKE, « Das Weiterwirken des Paulus und die Pflegè seines Erbes durch die Paulus- Schule », NTS 21, 19.75, p. 505-518; Hans CONZELMANN, «Die Schule des Paulus», dans:

Theologia crucis - Signum crucis, Festschrift E. Dinkler, éd. par Carl ANDRESEN- Günter KLEIN, Tübingen, Mohr Siebeck,-1979, 85-96; Peter MüLLER, Anfii.nge der Paulusschule.

Dargestellt am zweiten .Thessalonicherbriej und am Kolosserbrief (AThANT 74), Zürich, Theologischer Verlag, 1988, passim; Richard S. AsCOUGH, What'Are They Saying About the -Formation of Pauline Churches ?, New York/Mahwah (NJ), Paulist Press, .1998; Knut BACKHAUS, « "Mitteilhaber des Evangeliums;' (1 Kor 9,23). Zur christologischen Grundlegung einer "Paulus-Schule" bei Paulus», dans: Klaus SCHOLTISSEK (éd.), Christologie in'der Pau- lus-Schulé. Zur Rezeptionsgeschichte des paulinischen Evangeliums (SBS 181), Stuttgart, Ka- tholisches Bibelwerk, 2000, p. 44-71.; Klaus SCHOLTISSEK, «Paulus ais Lehrer. Eine Skizze zu den Anfiingen der Paulus-Schule », dans: ID. (éd.), ·christologie in der Paulus-Schule, p. 11- 36 ; Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen Testament ? Zur Stellung des Urchristentums in der Bildungswelt seiner Zeit (HBS 30), Frei burg et al., Herder, 2001, en parti.èulier p. 93-253 ; Udo SCHNELLE, Einleitung in das Neue Testament, Gëttingen, Vandenhoeck & Rùprecht,

(1992) 2002\ p. 45-50 («Die Schule des Paulus»). .

2 Selon Udo SCH!~ELLE, EinleÛung in das Neue Testamenf(cf. note 1), p. 46, note 52, le terme

«école paulinienne» apparaît pour la première fois en 1880 dans le commentaire sur les Pasto-

(3)

420 ANDREAS DETTWILER

.l'expression a été utilisée et continue d'être utilisée de différentes manières, en évoquant des associations différentes. Müller a bien résumé ces associations : qui dif «école», présuppose l'existence et la transmission d'une. tradition, d'un sa- voir- «Ecole» présuppose ensuite l'existence de porteurs de la tradition, et airisi la relation «maître- disciple». Elle présuppose, en outre, un cadre d'enseigne- ment institutionnel plus ou moins bien défini. Enfin, elle semble présupposer une certaine cohérence «idéologique» ou, si l'on préfère, un système de conviction bien perceptible et servant de «marque d'identité» d'une école par rapport à d'autres écoles ou, plus généralement, par rapport au monde ambianf. Appliqué à Paul et à sa réception dans la littérature deutéro-paulinienne, Backhaus a proposé la définition suivante : « école paulinienne » désigne un cercle de porteurs de tradition qui, probablement en partie influencé par des collaborateurs de Paul, a déployé une riche activité de maintien de 1 'héritage paulinien, en se référant·

constamment à la figure de Paul, en particulier à son apostolat : collection et rédaction de ses écrits, tout en développant sa propre activité littéraire (production de la littérature deutéro-paulinienne). Ce groupe de porteurs de traditiOI\ ne péut être sociologiquement identifié av.ec suffisamment de précision, par manque de données4,

èette définition, à la fois large et ·prudente, donc assez consensuelle, est le fruit de nombreuses décisions exégétiques. Elle contourne pourtant en finesse une série de questions .épineusès, comme celles-ci : est-ce que le terme présuppose l'existence d'une école paulinienne ~u vivant dePaur? Si c'était le cas, le terme vis~-t-il uniquement un groupe spécifique· (par ·ex. les collaborateurs du vivant de Paul) ou inclut-,îlles communautés pauliniennes dans leur ensemble? Quel est le degré d'organisation de cette école paulinienne qui aurait été créée et maintenue par Paull~i-inême et qui aurait eu son siège en un lieu clairement identifiable, par . exemple ·à Ephèse, Corinthe ou Rome? Si .J'on est sceptique à l'égard de l'idée d'une école pauliniemie déjà du vivant de l'apôtre des nations, le terme désigne- rait un phénomène essentiellement post-apostolique, sans vouloir nier la possibi- lité d'un anqage dans l'activité du Paul historique. Dernier champ de questions:

l'histoire de la réception de Paul témoigne d'une grande variabilité, voire hétéro- généité. Cette. pluralité met-elle en cause 1 'hypothè!le de 1 'école ,paulinienne ? ou

ràles de Heinrich Julius Boltzmann. Le terme «·école johannique» est encore plus ancien (de- puis 1~37), cf. Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen Testament? (cf. note 1), p. 7.

3 Cf..Peter MüLLER, Anjiinge der Paulusschule (cf. note 1), p. 2.

4 Traduction légèrement simplifiée de Cf. Knut BACKHAUS, « "Mitteilhaber des Evangeliums"

(1 Kor 9,23) » (cf. note 1), p. 45: « Unter Paulus-Schule sei im folgenden ein (soziologisch mangels Evidenz nicht nliher definierter) Kreis von frühchristlichen Traditionstrligern verstan- den, die, wahrscheinlich wenigstens teilweise voh Mitarbeitern des Paulus inspiriert, in dessen theologischem Einflussbereich das Andenken ail seine Gestalt wahrten, seinen Apostolat ais normativen Bezugspunkt ihrer Selbstdefinition wahrnahmen, seine Schriften sammelten und redigierten und im Bewusstsein theologischer Solidaritlit unter deuteronymer Berufung auf ihn . litèrarisch tlitig vi>urden ».

(4)

L'ÉCOLE PAULINIENNE 421

suffit-il de l'affiner, en mettant par exemple en avant l'idée de plusieurs

« classes » ou de plusieurs écoles ?

Pour essayer· de clarifier quelque peu la problématique, il nous semble d'a}?ord indispensable de jeter un regard, même fragmentaire, sur le modèlé de comparaison dominant, à savoir les écoles philosophiques de l'Antiquité5Puis, nous présenterons et évaluerons les indices principaux plaidant en faveur de l'hypothèse d'une« école paulinienne». Pour finir, nous reprendrons la question, historiquement et herméneutiquement)mportante, de la pluralité de la réception

deï'héritage paulinien. ·

2. Un modèle de comparaison : lé~ écoles philosophiques de l'Antiquité

'

.

L'hypothèse de l'école paulinienne nous confronte au problème méthodolo- gique·sùivant: les textes du Nouveau Testament ne nous fournissent virtuelle- ment aucun indice direct sur l'existence et le fonctionnement concret d'une

«école» (paulinienne, johannique, matthéenne ou autre)·. S;ajoutent à cela 'nos pré-compréhensions modernes de « 1 'école» (soit universitaire, soit pré-univer- sita.ire). Pour ne pas tomber dans le piège de l'anachronisme; la seule démarche pertinente consiste à d~velopper une1typologie « d~école » su·r la base des textes .de l'Antiquité. Vu le double enracinement culturel de Paul- vétérotestamentaire- juif d'une part, greco-romain.d'autre part-, il paraît indispensable de prendre en considération }es deux contextes à titre égal. Malheureusement, les recherches sur le phénomène d'école dans la tradition vétérotestamentaire-juive, en particulier sur 1 'existence, la nature et le fonctionnement des écÇ>les dans la période du Se- cond T~mple, nous offrent de~ résultats très modestes6Les textes rabbiniques font, certes, apparaître un système d'école clairement identifiable et performanf.

Le problème majeur pourtant consiste dans le fait que, pour la période du Second Temple; nous possédons très peu d'informations nous permettant d'avoir une idée clairé sur la nature et le fonctionnemênt des écoles'pharisiennes, par exemple8Je

5 Notons pourtant que Knut BACKHAUS lui-même a mis en avant la comparaison avec les écoles philosophiques .et fourni de nombreuses observations pertinentes à ce sujet ( « "Mitteilhaber des Evangeliums" (1 Kor 9,23) » [cf. note 1], voir en particulier p.46, avec n. 6; 51 ; 53-54; 56- 57 ; 59 ; 61 ; 63).

6 Pour un ·premier survol sur la problématique, cf. par ex. Thomas SCHMELLER, Schulen' im Neuen Testament? (cf. note 1), p. 33-45. ·

7 Cf. ;ar ex. Günt~r. STEMBERGER, Einleitung in Ta!mud und Midrasch, München, C.H. Beek,

1992 , p. 18-24. . .

8 R. Alan CULPEPPER, The Johannine School: An Evaluation of the Johannine-School Hypothe- sis Based on an Investigation of the Nature of Ancien·t Schools (SBL.DS 26), Missoula (Môn- tana), Scholars Press, 1975, a destiné un chapitre entier à «The House of Hill el » comme exemple d'une école pharisienne avant 70 apr. J.-C. (p. 171-195). Mais les fruits de ses investi- gations restent modestes (p. 171 : << [ ... ] yery little can be said about it with certainty » ; ou p. 194: [ ... ] the nature of the Pharisaic schools is still very obscure ; and this obscurity is due 'primarily of the difficulty in using the Rabbinic materials » ; Günter STEMBERGER, Einleitung

(5)

422 ANDREAS DETTWILER

me permets ·donc de ne pas_ poursuivre cette piste et de me tourner vers un terrain plus prometteur, ·à savoir les écoles philosophiques du monde greco-rcimain9

Parmi les écol~s philbsophiques les plus importantes - 1 'école pythagori- cienne, l'Acadé.mie de Platon, le AuKELov d'Aristote, le «Jardin» d'Epicure et l'école ·de la· Stoa -, les deux dernières semblent avoir eu le plus de popularité à 1 'époque de PauL Je les présente brièvement, sans pourtant entrer en discussion sur leurs doctrines phjlosophiques.

La Stoa10 privilégie les enseignements dans les bâtiments publiques, contrai- rement à la _majorité des.a1,1tre·s écoles philosophiques. Le degré d'organi- sation est faible; l'adhésion à une vie commune n'est pas nécessaire. L'élé- ment unifiant; c'est d'adhérer aux principes de base de la Stoa11 •. Comme toÙtes les autres écoles philosophiques, elle accorde une graride importance à laphilia, à l'amitié entre le màître et les élèves et entre,Ies élèves eux- mêmes. Un autre élément important est la capacité de «guider l'âme »12;

Sénèque par exemple; maître éminent de la période des empereurs,. accorde une grande importance à l'échange régulier entre les amis et & la correction.

in Talmud und Midrasc.ii (cf. -note 7), est encore plus net dans son bilan: «Über die Vorlâufer

· des rabbinischen Schulwesens in der Zeit des Tempels, ·ob es n'un Einrichtungen der Pharisiier oder der Schriftgelehrten waren, ist uns fast nichts bekannt » (p. 1-9-20).

9 Pour un survol sur les écoles philosophiques antiques, on consultera par exemple :· Loveday C.A. ALEXANDER,« Schools, Hellenistic », Anchor Bible Dictionary V, 1992, p. 1005-1011 ; R. Alan CÙLPEPPER, The Johannine School (cf. note 8), p. 39-170; Thomas SCHMELLER, Schu,len·im Neuen Testament? (cf. note 1), p. 46-92. La meilleure contribution rest~ à mon avis celle de Culpeppet.

10 A part les ouvrages mentionnés dans la note p~écédente, on ajoutera encore : Hans-Josef KLAUCK,'Die religiOse Umwelt des Urchriitentums. II: Herrscfzer- und Kaiserkult, Philoso- phie, Gnosis, Stuttgart/Berlin/Kèiln, Kohlhm:nmer, 1996, p. 77-113 (tr11d. angl. :.Thè Religious Context of Early Christianity: A Guide to Graeco-Roman.Religions [Studies of the Ne\v Testa- ment and its World], Edinburgh, T & T Clark, 2000, .P· 335-385). ·

11 Cf. R. Alan CULPEPPER, The Johannine School (cf. note 8), p. 247: «The Stoiës found their greatest unity in their philosophy, not in their organization or the·· succession of philosophers leading back to Zeno» ; Loveday C.A. ALEXANDER,« SchOols, Hellenistic » (cf. riote 9), p. 1008 : Stoicism· never became a closed. institution. To be a Stoïc was to profess adherence to a set of doctrinb and a body of wi§dom passed down from Zeno and the great·masters, perhaps to have studied \vith a teacher who made the same profession, but'not necessarily to join [ ... ] a body or groùp with a communal existence». Le·constat doit néanmoins être nuancé, car le deEré d'institutionnalisation à !'~poque des empereurs semble augmenter; cf: J'homas~SCHMELLER,

Schulen im Neuel} Testament? (cf. note 1), p. 59-60, qui rend attentif aux écoles de Rufus et d'Epictète.

12 Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen Testament? (cf. note 1), utilise à plusieurs reprises le terme allemand Psychagogik (cf. par ex. p. 169-173). Il y voit, d'une façon quelque peu ana~

chronique, une sorte de combinaison entre psychothérapie et cure d'âme (p. 19).

(6)

L'ÉCOLE PAULINIENNE

réciproque en vue d'arriver à la «conversion» et d'atteindre l'idéal d'une vie philosophique pleine de sagesse13

L'école d'Epicure!4 montre des traits sensiblement différents. Epicure,

à

la

fin du IV" siècle av. J.-C. (en 306) semble avoir délibérément créé son école à Athènes, où il a acheté une maison. et un jardin dans lesquels lui et ses disci- ples se sont retirés du .monde. Il semble· que son école soit marquée par un système hiérarchique clairement défini: au sommet le maître lui-même, à savoir Epicure; puis les «leaders» associés; puis les instructeurs; puis·les

~ étudiants avancés ; finalement les novices. Dans la recherche, cette recons~

truction est pourtant discutée de manière controversée15La vie communau- taire (se manifestant .par ex. par des repas commu.nautaires, mais pas par le partage des biens) et le soin. de l'amitié étaient fondamentaux. Fait surpre- nant: l'école d'Epicure acceptait des femmes et, semble-t-il, également des esclaves; ce qui montre, entre autre, qu'Epicure n'avait pas l'intention de préparer ses élèves à une carrière publique (contrairement à Platon ou Iso- crate, par exemple). Un autre trait très typique du «Jardin» est la vénération quasi-religieuse du fondateur. Epicure revendiquait et recevait une autorité inégalée. Il est à la fois fondateur, organisateur, modèle de vie (ici apparaît très dairement le topos de 1 'imitatio ), le sage par excellence et la seule source de sa-doctrine16Il e8t appelé, entre autre, «chef» (~'YEilWV), «sage>>

(ao~6s) et «père>> (rranjp). Dans son tèstament, Epicure ordonne que son anniversaire soit célébré chaque année et que soit organisé un repas commé- moratif le 20• jour de chaque mois, en son honneur et en celui de son disciple le plus illustre, Métrodore. Après sa mort, son portrait, maintes fois copié et utilisé· dans des buts missionnaires, fut vénéré religieusement, d'abord à Athènes, puis ailleurs. D'tm point de vue iconographique, il synthétise les éléments du père, ·du philosophe par excellence, du héros cultuel; du sauveur, du guide spirituel, voire d'un dieu17Avant-dernier trait à noter: l'école en- tame des activités missionnaires intenses. L'épicurisme est en particulier pré- sent dans la partie orientale - probablement aussi' à Tarse, la ville natale de Paul- de l'Empire romain18 .. Notons finalement qu'Epicure se sert de façon·

423

13 Cf. par ex. Sénèque,

Ep

6, il est q~estion de la transforrnaÙon intérieure de 1 'homme (6,1 parle du« perfectionnement de l'âme»; en 6,2, Sénèque voudrait« partager avec toi la tran,s- forrnation si soudaine de rna personne» [Cuperem itaque tecum comnimunicare tarn subitam mutationem mei] ; et en 6,4, il souligne la richesse de 1 'échange régulier des connaissances

philosophiques). · · .

14 A part les travaux mentionnés dans la: note 9, 'voir encore Hans-Josef KLAUCK, Die religiOse Umwelt des Urchriste.ntums.ll (cf. note 10), 113-123 (trad. angl.·: p. 385-400).

15 Cf. R. Alan CULPEPPER, The Johannine School (èf. note 8), p. 110.

16 Cf. R. Alan CULPEPPER, The Johanninè School (cf. note 8), p. 106 : «He was its founder, its organizer, its mode! for !ife and wisdorn, and the sole source of its doctrine. Epicurus required a kind of allegiance which was unknown in other philosophical schools ». ·

17 Cf. Hans-Josef KLAUCK, Die religiOse Umwelt des Urchristentums. II (cf. note 10), p. 116.

18 Cf. R. Alan CULPEPPER, The Johannine Schopl (cf. note 8), p. 118.

!

(7)

424 . ANDREAS DETTWILER

extensive du moyen littéraire de la lettre d'amitié et de la lettre doctrinale pour communiquer .avec ses disciples : « [ ... ] tout a\! long de sa vie, Epi cure ne manqua jamais, par des relations épistolaires entretenues avec ses disci- ples, de manifester à ces groupes lointains sa présence vivante et vigilante ; certaines lettres avaient'sans doute une importance doctrinale exceptionnelle puisque, des siècles plus tard, elles continuent à être évoquées comme des textes fondamentaux [ ... ] »19

Ce bref survol nous rend attentif au fait que les écoles philosophiques de l'Antiquité sont un phénomène pluriel, non seulement du point de vue doctrinal, mais aussi du point de vue du mode d'organisation. Néanmoins, au sein de cette diversité, des traits communs se font remarquer, permettant une définition som- maire du terme « école». Nous reprenons la définition de Schmeller : « Une école philosophique est un 'lien institutionnalisé entre un maître et plusieurs élèves, . issus de .milieux sociaux privilégiés. Elle a pour but d'enseigner et d'apprendre, et en même temps d'interpréter et d'actualiser dans une perspective éthique une tradition philosbphique remontant au fondateur »20 Plus important encore, Schmeller propose la catégorisation suivante en huit points21 : (1) Institutionna- lisation. Adhérer à une école philosophique signifie participer activement à.

l'école, soit en tant que maître, soit en tant qu'élève. Pourtant, le degré d~insti­

tutionnali~ation varie apparemment considérablement. Il semble, par exemple, faible pour la Stoa. (2) La position du maître- qui, dès la deuxième génération, n'est plus identique à la figure fondatrice- se qualifie

à

la fois par une très grande autqrité et une relation personnelle très forte avec ses disciples. Le maître se trouve dans une situation concurrentielle 'par rapport aux ·autres écoles philoso- phiques, d'une part pour des raisons financières, d'autre part pour maintenir le profil spécifique de ·son école. Autrement dit : il doit se positionner activement dans le «marché» philosophique compétitif de l'époque. L'épicurisme entre- tenait les activités n;J.issionnaires ·des plus fortes. (3) Un groupe de disciples très liés en amitié. C'est une fois de plus l'épicurisme qui se qtJalifie par l'identité sociale la plus marquée. Certaines écoles cultivent également une identité sociale forte, pour se démarquer des autres ou, plJ.IS généralement, du «monde». Plu- sieurs écoles connaissent apparemment des cercles distincts (étudiants débutants ; étùdiants avancés). (4) Statut soc,ial plutôt privilégié. Les maîtres et les élèves

19 Graziano ARRIGHEITI, «Epi cure», dans: Encyclopaedia universalis, tome 8, 1990, p. 541..

20Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen T~stament? (cf. note 1), p. 91: «Eine philosophi- sche Schule ïs.t eine institutionalisierte Verbindung zwischen einem Lehrer und mehreren Schü- lern aus sozial privilegierten Kreisen, bei der philosophische Tradition, die auf einen Gründer zurückgeführt wird, gelehrt und gelernt und zugleich ethisch interpretiert und akualisiert wird ».

Cf. aussi l'autre vue synthétique sur les écoles philosophiques 'de l'Antiquité (en intégrant pourtant également Qumrân, Philon, Hillel et« l'école de Jésus»), proposée parR. Alan CUL- PEPPER, The Johannine School (cf. note 8), p. 247-260 (variabilité du phénomène: p. 247-248 ; proposition de définition en neuf points qui rejoint pour 1,1ne bonne partie celle de Schmeller : p. 258-259).

21 Cf. Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen Testament? (cf. note 1), p. 91-92:

(8)

L'ÉCOLE PAULINIENNE 425 sont, presque toujours, des hommes libres de naissance 'et issus de familles relativement aisées. L'exception qui semble confirmer la règle est l'école d'Epicure qui accepte les femmes et les esclaves. (5) L'importance de la tradition. La référence à la tradition fondatrice est un élément clef pour chaque école. C'est de nouveau l'épicurisme qui semble avoir porté le plus d'attention à cet aspect. (6) La vénération dufondateur porte souvent des traits religieux.

(7) L'enseignement et l'apprentissCI;ge constituent un élément clef de chaque école, même à l'époque hellénistique où l'orientation proprement intellectuelle.et spéculative de la· philosophie est moins développée que l'éduction morale de la personne. L'.enseignement et l'apprentissage se concentrent principalement sur la connaissance et l'interprétation actualisante des textes de sa propre tradition phi- losophique, sans nécessairement en exclure d'autres. (8) La primauté de la philo- sophie pratique. Le but principal des écoles ·philosophiques de la période hellénistique était l'éducation intellectuelle et avant tout morale du disciple. Il s'agissait de «convertir», de« guérir» et de« guider l'âme» vers une vie équi- librée, moralement responsable et heureuse. "' · ·

Avant de mettre explicitement en relation ce cadre de compréhension avec la tradition paulinienne,

P

convient de présenter les indices les plus importants en faveur de« l'école paulinienne». A la fin de ce parcours néotestamentaire, p.ous serons en mesure de mieux comparer ces deux traditions (sous le pt. 3.6).'

3. L~hypothèse de~< l'école paulinienne»

3.1 L'éducation et la formation théologique de PaÙl

Selon Schnelle, un premier indice important consiste dans le fait que Paul au- rait été influencé par deux «traditions d'école» majeures: pharisienne, d'une part (influencée de son côté par la culture hellénistique), chrétienne, d'autre pare2, L'argument reste néanmoins fragile, ütnt la reconstruction exacte de la formation scolaire de Paul reste très hypothétique.

Paul' a reçu une éducation dans le pharisaïsme, comme l'attestent indirecte- ment Ph 3,5-6 et Ga 1,14. L'infÇJrmation de l'œuvre lucanienne selon la- quelle Paul aurait été élevé à Jérusalem et qu'il aurait reçu «aux pieds de Gamaliel une formation stricte à la loi de nos pères » (Ac 22,3 ; cf. 26,4-5) · est discutée de façon controversée dans la recherche23Pourtant, !.'importance

22 Cf. Udo SCHNELLE, Einleitung in das Neue Testament (cf. note 1), p. 46-47.

23 Affirmatif: Martin HENGEL (avec la collaboration de Roland Deines), «Der vorchristliche Paulus », dans : Martin HENGEL .- Ulrich HECKEL (éd.), Paulus und das antike Judeniuni (WUNT 58), Tübingen, Mohr Siebeck, 1991, p. 177-293, en particulier p. 215-220 (hypothèse biographique sur le jeune Paul selon Hengel, p. 237-239: naissance et fréquimtation d'une école élémentaire juive à Tarse; grec comme langue maternelle de la famille; à l'adolescence démé- nagement à Jérusalem pour 1 'étude la Torah). Sceptique, en n'excluant toutefois pas la possibi- lité d'un séjour de .formation dans la ville sainte: Jürgen BECKER, Paul. «L'Apôtre des

(9)

426 ANDREAS DETTWI.LER

de l'alternative «Tarse versus Jérusalem» se relativise quelque peu par les deux f\lits suivants: d'une part, nous ne savons que très peu sur l'existence et le fonctionnement de la formation pharisienne à Jérusalem ou ailleurs en Pa- lestine au début de notre ère. D'autre part, la langue grecque et, plus généra- lemént, le système d'éducation hellénistique, à l'époque de Paul, n'a pas seulement influencé le judaïsme de la Diaspora, mais également le judaïsme·

palestinien24

Après l'événement de Damas au début des années 30 et durant les longues

«années inconnues» jusqu'à l'assemblée des apôtres à Jérusalem en 48, Paul s'est progressivement familiarisé avec les fondements ·de la foi chré- tienne. La communauté·chrétienne d'Antioche semble avoir eu une influence importante sur son identité théologique25Les traditions prépauliniennes dans certaines lettres pauliniennes montrent que Paul s'est fondé sur des traditions ecclésiales ,_ antiochiennes ou autres, peu importe pour notre problématique -et qu'il a compris comme une des tâches de la théologie l'i~terprétation de cette tradition26Néanmoins, la question de savoir s'il est vraiment pertinent de parler d'une.« école chrétienne» (par ex. à Antioche), comme l'a suggéré Hans Conzelmann27, doit à mon avis rester en suspens.

3.2 L'auto-compréhension apostolique de Paul

Le deuxième indice préparant le terraiJ:.I de l'hypothèse de l'école paulinienne, est celui de l'apostolat de Paul. Le sujet est vaste et mériterait une analyse appro-

nations » (Théologies bibliques), trad. de l'allemand par J. Hoffmann, Paris/Montréal, .Cerf/Médiaspaul, 1995, p. 50-52: «Sa formation dans la ligne pharisienne, Paul aurait pti la recevoir sans.difficulté dans n'importe quelle synagogue de la diaspora de quelque importance, et donc aussi bien à Tarse. Jérusalem n'aurait fait qu'y ajouter en quelque·sorte le "niveau d'Oxford"» (p. 52). ·

24 Sur Jérusalem comme ~<ville grecque» au I" siècle de notre ère, cf. Martin HENGEL, «Der vorchristliche Paulus» (cf. note 23), p.256-265.

25 Cf. par exemple Jürgen'BECKER, Paul (cf. note 23), p. 103-150 («Paul missionnaire et théo- logien d'Antioche»). Becker accorde une importance absolumt;nt capitale à la communauté d'Antioche comme lieu de formation théologique de Paul. Cette appréciation n'est pourtant pas partagée de façon unanime, cf. par ex. Anna Maria SCHWEMER, «Paulus in Antiochién », BZ

42, 1998, p. 161-180, en particulier 178-180 ·

26 Voir avant tout la contribution de Daniel GERBER,« A propos des traditions christo-sotériolo- giql1es préépistolaires dansles lettres incontestées de paul », dans ce .volume (p. 187-213). A titre non-exhaustif, il s'agit principalement de quatre types de traditions différentes: des tradi.tions eucharistiques (1 Co l1,23b~25) ; des traditions baptismales (1 Co 1,30.; 6,11 ; -12,13 ; 2 Co 1,21s; Ga 3,26-28; Rm 3,25 ; 4,25; 6,3-4); des traditions kérygmatiques surla mort et la résurrection du Christ .et les premières apparitions (par ex. 1 Co 15,3b-5) ; et finalement des traditions hymriiques (probablement Ph 2,6-ll).

27 Cf. Hans CONZELMANN, «Die Schule des Paul.us »(cf. note 1), p. 87 ..

(10)

L'ÉCOLE PAULINIENNE 427 fondie28Dans ce qui suit, je me limite aux trois dimensions 'suivantes : Paul comme « père » fondateur des communautés chrétiennes ; Paul comme figure à imiter (imitatio Pauli) ; enfin Paul comme médiateur de la révélation christique29

-3.2.1 Paul,« père» fondateur de communautés chrétiennes

Pour caractériser la relation entre lui et ses communautés ou des personnes, Paul recourt .souvent à des métaphqres liées à la famille. A l'exception de Ro- mains, la seule kttre adressée à une communauté qui lui est' pers6nnellement inconnue, Paul se sert du langage métaphorique familial dans toutes ses lettres, en particulier quand il s'agit de clarifier une sitvation tendue ou critiqué0Prenons comme exemple la correspondance corinthienne d'une part, l'(t Galates d'autre part. Dans la correspondance avec la-communauté de Corinthe, Paul accentue la relation des devoirs réciproques, 'en se servant de la double métaphore du « père»

qui aime« ses enfants». Ainsi, il écrit en 1 Co 4;14-15: << Je·ne vous écris pas cela pour vpus faire honte, mais pour vous avertir; comme mes enfànts bien ai- més. En. effet, quand vous auriez dix mille pédagogues [nm8aywyo(] en Christ, vous n'ayez pas plusieurs pères. C'est moi qui; par l'Evangile, vous·ai engendrés . en Jés.us Christ». La relation paternelle de P~ml à l'égard de la c<;>mmunauté de . Corinthe expUque d'ailleurs en partie son refus d'être soutenu matériellement par cette .communauté: ~<[ ... ]je ne recherche pas vos biens, mais vous~mêmes. Ce n'est pas. aux enfants à mettre de côté pour les parents, mais aux parents pour les enfants» (2 Co 12,14; l'autré raison. est sa compréhension de la liberté chré- tiénne, cf. 1 Co 9). D'autres passages dans les lettres corinthiennes confirment ce lien .paternel, affectif, soucieux de Paul à l'égard de cette communauté (1 Co 3,1- 3 ; 4,21 ; 11,2). Dans Galates, Paul se sert du langage métaphorique familial pour

·exprimer 1 'expérience ~e la passion et dé la douleur : «Mes petits ·enfants que, dans la douleur, j'enfante à nouveau, jusqu'à ce que Christ soi~ formé en vous»

(Ga 4,19). La relation« père- enfant» est ici remplacée par'la 'relation« mère- enfants ». Pour notre problématique, il est en outre important de voir que Paul se sert de 1 'image du père pour désigner également sa relation étroite avec ses colla- borateurs (1 Co 4,14, à l'égard de Timothée: «mon fils aimé et fidèle dans le S_eigneur » ; Ph 2,22: «Timothée [ ... ],.comment il a travaillé avec moi, comme un fils avec son père» ; Phm 10, à l'égard d'Onésime: .« rrion enfant que j'ai . engend.ré [ou: que j'ai mis au m<;>nde; le verbe grec ÈyÉVVTJŒŒpeut avoir les ' deux significations] en prison» ; etc.). En instaurant une relation affective extrê-.

mement forte avec ses communautés et ses collaboràteurs, il crée les fondements d'unerelati?n qui aura de fortes chances de durer, voire de survivre à l'apôtre.

28 Voir en particulier les deux contributions suivantes dans ce vol\lme: Romano PENNA, «Saint Paul, pasteur et penseur : une théologie greffée· sur la vie», p. 365-391 ; Philippe NICOLEr,

«Le concept d'imitation de l'apôtre dans la correspondance paulinienne», p.393-415.

29 Pour ce qui suit, je m'appuie en bonne partie .sur l'excellent article de Knut BACKHAUS,

« "Mitte!lhaber des Evangeliums" (1 Kor 9,23) » (cf. note 1), en particulier les p. 46-69. · ·

30 Voir 1(nut BACKHAUS, « "Mitteilhaber des Evangeliums" (1 Kor 9,23) »(cf. note 1), ·p. 48-49.

(11)

428 ANDREAS DETIWILER

3;2.2 L'apôtre comme modèle de vie (imitatio Pauli).

Dans la correspondance corinthienne, mais également dans Philippiens (3,17; cf. 1,12-14) et Galates (4,12), l'imitatio Pauli est üne idée importante. Les·

. communautés destinataires sont appelées à imiter Paul comme modèle de vie. Cet·

appel renfor~e, une fois de plus, l'a.dhésion des membres des communautés pauli-

·niennes à Paul, l'enseignant

1et prédicateur de l'Evangile. Dans ce sens, l'imitation de Paul est un autre élément fort qui souligne le devoir de loyauté 'à l'égard de l'apôtre: Est-ce une dérive vers une auto-glorification de l'apôtre Paul? Trois considérations mettent en question un tel soupçon. Premièrement, la fonction mimétique de Paul est de présenter un modèle concret pour la suivance du Christ ; elle n'a pas pour fonction de remplacer la relation du croyant avec le Christ. En 1 Co 1,13, par exemple, Paul refuse avec détermi,nation toute. fonctiçm sot~riolo~.

gique (« [ ... ] Est-ce Paul qui est mort sur la croix pour vous? Avez-vous été baptisés au nom de Paul ? » ). Deuxièmement, la biographie de Paul fonctionne comme un exemple de la grâce dans ,Ia· mesure .où celui qui avait auparavant

«persécuté l'Eglise de Dieu» (1 Co 15,9b; Ga 1,13-14; Ph 3,{ia), a été élu comme destinataire privilégié de l'expédence visionnaire du Christ ressuscité:

«Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mari égard n'a pas été vaine [ ... ] » (1 Co 15,10a). L'apôtre devient l'exemple 'concret de son mes- sage, à savoir celui de la réconciliation par le Christ,. et constitue le paradigme-des effets de la grâce divine31Troisièmement, le paradoxe inhérent à l'appel de l'imitation de Pa~l devient. particulièrement perceptible dàns le cadre de son dé- veloppement de la théologie de la croix (1 Co 1-4; cf. en particulier 4,6-13;

4,16)32Ce qui constitue l'objet. de son i,mitation, ce n'est pas sa personnalité im- pressionnante, ses qualifications morales ou autres vertus à imiter, mais précisé- ment sa conformité avec l'existenèe du Christ crucifié - existence qui se caractérise par 1' acceptàtion de la s'ouffrance et, finalement, par 1' amour ( 4,12- 13

!?

3Autrement dit: l'irr,ütation de P!'tul gagne, toute sa profondeur et sa force de persuasion uniquement dans le cadre de la parole de la Croix:

3.2.3 L'apôtre comme médiateur de la révélation christique

. En tartt qu'apôtre, du Christ crucifié et ressuscité; P~ul avait une confiance en soi considérable (une 1TE1TOL8l)atS [«assurance»], 2 Co 3,4). Cette confiance, ou

31 Cf. Knut BACKHAUS, « "Mitteilhaber des Evangeliums" (1 Kor-9,23) » (cf. note 1), p. 58, qui parle dè l'apôtre comme exemplum gratiae.

32 Concernant les implications anthropologiques de la théologie de la croix - cf. avant tout 2 Co-, voir Jean ZUMSTEIN, «La croix comme principe de constitution de la théologie pauli- nienne», p. 297-318, en particulier p. 307-310 (dans ce volume).

33 .. Excellente formulation de Helmut MERKLEIN, Der·erste Briej an die Korinther. Kapitel 1-4 (OTBK 711), Gütersloh/Würzburg, Gütersloher Verlagshaus/Echter, 1992, p. 327: « Nicht was Paulus von si ch aus einzubringen hat : seine 'vorbildliche Personlichkeit oder sein beispielhaftes Tugendstreben, sondern gerade, was er nicht aus sich selbst ist : seine vom Gekreuzigten gepriigte apostolische Existenz, ist Gegenstand der Nachahmung » (italique de AD). ·

(12)

L'ÉCOLE PAULI:NJENNE 429

assuranc·e apo,stolique, se caractérise pÇtr trois dimensions majeurs34Là première dimension constitutive est celle du service (8wKov(a). Paul se comprend comme servit~ur (8tciKovos: 1 Co 3,5 ; 2 Co 3,6 ; 6,4; 11,23 ; etc.) ou comme esciave (8oû~os: 2 Co 4,5 ; Ga 1,10; Ph 1,1 ; Rm 1,1). Cette relation de service ne se réfère, pas prioritairement à la communauté, m_ais à Dieu ou· au Christ. La deuxième dimension majeure, complémentaire à la première, est celle de la grâce (xcipts : 1 Co 3,10; 15,9-10; çtc.). C'est elle et uniquem'ent.ell(( qui constitue,

·légitime et maintient l'activité apostolique de Paul. La troisième dimension ma-.

jeure est celle de l'autorité, ou souveraineté de l'apôtre à l'égard de la commu- nauté chrétienne. Elle se manifeste par l'activité apostolique principale, à savoir l'annonce de l'Evangile (1 Co 1,17: «Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais.

annoncer l'Evangile [EÙayyEÀ((wSat], et sans recourir' à la sagesse du discours, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ»). Elle a comme but principal la création et l'édification de l'Eglise (cf. par ex. 2 Co 10,8). Il n'est dorlc pas exa-.

· géré de dire que Paul se comprend comme médiateur de la révélation christique.

D'autres passages accentuent très fortement cette ·fonction de médiation, par exemple celui de 1 Co 9,22-23 où Paul dit qu'il sauve:«[ ... ] Je me suis.faiÙout à vous pour e.n sauver.sûrement [ou: au moins] quelques-uns (v. 2ib: TOÎ.S nâatv yÉyova ncivTa '(va ncivTws nvàs awaw). Et tout cela-je le fais à cause de l'Evangile;afin d'y-avoir part». Néanmoins, l'existenceapostolique de Paul reste une existence décentrée, pour ainsi dire, une existence qui se comprend entière- ment à partir de l'Evangile du Christ. .Paul n'est.pas lui-même le contenu de son message. L'apostolat de Paul est lié de façon constitutive à la christologie.

3.3 Paul et ses collaborateurs et coliaboratrices

Un troisième indice en faveur de 1 'hypothèse dê l'école paulinienne est 1ié à la stratégie missionnaire de Paul. Les travaux· de Wolf-Henning Ollrog. sur les . collaborateurs et collaboratrices de Paul35 nous ont permis de corriger un malen-- tendu persistant. L'apôtre des nations n'était pas un nomade religieux, une sorte de solipsiste pur et dur. Nous avons appris à faire le deuil de notre compréhension romantique de l'apôtre en tant que génie solitaire, en redécouvrant un homme de l'Antiquité, capable de travailler étroitement avec les autres en vue de son projet

missionnaire~. En fait, ce vaste projet ne pouvait être réalisé sans l'aide considéra- ble de tout un groupe de collaborateurs et de collaboratrices. Les épîtres proto- pauliniennes mentionnent une quarantaine de personnages devant être considérés comme tels. Le groupe le p~us proche autour de Paul comprenait des personnes comme Barnabas (seulement au début cle son activité missionnaire, cf. le reflet des tensions en Ac 15,36-40; Ga 2,13), Silvain (1 Th 1,1), Timothée (1 Th 1,1 ;

34 Pour la suite, cf. Knut BACKHAUS, « "Mitteilhaber des Evangeliu'ms" (1 Kor 9,23) » (cf.

note 1), p. 64-69; ·

35 Cf. Wolf-Henning OLLROG,·Paulus und seine Mitarbeiter. Untersuchungen zu Theorie und Praxis der paulinischen Mission (WMANT 50), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1979.

(13)

430 ANDREAS bETTWILER

2 Co 1,1 ; Ph 1,1 ; Phm 1 ; ete.), Tite, Sosthène (1 Co 1,1 ; etc.) et d'autres. Mais il existait également des mis~ionnaires indépendants qui collaboraient avec lui pendant un cer~ain temps, cbmme par exemple Apollos (1 Co 1,12 ; 3,5ss.22; · 4,6; 16,12; cf. aussi Ac 18,24-28) ou le couple Prisca et Aquilas (1 Co 16,19;

Rm 16,3-4 ;cf, aussi Ac 18,1ss). La majorité des collaborateurs et collaboratrices de Paul étaient des délégués des communautés fondées par l'apôtre. Dans cette- fonction, ils participaient au projet missionnaire de Paul, en maintenant le lien avec les communautés.dont ils émanaient, en le soutenant de manière active en tant que missionnaires et en assumant la tâche, ponctuelle, de co-redacteurs des lettres de Paul36Ce travail d'accompagnement et de collaboration ne' s_e limitait probablement pas à de simples questions d'organisation ou de stratégie, mais incluait l'élaboration des questions théologiques. Nous pouvons en plus supposer que ces· discussions théologiques se sont pqursuivies à l'intérieur de ce groupe autour de Paul après sa mort. Dit autrement : ce groupe de -collaborateurs et de collaboratrices constitue pr~bablemen~ le noyau dur.de « Î'école paulinienne».

Comment Paul conçoit-il sa rèlation avec ses collaborateurs et collaboratri- ces ? Son autorité apostolique ne conduit pas, selon ses textes, à une relatioh auto- ritaire à l'égard de 'ses collaborateurs. Le collaborateur -le auvEpy6s -n'est pas défini en premier lieu par le faitqu'il travaille avec Paul, mais qu'il est appelé à travailler à la même œuvre (aùv-Ëpyov) que Paul37Les collaborateurs travaillent sur le même fondement théologique que Paul. Le passage central de 1 Co 3,5-9, par exemple, met Apollos et Paul sur le même plan : Paul a « planté » (la com- munauté de Corinthe), Apollos l'a «arrosée», mais Dieu seul fait« croître» son œuvre. Il n'est donc pas surprenant que Paul,- aux v. 5 et 9, se situe au même ni- veau qu'Apollos, en se qualifiant, lui aussi, d'abord comme «serviteur»

(8Lci.Kovos), puis comme «collaborateur de Dieu» (8EOû yclp EUfl.EV auvEpyo().

Certes, Paul n'hésite pas à exiger, le cas éc.P.éant, l'obéissance, mais pas à l'égard de lui-même en tant qu'individu, bien plutôt à l'égard de l'Evangile. Quand Paul se sait d'accord avec ses communautés ou ses collaboratèurs, il n'exige pas des prérog~tives apostoliques particulières38,

3 .. 4 L'existence de la littérature deutéro-paulinienne; pseudéplgraphie

Je pars du présupposé exégétique selon lequel six écrits qui font partie du corpus paulinum doivent être compris comme deutéro-pauliniens au sens fort, à savoir des écrits qui prétendent avoir été écrits par Paul, mais qui ont été conçus et rédigés par d~s personnes inconnus au temps post-apostolique, bien 'familières

36 Voir à ce sujet Markus MÜLLER, «Der sogenannte 'schriftstellerische' Plural'- neu betrach- tet. Zur Frage der Mitarbeiter ais Mitverfasser der Paulusbriefe », BZ42, 1998, p. 181-201.

37 Cf. Peter MüLLER, Anjiinge der Paulusschule (cf. note 1), p. 214.

38 Cf. Peter MüLLER, Anjiinge der Paulusschule (cf. note 1), p. 215, et Knut BACKHAUS, «"Mit- teilhaber des Evangeliums" (1 Kor 9,23) » (cf. note 1), p. 47.

(14)

L'ÉCOLE PAULINIENNE 431 avec l'héritage paulinien39L'existence des lettres deutéro-p~mliniennes e&tun des indices' les plus forts en faveur d'une ou.plusieurs.écoles pauliniennes. Une ana- lyse détaillée de ces documents montre pourtant que la réception de la théologie paulinienne était un processus complexe et varié, voire hétérogène. Nous repren- . drons cet aspect en fin de cont.ributioil.

V existence de la littérature deutéro-paulinienne suscite évidemment laques- tion de la pseudépigraphie antique. Dans la littérature de l'Antiquité gréco-ro- maine, elle est fortement répandue. Mais en conclure qu'elie était unanimement acceptée en tant que procédé littéraire normal est faux. Jean-Daniel Kaestli for- mule à juste. titre : «La prétendue indifférence de 1 'Antiquité face à la psetidépi- graphie est une illusion; la critique de l'authenticité eda condamnation de la pratique des faux littéraires y sont bien documentées » 40Deux observations nous permettent de créer un pont entre la pseudépigraphie du monde.gréco-romain et la

·pseudépigraphie de type deutéro-paulinienne (avant tout Çol, Ep et les Pastora- les; 2 Th devrait à mon avis être traitée séparément). D'une part, les ouvrages s'enracinant dans la tradition des écoles de l'Antiquité: «Dans les écoles philo- sophiques ou médicales, il n'était pas rare qu'un disciple publie sous le nom du maître une œuvre commentant ou développant son enseignement. Un grand nom- bre d'écrits attribués à Socrate, à Platon, à Aristote ou à .Hippocrate ont ainsi vu le jour »41Dans ces traditions d'école, la pseudépigraphie semble ainsi avoir été un procédé plus ou moins généralement accepté. D'autre part, c'estprécisément la littérature épistolaire qui, dans 1 'Antiquité, semble avoir été le terral1,1 privilégié de toutes sortes de procédés pseudépigraphes. La pseudépigraphie trouvait son point culminant dans la pseudéplstolographie42Virtuellement toutes les grandes figures de l'histoire grecque, Euripide, Démocrite, Socrate, Alexandre le Grand et d'autres, -sont concernées par ce phénomène43 (

39 En ce qui c-oncerne 2 Th, l'hypothèse de William Wrede, reprise et affinée par Wolfgang TriUing et d'autres, selon laquelle 1 'écrit constitue une imitation littéraire délibérée de 1 Th, reste à mon avis l'hypothèse la plus plausible. Le statut de Col est actuellement plus disputé, mais là aussi; il convient d'envisager ilne hypothèse deutéro-paulinienne au sens fort. Quant aux autres écrits- Ep et les Pastorales-, le doute n'est à mon avis plus permis.

40 Jean-Daniel KAESTLI, «Mémoire et pseudépigraphie dans le christianisme de l'âge post- apostolique», RThPh 125, 1993, p. 47. Cf. aussi Hans-Josef KLAUCK, Die antike Briejliteratur und das Neue Testament (UTB 2022), Pàderborn et al., Schoningh, 1998, p. 303: «Man darf nicht soweit gehen und behaupten, dass Pseudepigraphie in der Antike ein allgemein verbreite- ter und anerkannter Vorgang gewesen sei, an dem niemand mehr Anstoss nahm. Es gab im Gegenteil sehr wohl ein Gefühl für geistige Urheberschaft und für bewusste Falschung ».

41 Jean-Daniel KAESTLI, «Mémoire et pseudépigraphie dans le christianisme de l'âge post- apostolique» (cf. note 40), p. 47.

42 Cf. par ex. Udo SCHNELLE, Einleitung in das Neue Testament (cf. note 1), p. J26.

43 Les variations étaient, semble-t-il, innombrables. Les exemple les plus innocents étaient de simples exercices rhétoriques dans le cadre scolaire ; 1 'autre ·extrême étant figuré par des faux aux intenti.ons clairement frauduleUS!JS (par exemple dans le contexte économique).

(15)

4~2 ANDREAS DETIWILER

Queiles étaient l.es raisons de l'émergence de la Iittérature.deutéro-pauli- nienne? Autrement dit: pourquoi les« disciples» de Paul n'écrivah~rit-ils pas en leur propre nom, mais faisaient recours à la figure· de l'apôtre Paul pour légitimer

· leurs écrits? La question est d'autant pius pertinente au· momeut où nous nous rendons compte du caractère transitoire de la pseudépigraphie néotestamentaire ; en fait, la plupart de ces écrits a été produite entre environ 70 et 110, donc èntre la rédaction des écrits proto-pauliniens et les lettres d'lgnaèe d'Antioche. La ra~son

principale.est à mon avis d'ordre ecclésio-politique. Dans l'histoire du christia- nismè primitif, cette période <<post-classique »44 doit être qualifiée comme un temps de rupture et d6" nouvelle orientation45Pour les communautés pauliniennes, la mort de l'apôtre, figure. d'autorité et lien unificateur de ces Eglis~s, avait pro- voqué un s.entiment d'insécurité. Nous pouvons. supposer que. des forces « centri- fÙges », déjà bien présent~s au sein des GOmmunautés pauliniennes durant le v_ivant de Paul - pensons s.eulement aux ~elations mouve~entées de Paul avec la communauté de Corinthe-, s'intensifiaient après la disparition de l'apôtre. Le développement des ministères ecclésiaux en était probablement encore à un stade . r~dimentaire. Et l'interprétation adéquate de l'héritage devenait un prol;>lè~e de

·plus en plus aigu. Face à ces multiples défis, les p()rteurs de la tradition pauli- nienne n'avaient apparemment pas d'autre choix que de recourir à l'autorité de Paul. Une autre autorité ecclé.siale de telle envergure n'existait p~s encore. C'est seulement en parlant.au·nom de. Paul que f'oh avait la chance d'être entendu parmi les communautés pauliniennes46Phénomène paradoxal à première vue seulement : la mqrt de Paul a susCité en même temps ·sa résurrection littéraire, _par l'émergence de la littérature deutéro-pauliriiènne !

3.5 Vers la composition du corpus pau~inum

Un dernier ·champ d'indices èn faveur de l'hypothèse de «l'école pauli- nienll:e » est lié à la constitution du corpus paulinum. Là aussi, je me limite à une esquisse sommaire de la problématique, tant le sujet est complexe dans le détail.

3.5.1 Lect4re et circulation de lettres

Dès le début, les lettres ·de Paul cint été lues à haute voix dans les commu- nautés (cf. ·1 Th 5,27 ; Rm 16,16). Paul lui-même suppose que ses lettres - au moins une partie - devaient circuler parmi les communautés comme l'indique par . ex. le pl urie! en Ga 1,2 ( « aux Eglises de Galatie » ). Colossiens, de son côté, la

44 Nous empruntons le terme de Horst R. BALZ, « Anonymitat und Pseudepigraphie "iin Urchri- stentum. Überlegungen ZU!l} literarischen und theologischen Problem der urchristlichen und gemeinanti!-;en Pseuçlepigraphie », ZThK 66, 1969, p. 432

45 Bonne description de la problémat.ique chez·Udo SCf:iNELLE, Einleitung in das Neue Testa- ment (cf. note 1), p, 327.

46 C'est la thèse, pertinente, de Karl Martin FISCHER, « Anmerkungen zur Pseudepigraphie im Neuen Testament», NTS 23, 1977, p. 76-81, en particulier p. 79.

(16)

L'ÉCOLE PAULINlENNE 433

lettre deutéro-paulinienne la plus ancienne, invite à ·l'échange de lettres ({16:

«Quand vous aurez lu ma lettre, transmettez-la à l'Eglise de,Laodkée', qu'elle la lise à son tour. Lisez, de votre côté, celle qui viendra de Laodicée»). La remarque est intéressante car elle témoigne du dépassement progressif du conte;xte de communication initial et ainsi de l'autorité grandissante des lettres -pauliniennés, .En plus, 2 Thessaloniciens présuppose la connaissance de fausses lettres pauli-

niennes (cf. 2 Th 2,2!; 3,17), ce qui suppose indirectement la circulation de plu- sieurs lettres de Paul parmi ses communautés. Ces quelques remarques démontrent clairement 1 'autorité accordée aux lettres de Paul dans des milieux

·pauliniens. Par ailleurs, on observe cette autorité déjà durant la vie de Paul comme le montre 2 Co 10,10 (« .... car ses lettres, dit-on, ont du poids et de la force·; mais une fois présent, il est faible èt sa parole est nulle. » ). II est donc compréhensible que les lettres de Paul fussent collectionnées (pourtant pas de manière exhaustive, comme le montre la lettre perdue de Paul, indiquée en 1 Co 5,9), regroupées et mises en circulation, en premier lieu pour· un public restrein~, les communautés pauliniennes.

3.5.2 Modification rédactionnelle de lettres existantes

Un autre indice en faveur de l'école paulinienne est le .fait que, très vite après la mort de Paul, ses lettres ont subi de· légères modifications47Mentionnons d'abord le phénomène des gloses qqi se troÙvent ici ou là dans les lettres proto- pauliniennes. Ce sont de~ textes ou ~es fragments textuels qui ont été i~sérés

ultérieurement dans des lettres de Paul (cf. Rm 16,25-27; évt. 1 Co 1,2c; 14,33b- 36; certainement 2 Co 6,14-7,1 ; etc.). Mentionnons ensuite l'hypothèsé selon laquelle 2 Co, au moins, semble être une composition ul1térieure de plusièurs fragments de lettres du Paul historique. En admettant cette hypothèse, quelqu'un . a dû rassembler ces lettres ou fragments de lettre, et en faire une composition.

·cohérente. NouS pouvons supposer que ce·qtielqu'un était proche de Paul' car ce genre de travail suppose une· c~rtaine familiarité avec sa pensée. En plus, ce tra- . vail de composition littéraire témoigne de l'intérêt accru qu'on a accordé à la .

théologie paulinienne. On voulait que la voix de Paul .continuât d'être entendue au sein de l'Eglise.

Ici

apparaît de nouveau le travail de« l'école paulinienne»,

~oucieuse de préserver l'héritag~ écrit de l'apôtre.

47 Ou peut-être, en partie, même déjà durant la vie de Paul ? Walter TROBISCH, Die Entstehung · der P~ulusbriejsammlung. Studien zu den Anjiingen christllcher Publizistik (NTOA 10), Frei- burg/Géittingen, Universitiitsverlag/.Vandenhoeck & Ruprecht; 1989, défend l'hypothèse selon laquelle 1 'auteur - Paul - aurait été son premier rédacteur important. Autrement dit, Paul lui- même aurait remanié au moins quelques-unes de ses lettres sur la base de sa. correspondance ecclésiale, en vue de la qiffusion et de la préservation de sa pensée pour les générations futures (Trobisch parle de Autorenrezensionen, cf. par ex. p. 119-132). -L'hypothèse de Trobisch, s'inspirant des autres collections de lettres de l'Antiquité (comme, par ex., celles de Cicéron, Pline le Jeune et Ignace d'Antioche), ne me semble pas farfelue; mais elle ne saurait être com- prise comme modèle d'explication exclusif. En fait, toutes les opérations rédactionnelles ne remontent pas à Paul, mais reflètent des' soucis de la génération post-apostolique ..

(17)

434 ANDREAS DETIWILER

3.5.3 Collectio'n et rassemblement des lettres : la constitution du corpus paulinien.

Un dernier indice dans ce contexte du travail de rédaction est la collection des lettres pauliniennes, et donc l'étape d,écisive vers la constitution du corpus pauli- num. Une fois de plus, je mè permets de me limiter à deux, trois indications48.' La reconstruction des premières collections de lettres pauliniènnes (proto- et deutéro- pauliniennes) est extrêmement difficile et doit rester hypothétique. Il semble que le processus de collection et de classement des lettres pauli11iennes fût déjà bien avancé à la fin du rer ou au début du Ile siècle. La première évidence pour 1 'existence d'une collection extensive de lettres pauliniennes est fournie par la collection de Marcion vers lè milieu du

ne

siècle. L'ordre des dix lettres figurant dans ce canon paulinien (Ga; 1-2 Co; Rm; 1-2 Th; Ep'[« Laodicéens »selon Marcion] ; Col ; Ph ; ·Phm), en particulier l'antéposition de Ga, a suscité des in- terprétations controversées. Il est pourtant vraisemblable que Marcion se fût basé sur mie édition déjà existante de collection de lettres sans beaucoup la modifier49 Les éditions ont été arrangées selon le principe chronologique (le Fragment de Muratori en témoigne) ou celui de la longueur décroissante (par ex. Marcion, à'·

l'exception de Ga)50 ·

3.6 Evaluation

3.6.1 La comparaison avec les écoles philosophiques de l'Antiquité

Revenons à la comparaison de« l'école paulinien~e » avec les écoles philo:

saphiques de l'Antiquité. Chaque trayail comparatif se caractérise par l'effort de.

détenpiner le degré de ressemblance entre deux ou plusie11rs phénomènes dis- tincts, ou plus généralement, par un jeu dialectique entre identité et différence: Il ile s'agit donc pas d'espérer une ressemblance parfaite, mais de vqir si les écoles · philosophiques de 1 'Antiquité offrent un cadre heuristiquement intéressant pour

48 Pour la suite, voir Kurt ALAND, «Die Entstehung .des corpus paulinum », <jans : Neutesta- mentliche Entwiirfe (ThB 63), Mtinchen, Kaiser, 1979, p. 302-350; Harry Y. GAMBLE, The Canon of the New Testament. lts Making and Meaning (New Testament Series), Philadelphia;

Fortress Press, 1985, p. 35-46 ; Jean-Daniel KAESTLI, «Histoire du canon du Nouveau Tysta- ment »,dans: Daniel MARGUERAT (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son historie, son écriture, sa théologie (Le Monde de la Bible 41), Genève, Labor et Fides, 20012, p. 449-474, en particulier p. 459-461·; Hans-Martin SCHENKE, « Das Weiterwirken des Paulus und die Pflege seines Erbes durch die Paulus-Schule » (cf. note 1) ; Udo SCHNELLE, Einleitung in das Neue Testament (cf. note 1), 395-410, [«Die Sammlung der Paulusbriefe und das Werden des Ka- nons »] ; Dieter TROBISCH, Die Entsteh(mg der Paulusbriejsammlung (cf. note 47), 1989.

'49 Selon Jean-Daniel KAESTLI, «Histoire dù canon du Nouveau Testament» (cf. note 4S),

·p.460.

50 Mais ce principe a abouti à différents résultats selon qu'on comptait les lettres' adressées à la mêm!j communauté comme une unité de longueur(« 1-2 Co»; « 1-2 Th») ou séparément; cf.

Harry Y. GAMBLE, The Canon of the New Testament (cf. note 48), p. 41-42.

(18)

L'ÉCOLE PAULINIENNE 435

mieux comprendre Paul et sa réception dans une perspective socio-historique, en particulier les influ_encesréciproques entre Paul et le mondeenvironnantil.

Les ress,emblances sont consiçlérables. (1) L'utilisation paulinienne des méta- . phores familiales, en particulier celle du « père », pour désigner à la fois sa

grande autorité et son lien affectif fort avec les communautés fondées par lui- même, mais aussi avec ses collaborateurs et collaboratrices,_ trouve son écho dans le statut d'autorité du maître philosophique. (2) L'imitation du maître philosophi- · que, conçu comme un des moyens les plus efficaces pour amener le disciple au mûrissement personnel, a son pendant dans le topos de 1 'imitatio Pauli, même si, à ce point, les différences sont incontestables. (3) La dimension fortement com- munautaire (l'idéal de laphilia) se trouve de part et d'autré2(4) Les collabora:..

te urs et collaboratrices de Paul, eux aussi engagés dans 1 'enseignement et la propagation du message, peuvent être comparés à des étudiants philosophiques avancés53; (5) L'activité missionnaire- voyages seul ou avec des disciples, créa- tion de nouveaux cercle~ de sympathisants, etc. -et donc la nécessité de se 'posi- tionner activement sur le « marché intellectuel » de 1 'époque sont des éléments familiers à Paul ét à ses successeurs. (6) La littérature deutéro-paulinienne, en particulier Col et Ep, témoigne d'un processus de réception novateur de l'héritage paulinien. Elle est analogue au souci des écoles philosophiques· de préserver leur propre héritage philosop_hique, en le soumettant à une interprétation actualisante.

En composant des lettres deutéronymes54 au nom de Paul, «l'école paulinienne»

imite évidemmènt l'activité épistolaire de l'apôtre. En même temps, l'épistolo- . graphie deutéronyme a son analogie dans l'activité littéraire des écoles philoso- phiques de l'Antiquité. (7) Enfin, un regard sur l'histoire de la réception montre que non seulement des auteurs non-chrétiens ont perçu les chrétiens comme

51 Cf. la remarque inspirante de Loveday.C.A. ALEXANDER,« Paul and the Hellenistic Schools:

The Evidence of Galen », dans: Troels ENGBERG-PEiiERSON (éd.), PauUn his Hellenistic Context (Studies of the New Testament an its Word), Edinburgh, T. & T. Clark, 1994, 60~83, ici p. 82 : «Ali I have tried to do is to establish that the mode! of the school is an important tool for the imaginative understanding of Paul 's world and the options open to him for penetrating it, as weil as for understanding the reactions of thal world to Paul».

52 Thomas SCHMELLER, Schulen im.Ne~en Testament? .(cf. note 1), p. 181, accentue ici unilaté- ralèment les différences- quand il écrit: «Die Gemeinden [i.e. les communautés chrétiennes]

unterschieden sich von den Schulen (selbst von den Epikureern) durch ein sehr viel stiirkeres Gruppenbewusstsein; Das kommunale Element ist nicht didaktisches Mittel, sondern ein Grundzug ihrer Identitiit ». Est-ce vraiment correct de disqualifier 1 'élément communautaire par exemple des épicuriens comme simple «moyen didactique» ? Et.qu'en est-il, par exemple, de J'orientation profondément dialogique de la philosophie de Sénèque?

53 Cf. Thomas SCHMELLER, Schulen im Neuen Testa/nent? (cf. note 1), p. 180.

54.Le ~éo!ogisme « deutéronyme »remonte à Joachim GNILKA, Der Ko!osserbriej(HThK 10), J<:reiburg/Basel/Wien, Herder, 1980, p. 23 (reprise par Peter Müller, Anfiinge der Paulusschule [çf. note 1], p. 318). Elle a l'avantage d'éviter des jugements de valeur inappropriés liés au

terme classique de« pseudonyme>>. ·

Références

Documents relatifs

Si, avant l'école, le savoir était dans l'environnement proche, avec l'avènement de l'école des portes se sont ouvertes, mais au service de la société d'alors.. La

Chapitre V – Carole Veuthey et Géry Marcoux Évaluation à l’école

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1

Genève : Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, 2008, 163 p.

Nous en doutons, car les orientations théologiques générales entre Col (et Ep) d’une part, et l’œuvre lucanienne d’autre part, sont très différentes: la théologie

En quoi Molière est fidèle à sa pensée naturiste: la recherche du plaisir est spontanée, programmée dans le destin individuel, si bien que la jeune fille porte en soi,

pierre leur permettant de s'exercer et un vétéran devenu trop faible pour pratiquer la taille, mais assez expérimenté pour l'enseigner, on installa un centre de formation où il

Mais ne vient-on à l’école que pour savoir, ou aussi pour admirer ceux qui savent, ceux qui sont supposés savoir, ceux qui ont formulé le savoir d’une certaine façon, et dont