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Le(s) César(s) d'Ovide

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Le(s) César(s) d’Ovide

Hélène Vial

Même si la vocation d’Ovide, né en 43 avant J.-C., fut précoce1, son œuvre fut entièrement publiée et sans doute composée2 sous le principat d’Auguste ; or, la figure de Jules César revient plusieurs fois dans cet ensemble poétique, et cette récurrence nous conduit à l’hypothèse que, dans la variété et l’évolution de ses incarnations et de ses fonctions, elle dit quelque chose du regard porté par Ovide non seulement sur César, mais aussi sur le princeps et sur la relation complexe de celui-ci à l’héritage de son père adoptif. C’est dans cette perspective que se déroulera notre parcours, qui sera chronologique3 et cumulatif : nous noterons et commenterons les apparitions du personnage qui nous intéresse et mettrons en lumière les liens qui, au fil des poèmes, se développent entre les différentes facettes présentées par le poète de ce monstrum politique, militaire et littéraire qui fascina tant l’époque augustéenne4.

Le premier terme que nous croisons, dans l’élégie II, 14 des Amours, est le pluriel

Caesares, désignant les descendants de Vénus et d’Anchise ; ces descendants, écrit Ovide,

n’auraient pas existé si, enceinte d’Énée, la déesse avait avorté comme vient de le faire Corinne5. Nous laisserons naturellement de côté, dans la suite de cette réflexion, de telles

1 Cf. à ce sujet l’élégie IV, 10 des Tristes.

2 Cf. Amours, II, 18 (notamment v. 19-26) et Tr., IV, 10, 57-60 : ces deux passages montrent que vers 25 avant J.-C. Ovide travaillait conjointement aux Héroïdes et aux Amours.

3 Rappelons les dates au moins approximatives de rédaction et/ou de publication des principales œuvres : les

Héroïdes, qu’il commença à écrire vers 25 avant J-C., furent publiées, pour les lettres I à XV, entre 20 et 16

avant J.-C., et, pour les lettres XVI à XXI, en 8 après J.-C. ; la première édition des Amours parut vers 15 avant J.-C., soit dix ans après le début de leur rédaction (cf. note précédente), la seconde (celle, en trois livres, dont nous disposons), vers 4 avant J.-C. ; l’Art d’aimer fut publié en deux fois, les livres I et II un peu avant J.-C. et le livre III en 1 après J.-C. ; les Remèdes à l’amour parurent en 2 après J.-C. ; la rédaction des Fastes et des

Métamorphoses fut entreprise parallèlement en 3 après J.-C. (la relegatio du poète en 8 l’empêcha d’apporter

aux Métamorphoses les finitions qu’il souhaitait ; quant aux six derniers livres des Fastes, dont nous ne disposons pas, il semble qu’Ovide les ait bel et bien composés et qu’ils aient été perdus) ; les lettres composant les Tristes et les Pontiques furent composées respectivement entre 8 et 12 et entre 13 et 16 après J.-C. ; le Contre

Ibis fut écrit entre 10 et 12 après J.-C.

4 Cf. le volume César sous Auguste coordonné par O. Devillers et K. Sion-Jenkins, à paraître (Bordeaux, Ausonius). Citons aussi quelques études dont la (re)lecture nous a été utile pour ce travail : K. Galinsky (éd.),

The Cambridge Companion to the Age of Augustus, Cambridge, Cambridge University Press, 2005 ; D. Kienast,

« Augustus und Caesar », Chiron, 31, 2001, p. 1-26 ; P.-M. Martin, « Comment devient-on César ? », dans Rome

Ier siècle av. C. Ainsi périt la République des vertus…, Paris, Autrement, « Mémoires », 1996, p. 102-117 ; J.-P. Néraudau, Auguste, Paris, Les Belles Lettres, 2007 (1ère éd. 1996) ; K. Raaflaub et M. Toher (éd.), Between

Republic and Empire, Berkeley, University of California Press, 1990 ; E. S. Ramage, « Augustus’ Treatment of

Julius Caesar », Historia, 34, 1985, p. 223-245.

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occurrences ; mais celle-ci, avec l’hypothèse vertigineuse qu’elle place sous nos yeux — les

Iulii rayés de l’Histoire —, nous donne l’occasion de souligner le fait que Jules César est

avant tout, pour Ovide comme pour tout Romain de son temps, l’un des plus importants représentants de la lignée mythologico-historique qui revendique la fondation de Rome et règne sur elle en la personne d’Auguste au moment où le jeune Ovide, né un an presque jour pour jour après les Ides de Mars6, choisit de répondre à l’appel des Muses.

L’élégie III, 8 comporte, elle, une allusion à César : Qua licet, adfectas caelum

quoque ; templa Quirinus, / Liber et Alcides et modo Caesar habent7. Il convient d’être prudent puisque, dans l’édition qui est la nôtre, ces deux vers figurent entre crochets alors que d’autres éditeurs les maintiennent8 ; mais ils auraient un intérêt certain pour notre analyse. En effet, cette élégie de dépit amoureux, où le « poète-narrateur »9 déplore que sa bien-aimée préfère à l’homme talentueux et désargenté qu’il est un grossier chevalier enrichi par ses actions militaires, déploie une condamnation de la guerre et de l’argent, accompagnée d’une évocation de l’âge d’or puis d’une réflexion sur l’hybris humaine. Or c’est à l’hominum

natura, conduite par sa soif de possession et de puissance à prendre les armes pour conquérir

la terre et la mer, que s’adressent les deux vers qui nous intéressent. Pourquoi, écrit Ovide, ne pas transformer alors le ciel en tertia regna (v. 50) ? Et, s’il est impossible de le faire physiquement (comme le montreront d’ailleurs, plus loin, les mythes de Phaéthon10 et d’Icare11), pourquoi ne pas le faire qua licet (v. 51), par la voie possible, celle, humaine et politique, de l’apothéose, dont l’une des incarnations architecturales à Rome est l’aedes diui

Iulii consacrée le 18 août 29 sur le Forum par Auguste à César divinisé ? Le nom de César

vient ici clore une liste de personnages mythologiques liés à l’histoire et à l’action de la gens

Iulia et susceptibles, par leur trajectoire de l’humain au divin, d’être autant de précédents à la

divinisation du princeps, un mortel (César) étant récemment (modo) venu s’ajouter à trois

vie d’Énée, pendant qu’elle le portait en son sein, la terre n’aurait pas connu les Césars. » Les textes et traductions utilisés dans cet article sont, sauf exception signalée, ceux de la « Collection des Universités de France » des Belles Lettres ; pour les Amours, l’édition est celle d’H. Bornecque, 20037 (1ère éd. 1930), revue et corrigée par H. Le Bonniec (1995).

6 Cf. les v. 13-14 de l’élégie IV, 10 des Tristes.

7 « Par tous les chemins possibles, tu cherches à atteindre le ciel ; Quirinus, Liber, Alcide et, depuis peu, César ont leurs temples. » (v. 51-52 ; traduction personnelle).

8 Par exemple F. Munari (dans son édition des Amours, Florence, La Nuova Italia Editrice, « Biblioteca di Studi Superiori », « Filologia Latina », XI, 1959) et G. P. Goold (dans la seconde édition des Héroïdes et des Amours avec la traduction de G. Showerman, Cambridge, Harvard University Press, « Loeb Classical Library », 1986) ; et remarquons que, dans sa reprise de l’édition Bornecque-Le Bonniec des Amours pour la collection « Classiques en poche » des Belles Lettres en 2002, J.-P. Néraudau a choisi de rétablir ces deux vers.

9 L’expression est employée par G. Tronchet à la p. 36 de La Métamorphose à l’œuvre. Recherches sur la

poétique d’Ovide dans les Métamorphoses, Louvain-Paris, Peeters, « Bibliothèque d’Études Classiques », 1998.

Nous l’utiliserons sans guillemets dans la suite de cet article. 10 Mét., de I, 747 à II, 366.

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demi-dieux (Romulus, Bacchus, Hercule12). Dans ce contexte, la figure de César et, à travers elle, celle de l’instigateur de sa divinisation13, se colorent sinon d’une pensée critique, du moins d’une distanciation quand l’ingenium noble et désintéressé des poètes se trouve opposé sans nuance à une folie de conquête que vient entériner la décision politique de l’apothéose, matérialisée dans la Ville par la construction de temples. Toute l’œuvre d’Ovide affirmera que la seule immortalité véritable est celle des poètes14. On a pu voir dans cette affirmation un élément de « dissidence » de nature poétique15, voire politique ; s’il convient de rester circonspect devant ce problème délicat, il n’y a aucun risque à souligner le fait qu’Ovide ne cesse de se dire poète avant tout, contre d’autres vocations possibles — ici la guerre, ailleurs la politique16 — et, dans toutes ses œuvres sauf les Métamorphoses, poète élégiaque contre l’inspiration épique vouée à chanter les destins des grandes cités et les Caesaris acta17.

Rome, dont nous venons d’évoquer les temples, est le décor et, d’une certaine manière, l’autre personnage principal de l’Art d’aimer, auxiliaire précieux du praeceptor

Amoris18. Ni la guerre ni la politique n’ont de place dans ce recueil dont le sujet est, conjointement, l’amour et la poésie ; et ce n’est pas tant la gens Iulia qui règne dans la Rome de l’Art d’aimer que sa divine ancêtre, Vénus, mère d’Énée, qui « a fixé sa demeure dans la ville de son cher fils »19. Même les lieux habituellement consacrés au negotium deviennent un lieu de chasse amoureuse20 ; l’Histoire n’est rappelée que pour fournir, en rappelant l’enlèvement des Sabines, épisode déterminant de la geste des descendants d’Iule, un exemple d’usage érotique du temps et de l’espace consacrés aux Jeux21 ; et les seuls combats évoqués sont ceux de Cupidon. C’est Auguste qui apparaît comme l’artisan de la gloire de cette Ville

12 L’association entre les deux derniers se retrouve dans l’Art d’aimer (I, 187-190), fondée sur le motif de la

uirtus précoce ; c’est alors C. César, petit-fils et fils adoptif d’Auguste, donc descendant de Jules César et de

Romulus, qui est comparé à Hercule et à Bacchus. Cf. également, sur Bacchus, Tr., V, 3, 19-20.

13 Ou plutôt de son « réalisateur », car on sait que des mesures allant en ce sens avaient déjà été prises avant la mort de César, en 45 et 44 avant J.-C.

14 L’élégie dont nous venons de parler est d’ailleurs immédiatement suivie de celle où, à la mort de Tibulle, le poète-narrateur dit l’éternité promise aux sacri uates (v. 17) mais s’indigne que leur corps doive mourir.

15 Cf. notamment J.-P. Néraudau, Ovide ou les dissidences du poète. Métamorphoses, livre 15, Paris, Hystrix, « Les Interuniversitaires », « Aristée », 1989.

16 Cf. l’élégie IV, 10 des Tristes, où la vocation poétique d’Ovide est opposée à celle de son frère, fortia uerbosi

natus ad arma fori, « né pour les grands combats d’éloquence du Forum » (v. 18) ; éd. J. André, 20033 (1ère éd. 1968).

17 Nous citons ici les v. 15-16 de l’élégie III, 12 des Amours : Cum Thebe, cum Troia foret, cum Caesaris acta /

ingenium mouit sola Corinna meum. « Je pouvais chanter Thèbes, ou bien Troie, ou bien les exploits de César, et

c’est Corinne seule qui m’a inspiré. » Peu importe que Caesaris désigne ici César ou, plus probablement, Auguste : l’essentiel est d’opposer l’inspiration épique et le choix élégiaque.

18 L’expression figure au v. 17 du préambule du livre I.

19 Mater in Aeneae constitit urbe sui (I, 60) ; éd. H. Bornecque, 20028 (1ère éd. 1924), revue et corrigée par P. Heuzé (1994).

20 Cf. notamment I, 79-88 (à propos du forum). 21 I, 101-134.

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où, le jour où il a offert une naumachie, « le monde immense et Rome ne faisaient qu’un »22 ; c’est sa grandeur que célèbrent les v. 177-228, évocation du triomphe annoncé, contre les Parthes, du petit-fils et fils adoptif du prince, porteur des mêmes tria nomina que Jules César ; et c’est la valeur de tous les Césars qui, avec le jeune homme, part achever de dompter l’Orient23. Ici, la figure de César n’est présente qu’en filigrane : répétition du nom Caesar ; importance de la transmission familiale de la uirtus (car, si c’est Auguste qui incarne la figure paternelle, confiant ses auspices et son âme24 à son héritier C. César, ce qui se rejoue ici est aussi le passage de témoin politique, soutenu par l’adoption, dont Auguste lui-même a bénéficié) ; surtout, présence tutélaire, dans cette séquence, des Caesares, de leurs héros historiques25 et mythologiques26 et de leur « père » divin, le dieu Mars27, une nébuleuse se formant ainsi à laquelle le lecteur intègre naturellement Jules César. Si ce dernier fut grand stratège, grand écrivain et grand séducteur, c’est le poète-narrateur qui, dans l’Art d’aimer, endosse simultanément ces trois rôles et le fait dans le contexte de la militia amoris, produisant ainsi un étonnant hapax littéraire. N’oublions d’ailleurs pas qu’Amour, l’élève farouche et rebelle mais tendre et souple dont l’artifex entreprend de faire l’éducation28, est, en tant que fils de Vénus, parent avec Jules César29. La déesse est donc ici à la fois Aeneadum

genetrix, mère de l’Amour et inspiratrice du poète30 ; et c’est naturellement que l’Art d’aimer, promenade poétique et érotique dans cette Vrbs dont la métamorphose physique, commencée par César, fut réalisée par Auguste31, nous conduit à deux reprises au temple de Venus Genetrix, consacré par César en 46 avant J.-C. à la déesse dont il se disait le descendant32.

Dans les Fastes, les temples de Rome ne sont plus des lieux de séduction, mais autant de réalisations matérielles d’une religion dont le poète explore le calendrier. À une ars autant

22 … ingens orbis in Vrbe fuit (I, 174).

23 Caesaribus uirtus contigit ante diem. / Ingenium caeleste suis uelocius annis / surgit et ignauae fert male

damna morae. « Chez les Césars, le courage devance les années. Leur génie céleste se révèle avant l’âge et

supporte mal le préjudice et les lenteurs du temps. » (I, 184-186). 24 I, 191-192.

25 Crassus, mentionné en I, 179 et dont le souvenir, s’il est ici invoqué en raison de sa défaite contre les Parthes en 53 avant J.-C., appelle celui de Jules César.

26 Hercule en I, 187-188, Bacchus en I, 189-190.

27 I, 203-204, où la divinité de Mars est mise en parallèle avec celle, à venir, d’Auguste. 28 I, 7-10.

29 Cf. Pont., III, 3, 62, où le poète-narrateur, s’adressant à Cupidon, rappelle que celui-ci a Énée pour frère. Cupidon, Énée : deux fils de Vénus, deux orientations génériques (élégie et épopée).

30 Il emploie en III, 57 l’expression facit ingenium, « Vénus m’inspire ».

31 Cf., parmi bien d’autres articles sur le sujet, J. Gaillard, « La brique, le marbre, les princes », dans J. Gaillard (éd.), Rome Ier siècle av. J.-C. Les orgueilleux défis de l’ordre impérial, Paris, Autrement, « Mémoires », 1996,

p. 30-39.

32 I, 81-88 (où Vénus, de son temple, rit de voir des hommes sérieux saisis par l’amour) et III, 451-452 (où elle observe sans s’émouvoir les litiges entre amants). Cf. aussi Tr., II, 525-526, sur deux tableaux que l’on pouvait voir dans ce temple à l’époque ; les v. 527-528 font peut-être allusion à une Vénus Anadyomène achetée par César à Cyzique.

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poetica qu’amatoria conjuguée à une déambulation savante et ludique dans la Ville succède

ici une explicatio du temps et de l’espace sur lesquels repose la pax deorum ; et cette

explicatio, par sa nature religieuse et politique, amène naturellement le lecteur à rencontrer le

souvenir de Jules César, non seulement quand arrivent les Ides de Mars, mais aussi avant et après cette date encore porteuse, pour la génération d’Ovide, d’un profond traumatisme.

C’est au livre I, à propos des Carmentalia, que César est évoqué pour la première fois, dans le discours que tient aux v. 509-536 la prophétesse Carmenta (ou Carmentis), mère du héros arcadien Évandre et partie en exil avec lui. Apercevant le Tibre au niveau du Champ de Mars, elle fixe le terme du voyage en ces lieux qu’elle appelle nouos caelo terra datura

deos33, évoquant ainsi Énée et ses descendants divinisés, de Romulus à César et Auguste34. Puis, en un raccourci saisissant de l’Énéide, elle annonce l’arrivée d’Énée dans le Latium, la renaissance de Troie à travers Rome et le règne de la gens Iulia, détentrice du « droit sacré de tenir les rênes de l’empire »35. César apparaît ici comme le dernier maillon, avant Auguste, de cette chaîne d’hommes exceptionnels, bâtisseurs de la grandeur romaine, que leurs exploits ont conduits à la divinisation.

Les v. 120-192 du livre II célèbrent les Nones de février, où, en 2 avant J.-C., le titre de pater patriae a été conféré à Auguste par le peuple, le sénat et les chevaliers36. C’est pour Ovide l’occasion d’une double comparaison d’Auguste avec Jupiter d’une part, Romulus d’autre part. Or, si un parallèle est clairement établi entre le « père des hommes » et le « père des dieux » (hominum tu pater, ille deum, v. 132), la figure d’Auguste est présentée dans les v. 133-144 comme bien supérieure à celle de Romulus. Il s’agit ici pour Ovide de faire un repoussoir de ce personnage dont Octave, en 27 avant J.-C., a renoncé à prendre le nom, rappel périlleux à la fois du fratricide et de la royauté ; aussi accable-t-il autant Romulus qu’il élève Auguste. La conclusion de ce passage très rhétorique est l’opposition entre Romulus divinisé par son père Mars et Auguste divinisant son père César37 ; Auguste, nouveau Mars, est donc celui qui, dieu lui-même, divinise les grands hommes par l’effet combiné de leurs hauts faits et de la pietas qu’il leur voue. Or cette comparaison est biaisée, non pas parce la circulation du divin entre père et fils s’inverse, mais parce qu’Auguste a été présenté plus haut comme un nouveau Jupiter et que celui-ci est, dans la mythologie, coupable d’un parricide

33 « Terre qui fourniras au ciel de nouveaux dieux » (v. 510) ; éd. R. Schilling, 20033 (1ère éd. 1993) pour le t. I et 20032 (1ère éd. 1993) pour le t. II.

34 Cf. au v. 533 la présentation de Tibère comme « fils et petit-fils d’un dieu » (nepos natusque dei). 35 … hanc fas imperii frena tenere domum (v. 532).

36 Les mots plebs et curia figurent au v. 127, eques au v. 128.

37 Il s’agit du v. 144 : Caelestem fecit te pater, ille patrem. « Tu [Romulus] dois l’appartenance divine à ton père [Mars] ; son père [César] la doit à lui [Auguste]. »

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symbolique qu’Ovide évoque à plusieurs reprises dans les Fastes et les Métamorphoses. Auguste a-t-il été un bon fils avec César comme Mars a été un bon père avec Romulus ? Ne l’a-t-il pas plutôt été comme Jupiter a été un bon fils avec Saturne ? La question ressurgira plus nettement quand, au livre IV, Ovide donnera de Romulus une nouvelle image, bien plus noble38. Une distance s’esquisse ici par la mise en regard les figures d’Auguste et de César ; ce dernier n’est-il d’ailleurs pas en quelque sorte le dieu tutélaire des Fastes, puisque c’est lui qui, pourtant chargé de soucis et voué à fonder une lignée glorieuse, a pris le temps et la peine d’établir le calendrier sur lequel se fonde le recueil, mettant ainsi fin, tels les dieux — mais il en est un lui-même —, à l’errance du temps ?39

C’est dans les v. 697-710 que l’image de Jules César atteint toute sa grandeur, quand Ovide, en une brève coda formant contrepoint à l’évocation détaillée des joyeuses festivités offertes à Anna Perenna, évoque les Ides de mars 44 avant J.-C.40 Sur l’identité de la déesse, Ovide a dit ne rien vouloir passer sous silence41 ; c’est au contraire in extremis, sur le mode de la demi-prétérition (Praeteriturus eram…) et en déléguant partiellement la narration à Vesta — la Vesta […] mater que priait anxieusement Virgile à la fin du chant I des Géorgiques42 — qu’il aborde l’un des événements les plus marquants de l’Histoire récente. Souvent, chez Ovide, la trame de l’Histoire et, avec elle, souvent aussi, le modèle et anti-modèle virgilien s’effacent devant les conséquences dramatiques des passions humaines : ici, l’amour de Didon pour Énée, le furor destructeur du frère de Didon et d’Anna, la jalousie de Lavinia et la terreur qui conduit Anna à devenir une nymphe fluviale43. Le contraste est en soi parlant,

38 Cf. notamment les v. 825-858.

39 Cf. les v. 155-166 et en particulier 155-158 : Sed tamen errabant etiam nunc tempora, donec / Caesaris in

multis haec quoque cura fuit. / Non haec ille deus tantaeque propaginis auctor / credidit officiis esse minora suis. « Mais même alors les saisons étaient flottantes jusqu’au moment où César, parmi tant d’autres problèmes,

se préoccupa aussi de celui-là. Ce dieu, ce fondateur d’une si noble lignée, ne l’estima pas indigne de sa charge ».

40 Praeteriturus eram gladios in principe fixos, / cum sic a castis Vesta locuta focis : / « Ne dubita meminisse ;

meus fuit ille sacerdos ; / sacrilegae telis me petiere manus. / Ipsa uirum rapui simulacraque nuda reliqui : / quae cecidit ferro, Caesaris umbra fuit. » / Ille quidem caelo positus Iouis atria uidit / et tenet in magno templa dicata foro. / At quicumque nefas ausi, prohibente deorum / numine, polluerant pontificale caput, / morte iacent merita : testes estote Philippi / et quorum sparsis ossibus albet humus. / Hoc opus, haec pietas, haec prima elementa fuerunt / Caesaris, ulcisci iusta per arma patrem. « J’allais passer sous silence les glaives qui ont

transpercé notre prince, quand, de son chaste foyer, Vesta me parla en ces termes : “N’hésite pas à le rappeler ; César a été mon prêtre ; c’est moi que des mains sacrilèges ont frappée de leurs armes. Mais sa personne, je l’avais soustraite moi-même et ne leur avais laissé qu’un simulacre sans consistance : ce n’est que l’ombre de César qui est tombée sous leur fer”. Quant à lui, élevé au ciel, il a vu la cour de Jupiter et il possède un temple qui lui a été dédié dans le grand forum. Mais tous ceux qui eurent l’audace criminelle de braver la volonté des dieux en profanant la tête d’un pontife ont subi une mort méritée : soyez-en témoins, plaine de Philippes et vous, combattants qui, par vos ossements éparpillés, avez blanchi le sol. Voici quelle fut la tâche, le pieux devoir, la première préoccupation de César : venger son père avec des armes légitimes. »

41 Cf. les v. 543-544. 42 Au v. 498.

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d’autant plus que les deux histoires, la « petite » (le destin d’Anna) et la « grande » (l’assassinat de César), sont liées entre elles par le personnage d’Énée, à la fois cause indirecte mais principale des souffrances d’Anna et ancêtre de la gens Iulia. L’attention du lecteur se trouve donc attirée vers les quelques vers où le poète-narrateur met en scène, en un intéressant détour narratif, son propre rappel à l’ordre par Vesta et évoque, d’abord par la voix de la déesse puis sans cette médiation, la mort de celui à qui, significativement, il donne au v. 697 le titre pris en 27 avant J.-C. par Auguste, employant pour présenter l’attentat l’expression gladios in principe fixos. La présence de l’événement dans les Fastes se trouve ici justifiée par la dimension religieuse du personnage de César, grand pontife et, à ce titre,

sacerdos de Vesta, dont l’assassinat, profanation du pontificale caput par des sacrilegae […] manus, constitue un nefas (v. 705) touchant autant Vesta elle-même que César. Les v.

701-708 opposent symétriquement deux fins : celle, glorieuse, de César, remplacé au moment de mourir, tels les héros homériques, par des simulacra nuda, une umbra destinée à être frappée à sa place, puis « élevé au ciel » et honoré d’un temple sur le Forum, équivalent terrestre des

Iouis atria ; et la chute de ses ennemis, dont la mort méritée eut pour témoin la plaine de

Philippes, déjà évoquée par Virgile dans les Géorgiques44. Puis les v. 709-710 livrent la conclusion politique des Ides de Mars, réconciliation de la sphère religieuse et du domaine guerrier puisque c’est par pietas qu’Auguste décide de définir comme prima elementa de son action l’emploi de iusta […] arma pour venger son père, l’expression ulcisci […] patrem du v. 710 rappelant le Caesaris ultor désignant Auguste au v. 44 de l’ode I, 2 d’Horace. C’est sur le mot patrem que se clôt ce passage à la gloire de César plus que d’Auguste, dont l’intérêt poétique s’enrichit de sa relation dynamique à la fois avec tout un passé littéraire (Ovide reprend en variatio le motif homérique du simulacrum salvateur45, Vesta remplaçant ici Aphrodite, pourtant ancêtre de César, et celui-ci étant élevé au ciel46 ; il efface par cette innovation l’angoisse présente dans les évocations virgiliennes des mêmes événements ; il réactive des termes horatiens) et au sein de l’œuvre ovidienne (la mort et l’apothéose de César font l’objet au livre XV des Métamorphoses d’un récit très différent où Vénus tient le rôle principal).

Touchant, comme l’écrit R. Schilling dans son Introduction aux Fastes, « au tuf même de la romanité du Ier siècle »47, l’évocation des Ides de Mars constitue le temps fort du

44 I, 489-490.

45 Cf., dans l’Iliade, Aphrodite protégeant ainsi Pâris puis Énée (III, 380 sq. et V, 315 sq.) avant d’être blessée par Diomède (c’est alors Apollon qui protège Énée par le même stratagème, v. 449 sq.).

46 Énée était, lui, transporté dans Pergame. 47 Nous citons ici la p. XXVIII.

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parcours poétique de la figure césarienne dans les Fastes (comme d’ailleurs dans les

Métamorphoses) ; les trois derniers livres lui donnent une place plus modeste. À peine est-il

nommé au début du livre IV, dans l’invocation à Vénus. Partant de Jupiter, premier auteur de la lignée, et passant par Iule, porteur d’un nom devenu le nomen de la gens48, Ovide chemine entre évocations mythologiques et/ou historiques et éloge de Vénus pour parvenir à César, auteur du coup d’audace et de génie que fut la jonction onomastique et symbolique entre la déesse et lui-même par l’intermédiaire du fils d’Énée. Assaracus nurus dicta est, ut scilicet

olim / magnus Iuleos Caesar haberet auos49 ; Ovide commet-il, comme le dit R. Schilling en

note, une « étourderie » quand il fait de Vénus la belle-fille d’Assaracus alors que celui-ci est le grand-père d’Anchise ? N’est-ce pas plutôt une manière de souligner, avec un mélange d’ironie et d’admiration, l’incroyable tour de passe-passe opéré par César ? Cette vraie-fausse erreur généalogique jouerait alors le même rôle que le scilicet du v. 123 et que la violence ostensible faite par Ovide au cours des choses quand il écrit que Vénus s’est unie à Anchise pour que César puisse prétendre descendre d’elle.

Immense politique, le César des Fastes est aussi un homme pour lequel on se bat avec ferveur ; telle est la vision que nous donnent de lui ses deux dernières apparitions. Dans les v. 379-384 du livre IV, un ancien combattant, plein de fierté d’avoir servi sous un tel chef, rappelle la victoire de Thapsus contre le pompéien Q. Metellus Scipio — qu’Ovide ne mentionne pas — et le roi numide Juba50 ; et les v. 545-598 du livre V sont une ample et dramatique évocation de Philippes, où Octave mit en œuvre contre les assassins de César ce

Mars Vltor auquel, suite à un vœu fait avant la bataille, il dédia des années plus tard un

sanctuaire puis un temple. Ce second passage, qui développe les v. 705-710 du livre III, définissent la réparation par Octave de l’assassinat de César comme un événement cosmique et religieux, nouvelle Gigantomachie qui modifie la course des astres et célébration, sous le regard du dieu Mars, de la grandeur conjointe du père, à nouveau présenté comme Vestae […]

sacerdos (v. 573), et du fils, qui, poussé à la guerre par la pietas envers les deux numina que

sont César et Vesta51, fait de Mars un deus bis ultus52 en étant vainqueur de Brutus et de

48 Venimus ad felix aliquando nomen Iuli, / unde domus Teucros Iulia tangit auos. « Nous voici parvenu au nom bénéfique de Iulus, par qui la famille julienne touche à ses ancêtres troyens. » (v. 39-40).

49 « Elle se laissa appeler belle-fille d’Assaracus, pour qu’un jour, bien sûr, le grand César pût se réclamer d’ancêtres juliens. » (v. 123-124).

50 « Haec », ait, « illa dies, Libycis qua Caesar in oris / perfida magnanimi contudit arma Iubae. / Dux mihi

Caesar erat, sub quo meruisse tribunus / glorior : officio praefuit ille meo. » « En ce jour, César a écrasé sur la

côte libyenne les perfides armées de l’orgueilleux Juba. César était mon chef et je suis fier d’avoir servi sous ses ordres comme tribun : il exerçait le commandement alors que j’étais en fonction. »

51 Si mihi bellandi pater est Vestaeque sacerdos / auctor et ulcisci numen utrumque paro, / Mars, ades et satia

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Cassius puis en obtenant la restitution des enseignes et des soldats pris par les Parthes lors du désastre de Carrhes.

Dans les Métamorphoses aussi, le rappel de la gloire de César et du caractère sacrilège de sa mort nourrit l’éloge d’Auguste, fils plein de piété attaché à protéger la mémoire paternelle en même temps qu’à affermir et accroître la grandeur de Rome. Mais, comme dans les Fastes, la figure de César, bien que réservée au premier livre et surtout au dernier, y apparaît démultipliée et, par là même, enrichie et approfondie, ce qui modifie par ricochet la nature, le sens et l’intensité de la lumière portée sur Auguste, objet dans l’épopée ovidienne d’une distanciation plus nette que dans les Fastes53.

Ainsi voit-on, dès le livre I, coexister à nouveau le mythe de Jupiter chassant Saturne et mettant ainsi fin à l’âge d’or54 et le parallèle entre Auguste et Jupiter55, la charge potentiellement critique de ce rapprochement étant renforcée par l’assimilation du temps présent, horizon du parcours chronologique annoncé dans le prooemium56, à l’âge de fer57, dominé par une discordia qui évoque clairement les guerres civiles. On comprend aussi très vite que l’hexamètre dactylique sera ici le support d’une « épopée des formes »58 fondée sur l’exploration des passions par les outils jumeaux de la métamorphose et de la variatio, et que le héros n’en sera pas Auguste mais le poète-narrateur lui-même, dont l’apothéose aura le dernier mot59. De sa demeure royale, qualifiée de Palatia caeli60, Jupiter s’indigne de la dégénérescence morale du genre humain ; les Olympiens frémissent des crimes de Lycaon comme l’humanité a tremblé aux Ides de Mars, puis, après le châtiment, manifestent à leur

Vesta, est la raison de mon entreprise guerrière et que je me prépare à venger ces deux divinités, sois-moi propice, Mars, et rassasie ce fer d’un sang criminel. » (v. 573-576).

52 L’expression deo […] bis ulto se trouve au v. 595.

53 Nous nous permettons de renvoyer aux analyses plus détaillées présentées dans notre livre, La Métamorphose

dans les Métamorphoses d’Ovide. Étude sur l’art de la variation, Paris, Les Belles Lettres, « Études anciennes »,

2010, et dans deux de nos articles : « Frontières en métamorphose : le prologue et l’épilogue des Métamorphoses d’Ovide », dans B. Bureau et C. Nicolas (éd.), Commencer et finir. Débuts et fins dans les littératures grecque,

latine et néolatine, Lyon, CERGR, « CEROR », 31, 2, 2008, p. 393-410, et « Les transformations du mythe de

l’apothéose dans les Métamorphoses d’Ovide », à paraître dans M. Pfaff (éd.), La fabrique du mythe à l’époque

impériale, Turnhout, Brepols, « Recherches sur les rhétoriques religieuses ».

54 Il s’agit des v. 113-115.

55 Cf. notamment l’épisode de Lycaon (v. 163-252).

56 Qui annonce un trajet ab origine mundi / ad mea […] tempora, « depuis les plus lointaines origines du monde jusqu’à mon temps » (v. 3-4). L’édition utilisée est celle de G. Lafaye. T. I : 20028 (1ère éd. 1925), revu et corrigé par J. Fabre (1999) ; T. II : 20027 (1ère éd. 1928), revu et corrigé par H. Le Bonniec (1995) ; T. III : 20027 (1ère éd. 1930), revu et corrigé par H. Le Bonniec (1991).

57 Cf. les v. 127-150.

58 L’expression est de L. Alfonsi, « L’inquadramento filosofico delle metamorfosi ovidiane », dans N. I. Herescu (éd.), Ovidiana. Recherches sur Ovide, Paris, Les Belles Lettres, 1958 (p. 265-272), p. 265.

59 XV, 871-879.

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père la même pietas que les Romains au pater patriae vainqueur des assassins de César61. Mais le point nodal du passage est la transformation de Lycaon, rendu loup par son furor (v. 232-239) : réalisant le programme annoncé dans le prooemium62, ce premier récit de métamorphose présente celle-ci, et par là même toutes les autres, comme l’effet brut des passions sur le corps. Or le Jupiter des Métamorphoses sera lui-même un être de passions, comme d’ailleurs les dieux dans leur ensemble et en particulier Apollon, dont Ovide donne une image bien moins admirable que celle de Bacchus, prenant ainsi le contrepied de la symbolique représentée sur l’Ara Pacis, où l’apollinien est du côté d’Auguste alors que le dionysiaque est associé à Antoine. Les actions du fils de Saturne63 seront à de nombreuses reprises présentées par Ovide comme brutales et injustes, ce qui influera sur l’image d’Auguste, nouveau Jupiter64 ; l’image de César sera, elle, épargnée par ce processus. D’ailleurs, d’une manière générale, dans les nombreuses histoires de pères et de fils que raconte le poème65, les pères apparaissent presque constamment comme moins coupables que leurs fils, dont les passions prennent le pas sur la pietas ; même Jupiter apparaît plus noble comme père que comme fils : c’est le cas, par exemple, dans l’épisode de l’apothéose d’Hercule, au livre IX, où le dieu, s’il est nommé Saturnius66, apparaît surtout comme le père respecté et aimé du peuple divin67 et du héros qu’il mène aux cieux68. Or c’est plus souvent comme fils (de César) que comme père (de la patrie) qu’Auguste est présenté dans le poème, cette position trouvant son incarnation la plus marquante, et non dénuée d’ambivalence, dans le mythe du phénix69.

61 Confremuere omnes studiisque ardentibus ausum / talia deposcunt. Sic, cum manus impia saeuit / sanguine

Caesareo Romanum extinguere nomen, / attonitum tanto subitae terrore ruinae / humanum genus est totusque perhorruit orbis. / Nec tibi grata minus pietas, Auguste, tuorum est / quam fuit illa Ioui. « Tous ont frémi et,

enflammés de colère, réclament la punition du criminel. Ainsi, quand une troupe sacrilège en fureur chercha à éteindre le nom romain dans le sang de César, l’effroi d’une telle catastrophe consterna subitement le genre humain et l’univers entier fut saisi d’horreur. La piété de tes concitoyens, Auguste, ne n’est pas moins douce que celle des dieux le fut à Jupiter. » (v. 199-205).

62 In noua fert animus mutatas dicere formas / corpora. « Je me propose de dire les métamorphoses des corps en des corps nouveaux » (v. 1-2).

63 Le terme Saturnius est employé trois fois pour le désigner (I, 163, VIII, 703 et IX, 242).

64 Sauf quand, une fois relégué, Ovide, désireux d’apaiser Auguste, opposera à la justice empreinte de modération de celui-ci les châtiments immérités infligés par Jupiter, Neptune et Mars (Pont., III, 6, notamment 17-38).

65 Cf. par exemple celles du Soleil et de Phaéthon (de I, 747 à II, 366) ou de Dédale et d’Icare (VIII, 183-235). 66 Au v. 242.

67 … populi […] pater, v. 245. 68 Dans les v. 271-272.

69 XV, 392-407 ; cf. notre article « “Poète est le nom du sujet qui se brise et renaît de ses cendres” : le phénix dans les Métamorphoses d’Ovide (XV, 392-407) », Euphrosyne, 36, 2008, p. 119-133. D’une manière plus générale, le discours de Pythagore (XV, 75-478), dans lequel se trouve le mythe du phénix, oriente la lecture des passages concernant César et Auguste à la fin du livre XV (cf. notamment les v. 418-449, où la transformation universelle et son corollaire, l’écroulement inéluctable des grandes cités, jettent un jour troublant sur l’expansion de Rome). Le personnage de Cipus, qui refuse la royauté (XV, 565-621), constitue aussi un contrepoint implicite

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Défini par un mouvement ab origine mundi / ad mea […] tempora (I, 3-4) et s’ouvrant presque sur le mythe des âges, le poème tend à la fois vers le Principat d’Auguste et vers l’âge de fer, le premier faisant partie intégrante du second. Tout près du terme de cette trajectoire paradoxale nous attend l’assassinat de César, archétype du combat sauvage et injuste né du fer et de l’or70. Les livres XI à XV ont conduit le lecteur du monde grec à une Rome géographique et littéraire nourrie d’hellénisme et d’un univers essentiellement mythologique à un autre où les légendes se mêlent à la marche de l’Histoire en une interaction réciproque. Les murs de Troie, construits au livre XI par le perfide Laomédon71, ont été détruits par les Grecs ; mais l’événement a presque été passé sous silence72 et, dans les livres XII et XIII, le récit ovidien est resté centré, conformément à son programme liminaire, sur la métamorphose et les passions qui gravitent autour d’elle ; ce sont donc presque uniquement des épisodes mineurs de la guerre voire des histoires complètement extérieures à la trame héritée d’Homère73 qui nous sont été contés, quand d’autres, plus centraux, ont été réorientés tant thématiquement que poétiquement74. La lignée issue de Jupiter et muée en gens Iulia a été introduite, d’abord indirectement75, puis à travers la figure d’Énée, sauveur des sacra de sa patrie et incarnation superlative du bon fils et du bon père76. Mais, tout comme la « petite

Iliade » des livres XII et XIII, la « petite Énéide » des livres XIII et XIV est aussi infidèle à

son indépassable modèle que fidèle à la poétique des Métamorphoses : Ovide ne cesse de délaisser Énée pour plonger au cœur des tourments humains et dire le « sacrifice du corps »77. Ce traitement du matériau virgilien n’est pas seulement une affirmation d’indépendance littéraire : il joue aussi comme signe et outil d’une distance, perceptible dans l’ensemble du poème, à l’égard de la figure du princeps. Le monde des Métamorphoses est celui, bouillonnant et instable, d’une « contiguïté universelle »78 entre les éléments, les règnes, les

à César et à Auguste.

70 Cf. l’expression bellum, quod pugnat utroque / sanguineaque manu crepitantia concutit arma, « la guerre, qui se sert de tous deux [le fer et l’or] pour combattre et qui brandit dans sa main ensanglantée des armes retentissantes » (I, 142-143).

71 Cf. les v. 194-220.

72 De simples allusions y sont faites : cf. par exemple XIII, 505-506.

73 Cf. par exemple le long récit du combat des Lapithes et des Centaures (XII, 210-535), qui vient envahir la partie « troyenne » du poème.

74 Ainsi l’opposition entre Ajax et Ulysse pour l’obtention des armes d’Achille (XIII, 1-398) devient-elle un immense duel rhétorique et, in fine, une nouvelle histoire de métamorphose.

75 Cf. aux v. 749-795 du livre XI l’épisode d’Ésaque, frère d’Hector, dont de glorieux ascendants sont mentionnés : Ilus, Assaracus, Ganymède, Laomédon, Priam. L’arbre généalogique dont il s’agit ici est aussi celui d’Énée.

76 Cf. sa première apparition aux v. 624-627 du livre XIII.

77 L’expression est de R. Galvagno (Le Sacrifice du corps. Frayages du fantasme dans les Métamorphoses

d’Ovide, Paris, Panormitis, 1995).

78 L’expression figure dans la traduction française du titre d’un article d’I. Calvino, « Ovide et la contiguïté universelle », dans La Machine littérature. Essais, Paris, Seuil, « Pierres Vives », 1984, p. 119-130.

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espèces, rendue possible par la toute-puissance des passions humaines ; et tout tend à montrer que la gens Iulia n’échappe pas, loin s’en faut, à cette effervescence bien éloignée des images de stabilité délivrées par le pouvoir, notamment dans le domaine artistique. Le traitement ovidien du mythe de l’apothéose, très présent dans les livres XIV et XV79, participe de cet écart : on y voit se combiner une forme sourde mais insistante de dissonance par rapport à la

doxa augustéenne — Ovide suggérant notamment à plusieurs reprises que la divinisation des Iulii ou de personnages liés à eux est plus un privilège familial que l’effet de leurs vertus — et

une expansion poétique tendant à faire de ces passages des récits de métamorphoses parmi les autres, voués à montrer le « sacrifice du corps » avec toute sa matérialité et son ancrage dans les passions. Ainsi Énée, Romulus, Hersilie et César, comme avant eux Hercule, doivent-ils leur accession à l’éternité avant tout à la projection des volontés divines sur les vies humaines et à un marché conclu (et parfois âprement négocié) entre Olympiens ; et il apparaît clairement que cette décision des dieux relève d’une mise en récit politique opérée par César d’abord, puis par Auguste. Mais, une fois encore, la figure de César se trouve ménagée — même si c’est ici relativement et non absolument — par ce dispositif ; et, ainsi utilisée, elle brouille et livre au doute celle d’Auguste.

Dernière métamorphose du poème avant l’épilogue où le poète-narrateur annoncera sa propre immortalisation, la divinisation de César est aussi la seule à conjuguer apothéose et catastérisme80, intégrant ainsi l’épisode du sidus Iulium. Les v. 745-844 qui la préparent sont le plus long passage consacré à César dans toute l’œuvre d’Ovide ; or, on y voit se multiplier les discordances81. César était déjà « dieu dans sa patrie »82 ; mais les hauts faits83 cités pour expliquer cette stature plus qu’humaine sont discutables84, et surtout, Ovide présente comme

79 Nous pensons aux apothéoses des vaisseaux d’Énée (XIV, 549-557), d’Énée (XIV, 600-608), de Romulus (XIV, 824-828), d’Hersilie (XIV, 846-851), d’Hippolyte (XV, 539-546) et de César (XV, 844-850), ainsi qu’à celle d’Auguste, évoquée quatre fois (XV, 447-448, 760-761, 838-839 et 868-870), et à celle du poète-narrateur dans l’épilogue (XV, 871-879). Avant ces livres, Ovide a raconté le catastérisme de la couronne d’Ariane (VIII, 176-182) et les divinisations d’Hercule (IX, 262-273) et de Glaucus (XIII, 944-963).

80 Cf. les v. 746-750 (Caesar in Vrbe sua deus est ; quem Marte togaque / praecipuum non bella magis finita

triumphis / resque domi gestae properataque gloria rerum / in sidus uertere nouum stellamque comantem, / quam sua progenies, « César est dieu dans sa patrie ; grand dans les travaux de Mars et sous la toge, ce n’est pas

seulement à ses campagnes, terminées par des triomphes, à ses succès éclatants pendant la paix, à sa gloire si rapidement acquise qu’il doit d’avoir brillé parmi les astres sous la forme d’une comète nouvelle : il ne le doit pas moins à son fils ») et 840-842 (… hanc animam interea caeso de corpore raptam / fac iubar, ut semper

Capitolia nostra forumque / diuus ab excelsa prospectet Iulius aede, « cependant emporte avec toi cette âme qui

s’échappe de son corps immolé et change-la en étoile, pour que le divin Jules veille à tout jamais du haut des célestes demeures sur notre Capitole et sur le forum »).

81 Cf. une analyse plus détaillée de ces vers aux p. 347-350 de notre livre, cité plus haut. 82 In Vrbe sua deus est (v. 746).

83 Conquête de la Grande-Bretagne, épisode égyptien, etc. (v. 750-758).

84 Cf. S. Lundström, Ovids Metamorphosen une die Politik des Kaisers, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1980, p. 92-96.

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le plus glorieux d’entre eux le fait d’avoir « engendré » (genuisse, v. 758) Auguste qui, ajoute-t-il audacieusement, est l’instigateur de cette apothéose indispensable à la sienne propre : Ne foret hic igitur mortali semine cretus, / ille deus faciendus erat85. Construction politique86, l’apothéose de César sera prise par Ovide pour ce qu’elle est, une pure fiction, et racontée comme telle. Les derniers instants de César sont présentés dans une atmosphère d’angoisse religieuse : long discours de Vénus (v. 765-778), qui voit dans ce triste […]

letum87 un nouvel attentat contre la lignée dont César est le dernier survivant88 ; dimension cosmique des présages89 du facinus90. L’assassinat lui-même est passé sous silence : seuls sont mentionnés les armes du crime et son lieu, dont le choix porte à son comble le nefas91. Ce long passage se distingue en tout, ou presque, de la rapide évocation des Ides de Mars au livre III des Fastes ; en particulier, si le statut de prêtre de Vesta de César est rappelé par Vénus92, c’est cette dernière qui domine la scène et qui, faute de pouvoir dérober César à ses assassins comme le fait Vesta dans les Fastes93, conduit l’apothéose. Ce privilège est un don de Jupiter, qui a affirmé à la fois l’inéluctabilité de la mort de César et la future action réparatrice d’Auguste, caesi […] parentis / […] fortissimus ultor94 et destiné à connaître lui aussi l’apothéose : aetherias sedes cognataque sidera tanget95, écrit Ovide, soulignant par le terme cognata le fait qu’il s’agit d’une « affaire de famille »96. La divinisation de César97 sera,

85 « Le fils ne pouvait pas être issu du sang d’un mortel ; il fallait donc que le père fût dieu » (v. 760-761). Cf. également les v. 818-819 : Vt deus accedat caelo templisque colatur, / tu facies natusque suus, « il deviendra un dieu qui montera au ciel et recevra un culte dans les temples ; ce sera ton œuvre [Jupiter s’adresse à Vénus] et celle de son fils ».

86 Cf. A. Barchiesi, Speaking Volumes. Narrative and Intertext in Ovid and other Latin poets, Londres, Duckworth, 2001, p. 75-78, qui dépasse l’opposition entre Ovide pro-augustéen et anti-augustéen.

87 L’expression se trouve aux v. 762-763.

88 Quid nunc antiqua recordor / damna mei generis ? « Mais pourquoi rappeler aujourd’hui les maux que ma race a autrefois soufferts ? » (v. 774-775).

89 Le mot est employé au v. 777. 90 Il s’agit des v. 783-798. 91 Ce sont les v. 800-802. 92 Dans les v. 777-778.

93 On comparera Mét., XV, 804-806 (Aeneaden molitur condere nube, / qua prius infesto Paris est ereptus

Atridae / et Diomedos Aeneas fugerat enses, « elle s’efforce de cacher le descendant d’Énée dans le nuage qui

jadis déroba Pâris à la fureur d’Atride, Énée à l’épée de Diomède ») à Fastes, III, 701-702 (Ipsa uirum rapui

simulacraque nuda reliqui : / quae cecidit ferro, Caesaris umbra fuit. « Mais sa personne, je l’avais soustraite

moi-même et ne leur avais laissé qu’un simulacre sans consistance : ce n’est que l’ombre de César qui est tombée sous leur fer. »).

94 « Vengeur intrépide de son père immolé » (v. 820-830).

95 « Il entrera au séjour éthéré, au milieu des astres de sa famille » (v. 839).

96 J.-P. Néraudau emploie l’expression à la p. 140 d’Ovide ou les dissidences du poète, cité plus haut.

97 … suique / Caesaris eripuit membris nec in aera solui / passa recentem animam caelestibus intulit astris ; /

dumque tulit, lumen capere atque ignescere sensit / emisitque sinu ; luna uolat altius illa / flammiferumque trahens spatioso limite crinem / stella micat, « elle enlève du corps de son cher César l’âme qui vient de s’en

séparer et, pour l’empêcher de se dissiper dans les airs, elle la porte au milieu des astres du ciel ; cependant elle s’aperçoit que cette âme s’illumine et s’embrase ; elle la laisse échapper de son sein ; l’âme s’envole au-dessus de la lune et, traînant après soi, à travers l’espace, une chevelure de flamme, elle prend la forme d’une étoile brillante » (v. 844-850).

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comme celles d’Hercule, d’Énée et de Romulus, un processus d’identification de l’être à sa

pars melior ou optima98, ici nommée anima99. Mais le processus même est matériel, car c’est bien le corps de César que ses ennemis ont frappé, et son âme, vouée à l’éternité, doit donc être prélevée au moment où elle quitte le cadavre. Vénus accomplit ce geste (eripuit […]

recentem animam) et recueille avec douceur sur son sein le fragile trésor avant de le laisser

échapper (emisit) au moment où le feu s’empare de lui pour l’emporter au ciel. Suivent un vol fantastique (luna uolat altius illa) puis une stabilisation de l’étoile filante (flammiferumque

trahens spatioso limite crinem) en astre étincelant (stella micat). Ovide use ici du plus

puissant moyen de souligner le caractère politique de la divinisation de César et l’exploitation par Auguste du passage, en juillet 44, de la fameuse comète : en faire un récit très concret, détaillé jusqu’au vertige et entouré d’une forte charge passionnelle, autrement dit un récit de métamorphose comme les autres. Si une figure souffre de cette représentation, ce n’est pas tant celle de César que celle d’Auguste ; en effet, contrairement au poète-narrateur qui, lui aussi, verra sa propre pars melior — son œuvre — lui obtenir l’immortalité100 malgré la « colère de Jupiter »101, le prince, dont l’image s’est diffractée et dont l’éloge s’est souvent teinté d’ambiguïté, n’aura droit qu’à une apothéose morcelée, déroutante102.

Les derniers livres de la Métamorphoses peuvent se lire comme une histoire critique de la mythologie à Rome : Ovide y met en scène non seulement non seulement la découverte et l’incorporation des mythes grecs par les Romains, mais la transformation et l’exploitation de ces mythes par César, puis surtout par Auguste. Une déconstruction est donc à l’œuvre, d’autant plus efficiente qu’elle s’accompagne d’une reconstruction ; une expérience poétique totale s’élabore en effet sous nos yeux, véritable « manifeste poétique en acte »103 porteur d’une vision neuve de la poésie et du monde. Le personnage de César est l’un des outils — mais particulièrement performant par sa position même, tant familiale que politique et

98 Cf. ces expressions en IX, 269 et XIV, 604. 99 Le mot animam figure au v. 845.

100 Les v. 875-876 décriront d’ailleurs un voyage céleste qui rappelle celui de l’âme de César : parte tamen

meliore mei super alta perennis / astra ferar nomenque erit indelebile nostrum, « la plus noble partie de

moi-même s’élancera, immortelle, au-dessus de la haute région des astres et mon nom sera impérissable ». 101 Iouis ira, v. 871.

102 Elle est d’abord mentionnée aux v. 447-448 par Hélénus, qui annonce à Énée la grandeur de Rome et l’apothéose d’Auguste ; mais ce discours est rapporté par Pythagore, qui vient de décrire l’inévitable ruine des grandes cités (XV, 421-430) et qui, par ailleurs, ne croit pas aux histoires de métamorphoses (v. 359) ; la deuxième (v. 760-761) adosse l’apothéose d’Auguste à celle de César et souligne la manœuvre politique opérée dans les deux cas ; la troisième (v. 838-839) intervient au terme d’un éloge convenu d’Auguste (v. 819-839) et présente l’apothéose dans son caractère familial ; la quatrième (v. 868-870) se termine sur le mot absens, d’autant plus remarquable qu’il est immédiatement suivi de l’épilogue où le poète-narrateur s’accorde l’immortalité (sur ce mot, cf. A. Barchiesi, Il Poeta e il principe. Ovidio e il discorso augusteo, Roma-Bari, Laterza, 1994, p. 264).

103 L’expression est employée par J.-P. Néraudau à propos du livre XV des Métamorphoses (Ovide ou les

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historique, par rapport à Auguste — de cette posture qui relève moins de l’opposition au régime que de l’affirmation d’une fondamentale liberté poétique.

Cette liberté fut-elle pour quelque chose dans la disgrâce d’Ovide ? Du moins affirme-t-il à plusieurs reprises, dans ses dernières œuvres, que son talent l’a perdu : ingenio sic fuga

parta meo, écrit-il au début des Tristes104. Le Caesar qu’invoquera inlassablement le poète-narrateur des Tristes et des Pontiques sera Auguste, praesentem conspicuumque deum105 dont il espérera en vain la clémence, puis Tibère et Germanicus. Père de son opus poétique, il attendra de lui qu’il soit, après cette forme de mort qu’est la relegatio, un fils sinon vengeur, du moins respectueux106, capable de montrer envers lui la pietas qu’il dit avoir manifestée à toute la lignée des Césars, de Jules César divinisé à Germanicus en passant par Auguste et Tibère : pro […] / Caesare tura pius Caesaribusque dedi, écrit-il dans la première élégie des

Tristes107 ; dans la longue pièce II, il présente les Métamorphoses comme une œuvre à la gloire des Iulii et en particulier d’Auguste (v. 63-66), qu’il compare à Jupiter vainqueur des Géants (v. 69-72108) avant d’évoquer la gloire du princeps et de son père (v. 167-168). Comment, Caesaribus saluis, un Latin peut-il se trouver dans des chaînes barbares109 ? Auguste n’est-il pas l’homme qui fit revenir à Rome les aigles et les hommes pris à Carrhes ? Mais le prince, s’il a vengé sa patrie et son père et dédié à la mémoire de celui-ci un sanctuaire puis un temple de Mars Vltor110, est à son tour devenu un inflexible deus ultor ; Ovide souligne d’ailleurs implicitement l’injustice qu’il y a à condamner l’Art d’aimer alors qu’on lit à Rome les œuvres de Brutus, assassin de César111.

Pourtant, dans les dernières œuvres d’Ovide, la silhouette à laquelle nous avons consacré cette étude se vide presque entièrement de sa charge symbolique pour reprendre la fonction minimale, géographique, qui était souvent la sienne dans les œuvres de jeunesse. Ainsi, quand dans l’élégie III, 1 des Tristes Ovide parcourt par l’imagination, grâce à son livre, cette Rome dont l’Art d’aimer, cause officielle de la relegatio, avait fait la cartographie érotique, il mentionne le Forum de César112 ; et, dans les Pontiques, le « divin Jules » regarde

104 « Mon talent est cause de mon exil » (I, 56). 105 « Dieu présent et visible » (Tr., II, 54).

106 Sur ce double motif (le poète père de son œuvre, la relegatio comme mort), cf. notamment Tr., I, 1 et III, 14. 107 « Si j’ai pieusement offert l’encens en l’honneur de César et des Césars » (I, 103-104).

108 Dans l’élégie 5 du livre III, c’est comme foudroyé par Jupiter qu’il se présente (v. 7). Cf. aussi III, 11, 62. 109 … fas prohibet Latio quemquam de sanguine natum / Caesaribus saluis barbara uincla pati. « Il serait sacrilège qu’un homme de sang latin, tant qu’il y aura des Césars, endurât les fers des Barbares. » (Tr., II, 206). 110 Cf. Tr., II, 295-296.

111 Comme d’ailleurs celles d’Antoine. Cf. Pont., I, 1, 23-26. 112 III, 1, 26. Cf. aussi Pont., I, 8, 35.

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de son temple Castor et Pollux dans le leur113. Les lettres en distiques élégiaques envoyées à Rome pour tenter de fléchir l’Aeneaden114, même porteuses des « noms sacrés de la gens

Iulia »115, resteront sans effet ; et quand Ovide, atteint par le désespoir, évoquera des exemples célèbres d’incroyables revirements de la Fortune, ce n’est pas à César, mais au grand homme vaincu par lui qu’il pensera : Quid fuerat Magno maius ? Tamen ille roaguit /

submissa fugiens uoce clientis opem116. Le sens de sa vie s’étant peu à peu concentré dans sa passion pour l’écriture, il deviendra lui-même l’un des personnages de son œuvre117 ; celle-ci se sera muée en une puissance autonome, à la fois dévorante et créatrice, capable non seulement d’absorber tous les êtres, aussi bien historiques que mythologiques, mais de réorienter pour toujours le cours de leur destin, parfois même jusqu’à en faire des dieux118, elle qui donne à la fiction politique de l’apothéose des hommes d’État une réalité tangible119 et qui, surtout, confère au poète la seule vraie éternité, celle du génie120.

113 II, 2, 83-84 : quos proxima templa tenentis / diuus ab excelsa Iulius aede uidet, « [les frères] que, de son temple élevé, le divin Jules voit habiter le temple voisin » ; éd. J. André, 20022 (1ère éd. 1977). Cf. aussi IV, 5, 21.

114 « Descendant d’Énée » (Pont., I, 1, 35).

115 … gentis Iuleae nomina sancta fero (Pont., I, 1, 45-46).

116 « Quoi de plus grand que le grand Pompée ? Pourtant, dans sa fuite, il demanda d’une voix humble la protection de son client ». Les lettres 1, 4, 5 et 15 du livre IV des Pontiques sont d’ailleurs adressées à Sextus Pompeius, lointain parent du grand Pompée et porteur, dans son nom et sa personne, du souvenir de son illustre ancêtre ; et quand, aux v. 33-34 de l’élégie 4, Ovide écrit que son ami, au premier jour de son consulat, désirera se concilier surtout, parmi les dieux, Jupiter et César, on ne voit pas seulement Auguste dans le terme Caesar du v. 34 : sur l’itinéraire du nouveau consul entre le Capitole et la Curie, c’est aussi l’ombre de César qui, à nouveau, se dresse et fait face à un Pompée.

117 En particulier les personnages métamorphosés : cf. Tr., I, 1, 119-120.

118 Di quoque carminibus, si fas est dicere, fiunt / tantaque maiestas ore canentis eget. « Ce sont aussi les vers, s’il est permis de le dire, qui font les dieux, et leur majesté souveraine a besoin d’une voix qui les chante. » (Pont., IV, 8, 55-56).

119 … et modo, Caesar, auum, quem uirtus addidit astris, / sacrarunt aliqua carmina parte tuum, « et naguère, César, les vers eurent une part à la consécration de ton aïeul que sa vertu ajouta aux astres » (ibid., v. 63-64 ; Ovide s’adresse à Germanicus et fait allusion à l’apothéose d’Auguste).

120 Cf. notamment l’élégie III, 9 des Amours et l’épilogue des Métamorphoses (XV, 871-879), et, pour les poèmes de la relegatio, Tr., III, 3, 77-80 et surtout 7, 49-52 ainsi que IV, 10, 129-130.

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