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EDGAR FAURE CE QUE JE CROIS

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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CE

QUE JE CROIS

Interrogé récemment, sur les antennes de Radio-France, Edgar Faure, ancien chef du gouvernement, ancien président de l'Assemblée nationale et membre de l'Académie française, a répondu, à sa manière, très directement à toutes les questions qui lui étaient posées.

Nous pensons que dans la conjoncture actuelle il est utile, voire nécessaire, de faire connaître à nos lecteurs l'opinion d'une des plus célèbres personnalités politiques de notre temps dont les jugements, les réflexions et les propositions retiennent l'atten- tion, dans tous les milieux responsables, non seulement en France et en Europe, mais dans le monde entier.

Les déclarations d'Edgar Faure sur les principales diffi- cultés qu'il faut maintenant résoudre à brève échéance sont en quelque sorte une mise au point, une mise à jour des idées expo- sées, dès 1971, dans Ce que je crois, par l'un de nos plus bril- lants orateurs et écrivains.

L . R.

L'emploi

Il faut voir quel est le fond du problème de l'emploi. Ce que je peux dire c'est que l'analyse de M . Barre, l'analyse qui est à la base de sa politique économique, est une analyse exacte et qu'on ne peut pas la modifier. En ce qui concerne l'appli- cation, c'est une affaire d'appréciation, et personnellement je n'ai pas à prendre de responsabilité dans les détails d'une poli- tique que je ne suis pas chargé d'appliquer. Ce que je tiens à dire c'est qu'il faut que l'opinion publique française comprenne très bien le fond du problème. Naturellement, tout cela n'em- pêche pas les souffrances individuelles, les problèmes individuels,

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et cela n'empêche pas non plus de chercher des solutions qui amé- liorent, à défaut de la résoudre totalement, la crise actuelle. Ce qu'il faut bien voir, c'est que la situation où nous sommes n'est pas du tout la même que celle qui existait avant, notamment lorsque j'avais l'honneur de diriger les finances de ce pays. Le grand problème auquel nous avons à faire face peut être exposé en termes faciles à saisir bien qu'il s'agisse d'économie. L'écono- mie est une science comme la médecine mais elle peut être saisie par le bon sens. Théoriquement l'emploi est déterminé par la croissance. Pour augmenter l'emploi il faut augmenter le taux de croissance. C'est un peu schématique car on pourrait faire quelques réserves, mais telle est l'idée générale. Or nous avons en France deux taux de croissance possibles, et ces deux taux ne sont pas les mêmes. Il y a un taux de croissance qui est néces- saire pour le plein emploi. Ce taux peut être évalué de l'ordre de 6 à 7 % par an. Alors dira-t-on pourquoi est-ce qu'on ne l'atteint pas ? Il doit bien y avoir des moyens. En effet, i l y a des moyens. On peut arriver à augmenter la croissance jus- qu'à 6 ou 7 % par an. Mais c'est ici qu'intervient l'idée du deuxième taux de croissance. C'est comme un ciseau. Il y a le taux de croissance qui est supportable par l'économie. Ce taux est de 4 %. Supportable par l'économie, pourquoi ? A cause des comptes extérieurs. Parce que lorsqu'on augmente la crois- sance on augmente les importations. Les importations, i l faut les payer en monnaie étrangère. Quand vous n'en avez pas, c'est la faillite ou alors une série de dévaluations en chaîne, et vous ne pouvez pas vous en sortir. Donc le grand problème de l'éco- nomie française c'est que pour ne pas craquer i l ne faut pas dépasser 4 % et que pour avoir le plein emploi il faudrait 6 ou 7 %. Donc il est impossible de soutenir qu'il y a là un remède de bonne femme, un remède simple. La gauche, celle qui s'ap- pelle ainsi, a proposé de nationaliser tout, ou la moitié, ou les trois quarts. Cela ne changerait rien sauf que cela compliquerait la vie de tout le monde et rendrait le problème encore plus diffi- cile. On passerait d'un mal à un mal plus grand. Quand on est malade on peut encore aggraver sa maladie. Quand on est dans une situation mauvaise, on peut encore l'empirer. Nous avons un chômage, des drames, et je l'avais prévu depuis longtemps, dès le congrès de Poitiers i l y a trois ans. J'ai dit que c'était le problème numéro 1. Mais i l pourrait y en avoir encore davan-

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tage. L a première chose à faire pour un médecin c'est que le malade n'empire pas, c'est que le malade ne meure pas. Il faut donc voir que nous avons actuellement un chômage important mais qui pourrait être le double dans certaines conditions. Pas de remède de bonne femme de l'opposition. Il y a aussi d'autres remèdes qui sont proposés qui semblent intelligents, mais i l faut faire très attention. On nous dit l'investissement. S'il suffisait de faire de l'investissement pour passer à un taux de crois- sance à 7 % sans compromettre l'équilibre extérieur et la mon- naie, on le ferait. N'importe quel gouvernement le ferait. Seu- lement, i l faut voir ce que donne l'investissement. L'investisse- ment général se traduit par une avance de technologie. Donc en augmentant les investissements, très souvent on diminue le per- sonnel. L'investissement ne fait pas qu'augmenter l'emploi. Il le diminue. Il faut donc augmenter l'activité dans des proportions telles qu'on résorbe le chômage que crée l'investissement techno- logique et qu'on fasse davantage. Un certain investissement peut supprimer 5 % de main-d'œuvre. Il faut donc trouver le moyen d'augmenter de 16 %. Le problème n'a pas de solutions simples.

(Je ne dis pas qu'il n'en ait pas du tout.) L a première chose à faire... M . Barre n'a pas tort de dire que l'équilibre extérieur est indispensable. On ne peut pas s'en passer.

Les tensions sociales

Il faut absolument trouver des solutions. En réalité, les chif- fres n'expriment qu'une situation désincarnée, exsangue. La vraie situation est différente. Je vous dirai par exemple que cinquante fois 20 chômeurs c'est beaucoup plus traitable qu'une fois 1 000 chô- meurs. Si vous éparpillez 10 000 chômeurs dans la France entière, on trouve quelques solutions par-ci par-là. Ils se réemploient par petits paquets. Mais si vous faites 10 000 chômeurs d'un seul coup dans un seul endroit, alors c'est une ville qui se trouve frappée de stupeur, qui se trouve dans la plus grande inquié- tude. Il faut donc des études cas par cas de ces points sensibles.

Je sais que l'économie — je l'ai dirigée — ce n'est pas com- mode. L a question n'est pas de savoir si on aurait pu éviter les points chauds dans le passé. Le passé est le passé. Il faut main- tenant tendre toutes nos énergies pour les éviter, et il faut même

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accepter, à titre provisoire, certains sacrifices pour éviter le chô- mage immédiat quand on peut le retarder de façon à gagner le temps nécessaire pour réemployer. Il vaut mieux dépenser de l'argent dans ce cas-là pour éviter de créer des malheurs, et des malheurs qui créent aussi des dépenses, et des gaspillages.

Pour éviter l'inflation et réduire le chômage, i l n'y a pas de remèdes de bonne femme ni même de remèdes de bon médecin.

Il n'y a pas un médicament qu'on prenne dans un pot dans une pharmacie et qu'on avale pour être guéri sur-le-champ. Cela ce sont des procédés de charlatans.

Je pense que l'impôt de solidarité sur la fortune n'est pas du tout une bonne solution. Actuellement, ce n'est pas parce que nous manquons d'argent que nous avons du chômage. S'il suffisait de sortir quelques milliards de nouveaux francs pour arranger le chômage, vous pensez bien qu'on le ferait, quitte à déséquilibrer le budget. Je crois en premier lieu que dans une période de crise comme celle-ci, i l faut se garder d'initiatives imprudentes. L'impôt sur la fortune est peut-être une bonne idée mais pas aujourd'hui, on ferait fuir les capitaux, or une des solutions à employer c'est d'attirer des capitaux vers des placements industriels productifs. Ce qu'a fait très bien M . Monory, avec un certain succès, pour intéresser l'épargne, notamment la petite épargne, à des placements industriels pro- gressifs. Si justement nous voulons franchir ce pont, cet écart entre les deux croissances, une des solutions consiste à développer les industries à haute compétitivité, c'est-à-dire les industries qui font beaucoup d'exportations, qui font plus d'exportations que d'importations. Puisque le goulot est dû à l'augmentation des importations, si l'on veut augmenter l'activité de ces industries très exportatrices qui nous permettent de régler le problème, il faut qu'elles aient de l'argent. Qu'est-ce qu'elles vont faire ? L'emprunter à des taux faramineux, et à qui ? Des banques ne prendront peut-être pas les risques. Il faut donc qu'elles trouvent ce qu'on appelle des capitaux à risque. C'est d'ailleurs l'essence du libéralisme, du capitalisme pour employer ce mot sans le considérer comme diabolique. Il faut que des actionnaires vien- nent, prennent le risque de ne pas gagner tout de suite, de ne même pas avoir leur intérêt, mais peut-être aussi avoir une sé- rieuse augmentation de leur pécule. Pour cela il faut qu'ils soient encouragés à souscrire des actions... Mais pour que les gens sous-

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crivent des actions, i l faut que les actions soient un placement attractif... J'approuve l'initiative de M . Monory. Il ne faut sur- tout pas faire un impôt sur la fortune aujourd'hui. Il faudra peut- être le faire plus tard mais pas aujourd'hui.

Il faut proposer des solutions sérieuses, et je vous assure que quand on propose une solution sérieuse on ne perd pas sa crédibilité. J'ai, dans de nombreuses réunions, à la base ou dans des réunions de personnes plus compétentes, depuis deux ans mené une action constante sur un thème extrêmement simple, peut-être un peu technique, mais je vous assure qu'il intéresse beaucoup de gens, et les gens savent bien quand la technique les intéresse. Je demande que l'on modifie l'assiette du financement des charges sociales car actuellement plus vous employez de personnel, plus vous payez non seulement des salaires (ce qui est normal puisque vous embauchez) mais vous payez entre 40 et 70 % de supplément. Cela décourage les employeurs. Et cependant il y en a. Cela décourage les petites et moyennes indus- tries, et cependant i l y en a. Tous les jours, je vois des hommes qui créent des emplois. Cela devrait être encouragé. On devrait en parler. Il n'y a pas que ceux qui disparaissent. Il y a ceux qui apparaissent. Pour ceux-là, il faut absolument les décharger.

Vous voyez des sociétés qui peuvent faire des bénéfices considéra- bles, un chiffre d'affaires énorme et qui ont très peu de charges sociales. Ce n'est pas parce qu'elles fraudent, c'est parce que d'après la technique de leur activité elles ont peu de personnel pour un gros chiffre d'affaires. Tandis que ceux qui embauchent beaucoup de monde, qui rendent donc un grand service, ceux-là ont une charge très lourde. D'autre part, cela nous met en mau- vaises conditions par rapport à nos concurrents étrangers. Il y a le problème des importations en provenance de pays où les salaires sont bas, où les charges sociales sont presque inexistantes.

L'Europe

J'insiste depuis longtemps sur le cadre européen, sur la nécessité d'une relance de l'Europe, sur l'importance positive que peut avoir le Parlement européen. Dans quel cadre se pré- sente notre économie ? Dans un cadre européen. Quelle peut donc être la solution aux problèmes économiques ? Une solu- tion de cadre européen. Je ne sais pas si tous les Français sont

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conscients d'un fait qui est extrêmement simple : quelle est la part de notre commerce extérieur, de nos échanges à l'intérieur de la Communauté économique européenne ? Quelle est cette part ? Cette part est de la moitié. Nous avons un peu plus de 50 % de nos exportations et un peu moins de nos importations.

Donc la moitié de la vie économique française, dans son rôle extérieur, est tournée et placée dans la Communauté économique européenne. Et cette part est bénéficiaire quoique de peu. Cela doit être dit à ceux qui croient que l'Europe est une valse des prix et que la France est ruinée par l'Europe. En Europe nous vendons un peu plus — pas énormément plus — que nous n'ache- tons. Donc avec cela nous sommes tranquilles, nous pouvons aug- menter nos exportations et augmenter nos importations puisque nous avons l'équilibre. Il faut également remarquer qu'en matière agricole, bien que nous ayons à nous plaindre de beaucoup de choses, la part que nous payons au F E O G A est inférieure à ce que nous en recevons. Ceci pour les esprits chagrins qui croient que l'Europe est à l'origine de nos maux. Nous ne pouvons arriver à une solution du problème européen fondamental, celui des taux de croissance, que si nous réussissons à nous placer dans le cadre européen. C'est pourquoi j'ai préconisé depuis longtemps, depuis que j'ai été ministre des Affaires sociales, i l y a de cela six ans, une politique européenne de l'emploi. J'ai vu d'ailleurs avec plaisir que le parti radical, dans une réunion, avait parlé d'un projet européen pour l'emploi, de deux manières.

D'une part, la Communauté européenne peut prendre des déci- sions qui créent des emplois supplémentaires dans tous les pays, et notamment pour les jeunes ; j'aurais voulu une garantie de pre- mier emploi qui soit une garantie européenne. C'est beaucoup plus large, donc on peut trouver des emplois pour un Français, un jeune, qui, s'il voyage, complétera sa formation dans un autre pays ; pour d'autres gens en France cela crée en même temps une mentalité européenne. Le deuxième point essentiel, c'est que seul le cadre européen peut nous permettre de lutter contre des importations massives, c'est cela qui nous menace, venant de l'étranger. Vous avez vu la question avec les textiles, nous pouvons en avoir pour beaucoup de produits manufac- turés, nous pouvons en avoir pour des voitures, des motocy- clettes. Nous avons des pays où les salaires sont plus bas, les charges sociales très faibles, comment arriverons-nous à empê-

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cher ces pays de nous faire une concurrence je ne dis pas déloyale, mais atypique dans nos pays ?

Il faut distinguer le protectionnisme économique et la pro- tection sociale. Il y a une sorte de diable qui serait le protection- nisme ; pourtant on fait du protectionnisme tous les jours en économie. Le libéralisme intégral n'a plus bonne réputation dans tous les domaines mais il a gardé cette bonne réputation dans un seul domaine, celui du libre-échangisme intégral. Si vous avez deux affaires qui sont placées dans les mêmes conditions, dans deux pays différents, si l'une travaille mieux que l'autre, fait preuve de plus d'intelligence, avec des gens plus travail- leurs, il est normal qu'elle l'emporte, mais si elle ne travaille pas mieux, même peut-être moins bien, mais qu'elle paye ses ouvriers à un salaire de famine, qu'elle laisse mourir ses vieil- lards, qu'elle ne soigne pas les malades, alors ce n'est pas une concurrence normale.

Le Parlement européen

Mes thèses ont été exposées depuis longtemps. J'ai fait tout un plan sur l'Europe à l'occasion du congrès que nous avons tenu à Epernay et auquel, d'ailleurs, M . Jacques Chirac et M . Raymond Barre sont venus.

Et j'ai parlé du rôle essentiel du Parlement européen, et personne ne m'a fait la moindre critique, et dans le mouvement du Contrat social j'ai beaucoup de députés du R.P.R. qui n'ont pas critiqué mes positions...

Seul le cadre européen nous permet une certaine protec- tion sociale, de nous protéger contre des abus de concurrence.

Pourquoi seul le cadre européen ? Parce que, si nous nous isolons, si nous faisons des droits de douane spéciaux, alors nous per- dons le bénéfice de cette moitié du commerce que nous faisons en Europe. Les autres pays, eux, peuvent faire des contrats bi- latéraux. Ils accepteront ce que nous n'acceptons pas, et ils ven- dront dans les pays signataires de ces contrats. Nous n'auront donc plus de marchés. On dit que les Français ne s'intéressent pas à l'Europe, c'est possible, mais ils s'intéressent à l'emploi. Or le chemin de l'emploi c'est l'Europe.

La supra-nationalité ne viendra pas par le Parlement euro- péen. D'ailleurs si j'ai proposé que l'on augmente les compé-

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tences du Parlement européen, je n'ai pas proposé que l'on augmente ses pouvoirs de décision au détriment des Etats natio- naux. J'ai même toujours prévu un droit de veto de chaque Etat national. On craint que le Parlement européen ne soit un instru- ment de dépendance, mais la dépendance, elle existe déjà. Vous croyez que même les députés de l'opposition ne vont pas insister pour avoir une multinationale chez eux, dans un endroit où il y a du chômage. Cette multinationale elle vient ou elle ne vient pas, et si elle ne se plaît pas en France, elle va en Hollande ou en Belgique. Nous n'avons rien à y voir. Personne ne peut rien imposer aux multinationales, parce que nous n'avons pas un cadre européen suffisant. Donc le Parlement européen je l'envi- sage non pas pour décider d'intervenir dans une guerre ou pour faire de la politique extérieure (c'est le rôle des souverainetés), mais je l'envisage pour prendre des décisions d'ensemble, notamment pour donner une certaine discipline à cette invasion de ce qui vraiment menace notre indépendance, c'est-à-dire le capitalisme non national, le capitalisme apatride.

Comment les gens de l'opposition, ou officielle comme les communistes, ou larvée comme le R.P.R., peuvent-ils être contre un Parlement qui leur donne une place à eux alors que dans les gouvernements ils ne l'ont pas ? Actuellement les gouver- nements font ce qu'ils veulent, les oppositions ne sont pas là.

Les oppositions sont naturellement toujours vétilleuses, vigilantes, par conséquent ceux qui critiquent la politique européenne du gouvernement devraient être favorables à im Parlement euro- péen qui leur permet de jouer un rôle qu'actuellement ils ne jouent pas.

La Chine et le Vietnam

Je suis d'abord allé en Chine pour mon propre compte.

En 1957, j'étais en effet le premier homme d'Etat occidental non communiste à franchir le rideau de bambou. C'est à la suite de la publication de mon livre le Serpent et la Tortue que le général de Gaulle me faisait le grand honneur de me consulter sur les problèmes d'Extrême-Orient. En 1963, i l m'a désigné comme son délégué personnel pour me rendre en Chine, et j'ai réglé avec M . Chou En-laï (nous avons tous les deux établi un protocole que j'ai signé ad référendum pour le général de Gaulle,

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et qui a été signé par M . Chou En-laï) le rétablissement des rela- tions diplomatiques entre la France et la Chine. Aujourd'hui, tout le monde trouve que nous avions raison, on nous suit à dix ou quinze ans d'intervalle.

Quand le général de Gaulle m'a fait l'honneur de me confier cette mission, nous parlions dans son bureau, et il m'a dit : « Je crains la guerre, je crains que l'avenir ne comporte la guerre. Il y a la Chine, elle peut être une puissance de guerre, et il faut donc connaître la Chine. » Donc le général de Gaulle avait prévu que la Chine pouvait jouer un rôle pour la paix ou pour la guerre.

Il n'aurait donc pas été étonné que la Chine soit engagée en ce moment dans une action militaire. Plus particulièrement, le géné- ral de Gaulle était inquiet, à ce moment-là, en 1963, pour le Vietnam. Il avait fait un communiqué sur ce sujet au mois d'août.

Au mois d'octobre il y a eu de grands remous au Vietnam. Les Américains ont abandonné leur protégé, le premier ministre Dieng qui a été d'ailleurs non seulement limogé mais tué, et cela a été le début du drame vietnamien qui a conduit au retrait des Etats-Unis. Maintenant les Occidentaux sont partis du Vietnam, mais la situation dans cette région du globe n'en est pas pour autant apaisée, et nous assistons à une chose vraiment singulière que ni Marx ni Lénine n'auraient prévue, eux qui disaient que la guerre provenait toujours de l'impérialisme, nous assistons à la première guerre marxo-marxiste. La première guerre déclen- chée par les anti-impérialistes. C'est la guerre des anti-impéria- listes...

l-e problème est assez simple. L a Chine actuellement veut récupérer son rôle de grande nation. Elle l'a toujours voulu d'ailleurs, mais cela paraissait plus confus quand elle était embrin- guée, alourdie avec toutes ses théories marxistes, léninistes et autres. Actuellement, tout cela est passé au second plan. La Chine se place dans son rôle de grande nation. Elle avait établi une sorte de protectorat sur le Cambodge. On est allé lui enle- ver son enfant. Elle veut le récupérer, et pour cela elle attaque la partie, c'est-à-dire le Vietnam, qui a occupé le Cambodge.

La stratégie de la Chine est d'une simplicité évidente. Elle veut obliger le Vietnam à dégager le Cambodge et d'ailleurs, si je ne me trompe, le Vietnam prend des troupes au Cambodge pour les ramener ailleurs. C'est une situation classique. C'est une situa- tion anté-marxiste.

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L'Iran

Il était prévisible, dès l'instant que le conflit a été ouvert, que le shah ne pourrait pas tenir. J'ai lu un certain nombre de rêveries sur l'armée qui pouvait maintenir le pouvoir du shah ou le pouvoir contre la nation. Ce n'est pas vrai. Seule une armée étrangère peut maintenir un pouvoir contre une nation, mais il est impensable, en politique philosophique, que toute l'armée lutte contre toute la nation. Ce n'est pas vrai. La situation s'est donc dégradée. Je pense que le shah, l'empereur d'Iran, avait fait une politique très imprudente, une politique super-industria- lisée, méconnaissant les données socio-politiques de son peuple et de son pays. A partir du moment où on a contre soi à la fois tous les progressistes et tous les archaïques, il est évident qu'on ne peut pas tenir.

Dans mon discours de réception à l'Académie française j'ai fait allusion à la tendance générale du monde contemporain de porter sa revendication d'avenir dans la direction du passé.

C'est de ma part une interprétation philosophique. Je pense que l'homme dans le vertige du monde contemporain, alors qu'il possède énormément de possibilités dans l'espace, n'a pas du tout modifié sa mesure, hélas étroite, dans le temps. L'homme est un espace et un temps qui étaient limités au début. Il ne pouvait pas aller très loin, et il ne vivait pas très vieux. Alors main- tenant i l ne vit pas plus vieux car, malgré toutes les découvertes de la science, le nombre de centenaires n'a pas augmenté. Par contre, i l peut aller à des milliards de kilomètres. Il y a là un vertige. Il cherche un appui, i l cherche de la solidité. Il cherche à se prolonger. Comme il ne peut pas se prolonger dans l'avenir qu'il ne connaît pas, i l se prolonge dans le passé. Vous verrez que partout c'est la même réaction. Les Irlandais, les Québécois, les Palestiniens, les Juifs qui veulent tous être au même endroit parce que leurs aïeux y étaient i l y a 2 000 ans. Actuellement la résur- gence religieuse en Iran, dans d'autres pays comme le Pakistan.

Donc une tendance vers un Etat presque théocratique. Et je pense que l'on peut dire que nous ne ferons pas la même chose. Les catholiques ne feront pas la même chose, mais nous allons certai- nement vers un retour à plus de traditions, même dans une reli- gion comme la nôtre. Nous allons rechercher notre point d'appui.

Regardez aussi les régions. C'est également le phénomène euro-

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péen. Nous retrouvons une conscience européenne qui est assez ancienne, qui pourrait revenir au fait national, qui pourrait revenir à des racines très nationales, mais des racines également com- munes parce que le nationalisme est un fait plus récent qu'une sorte de communautarisme. Les pays d'Europe ont fait partie d'une grande communauté, la communauté d'Occident, de l'Em- pire romain, en même temps et même avant que se soit développé le sentiment national. Je pense que nous allons vers un renfor- cement du sentiment national, du sentiment régional, du senti- ment des grands ensembles et du sentiment religieux. Tout cela va ensemble. Ce n'est pas parce que nous ferons l'Europe que nous perdrons le sentiment national. Le sentiment régional non plus n'est pas anti-national. Pour en revenir à l'Iran, il ne faut pas méconnaître l'importance de ce phénomène. Il va dépasser l'Iran. L a propagande de l'idée d'une révolution islamique joue un rôle immense actuellement, dans tous les pays islamiques. De cela j'ai des témoignages tous les jours.

L'Académie française et la politique

De nombreux exemples démontrent que des académiciens ont continué de jouer un rôle politique. Il y a le cas de Poincaré, et j'en pourrais citer bien d'autres. L'Académie n'a pas l'inten- tion de stériliser politiquement des hommes qu'elle prend dans la carrière politique et qu'elle estime devoir choisir. L'élection à l'Académie est — si je puis dire — une sanction d'estime donnée pour l'ensemble d'une carrière politique et littéraire.

Il arrive même que l'Académie donne le goût de la politique.

Ainsi M . Maurice Druon n'a pas été élu comme homme politique.

Il ne l'était pas, et depuis il l'est devenu.

La vie politique je peux la vivre avec sérénité. Je n'ai pas d'ambitions ponctuelles. Mon seul souci, ma seule ambition, et je crois qu'elle est vraiment la plus élevée qu'on puisse concevoir, c'est de rendre service à mon pays — et je peux le faire sans postuler un emploi déterminé — par des conseils et par des suggestions.

E D G A R F A U R E

de l'Académie française

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Mgr PAUL POUPARD

POUR

U N E EGLISE PROCHE D E L'HOMME E N JESUS-CHRIST

L

a première encyclique d'un pape est toujours attendue avec une certaine impatience comme un symbole et un pro- gramme, au début du nouveau pontificat. Jean Paul II ne man- que pas à la tradition. Il lui donne même une force singulière, par la vivante continuité dans laquelle i l s'inscrit, et la péné- trante originalité dont témoigne sa réflexion croyante sur la vérité de l'homme en Jésus-Christ. Un nouveau pape ne fait pas table rase du passé, i l monte de toute une tradition vivante. Jamais cette évidence n'était apparue aussi éclatante que dans l'ency- clique-programme de Jean Paul II, tissée de plus de deux cents citations explicites, la plupart de la Sainte Ecriture et du concile, surtout Gaudium et Spes, ou de son grand prédécesseur Paul V I , comme i l aime à l'appeler, en particulier de sa première ency- clique sur l'Eglise qu'il invite à relire, Ecclesiam Suant, publiée en la fête de la Transfiguration du Seigneur, qui devait être aussi l'an dernier le jour de sa mort.

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