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"Temps" et "espace" de la puissance : instantanéité et image dans la compréhension du concept en relations internationales

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Jérémy Vanhooren

Political Science Department, McGill University, Montreal

August 2004

A thesis submitted to McGill University in partial fulfilment of the requirements of the degree of Master' s of Arts (M.A.)

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Relations (IR) understands this concept as a relation, a resource, a structure, or a social element that changes the behaviour, the position, or the identity of an actor. Power is therefore understood as a "cause". Yet, at the methodologicallevel the causal conception of power is not fruitful. This thesis offers a non-causal

conceptualization of power. After reviewing the IR literature on power, it shows that power is a spectacular instant-image that emanates from the "screenal" space. This definition is based upon the under-researched variables of "time" and "space" of power. The argument relies both on an "instantaneous" temporal

understanding (phenomenology, factual history) and on a "videopoliticized"

spatial understanding (television screen as political space) of international affairs.

Résumé

Le débat sur le concept de puissance (power) reste ouvert. La littérature consacrée en relations internationales l'entend comme une relation, une ressource, une structure ou un élément social qui modifie le comportement, la position ou l'identité d'un acteur. La puissance est donc souvent représentée comme une « cause». Or, la conception causale de la puissance n'est pas très féconde d'un point de vue méthodologique. Ce mémoire prétend proposer une alternative non-causale de la conceptualisation. Après une revue des principaux entendements de la notion, ce mémoire avance que la puissance est un instant-image spectaculaire qui émane sur l'écran télévisé. Cette définition pose ses bases sur les facteurs

« temps» et « espace» trop peu entrevus par les théoriciens de la puissance. La démonstration s'appuie à la fois sur une compréhension temporelle «instantanée »

(phénoménologie, histoire événementielle) et spatiale «vidéopolitisée» (l'écran télévisé comme espace) de l'international.

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Introduction: le débat reste ouvert ... 1

Première partie - La puissance dans la théorie des relations internationales ... 6

Chapitre premier : Revue de la littérature dominante sur le concept de puissance : limites des perspectives (néo )réalistes et (néo )libérales ... 7

Introduction ... 7

Puissance et (néo)réalisme : les incohérences d'un concept phare ... 8

Puissance et (néo)libéralisme ou comment ne pas sortir une approche théorique des sables mouvants conceptuels ... 18

Conclusion ... '" 27 Chapitre deuxième : Revue de la littérature secondaire sur le concept de puissance dans la théorie des relations internationales ... '" ... 28

Introduction ... 28

La structural power: une puissance a-historique ... , .... 29

Constructivisme, post-structuralisme/postmodernisme, féminismes et théorie critique: la puissance dans le « troisième débat » ... .40

Conclusion ... 52

Conclusion ... '" ... 53

Deuxième partie - Temps et espace de la puissance. L'instantanéité d'une image spectaculaire ... 54

Chapitre troisième: Un phénomène sans effet. Temps et puissance ... 56

Introduction ... 56

Pauvreté de la causalité, pauvreté de la puissance causale ... 57

L'instantanéité de l'international: un passé neutre ... 64

Fin du passé causal, fin de l'avenir comme référent conceptuel: une puissance sans effet ... 70

Conclusion ... 76

Chapitre quatrième: L'écran comme espace de l'international. Le « Il septembre 2001 »ou l'émanation de la puissance ... 77

Introduction ... 77

L'écran comme référent spatial des relations internationales et de la puissance ... 78

La puissance-instant: l'émanation d'une image spectaculaire ... 84

Le « Il septembre 2001 » : l'émanation de la puissance ... 89

Conclusion ... 94

Conclusion ... 95

Conclusion: le débat reste ouvert. ... 96

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Je tiens avant tout à remercier mes parents et mon frère Justin sans qui mon aventure québéco-canadienne n'aurait jamais pu voir le jour. Ce mémoire de Master's n'aurait pas pu être écrit sans leur aide. Mes remerciements également au Ministère de l'Éducation du Québec pour la bourse qui m'a été offerte pendant mon année de recherche et de rédaction.

Toute ma gratitude va au professeur M. Stefano Guzzini, Senior Research Fellow au

Danish Institute for International Studies (anciennement Copenhagen Peace Research Institute) et professeur associé au Département de Gouvernement de l'Université d'Uppsala

(Suède) pour sa correspondance riche et intellectuellement stimulante (pour ma part en tout cas!) sur un sujet qui semble tant le passionner, et surtout pour m'avoir fait l'honneur d'être membre de mon jury. Ses commentaires, conseils et critiques (en plus de ses nombreux écrits sur le propos) m'ont permis d'enrichir mon travail de recherche ainsi que d'étoffer mon argumentation. Je remercie également mon directeur de mémoire M. le professeur Mark R.

Brawley pour avoir accepté de superviser et d'aiguiller mon travail. Un grand merci en particulier à Monsieur le professeur Hudson Meadwell pour ses remarques d'ordre méthodologique concernant mon projet de mémoire. Merci également aux professeur( e)s M. Rex Brynen et Mme Barbara Haskel pour leurs commentaires au tout début de mes recherches. Aucun d'entre eux n'a bien entendu pris part à la formulation de toutes les erreurs recensées dans ce mémoire. Mes remerciements les plus sincères vont aussi à Mme la professeure Jane Jenson de l'Université de Montréal qui m'a gentiment fait bénéficier des locaux de son centre de recherche (Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et gouvernance) pour faciliter le commencement de mon travail de rédaction. Je tiens également

à exprimer ma reconnaissance à Alexandre Macmillan, Mathieu Loubet et Nicolaï Valkov pour leurs conseils et lectures partielles de ce mémoire.

Enfin, ce modeste (mais fatiguant) parcours intellectuel n'aurait pu être mené à terme sans l'encouragement continu de ma femme Keiko et de ma sœur Zoé.

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INTRODUCTION: LE DÉBAT RESTE OUVERT

La puissance : une notion à repenser

Le concept «puissance» (power) représente l'une des principales notions employées aussi bien par le discours des sciences sociales que par le discours politique (Hirst 1998 : 13 3) 1• La discipline des relations internationales lui voue quant à elle un véritable «culte» (Carroll 1972: 585). Les internationalistes font en effet souvent référence aux termes de « superpuissance », de «puissance moyenne », de «distribution de la pUIssance », de «puissance relative », d'« équilibre de la puissance », de «configuration de puissance », de «puissance structurelle », de «puissance militaire », de «puissance douce» (soft power), de « puissance économique» ou encore de « puissance créatrice» (Rothgeb 1993 : 18). Même si le vocable «puissance» est largement utilisé, il semble que les controverses qui entourent sa compréhension ont fait plus de mal que de bien à une discipline qui n'a pu ériger de consensus autour de ce concept (Alli son 1974: 131, Baldwin 2002: 177). L'entreprise analytique s'est en effet longtemps contentée d'examiner qui détient la puissance, sans prendre le temps de savoir ce qu'elle est (Knudsen 1979: 86). Confusion et ambiguïté ont alors entouré une notion qui a pu être comprise à la fois comme un élément possédé, une entité exercée, une relation, l'incarnation même d'un acteur ou simplement une action sur la scène internationale (Jansson 1979: 63, Boniface 1996). Face à cet imbroglio conceptuel, le terme «puissance» a parfois été considéré comme inopérant car insaisissable (Rosenau 1976: 39-40, Badie et Smouts 1992 : 149, Mueller 1995 : 711). Contrairement à l'idée reçue, cet embarras au sein d'une discipline pourtant née autour de ce vocable, n'est pas le fruit d'un trop plein de définitions, mais provient, à l'inverse, du trop peu d'attention dont il a fait l'objet (Guzzini 2000b : 53). Le débat sur la puissance reste donc ouvert.

Longtemps abandonné par les internationalistes à la seule théorie réaliste, le concept de puissance doit être retravailler à la lumière d'autres perspectives (Buzan 1984: 109-10). Ce processus nécessite néanmoins que soit écarté le carcan édifié autour des débats entre « puissance attributive », «puissance relationnelle », «puissance structurelle» et « puissance dispositionnelle» (dispositional) (Hart 1976, Morriss 1987: 20-8, Buzan 2000: 54-5). Élaborer une conceptualisation qui va au-delà des préceptes imposés par ces représentations de l'international n'a rien d'original. L'appréhension de la puissance par des approches qui

1 Le texte postule ici que les tenues français de «puissance» et de «pouvoir» sont synonymes. Une précision

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ont permis à la discipline de se diriger vers un

«

troisième débat» (Lapid 1989) 1 sort du cadre conceptuel posé par les écoles réaliste, néoréaliste, libérale, néolibérale, et structurelles -inspirées par la littérature en économie politique internationale et/ou par une approche gramscienne. Si elles mettent en exergue les valeurs heuristiques de la notion, les conceptualisations constructiviste, post-structuralistes, féministes ou critique participent toutefois elles aussi au flou entourant la conception sans proposer de définition intelligible. Bien qu'elles sortent de l'ossature analytique fixée par les débats imposés par les théories positivistes, leurs interprétations respectives partagent en effet avec elles un élément difficilement défendable. Toutes ces définitions de la puissance assimilent implicitement la notion de «puissance» au concept d' « autorité» ou encore à celui d'« influence ». Néanmoins, comme le souligne BaIl, ces termes ne doivent pas être confondus (1976 : 249). Cette confusion ressort de l'appréhension nécessairement «causale » de l'ensemble de ces conceptualisations. Or, comme le note Jervis, puisqu'il est parfois bon de prendre le risque de «réinventer la roue », ce mémoire se propose d'apporter une alternative non-causale à la définition de la puissance (2002 : 188).

La conceptualisation comme entreprise analytique en science politique

Avant de dresser les balises qui vont nous permettre d'exposer cette nouvelle conceptualisation de la puissance, il est indispensable de poser les bases méthodologiques du projet. Ce mémoire ne présente aucune hypothèse établissant des variables (indépendantes, intermédiaires, dépendantes) à définir et à mesurer les unes par rapport aux autres afin d'empiriquement démontrer une corrélation. Il ne s'inscrit donc pas dans l'orientation méthodologique dominante qui tente d'imposer la« recherche d'explication causale» en règle absolue de l'intellection du social (King et al. 1994 : 15). Les questionnements fondés sur la

recherche d'explication(s/ ne doivent pas s'accaparer l'ensemble du discours en science

politique et en relations internationales (Bleiker 1997: 63-5). La position prise par ce mémoire trouve dans cet argument son premier fondement. Exposer une conceptualisation

1 Le « troisième débat» est vu comme la création d'une opposition de nature « métathéorique » entre notamment

des positionnements théoriques adoptant une épistémologie positiviste (réalisme, néoréalisme, libéralisme, néolibéralisme, École anglaise, Marxisme, approche gramscienne), et d'autres se fondant sur une épistémologie post-positiviste (constructivisme, post-structuralisme, féminismes, théorie critique). Ce débat succéderait au « premier débat» (division entre « révolutionnarisme/idéalisme» et « conservatisme/réalisme »), et au « deuxième débat» (dichotomie entre « rationalisme/scientificité» et « non-rationalismelhistoire »). Certains estiment que la discipline aujourd'hui fait l'objet d'un « quatrième» débat (Wrever 1996). Cette vue généalogique de la discipline ne modifie en rien la substance du propos qui nous intéresse.

2 Par exemple, « Quelles sont les causes de la forme politique (démocratie, dictature) d'un État? », ou « Quelles sont les variables les plus significatives d'explication d'une guerre entre un État x et un État y? ».

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non-causale de la puissance nous oblige en effet à consacrer une section du mémoire aux déficiences de la causalité pour capturer les sciences sociales en général, et les relations internationales en particulier. Ensuite, comme le remarque David Laitin, l'édification des sciences du social ne s'est pas construite autour de la recherche systématique de causalité, mais, à la suite de Max Weber, autour de la «création de concept(s) clair(s») (Laitin 1995 : 455). Ce mémoire peut alors être (modestement) mis en parallèle avec les démarches conceptuelles de David Baldwin (1971a, 1971b, 1971c, 1971d, 1978, 1979, 1980,2002) et de Stefano Guzzini (1993, 2000a: 169-74, 2000b, 2001b, 2002) qui proposent les meilleurs aperçus de la notion au sein de la discipline des relations internationales.

Dans ce mémoire, la démarche méthodologique s'articule par conséquent principalement autour des préceptes de 1'« analyse conceptuelle» plutôt qu'autour de la recherche de corrélations (Guzzini 2002). À cet égard, la puissance est souvent entendue comme un «concept essentiellement contesté» (Gallie 1964: 157-91). Compris comme une notion dont l'usage approprié a fait, fait et fera éternellement l'objet de disputes d'intelligibilité, le «concept essentiellement contesté» est entrevu comme inutile aux sciences sociales et ne doit plus faire l'objet de discussion (Gallie 1964: 158). Les positions soutenues par Rosenau, Mueller, Badie et Smouts vont dans ce sens. Le conservatisme conceptuel/intellectuel de Gallie, s'il appelle implicitement à une lutte justifiable contre la pure sémantique, oublie néanmoins que tous les concepts sont « essentiellement contestés ». En effet, quel concept peut se targuer de faire l'objet d'un consensus au sein d'une discipline?1 L'important pour l'analyse conceptuelle est donc d'attribuer à un concept une signification qui empêche les usages incohérents et les incompréhensions qui en découlent (Guzzini 2002 : 3). Cette approche ne revient par conséquent pas à un simple exercice de style sémantique (Oppenheim 1975: 284). À l'inverse, le concept représente un «moyen» essentiel à la compréhension. Il facilite en effet la communication entre théoriciens en symbolisant leur unique médium de dialogue (Haas 1969: 169, Baldwin 1980: 472-3). L'objectif inhérent du concept est donc d'encadrer la pensée en permettant d'établir des vérités. Le concept incarne ensuite une «fin» du discours académique. L'analyse conceptuelle prend en effet la forme d'une véritable évaluation d'une théorie en son entier dans la mesure où la signification du concept dérive uniquement de l'ossature théorique dans

1 En relations internationales, la définition des concepts très souvent employés de «sécurité» (Baldwin 1997,

Buzan et al. 1998: 21-47), d'«intérêt national» (Nuechterlein 1979, Battistella 2002), ou encore de «régime international» (Haggard and Simmons 1987, Hasenc1ever et al. 1997: 8-22) par exemple, fait continuellement l'objet de débats.

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laquelle il est inséré (Guzzini 2002 : 12-3). Si la critique intrinsèque des différentes approches théoriques en relations internationales a toujours fait l'objet d'examen (Hoffmann 1961, Burchill 1996, Battistella 2003), questionner certaines de leurs conceptualisations pour en proposer une autre représente alors une forme d'analyse justifiable en relations internationales.

Hypothèse et plan du texte

Dans la littérature consacrée, la puissance est largement comprise comme une relation, une ressource, une structure ou un élément social qui «modifie» (c'est-à-dire qui cause) le comportement, la position ou l'identité d'un acteur. La puissance est donc souvent représentée comme une cause (variable indépendante ou intermédiaire) dans la recherche d'une explication. Or, la conception causale de la puissance n'est pas très féconde (Chazel 1976 : 59). Une perspective non-causale doit donc être érigée pour dépasser ces limites. Si Terence BalI est l'un des premiers à avoir annoncer que la puissance ne doit pas être entendue de manière causale, il n'a jamais offert d'alternative conceptuelle claire (1975a, 1975b, 1976, 1978a, 1978b). Ce mémoire prétend donc proposer cette alternative non-causale de la conceptualisation. L'originalité de la tentative ne doit toutefois pas être comprise comme un rejet définitif et sans appel des conceptualisations exposées par le passé. Certains traits de la démonstration trouvent leurs fondements sur des conceptualisations antérieures de la notion. Ce mémoire se veut simplement une ébauche théorique impliquant l'insertion d'objets analytiques trop largement ignorés. Le projet doit en conséquence être vu comme une simple

interpellation destinée à provoquer la discussion plutôt que comme une condamnation de la

discipline des relations internationales.

L'hypothèse conceptuelle est que la puissance doit être comprise comme un

instant-image spectaculaire qui émane sur l'écran télévisé (espace de l'international). La puissance

est donc une temporalité instantanée qui prend la forme d'une image télévisée spectaculaire. L'hypothèse affirme essentiellement qu'une réflexion en termes de «temps» et d'« espace », à laquelle appelle la volonté de dépasser l'interprétation non-causale du terme, offre des possibilités de lisibilité de la définition per se. Souvent insérées à un cadre historique bien spécifié, les conceptualisations de la puissance n'ont jamais réellement porté sur son caractère

intrinsèquement temporel. La démarche ici se situe donc au-delà des tentatives d'Alker (1973)

ou de Goldman (1974) qui, bien qu'ils aient le mérite d'intégrer la variable temporelle à leur étude de la puissance, examinent le concept à travers un schème temporel causal dans lequel

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la puissance «agit» sur le temps-futur (dans la modification du comportement d'un acteur par exemple). À contrario, la puissance est comprise dans ce mémoire comme un « phénomène» (au sens philosophique) ou un« événement» (au sens historique) qui n'agit pas sur le temps-futur. Pour être saisissable, cette temporalité doit toutefois occuper un « espace ». Sans ce lieu d'émanation, la définition de l'instant-puissance devient en effet tautologique. À cet égard, l'approche conceptuelle envisagée ici s'inspire amplement de la perspective spatiale proposée par Luke (1989, 1994, 1995). À l'instar de sa perspective, l'hypothèse soutient que l'écran télévisé incarne aujourd'hui le meilleur lieu de son émanation. À l'inverse de sa perspective cependant, la définition dans ce mémoire avance qu'elle ne peut représenter la cause de la modification d'un comportement (d'une position, d'une identité) d'un acteur. «Image» qui disparaît aussi vite qu'elle est apparue, la puissance (ou puissance-instant-image) s'oublie instantanément et n'a aucune conséquence sur les agissements des protagonistes du théâtre international. L'instant-image, pour être défini comme puissance, se caractérise par une nature « spectaculaire» qui le différencie des autres par son caractère inédit (non-banal) et qu'aucun autre instant-image n'a jamais permis d'émaner.

Ce mémoire se veut une esquisse à la fois politologique, mais aussi philosophique et historique des relations internationales. L'allusion à des débats qui intéressent peu les internationalistes nord-américains repose principalement sur la volonté de dépasser un discours américano-centré qui tend à faire des relations internationales une discipline indépendante des autres modes d'intelligibilité du social sans se rendre compte de l'apport de certaines controverses à son analyse (Hoffmann 1977)1. Le texte est divisé en deux parties égales. À la lumière d'une revue de la littérature, la première met en perspective l'ensemble des définitions exposées par le discours des relations internationales. Les carences d'ordre

méthodologique des conceptualisations offertes par les approches réaliste et néoréaliste (fongibilité, causalité), et celles d'ordre psychologique des définitions proposées par les théories libérale et néolibérale (contradiction intentionnelle), constituent l'ossature de la première moitié de cette première partie (Chapitre premier). Un second chapitre vient clore la revue de la littérature en soulignant, d'une part, les limites historiques des perspectives structurelles de la puissance, et d'autre part, les déficiences des conceptualisations

1 Il est toutefois vrai que les théories « constructiviste» (par la linguistique notamment), « post-structuraliste»

(par la généalogie nietzschéenne) et « critiques» (par une lecture normative inspirée par la philosophie allemande moderne) notamment, font appel à des schémas de pensée qui sortent du carcan simplement

économique des (néo)réalismes et (néo)libéralismes. Il faut cependant noter que ces théories sont plus largement le fait de non-Américains.

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constructiviste, post-structuralistes, féministes et critique de la notion (Chapitre deuxième)!. La seconde partie du mémoire érige une définition non-causale de la puissance. Peu entrevues dans la première partie, les déficiences de la nature causale de la puissance sont largement envisagées pour permettre de poser les bases d'une puissance sans conséquence (effet) sur le temps-futuy2. Les propos philosophiques (de nature phénoménologique) et historiques (nourris par le débat opposant la« longue durée» à 1'« événement ») notamment viennent ici articuler la compréhension d'une puissance-instant (Chapitre troisième). La seconde moitié de la seconde partie envisage de donner à cette instantanéité un espace d'émanation et voit dans l'écran télévisé (espace-écran) l'aire adéquate pour l'appréhender (puissance-instant-image). Dans la dernière section de ce chapitre, l'exemple de l'attentat du 11 septembre 2001 à New York vient illustrer le propos. Toute analyse de cet événement qui refuse une interprétation en termes d'instant imagé spectaculaire, repose en effet nécessairement sur un mécanisme causal fragile et peut donc être écartée (Chapitre quatrième).

LA

PUISSANCE

DANS LA THÉORIE DES RELATIONS

INTERNATIONALES

Avant de pouvoir prétendre présenter une définition originale d'un concept, un examen de la littérature qui y a été consacrée représente une étape indispensable (King et al. 1994: 16). Longtemps écartée de toute analyse, la «conceptualisation» de la puissance mérite une place fondamentale au sein de la discipline des relations internationales puisqu'elle représente l'une des notions les plus employées. Axe central autour duquel s'articule la théorie pionnière réaliste, le terme puissance contribue à la naissance même de la discipline des relations internationales, et demeure l'un de ses piliers théoriques tout au long de son évolution

1 La compréhension du concept, par l'École anglaise (Dunne 1998), a été volontairement écartée dans la mesure

où elle s'apparente largement à celle exposée par les réalistes (Bull 1977 : 113-4, Guzzini 2001a: 7). Voir, pour appuyer cette justification, Power Polities de Martin Wight (1946) par exemple. La primeur donnée aux conceptions (néo)réalistes et (néo)libérales au détriment d'une analyse plus poussée des perspectives plus pertinentes posées par les théories du « troisième débat », s'explique, en outre, par la quasi-mainmise des propos (néo)réalistes et (néo)libéraux sur la définition dans la littérature consacrée.

2 La discussion sur ce sujet se limite très largement aux deux appréhensions « positivistes» de la causalité (en tant qu'hypothèse universelle et qu'événement singulier). En effet, aucune approche post-positiviste en relations internationales ne conceptualise la puissance sous le prisme d'une causalité « non-positiviste ». Pour les besoins de l'analyse, la critique d'une conceptualisation de la puissance à la lumière d'une interprétation « non-positiviste» de la causalité sera brièvement envisagée (Patomliki 1991 : 234).

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(Boniface 1994). L'examen de son entendement représente en conséquence un terrain essentiel à la compréhension des relations internationales dans leur entier.

Dans la mesure où un concept est dépendant de la théorie dans laquelle il est utilisé -c'est-à-dire que sa signification provient de la manière avec laquelle il est enchâssé dans la théorie - il est inutile d'alléguer qu'un théoricien utilise un concept « faux », à moins d'être capable de relever des incohérences au sein de la théorie. La critique d'un concept est donc nécessairement interne au corps théorique qui l'emploie (Guzzini 2001b: 17). L'orientation choisie dans cette partie propose par conséquent d'entrevoir les faiblesses des conceptions de la puissance au sein de chacune des théories. L'ossature argumentative de cette première partie est alors découpée selon les corps doctrinaux dominants en relations internationales.

Cette première partie est divisée en deux chapitres. Le premier chapitre examine les démarches positivistes élaborées par les théories réaliste, néoréaliste, libérale et néolibérale. Cette étape préliminaire fonde ses bases analytiques sur une critique de la puissance entendue en tant que concept «attributif» et «relationnel ». La première moitié du second chapitre souligne les carences de nature historique des interprétations « structurelles» de la puissance. La deuxième moitié du second chapitre étudie les conceptualisations exposées par les perspectives interprétatives (ou positivistes) que sont les théories constructiviste, post-structuraliste, féministes, et critique (entendue comme application des préceptes de l'École de Francfort à la sphère internationale), et met en exergue les lacunes distinctives qui les caractérisent.

CHAPITRE PREMIER

REVUE DE LA LITTERATURE DOMINANTE SUR LE CONCEPT DE

PUISSANCE: LIMITES DES PERSPECTIVES (NEO )REALISTES ET

(NE 0 )LIBERALES INTRODUCTION

Parce qu'ils constituent les deux principaux discours théoriques des relations internationales, le réalisme (Carr 1939, Morgenthau 1948, Donnelly 2000) et le libéralisme (Angell 1909, Doyle 1986, Moravcsik 1997) se posent en fondateurs des démarches conceptuelles de la

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discipline. L'examen de leur appréhension respective de ce que signifie la puissance est par conséquent un préalable indispensable à toute revue de la littérature consacrée à cette notion. Cet examen serait toutefois incomplet s'il omettait les perspectives exposées par les progénitures «néo- » de ces deux courants. Un espace non-négligeable est donc accordé aux conceptualisations néoréaliste et néolibérale de la notion.

Deux intellections ressortent de l'introspection des présentations réalistes et libérales de la puissance. La première, attributive, peine à convaincre dans la mesure où elle reflète un schéma méthodologiquement inconsistant (fongibilité). La seconde, relationnelle, présente des difficultés puisqu'elle propose une argumentation méthodologiquement inopérante (causalité) et psychologiquement réfutable (contradiction intentionnelle). Ce premier chapitre expose en conséquence les faiblesses des définitions données à la notion par les quatre principales théories des relations internationales à la lumière de ces insuffisances. L'esquisse dessinée dans ce premier chapitre forme une grille d'analyse essentielle à toute revue de la littérature sur la puissance car ces théories tentent de monopoliser l'entendement de la notion.

Alors que la première section de ce chapitre porte son attention sur les inconsistances

méthodologiques de l'exposé conceptuel réaliste, la deuxième voit le paradigme néoréaliste1 critiqué pour son manque de démarcation conceptuelle par rapport au réalisme classique pourtant fragile. Les troisième et quatrième sections mettent l'accent, respectivement, sur l'entendement «doux» (soft) de la puissance, et sur le regard croisé entre puissance et « interdépendance» pour capturer respectivement les significations libérale et néolibérale du terme étudié dans ce mémoire. Une critique d'ordre psychologique vient fragiliser leurs perspectives conceptuelles.

PUISSANCE ET (NEO)REALISME : LES INCOHERENCES n'UN CONCEPT PHARE Au cœur des tourments de la notion centrale d'une théorie

Alors que certains auteurs s'attardent sur une critique d'ordre idéologique et moral du réalisme (Rosenberg 1990 : 296-9), ou sur sa tendance à puiser dans les autres théories pour

1 Le terme paradigme est ici entendu dans son sens kuhnien, c'est-à-dire comme un ensemble de propositions

dont les accomplissements sont suffisamment remarquables pour être conventionnellement acceptés dans tout ou partie de la communauté savante, et à partir desquelles s'ouvrent des perspectives suffisamment vastes pour fournir toute sorte de problème à résoudre (Kuhn 1962: 29-30).

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se perpétuer sans tenir compte des confusions que cet ajustement engendre (Legro et Moravcsik 1999), la critique la plus fondamentale implique une recension des incohérences de son entendement de la notion de puissance (Buzan 1996 : 51). Édifiée autour du concept de

power politics (politique de puissance), la vision réaliste peine en effet à dresser une intellection satisfaisante de sa « définition» de cette puissance. Cette constatation est d'autant plus déplorable que le réalisme classique, en représentant le premier paradigme de la discipline des relations internationales en Amérique du Nord et en Europe, a donné la mesure dans la compréhension des notions utilisées dans cette discipline.

Le réalisme classique expose la puissance essentiellement sous deux dimensions attributive et relationnelle (Morgenthau 1948: 9-27). En niant la non-fongibilité de la puissance, la première dimension rend la tentative réaliste vulnérable. Insérée à un mécanisme causal déficient, la seconde souligne le caractère infalsifiable et les limites de la perspective. Si le néoréalisme de Waltz (1979) est venu élargir les valeurs heuristiques du réalisme classique de Carr (1939) et Morgenthau (1948) pour s'ériger en nouveau paradigme, sa principale difficulté provient de sa conformité involontaire aux préceptes instaurés par le réalisme. Il adopte en effet les deux appréhensions attributive et relationnelle, et ne peut, par conséquent pas, faire de la définition réaliste un outil conceptuel très convaincant. Parce que le néoréalisme affirme ne pas partager la même acception de la notion de la puissance que le réalisme, l'étude des aspects et faiblesses de leur vision de la puissance gagne toutefois à séparer l'examen en fonction de la dichotomie théorique entre ces deux courants. L'analyse conduit à la conclusion que les théories réaliste et néoréaliste dominantes, parce qu'érigées autour du concept de puissance, doivent définitivement être discréditées (Guzzini 2001a).

La puissance réaliste ou les imbroglios d'un concept

La puissance attributive: une puissance-ressource difficile à délimiter

La perspective attributive exposée par la théorie réaliste assimile la puissance d'un acteur avec la ou les «ressources» à sa disposition (Baldwin 2002: 179). La mise en avant de la dimension du territoire et de son positionnement géographique, des ressources naturelles, de la capacité industrielle, de la taille et de la nature des frontières (aériennes, maritimes et terrestres), des capacités militaires, de la préparation militaire, de la population, du caractère national, du moral national, du développement économique et technologique, des réserves monétaires et de la qualité de la diplomatie pour définir la puissance, indiquent que l'approche

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attributive conçoit la notion comme un éventail «relatif» de moyens matériels et psychologiques à la disposition de l'acteur (l'État) (Jones 1954, German 1960, Aron 1962 : 63, Kennedy 1988 : 25, Merritt et Zinnes 1989, Guillen 1994, Boniface 1998 : 29-40).

Avant d'entrevoir ses carences de nature méthodologique, il paraît indispensable de cerner les difficultés de la définition attributive à délimiter le champ embrassé par la «ressource ». D'abord, il semble ardu, pour prétendre offrir un schéma généralisable, de savoir quel élément privilégier, et quel autre délaisser, tout étant en définitive susceptible de constituer une ressource (Baldwin 1979: 165, Sjôstedt 1979 : 46). Ensuite, s'il est possible de mesurer et d'additionner le nombre de chars ou d'avions par exemple, comment est-il envisageable de mesurer un élément comme le «moral national» sans prendre le risque d'exposer une vision stéréotypée? De quelle manière, en outre, «additionner» ce moral national au nombre de chars ou d'avions sans ériger une mesure vide de sens (Bell 1969 : 15-6)? Puis, chacun des outils pris isolément ne possède aucune valeur propre. Dans la mesure où tous les facteurs dépendent les uns des autres pour posséder la qualité de facteur de puissance (par exemple, sans population, les avions ne volent pas, et sans ressource agricole, les populations ne peuvent faire la guerre) ils paraissent en définitive tous intrinsèquement neutres et peuvent difficilement prétendre à une quelconque qualité de puissance (Cailleteau 1994: 94, Le Bras 1994: 43, Merlin 1994 : 80, Thual 1994 : 64). Enfin, si une ressource peut constituer un atout dans une situation, le fait qu'elle puisse s'avérer un handicap dans une autre rend caduque toute volonté de lui accorder une qualité inhérente de puissance (Baldwin 2002: 179). À ces complications viennent s'ajouter des difficultés d'ordre méthodologique.

Une théorie née sur un malentendu méthodologique: puissance attributive comme fin ou comme moyen ?

En plus des difficultés à appréhender la ressource comme définition per se de la puissance, la théorie réaliste rencontre une complication d'ordre méthodologique quand vient l'insertion de cette appréhension attributive à son architecture théorique. Si Carr, par exemple, commence par attribuer à la puissance l'étiquette de «moyen» à la disposition d'un État pour atteindre une « fin» (la sécurité), il affirme qu'elle est également un objectif de 1'État (c'est-à-dire une fin) (1939: 105, 120). Dans le même ordre d'idée, Morgenthau avance que la puissance est un moyen au service d'une fin - définie, elle aussi, comme la puissance (1948: 27). Plus récemment, bien qu'il débute en caractérisant la puissance comme l'intérêt (ou objectif) premier d'un État, Knorr soutient que la puissance représente son meilleur instrument (ou

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moyen) pour parvenir à son objectif (1975 : 9, 22). Or, comment le terme puissance peut-il représenter simultanément l'intérêt premier d'un acteur et le meilleur moyen à sa disposition pour atteindre cet intérêt premier sans que l'observateur ne soit confondu et que le raisonnement tourne à une argumentation circulaire (Aron 1964 : 39)?

C'est par le truchement des mécanismes théoriques économiques que la tentative réaliste d'identifier un moyen d'atteindre une fin à cette fin elle-même tente de trouver une perspective salvatrice face

à

cette limite de nature méthodologique. L'argent ne peut-il en effet pas être admis à la fois comme moyen et comme fin au cours d'une même transaction? L'entrepreneur n'utilise-t-il pas de l'argent (moyen) pour obtenir de l'argent (fin)? Au même titre que l'entrepreneur, l'État (unique acteur sur la scène internationale) dans la théorie réaliste emploierait sa puissance pour atteindre de la puissance, et les fondements d'un concept (et d'une discipline) seraient préservés. Le parallèle dessiné entre mécanisme économique et processus politique est cependant fragilisé quand est examinée la logique qui y est attachée.

Cette amalgamation entre la fin et le moyen dans l'intelligibilité du concept de puissance s'édifie sur l'impression que la puissance est un élément social fongible. Le terme

« fongibilité» fait référence à la facilité avec laquelle un bien meuble (ou ressource) dans une sphère peut être utilisé dans d'autres sphères (Baldwin 1993 : 20). Or, alors que la fongibilité de l'argent ne semble faire aucun doute - un individu peut vendre sa voiture pour de l'argent, puis utiliser cet argent pour acheter une télévision - il paraît malaisé d'en caractériser la puissance en relations internationales (Baldwin 1971b). Il semble en effet ardu de voir dans la puissance militaire (la possession d'une bombe nucléaire par exemple) un instrument utile de politique monétaire (la fixation d'un taux d'intérêt par exemple) (Guzzini 200la: 8-9). La lumière mise sur l'impossibilité méthodologique de saisir la puissance comme élément fongible montre, par conséquent, que le parallèle établi entre l'argent et la puissance n'a en définitive pas plus d'effet qu'un placebo, et que la puissance ne peut prendre la forme d'un

médium d'échange. Les contrariétés méthodologiques ne se confinent toutefois pas au caractère attributif de la puissance réaliste et doivent également être appréciées dans sa conceptualisation relationnelle.

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Les déficiences de la puissance comme contrôle

ou le caractère infalsifiable d'une conception

Face aux contrariétés d'une puissance attributive axée sur les ressources, certains tenants de l'approche réaliste des relations internationales ont agencé leur définition en fonction de la compréhension du terme pouvoir présentée par la littérature pluraliste via Russell (1938 : 25), Dahl (1957: 80), ou encore Lasswell et Kaplan (1950: 75) dans leur explication des mécanismes politiques au sein des sociétés humaines - étatiques notamment!. Ces auteurs voient le «pouvoir» (et les internationalistes, la «puissance ») comme la capacité d'un acteur A à obtenir quelque chose (un objet, une action, une inaction) d'un acteur B que cet acteur B n'aurait pas fait ou procuré sans l'action du protagoniste A2. Si cet ajustement, par les internationalistes, évite les lacunes méthodologiques reliées à la perspective fongible de la puissance, il n'échappe aucunement aux carences de la causalité (Baldwin 2002 : 178). Un examen des insuffisances pour définir la puissance de manière causale est en conséquence ici exigé3.

L'aspect relationnel de la puissance réaliste suppose en effet une explication en termes de causalité. Pour que la puissance soit exercée (par l'acteur A) et subie (par l'acteur B), une action a (l'agissement de A) doit entraîner une (ré)action b (le comportement de B). Quatre

limitesfondamentales de nature méthodologique viennent limiter cette entreprise relationnelle de définir la puissance. Premièrement, il semble impossible d'établir s'il y a présence ou non de puissance sans passage à l'acte comme révélation ou mesure de la puissance (Aron 1964 : 30). Seules les tentatives réussies de modification du comportement d'un autre acteur constituent donc les preuves que la puissance existe (Caporaso et Haggard 1989: 103-4). Saisir la puissance en tant que contrôle revient alors à définir la cause d'une action (la puissance) en fonction de ses conséquences : tout événement peut alors être expliqué ex post pour se conformer à l'hypothèse de départ, et rendre ainsi la proposition causale infalsifiable (Guzzini 1993 : 449, Guzzini 2000b : 56-7, Buzan 2000: 51). Deuxièmement, si la présence

1 Les termes pouvoir et puissance dans la langue française ne forment qu'un seul mot dans la langue anglaise (power). Les internationalistes anglo-saxons se sont donc inspirés des travaux réalisés en vue d'appréhender les relations de pouvoir au sein des scènes domestiques. La littérature francophone n'a pas osé franchir le pas, influencée par la pourtant fragile distinction que fait Raymond Aron entre les deux termes (1962 : 60).

2 Le terme « acteur A» désignera, tout au long de cette étude, l'agent exerçant de la puissance, et le terme

« acteur B » désignera l'agent sur qui est exercée la puissance de A.

3 L'ensemble de ces points sera plus largement exploré dans la seconde partie de ce mémoire, la définition

défendue dans la seconde partie minimisant l'intérêt de la causalité dans la compréhension du concept. Il n'est pas nécessaire ici de s'étendre sur les raisons pour lesquelles seules les interprétations positivistes de la causalité sont abordées, le réalisme (comme le néoréalisme) étant explicitement une théorie « positiviste ».

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ou l'absence de puissance dépend d'une modification dans le comportement d'un acteur B, la proposition s'avère péniblement lisible. En effet, dans le cas où A agit à l'encontre de B afin d'obtenir de lui quelque chose qu'il n'aurait autrement pas fait ou procuré, et voit sa demande refusée par B, A peut encore être considéré comme détenteur de puissance sur B dans la mesure où ce dernier a réalisé quelque chose qu'il n'aurait pas autrement fait ou procuré, dans

l'action même de refuser (BalI 1975a: 205, 1978a: 616). L'acteur A, en définitive, est

puissant qu'il cause ou non le comportement de B, et jamais la proposition n'est falsifiée. Troisièmement, comment distinguer la cause dans une multiplicité de causes susceptibles d'avoir participé à la modification du comportement de B (Ragin 1987: 23-30)? Cette limite encourage certains à qualifier la perspective relationnelle de trop générale - d'approche qui prospecte à définir la « causalité sociale )) plutôt que la notion de puissance (ou de pouvoir) elle-même (BalI 1978a: 615). Enfin, postuler que la puissance est une relation de causalité revient à considérer que sans l'action de A, le comportement de B aurait été autre (Riker 1958: 283). Or, comment être assuré que l'évolution de la conduite de B ne se serait

nécessairement pas réalisée sans l'acte posé par A (Little 1991 : 25-6)? Avec quel outil

intelligible l'analyste peut-il être certain de cette proposition s'il est impossible d'observer les hypothèses contre-factuelles (contrefactuals) - c'est-à-dire de considérer le comportement de B si A n'avait pas entrepris son action dans la mesure où A a entrepris son action (Holland 1986: 947, Fearon 1991 : 173, Fearon 1996: 40)? Parce que l'ensemble des sciences sociales peine à appréhender un phénomène par une méthode impliquant le cheminement analytique causal, l'interprétation de la puissance comme contrôle du comportement exposée par les réalistes (et reprise par la majorité de la littérature consacrée) perd en acuité. L'adoption, par le néoréalisme, de ces accoutrements réalistes vient fragiliser la perspective de Waltz (1979).

Le néoréalisme et la puissance ou l'aveuglement d'un paradigme

La fIXation néo réaliste sur la puissance

Insatisfait par l'argumentaire réaliste, l'agenda néoréaliste voit le jour avec la parution de l'ouvrage Theory of International PoUtics de Kenneth Waltz (1979). Tout en écartant son analyse de l'ossature réaliste présentée par Carr ou Morgenthau, l'approche néoréaliste (ou structuro-réaliste) impute au concept de puissance une responsabilité déterminante. En critiquant les perspectives «réductionnistes)) fondées sur les premier et deuxième niveaux d'analyse (l'être humain et l'État), le néoréalisme alloue à la structure (troisième niveau) du système international le rôle principal pour saisir la complexité des relations internationales.

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L'explication du comportement des acteurs et des phénomènes politiques qui se déroulent sur la scène internationale (les guerres, les alliances, les transactions financières, par exemple) ne doit pas être appréhendée selon une vision axée sur la nature humaine hobbesienne ou sur les dynamiques internes aux États (rivalité d'intérêts entre groupes, partis, organes législatifs, administratifs ou économiques), mais au contraire selon les interactions inhérentes entre ces États dans la structure au sein de laquelle ils n'ont pas d'autre choix que de coexister. Si Waltz définit la structure en fonction de trois attributs (son ordonnancement, la fonction de ses unités, la distribution de la puissance en son sein), il octroie à la seule

distribution de la puissance les qualités explicatives (1979: 88-99). Parce que l'ordonnancement structurel se caractérise par l'anarchie (c'est-à-dire l'absence d'organe suprême pour régler les différends), et parce que la fonction des unités (les États) est la même pour toutes (c'est-à-dire lutter pour sa propre survie), la compréhension des agissements des acteurs sur le théâtre international passe alors inévitablement par l'observation de la distribution de la puissance entre des acteurs inégalement desservis (en termes de capacités matérielles) (Nye 1988 : 241).

Puisqu'elle concentre également son analyse sur la notion de puissance, la perspective néoréaliste tente alors d'échapper aux échecs rencontrés par l'école réaliste classique en proposant une approche distincte de la notion. Mécontent du peu d'importance allouée à la « structure» dans l'entendement de la puissance par les réalistes, Waltz prétend rejeter la perspective relationnelle pour exposer la sienne: un acteur est puissant s'il affecte davantage un autre acteur que ce dernier ne l'affecte lui-même (1979 : 192). Cette proposition confond l'observateur plus qu'elle ne le guide vers la compréhension du terme dans la mesure où elle s'avère critiquable, paradoxalement, à la fois comme puissance attributive et en tant que puissance relationnelle (et non comme puissance « structurelle ») 1 •

Néoréalisme, puissance et

l'empreinte attributive des classiques

Les condamnations prononcées contre une vision de la puissance comme ressource (puissance attributive) fournissent un argument utile pour une critique de la définition proposée par les structuro-réalistes. Parce que le néoréalisme prétend concevoir la puissance uniquement

comme un moyen (Waltz 1990 : 36), il paraît loisible à l'examinateur de lui opposer les quatre obstacles relevés antérieurement. D'abord, en focalisant sur les capacités militaires et

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économiques, Waltz omet d'autres aspects non négligeables (culturels, idéologiques, par exemple). En outre, s'il met l'accent sur l'aspect mesurable des données militaires et des statistiques économiques, il ne parvient pas à les agréger pour arriver à une définition complète et adéquate des ressources. Par ailleurs, sa concentration sur les formes militaire et économique de la puissance n'échappe en rien au problème de la neutralité intrinsèque de chacun des facteurs (sans capacité économique, pas de capacité militaire, par exemple). Enfin, Waltz ignore qu'une ressource peut s'avérer à double tranchant - c'est-à-dire une ressource qualifiée, dans un cas, d'atout, et dans un autre, d'obstacle - et se voir dénier toute qualité immanente de puissance.

Les critiques de nature méthodologique viennent par ailleurs bousculer cette construction théorique de la puissance. Si Waltz se défend de caractériser la puissance comme un moyen plutôt que comme un moyen et une fin, il avance que les États cherchent la domination universelle (1979 : 118). Comme le souligne Keohane, cette recherche - et donc cette fin - ne se situe pas très loin de la notion de «maximisation de la puissance»

(maximizing power) chère au réaliste Morgenthau (Keohane 1986: 173-4). La puissance néoréaliste représenterait ainsi aussi bien un moyen qu'une fin de l'État sur un théâtre mondial modelé par 1'« équilibre de la puissance» (Waltz 1979: 118). Alors qu'il refuse de faire du même élément à la fois une fin et un moyen, Waltz défend en effet l'idée selon laquelle la puissance est un élément fongible comme peut l'être l'argent. Or, comme déjà entrevu précédemment, la non-fongibilité de la puissance fait perdre à l'analyse toute son acuité (Guzzini 2000b: 54). En avançant - sans démontrer - que la puissance est plus fongible que certains ne le prétendent, Waltz ne présente pas, a posteriori, de réponse consistante et n'offre pas à son cadre d'analyse de méthodologie rigoureuse pour conceptualiser de manière cohérente le terme (Waltz 1986 : 333).

La puissance relationnelle néo réaliste à l'épreuve de la causalité

Les réprobations formulées à l'encontre d'une conceptualisation relationnelle de la puissance (comme contrôle) participent également au désaveu de la définition néoréaliste. D'abord, alors qu'il critique l'aspect relationnel et causal d'une puissance comme contrôle, Waltz semble paradoxalement adopter cet élément à sa définition. «Affecter» un Autre n'implique-t-il en effet pas une relation de causalité? Le fait, pour un acteur, d'affecter un autre acteur suppose nécessairement une transformation de l'état et des agissements de ce dernier

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(économiques, militaires ou autres) après incitation de la part du premier acteur. La

définition, en suivant le chemin pris par le réalisme, s'égare alors dans les troubles de l'analyse causale. Ensuite, sa conceptualisation de la puissance entre en contradiction avec sa suggestion de nature structuraliste que la détermination de la puissance n'est pas fonction des conséquences d'une action (1979: 192) : comment savoir si un protagoniste affecte davantage un autre que ce dernier ne l'affecte, sans observer leurs comportements respectifs après

l'action de l'un sur l'autre? Enfin, son entendement va à l'opposé des affirmations qu'il a données sur les capacités matérielles tout au long de son raisonnement: alors qu'il met d'abord l'accent sur les ressources militaires et économiques à la disposition des États au sein de la structure du système dans laquelle ils sont insérés (puissance attributive), Waltz présente, à la fin de son ouvrage, une définition relationnelle (<< affecter l'Autre »). En voulant éviter, à la fois, la configuration relationnelle et la forme attributive exposées par les réalistes, W altz a en définitive adopté les deux rendant ainsi son entreprise vulnérable (Baldwin 2002 :

184)1.

Néoréalisme et puissance: nU novi sub sole?

Malgré le passage de l'ouragan (la brise ?) néoréaliste, la perspective de Waltz n'a rien modifié à la conception réaliste classique de la puissance, ou, au pire, a participé à troubler davantage les fondements conceptuels d'une théorie chancelante. Bien qu'il affirme vouloir s'en écarter, Waltz reprend finalement une partie non négligeable des préceptes proposés par les réalistes classiques, et épouse conséquemment leurs déficiences méthodologiques (fongibilité et causalité).

Une dernière remarque vient conclure cet horizon destiné à démontrer que la démarche conceptuelle néoréaliste émet un projet laborieux. Le néoréalisme semble confondre la notion de puissance à des concepts pourtant différenciés par le champ de la philosophie des sciences. Les errements du néoréalisme vers l'intelligibilité de la conception de la puissance proviennent de l'assimilation qu'il fait entre «puissance» (power), et les

notions de «force» (force) et surtout de «solidité» (strength) (Waltz 1967 : 339, 1979:

113-1 La triple critique de Baldwin ici ne doit pas être vue comme une critique de la notion de « structure» proposée

par Waltz. Comme noté précédemment, celui-ci définit cette dernière en fonction de trois attributs: son ordonnancement, la fonction de ses unités, la distribution de la puissance en son sein. Or, la critique de Baldwin ne focalise aucunement son attention sur l'ordonnancement de la structure (l'anarchie), ni sur les fonctions de ses unités (la lutte pour la survie). Bien que le troisième critère de la définition (la distribution de la puissance) soutienne le cadre explicatif du néoréalisme, la définition de la structure par Waltz ne peut en effet être réduite à

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4). En identifiant la puissance à ces notions, Waltz et ses apôtres néoréalistes ignorent qui est le sujet de la puissance alors qu'ils font de cette notion un élément social «endogène » - qui est détenu par un agent. Par exemple, avancer qu'un objet inanimé x (par exemple, une bombe nucléaire) a de la puissance pour produire une conséquence (par exemple, anéantir une ville et ses habitants) revient à dire que si l'objet x est sujet à un stimulus y approprié (par exemple, le lancement et l'enclenchement de la bombe nucléaire), alors x fera l'action z (par exemple, la bombe nucléaire explosera) en raison de sa nature intrinsèque - de ses propriétés immuables qui font que cet objet x doive inévitablement exploser après enclenchement d'un processus adéquat (Harré 1970: 84-5, Harré et Madden 1975 : 86). L'erreur du néoréalisme est en définitive de confondre ce genre d'explication de la puissance physique à celle de la puissance d'entités humaines et sociales: si l'on accepte cette définition néoréaliste de la puissance, alors la puissance est «détenue » par la bombe nucléaire et non pas, paradoxalement, par l'acteur des relations internationales. Alors que le premier cas de puissance (de la bombe nucléaire) est d'ordre causal et relève des lois universelles de la physique, la seconde est contingente et relève de conventions sociales intersubjectives, de règles et d'institutions au sein desquelles les acteurs interagissent et équilibrent leurs relations (Garst 1989 : 20-1).

Réalisme, néo réalisme et la puissance ou le discrédit d'un paradigme

Les deux premières investigations de cette partie ont indiqué en quoi la théorie fondatrice des relations internationales en tant que discipline et le paradigme actuel qui s'en inspire, pêchent par leur manque de rigueur méthodologique quand sont présentées leurs définitions de la puissance. La nécessité des réalisme et néoréalisme à saisir le concept comme élément fongible pour défendre leur perspective attributive rend la conception intenable. En dépendant d'un raisonnement causal infalsifiable, la perspective relationnelle de la puissance (néo)réaliste paraît peu convaincante.

La discussion érigée sur la distinction entre puissance attributive et puissance relationnelle a d'abord permis d'articuler la critique de nature méthodologique autour des notions de «fongibilité» et de «causalité ». La critique a ainsi remédié à une confusion parfois entreprise qui entrevoit la puissance attributive comme élément causal (Buzan 2000 : 51). Parce que simplement définie comme une ressource, la vision attributive ne suggère, contrairement à la vue relationnelle, aucune modification du comportement de la part d'un acteur (Baldwin 2002: 178). La discussion engagée ici a ensuite, et surtout, identifié la

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principale raIson de définitivement discréditer les théories réaliste et néoréaliste comme inventaires analytiques dominants des relations internationales (Guzzini 2001a). Parce qu'agencées autour du concept de puissance, ces deux théories voient en effet leurs charpentes sérieusement fragilisées.

Destiné à simplement souligner les carences conceptuelles de la puissance avancées par les théories des relations internationales, ce mémoire ne peut engager ici une critique plus large des (néo)réalismes comme discours dominants. Alors que la focalisation dans cette section a porté sur les difficultés méthodologiques des entendements réaliste et néoréaliste de la puissance, la prochaine section autorise, en plus, une visualisation des insuffisances de nature psychologique (contradiction intentionnelle) qui remettent en cause les projets libéral et néolibéral d'entendement de la notion.

PUISSANCE ET (NÉO)LIBÉRALISME OU COMMENT NE PAS SORTIR UNE APPROCHE THÉORIQUE DES SABLES MOUVANTS CONCEPTUELS

Est-il possible de se libérer d'un concept?

Si elle ne figure pas au cœur de leur ossature argumentative, la puissance a pourtant largement été étudiée par les libéraux et les tenants du néolibéralisme institutionnell. Proposé comme

axe central de la théorie des relations internationales par la perspective réaliste, le concept de puissance a en effet été analysé par une approche libérale opposée aux théories (néo )réalistes qu'elle présente comme surannées. Afin d'affronter le paradigme, et à défaut de s'attaquer à ses bases épistémologiques (ces courants partageant un caractère positiviste), ne faut-il pas, entre autre, entamer la démarche consistant à ébranler ses fondements conceptuels ? Malgré l'effort consacré à critiquer et à redéfinir la notion centrale des approches rivales, et malgré l'adoption du langage parlé par les (néo)réalistes, les (néo)libéraux ne semblent cependant pas participer au même dialogue.

En assimilant « puissance» et « influence », et en bâtissant un agenda de recherche sur les notions de «dépendance» et d'« interdépendance », les approches (néo)libérales ont en effet quitté le terrain conceptuel sur lequel la joute théorique s'est pourtant engagée. Même si elles s'attachent à remédier à deux des principales critiques faites au réalisme en accordant de

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la puissance aux acteurs non-étatiques, et en mettant l'accent sur son caractère non-fongible, ces perspectives remanient de manière si catégorique la conceptualisation de la puissance, que ses tenants peinent à ne pas la confondre avec des notions connexes.

Parce que le libéralisme et sa projection «néo- » n'adressent pas le même regard sur le terme puissance, il est indispensable de recenser leurs définitions respectives, et d'exposer leurs carences propres. Alors que la première approche, en fondant un nouveau concept de

soft power, peut être accusée de ne pas réellement s'inscrire au débat proposé par le paradigme de la discipline, la seconde sert explicitement la recette indigeste néoréaliste. L'étude dans cette section permet d'avancer que les conceptualisations (néo)libérales, en plus d'exposer elles aussi certaines carences de nature méthodologique étudiées auparavant, établissent une argumentation contradictoire à la vue des questionnements psychologiques impliqués dans l'examen de la puissance (contradiction intentionnelle).

De la hard power à la soft power ou que faire de la notion d'influence?

La mise en avant par la théorie libérale de la nécessité de séparer les différentes « sphères» dans lesquelles interagissent les États constitue une avancée méthodologique contre les conceptions (néo)réalistes d'une puissance fongible. L'approche libérale adopte en effet une vision désagrégée de la puissance alors que les écoles réaliste et néoréaliste l'entrevoient comme une agrégation d'instruments utilisables indistinctement des sphères dans lesquelles elle existe (Buzan 2000: 53). Tout char (sphère militaire) n'est plus analytiquement considéré comme instrument de politique monétaire (sphère économique) (Deutsch 1967: 240, Mandelbaum 2002). La focalisation sur les diverses sphères de puissance rendrait donc l'examen moins difficile et participerait à faire de la perspective libérale un instrument plus malléable (Baldwin 1979: 163-4). Cette proposition provient de l'idée avancée par les politologues Harold Lasswell et Abraham Kaplan selon laquelle le «pouvoir» (et par extension, la « puissance » pour les internationalistes) doit notamment être scruté en fonction de sa sphère (scope) et de son étendue (domain) (1950: 77).

S'il ne prend pas en considération la «sphère» de la puissance d'un acteur - entendue comme la dimension (économique, militaire, ... ) de B affectée par A - l'observateur ne peut prétendre comprendre, selon la perspective relationnelle, qu'un acteur puisse imposer ses vues dans une sphère mais pas dans une autre (Strange 1975 : 220). La mise en avant du contexte

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indispensable pour expliquer la modification (ou la non-modification) du comportement d'un acteur à la suite de l'agissement d'un autre. Par ailleurs, sans identification par l'examinateur de 1'« étendue)) de la puissance d'un acteur - comprise comme le nombre d'acteurs susceptibles de se voir imposer les visées d'un acteur - il paraît vain d'établir une quelconque relation de puissance : un protagoniste peut posséder une grande puissance dans une région du monde, et être impuissant dans une autre (Holsti 1978: 522). L'importance accordée aux conditions géographiques vient donc concourir à la compréhension de la présence ou de l'absence de relations de puissance entre deux acteurs évoluant dans deux aires géopolitiques différentes. Cette introduction de l'importance des sphère et étendue de puissance délivre donc le libéralisme du problème méthodologique rencontré par les (néo)réalistes attachés à

faire de la puissance un élément fongible d'analyse.

En plus de désirer échapper aux difficultés méthodologiques de concevoir la puissance comme un élément fongible, la perspective libérale prend certains fondements du réalisme à contre-pied en attribuant aux acteurs non-étatiques une puissance au niveau international (Smouts 1980). Édifiée au lendemain de la Première Guerre mondiale, la théorie réaliste s'est en effet uniquement consacrée à l'étude de la puissance de l'acteur étatique. Tout autre acteur était dépourvu de puissance. Selon la perspective libérale, qui ne lui attribue aucune qualité ontologique, l'État (ne formant qu'une agrégation d'intérêts hétéroclites de divers individus, groupes, bureaux, assemblées ou entreprises), ne peut être présenté comme détenteur de puissance (Moravcsik 1997 : 516-8). La puissance doit être entrevue comme une répartition de capacités entre chacune des pièces du puzzle qui forment l'État. La conceptualisation de la puissance doit donc procéder par l'incorporation d'acteurs disparates au sein de l'organe étatique (pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif; société civile/gouvernement ; régions administratives, par exemple), et, à un niveau transversal, entre ces divers acteurs sur une scène mondiale transnationalisée (individus, mercenaires, groupes terroristes, lobbies nationaux, firmes multinationales, organisations internationales, organisations non gouvernementales, réseaux de communication, communautés épistémiques, grandes entreprises nationales, castes religieuses, mafias, organes administratifs). L'ensemble de ces « nouveaux acteurs )), en participant à la diffusion des processus politiques, sociaux, économiques et culturels à travers le globe, se voit octroyer une part de puissance (Brown 1973, Hoffmann 1975, Smart 1975, Bundy 1977, Ohmae 1991, Haas 1992, Laïdi 1994: 248-9, Mathews 1997).

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