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L'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE ENSEIGNANTES

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Academic year: 2022

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L'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE ENSEIGNANTES

RégisMALET

Sciences del'Éducation, Université Charles de Gaulle

-

Lille3

Résumé: Lerecours à l'approche biographique recouvreune diversité de pra¬

tiquesetdespréoccupationsderechercheet/oudeformationvariées. Articulant

des interrogations d'ordre tiiéoriquesurla conception du récitet dusujet dans l'expérience biographique etd'ordre plus strictement méthodologiqueet épisté¬

mologique surl'usage de cette approche en formationd'enseignants, le propos decetarticleestdouble:

-élucidertoutd'abord le statutdurécitet del'histoireà

l'uvre

danslediscours biographique, lafiguredu narrateur-hérosmisen intriguedansl'espacebiogra¬

phiqueet le sujet qu'il promeut. Le récit de vie esttravaillé dans sa double dimensionsémantique etpragmatique.

-proposerensuite uneapprochedesrecherchesmobilisantleshistoiresdevieen formation d'enseignants,enpointantles usages durécitquecestravaux tendent

àvaloriser.La variétéde ces usagescristalliseune interrogation sur les savoirs enseignants etsurlaplacequipeut êtreconféréeenformationàces savoirsnar¬

ratifsélaborés danslerécitdeviedel'enseignant.

INTRODUCTION: LE RECITDEVIECOMMETEXTE ETCOMME ESPACESUBJECTIF

Longtempslessciences de l'hommenesesontguère intéresséesauvécu singulier, préoccupées qu'elles étaient de légitimer leur statutpar des procé¬

dures derecherche démonstrativeset objectivantes, en rupture d'aveclesens commun.«Entréeencontrebandedansl'univers savant»(Bourdieu, 1986: 69), lanotiond'histoirede vieade faitétéaccueillie avecunecertaineincrédulité par les sciences sociales. L'investissement de ces textes du vécu singulier, objets austatut ambiguetaucontenu disparate, aétésuspecté de survaloriserlesrai¬

sons du sujet et de favoriser l'expression d'une idéologie biographique, leur¬

rante tout autant pour les historiens de leur vie que pour les chercheurs, complices decette entreprisenégociéedefalsification.

Pourtant,sousl'impulsion d'un renouveau des sciences sociales vacillantes dans leur prétention séculaire à objectiver et légiférer le monde social au prix d'une expulsionde lafigure dusujet,cedernieraétéprogressivement réhabilité, soutenu encela parlapromotiondeformes de connaissances moins taraudées

L'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE ENSEIGNANTES

RégisMALET

Sciences del'Éducation, Université Charles de Gaulle

-

Lille3

Résumé: Lerecours à l'approche biographique recouvreune diversité de pra¬

tiquesetdespréoccupationsderechercheet/oudeformationvariées. Articulant

des interrogations d'ordre tiiéoriquesurla conception du récitet dusujet dans l'expérience biographique etd'ordre plus strictement méthodologiqueet épisté¬

mologique surl'usage de cette approche en formationd'enseignants, le propos decetarticleestdouble:

-élucidertoutd'abord le statutdurécitet del'histoireà

l'uvre

danslediscours biographique, lafiguredu narrateur-hérosmisen intriguedansl'espacebiogra¬

phiqueet le sujet qu'il promeut. Le récit de vie esttravaillé dans sa double dimensionsémantique etpragmatique.

-proposerensuite uneapprochedesrecherchesmobilisantleshistoiresdevieen formation d'enseignants,enpointantles usages durécitquecestravaux tendent

àvaloriser.La variétéde ces usagescristalliseune interrogation sur les savoirs enseignants etsurlaplacequipeut êtreconféréeenformationàces savoirsnar¬

ratifsélaborés danslerécitdeviedel'enseignant.

INTRODUCTION: LE RECITDEVIECOMMETEXTE ETCOMME ESPACESUBJECTIF

Longtempslessciences de l'hommenesesontguère intéresséesauvécu singulier, préoccupées qu'elles étaient de légitimer leur statutpar des procé¬

dures derecherche démonstrativeset objectivantes, en rupture d'aveclesens commun.«Entréeencontrebandedansl'univers savant»(Bourdieu, 1986: 69), lanotiond'histoirede vieade faitétéaccueillie avecunecertaineincrédulité par les sciences sociales. L'investissement de ces textes du vécu singulier, objets austatut ambiguetaucontenu disparate, aétésuspecté de survaloriserlesrai¬

sons du sujet et de favoriser l'expression d'une idéologie biographique, leur¬

rante tout autant pour les historiens de leur vie que pour les chercheurs, complices decette entreprisenégociéedefalsification.

Pourtant,sousl'impulsion d'un renouveau des sciences sociales vacillantes dans leur prétention séculaire à objectiver et légiférer le monde social au prix d'une expulsionde lafigure dusujet,cedernieraétéprogressivement réhabilité, soutenu encela parlapromotiondeformes de connaissances moins taraudées

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REPÈRES21/2000 R-MALET

par le paradigme de la démonstration et de l'objectivité (Lyotard, 1979 ; Maffesoli, 1990). Les disciplines instituées, à commencer par l'ethnologie, la sociologie(Ferrarotti, 1983; Poirier,ef.al., 1983)et l'histoire(Thompson, 1978;

Joutard, 1983), ont progressivement redécouvert lesujetetlavaleursignifiante de ses récits. En sciences de l'éducation, les histoires singulièresapparaissent de plus en plus comme une voie propre à enseigner chercheurs etformateurs sur les rapports des acteurs de l'éducation à l'école, au savoir, au métier ou encore sur les processus d'apprentissageà l'uvre dans les situationséduca¬

tives et formatives. Envisagécommeespace potentieldeformationetd'actuali¬

sation de soi par certains (Dominicé, 1990 ; Pineau, 1998), le récit de vie demeure pour d'autres (Bertaux, 1980; Demazière et Dubar, 1997) un moyen privilégiéd'accèsausensincarné des pratiquessociales. Danstouslescas,son usageesttravaillé parlaquestionde l'identité: personnelle, professionnelleou psycho-sociale(Malet, 1998).

Le propos ne sera pas ici de construire destypologies ou de mesurer la légitimité de l'usage des histoires de vie en sciences anthropo-sociales ;

d'autres auteurs ont exploré cette question selon l'intérêt de connaissance qui les guide (Bertaux, 1997 ; Finger, 1984; Legrand, 1993; Pineau et Le Grand, 1996).Jeproposerai pour mapart uneapproche herméneutiquedu récitdevie, enenvisageant lerécitcomme texteetcomme espace(inter)subjectif, avantde glisser ensuite versl'exploration des potentialitésdel'usage deshistoiresde vie (1)surunterrainspécifique, celui delaformation desenseignants, ce qui nous donneral'occasion d'élargir lequestionnement surleterrain méthodologique et socio-épistémologique.

Les récits de vie posent frontalement la question anthropologiquefonda¬

mentale, celledu sensdelavie,et affrontentleproblèmequi est decomprendre commentunsujet peut«sedevenir»etsereconnaîtretoutenchangeantconti¬

nûmentdansletemps. Cette problématique existentielle, qui estcelle de l'iden¬

tité et de safiguration narrative, peut s'entendre selon deux perspectives, successivement traitées : sémantique tout d'abord - attentive au texte que constitue l'histoire devieetau héros qui latrame-, pragmatique ensuite- intér¬

esséeparlafiguresubjective dévoiléeparl'actenarratifmême -. Cequiconsti¬

tue donc le propos, c'est d'éclairer te récit de vie comme texte et comme espaced'émergencedu sujet.

Le récitqui nous intéresse iciestle récitoral, qui sedéploie dansunacte de paroletenu à un narrataire. II sedistinguedoncdetoute production biogra¬

phique écrite (autobiographie, journal, mémoires), principalementdistincte du premierencequ'ellenerésulte pas d'unesituation d'interlocution.Lesrécits de viesonteneffetlelieud'unedouble rencontre: avecsoi-mêmed'abord, projeté etdifférencié souslafigure du«je»dansl'espace narratif; avecl'autre ensuite, celui face auquel l'énonciateur « se produit » en se racontant. Espace d'auto- référenciation,lerécit de vie estaussilelieuintersubjectifoù lestextesdu vécu sont misenpartage,échangés. Envisagerl'histoiredeviecommetexte estbien entendu discutable, dans la mesure le texte désigne « un discours fixé par l'écriture » (Ricoeur, 1986 : 154), et que l'histoire de vie est d'abord produite dansunesituationd'échange verbal;pourtant, parl'écart créateur qu'elleintro-

REPÈRES21/2000 R-MALET

par le paradigme de la démonstration et de l'objectivité (Lyotard, 1979 ; Maffesoli, 1990). Les disciplines instituées, à commencer par l'ethnologie, la sociologie(Ferrarotti, 1983; Poirier,ef.al., 1983)et l'histoire(Thompson, 1978;

Joutard, 1983), ont progressivement redécouvert lesujetetlavaleursignifiante de ses récits. En sciences de l'éducation, les histoires singulièresapparaissent de plus en plus comme une voie propre à enseigner chercheurs etformateurs sur les rapports des acteurs de l'éducation à l'école, au savoir, au métier ou encore sur les processus d'apprentissageà l'uvre dans les situationséduca¬

tives et formatives. Envisagécommeespace potentieldeformationetd'actuali¬

sation de soi par certains (Dominicé, 1990 ; Pineau, 1998), le récit de vie demeure pour d'autres (Bertaux, 1980; Demazière et Dubar, 1997) un moyen privilégiéd'accèsausensincarné des pratiquessociales. Danstouslescas,son usageesttravaillé parlaquestionde l'identité: personnelle, professionnelleou psycho-sociale(Malet, 1998).

Le propos ne sera pas ici de construire destypologies ou de mesurer la légitimité de l'usage des histoires de vie en sciences anthropo-sociales ;

d'autres auteurs ont exploré cette question selon l'intérêt de connaissance qui les guide (Bertaux, 1997 ; Finger, 1984; Legrand, 1993; Pineau et Le Grand, 1996).Jeproposerai pour mapart uneapproche herméneutiquedu récitdevie, enenvisageant lerécitcomme texteetcomme espace(inter)subjectif, avantde glisser ensuite versl'exploration des potentialitésdel'usage deshistoiresde vie (1)surunterrainspécifique, celui delaformation desenseignants, ce qui nous donneral'occasion d'élargir lequestionnement surleterrain méthodologique et socio-épistémologique.

Les récits de vie posent frontalement la question anthropologiquefonda¬

mentale, celledu sensdelavie,et affrontentleproblèmequi est decomprendre commentunsujet peut«sedevenir»etsereconnaîtretoutenchangeantconti¬

nûmentdansletemps. Cette problématique existentielle, qui estcelle de l'iden¬

tité et de safiguration narrative, peut s'entendre selon deux perspectives, successivement traitées : sémantique tout d'abord - attentive au texte que constitue l'histoire devieetau héros qui latrame-, pragmatique ensuite- intér¬

esséeparlafiguresubjective dévoiléeparl'actenarratifmême -. Cequiconsti¬

tue donc le propos, c'est d'éclairer te récit de vie comme texte et comme espaced'émergencedu sujet.

Le récitqui nous intéresse iciestle récitoral, qui sedéploie dansunacte de paroletenu à un narrataire. II sedistinguedoncdetoute production biogra¬

phique écrite (autobiographie, journal, mémoires), principalementdistincte du premierencequ'ellenerésulte pas d'unesituation d'interlocution.Lesrécits de viesonteneffetlelieud'unedouble rencontre: avecsoi-mêmed'abord, projeté etdifférencié souslafigure du«je»dansl'espace narratif; avecl'autre ensuite, celui face auquel l'énonciateur « se produit » en se racontant. Espace d'auto- référenciation,lerécit de vie estaussilelieuintersubjectifoù lestextesdu vécu sont misenpartage,échangés. Envisagerl'histoiredeviecommetexte estbien entendu discutable, dans la mesure le texte désigne « un discours fixé par l'écriture » (Ricoeur, 1986 : 154), et que l'histoire de vie est d'abord produite dansunesituationd'échange verbal;pourtant, parl'écart créateur qu'elleintro-

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duit entre l'expériencevécue etsa mise en intrigue, parlacaractérisation d'un héros et ladésignation différée de son auteurqu'elle dessine, l'histoire de vie opère, nousallonslemesurer,commeunquasi-texte.

1. L'HISTOIREDEVIE ET SON HÉROS

La première tâche d'une elucidation du récit de vie est de s'intéresserà l'actede dire,dese raconter. Lefaitmajeur du récit, c'est probablementle dis¬

cours lui-même, ou, selon la formule de H. James, « l'histoire de l'histoire »

(1984 : 1309). Pourautant que laspécificité du discours biographique soit de voirsesuperposer etse prolongerl'un etl'autre horsdutexte,sujet del'histoire (le« héros»)etsujetdu récit (l'énonciateur) demeurent dans l'espace du récit de viedistincts. Aussi insaisissable soit-il,lesujet de l'histoire est contenu, circons¬

crit dans l'histoire même qui est son ancrage, son milieu, pendant que l'acte narratifopèreledévoilement d'unsujetqui, bienqu'initiateur du récit, demeure atopos.Sil'on envisage ainsi«l'histoireque nous racontelerécit»,le(s)person¬

nage^)- etdoncenpremierlieu sonhéros, lenarrateur-s'yvoie(nt)confier une identité, uncaractèrestable, homéostatique, carla cohésion caractérisele dis¬

cours pris à son niveau diégétique. En revanche, au niveau extradiégétique de l'acte narratif, l'identité du sujet n'est pas intrinsèque et circonscrite à un récit qui demeure un momentde savie, mais instituée, exprimée par celui-là même etéprouvée hors de lui. Ce qu'il convient d'éclairer, c'est donc tout autant la nature durécitàl'ceuvredans l'histoire devie que lafigure dusujetpromuepar lerécit devie, hors duchampnarratif.

II convient donc tout d'abord de prendre la mesurede ce que Ricoeur nomme « l'opacité du signe » (Ricoeur, 1990 : 57), à savoirle fait que l'acte d'énonciation entreeninterférenceavecl'aspiration de transparence propreà la visée référentielle du discours. Les actes de discours prennent sens dans le cadre initiateur d'un présent sui-référentiel, c'est-à-dire d'un moment qui embrassedansunmême mouvementlesénoncésetl'acted'énonciation. C'est cequelesthéoriciensdesactesdelangage(Austin, 1962;Searle, 1972)explici¬

tenten inscrivant la parole dans l'ordre de l'agir, opérant une distinction entre deux catégoriesd'énoncés: lesperformatifsetlesconstatifs.Lespremierssup¬

posent quel'énoncéréalise,« performe» l'actionqu'il formule jet'aime»),fai¬

santcoïncider acte diégétiqueetacte extradiégétique. Les secondsconsistent simplement, comme leur nom l'indique, à constater, à décrire il l'aime »).

Toutefois,etmêmesiSearle dépassedéjàlaconception austinienne-qui réduit les énoncés performatifs aux seules affirmations en première personne - en ouvrant surdescatégories différentesd'actes(lesconstatifs étant dès lorsinté¬

gréscommeforme particulière defaire), lecaractèreperformatif de laparole est élargi àtoutacted'énonciationavecDerridaetRicoeur.

Que laperformance apparaissecomme propriété intrinsèqueàtoutactede discours, voilàqui constitue unearmature théorique et épistémologiquesolide pour légitimer l'usage du récit deviecomme milieudecréation ou d'actualisa¬

tiondusujet durécit etde sonhistoire, etnonsimplementde publicisationd'un vécudisponibleetpré-constitué. Lareconnaissancedu caractèreperformatif du discoursn'indiquecependant pasencoreunfoyer, unsupportàcettecatégorie duit entre l'expériencevécue etsa mise en intrigue, parlacaractérisation d'un héros et ladésignation différée de son auteurqu'elle dessine, l'histoire de vie opère, nousallonslemesurer,commeunquasi-texte.

1. L'HISTOIREDEVIE ET SON HÉROS

La première tâche d'une elucidation du récit de vie est de s'intéresserà l'actede dire,dese raconter. Lefaitmajeur du récit, c'est probablementle dis¬

cours lui-même, ou, selon la formule de H. James, « l'histoire de l'histoire »

(1984 : 1309). Pourautant que laspécificité du discours biographique soit de voirsesuperposer etse prolongerl'un etl'autre horsdutexte,sujet del'histoire (le« héros»)etsujetdu récit (l'énonciateur) demeurent dans l'espace du récit de viedistincts. Aussi insaisissable soit-il,lesujet de l'histoire est contenu, circons¬

crit dans l'histoire même qui est son ancrage, son milieu, pendant que l'acte narratifopèreledévoilement d'unsujetqui, bienqu'initiateur du récit, demeure atopos.Sil'on envisage ainsi«l'histoireque nous racontelerécit»,le(s)person¬

nage^)- etdoncenpremierlieu sonhéros, lenarrateur-s'yvoie(nt)confier une identité, uncaractèrestable, homéostatique, carla cohésion caractérisele dis¬

cours pris à son niveau diégétique. En revanche, au niveau extradiégétique de l'acte narratif, l'identité du sujet n'est pas intrinsèque et circonscrite à un récit qui demeure un momentde savie, mais instituée, exprimée par celui-là même etéprouvée hors de lui. Ce qu'il convient d'éclairer, c'est donc tout autant la nature durécitàl'ceuvredans l'histoire devie que lafigure dusujetpromuepar lerécit devie, hors duchampnarratif.

II convient donc tout d'abord de prendre la mesurede ce que Ricoeur nomme « l'opacité du signe » (Ricoeur, 1990 : 57), à savoirle fait que l'acte d'énonciation entreeninterférenceavecl'aspiration de transparence propreà la visée référentielle du discours. Les actes de discours prennent sens dans le cadre initiateur d'un présent sui-référentiel, c'est-à-dire d'un moment qui embrassedansunmême mouvementlesénoncésetl'acted'énonciation. C'est cequelesthéoriciensdesactesdelangage(Austin, 1962;Searle, 1972)explici¬

tenten inscrivant la parole dans l'ordre de l'agir, opérant une distinction entre deux catégoriesd'énoncés: lesperformatifsetlesconstatifs.Lespremierssup¬

posent quel'énoncéréalise,« performe» l'actionqu'il formule jet'aime»),fai¬

santcoïncider acte diégétiqueetacte extradiégétique. Les secondsconsistent simplement, comme leur nom l'indique, à constater, à décrire il l'aime »).

Toutefois,etmêmesiSearle dépassedéjàlaconception austinienne-qui réduit les énoncés performatifs aux seules affirmations en première personne - en ouvrant surdescatégories différentesd'actes(lesconstatifs étant dès lorsinté¬

gréscommeforme particulière defaire), lecaractèreperformatif de laparole est élargi àtoutacted'énonciationavecDerridaetRicoeur.

Que laperformance apparaissecomme propriété intrinsèqueàtoutactede discours, voilàqui constitue unearmature théorique et épistémologiquesolide pour légitimer l'usage du récit deviecomme milieudecréation ou d'actualisa¬

tiondusujet durécit etde sonhistoire, etnonsimplementde publicisationd'un vécudisponibleetpré-constitué. Lareconnaissancedu caractèreperformatif du discoursn'indiquecependant pasencoreunfoyer, unsupportàcettecatégorie

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REPÈRES21/2000 R.MALET

d'agir qu'estlerécit devie,aussiréférentielsoitcedernier. Lesparolesqu'il pro¬

jetésont comme « en suspens » (Wittgenstein, 1951 : § 198). Certes, celui qui agit danslerécit devie, c'estle narrateur, maispour autant quelehérosdu récit soitunmiroirdusujet quil'énonce etleproduit, iln'estpaslesujet.

1.1.

Caractérisation

dunarrateur-héros de

l'histoire

devie L'histoire deviemetenformeun personnage central, unhéros, unitéorga¬

nisatrice du récit, dont il s'agit d'éclairer la singularité de la constitution dans l'espace diégétique du récit de vie. La première chose qu'il convient de souli¬

gner sur ce thème, c'est que le héros est aussi le narrateur de son histoire.

Autodiégétique, le narrateur-héros de son histoire de vie est également l'objet durécit,c'est-à-dire que l'action narrée,quipeut mettreenscèned'autresper¬

sonnages,aprécisémentpour fonctionlacaractérisationdu héros, qui estdonc lesujet delanarrativisation.C'estdire que lehéros du récit devien'estpas sim¬

plement la figure centraled'une histoire dont il serait le guide ou le passeur, maisl'objetmêmedudéploiement de l'histoire estlaconstitution duhérosquila porte,du«je»qui laraconte.

Latransitivité de latotalité narrativeformée par le récit de vie, lefait que l'histoire proposéeait un« je» commeinstance d'ancrage de l'action, font que lerécitproduit est chargé de valeurs,decroyancesdont l'ensemble caractérise unpoint devue, un«pointde vie»(Ricoeur, 1985:398)constitutifs d'un certain rapport au monde. L'instance à laquelle est rattaché cet ensembled'attributs, c'estlepersonnage central (dulatinpersona: lemasque théâtral) dessinésdans l'espace narratif par lesujet (sub-jectum : littéralement, ce qui soutient, qui est jeté-dessous), lederniern'apparaissant qu'aucreux de cette structureintention¬

nelleàl'horizon de laquelleils'expose. Cettecaractérisation du narrateur-héros, miseenabyme parl'intention configurante qui laguide, participed'uneopacifi¬

cation delanarration àdes plansdistincts du discours -celuide la diégèseet celuidelanarration danssadimensionpragmatique-constitutivede l'organisa¬

tion formelle du récit devie.

Comme toute forme de récit, le discours biographique obéità des règles d'organisation etàdesexigences de vraisemblance, de lisibilitéet decohésion qui conditionnent son « acceptabilité interactionnelle » (Adam, 1984 : 12). La conduite et le portraitdu narrateur-hérosdessinés dans le récit de vie peuvent être envisagés enterme destratégienarrativevisantà produiretel outeleffet, à valoriser tel caractère, tel attributou telle qualité, mais la mise en intrigue du sujet par lui-même dans cet espace d'autoréférenciation demeure soumise aux mêmes critères devraisemblance et de cohésion que pour n'importe quelle forme de récit. Porté parune intentionnalité méta-structurante dont l'efficacité semesureàsacapacitéd'effacementderrière lavisée référentielledu discours, lerécitde vieseprésente aucarrefourdes intentions du narrateur-héros et des circonstancesetdesévénementsayantjalonné son existence, événements que celui-ci agit ou subit, selon ledegréd'initiativequ'iljugeopportundes'accorder parrapport àeux au regard des stratégies qui l'animent. Danstousles cas, le narrateur demeurelecentrede l'intrigue, celui autour duqueltoutcequi arrivea pourfonction ultime d'éclairer« celuiquiarrive », le hérosdel'histoirequ'il est.

REPÈRES21/2000 R.MALET

d'agir qu'estlerécit devie,aussiréférentielsoitcedernier. Lesparolesqu'il pro¬

jetésont comme « en suspens » (Wittgenstein, 1951 : § 198). Certes, celui qui agit danslerécit devie, c'estle narrateur, maispour autant quelehérosdu récit soitunmiroirdusujet quil'énonce etleproduit, iln'estpaslesujet.

1.1.

Caractérisation

dunarrateur-héros de

l'histoire

devie L'histoire deviemetenformeun personnage central, unhéros, unitéorga¬

nisatrice du récit, dont il s'agit d'éclairer la singularité de la constitution dans l'espace diégétique du récit de vie. La première chose qu'il convient de souli¬

gner sur ce thème, c'est que le héros est aussi le narrateur de son histoire.

Autodiégétique, le narrateur-héros de son histoire de vie est également l'objet durécit,c'est-à-dire que l'action narrée,quipeut mettreenscèned'autresper¬

sonnages,aprécisémentpour fonctionlacaractérisationdu héros, qui estdonc lesujet delanarrativisation.C'estdire que lehéros du récit devien'estpas sim¬

plement la figure centraled'une histoire dont il serait le guide ou le passeur, maisl'objetmêmedudéploiement de l'histoire estlaconstitution duhérosquila porte,du«je»qui laraconte.

Latransitivité de latotalité narrativeformée par le récit de vie, lefait que l'histoire proposéeait un« je» commeinstance d'ancrage de l'action, font que lerécitproduit est chargé de valeurs,decroyancesdont l'ensemble caractérise unpoint devue, un«pointde vie»(Ricoeur, 1985:398)constitutifs d'un certain rapport au monde. L'instance à laquelle est rattaché cet ensembled'attributs, c'estlepersonnage central (dulatinpersona: lemasque théâtral) dessinésdans l'espace narratif par lesujet (sub-jectum : littéralement, ce qui soutient, qui est jeté-dessous), lederniern'apparaissant qu'aucreux de cette structureintention¬

nelleàl'horizon de laquelleils'expose. Cettecaractérisation du narrateur-héros, miseenabyme parl'intention configurante qui laguide, participed'uneopacifi¬

cation delanarration àdes plansdistincts du discours -celuide la diégèseet celuidelanarration danssadimensionpragmatique-constitutivede l'organisa¬

tion formelle du récit devie.

Comme toute forme de récit, le discours biographique obéità des règles d'organisation etàdesexigences de vraisemblance, de lisibilitéet decohésion qui conditionnent son « acceptabilité interactionnelle » (Adam, 1984 : 12). La conduite et le portraitdu narrateur-hérosdessinés dans le récit de vie peuvent être envisagés enterme destratégienarrativevisantà produiretel outeleffet, à valoriser tel caractère, tel attributou telle qualité, mais la mise en intrigue du sujet par lui-même dans cet espace d'autoréférenciation demeure soumise aux mêmes critères devraisemblance et de cohésion que pour n'importe quelle forme de récit. Porté parune intentionnalité méta-structurante dont l'efficacité semesureàsacapacitéd'effacementderrière lavisée référentielledu discours, lerécitde vieseprésente aucarrefourdes intentions du narrateur-héros et des circonstancesetdesévénementsayantjalonné son existence, événements que celui-ci agit ou subit, selon ledegréd'initiativequ'iljugeopportundes'accorder parrapport àeux au regard des stratégies qui l'animent. Danstousles cas, le narrateur demeurelecentrede l'intrigue, celui autour duqueltoutcequi arrivea pourfonction ultime d'éclairer« celuiquiarrive », le hérosdel'histoirequ'il est.

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D'autres personnagesgravitentbiensûrautour delui, maisceux-ci ontlamême fonction dans le récitque l'action elle-même, àsavoirlamiseaujourdu narra¬

teur-héros, qui demeure celui qui agit etfigure l'action et la conduite d'autrui, quelquesoitledegréd'initiativequiluiestaccordé dansl'histoirenarrée,c'est- à-direqu'ilsoit présenté commeleproduitde l'histoire ou commeproducteur de celle-ci.

II y a probablement dans cette structuration narrative quelque chose de spécifique au récit biographique, en ce que l'action narrée y est toute entière vouéeà laconstitution du héros etque ce hérosest aussi le narrateur, instance énonçanted'origine (c'est-à-dire prolongée hors du champ narratif parlesujet énonciateur). Desorte que l'histoire racontéeseprésentesous laforme singu¬

lière d'unethématisation exclusive d'un caractère et des valeurs dont celui-ci estporteur(le«je»différenciépar lerécit) àpartird'un compte-rendu de faits et d'actions qui ont prétentionàlavéritéetcomme vierges de l'empreinte du sujet.

L'histoire devie, entantqu'elle s'adresseà un «tu » invitantau récit, estsingu¬

lièrementtoutautant uvre d'attestation qued'effacement desoi. L'autonomie et lavraisemblancedurécitreposeprincipalementsurlacapacité du narrateurà rendrediffus son propre pouvoir discrétionnaire et àfaireapparaitre le vécu ou l'événement dans savérité nue, irréfutable: « puisqueje le dis! ». Dans ce contexte,lerécit de vieconstitueuntype dediscours dans lequellaforceillocu- tionnairedu narrateurconstitue l'élément nodal propreàgarantir la légitimitéet lapuissance expressivede celui-ci.

La« synthèse de l'hétérogène » dont parle Ricoeur (1985 : 385), c'est-à- dire la conjugaison dans l'espace narratif des éléments disparates d'une vie dansuneviséeconfigurante estbienentendu impulsée parlesujet énonciateur de son histoire, mais au niveau intradiégétique, elle est portée par le héros mêmedel'histoire, le«je»différencié parlerécit, maitred'nuvredansl'organi¬

sation et la cohésion du système narratif. C'est lui, le héros, et non le sujet énonciateur qui apourvocationdes'effacer, qui assureaux yeux du narrataire l'authenticité etl'acceptabilitéde l'histoirede vie. Tout àla fois travail d'indivi¬

duation etde légitimation d'un rapportau monde, d'uneforme devie, l'histoire de viese présente sous laformed'un ensemble de choix narratifs dans lequel lesactionsnarréessont combinéesetconstruites autour delafigurecentraledu héros dont ellesont pourfonctionet vocation ultimed'éclairer lasingularité et de légitimer laconduite et lecaractère à l'intérieur d'un jeu de langage. « Je »

esttoutàlafoisl'organisateur etlehérosdel'histoire devie.

1.2.

L'histoire

de

vie

entant

qu'uvre commune

A ladifférence de l'autobiographie, qui ne s'adresse pas à un narrataire

« incarné», maisàunealtéritésilencieuseet différée, le récit de vieseconstruit dansunesituationd'échangeverbalfaceàunealtéritéconcrète,le plussouvent àl'origine mêmedu procèsnarratif, lequelrépond defaità uneinvitationspéci¬

fiquedéterminante dansla nature même durécit et sastructure interactionnelle.

L'interlocuteur qui setient à l'horizon de l'acte narratif n'est donc pas neutre dans l'élaboration de l'histoire devie qu'il ne se contente pas de recueillir, de D'autres personnagesgravitentbiensûrautour delui, maisceux-ci ontlamême fonction dans le récitque l'action elle-même, àsavoirlamiseaujourdu narra¬

teur-héros, qui demeure celui qui agit etfigure l'action et la conduite d'autrui, quelquesoitledegréd'initiativequiluiestaccordé dansl'histoirenarrée,c'est- à-direqu'ilsoit présenté commeleproduitde l'histoire ou commeproducteur de celle-ci.

II y a probablement dans cette structuration narrative quelque chose de spécifique au récit biographique, en ce que l'action narrée y est toute entière vouéeà laconstitution du héros etque ce hérosest aussi le narrateur, instance énonçanted'origine (c'est-à-dire prolongée hors du champ narratif parlesujet énonciateur). Desorte que l'histoire racontéeseprésentesous laforme singu¬

lière d'unethématisation exclusive d'un caractère et des valeurs dont celui-ci estporteur(le«je»différenciépar lerécit) àpartird'un compte-rendu de faits et d'actions qui ont prétentionàlavéritéetcomme vierges de l'empreinte du sujet.

L'histoire devie, entantqu'elle s'adresseà un «tu » invitantau récit, estsingu¬

lièrementtoutautant uvre d'attestation qued'effacement desoi. L'autonomie et lavraisemblancedurécitreposeprincipalementsurlacapacité du narrateurà rendrediffus son propre pouvoir discrétionnaire et àfaireapparaitre le vécu ou l'événement dans savérité nue, irréfutable: « puisqueje le dis! ». Dans ce contexte,lerécit de vieconstitueuntype dediscours dans lequellaforceillocu- tionnairedu narrateurconstitue l'élément nodal propreàgarantir la légitimitéet lapuissance expressivede celui-ci.

La« synthèse de l'hétérogène » dont parle Ricoeur (1985 : 385), c'est-à- dire la conjugaison dans l'espace narratif des éléments disparates d'une vie dansuneviséeconfigurante estbienentendu impulsée parlesujet énonciateur de son histoire, mais au niveau intradiégétique, elle est portée par le héros mêmedel'histoire, le«je»différencié parlerécit, maitred'nuvredansl'organi¬

sation et la cohésion du système narratif. C'est lui, le héros, et non le sujet énonciateur qui apourvocationdes'effacer, qui assureaux yeux du narrataire l'authenticité etl'acceptabilitéde l'histoirede vie. Tout àla fois travail d'indivi¬

duation etde légitimation d'un rapportau monde, d'uneforme devie, l'histoire de viese présente sous laformed'un ensemble de choix narratifs dans lequel lesactionsnarréessont combinéesetconstruites autour delafigurecentraledu héros dont ellesont pourfonctionet vocation ultimed'éclairer lasingularité et de légitimer laconduite et lecaractère à l'intérieur d'un jeu de langage. « Je »

esttoutàlafoisl'organisateur etlehérosdel'histoire devie.

1.2.

L'histoire

de

vie

entant

qu'uvre commune

A ladifférence de l'autobiographie, qui ne s'adresse pas à un narrataire

« incarné», maisàunealtéritésilencieuseet différée, le récit de vieseconstruit dansunesituationd'échangeverbalfaceàunealtéritéconcrète,le plussouvent àl'origine mêmedu procèsnarratif, lequelrépond defaità uneinvitationspéci¬

fiquedéterminante dansla nature même durécit et sastructure interactionnelle.

L'interlocuteur qui setient à l'horizon de l'acte narratif n'est donc pas neutre dans l'élaboration de l'histoire devie qu'il ne se contente pas de recueillir, de

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REPÈRES21/2000 R.MALET

recevoir, mais participe de son élaboration(2). Lesujet nerécite passa vie, il la metenformeeninteraction avecle narrataire, quels quesoient lesmotifset les attentes de cetiers médiateur, et compte tenu d'uneréserve deconnaissances communes, partagées qui assure la féconditéde la situation interlocutoire. La notion deperiocution désigneceteffetdel'actede discours, et, enpremierlieu, sur son destinataire;plus globalement, laperiocution désignetoutchangement successif à l'acte de paroledansl'étatdu monde objectif. Ladimension perlo- cutoire del'acte narratif renvoieàl'intersubjectivité delasituation locutoire dans lamesure où ellesignale la « circularitéd'intentions » (Ricoeur, 1990 : 60) que commandel'actenarratifpour véritablementaccomplirquelque chose.

Decepoint devue, lenarrataire,loindedemeurer extérieuràl'histoirepro¬

duite, l'investit de ces propres intentionset représentations, d'autantplussûre¬

mentqu'ilestco-présentàsacréation, lerécitconstituantun«intermonde»qui rend possible la rencontre de l'altérité et de deux imaginaires. S'il y a bien, comme l'annonce Merleau-Ponty, un «solipsisme vécu indépassable » (1945 :

407), laparole insèrecependant entre«je»et«tu»unentre-deuxquiestcom¬

mun à chacun, et propreàaucun. L'histoiredevie, espace de reconnaissance réciproque, est ainsi l'accomplissement co-narratif d'une interaction entre un énonciateur et unénonciataire quiexercentuneresponsabilité partagée dans le récit produit.

Dans l'espace bipolaire du récitde vie, consacré parle dialogue, l'événe¬

ment biographique acquiert en conséquence un statut singulier: la dimension fictionnelle du récit lui interdittoute propriété objective malgré sa prétention au vrai, entenduecommefidélité factuelle. Dans lemêmetemps, lecaractèrecom¬

municationnel du récit lui confère une dimension intersubjective, plus encore que strictement subjective, le locuteur devant produire quelque sens desfaits narrés, passer en somme d'un mode descriptif à un mode argumentatifcom¬

mandéparlasituation interlocutoire.

Lerécit véhicule defaitun certain nombre de valeursdont lenarrateur est porteur et qu'il insuffle de façon récurrente dans son récit de vie de manière explicite ou latente. Le narrataire estguidé par le narrateurpar l'omniprésence de quelques thèsesstructurantes et configurantes que l'histoire racontée aspire à étayer. Raconterunehistoire viseàproduiredes effets de sens sans lesquels l'histoire narrée« neditrien ». C'estpar unecertaine redondance du récit entre d'unepartl'actionou lesévénementsnarrésetd'autre part l'exégèse distanciée qu'en proposelenarrateurlui-mêmeque semanifeste ce phénomène.Le carac¬

tèretransparent des événementsrelatés estd'une certaine manièreattesté, par contraste, par le positionnementévaluatifdu narrateur devenu extradiégétique qui leursuccède, dans lequell'exégète- etcefaisantlerécit lui-même-acquiè¬

rentunecertaineautonomie par rapportà l'événement. Cetapprofondissement évaluatif,sorte de réflexivité intranarrative, faitdu récit de vie unespace privilé¬

giéd'auto-élucidation et d'auto-compréhension en mêmetemps qu'il participe parsaviséeconfigurationnelle dela«lisibilité»du récitpour I'énonciataire.

D'un point de vue sémantique, le récitde vie sestructure ainsi principale¬

ment autour de ces deux axes du discours, entre laprétention au vrai (mode narratif etdescriptif) dans lequel l'événementjoue unrôlecentraletstructurant,

REPÈRES21/2000 R.MALET

recevoir, mais participe de son élaboration(2). Lesujet nerécite passa vie, il la metenformeeninteraction avecle narrataire, quels quesoient lesmotifset les attentes de cetiers médiateur, et compte tenu d'uneréserve deconnaissances communes, partagées qui assure la féconditéde la situation interlocutoire. La notion deperiocution désigneceteffetdel'actede discours, et, enpremierlieu, sur son destinataire;plus globalement, laperiocution désignetoutchangement successif à l'acte de paroledansl'étatdu monde objectif. Ladimension perlo- cutoire del'acte narratif renvoieàl'intersubjectivité delasituation locutoire dans lamesure où ellesignale la « circularitéd'intentions » (Ricoeur, 1990 : 60) que commandel'actenarratifpour véritablementaccomplirquelque chose.

Decepoint devue, lenarrataire,loindedemeurer extérieuràl'histoirepro¬

duite, l'investit de ces propres intentionset représentations, d'autantplussûre¬

mentqu'ilestco-présentàsacréation, lerécitconstituantun«intermonde»qui rend possible la rencontre de l'altérité et de deux imaginaires. S'il y a bien, comme l'annonce Merleau-Ponty, un «solipsisme vécu indépassable » (1945 :

407), laparole insèrecependant entre«je»et«tu»unentre-deuxquiestcom¬

mun à chacun, et propreàaucun. L'histoiredevie, espace de reconnaissance réciproque, est ainsi l'accomplissement co-narratif d'une interaction entre un énonciateur et unénonciataire quiexercentuneresponsabilité partagée dans le récit produit.

Dans l'espace bipolaire du récitde vie, consacré parle dialogue, l'événe¬

ment biographique acquiert en conséquence un statut singulier: la dimension fictionnelle du récit lui interdittoute propriété objective malgré sa prétention au vrai, entenduecommefidélité factuelle. Dans lemêmetemps, lecaractèrecom¬

municationnel du récit lui confère une dimension intersubjective, plus encore que strictement subjective, le locuteur devant produire quelque sens desfaits narrés, passer en somme d'un mode descriptif à un mode argumentatifcom¬

mandéparlasituation interlocutoire.

Lerécit véhicule defaitun certain nombre de valeursdont lenarrateur est porteur et qu'il insuffle de façon récurrente dans son récit de vie de manière explicite ou latente. Le narrataire estguidé par le narrateurpar l'omniprésence de quelques thèsesstructurantes et configurantes que l'histoire racontée aspire à étayer. Raconterunehistoire viseàproduiredes effets de sens sans lesquels l'histoire narrée« neditrien ». C'estpar unecertaine redondance du récit entre d'unepartl'actionou lesévénementsnarrésetd'autre part l'exégèse distanciée qu'en proposelenarrateurlui-mêmeque semanifeste ce phénomène.Le carac¬

tèretransparent des événementsrelatés estd'une certaine manièreattesté, par contraste, par le positionnementévaluatifdu narrateur devenu extradiégétique qui leursuccède, dans lequell'exégète- etcefaisantlerécit lui-même-acquiè¬

rentunecertaineautonomie par rapportà l'événement. Cetapprofondissement évaluatif,sorte de réflexivité intranarrative, faitdu récit de vie unespace privilé¬

giéd'auto-élucidation et d'auto-compréhension en mêmetemps qu'il participe parsaviséeconfigurationnelle dela«lisibilité»du récitpour I'énonciataire.

D'un point de vue sémantique, le récitde vie sestructure ainsi principale¬

ment autour de ces deux axes du discours, entre laprétention au vrai (mode narratif etdescriptif) dans lequel l'événementjoue unrôlecentraletstructurant,

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etl'affirmation négociée d'un point devueparcette entreprise d'axiologisation (modes interprétatifet argumentatif), dans lequel c'est à lafois la puissance expressiveet la pertinenceéthique qui assure l'acceptabilité interactionnelle du récitetnonpluslaconformité événementielle. L'ambivalence de l'histoire devie, qui ne peutse comprendre que parce qu'un narrataire y estengagé, se ren¬

contre dans cettetriple dimension constitutive, d'assertion, d'expression et d'évaluation(3).

2. LESUJETDU RÉCIT

Cequelesujetdonneà connaître enseracontant,c'estaussi bienunehis¬

toireque l'actemêmede raconterunehistoire, « le discoursenacte» (Ricoeur,

1990 : 64). Lerécit de vie présente ceci de particulier qu'il implique une auto¬

désignationde principe. Lesujetseracontantn'estpas simplement lelocuteur decequ'il dit,ilen estaussil'agent. II prendparlui position dans lemonde. Le sujet du récit de vie se présente sous unefigure mixte: intradiégétique en ce que l'histoire narrée parle de lui, il demeure dans le même temps extradiégé¬

tiqueencequ'il demeure ancrédansunprésentd'oùtoutà lafoisilorganise et porte un pointde vue sur l'histoire qu'il raconte et qui l'affecte, pendant que d'une certainemanière, le héros del'histoire, le «je» narrativisé estcontempo¬

raindel'histoire elle-même, corrélativeàelle.

Cequi est réalisédans l'espace du récit devie, c'estdoncau moinstout autantunacteperformatif qu'une présenceperformative. L'enjeu estd'éclairerle processus de subjectivation àl'uvre dans le récit desoi et l'interaction entre l'histoire produite et le sujetqui l'énonce. Touteintention discursive signale un locuteur, etc'estlui, et nonlesénoncés, qui réfèrent, quidisent quelquechose surquelque chose. Pour autant,si l'énonciateur est « réfléchi » dans l'histoire qu'il raconte, comprendre « qui parle » ne signifie pas mettre en suspens les énoncés, en espérant trouver derrière, ou dessous pour être épistémologique¬

mentcorrect, unsujet. Pasplusnes'agit-il de penchertantôtducôté de ce qui est visé(leréférentiel),tantôtducôtéde«ce»qui vise(lemodal). Ceseraitglis¬

ser, mais probablement y at-il quelque attiranceà le faire, vers le sujetcarté¬

sien,transparent, substantiel et pré-posé.L'intuition théoriquedu récitde vie est celled'un sujetqui sedessineàl'horizondudireplutôt que d'emblée postulé et préalableàtoutdiscours. Lanotionaristotélicienne de mimesistraduitcetterefi¬

gurationcréatricedel'expériencedusujetàl'guvre dansl'actenarratif.

2.1. Le

récit

de

vie

comme

mimesis

La narrationse caractériseparsadiachronicité(Bruner, 1991), c'est-à-dire parlefait qu'ellerendcompted'expériences etd'événements qui ontlieudans letemps certes,maisà proprementparlerdans« unautretemps ».Lasingula¬

rité du temps narratif consisteen cequ'il s'affranchit du temps calendaire pour donner lieu à un temps subjectif. Ce temps confère aux expériences passées une signification nouvelle, fictionnelle et régie par l'instant présent du récit.

L'espace narratifrelève ainsi d'un modèle personnel d'organisation des événe¬

ments opérant le renversement de ce que Ricoeur nomme « l'illusion de la etl'affirmation négociée d'un point devueparcette entreprise d'axiologisation (modes interprétatifet argumentatif), dans lequel c'est à lafois la puissance expressiveet la pertinenceéthique qui assure l'acceptabilité interactionnelle du récitetnonpluslaconformité événementielle. L'ambivalence de l'histoire devie, qui ne peutse comprendre que parce qu'un narrataire y estengagé, se ren¬

contre dans cettetriple dimension constitutive, d'assertion, d'expression et d'évaluation(3).

2. LESUJETDU RÉCIT

Cequelesujetdonneà connaître enseracontant,c'estaussi bienunehis¬

toireque l'actemêmede raconterunehistoire, « le discoursenacte» (Ricoeur,

1990 : 64). Lerécit de vie présente ceci de particulier qu'il implique une auto¬

désignationde principe. Lesujetseracontantn'estpas simplement lelocuteur decequ'il dit,ilen estaussil'agent. II prendparlui position dans lemonde. Le sujet du récit de vie se présente sous unefigure mixte: intradiégétique en ce que l'histoire narrée parle de lui, il demeure dans le même temps extradiégé¬

tiqueencequ'il demeure ancrédansunprésentd'oùtoutà lafoisilorganise et porte un pointde vue sur l'histoire qu'il raconte et qui l'affecte, pendant que d'une certainemanière, le héros del'histoire, le «je» narrativisé estcontempo¬

raindel'histoire elle-même, corrélativeàelle.

Cequi est réalisédans l'espace du récit devie, c'estdoncau moinstout autantunacteperformatif qu'une présenceperformative. L'enjeu estd'éclairerle processus de subjectivation àl'uvre dans le récit desoi et l'interaction entre l'histoire produite et le sujetqui l'énonce. Touteintention discursive signale un locuteur, etc'estlui, et nonlesénoncés, qui réfèrent, quidisent quelquechose surquelque chose. Pour autant,si l'énonciateur est « réfléchi » dans l'histoire qu'il raconte, comprendre « qui parle » ne signifie pas mettre en suspens les énoncés, en espérant trouver derrière, ou dessous pour être épistémologique¬

mentcorrect, unsujet. Pasplusnes'agit-il de penchertantôtducôté de ce qui est visé(leréférentiel),tantôtducôtéde«ce»qui vise(lemodal). Ceseraitglis¬

ser, mais probablement y at-il quelque attiranceà le faire, vers le sujetcarté¬

sien,transparent, substantiel et pré-posé.L'intuition théoriquedu récitde vie est celled'un sujetqui sedessineàl'horizondudireplutôt que d'emblée postulé et préalableàtoutdiscours. Lanotionaristotélicienne de mimesistraduitcetterefi¬

gurationcréatricedel'expériencedusujetàl'guvre dansl'actenarratif.

2.1. Le

récit

de

vie

comme

mimesis

La narrationse caractériseparsadiachronicité(Bruner, 1991), c'est-à-dire parlefait qu'ellerendcompted'expériences etd'événements qui ontlieudans letemps certes,maisà proprementparlerdans« unautretemps ».Lasingula¬

rité du temps narratif consisteen cequ'il s'affranchit du temps calendaire pour donner lieu à un temps subjectif. Ce temps confère aux expériences passées une signification nouvelle, fictionnelle et régie par l'instant présent du récit.

L'espace narratifrelève ainsi d'un modèle personnel d'organisation des événe¬

ments opérant le renversement de ce que Ricoeur nomme « l'illusion de la

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REPÈRESN"21/2000 R. MALET

séquence» (Ricoeur, 1980 : 169). Lecorrolairede cerenversementn'est pas la promotion d'un modèle a-chronologique, l'expérience narrative du temps échappanttoutàlafoisà la linéaritéchronologiqueet à unmodèle a-chronolo¬

gique conséquent de l'abandon du temps calendaire. II y a une « réciprocité structurelle » (idem) entre temps et narration qui fonde le récit devie comme foyer de l'historicité dusujet. Cette intricationde la subjectivité, delatempora¬

lité et de la narration trouve sa manifestation laplus forte dans lastructurede l'intrigue, élémentmoteur delaconstruction narrativepar lequeltoutévénement occurrent danslerécitsevoit confierunefonction singulière dansson dévelop¬

pement(Ricoeur, 1990).Chaque élémentdu récit estainsisoumisàunetotalité méta-structurantequi legouverneet luidonne sens. Dans lerécit devie, cette sorte de loi interne àl'acte narratif qu'est l'intrigue participe de lacohésion du système narratif etfait quelesujet de discours « s'yretrouve»dansladiversité de vécus devenus expérientiels par leurintégration configurante dans l'espace d'identification et de reconnaissancequeconstituelerécit.

Envisagésouscet angle, leprocessus narratifestmimétique, entendu non pas seulement comme « imitation », mais aussi « expression », « extériorisa¬

tion»,«création ». Lerécitdesoi ouvrelesujetaumondeextérieur, lefaitsortir desoi et luifaitéprouver sonextériorité constitutive. C'estens'abandonnantau monde que lesujets'éprouve,faitl'expériencevivede lui-même. Lerécit de vie incarne cettevocation d'extériorisation d'un sujet voué à se chercher et à se conquérir hors de lui. II dessine unesubjectivité condamnée à seperdre dans l'altérité(etpour commencer dans celledu«je»)poursetrouver.

La parole remplit cette fonction paradoxale d'être à la fois de l'ordre du propre en même temps que de celui dupublic, du partagé, du « dehors ». Le soubassementthéorique du récit devie, adressé parun «je » à un « tu », est fondamentalement celle-ci ; laraison narrativey apparait comme l'horizond'an¬

crage d'une subjectivité errante qui resterait, du fait même de son évidence, insaisissable horscette fixation, cette attestation parle«dire». Elleest insépa¬

rabled'une théorie del'action et de l'identité :lesoin'y apparaitpascomme un contenu prélinguistiquedisponibleet stable, mais désignelatotalitéquise com¬

pose continûment dans l'espace narratif. « Mimesis », « représentation »,

« expression » : laraison narrative à l'uvre dans le récit de soinedémontre pas, ellemontre. Lerécitde vieformeunespacede création, de reconnaissance et d'attestation de soi par l'inscription de l'action dans un projet (le muthos; mouvement qui qualifie lamimesis 2). II opère une boucle entre l'éprouvé - le sujetengagé,ouvertaumonde parsoncorps,ses sens-etl'expérience reflexive - lesujetépistémique-. Desorte quelaraison narrative,qui embrasseréflexivité et sensorialité,apparaitàmi-cheminentre le rationnelde laréflexion (letélos) et

«l'irrationnel »del'engagementet de l'action(l'arcné).

Selon cette définition, le sujet promu par le récit l'aura été par la fixation d'un « je » opéré par lefait même de sedire. Or, se dire, c'est devoirse dire, c'est-à-direêtredanslanécessité syntagmatique desedésigner et dese recon¬

naître (4). Latransitivité et l'insubstituabilité du récit de vie renvoient, parfixa¬

tion,àl'unicitéd'un sujet (c'estlemiracle du«je»,ressortdelasubjectivité, mis enévidence par Benveniste: « est "ego" quidit "ego" »). Laspécificité du récit

REPÈRESN"21/2000 R. MALET

séquence» (Ricoeur, 1980 : 169). Lecorrolairede cerenversementn'est pas la promotion d'un modèle a-chronologique, l'expérience narrative du temps échappanttoutàlafoisà la linéaritéchronologiqueet à unmodèle a-chronolo¬

gique conséquent de l'abandon du temps calendaire. II y a une « réciprocité structurelle » (idem) entre temps et narration qui fonde le récit devie comme foyer de l'historicité dusujet. Cette intricationde la subjectivité, delatempora¬

lité et de la narration trouve sa manifestation laplus forte dans lastructurede l'intrigue, élémentmoteur delaconstruction narrativepar lequeltoutévénement occurrent danslerécitsevoit confierunefonction singulière dansson dévelop¬

pement(Ricoeur, 1990).Chaque élémentdu récit estainsisoumisàunetotalité méta-structurantequi legouverneet luidonne sens. Dans lerécit devie, cette sorte de loi interne àl'acte narratif qu'est l'intrigue participe de lacohésion du système narratif etfait quelesujet de discours « s'yretrouve»dansladiversité de vécus devenus expérientiels par leurintégration configurante dans l'espace d'identification et de reconnaissancequeconstituelerécit.

Envisagésouscet angle, leprocessus narratifestmimétique, entendu non pas seulement comme « imitation », mais aussi « expression », « extériorisa¬

tion»,«création ». Lerécitdesoi ouvrelesujetaumondeextérieur, lefaitsortir desoi et luifaitéprouver sonextériorité constitutive. C'estens'abandonnantau monde que lesujets'éprouve,faitl'expériencevivede lui-même. Lerécit de vie incarne cettevocation d'extériorisation d'un sujet voué à se chercher et à se conquérir hors de lui. II dessine unesubjectivité condamnée à seperdre dans l'altérité(etpour commencer dans celledu«je»)poursetrouver.

La parole remplit cette fonction paradoxale d'être à la fois de l'ordre du propre en même temps que de celui dupublic, du partagé, du « dehors ». Le soubassementthéorique du récit devie, adressé parun «je » à un « tu », est fondamentalement celle-ci ; laraison narrativey apparait comme l'horizond'an¬

crage d'une subjectivité errante qui resterait, du fait même de son évidence, insaisissable horscette fixation, cette attestation parle«dire». Elleest insépa¬

rabled'une théorie del'action et de l'identité :lesoin'y apparaitpascomme un contenu prélinguistiquedisponibleet stable, mais désignelatotalitéquise com¬

pose continûment dans l'espace narratif. « Mimesis », « représentation »,

« expression » : laraison narrative à l'uvre dans le récit de soinedémontre pas, ellemontre. Lerécitde vieformeunespacede création, de reconnaissance et d'attestation de soi par l'inscription de l'action dans un projet (le muthos; mouvement qui qualifie lamimesis 2). II opère une boucle entre l'éprouvé - le sujetengagé,ouvertaumonde parsoncorps,ses sens-etl'expérience reflexive - lesujetépistémique-. Desorte quelaraison narrative,qui embrasseréflexivité et sensorialité,apparaitàmi-cheminentre le rationnelde laréflexion (letélos) et

«l'irrationnel »del'engagementet de l'action(l'arcné).

Selon cette définition, le sujet promu par le récit l'aura été par la fixation d'un « je » opéré par lefait même de sedire. Or, se dire, c'est devoirse dire, c'est-à-direêtredanslanécessité syntagmatique desedésigner et dese recon¬

naître (4). Latransitivité et l'insubstituabilité du récit de vie renvoient, parfixa¬

tion,àl'unicitéd'un sujet (c'estlemiracle du«je»,ressortdelasubjectivité, mis enévidence par Benveniste: « est "ego" quidit "ego" »). Laspécificité du récit

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devieest queletextenarratiftrouve un prolongement hors de lui, dans la per¬

sonne mêmede l'énonciateur. Cette mise en abyme des intentions opère une différenciation du « je » qui acquiert au niveau diégétique une autonomie par rapport au sujet qui l'énoncetout en favorisant l'émergence d'un savoir de

« soi ». Lamiseen forme narrativeparticiped'une sortie desoi contemporaine desondévoilement. Lerécit deviefaitsensparcequ'il est ouverture, extériori¬

sationetvu detotalisation, qu'ilestindéterminé et que danslemêmetempsil sesignifieparsa viséede clôture.

L'expérience estvécue, éprouvée, avant d'être dite. Cependant elle ne paraitexister quelorsqu'elle estportéeparlesmots. Lamémoireprésenteàdes espaceset des tempsdeviemultiples ; lesujet trouve danslaformediscursive le milieu privilégié d'initiative, de rassemblement et deredéploiement de son existence. Le geste narratif met en forme l'expérience. II y a dans la parole, annonce Merleau-Ponty, « germination dece qui vaavoirétécompris » (1969 :

65). Le récit porteen lui un sens qui échappeen partieà celuiqui l'énonce. Le mouvement rétrogradequ'opère le discours sur le sensde l'expérience vécue est créateuret échappeen partie à l'initiative de sonauteur. Le sujet n'est pas omniscient dans l'espace autonome du récit devie; ilest dit par lui au moins autant qu'il ledit (5). En ce sens peut-on dire que le récit de vie se présente comme moyen privilégié, non pas de retour sur soi, mais d'accouchement de soi. «Laforme estformante»,annoncefermementM. Maffesoli(1990: 105).La vitalité de laforme narrative libèredetoute conception causaliste du dire. Elle renverse les perspectives: je ne meraconte pas ainsi parce quec'est ce qui m'estarrivé, mais arrivece quejedis: «j'arrive». L'événementmajeur du récit devie,c'estbien lediscourslui-même.

2.2. L'expérience du temps vécu

Dans le cadredu récit devie, le sujet racontant son histoire est amené à projeter des espaces-tempsvécus rassemblés etconfigurés dans le milieu du récit. Nous avons dit que lerécit accouchaitd'un temps singulier, affranchi du modèle chronologique, un temps proprementsubjectif articulant les espaces- temps vécus parlesujet. Lesujetaenquelquesorteuneexpériencespatiale du temps,carletempsnepeutêtrel'objetd'un senti que par sa spatialisation. IIne sauraiten effety avoir de sensations du changement, de formation même du sujet, si les expériences ne donnaient lieuà quelque représentation d'espaces temporels, quetraduit bienlamétaphorevisuelledu«point de vue».Commel'a montré Bachelard,l'espaceseulconstituelaforme sensible deladurée(6).

C'est cette dimension sensible de l'expérience temporelle qui permet de comprendre commentlerécitpeutembrassertous lestempsvécusdansl'unité complexe d'un « maintenant » etfigurer ce faisant la puissance affectante du temps. Celui-ci retient en luitous lesvécus passéstout en produisant un sens nouveau. Husserl (1928) désignepar lanotion de «modification rétentionnelle» cet écart entrelarétention de l'expériencedanslemoment présent etlasensa¬

tionoriginaire. L'expérience dupasséprend laforme de vécus intentionnelspré- sentifiés et activés dans l'espace présent du récit. « Temps de l'initiative » (Ricoeur, 1985: 374), lerécitinvente,initie ainsibien plusqu'il nedévoilel'expé- devieest queletextenarratiftrouve un prolongement hors de lui, dans la per¬

sonne mêmede l'énonciateur. Cette mise en abyme des intentions opère une différenciation du « je » qui acquiert au niveau diégétique une autonomie par rapport au sujet qui l'énoncetout en favorisant l'émergence d'un savoir de

« soi ». Lamiseen forme narrativeparticiped'une sortie desoi contemporaine desondévoilement. Lerécit deviefaitsensparcequ'il est ouverture, extériori¬

sationetvu detotalisation, qu'ilestindéterminé et que danslemêmetempsil sesignifieparsa viséede clôture.

L'expérience estvécue, éprouvée, avant d'être dite. Cependant elle ne paraitexister quelorsqu'elle estportéeparlesmots. Lamémoireprésenteàdes espaceset des tempsdeviemultiples ; lesujet trouve danslaformediscursive le milieu privilégié d'initiative, de rassemblement et deredéploiement de son existence. Le geste narratif met en forme l'expérience. II y a dans la parole, annonce Merleau-Ponty, « germination dece qui vaavoirétécompris » (1969 :

65). Le récit porteen lui un sens qui échappeen partieà celuiqui l'énonce. Le mouvement rétrogradequ'opère le discours sur le sensde l'expérience vécue est créateuret échappeen partie à l'initiative de sonauteur. Le sujet n'est pas omniscient dans l'espace autonome du récit devie; ilest dit par lui au moins autant qu'il ledit (5). En ce sens peut-on dire que le récit de vie se présente comme moyen privilégié, non pas de retour sur soi, mais d'accouchement de soi. «Laforme estformante»,annoncefermementM. Maffesoli(1990: 105).La vitalité de laforme narrative libèredetoute conception causaliste du dire. Elle renverse les perspectives: je ne meraconte pas ainsi parce quec'est ce qui m'estarrivé, mais arrivece quejedis: «j'arrive». L'événementmajeur du récit devie,c'estbien lediscourslui-même.

2.2. L'expérience du temps vécu

Dans le cadredu récit devie, le sujet racontant son histoire est amené à projeter des espaces-tempsvécus rassemblés etconfigurés dans le milieu du récit. Nous avons dit que lerécit accouchaitd'un temps singulier, affranchi du modèle chronologique, un temps proprementsubjectif articulant les espaces- temps vécus parlesujet. Lesujetaenquelquesorteuneexpériencespatiale du temps,carletempsnepeutêtrel'objetd'un senti que par sa spatialisation. IIne sauraiten effety avoir de sensations du changement, de formation même du sujet, si les expériences ne donnaient lieuà quelque représentation d'espaces temporels, quetraduit bienlamétaphorevisuelledu«point de vue».Commel'a montré Bachelard,l'espaceseulconstituelaforme sensible deladurée(6).

C'est cette dimension sensible de l'expérience temporelle qui permet de comprendre commentlerécitpeutembrassertous lestempsvécusdansl'unité complexe d'un « maintenant » etfigurer ce faisant la puissance affectante du temps. Celui-ci retient en luitous lesvécus passéstout en produisant un sens nouveau. Husserl (1928) désignepar lanotion de «modification rétentionnelle» cet écart entrelarétention de l'expériencedanslemoment présent etlasensa¬

tionoriginaire. L'expérience dupasséprend laforme de vécus intentionnelspré- sentifiés et activés dans l'espace présent du récit. « Temps de l'initiative » (Ricoeur, 1985: 374), lerécitinvente,initie ainsibien plusqu'il nedévoilel'expé-

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