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Le développement durable est affaire de société

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Academic year: 2022

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Actes des matinées du CGEDD

Le développement durable est affaire de société

Conférence-débat animée par Ariella MASBOUNGI, inspectrice générale de l'administration du Développement durable

Le 21 octobre 2016 / Tour Séquoia – La Défense

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LES MATINÉES DU CGEDD

Le développement durable est une affaire de société

Sommaire

Ouverture

Anne-Marie Levraut,

Vice-Présidente du CGEDD

...5

Ariella Masboungi,

Inspectrice générale de l’administration du développement durable

...7

Exposés Carine Dartiguepeyrou,

Prospectiviste

...9

La transition planétaire appelle de nouveaux modes de représentation...9

Des courants minoritaires vers un basculement socioculturel...10

Les blocages français...12

Bruno Charles,

Vice-Président de la Métropole de Lyon

...15

Le Plan Climat du Grand Lyon...15

Une démarche de co-construction...16

Une rupture de croyance...17

Le cas du logement...18

La Vallée de la chimie...19

Daniel Modòl,

Maire-adjoint de Barcelone, en charge de l’architecture, du patrimoine et du paysage urbain

...21

Les outils de la participation citoyenne...21

Un foisonnement de projets...22

Discussion avec la salle...25

Clôture

Alain Lecomte,

Président de section au CGEDD

...31

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Ouverture

Anne-Marie LEVRAUT Vice-présidente du CGEDD

Bonjour à tous.

J’ai le plaisir d’introduire cette 18ème Matinée du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) consacrée au développement durable. Nous allons aborder ce thème sous un angle particulier, puisque notre interpellation consiste à affirmer que le développement durable est affaire de société. C’est sans doute un peu provocateur, car on évoque généralement dans ce domaine le rôle des pouvoirs publics, des États, des collectivités locales et des professionnels, plutôt que celui de la société elle-même.

Comme de tradition pour ces Matinées, nous aurons trois intervenants, dont l’un n’est pas français, pour nous produire un effet miroir par rapport à nos préoccupations nationales. Une fois de plus, c’est bien la confrontation des expériences et des points de vue qui permettra d’ouvrir un débat nourri avec le public très compétent et bien informé que vous êtes.

La transition écologique ne dépend pas uniquement d’initiatives étatiques, européennes et mondiales, bien qu’elle appelle des décisions fortes des pouvoirs publics au niveau mondial. La maxime « penser global, agir local » est plus que jamais d’actualité. Sur ce plan, de très bonnes nouvelles ont été enregistrées récemment, comme l’entrée en vigueur, le 4 novembre prochain, de l’accord de Paris sur le changement climatique, qui est vraiment une chance et un grand espoir.

La situation actuelle est grave et elle appelle des engagements puissants. Le gouvernement français, avec Madame Royal, s’engage fortement pour que la mise en œuvre de l’accord de Paris soit effective. Malgré l’engagement des États, il ne faut pas perdre de vue que le développement durable exige l’investissement de tous, des chercheurs aux citoyens, en passant par les économistes, car c’est un levier pour recomposer l’économie de demain et le fonctionnement de nos territoires. Le développement durable donne corps à une utopie sociale du vivre ensemble pour nos concitoyens.

Parmi les enjeux majeurs de la transition écologique, je citerai la nécessité de relier plus finement entre elles la contribution des usagers et des entrepreneurs de toutes sortes et les politiques publiques créatrices d’innovations sociales. Voici donc le sujet de cette Matinée, qui réunit une prospectiviste et deux politiques. Le propos de la prospectiviste, Madame Carine Dartiguepeyrou, est de nous interpeller, en s’appuyant sur son expérience de politologue et sociologue. Pour elle, une limite française à la transition écologique viendrait du manque de capacité de la population à s’organiser, ainsi que du pessimisme qui caractérise la France. J’espère que nous saurons dépasser ce pessimisme, parce que c’est l’optimisme qui fait avancer les choses.

Pour leur part, les élus, désireux d’agir efficacement pour le développement durable, ne peuvent le faire sans le soutien actif de leurs concitoyens, ainsi que de tous les acteurs du territoire. Monsieur Bruno Charles, Vice-Président en charge du développement durable de la métropole lyonnaise, juriste de formation, écologiste de cœur et d’appartenance politique, présentera ses engagements, notamment auprès du monde économique, pour le convaincre qu’il est de son intérêt d’investir dans le durable. Il montrera qu’il y parvient.

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Notre invité barcelonais, Monsieur Daniel Modòl, nous fait le plaisir de venir spécialement de sa belle ville, tant aimée des Français. Architecte urbaniste, il est adjoint à la Maire de Barcelone et chargé de l’architecture et des projets urbains. Il nous racontera comment Barcelone, grâce à une culture très engagée en faveur de la qualité urbaine et architecturale et à une puissance publique qui insuffle et porte les actions, s’ouvre à une nouvelle ère où l’on recherche la parole intime du citoyen pour faire une ville qui soit la plus équitable possible. Même s’il faut reconnaître que Barcelone a toujours fait place au débat citoyen, la population se sentant très concernée par l’urbanisme et l’équité en matière urbaine, il s’agit bien d’une nouvelle étape.

En définitive, le débat de la Matinée devra contribuer à rechercher comment la transition écologique pourrait concerner non seulement les populations privilégiées, dont nous faisons sans doute partie, mais aussi celles qui le sont moins, dans une vision heureuse d’une utopie sociale et urbaine réussie.

Avant de passer la parole à Ariella Masboungi, je ne peux faire moins que la remercier très chaleureusement de sa contribution au CGEDD qu’elle a quitté il y a quelques mois pour prendre une retraite, toute relative vu le nombre de ses occupations ; la remercier aussi pour la production et l’animation des 18 Matinées du CGEDD, cycle complet sur la ville et ses problématiques qui se termine aujourd’hui ; la féliciter enfin pour le Grand Prix de l’Urbanisme qui lui sera remis le 30 novembre prochain par Madame Emmanuelle Cosse, Ministre du Logement et de l’Habitat durable.

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Ariella MASBOUNGI

Inspectrice générale de l’administration du développement durable

Merci pour ces propos qui me touchent. Je salue pour ma part tout particulièrement ceux qui ont assuré le portage de ces Matinées, et tout particulièrement Alain Lecomte, le président de la section aménagement durable et son excellente assistante, Marie-Josée Pinguet, assistante, ainsi que par l’équipe de la Communication.

Je vous rappelle que les 18 Matinées sont consultables sur le site du CGEDD, ainsi que sur Dailymotion pour ce qui est des 8 dernières. Nous vous enverrons une information à ce sujet, sachant que la vidéo est un support précieux pour les enseignants qui sont dans la salle. Il faut aussi savoir que les 5à7 du Club Ville Environnement du CGEDD se poursuivent, sous la présidence de Nicolas Ferrand. Une séance sera consacrée le 14 novembre, dans cette même salle, à la question de la mobilité. Le CGEDD va par ailleurs lancer un nouveau cycle de débats, qui vous sera présenté en temps voulu/

Je suis très heureuse d’animer cette matinée sur le rôle de la société quant au développement durable, sujet qui m’a été suggéré en é écoutant Carine Dartiguepeyrou aux Assises de l’énergie à Bordeaux qui se sont tenues il y a près de deux ans et au cours desquelles Bruno Charles, avec lequel je siège au think tank d’EDF, est également intervenu. Carine Dartiguepeyrou a particulièrement le public français plus habitué aux initiatives top down, alors qu’elle a beaucoup insisté sur l’importance de la dynamique bottom up. Carine Dartiguepeyrou est non seulement politologue – diplômée de la London School of Economics - mais une chercheuse qui, comme Pierre Veltz et Jean-Pierre Orfeuil que nous avons invités à ces Matinées, nous incite à agir.

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Exposés

Carine Dartiguepeyrou Prospectiviste

Merci beaucoup, Ariella, pour cette invitation, car je suis toujours désireuse de partager avec le plus grand nombre mes recherches et mes hypothèses. Je crois que ce qui me vaut d’être ici, c’est que je me demande, comme beaucoup d’entre vous, pourquoi la transition écologique ne s’opère pas plus vite, sachant que les Européens sont conscients à plus de 70 % des enjeux de pollution et de protection de l’environnement ; qu’une enquête réalisée à l’occasion du grand débat autour de la COP 21 dans 80 pays a montré que c’était aussi le cas de plus de 70 % des citoyens planétaires ; qu’une enquête Ethicity a montré que les Français considèrent la santé environnementale comme prioritaire. Face à cette énigme, nous allons nous interroger sur la possibilité d’un vivre-ensemble durable.

Nous nous poserons quatre questions essentielles :

• La notion de développement durable est-elle si dépassée ? Certains estiment en effet que le développement durable est mort et que cette notion n’est plus portée politiquement, comme les débats en vue des élections présidentielles semblent l’attester.

• Sur quelles seraient les forces de reliance pouvons-nous construire une nouvelle étape de l’histoire humaine ?

• Pourquoi la France résiste-t-elle ?

• Quels leviers individuels et collectifs pour « faire société » ?

La transition planétaire appelle de nouveaux modes de représentation

• La transition planétaire

Nous agissons sur la base de nos représentations. Comme le disait déjà Bouddha « Avec nos pensées, nous créons le monde ». Et la prospective nous apprend que pour établir des futurs souhaitables, il faut se forger sa propre représentation du monde, et cela aussi bien individuellement que collectivement. On ne peut pas être en décision sans être conscient de ce qui détermine nos représentations. Or nous sommes face à des enjeux majeurs :

• nourrir sainement 7 milliards d’individus ;

• l’augmentation des inégalités, car le recul récent de la pauvreté s’accompagne d’un fort

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accroissement des inégalités de richesse, lequel est un ferment de violence (selon rapport Oxfam, 85 personnes ont accumulé une richesse comparable à ce que possèdent les 3,5 milliards d’habitants les plus pauvres de la planète) ;

• l’impact carbone et la pollution ;

• la création de valeur spéculative, sachant que sur les 3 100 milliards de dollars échangés quotidiennement, seulement 2 à 3 % correspondent à de la production de biens et de services ;

• une régression politique : alors que le cadre public offrait jusqu’alors un socle de moyen et long terme, la dérive populiste fait émerger des régimes qui rappellent ceux des années 1920 et 1930.

Malgré ces défis, nous pouvons imaginer le meilleur, grâce à la richesse et à la diversité humaine qui existe au niveau planétaire. L’éducation des filles sera un enjeu clé, au-delà de l’enjeu démographique que constitue la perspective d’une population mondiale de 9 milliards d’individus en 2050, car l’énergie féminine se trouve au cœur du microcrédit (80 % des microcrédits au Bangladesh sont gérés par des femmes). L’énergie solaire est aussi un enjeu majeur de transition en Afrique, dont dépendra pour une large part la stabilité géopolitique mondiale.

• Des modes de représentation pluriels

Je vous propose de distinguer quatre types de représentation, auxquels correspondent les discours suivants :

• « Le monde est un mystère sur lequel je n’ai aucune prise » : la personne se vit comme déconnectée de la planète, avec un rapport à la durabilité et au vivant atrophié ;

• « Le monde est un problème auquel je dois faire face », une pensée qui hante beaucoup de ceux qui passent trois heures quotidiennement dans les transports en commun pour aller travailler, et pour lesquels la vie est un combat, ainsi que beaucoup de ceux qui sont dans la précarité économique et mentale ;

• « Le monde est un projet auquel je peux contribuer », une vision qui implique la prise de conscience que chacun peut apporter au projet commun par sa singularité ;

• « Le monde est un mystère auquel nous pouvons prendre soin à large échelle », comme c’est la conviction de tout individu porteur d’une vision du monde, à l’image d’un Vaclav Havel ou d’un Nelson Mandela.

L’enjeu pour notre société, c’est d’arriver à vivre les uns avec les autres. Or une personne enferrée dans le premier mode de représentation n’a aucune chance de comprendre celles qui ont une vision plus large et collective du monde. D’où l’extrême complexité du monde dans lequel nous vivons.

• Une philosophie du « vivre-ensemble »

Au-delà de la question de la durabilité, qui est nécessairement plurielle, l’enjeu est d’intégrer la complexité des différents systèmes de représentation. Il nous faut substituer à une vision systémique, une vision intégrative des différentes complexités. Telle est mon interprétation de cette citation d’Albert Einstein :

« Nous ne pouvons résoudre un problème sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré ». Le dépassement de la crise environnementale actuelle passe donc par l’accès à une forme de transcendance collective. Cela suppose ne se forger une philosophie du « vivre-ensemble ».

Des courants minoritaires vers un basculement socioculturel

Les prospectivistes sont très attentifs aux « signaux faibles » qui augurent aujourd’hui des évolutions majeures futures. D’où l’importance à nos yeux des courants que l’on qualifie de minoritaires, mais qui laissent présager la culture de demain, tels que les Indignados, les Colibris, Occupy Wall Street, Anonymous, Transitionners ou les conspirateurs positifs.

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Si l’on s’intéresse aux grands mouvements socioculturels en cours à l’échelle planétaire, il faut se référer tout d’abord aux travaux Ronald Inglehart qui étudie depuis 70 ans l’évolution des valeurs dans le monde, comme il l’a fait récemment dans sa World Values Survey. Cet auteur montre le passage, dans la longue durée, de valeurs matérialistes à des valeurs post-matérialistes.

Quant à Paul Ray et Ruth Anderson, ils ont mis en évidence, en étudiant les comportements et les aspirations des Américains, l’émergence aux côtés des sociotypes des « traditionalistes » (personnes qui se retrouvent dans des valeurs de sécurité, d’autorité, de terroir) et des «modernes » (personnes qui portent les valeurs du progrès, de la démocratie et de la liberté et participent à la société de consommation), d’un courant de « créateurs de culture » (« cultural creatives »). Ces derniers sont très majoritairement des femmes, bénéficient d’un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne, voyagent beaucoup, consacrent une part importante de leurs ressources à la culture et au développement personnel et sont souvent engagés pour des causes citoyennes. Les « créateurs de culture » ont conscience de la nécessité de vivre en interdépendance, avec un respect du vivant et une sensibilité écologique très développée. Ce courant culturel est en très forte croissance en Europe, même s’il ne représente encore que 20 à 30 % de la population. On observe cependant la persistance en France d’un courant traditionaliste très important, ce phénomène étant l’un des symptômes de la régression politique précédemment évoquée. La tension entre les traditionalistes et les « créateurs culturels » n’a jamais été aussi forte.

L’analyse des courants minoritaires fait aussi apparaître un mouvement de retour à la sobriété et aux choses simples et essentielles. Il est porté de manière très différente par un auteur comme Jean-Baptiste de Foucauld autour de la notion « Abondance frugale », et par un Pierre Rabhi et un Patrick Viveret autour de la notion de la « sobriété heureuse ». Les travaux de Dominique Bourg ont par ailleurs montré que la sobriété involontaire rejoint la sobriété volontaire. En effet, les pratiques écologiques comme le tri ou le non-gaspillage ne sont pas seulement le fait de « bobos », comme l’ont montré les travaux portés par le Ministère de l’Ecologie dans le cadre du programme Movida, mais sont aussi adoptées par des populations précaires, dans une volonté de s’engager vers plus de sobriété.

Le rapport à la durabilité est d’ailleurs pluriel. Certains se vivent comme engagés écologiquement parce que ce sont des entrepreneurs de la croissance verte, alors que d’autres se sentent engagés parce qu’ils trient, ne gaspillent pas et préparent la cuisine à la fin de la semaine avec des restes, tandis que d’autres encore sont engagés sur le plan de la mobilité, en privilégiant des modes de transport publics ou non émetteurs de carbone. Je plaide pour le respect de ces différences et pour une inclusion de ces différents paradigmes, sans quoi nous ne parviendrons pas à faire levier pour accélérer la transition et faire advenir le changement de paradigme culturel nécessaire. Vous l’aurez compris, ce qui compte derrière toute transition culturelle, comme derrière la transition numérique, c’est la « pâte » humaine, à savoir les systèmes de valeurs et de comportements.

A mon sens, le changement de paradigme repose sur deux leviers. Le premier est individuel et relève de l’émancipation : on sort de l’individualisme des années 1980 pour aller vers l’individuation, qui suppose que l’on ne vise plus uniquement un développement personnel, son feng shui, mais de travailler et apprendre pour être en mesure de donner et de partager. A cet égard, les valeurs clés sont la liberté, la simplicité, l’intimité, le ressourcement. On ne peut pas comprendre le succès de marques comme les vêtements Patagonia, les crèmes Weleda, le magazine Clé ou encore le Vélib sans cette dynamique.

Le second levier est collectif et met en jeu notre capacité à travailler et à vivre ensemble, de manière interdépendante. Il faut réaliser à quel point le concept de la durabilité est lié à celui de l’interdépendance, laquelle repose sur notre capacité à être indépendants, autonome, ce qui suppose d’être porteur de sa propre responsabilité et de sa représentation du monde. Toute la difficulté est d’allier la dimension individuelle à la dimension collective. Le film Demain donne à voir des initiatives qui sont portées par des citoyens, des entrepreneurs, des institutions, des villes qui s’efforcent de vivre ensemble. Cette dynamique s’observe dans tous les pays du monde, comme l’illustre le film Les pépites qui raconte comment un couple de Français à la retraite a monté une école au pied des décharges pour des milliers d’enfants des rues et de chiffonniers. Ce changement de paradigme nous concerne tous, que ce soit en tant que citoyens acteur, citoyen élu ou citoyen associatif.

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Les blocages français

Comment se fait-il que, malgré notre conscience des enjeux, nous n’agissions pas plus vite, mieux et ensemble ? Pour que l’émancipation puisse advenir, il faut que l’être jouisse d’un minimum d’estime de lui- même. On peut donc se demander si les Français sont suffisamment dotés de cet amour-propre. Pour ma part, je pense plutôt que nous faisons preuve d’un manque de respect de l’autre. Etre empathique à l’égard de l’autre, cela s’apprend. En France, nos concitoyens sont souvent très refermés sur eux-mêmes et adoptent une posture sceptique et une stratégie d’évitement : on ne prend pas ses responsabilités, on ne s’engage pas.

Pour avoir eu une carrière internationale et vécu pendant quinze ans dans de nombreux pays, j’ai été frappée, à mon retour, par le fait que beaucoup de nos concitoyens s’en remettent souvent à d’autres pour agir, se plaignant que tel élu ou l’État ne fassent rien. Ils n’ont pas conscience qu’à leur niveau ils peuvent changer le monde. Car les consommateurs peuvent déjà faire beaucoup en choisissant les produits. La

« polycrise » que nous vivons ne pourra devenir une opportunité tant que nous n’aurons pas su créer une vision commune. Or il nous manque en France l’envie de créer une vision inclusive et citoyenne de durabilité.

Enfin, les institutions publiques de notre pays sont trop alourdies par leur transformation organisationnelle, ne se penchent pas assez sur le renouveau de leurs missions de service public, et n’incarnent plus assez la justice sociale. Mon hypothèse consiste donc à faire un parallèle entre l’absence de nouveau contrat social et l’absence de désir de durabilité.

• Quelles forces de reliance ?

Dans son livre récent Sapiens, histoire de l’humanité, Yval Noah Harari identifie dans l’Histoire, trois forces de reliance ayant permis à des groupes de se forger : les religions, les empires et les monnaies. En essayant de faire le même exercice et de repérer les facteurs qui pourraient permettre à un méta-niveau de se constituer, il me semble que dans la société de la connaissance, l’enjeu premier pourrait être l’éducation, pour transcender les autoritarismes de toutes natures. La seconde force de reliance résiderait dans l’empire du sens, celui des connaissances, grâce à Internet, ce qui permettrait de rendre la mondialisation beaucoup plus heureuse et au service de l’homme. En troisième lieu, les monnaies complémentaires, comme le Wir, pourraient permettre de s’émanciper de la financiarisation et de donner corps à de nouvelles richesses.

• Les leviers de transition

Comme la France est plurielle, et ce n’est pas nouveau, il faut :

• chercher à mieux comprendre les évolutions culturelles ;

• identifier les ressorts de reliance et de résilience au vivre-ensemble ;

• évoluer vers une dimension plus « intégrative » des différences culturelles, afin de les transcender ;

• créer les conditions d’émergence pour la nouvelle« avant-garde », qui ne se limite pas aux créatifs culturels, mais s’élargit à tous ceux, jeunes ou vieux, qui veulent autre chose pour la société et qui représente entre 20 à 30 % de la population.

Quand je suis arrivée en France, il y a une quinzaine d’années, la notion même de développement durable était mal connue et les maires eux-mêmes n’en avaient souvent jamais entendu parler. Aujourd’hui tout le monde est à l’œuvre. Alors que l’on estime que le marché de l’économie collaborative va croître jusqu’à 335 milliards de dollars au niveau mondial, tout le monde participe à cette dynamique, comme en atteste le fait que Le Bon Coin soit un des sites internet les plus fréquentés.

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Ariella MASBOUNGI

Lors d’un déplacement à Karsruhe pour visiter le centre de recherche d’EDF, j’ai découvert que l’État encourageait les collectivités à faire participer les usagers à des projets de développement durable.

Comme en Allemagne l’énergie est chère, les citoyens sont davantage motivés par la transition énergétique. La ville de Karlsruhe fait appel à la créativité de ses habitants dans le cadre d’ateliers, dont il ressort qu’ils souhaitent :

• être des acteurs ;

• utiliser les ressources locales ;

• avoir des jardins urbains dans une optique d’autoproduction ;

• bénéficier de moyens de mobilité souples « all in one » ;

• des quartiers sans voiture ;

• mettre l’accent sur l’importance de la communauté ;

• mettre en commun de nombreux services.

Je doute que ce type d’ateliers de coproduction urbaine en France donne les mêmes résultats. Pour répondre à ces attentes, la Ville de Karlsruhe a mis en place un « laboratoire urbain » qui inclut une plate- forme de collaboration pour la transformation durable d’un quartier impliquant les citoyens et tous les acteurs de la ville, avec le développement d’un concept énergétique appuyé sur des outils de diagnostic énergétique. Il est remarquable, et surprenant pour nous Français, que la notion d’écoquartier ne soit pas une notion nationale, mais la réponse à une démarche sociale locale. C’est à se demander si les Allemands ne seraient pas plus aptes que nous à s’engager dans la transition écologique.

Carine DARTIGUEPEYROU

Selon moi, le point déterminant n’est pas la culture nationale, mais le système de valeurs. Il existe en France de très nombreuses initiatives comparables à celle de Karlsruhe, qui ne demandent qu’à être rendues visibles. Dans le domaine énergétique, je pense notamment au développement des éoliennes dans le pays de Redon, qui est un cas d’école. Ce qui me semble remarquable dans l’exemple allemand, c’est la qualité du dialogue entre les habitants et les élus locaux. En France, les citoyens sont représentés sous la forme de collectifs et ce sont toujours les mêmes qui s’expriment, parce qu’ils ont du temps à consacrer à cet engagement. Pour l’élu, la vraie difficulté consiste à s’assurer qu’un projet s’inscrit dans une dynamique d’intérêt général, sans se limiter à la satisfaction d’un petit groupe de militants. Cela suppose de réussir l’articulation entre les différents modes de pensée, afin de parvenir à servir aussi bien les « traditionalistes » que les « modernes » et les « post-modernes ». Il faut trouver ce qu’il y a de synergétique entre leurs différentes aspirations, sans oublier l’avant-garde. Trop souvent on essaie de satisfaire une population en évitant l’avance de phase, car elle fait souvent peur.

Ariella MASBOUNGI

Le développement durable est une économie. C’est même la seule possible et elle est au cœur de l’engagement de Bruno Charles, alors que la métropole lyonnaise dont il est élu ne s’y prêtait a priori pas particulièrement.

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Bruno Charles

Vice-Président de la Métropole de Lyon

A dire vrai, je déteste les avant-gardes, car cette notion renvoie selon moi au XXème siècle. Ce qui m’intéresse, c’est « l’en-bas ».

Je suis vice-président de la métropole de Lyon depuis 2008. En tant qu’écologiste, je sais bien que le développement durable c’est ce que l’on nous confie pour s’assurer que l’on ne sera pas tentés de marcher sur les plates-bandes des autres formations politiques, qui s’occupent « des choses sérieuses », en particulier de la politique économique. Souvent d’ailleurs les écolos en charge du développement durable utilisent un langage tellement abstrait que personne n’y comprend rien. A ce sujet, Yvan Illicha une très belle formule : « La langue bureaucratique désincarne l’homme et enlève la chair du monde ». *

Ce qui me terrifie dans le développement durable tel qu’on le pratique, c’est que l’on a technocratisé et bureaucratisé la politique. Nous ne sommes pas capables de revenir aux enjeux fondamentaux, qui sont les enjeux communs d’une société,. Je pense que nos institutions sont en crise et que le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable est la traduction de la rationalité instrumentale,. Or la rationalité instrumentale n’est plus capable de répondre aux problèmes de la société.

Le Plan Climat du Grand Lyon

Lors de ma prise de fonction en 2008, je suis l’un des deux plus jeunes élus vice-président de la Métropole et Gérard Colomb, mon président, est socialiste saint-simonien, qui pense que tout se résout par le développement économique. il fait partie de ces générations qui estiment, parfois avec de bons arguments, que nous sommes dans un nouveau XVIème siècle, que le rôle des États est en train de s’effondrer et que ce qui fait le nouvel humanisme, ce sont les métropoles, car elles créent la richesse et la pensée,. Dans cette vision, il faut créer le développement économique et le reste suivra. Je suis à moitié d’accord, car ce n’est évidemment pas avec la pauvreté que l’on va résoudre les problèmes.

En 2008, ma jeunesse et mon étiquette écologiste me conféraient une légitimité fragile dans une communauté urbaine qui était alors en cohabitation, un grand nombre de petits maires centristes faisant partie de la majorité, alors que l’UMP (Les Républicains) était dans l’opposition. Lorsque les fameux objectifs « trois fois vingt » (20 % d’économie d’énergie, 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 % d’énergie renouvelable) ont été adoptés par la communauté urbaine, un jeune ingénieur de Centrale m’a alors confié que si les élus avaient compris ce qu’ils votaient, ils ne l’auraient jamais fait. Il en est résulté un plan d’action climat signé par 75 partenaires du Grand Lyon impliquant entre 5 et 8 milliards d’euros d’investissements. L’investissement public, limité entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros déclenche en effet entre 4 et 7 milliards d’euros d’investissements privés. Ce plan est donc loin d’être marginal. Il s’agit d’une véritable appropriation par les partenaires économiques des objectifs climat. Le MEDEF a signé ce plan, comme la CCI et la Chambre des Métiers. C’est donc une réussite. Je me suis entendu dire que sur le papier j’avais élaboré le meilleur plan climat de France. Seulement maintenant, il reste à le mettre en œuvre…

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Que signifie réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre sur un territoire comme le Grand Lyon ? La phase de diagnostic du plan climat du Grand Lyon a particulièrement été mise en avant, car les élus ne cachaient pas qu’ils avaient voté à l’aveugle, sans mesurer la portée de leurs engagements. Or si les émissions de la collectivité ne représentent en l’occurrence que 5 % des émissions du territoire, les émissions qui sont impactées par les politiques publiques en représentent 20 %, et même un tiers si l’on tient compte de toutes les institutions. Autrement dit, la Métropole s’est engagée à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % du territoire alors qu’elle n’en impacte directement ou indirectement que 25

%, le reste dépendant de la société civile. Autrement dit, nous avons initié un nouveau modèle de politique publique : on ne fait pas pour ou à la place de. Soit on entraîne toute la société dans une dynamique de sobriété carbone, soit on a perdu. Cette approche ne correspond évidemment pas à la culture traditionnelle des institutions qui mettent en avant l’élu éclairé par un ingénieur (les journaux municipaux montrent le maire avec un casque de chantier devant une maquette). La politique doit retrouver ce qui était son sens premier, la parole, la capacité à mettre en mouvement et à donner du sens commun.

Une démarche de co-construction

• Un écolo face au MEDEF

Pour lancer notre plan d’action, nous avons construit une conférence énergie-climat locale qui a profité de l’intérêt suscité par la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat. La polarisation sociale était très forte, tout le monde voulait savoir. J’ai organisé entre 70 et 80 conférences pour présenter le diagnostic climat, dont l’une devant les représentants du MEDEF local. J’ai aussi participé à de nombreux conseils de quartier. Je me souviens qu’en tant que jeune élu écolo de 40 ans, je me disais quand j’entrais dans une salle remplie de capitaines d’industrie grisonnants : « Ce n’est pas gagné ». Mais j’ai décidé que je ne mettrai pas mon poing dans ma poche et mon mouchoir par-dessus, et que j’allais leur dire ce que je pensais, à savoir : « Si vous ne prenez pas en compte la dimension écologique, notamment au travers du prix de l’énergie (on pensait alors qu’il monterait irrémédiablement) et des émissions de gaz à effet de serre, vous serez dans dix ans dans la situation de l’automobile américaine : vous serez morts ». Il y a eu un silence. Je pensais que j’allais essuyer quelques tirs de tomates, mais ils sont restés stoïques. Je leur ai dit : « Vous ne réagissez pas ? ». Alors l’un d’eux m’a répondu : « Ce que vous dites, on le sait. La question est : qu’est-ce qu’on fait ? Nous avons besoin que le politique nous donne le cadre et l’impulsion ». Alors je leur ai proposé de réfléchir avec nous à ce que pourrait être la trajectoire énergétique de la Métropole. Trois jours plus tard, le Président Collomb rencontrait les responsables du MEDEF pour s’entendre dire : « Le Plan Climat c’est important ». Il est revenu vers nous en demandant : « C’est quoi le Plan Climat ? ».Il a accepté de le porter politiquement, même s’il m’a largement laissé faire.

• Un plan issu du territoire

Le plan Climat du Grand Lyon, c’est 104 organisations du territoire participantes, 200 personnes présentes aux ateliers de concertation, 2 ans de travail avec deux bureaux d’études qui ont fait un travail remarquable. Nous avons construit la première trajectoire de transition énergétique d’une agglomération chiffrée en tonnes de carbone, en euros et en difficultés de mise en œuvre. Nous avons reçu quelque 400 propositions émanant de tout type d’acteurs, depuis les associations environnementales au MEDEF en passant par les gestionnaires d’immeubles. On leur a expliqué où nous voulions aller. Ils ont compris que nos objectifs n’étaient pas arbitraires, puisqu’il s’agissait d’objectifs européens déclinés dans la loi française. Ils ont accepté de s’associer à une dynamique commune sans laquelle rien n’était possible, conscients qu’ils étaient aussi, entrepreneurs ou simples citoyens, que l’avenir du monde dans lequel vivront leurs enfants était en jeu.

Les 400 propositions ont toutes été évaluées en euros, en tonnes de carbone évitées et en difficultés de mise en œuvre. Nous en avons sélectionné 110 pour constituer notre trajectoire de transition écologique.

Le Grand Lyon était alors la première agglomération française, voire européenne qui a su construit un plan

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climat qui ne soit pas celui de l’institution, mais celui du territoire. Dans leur immense majorité les villes françaises ont bâti leur plan sur l’institution, dans le meilleur des cas sur leurs compétences, en espérant que la dynamique publique entraîne le reste des acteurs, ce qui n’arrive évidemment pas.

Une rupture de croyance

• Le retard des élus

Si notre plan climat est le meilleur en France, sur le papier, il reste à le réaliser et ce n’est pas simple de faire réellement bouger les lignes. Il reste que l’on ne peut plus concevoir en matière d’environnement durable – je préfère parler de transition écologique – des politiques publiques sans entraîner la société civile dans la dynamique. Leur succès en dépend, d’autant que la société civile est en avance sur les hommes politiques qui ont besoin d’un renouvellement de génération. C’est en train de se passer, et cela pourrait être assez drastique, car nous sommes encore gouvernés par des personnes qui se sont construits sous la génération Mitterrand (François Hollande, Laurent Fabius, Michel Sapin, Gérard Collomb,…). Je sais bien qu’il y a des personnes âgées exceptionnelles et des jeunes imbéciles, mais je pense que nous vivons une rupture de croyance. La génération précédente était celle de la croyance dans le progrès, qui pensait que c’est par la technique que l’on résout les problèmes. Ma génération est la génération du doute et je crains que la suivante soit celle de la révolte. La politique se renouvelant moins vite que la société, les élus sont actuellement en retard dans leurs conceptions. La plupart ont peur d’affronter et d’emmener avec eux la société civile, comme nous l’avons fait avec succès pour la promotion des déplacements à vélo. Le résultat est pourtant là : hier on a dénombré sur le cours Gambetta, l’un des principaux axes de circulation est-ouest ed la ville de Lyon, 13 000 voitures et camions et pas moins de 6 000 vélos. Pourtant, j’estime que nous sommes encore sous-équipés en installations cyclables, ayant opté le plus souvent, pour ne pas apparaître comme des ayatollahs anti-voitures, pour des bandes cyclables sur le côté de la voirie plutôt que pour de véritables pistes cyclables.

• Les limites du développement durable

Si l’on s’intéresse à la généalogie de la notion de développement durable, il faut se souvenir que la commission Brundtland constituée à l’ONU en 1987 était partagée entre ceux qui disaient : « Nous n’avons qu’un seul capital culturel, il faut le transmettre », et ceux qui disaient : « certes on perd un peu de capital naturel, mais on gagne encore davantage sur le plan du capital scientifique et technique ». A l’époque, la position favorable à la protection de la biosphère était considérée comme conservatrice, alors que la seconde était progressiste. Or la notion de développement durable (« Répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre celle des générations futures de répondre aux leurs ») ne dépasse pas ce clivage, puisqu’elle ne dit pas si l’on répond aux besoins des générations futures par un capital naturel préservé ou par un capital technique et scientifique augmenté. La définition du développement durable a été une définition de compromis. Elle a permis d’avancer un temps, mais aujourd’hui elle constitue un blocage. La technique a fait des progrès gigantesques depuis 40 ans, mais elle a accru la quantité d’énergie et de matière première que l’on utilise par personne. Et je me souviens qu’à l’époque Michel Rocard s’est opposé à ce que l’on retienne la notion de « développement soutenable » pourtant utilisée dans le rapport Brundtland (« sustainable developement »), car il l’a jugeait trop favorable aux écologistes, pour préférer celle de « développement durable ». A l’époque, la Gauche n’acceptait pas une rupture avec le progressisme, alors même que c’est là que doit s’opérer la transition écologique.

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Le cas du logement

j’ai réalisé la première étude sur la vulnérabilité énergétique des ménages de la Métropole. A l’époque, le débat politique en matière de logement opposait frontalement ceux qui voulaient du logement social et ceux qui n’en voulaient pas. Les uns disaient : « Il y a des pauvres qui sont dehors » et les autres leur répondaient : « On ne veut pas de pauvres, à moins que ce soient des enfants de la commune, si possible pas trop colorés. On ne veut pas être envahis par les gens de Vénissieux ». Je m’entendais alors dire :

« Tu as raison pour l’isolation thermique des logements, mais on traitera ce problème quand on aura créé des logements sociaux ».

En croisant les indices INSEE de vulnérabilité économique et de vulnérabilité sociale avec l’indicateur des personnes qui habitent dans un logement construit avant 1975, il est apparu, malgré le manque de précision de ces données, que 20 % de la population de la Métropole recouvrait ces trois critères. La situation était parfois inattendue, car si une ville comme Vaulx-en-Velin accueille beaucoup de pauvres, elle bénéficie d’un parc de logements sociaux récent, alors qu’une ville comme Ecully, qui dispose d’une des plus grosses bases fiscales de France, est peuplée de beaucoup de personnes âgées habitant dans des immeubles. Cette étude m’a permis d’affirmer au Maire d’Ecully : « Si vous ne prenez pas en compte la situation environnementale, la situation sociale va exploser ». Mon argumentation s’est aussi appuyée sur une étude du CREDOC sur l’évolution de la part des dépenses contraintes (logement et énergie) dans le budget des ménages. Car celle-ci est passée de 24 % en 1979 pour les ménages les plus pauvres à 48

% en 2005, pendant qu’elle a augmenté de 21 à 38 % pour les ménages médians. Sachant que le prix du gaz a augmenté de 75 % depuis 2005, je doute que la situation se soit améliorée depuis. Ce type de données m’a permis d’affirmer aux élus de l’agglomération que l’on allait vers de graves tensions sociales si l’on ne lançait pas une campagne massive d’isolation thermique des logements. Aujourd’hui, c’est une politique acceptée voire réclamée par la plupart des maires, qui a abouti sur une politique d’aides financières pour réaliser les travaux ainsi qu’à la mise en place d’une plateforme « d’écorénovation » pour faciliter les démarches. Ma conviction est que si l’on ne résout pas la question environnementale, on ne pourra plus parler de république, car celle-ci suppose une vie digne en matière de santé, d’éducation et de logement. Il n’est pas facile de faire ses devoirs avec des moufles, et on ne conserve pas longtemps une bonne santé dans un logement mal ou pas chauffé. Le climat est le dossier qui nous fait entrer dans une nouvelle dimension. Dans ce domaine, nous ne travaillons pas pour les générations futures, mais pour les générations présentes, qui subissent d’ores et déjà l’impact de la crise environnementale.

Encore une fois, je ne suis pas intéressé par les « avant-gardes », mais plutôt à des projets comme le Réseau Vrac, une coopérative de consommation qui s’est appuyée sur la Fondation Abbé Pierre pour permettre aux habitants des quartiers de consommer des légumes bio, alors qu’ils pensent eux-mêmes que ce type de nourriture ne leur est pas accessible. Les ventes ont lieu dans des centres sociaux, comme ceux de Vaulx-en-Velin ou de Vénissieux. Des femmes, souvent maghrébines, en sont clientes et procèdent elles-mêmes au tri et à la répartition des produits qui ont été achetés en vrac. L’une d’elles, habitante de la Duchère, a déclaré : « Je suis fière, car bien qu’étant pauvre, je suis écocitoyenne ».

Dans un monde où les ressources sont limitées, soit on organise la sobriété, soit c’est la pauvreté, une pauvreté plus grave encore que celle que l’on rencontre dans les grandes villes américaines. Et si la pauvreté gagne, on ne peut plus parler de république et de bien commun. A cet égard, les politiques publiques et les institutions basées sur la rationalité instrumentale sont dévitalisées. Des plus en plus de gamins ne croient plus que les institutions actuelles sont en train de nous dessiner un avenir commun pour tous. Ce ne sont pas les avant-gardes, c’est l’en-bas qui m’intéresse.

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La Vallée de la chimie

Ariella MASBOUNGI

Nous reviendrons sans doute sur cette question des avant-gardes, mais pouvez-vous nous parler de votre action pour la Vallée de la chimie ?

Bruno CHARLES

La Vallée de la chimie est un complexe industriel situé en amont de Lyon comportant notamment des raffineries et des usines pharmaceutiques. A partir d’une étude réalisée avec le soutien d’un industriel, nous avons évalué que les énergies fatales gaspillées par la Vallée de la chimie étaient comparables à la production d’un réacteur nucléaire. Sur la base de ce constat, nous avons réuni les industriels concernés pour leur annoncer que le Grand Lyon allait les soutenir pour rénover leurs sites, récupérer l’énergie gaspillée et amorcer ainsi la transition énergétique. Nous leur avons fait comprendre que les solutions trouvées ici pourraient être transposées ailleurs, pour préserver d’autres sites. Et cela a marché : nous avons été l’agglomération où il y a eu le plus d’expérimentations sur les smart grids, avec de nombreux projets de méthanisation de biomasse. L’Institut d’Excellence sur les Energies Décarbonnées (IDEEL) a été créé, qui mène actuellement des recherches sur la notion d’énergie fatale (quantité d’énergie inéluctablement présente ou piégée dans certains processus ou produits et qui peut être récupérée et/ou utilisée). Pour promouvoir ces projets, j’ai expliqué que je provenais d’une ville, Saint-Etienne, qui en 1860 réalisait 30 % du PIB français et faisait figure Manchester français, mais qui crève aujourd’hui faute d’avoir su inventer la transition vers un nouveau modèle. Celui de demain est fait de sobriété, mais aussi d’innovations dans le domaine de la chimie verte et de l’énergie (biomasse, hydrogèneDésormais, les acteurs industriels sont plus des alliés que des obstacles pour la transition écologique.

Ariella MASBOUNGI

Nous allons à présent entendre Daniel Modòl, qui n’est pas écologiste, mais socialiste. Il fait partie de la majorité municipale de Barcelone constituée autour d’Ada Colau, la très jeune maire apparentée Podemos.

Cette ville fait figure pour les Français de « Mecque de l’urbanisme », avec la recomposition forte de ses espaces publics qui concerne même les infrastructures lourdes et dont Madrid s’inspire aujourd’hui, dans un pays où les gens considèrent que « la voiture est de droite et le piéton est de gauche. » Daniel Modòl , comme architecte, a travaillé avec celui qui est à mon sens le plus grand architecte urbaniste du XXème siècle, Manuel de Solà Morales. Aujourd’hui disparu, il s’est vu décerner par la France en 2000 le Grand Prix d’urbanisme Europe, notamment pour saluer son projet Ville-Port pour la ville de Saint-Nazaire.

Les habitants de Barcelone ont toujours été intéressés par l’urbanisme et l’architecture. Les professionnels étaient prêts à mener un ambitieux projet urbain préparé lors de la dictature et l’ont mis en œuvre dès le retour de la démocratie. . Les habitants et les associations sont, par ailleurs, de longue date force de proposition dans ces domaines.

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Daniel Modòl

Maire-adjoint de Barcelone, en charge de l’architecture, du patrimoine et du paysage urbain

Bonjour à tous. Je remercie le CGEDD, Ariella Masboungi tout particulièrement, ainsi que tous les participants à cette Matinée.

Exerçant mon métier d’architecture et d’urbaniste dans mon cabinet, je suis élu politique depuis quinze mois, avec la conviction que l’on peut faire avancer les choses. Si j’ai été élu en tant que socialiste, je ne suis personnellement pas socialiste. Nous avons passé un pacte avec des partis de gauche pour créer le mouvement Barcelone en commun et mener les politiques que nous jugeons souhaitables, sous l’impulsion d’Ada Colau, maire de Barcelone. Les débats ne sont pas toujours simples, car les 15 membres de la majorité municipale représentent 7 options politiques différentes.

Les outils de la participation citoyenne

• Une longue tradition barcelonaise

Notre démarche d’implication des citoyens dans la transformation de leur ville s’inscrit dans une longue tradition à Barcelone. J’ai moi-même animé, en tant qu’urbaniste, un atelier sur le projet d’aménagement de la Plaza de Las Glorias. Avec l’équipe municipale, nous souhaitions être innovants dans ce domaine.

Nous nous sommes beaucoup appuyés, pour élaborer notre Plan Municipal, sur les conseils de quartiers, au sein desquels les habitantss sont très impliqués dans la conception de l’espace public. Pour avoir une idée de cette vitalité, il faut savoir que ce plan a été l’occasion de formuler plus de 10 000 propositions, souvent sur un simple post-it dont plus de 8 000 ont été acceptées et 1 500 ont déjà été transformées en action.

• La plate-forme numérique « Décidons pour Barcelone »

Afin de gagner en efficacité et en transparence, nous avons lancé la plate-forme collaborative Décidons pour Barcelone (Decidim Barcelona). Il s’agit de coproduire des projets urbains partagés par l’administration et les citoyens. Parmi ceux-ci figure la promotion de l’usage des vélos, avec la mise en place, comme à Paris, d’un système de vélos publics et le développement des voies cyclables, mais aussi un projet de développement du périphérique au nord de la ville (la Ronda de Dalt) qui a été construit pour les JO de 1992, afin de détourner la circulation automobile du centre-ville.

L’exploitation de la plate-forme numérique Décidons pour Barcelone s’est heurtée à la fracture numérique lorsque nous avons réalisé que l’accès à Internet était très inégal au sein de la ville, et qu’un projet comme celui du périphérique nord a été voté en ligne par seulement 2 500 citoyens alors qu’il concerne 2 millions de personnes. De fait, ceux qui s’organisent sont capables de faire entendre leur message, même s’ils sont minoritaires. Il est apparu clairement que la plate-forme participative risquait d’ajouter un filtre technique ou technocratique entre la population et la prise de décision. Elle permet toutefois de rendre possible une participation universelle à nos débats, en complément de système de participation traditionnel s’appuyant sur les conseils de quartier.

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Un foisonnement de projets

• Les projets d’urbanisme

Afin d’accroître l’influence de la participation citoyenne sur le design urbain, il est préférable de travailler sur petites échelles, pour créer un équilibre avec de grands projets structurants. Malgré cette ouverture et une réelle prise en compte des propositions, certains aménagements, comme la Ronda de Dalt, restent critiqués. Si ce dernier n’a pas été remis en question, car il est structurant, sa conception tient néanmoins compte des aspirations des riverains, avec la couverture d’une partie de l’autoroute B20 et son doublement par une ligne de tramway est-ouest. Le projet de la Plaza de las Glorias vise quant à lui à récupérer des espaces verts perdus au sein même de la ville. Il s’agit de créer un parc naturel aux portes mêmes de la ville, que la culture populaire puisse se réapproprier et dont l’accès sera facilité par un accès en tramway.

Le projet de l’avenue Méridienne (La Méridiana) vise également à multiplier les espaces verts sur cet axe de pénétration dans la ville depuis le nord, en laissant un maximum de place pour les piétons.

• La réhabilitation des logements

Notre mandat actuel s’achèvera déjà dans deux ans et demi, mais nous voulons prouver d’ici-là que la transformation de la ville possible. Celle-ci doit prendre en compte les inégalités, la transition énergétique, et la nécessité d’une relance du bâtiment dont l’effondrement après la crise de 2008 a créé un chômage de masse. Dans cette optique, la réhabilitation des logements et des espaces publics est notre pierre angulaire. Nous y avons investi pas moins de 270 millions d’euros dans le cadre de la campagne Barcelone, soit belle. Les premiers résultats sont très positifs en matière d’économie d’énergie, mais force est de constater que notre programme ne bénéficie pas toujours à ceux qui vivent dans de très mauvaises conditions. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne d’information plus importante, grâce à l’implication des syndics. Le seul fait que les opérations de réhabilitation aient permis à 40 000 citoyens d’obtenir un travail a permis d’en sortir beaucoup de la précarité. Le fait qu’elles ne portent pas seulement sur l’architecture modernes, mais profitent à des immeubles anciens a contribué à son succès auprès des habitants.

Si l’amélioration de l’espace public barcelonais est réelle, nous voulons donner une nouvelle dimension à la ville, en dépassant les barrières entre les quartiers. L’urbanisme social doit être mené à une nouvelle échelle, pour que les habitants les plus précaires puissent aussi s’identifier à la nouvelle Barcelone, ce qui n’était pas le cas sous la précédente majorité municipale. En effet, certains habitants dans les hauteurs de la ville ou dans le quartier du Besos, n’avaient pas vu leur environnement urbain évoluer depuis des décennies. Le fait que tout le monde soit fier de sa ville et que celle-ci offre une meilleure qualité de vie en fait un pôle d’attraction et relance le dynamisme de l’économie. Cette vision de l’urbanisme est, je crois, conforme à celle que m’a transmise mon maître, Manuel de Solà Morales. Nous sommes en train de la prolonger dans le cadre de la campagne : « Barcelone architecture – ville du patrimoine » qui a pour ambition de faire de l’architecture, de la réhabilitation et du paysage urbain une valeur citoyenne, spécialement dans les quartiers, afin d’y générer de l’emploi et un sentiment de communauté. Dans le cadre de ce projet, chaque euro dépensé par la Ville génère un investissement privé compris de plus de 3 euros.

Ariella MASBOUNGI

J’ai apprécié que vous expliquiez dans votre intervention comment un architecte urbaniste socialiste reprend la tradition espagnole, et spécialement barcelonaise, d’une transformation urbaine s’appuyant sur la concertation avec les habitants pour lui conférer une dimension sociale. Et l’on comprend que vous vous interrogiez sur la validité démocratique d’une consultation faite par le biais d’une plate-forme numérique auprès de 2 500 personnes. J’aimerais que vous nous expliquiez davantage l’articulation possible entre l’approche top down et l’approche bottom up, sachant que nous Français avons une propension à aborder cette problématique de manière binaire, en considérant que le top down et le bottom up s’excluent l’un l’autre. Car lorsqu’on se plie à la consigne d’abandonner le top down au profit du bottom up, on en vient

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rapidement à constater un manque de vision urbaine et de conduite politique.

Daniel MOD O L

A mon sens, la participation doit se faire du bas vers le haut, c’est-à-dire bottom up. Cependant nous n’avons pas eu le temps de changer le système établi, qui existe depuis de nombreuses années, jusqu’à ce qu’il soit remis en question par le Parti Populaire (PP). Mon opinion en tant qu’élu et que nous donnons la parole aux habitants, et que cette voix dispose de suffisamment de canaux pour pouvoir être écoutée à sa juste mesure. J’ai aussi le sentiment que les personnes qui participent à la concertation sont toujours les mêmes et qu’ils en viennent pratiquement à avoir un statut de « voisin professionnel » qui, indépendamment de la problématique d’accès à la plate-forme numérique de co-construction, finit par confisquer la parole. Je ne suis pas sûr que nous ayons réellement réussi à attirer un public plus large.

C’est pourquoi nous continuons à tenir des réunions chaque semaine dans tous les quartiers pour rester en contact avec les habitants, indépendamment de nos relations avec les syndics et les associations, ces dernières réfléchissant souvent au niveau global. C’est aussi le cas du parti Barcelone en Commun (Barcelona en Comú) d’Ada Colau, qui est notre partenaire politique au sein de la municipalité. On y parle davantage de problèmes comme l’immigration, alors que l’échelle locale est souvent négligée, ce que je regrette. Je ne pense pas en revanche qu’il existe de désaccord idéologique majeur entre les différents partis de notre alliance, même si en tant que socialistes nous sommes partisans d’un leardership public dans le cadre de projets auxquels participe le privé, alors que Barcelone en Commun n’est pas favorable aux partenariats avec ce dernier. Ce type de clivage a été particulièrement sensible au sujet de l’implantation d’un centre commercial, et cela produit des retards dans la mise en œuvre, alors même que ce projet était déjà lancé quand nous sommes arrivés au pouvoir. J’ai cependant confiance dans le fait nous puissions dépasser ces divergences, dans l’intérêt de nos concitoyens.

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Discussion avec la salle

Carine DARTIGUEPEYROU

Je souhaite répondre à l’interpellation de Bruno Charles sur la nouvelle avant-garde que je n’envisage pas du tout celle-ci de manière sectaire. Je vous incite à lire mon livre à ce sujet, si vous souhaitez en savoir plus. Cette notion est une forme clin d’œil aux mouvements artistiques du XXème siècle. Il s’agit de solliciter la partie la plus créative des êtres, à leur intelligence émotionnelle, à leur intelligence des sens, plutôt que de ne s’adresser qu’à leurs facultés rationnelles et techniques.

Je crois que c’est ce qu’illustre l’expérience de Barcelone, car on voit que chacun participe à son niveau et selon sa sensibilité au projet urbain commun, qu’il provienne d’en haut ou d’en bas. Les personnes ne s’impliquent pas seulement avec leur rationalité, mais aussi avec leur cœur. Si le développement durable est en panne, c’est non seulement du fait de la difficulté qu’il y a à articuler social, économique et durabilité, mais aussi au fait que les décideurs sont confrontés à des injonctions paradoxales. Pour dépasser ce stade, il faut s’inscrire dans une intention de futur désirable. Certes, je ne suis pas élue, mais pour avoir rencontré beaucoup de responsables publics et privés, je pense qu’ils manquent d’une vision d’un avenir désirable. Je pense que la durabilité est au fond de chacun d’entre nous de manière plurielle, et que nous avons besoin d’activer une part de rêve, une part d’imaginaire.

Par ailleurs, nous constatons que tous les projets évoqués nécessitent la transformation des acteurs à titre individuel. Si l’on ne peut pas faire l’économie d’un discours du type « Barcelone pour tous » ou

« l’accessibilité énergétique pour tous », je pense que l’adhésion à ces projets collectifs nécessitera l’implication personnelle des acteurs. La volonté qui transparaît dans vos projets d’être inclusif, il ne faut pas délaisser le champ de la transformation personnelle. Il y a ce que l’on doit à la ville et ce que la ville nous doit.

Ariella MASBOUNGI

Dans le projet barcelonais, on relie l’économique et le social au travers de la régénération de la ville, ce qui n’était pas le cas précédemment. On est en train de redonner de l’emploi, tout en luttant contre la précarité énergétique et numérique. Car si en matière digitale Barcelone est connue pour son pôle technologique 22@ et s’affiche comme la ville branchée, on y constate aussi une précarité numérique.

Après quatre ans d’alliance et seulement deux ans de mandats, il est en train de se passer quelque chose à Barcelone et à Madrid qui est fascinant. Vous trouvez partout des affiches invitant la population à participer à des groupes de réflexion, dont ressortent de nombreuses propositions. La remontée de la parole est organisée collectivement et l’incitation à l’initiative est permanente. J’ignore si cette dynamique va pleinement déboucher sur le plan concret, mais je souhaitais que l’un des animateurs de ce renouveau soit présent parmi nous.

Bruno CHARLES

Je suis d’accord, mais ce sont les élites qui parlent aux élites. La question posée est celle de l’hégémonie politique et de la culture populaire, à l’heure où 40 % des jeunes qui pensent qu’ils verront la fin du monde au cours de leur vie, et qu’il n’y a pas d’avenir. C’est pour cela qu’ils se rebellent. Dans cet esprit, je vous

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recommande de voir le documentaire No es una crisis qui a été réalisé sur le mouvement des Indignés. Le capitalisme et la spéculation ont fait de tels dommages en Espagne qu’on y observe un sursaut vital. Les indignés ont compris qu’il fallait lutter ou mourir. Heureusement, nous n’avons pas eu France comme en Espagne des centaines de milliers de personnes jetées à la rue. Le mouvement Podemos a permis d’éviter que le sentiment de révolte ne bénéficie à l’extrême droite. Si la situation que décrit No es una crisis se retrouvait en France, j’entrerai en résistance, voire en guerre. La résilience de la société espagnole, et particulièrement de la société catalane, qui est marquée par une forte tradition anarchiste, est beaucoup plus grande que celle de la société française qui est basée sur le fait que l’État organise la société. Je suis assez admiratif d’expériences comme celle de la coopérative intégrale catalane qui tente de construire ses propres « services publics coopératifs dans le domaine de la santé, du logement, du transport ou encore de l’éducation. Malheureusement, de telles initiatives ne sont pas toujours transposables, parce que nous n’avons pas la même culture.

Sabine CHARDONNET, chercheur en architecture

Je signale qu’aura lieu d’ici un mois d’une part l’organisation, sous la houlette de Jean-Louis Bancel, le Président du Crédit coopératif, une assemblée générale de la COOP des Communs à laquelle des militants, des chercheurs, des entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire ainsi que des acteurs publics sont conviées pour promouvoir une gouvernance collective « en communs » afin de répondre aux défis des transformations technologiques, démographiques, écologiques dans le monde du travail et dans la mondialisation. Cela prouve que des personnes se mobilisent aussi en France pour tenter de faire émerger une nouvelle culture en France.

Par ailleurs, le nouveau livre de Jean-Baptiste de Foucauld sur l’argent va sortir dans les jours prochains, et c’est à mes yeux un signal faible que quelque chose est en train de changer dans les esprits.

J’ai trouvé dans votre présentation, Carine Dartiguepeyrou, le mot mafia et cela m’a rappelé que celle-ci était très « avant-gardiste » et efficace en matière financière. Pour avoir travaillé récemment sur le plateau de Pompéi, dans la région de Naples, j’ai pu constater les ravages sanitaires occasionnés par la gestion illicite des déchets par la mafia, lesquels déchets proviennent souvent de France. Comment faire face à ces pouvoirs souterrains qui sont en train de déformer nos territoires ?

Carine DARTIGUEPEYROU

Vous faites allusion à ce que j’appelle la face cachée et sombre de la transition numérique. Si Internet permet de partager et d’échanger des connaissances, il permet aussi à la mafia de gérer ses affaires, dont la traite des femmes. C’est un sujet important, mais qui n’était pas au cœur de notre thématique

aujourd’hui.

Bruno CHARLES

De plus en plus de jeunes déclarent : « Comme je ne veux pas être responsable de ce qui se passe ailleurs, j’adopte ici les comportements qui feront en sorte que l’on n’aura pas exporter des déchets en Afrique, en Inde ou à Naples ». La difficulté consiste à politiser nos modes de vie en responsabilisant les gens plutôt qu’en les culpabilisant. Il faut faire passer le message selon lequel nous n’avons jamais eu autant de moyens et nous savons comment changer les choses. En s’organisant collectivement, au niveau local et non plus de l’État, nous inventons des modes de vie où l’on peut vivre mieux, par la sobriété, par l’alimentation bio. Nous pouvons transmettre à nos enfants un monde meilleur, à condition de s’organiser mieux. C’est ainsi que l’on réglera le compte des mafias. Nous ne sommes ni pessimistes ni optimistes : nous entrons dans un monde de barbarie où les institutions sont attaquées et nous devons inventer les nouveaux instruments qui vont raccourcir le temps de la honte.

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Pierre MARIN

J’ai beaucoup apprécié la vision d’une écologie intégrative, qui ne sépare pas le social de l’écologie, proposée par Carine Dartiguepeyrou. Elle m’a rappelé quelques grands textes, ainsi que la pensée de Gaël Giraud. J’ai bien aimé aussi sa réflexion pour lever les blocages. J’aimerais savoir ce qu’elle entend par « régression du politique » et comment y remédier. S’agissant de l’engagement, 50 % des jeunes sont aujourd’hui engagés pour une cause : comment faire pour qu’ils soient 100 % ?

Ariella MASBOUNGI

J’espère en tout cas que vous appréciez le fait que nous avons invité deux élus politiques qui ne sont pas en régression !

Carine DARTIGUEPEYROU

La régression politique que j’évoquais est relative au mouvement actuel qui porte au pouvoir des gouvernements autoritaires et populistes. Le repli autoritariste me paraît être une régression, et elle me fait très peur.

Une étude a montré que les salariés sont désengagés au travail. Je pense plutôt qu’ils ne sont pas appelés dans leur contribution, faute de disposer d’un environnement dans lequel ils peuvent être entendus et écoutés. L’expérience de Barcelone où l’on recueille les besoins des habitants des quartiers est remarquable à cet égard. Toutefois, cette écoute doit être suivie d’une deuxième étape : celle de la reconnaissance de la personne. Or on ne travaille pas assez, sur le plan politique, à élaborer des visions d’avenir partagées. La campagne présidentielle actuelle en est l’illustration : aucun candidat ne parle d’avenir. Pour mémoire, l’âge moyen d’un électeur français sera de 56 ans en 2025. Bien sûr la faculté d’inventer l’avenir n’est pas l’apanage de la jeunesse, puisqu’il existe des jeunes extrêmement traditionalistes, comme des personnes plus âgées sont impliquées dans la cocréation de la nouvelle culture, y compris dans le domaine numérique. Je crois que les gens n’attendent qu’un environnement capable de traduire les visions et les aspirations en visions d’avenir pour s’engager.

Alain LECOMTE, CGEDD

On sait l’importance du jeu conjoint des mobilisations individuelles et des mobilisations collectives pour la réussite des projets d’écoquartiers. Généralement les choses se passent moins bien que prévu parce que les habitants ne se comportent pas comme les technocrates l’on anticipé : par exemple, ils ouvrent les fenêtres beaucoup plus que prévu, parce que la température de 19°C qui a été programmée ne leur convient pas. L’une des clés ne résiderait-elle pas dans l’éducation, sachant que le système éducatif français ne favorise pas la prise de responsabilité. Ne faudrait-il pas relancer au niveau des collectivités territoriales une forme d’éducation populaire ?

Bruno CHARLES

Vous nous dites : « Les gens ne font pas ce qu’on leur dit, c’est un problème d’éducation ». A mon avis c’est un problème d’obéissance, parce que l’obéissance à la règle technocratique n’a plus cours. Il vaut mieux dire : « Voilà l’objectif, voici des outils, des clés, et débrouillez-vous pour l’atteindre ». Cette approche peut comporter un volet éducatif, mais elle repose avant tout sur la confiance. Elle marque le passage du citoyen qui vote à l’écocitoyen qui agit.

Ariella MASBOUNGI

Qu’est-ce qui explique que les citoyens barcelonais, comme ceux de Saint-Sébastien, ont toujours eu le désir d’agir et de faire, jusqu’à mettre au pouvoir un courant qui érige cette volonté en politique ? Votre ADN est-il si particulier ?

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