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Article pp.97-109 du Vol.36 n°202 (2010)

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Cet article se propose d’étudier l’influence de la structure du réseau du dirigeant sur sa rémunération. Cet effet peut être analysé à travers les liens que le dirigeant d’une entreprise donnée entretient avec d’autres dirigeants qui appartiennent aux mêmes conseils d’administration. Un modèle est développé et testé à partir d’une approche basée sur l’analyse des réseaux sociaux et un échantillon, constitué de 103 dirigeants français d’entreprises cotées au CAC 40 et au SBF 120, est analysé pour l’année 2002. Les résultats de cette recherche montrent que, en France, le réseau du dirigeant conditionne la rémunération de celui-ci.

Université Paris 13 GERMAIN BARRÉ

Université Paris-Dauphine, IRISSO

L’effet de la structure du réseau du dirigeant sur sa rémunération

Le cas français

DOI:10.3166/RFG.202.97-109 © 2010 Lavoisier, Paris

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L

’intérêt pour la rémunération des dirigeants a produit une littérature abondante et ce thème apparaît ainsi au centre de nombreuses publications, qu’elles soient académiques ou « grand public ». En France, le sujet a provoqué l’indignation de l’opinion publique lors

« d’affaires » à répétition. En effet, depuis la fin des années 1990, plusieurs dirigeants de grandes entreprises françaises ont défrayé la chronique : Philippe Jaffret, Jean- Marie Messier, Igor Landau, Daniel Bernard, Noël Forgeard, Henri Proglio. En cause ? Des rémunérations jugées exces- sives, des « parachutes dorés » exorbitants, des retraites « chapeau », des stock-options vendues au bon moment, etc. Au-delà du montant même de ces traitements, ce thème relance à chaque fois les mêmes questions:

qu’est-ce qui détermine la rémunération d’un grand dirigeant ? Quel système de rémunération incite le dirigeant à répondre au mieux aux intérêts des actionnaires ? En dehors de l’intérêt du grand public, ce thème a depuis longtemps retenu l’attention des chercheurs : en 1998, Barkema et Gomez-Mejia relevaient plus de 300 recherches sur ce thème, principalement anglo-saxonnes.

Dans le cadre de la théorie de l’agence, paradigme le plus mobilisé dans les recherches en sciences de gestion, la rému- nération peut être envisagée comme un mécanisme qui permet d’aligner les intérêts divergents des principaux (les actionnaires) et ceux des agents (les dirigeants). La rému- nération apparaît comme un moyen de sanc- tionner un manque de résultats et permet alors de réduire ou de modifier les diver- gences d’intérêts (Le Joly et Moingeon, 2003). Néanmoins, Alexandre et Paquerot (2000) soulignent par exemple que la théo-

rie de l’agence ne prend pas assez en compte les possibilités de collusion entre contrôleurs et dirigeants. En outre, ces fon- dements souffrent à ce jour de vérifications robustes. Plusieurs chercheurs qui ont étu- dié les déterminants de la rémunération des dirigeants proposent de mener des recherches complémentaires à celles se fon- dant sur la théorie de l’agence, en utilisant d’autres approches théoriques (par exemple, O’Reilly et al., 1988 ; Finkelstein et Hambrick, 1989 ; Conyon et Peck, 1998).

Le recours à l’analyse de réseaux dans cet article se justifie donc par l’incomplétude de la théorie de l’agence, traditionnellement employée dans l’étude des déterminants de la rémunération des dirigeants. En outre, la pertinence de l’analyse de réseaux est ren- forcée par la spécificité du cas français.

Comme le remarquent Yeo et al.(2003), le cas de la France est intéressant dans la mesure où il existe un nombre élevé d’ad- ministrateurs interconnectés, c’est-à-dire des administrateurs siégeant simultanément dans deux ou plusieurs conseils d’adminis- tration (Scott, 1991). Les liens (ou rela- tions) analysés sont donc constitués par ces présences à de multiples conseils (Degenne et Forsé, 2004). Sur un échantillon de 1999, Yeo et al. (2003) trouvent qu’une firme française sur deux est impliquée dans ce type d’interconnexions réciproques et que 80 % des dirigeants sont également prési- dents de conseil d’administration, donc impliqués directement dans le processus de contrôle.

Dans cet article, nous souhaitons mettre en évidence les liens qui existent entre les diri- geants par le biais de leurs mandats d’admi- nistrateurs et vérifier si ces liens ont une influence sur la rémunération des diri- geants. Cet article est structuré en trois sec-

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tions. La première expose notre cadre théo- rique ainsi que notre hypothèse de recherche. La deuxième précise la métho- dologie statistique adoptée. Enfin, la der- nière section présente les résultats de notre recherche.

I – CADRE THÉORIQUE 1. L’analyse des réseaux sociaux

Laumann, Galaskiewicz et Marsden définis- sent les réseaux sociaux comme « un ensemble de nœuds (personnes, organisa- tions) reliés entre eux par des relations sociales (…) d’un type spécifique » (1978, p. 458). Les réseaux sont également consi- dérés comme des « conduits » (Reagans et McEvily, 2003), c’est-à-dire comme des

« canaux servant, par exemple, à véhiculer de la connaissance et/ou de l’information » (Baret et al., 2006, p. 103). Scott (1991), quant à lui, utilise le terme secteur et dis- tingue trois types de relations :

– les relations personnelles: elles concer- nent les relations directes entre individus (par exemple, les interconnexions d’admi- nistrateurs, l’amitié, le voisinage, etc.) ; – les relations de capital: ce sont les liens existant entre des agents d’affaires (busi- ness agents) et qui résultent de l’actionna- riat, de l’octroi ou du refus de crédit (par exemple, les familles qui investissent dans une ou plusieurs firmes et les banques qui prêtent à deux ou plusieurs entreprises créent des relations de capital entre les entreprises impliquées) ;

– les relations commerciales: ce sont les liens commerciaux émanant des opérations d’achat et ventes de produits et services sur le marché.

À partir de ces types de relations, il est pos- sible de distinguer plusieurs types de

réseaux (Knoke et Kuklinski, 1982) : les réseaux de communication, les réseaux de parenté, les réseaux d’affinité, les réseaux de soutien, les réseaux marchands, les réseaux de mobilisation, les réseaux de clientélisme, les réseaux concernant les politiques publiques ou bien encore les réseaux d’entreprises (Lemieux, 1999 ; Lemieux 2000). Nous nous intéressons dans la suite de cet article à des intercon- nexions entre dirigeants d’un type bien spé- cifique. Nous considérons ainsi qu’il existe un lien entre deux dirigeants-administra- teurs A et B lorsqu’ils se rencontrent direc- tement au sein d’un conseil d’administra- tion et/ou lorsqu’ils participent à des conseils d’administrations différents, mais au sein desquels ils rencontrent une même tierce personne C.

2. La position du dirigeant

dans son réseau et sa rémunération Des relations de « réciprocité » peuvent exister entre les membres des conseils d’ad- ministration. Une certaine forme de collu- sion peut donc émaner des relations entre ces membres (Alexandre et Paquerot, 2000) : l’administrateur A a des intérêts parce qu’il est aussi dirigeant dans une autre entreprise, au sein de laquelle il est jugé par ce même réseau d’administrateurs.

Comme le rappelle Pichard-Stanford, la multiplication des mandats « encouragerait des stratégies collusoires entre administra- teurs et dirigeants dans le souci mutuel de préserver les avantages acquis » (2000, p. 144). Mizruchi remarque également que

« les dirigeants d’entreprise qui siègent comme administrateurs externes dans le conseil d’administration d’autres firmes sont des employés à plein temps de leur propre firme. Le degré d’engagement et

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d’expertise nécessaire pour contrôler le dirigeant d’une autre firme peut être prohi- bitif. De plus, le fait d’avoir été recruté par quelqu’un qui peut être un ami, ne peut guère inciter à poser des questions difficiles ou à provoquer des confrontations » (2003, p. 18). Par conséquent, les interconnexions que nous étudions peuvent être représenta- tives de liens, si ce n’est systématiquement d’amitié, à tout le moins d’une forme d’in- terdépendance au sein des élites. Dans ces conditions, il est possible de se demander si la position du dirigeant au sein d’un réseau peut entraîner une attitude favorable de la part des administrateurs, qui aboutirait à de plus fortes rémunérations (Charreaux, 2003, p. 3). Les interconnexions d’ins- tances dirigeantes peuvent ainsi créer des alliances et des réseaux de pouvoir : si le dirigeant domine le processus de sélection des administrateurs au conseil, et s’il choi- sit des membres qui lui sont favorables, alors peut être envisagée une relation posi- tive entre la fraction de ces membres du conseil favorables, et la rémunération du dirigeant (Fich et White, 2003, p. 938).

En France, le mode de sélection et de nomi- nation des administrateurs n’est pas neutre : les règlements intérieurs des entreprises sont homogènes en la matière et précisent, le plus souvent, que l’assemblée générale des actionnaires nomme les administrateurs sur proposition du comité des nominations.

À son tour, lorsqu’il existe un comité des nominations, ce dernier est proposé par le conseil d’administration. Enfin, ces mêmes administrateurs peuvent être présidents dans d’autres firmes. Pichard-Stanford constate que : « la gouvernance des firmes françaises est caractérisée par une forte densité des liens interconseils : 18 % des firmes françaises ont des administrateurs

multimandatés contre respectivement 15 % et 12 % de leurs homologues anglo- saxonnes et germaniques (Stokman et Was- ser, 1985) » (2000, p. 143). Bien que les tra- vaux des rapports Viénot et Bouton aient préconisé des avancées importantes en matière de nomination des administrateurs, les pratiques évoluent de manière lente.

3. Le capital social selon Burt (les trous structuraux)

La dimension structurale des réseaux sociaux est la dimension la plus fréquem- ment abordée par la littérature (Baret et al., 2006) et la théorie des trous structuraux (Burt, 1992) est celle qui est la plus souvent utilisée en sciences de gestion (Baret et al., 2006) : c’est celle que nous mobilisons ici.

Cette approche du capital social se focalise moins sur le capital social collectif d’un sys- tème et plus sur les différences de capital social des individus dans le système. Burt (1992, p. 8) précise qu’un acteur a trois types de capital: du capital financier (réserves en banque, des crédits, etc.), du capital humain (les qualités naturelles d’un individu, son intelligence, son attitude, combinées aux compétences acquises à travers l’éducation et l’expérience) et, enfin, du capital social (les relations avec les autres acteurs). Les deux premiers types de capital sont distincts du capital social dans la mesure où ils repré- sentent des qualités propres des individus.

Au contraire, le capital social est détenu par les parties en relations, c’est une qualité créée entre acteurs (Burt, 1992, 1994). Selon Burt, « le capital social est le complément contextuel du capital humain. Il permet de prédire des taux variables de revenus du capital humain en fonction de la position d’une personne dans l’organisation sociale d’un marché » (1994, p. 601).

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La théorie que Burt (1992) décrit alors la manière dont la structure d’un réseau procure des avantages compétitifs. Burt fait référence à la notion de trou structural pour indiquer l’absence de relation entre deux individus, appelés contacts non redondants. Il précise ainsi qu’un « trou structural est une relation de non redondance entre deux contacts. Le trou est un tampon, tel un isolant dans un cir- cuit électrique. En raison du trou existant entre eux, les deux contacts procurent des bénéfices de réseau qui, dans une certaine mesure, se cumulent plus qu’ils ne se répè- tent » (1992, p. 18). Ainsi, dans un trou struc- tural, deux acteurs ne peuvent communiquer entre eux que par l’intermédiaire d’un troi- sième acteur, en position de « pont ». Dans l’exemple présenté en figure 1, A est en posi- tion de pont entre B et C.

Selon Burt (1992), les trous structuraux donnent des « opportunités entrepreneu- riales » et procurent un avantage concurren- tiel pour ceux qui détiennent la position de pont. Pour Burt (1992, 1995, 2005), il existe deux grands types d’avantages liés à la position de « pont » ou d’intermédiaire : des avantages informationnels et des avan-

tages de contrôle. Les premiers, font réfé- rence à l’accès, à la synchronisation et aux renvois d’opportunités. Les deuxièmes (les bénéfices en contrôle) sont liés au fait que l’individu qui crée un « pont » entre deux individus non connectés « a son mot à dire sur les intérêts qui seront les mieux servis par ce lien » (Burt, 1994, p. 604). La posi- tion de « pont » de l’acteur dans le réseau lui confère une position privilégiée dans la captation, la filtration, le traitement et la transmission de l’information. Cette conju- gaison des rôles de l’information permet à l’individu de maîtriser la communication du réseau et de l’influencer. Comme le note Burt (1992, 1995, 2005), Simmel a intro- duit, en sociologie, cette catégorie d’indi- vidu qui profite de tels avantages (le tertius gaudens) : c’est « la troisième personne qui prend avantage » (Simmel, 1923, p. 154)1 ou « le troisième larron qui tire les marrons du feu » (Burt, 1995, p. 604).

Burt (1992) a testé la relation entre trous structuraux et bonus des managers. Cepen- dant, à notre connaissance, aucune autre recherche n’a vérifié le lien entre trous structuraux et rémunération du dirigeant, en Figure 1 –Pont et trou structural

1. Cité par Burt (1992). Simmel G.,The sociology of Georg Simmel, 1923, trans. K.H. Wolff, Free Press, New York.

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considérant le réseau de ce dernier du point de vue des liens constitués au sein de conseils d’administrations. Nous proposons donc de chercher à vérifier l’hypothèse de Burt (1992) dans ce contexte. Ainsi, l’hypo- thèse que nous testons est la suivante : H1.Plus un dirigeant a de trous structuraux dans son réseau, plus sa rémunération est élevée.

II – MÉTHODOLOGIE 1. Échantillon

L’échantillon testé est composé de 103 diri- geants d’entreprises françaises cotées au SBF 120 et CAC 40 pour l’année 2002.

Ces entreprises sont représentatives de treize grands secteurs. Notons cependant que les effectifs, selon les secteurs étudiés, ne sont pas homogènes. Les données concernant la rémunération des dirigeants sont issues d’une collaboration mise en place avec la société Hewitt Associates.

Nous avons également consulté la base de données Thomson One Banker afin d’obte- nir les données financières et organisation- nelles (chiffres d’affaires, ROE, codes SIC). Enfin, nous avons utilisé les rapports annuels de ces entreprises afin de reconsti- tuer les conseils d’administration.

2. Construction du réseau

L’objectif de cette méthodologie est d’identi- fier les différents liens entre les individus de notre échantillon, par le biais des conseils des entreprises de ce même échantillon. Nous pouvons illustrer la construction de notre réseau à partir du cas de Michel Pébereau, dirigeant de BNP Paribas en 2002 (figure 2).

Jean-Louis Beffa, Denis Kessler, Jean-Marie Messier, Lindsay Owen-Jones et Louis Schweitzer font partie du conseil

d’administration de l’entreprise que Michel Pébereau dirige et ce sont des dirigeants de notre échantillon (représenté par la partie grisée dans la figure 2) : ils font partie du réseau de Michel Pébereau. Un cas particu- lier existe : Jean-Louis Beffa est dans le conseil de Michel Pébereau et, récipro- quement, ce dernier est dans le conseil de Jean-Louis Beffa (lien a dans la figure 2).

Le lien b présente l’autre type de relation : Michel Pébereau n’est pas administrateur dans le conseil de Lindsay Owen-Jones, mais ce dernier fait tout de même parti du conseil d’administration qui contrôle Jean-Louis Beffa en tant que dirigeant.

Dans notre conception, le réseau de Michel Pébereau inclut également Henri de Castries, Philippe Houzé, Philippe Lemoine, Thierry Desmarest et Bertrand Collomb pour une raison différente : Michel Pébereau est administrateur des sociétés que ces derniers dirigent (lien b dans la figure 2).

Son réseau inclut également (entre autres) Jean-Marc Espalioux : ce dernier dirige une entreprise dont l’un des administrateurs est également administrateur de BNP Paribas, Baudoin Prot (que l’on considère ici comme un lien indirect, représenté par le lien d).

En résumé, pour établir le réseau d’un diri- geant A dans notre étude, nous avons inclus tout dirigeant B relié à lui par au moins l’un de ces quatre biais : A est administrateur de B, B est administrateur de A, A et B sont administrateurs dans le conseil de C (cas de figure non présenté ci-dessus) et, enfin, A et B ont un administrateur en commun. À par- tir de la composition des conseils d’admi- nistrations de l’ensemble des entreprises de notre échantillon, il est aisé d’appliquer cette logique à tous les dirigeants afin de disposer in finedu réseau des 103 dirigeants de notre échantillon.

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Figure 2 –Extrait du réseau de Michel Pébereau en 2002

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3. Opérationnalisation des variables La rémunération du dirigeant

De manière empirique, il est possible d’en- visager plusieurs opérationnalisations de la rémunération. Lewellen et Huntsman (1970) ont montré que la seule utilisation de la rémunération en espèces (le salaire et le bonus) pouvait apporter de meilleurs résul- tats au modèle que ceux établis lors de l’ex- ploitation de la rémunération totale (c’est- à-dire en incluant tous les avantages, rémunérations différées, etc.). Il est à sou- ligner que des auteurs (Finkelstein et Hambrick, 1989 ; Boyd, 1994) préconisent l’utilisation du logarithme de ces variables, afin de réduire l’hétéroscédasticité. Ainsi, notre variable expliquée sera constituée du logarithme de la rémunération en espèces (salaire + bonus).

La contrainte agrégée2

Burt (1992) précise que les acteurs forte- ment connectés (c’est-à-dire des nœuds dans un réseau) ne vont pas pouvoir mener de négociations indépendantes avec d’autres acteurs, non connectés à eux : ils

sont dans un réseau « contraignant » (« dans la mesure où ce trou est du capital social dans la population, la contrainte du réseau est associée négativement à des mesures d’accomplissement et de récompense », 2005, p. 27). Pour mesurer les trous structu- raux, Burt (1992) utilise la contrainte agré- gée C3. D’après lui, plus la contrainte d’un individu est faible (s’approchant de 0 et s’éloignant de 1), plus cet individu a de trous structuraux dans son réseau.

La mesure de Burt est fortement corrélée avec la centralité de degré, i.e. le nombre de relations d’un individu (voir les corrélations dans le tableau 1). La figure 3 présente un exemple illustrant la notion de trou structu- ral, pour deux dirigeants du réseau analysé (Jean-Martin Folz et Philippe Houzé), à centralité de degré égale (c’est-à-dire que les deux dirigeants ont le même nombre de relations).

Dans cet exemple, Jean-Martin Folz a cinq relations. Il a une contrainte faible (0,2), c’est-à-dire beaucoup de trous structuraux dans son réseau (les membres de son réseau n’ont aucune relation entre eux). De son côté, Philippe Houzé a également cinq rela-

2. Les matrices des réseaux ont été exportées sous Pajek 1.21 (Batagelj et Mrvar, 2007). Ce logiciel calcule la mesure de la contrainte agrégée.

3. Pour une démonstration mathématique de cette mesure ainsi qu’une discussion détaillée, nous renvoyons le lec- teur à Burt (1992, p. 50 et suiv.), Burt (1995, p. 605 et suiv.) ou Burt (2005, p. 26 et suiv.).

Figure 3 –Représentation des réseaux de Jean-Martin Folz et Philippe Houzé

Ernest-Antoine SEILLIÈRE de Laborde Lindsay OWEN-JONES

Daniel BOUTON

Philippe HOUZÉ

Christian COUVREUX Henri DE CASTRIES

Philippe LEMOINE Michel PÉBEREAU Jean-Martin FOLZ

Jean-Claude CABRE

Jean-Louis BEFFA Pierre LEVI

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tions. Mais il a une contrainte plus forte (0,599) et il a peu de trous structuraux (beaucoup de membres de son réseau ont des liens entre eux). L’hypothèse formulée est qu’un dirigeant disposant du réseau de Jean-Martin Folz devrait percevoir une rémunération plus élevée que Philippe Houzé.

Les variables de contrôle

Des recherches antérieures supposent que la taille de la firme, la performance ainsi que la diversification peuvent avoir une influence sur la rémunération des diri- geants4. Ces variables ont donc été intro- duites. La taille est mesurée par le loga- rithme du chiffre d’affaires. La performance est opérationnalisée par le ROE, à savoir le résultat net/capitaux propres. Étant donnée la non normalité des résidus observée lors du test des hypothèses utilisant le ROE 2002 comme mesure de la performance, nous avons calculé une valeur moyenne du ROE sur la période 2001-2002. Cette mesure per- met d’obtenir un modèle respectant les conditions d’utilisation des régressions linéaires multiples. Enfin, pour mesurer la diversification nous utilisons les codes SIC (Standard Industry Classification). Ces codes SIC sont les équivalents des codes NAF français et ils représentent le système le plus largement utilisé aux États-Unis. Les codes SIC classent les industries en fonc- tion de leurs produits et services. Nous comptons, pour cette mesure, le nombre de codes SIC différents relatifs à chaque entre- prise. Par exemple, pour le groupe Danone,

les codes SIC qui lui sont attribués sont les suivants : 2023, 2082, 2086, 2051, 2099, 3221, 5149, 5181. Le premier code SIC (2023) correspond au « Primary Code SIC », c’est-à-dire à l’activité principale du groupe ; viennent ensuite les codes SIC cor- respondants à toutes les activités de l’entre- prise, par ordre d’importance. Nous comp- tons comme mesure de la diversification de la firme le nombre de codes SIC soit, pour l’exemple de Danone, 8.

Finalement, une dernière variable de contrôle est introduite : la centralité de degré. Elle mesure le nombre de liens d’un individu dans un réseau, i.e. la taille du réseau de l’individu (Lazega, 1998). Il s’agit ici de s’assurer que l’effet constaté des trous structuraux n’est pas qu’un simple corrélât de la taille du réseau.

III – RÉSULTATS

Le tableau 1 présente les corrélations des variables testées ainsi que les statistiques descriptives. Le tableau 2 présente les résul- tats du test des deux modèles. Le modèle 1 correspond au modèle dans lequel les variables de contrôle sont testées. Dans le modèle 2, l’hypothèse de réseau est intro- duite (la contrainte agrégée). Le test est réa- lisé par le biais de régressions linéaires multiples. L’échantillon testé respecte simultanément la condition de taille mini- male requise, les conditions de normalité et d’homoscédasticité des résidus. Enfin, nous ne relevons pas de problème sévère de mul- ticolinéarité, malgré l’introduction simulta-

4. Une des variables de contrôle envisagée, le secteur, a dû être retirée lors du test des hypothèses. La première rai- son de cette élimination est liée à une répartition peu homogène des firmes par secteur. La deuxième raison est liée aux perturbations statistiques qu’entraînait l’introduction de ces variables dans notre modèle (problème de multi- colinéarité).

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née de la contrainte et de la centralité de degré. Pour les deux modèles testés, la significativité statistique globale de chaque régression est vérifiée.

Le premier modèle s’intéresse au lien entre la rémunération des dirigeants et les variables de contrôles. Ce modèle per- met d’expliquer 48,5 % de la rémunération en espèces. Comme dans la majorité des recherches anglo-saxonnes et des recherches françaises (O’Reilly et al., 1988 ; Finkelstein et Hambrick, 1989 ; Boyd, 1994 ; Conyon et Peck, 1998 ; David et al., 1998 ; Core et al., 1999 ; Cordeiro et Véliyath, 2003 ; Albouy, 2004 ; d’Arcimoles et Le Maux ; 2005), nos résultats montrent une relation positive et significative entre la taille de la firme et la rémunération des dirigeants. Concernant la performance, le coefficient associé à cette variable n’est pas statistiquement significatif. Nos résultats sont compa-

rables à certains résultats obtenus dans la littérature et plus spécifiquement ceux de O’Reilly et al. (1988), Boyd (1994), Albouy (2004) et d’Arcimoles et Le Maux (2005). Le t de Student associé au coeffi- cient de la diversification est positif et sta- tistiquement significatif (au seuil de 5 %).

Enfin, nous observons également un effet positif et statistiquement significatif pour la centralité de degré.

Nous procédons dans un deuxième temps au test de notre hypothèse en introduisant la contrainte agrégée. Le modèle testé (modèle 2) permet d’expliquer 49,8 % de la variance de la rémunération en espèces.

Ainsi, comme le montre le tableau 2, l’hy- pothèse est corroborée (au seuil de 10 %)5. Les résultats concernant les variables de contrôles sont inchangés à l’exception de la centralité de degré dont le coefficient n’est plus statistiquement significatif.

5. La centralité de degré a été testée seule. Le t de Student associé à cette variable est alors significatif au seuil de 1 %.

Tableau 1 –Statistiques descriptives et corrélations

** significatif à 5 %.

N = 103 Min Max Moyenne Écart Cont. Cent.

type Rém.

Agr. Deg. Taille Perf. Div.

Rémunération 109764 6219634 1080781 982375 1 -,620(**) ,557(**) ,654(**) 0,021 ,511(**) Contrainte

agrégée 0,104 1 0,488 0,311 -,620(**) 1 -,807(**) -,653(**) 0,096 -,434(**) Centralité

de degré 0 20 5,165 4,789 ,557(**) -,807(**) 1 ,609 -,126 ,305(**) Taille de

la firme 75,9 102540 10854 17938 ,654(**) -,653(**) ,609 1 -0,051 ,573(**) Performance -36,635 0,612 -0,259 3,622 0,021 0,096 -,126 -0,051 1 0,003 Diversification 1 8 5,107 2,142 ,511(**) -,434(**) ,305(**) ,573(**) 0,003 1

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IV – DISCUSSION ET CONCLUSION

Notre recherche met en évidence l’effet de la structure du réseau sur la rémunération des dirigeants. Le modèle testé corrobore notre proposition générale selon laquelle la structure du réseau a une influence sur la rémunération des dirigeants. Cette re- cherche confirme ainsi que l’analyse des déterminants liés à la théorie de l’agence n’est pas suffisante pour expliquer les variations des rémunérations des dirigeants.

L’introduction d’une variable liée au réseau du dirigeant (la contrainte agrégée) a mon- tré sa contribution significative au modèle, améliorant la connaissance de ce qui déter- mine la rémunération des dirigeants. En outre, cette recherche complète celles menées en France, où jusque lors, peu de recherches avaient été conduites.

Notre recherche n’est pas exempte de limites.

Le réseau des dirigeants que nous avons constitué est le résultat d’un choix méthodo- logique: par définition, ce choix limite l’ob-

servation d’une réalité certainement plus

« riche ». Les scores peuvent être « biaisés » par la construction même du périmètre limité aux seuls dirigeants administrateurs, en exer- cice en 2002, qui se rencontrent directement et/ou par l’intermédiaire d’un administrateur commun. Il serait intéressant d’étendre ce réseau à un deuxième niveau d’analyse: le réseau des administrateurs. Il sera alors nécessaire d’identifier l’ensemble des conseils dans lesquels siègent les administra- teurs de l’échantillon analysé, afin d’identi- fier toutes les relations possibles.

En outre, il serait judicieux de nous intéres- ser au contenu des liens. Les principaux contenus identifiés à ce jour sont les com- pétences, les caractéristiques des per- sonnes, les ressources échangées ainsi que la forme que peuvent prendre les relations.

À l’avenir, il serait pertinent de savoir en quoi ces contenus favorisent ou non la per- formance (individuelle et collective) et contribuent ou non à l’alignement des inté- rêts entre actionnaires et dirigeants. La Tableau 2 –Effets sur la rémunération

*** p = 0

Hypothèse testée et Modèle 1 Modèle 2

variables de contrôle B Bêta t Sig VIF B Bêta t Sig VIF

(constante) 11,391 35,015 0,000 12,093 24,334 0,000

H1. Contrainte agrégée -0,661 -0,239 -1,854 0,067 3,389

Centralité de degré 0,050 0,279 3,090 0,003 1,620 0,022 0,121 0,984 0,328 3,094 Taille de la firme 0,181 0,362 3,469 0,001 2,156 0,160 0,320 3,030 0,003 2,261 Performance 0,018 0,074 1,034 0,304 1,018 0,018 0,075 1,059 0,292 1,018 Diversification 0,088 0,219 2,519 0,013 1,496 0,075 0,187 2,141 0,035 1,555

N 103 103

F 25,056*** 21,231***

R2 50,60 % 52,30 %

R2ajusté 48,50 % 49,80 %

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réponse à cette interrogation ne peut, en l’état, être donnée. La compréhension de la relation entre performance individuelle et performance collective sera donc à appro- fondir : le réseau d’administrateurs que l’on a étudié soulève la question de la latitude que peut se donner un dirigeant dans ces conditions. Le dirigeant utilise-t-il son

réseau pour asseoir et/ou élargir son espace discrétionnaire lui permettant, ainsi, de se procurer les avantages qu’il poursuit, (notamment sa rémunération) au détriment ou à l’avantage de son entreprise ? Dans tous les cas, afin d’améliorer la validité de nos résultats, une analyse longitudinale serait judicieuse.

BIBLIOGRAPHIE

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