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Quel intérêt public pour les banques cantonales ?

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Quel intérêt public pour les banques cantonales ?

BELLANGER, François

BELLANGER, François. Quel intérêt public pour les banques cantonales ? In: Lachat, Anne Héritier ; Hirsch, Laurent. De lege ferenda : réflexions sur le droit désirable en l'honneur du professeur Alain Hirsch. Genève : Slatkine, 2004. p. 305-311

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41435

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FRANÇOIS BELLANGER

I. Introduction

Pendant une longue période, les banques cantonales furent l'un des symboles de la stabilité de l'économie suisse. Traitées de manière privilé- giée par la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargnes du 8 dé- cembre 1934 («LB » ; RS 952.0), elles ont contribué au développement de l'économie de leurs cantons respectifs.

A la fin des années 1980 (période durant laquelle j'ai eu le privilège de collaborer avec le Professeur ALAIN HIRSCH aux travaux de réforme d'une de ces banques), l'édifice «banque cantonale » semblait moins stable. Des premières questions étaient timidement posées sur la rentabilité des fonds propres ou la qualité de la gestion, en raison, notamment, du mélange entre les politiques et les professionnels au sein des organes de direction.

Simultanément, la plupart de ces banques avaient engagé une rapide transi- tion afin de devenir des banques universelles aptes à faire face à la con- currence.

Une décennie et plusieurs scandales plus tard, le monde des banques cantonales est totalement bouleversé. Certaines ont été entièrement privati- sées, d'autres ont survécu grâce à des plans de sauvetage ou ont été main- tenues en état d'apparente viabilité par des manœuvres intéressant au- jourd'hui la justice (Rapport de gestion de la Commission fédérale des banques [CFB] 2000, Berne 2001, p. 198-199). Parallèlement, le droit et le contexte économique ont changé. Il ne reste guère plus de normes assurant un statut particulier aux banques cantonales et ces dernières ont désormais une activité qui ne se distingue guère des autres banques de même type.

Face à cette évolution, il est légitime de s'interroger sur l'opportunité de maintenir un régime spécifique pour ces établissements bancaires. Après avoir rappelé les règles du droit fédéral concernant les banques cantonales (Il.) et les grandes lignes des statuts particuliers prévus par les droits can- tonaux (III.), nous examinerons s'il existe encore un intérêt public justi- fiant un statut particulier pour ces établissements dans le droit cantonal (IV).

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II. Les règles de droit fédéral

L'article 98 de la Constitution fédérale Cst. féd. » ; RS 101) charge la Confédération de légiférer sur les banques et sur les bourses en tenant . compte du rôle et du statut particuliers des banques cantonales. Il ne s'agit toutefois pas d'un mandat contraignant ; le constituant a entendu unique- ment rappeler la faculté laissée au législateur d'élaborer des règles particu- lières (Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1/310).

Selon l'article 3a LB, est une banque cantonale l'établissement qui remplit trois conditions cumulatives : il est créé en vertu d'un acte législa- tif cantonal, il revêt la forme d'un établissement ou d'une société anonyme de droit public ou privé, voire d'économie mixte, et le canton détient, s'il s'agit d'une société, une participation de plus d'un tiers du capital et des droits de vote (les banques cantonales de Zoug et de Genève bénéficient d'une dérogation à cette exigence en application des alinéas 2 et 3 des dispositions finales de la modification de la LB du 22 avril 1999). Cette disposition, issue de la réforme intervenue en 1999, a marqué un tournant majeur pour le statut des banques cantonales. La qualité « cantonale » ne résulte plus que des modalités de création de la banque par un canton ; l'existence d'une éventuelle garantie des engagements de la banque par le canton n'est plus un critère déterminant.

Chaque canton est libre de garantir tout ou partie des engagements de la banque, voire de ne pas les garantir (Message du Conseil fédéral du 27 mai 1998 sur la révision de la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne, «Message LB », FF 1999 IV 3349/3364-3365). Si un canton opte pour l'octroi d'une garantie, même limitée, cela n'a pas d'influence sur l'étendue de la surveillance exercée par la CFB. Une proposition du Conseil fédéral d'exclure du régime ordinaire de surveillance les banques dont les engagements auraient été entièrement garantis par le canton (Mes- sage LB, p. 3372-3373) n'a pas été retenue par le Parlement, qui a préféré soumettre tous les établissements cantonaux à un régime identique à celui de leurs concurrents. Les banques cantonales d'Argovie, du Tessin, de Neuchâtel, du Jura, des Grisons et de Nidwald ont ainsi été contraintes d'obtenir une autorisation de la CFB pour poursuivre leur activité. Dès le 1er octobre 1999 (date d'entrée en vigueur de la modification législative), toutes les banques cantonales disposaient d'une autorisation d'exercer leur activité au sens de l'article 3 LB (Rapport de gestion 1999 de la CFB, Berne 2000, p. 184).

Le seul avantage légal d'une éventuelle garantie de l'Etat est un léger assouplissement des règles sur les fonds propres (articles l lb, alinéa 2,

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litt. b, et 13, litt. b, de l'Ordonnance sur les banques et les caisses d'épar- gne du 17 mai 1972, «OB », RS 952.02). Ces dérogations semblent ce- pendant vouées à disparaître (Rapport de gestion de la CFB 2002, Berne 2003, p. 46). Certains tentent de voir un avantage commercial dans l' exis- tence de la garantie pour les déposants. Elle favoriserait l'attraction de fonds étrangers et générerait un taux d'intérêt plus avantageux en matière de financement. Toutefois, pour que cet avantage puisse être admis du point de vue économique, il a été présenté comme étant contrebalancé par les charges particulières résultant des activités de service public des banques cantonales (RDAF 2001 II 473/479). Cet argument semble peu convaincant, dans la mesure où il est difficile d'identifier des activités des banques cantonales pour leur canton respectif qui généreraient des coûts importants non compensés par un paiement du service par le canton. La CFB a d'ailleurs tiré les conséquences de cette situation en exigeant une rémunération adéquate de la garantie pour éviter des distorsions de la concurrence (Rapport de gestion de la CFB 2002, Berne 2003, p. 46).

Du point de vue du droit bancaire fédéral, hormis la limitation de l'u- sage des termes « banque cantonale » aux seules entités remplissant les exigences fixées par l'article 3a LB, il n'existe, à notre avis, plus de véri- table statut des banques cantonales.

III. Les règles cantonales

La plupart des cantons confèrent un statut particulier à leur banque cantonale. Les règles peuvent être groupées en quatre catégories principa- les : la nature juridique, la nomination des organes, la surveillance canto- nale et la limitation du champ d'activité géographique.

En premier lieu, même si plusieurs banques sont désormais organisées sous la forme d'une société de droit privé ou public mieux adaptée à une stratégie commerciale (dans ce sens, RDAF 2001 II 473/477), la majorité des banques sont des établissements de droit public. Cette structure tradi- tionnelle, usuelle pour les organismes chargés de tâches de service public, ne semble guère appropriée à une banque universelle et ayant principale- ment un but lucratif. La banque est notamment fortement handicapée lors- qu'elle cherche à augmenter ses fonds propres ; elle ne peut pas procéder à une augmentation de capital et dépend principalement des apports finan- ciers de la collectivité qui l'a créée.

En deuxième lieu, les autorités cantonales conservent fréquemment le pouvoir de nommer les principaux organes de la banque. Si la tendance actuelle est de favoriser la compétence lors du choix des personnes respon- sables, il existe toujours des nominations politiques, primant l'engagement

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politique de la personne concernée plutôt que ses capacités à gérer ou contrôler le fonctionnement d'un établissement bancaire.

En troisième lieu, en plus de la surveillance par la CFB, exercée pleine- ment depuis le 1er octobre 1999, certains cantons prévoient encore une surveillance complémentaire par l'exécutif ou le pouvoir législatif. N'ayant plus de véritable portée, cette surveillance sert principalement à maintenir l'influence des autorités concernées sur la politique d'affaires de l'établis- sement.

Enfin, depuis plusieurs années, la tendance est de permettre aux ban- ques cantonales d'exercer une activité en dehors des frontières de leur canton, voire même à létranger. Toutefois, il existe souvent une différence entre le texte de la loi cantonale et la réalité ; les banques qui bénéficient de cette faculté n'en font pas toujours un grand usage.

IV. Existe-t-il encore un intérêt public ?

Le concept de tâches publiques a connu une évolution importante en Suisse à la fin des années 1990, en raison de l'introduction de la TVA le 1er janvier 1995 et du développement du droit de la concurrence. Pour maintenir une neutralité concurrentielle de l'impôt, l'Etat a pris l'option de taxer certaines de ses prestations qui présentent un caractère commercial au même titre que les activités des entreprises privées. L'Etat n'est exo- néré que s'il agit avec la puissance publique et qu'il n'existe pas un mar- ché pour ses actes contraignants qui les rendrait commercialisables, car l'Etat ne doit pas concurrencer l'économie privée de manière déloyale. De même, la Commission de la concurrence a estimé que des autorités étati- ques sont soumises à la loi sur les cartels si elles exercent une activité économique sur un marché en compétition avec des entreprises privées (ATF 127/2001 II 1/6, Die Schweizerische Post ; ATF 127/2001 II 32/41ss, Eidgenossiches Volkswirtschaftsdepartement).

Cette double réforme a provoqué une redéfinition des tâches publiques qui se distingue des approches traditionnelles, fondées soit sur les fonc- tions de ladministration - police, prestations, gestion ou programmes d'action -, soit sur ses moyens d'action - décision, contrat ou instruments de droit privé. En conséquence, les tâches administratives se composent désormais des fonctions de puissance publique, des missions de service public et des activités économiques.

Les fonctions de puissance publique comprennent les tâches impliquant l'exercice d'un pouvoir d'enjoindre, d'interdire, voire de contraindre par l'usage de la force.

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Les missions de service public sont les activités de l'Etat menées sans exercice de la puissance publique principalement dans l'intérêt public (SJ 1997 623/624-625). Tel est le cas lorsque l'activité de l'Etat est accomplie dans l'intérêt public à des conditions financières les rendant accessibles à tous les citoyens, généralement sans égard au prix réel.

Les activités économiques correspondent aux prestations à caractère commercial fournies par l'Etat, soit toutes les activités étatiques qui sont accomplies par l'Etat, même dans l'intérêt public, mais qui pourraient être exercées à des conditions similaires par n'importe quelle autre entreprise privée (ATF 127/2001 II 113/not. 120-121, Banque Cantonale Vaudoise et les références citées ; RDAF 2001 II 473 ; ATF 120/1994 II 321, Ligno- form lnnenausbau AG).

La justification classique du maintien d'un statut particulier pour les banques cantonales est qu'elles prennent en compte les intérêts du canton dans la définition et la mise en œuvre de leurs activités (Message LB, p. 3366). Ainsi, les banques cantonales seraient au service de l'économie cantonale et pourraient notamment apporter un soutien à l'économie locale et favoriser l'octroi de crédit aux PME.

Cette déclaration d'intérêt public donne l'impression que les banques cantonales disposeraient d'un véritable pouvoir d'intervention dans l'inté- rêt de l'Etat et pourraient influencer le développement de l'économie cantonale. Or, une telle activité est formellement interdite aux banques cantonales par l'article 27 Cst. féd. qui garantit la liberté économique.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, sont prohibées les mesures de politique économique ou de protection d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches pro- fessionnelles ou certaines formes d'exploitation (ATF 128/2002 I 319, Gemeinde Arosa et les arrêts cités).

De plus, les banques cantonales sont devenues aujourd'hui des établis- sements bancaires comme les autres. Soumises aux mêmes règles pruden- tielles et à la même surveillance, elles doivent se comporter comme n'im- porte quelle banque. Elles ne peuvent octroyer un crédit douteux au motif d'un éventuel soutien à l'économie locale si les conditions d'octroi d'un tel crédit ne sont pas conformes aux exigences de la LB. Le fait que les banques cantonales aient été créées pour poursuivre des buts d'intérêt public ne permet pas d'affirmer qu'un tel but existe toujours. La transfor- mation progressive des banques cantonales en banques universelles avec pour objectif principal de rechercher un profit a modifié complètement leur profil. Le Tribunal fédéral a ainsi comparé le but annoncé de la ban- que cantonale de Berne ( « Le canton de Berne exploite une banque afin d'encourager le développement économique et social ; cette banque sou-

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tient le canton et les communes dans l'accomplissement de leurs tâches » [article 53 de la Constitution bernoise, RS 131.212]) et l'activité effective de cette banque : « une stratégie d'affaires visant à réaliser un profit com- mercial » (RDAF 2001 II 473/476) pour conclure à la prépondérance du but lucratif par rapport aux éventuelles activités limitées de service public comme la gestion du trafic des paiements de l'Etat (RDAF 2001 II 473/

479-480).

Enfin, les banques cantonales exercent aujourd'hui une activité compa- rable à celles des autres établissements bancaires avec lesquels elles se trouvent en concurrence directe. L'Etat mène une activité privée qui peut être fournie aux mêmes conditions par le secteur privé, même si cette tâche est qualifiée de « publique », comme, par exemple, dans le cas de la banque cantonale de Berne. Il n'est pas nécessaire d'être une banque can- tonale pour gérer le trafic des paiements de l'Etat, tout établissement ban- caire est apte à remplir cette tâche.

Même si formellement les cantons avancent l'existence d'un intérêt public pour expliquer le maintien des règles particulières relatives aux banques cantonales, nous sommes d'avis que cet intérêt public n'existe plus. Derrière le qualificatif public, seule prédomine l'activité commercia- le. Les éventuelles déviations par rapport au but lucratif prépondérant sont prohibées, soit parce qu'elles consistent en une mesure de politique écono- mique ou une entrave à la concurrence, soit parce qu'elles vont à l'encon- tre des règles fixées par la LB.

V. Conclusion

Du point de vue du droit bancaire, presque rien ne distingue les ban- ques cantonales des autres banques. Elles sont soumises aux mêmes règles fiscales que les autres banques. Leur activité ne s'exerce plus dans l'intérêt public mais dans un but strictement commercial. Même organisées sous la forme d'établissement de droit public, la prépondérance de ce but lucratif exclut la protection des biens de la banque contre d'éventuelles hypothè- ques légales.

Les législateurs cantonaux devraient avoir le courage de tirer les consé- quences de ce changement de situation juridique et de donner aux banques cantonales un statut équivalent à celui des banques privées. Cela signifie avant tout couper le cordon ombilical entre les autorités politiques et

« leur » banque cantonale, afin de rendre ces établissements véritablement indépendants. Une telle scission aurait l'avantage de supprimer la tentation de certains politiques de demander à « leur» banque cantonale d'accom-

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plir des opérations qu'elle n'aurait pas réalisées si elle s'était tenue à une stricte analyse économique.

Les créanciers des banques cantonales ne s'en porteront pas plus mal.

D'une part, si la surveillance de la CFB est adéquate pour toutes les ban- ques exerçant leur activité en Suisse, elle l'est forcément aussi pour les banques cantonales. D'autre part, les nombreuses affaires impliquant des banques cantonales révélées depuis la fin des années 1990 démontrent les dangers d'une gestion qui, sous le couvert d'une prétendue surveillance cantonale, ne répond pas à des impératifs économiques et prudentiels.

Les contribuables qui finissent toujours par payer le prix des erreurs des banques cantonales seront également un peu plus épargnés.

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