PENSE PAR TOI-MÊME !
La pensée est libre.
Cicéron
Est-ce vraiment le cas ? Cette question est au cœur de la pièce de théâtre Pense par toi-même !
Présente au théâtre Comédie Bastille jusqu’au 24 juin 2020,
cette pièce de Gérard Darier est une comédie jouée par le metteur en scène, Gérard Darier lui-même, et par le comédien Karim Leery. Les deux comédiens nous invitent dans leur huis- clos, qui est en fait le salon du professeur, au sein duquel se joue un drôle d’échange entre un jeune issu de banlieue et un professeur de philosophie. Le jeune homme a en fait volé les sujets du bac et débarque chez le professeur de philosophie pour l’obliger à rédiger la dissertation qui vaudra un 20/20 et qui permettra à son petit frère d’obtenir son baccalauréat.
La crainte au début peut être celle d’assister à une pièce à l’humour un peu lourd avec beaucoup de stéréotypes sur les jeunes de banlieue notamment. Finalement, cette œuvre est le fruit d’un très bon dosage entre humour et réflexion ; dosage qui maintient notre attention tout au long de la pièce. On assiste ainsi à une pièce sans grand moyen, qui fait tout de même son effet avec de très bons comédiens, des tirades impressionnantes, et des répliques aussi cinglantes qu’amusantes.
Des analogies avec La Leçon de
Eugène Ionesco
D’emblée, nous retrouvons le format de La Leçon de Eugène Ionesco. Comme la célèbre pièce, on a un professeur et un élève à huis clos dans un salon. A la différence de Ionesco, les rôles sont souvent inversés : le professeur devient l’élève et l’élève devient le professeur. C’est le cas notamment avec cette situation amusante où le jeune homme dit au professeur de se calmer et de prendre confiance en lui pour continuer la dissertation ! Cette inversion des rôles, mêlée à un texte plein d’humour, confère à cette pièce son titre de comédie.
Egalement, comme dans la pièce de Eugène Ionesco, avec le mal de dents de l’élève, on retrouve ici la notion de la douleur.
Seulement cette fois-ci c’est le professeur qui joue les malades imaginaires et qui se plaint de son poignet afin de faire fuir le jeune homme qui envahit son salon.
En reprenant ce format, la pièce place le spectateur sur le canapé du salon. L’ambiance angoissante n’est pas vraiment présente grâce à la légèreté de la relation qui se crée entre les deux personnage et leurs échanges qui nous font rire.
Les clés d’une véritable réflexion
Revenons-en au titre : « Pense par toi-même ». Le tutoiement employé ici nous met déjà dans une ambiance intimiste, décontractée qui règne tout au long du spectacle. Le ton impératif pourrait-être celui employé par un professeur pour s’adresser à son élève. Or, dans cette pièce, et c’est là tout son caractère comique, c’est davantage le jeune de banlieue qui donne des ordres au professeur de philosophie. Gérard Darier veut nous inciter à penser par nous-même. Le titre est donc à l’image de l’ensemble de la pièce, une vulgarisation à la philosophie, qui devient une science accessible à tous, et q u ’ i l e s t i m p é r a t i f d e p r a t i q u e r . O n l e r a p p e l l e
« philosophie », étymologiquement, c’est l’amour de la sagesse, de la connaissance. C’est cet amour de la connaissance qui fait de nous des êtres libres, indépendants, heureux. Cette définition est importante puisqu’elle nous rappelle notre besoin d’entretenir un lien étroit avec le savoir et la connaissance.
Aujourd’hui avec la télévision, les publicités, ou encore les réseaux sociaux, les informations viennent de partout et s’ancrent dans nos esprits. Cela a commencé avec l’écran de télévision… nous n’allons plus chercher l’information, l’information débarque dans nos salons, dans nos foyers et influence nos achats, mais aussi nos manières de penser le monde. Ainsi une problématique essentielle est soulevée dans cette pièce de théâtre : peut-on encore penser par soi-même dans cette société ? Et même lorsque l’on croit penser par soi-même, est-ce vraiment le cas ? Philosopher est-il encore possible ?
Avec humour, la pièce aborde d’autres problématiques très variées, telles que la beauté : qu’est ce que le beau ? Qu’est-ce que la philosophie ? Ainsi, l’oeuvre fait référence à de nombreux travaux philosophiques : Platon, Socrate, et beaucoup de citations de Kant. Ce qui confère à cette pièce tout son intérêt c’est qu’elle parvient, malgré l’évocation de théories philosophiques pointues, à s’adresser à tout le monde. Elle répand les concepts philosophiques, en les mettant à la portée du grand public. Cette pièce parle à toute personne curieuse de penser le monde et la société.
Réflexion sur l’école
La pièce aborde des problématiques très actuelles, telles que l’égalité des chances et la méritocratie. On a une dénonciation de la violence symbolique à travers l’école et ses exigences.
Le personnage du jeune homme explique avoir arrêté l’école en quatrième pensant que l’école n’était pas faite pour lui. Cela soulève une question pertinente : l’école serait elle conçue pour un type de personnes, pour une certaine élite ? Et c’est là qu’on retrouve d’ailleurs le concept d’école bourgeoise, de Bourdieu. La pièce met en scène un jeune homme, issu de banlieue, qui est tout à fait capable d’une réflexion profonde et pertinente sur un sujet philosophique, mais il explique sa réflexion avec ses propres mots. Son seul soucis est donc la maîtrise des codes imposés par la bourgeoisie. C’est le cas par exemple lorsque le professeur insiste pour faire une introduction et hiérarchiser les idées, et que le jeune homme ne comprend pas l’intérêt de cette mise en forme. Pour citer Bourdieu, on a donc là une représentation parfaite de la violence symbolique imposée par l’école bourgeoise.
Ainsi, les diplômes, comme le baccalauréat, sont de véritables marqueurs sociaux. Dans la pièce, à travers les appels téléphoniques de sa mère et de son petit frère que reçoit le jeune homme, on comprend la pression et le stress associés à l’obtention du baccalauréat. Plus qu’un diplôme, le bac représente alors la réussite, la fin de la galère, et la première porte de sortie vers ce qu’il y a au-delà de la banlieue. Ainsi, l’enjeu associé aux diplômes n’est pas le même pour tous, tout comme l’effort qui est demandé pour son obtention.
Cette pièce de théâtre s’inscrit parfaitement dans l’actualité française. Si le système scolaire actuel a déjà des failles et
des problèmes dans son fonctionnement et dans sa méritocratie trop superficielle, qu’en sera-t-il d’un système universitaire semblable à celui des américains avec des facultés payantes ? En cette période de grève et de triste incertitude concernant notre avenir, cette pièce nous fait le plaisir de nous rappeler l’importance du savoir et de la connaissance dans nos vies actuelles et à venir. Aujourd’hui, il faut non seulement redonner au savoir sa position centrale, mais aussi créer un système nouveau qui redistribuera les cartes, offrant aux jeunes, issus de toutes classes sociales, les mêmes chances de s’en sortir.
En bref, vous l’avez compris : cette pièce est au croisement d’enjeux artistiques, philosophiques, mais aussi sociaux. Si cette pièce nous offre un moment divertissant, elle nous donne également différentes pistes de réflexion que nous avons la liberté d’exploiter comme bon nous semble.
Je vous donne mon avis et quelque soit le vôtre, n’oubliez pas de PENSER PAR VOUS-MÊME !
Vous pouvez retrouver cette pièce de théâtre stimulante à la Comédie bastille pour la modique somme de 11 euros pour les jeunes de moins de 26 ans. Vous pouvez réserver en ligne ou directement sur place.
