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Une compréhension critique des nations et du nationalisme autochtones au Canada : traditionalisme et modernité politique et étude de cas sur les Innus au Québec

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Academic year: 2021

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UNE COMPRÉHENSION CRITIQUE DES

NATIONS ET DU NATIONALISME

AUTOCHTONES AU CANADA

Traditionalisme et modernité politique et étude de cas sur

les Innus au Québec

Thèse

Jean-Olivier Roy

Doctorat en science politique Philosophiæ Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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Résumé

Cette thèse s’interroge sur la nature évolutive des nations et du nationalisme autochtones au Canada. L’auto-identification des nations ainsi que les bases normatives du nationalisme autochtone sont principalement ancrées dans la tradition et la continuité. En contrepartie, on remarque l’insertion grandissante du discours autochtone dans un langage essentiellement moderne, tout comme certaines actions politiques des élites et des citoyens témoignent d’une conception de plus en plus moderne de la nation. La recherche se concentre donc sur l’impact de la tradition et de la modernité dans la définition de la nation et du nationalisme autochtones contemporains.

La recherche propose une perspective croisée entre les idées politiques, l’analyse empirique et les théories normatives. Deux scénarios interprétatifs sont envisagés. D’abord, la thèse de la continuité, issue de l’approche primordialiste, où on observerait, chez les Autochtones, la présence, antérieure au contact avec les Européens et à l’avènement de la modernité, de nations et d’éléments politiques structurés. Un second scénario, issu de l’ethnosymbolisme, n’exclut pas que les nations se soient formées autour de noyaux ethniques préexistants, mais prend aussi en compte l’évolution vers des éléments politiques plus contemporains, due à l’impact de la modernité et à l’influence des nations et des nationalismes environnants. Ce scénario est privilégié dans la recherche. Suit l’examen des divers types de nationalismes autochtones contemporains au Canada, en fonction de leur rapport à l’État, aux structures émanant de celui-ci et au rôle des élites et des citoyens. Puis, une étude de cas est présentée, celle des Innus au Québec, constituée d’entrevues avec des acteurs clés permettant de vérifier la validité du scénario interprétatif. En parallèle, la recherche contient une importante partie normative. Celle-ci, s’appuyant sur le droit à l’autodétermination des nations, examine les présupposés normatifs du nationalisme autochtone, qui se trouvent eux aussi à effectuer une synthèse entre tradition et modernité.

En conclusion, une reformulation concernant la nature des nations et du nationalisme autochtone est proposée. Les bases normatives, principalement ancrées dans le passé, sont reconsidérées en intégrant également des éléments plus modernes, en fonction des conclusions établies par la recherche.

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Abstract

This dissertation examines the evolving nature of indigenous nations and nationalism in Canada. Nations self-identification and normative foundations of indigenous nationalism are mainly rooted in tradition and continuity. In return, we note the increasing integration of indigenous discourse in a very modern repertoire, making use of concepts such as "self-determination", "sovereignty" citizenship and "government", among others, as certain political elites and citizens actions demonstrate a modern conception of the nation. Research therefore focuses on the impact of tradition and modernity in the contemporary definition of the nation and the indigenous nationalism.

This research proposes a cross perspective between political thought, empirical analysis, and normative theories. Two interpretive scenarios are considered. First, the thesis of continuity, following the primordialist approach, where one would observe among Aboriginals the presence, prior to contact with Europeans and the advent of modernity, of nations and structured political elements. It is a dominant speech among Aboriginal nationalist elites. A second scenario, derived from the theory of ethnosymbolism, does not exclude that some core elements have remained, such as myths, symbols, traditions, and that nations are formed around pre-existing ethnic cores. However, it also takes into account the evolution towards more political standards, due to the impact of modernity and the influence of surrounding nations and nationalism. This scenario is favored in the research. Following the observation of various types of contemporary indigenous nationalism in Canada, with regard to the relation with the state, its structures and the role playing by elites and citizens. Then, a case study is presented, that of the Innu in Quebec, consisting of interviews with key players, which allows to verify the validity of the interpretative scenario. In parallel, research has a considerable normative part. The latter, based on the self-determination of nations, examines the normative assumptions of Aboriginal nationalism which perform a synthesis between tradition and modernity.

To conclude, some reformulation of the nature of Aboriginal nations and nationalism is proposed, in which the normative bases, mainly rooted in the past, are reconsidered by integrating and taking more modern elements as well, depending on the conclusions reached by the research.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... ix

Liste des cartes ... xi

Liste des sigles ... xiii

Remerciements ... xv

Avant-Propos ... xvii

Introduction ... 1

Un aperçu du parcours historique des nations autochtones ... 1

Problème de recherche, contexte, objectifs et questions de recherche ... 8

Plan des chapitres ... 12

Chapitre 1 : Théorie, concepts et méthodologie ... 15

Les théories de la nation et le cadre théorique empirique ... 15

Le primordialisme ... 15

Le modernisme ... 20

L’ethnosymbolisme ... 25

Le cadre théorique normatif et le rôle des idées politiques ... 29

Les concepts ... 36

Autochtones et non-Autochtones ... 36

Cultures, ethnies, nations et peuples ... 38

Nationalisme ... 46

Sentiment national ... 49

Modernité ... 49

Traditions et traditionalisme ... 51

Considérations épistémologiques et interprétations ... 52

Méthodologie ... 58

Chapitre 2 : Un nationalisme ancré dans le passé ... 63

Occupation du territoire, organisation politique, souveraineté et autodétermination ... 68

Des systèmes juridiques ... 76

Citoyenneté, appartenance au groupe et identité ... 78

Les ancêtres ... 85

Les traditions ... 87

Le lien à la Terre, à la nature, et le Créateur ... 88

Considérations épistémologiques concernant l’analyse du discours nationaliste autochtone ... 90

La culture orale ... 90

Une conception de l’Histoire ... 92

Le problème de la traduction conceptuelle ... 93

La séparation des composantes ... 95

Une conception essentialiste? ... 96

Conclusion ... 106

Chapitre 3 : Le nationalisme autochtone en contexte ... 111

Les contacts interculturels et l’impact de la modernité ... 112

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L’insertion dans le langage de la nation ... 140

Un contexte québécois, canadien et nord-américain ... 143

Un contexte international : la décolonisation ... 152

Le nationalisme autochtone comme pur produit de la modernité? ... 161

Conclusion ... 167

Chapitre 4 : Nationalisme et exercice du pouvoir dans les communautés autochtones ... 173

Les dirigeants officiels ... 176

Les traditionalistes ... 190

Les citoyens ... 193

Des manifestations nationalistes inextricablement liées : Attawapiskat et le mouvement « Idle No More » ... 203

Conclusion ... 211

Chapitre 5 : Nations et nationalisme autochtones. Le cas des Innus ... 215

Le rôle de la théorie ... 216

Présentation de la nation innue ... 216

Les Innus au cours de l’histoire : tradition, modernité et interprétations ... 219

Continuité culturelle et rapport au territoire ... 227

Les entretiens : recrutement et présentation des participants ... 234

L’identité ... 243

Le territoire ... 260

La politique et les droits ... 272

Conclusion ... 295

Conclusion ... 299

Penser et repenser le nationalisme autochtone ... 301

Bibliographie ... 313

Annexe 1 : Grille d’entrevue ... 335

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Les principaux jugements concernant les droits autochtones ... 134 Tableau 2 : Répartition des Innus par communautés. ... 218

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Liste des cartes

Carte 1 : Le Nitassinan ... 217 Carte 2 : Les territoires touchés par l’entente de principe de 2004 ... 226

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Liste des sigles

AADNC : Affaires autochtones et développement du Nord Canada APN : Assemblée des Premières nations

APNQL : Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador CAM : Conseil Attikamek-Montagnais

CBJNQ : Convention de la Baie James et du Nord québécois

CÉRUL : Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval

CRPA : Commission royale sur les peuples autochtones SOCAM : Société de communication Atikamekw-Montagnais

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Remerciements

Pour la réalisation de cette thèse, je me dois de signifier mon immense gratitude envers certaines personnes ou organisations sans qui ce travail aurait été impossible. Au niveau académique, je tiens d’abord à remercier tout particulièrement mon directeur, le professeur Guy Laforest, ainsi que mon co-directeur, le professeur Thierry Rodon, du département de science politique de l’Université Laval, qui m’ont guidé et éclairé pas à pas dans cette aventure. Je veux également remercier les autres membres du jury, les professeurs Martin Hébert, Jocelyn Maclure et Martin Papillon, et le président du jury pour la soutenance, le professeur Marc-André Bodet. J’aimerais aussi remercier le professeur Alain G. Gagnon de l’UQÀM, qui me fournit de précieux conseils quant à mes orientations théoriques. Je tiens aussi à signifier mon immense considération à toutes les personnes qui ont accepté de répondre aux entrevues et qui fournissent une dimension essentielle à cette thèse, ainsi qu’aux dirigeants politiques des communautés autochtones qui ont accepté que je mène une recherche sur leur territoire. Au niveau du soutien financier, j’aimerais également exprimer ma gratitude envers le FQRSC, le CRSH, le CRIDAQ et l’Université Laval qui m’ont fourni des bourses essentielles à la réalisation de cette thèse.

Je tiens également à remercier mon père pour m’avoir intéressé dès le plus jeune âge à la politique et m’avoir sensibilisé aux inégalités, à la fois dans une perspective sociale et nationaliste, et pour son soutien durant mes études. Ma mère, pour m’avoir elle aussi soutenu et avoir participé à la correction de mon manuscrit, à ma sœur et à Anick pour leurs encouragements. Merci à Danielle, qui m’a aidé et soutenu depuis le début de cette aventure qui aurait été impossible sans son aide. Et enfin, je remercie mes deux filles, qui m’ont encouragé à leur façon, qui ont elles aussi subi mes longues soirées passées à l’ordinateur, et qui me questionnaient pour tenter de saisir quel pouvait bien être ce « devoir » qui me prenait deux ans à rédiger.

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Avant-Propos

Moi, dans mon esprit, je suis souverain déjà. Moi, je suis très fier d’être Innu, je suis souverain dans mes pensées, souverain dans mes actes. […] Mais, est-ce que ma collectivité, mon peuple est souverain? Je ne pense pas. […] Nous sommes étrangers dans notre propre pays, en ce moment. Raoul Vollant, journaliste, Uashat mak Maliotenam

Ma première rencontre avec les Innus remonte à la fin de l’année 2001, alors que je fus invité à Maliotenam et que je vécus une expérience unique en forêt, dans des camps de chasse au caribou, non loin de Schefferville. Je suis instantanément tombé amoureux de ce peuple chaleureux, accueillant, qui place au centre de ses valeurs le partage, la vie en communauté et l’humour, chez qui on entre sans frapper et où on prépare toujours plus de nourriture que nécessaire, au cas où un membre de la famille ou un ami improviserait une visite. Une autre passion qui m’habitait alors, la photographie, me permettait de communiquer mon interprétation du monde.

Quelques années plus tard, alors que se précisait mon chemin académique à la maîtrise en science politique, le sujet de la recherche s’est naturellement imposé à moi : il allait porter sur la démonstration de l’aspect colonial de la relation entre les nations non-autochtones et non-autochtones, réalité coloniale qui n’est reconnue ni par le politique, ni par une bonne partie de la population, qui continue à évoluer sur ces terres comme si les Autochtones ne les avaient jamais occupées. Au moment de choisir le thème de ma thèse de doctorat, j’ai poussé un peu plus loin l’analyse, cette fois en me concentrant davantage sur les nations autochtones elles-mêmes, principalement sur leur autoperception et l’articulation entre tradition et modernité qui forge les Autochtones d’aujourd’hui. En me situant moi-même un peu à cheval entre ces deux cultures, je fus à même de constater les différences de point de vue quant au politique, au territoire, à la langue… Je subis également, je l’admets, de nombreuses frustrations quant à la stagnation du dossier autochtone.

Je dois poser certaines mises en garde avant la lecture de cette thèse. Le choix de l’écriture de celle-ci fut motivé par un intérêt jamais démenti pour les nations autochtones.

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La question des droits autochtones au Canada et au Québec est sensible, encore davantage si elle est traitée par un non-Autochtone. Dans ce domaine, adopter une certaine position critique en vient à jongler constamment avec le danger de voir les propos dénaturés ou mal interprétés, voire utilisés à des fins opposées à celles recherchées. La décolonisation et la liberté pour les peuples autochtones représentent, j’en suis persuadé, la seule issue à la « question indienne ». Quant à l’expression de cette volonté de liberté, le nationalisme autochtone, il possède, pour moi, une légitimité indéniable. Si je cherche, dans cette thèse, à le décortiquer, à le démystifier et à en critiquer certains éléments, ce n’est nullement dans l’objectif de le discréditer, mais plutôt de lui permettre de s’inscrire dans un ensemble plus vaste et se questionner lui-même quant à son origine, sa nature, son évolution et ses objectifs, dans le but qu’il en vienne à se dépasser lui-même, notamment en ce qui concerne certains lieux communs et contradictions apparentes. À terme, il s’agit de lui permettre d’instaurer de véritables changements politiques qui m’apparaissent vitaux et qui, jusqu’à maintenant, sont restés de portée limitée. Je souhaite ardemment que cette thèse sera lue avec cette toile de fond bien présente à l’esprit du lecteur.

Sur une note plus technique, lors de la rédaction de cette thèse, j’ai dû faire des choix en ce qui concerne la terminologie. Le terme « Autochtone », au centre de la recherche, est utilisé comme concept de base, bien que certains auteurs puissent avoir des objections quant à son emploi, parce que trop général le plus souvent. Son antithèse, « non-Autochtone », peut de la même façon être considérée comme trop simpliste. Néanmoins, je crois que de telles généralisations sont possibles et nécessaires, bien que je sois parfaitement conscient des différences profondes qui existent entre les nombreuses nations autochtones ou non-autochtones. En accord avec la tendance au sein de la littérature sur le sujet, j’ai choisi d’employer la majuscule lorsque le terme référait au nom, et à la minuscule lorsqu’utilisé comme adjectif. Il n’existe toutefois pas de consensus à ce sujet, les citations rapportées peuvent donc contenir une minuscule lorsque le terme est employé comme nom. J’ai aussi choisi d’accorder les termes tels que « innu » et « cri » employés comme noms mais aussi comme adjectifs. Je parlerai, par exemple, de la « nation innue », de façon à respecter des règles de grammaire française élémentaire. Il s’agit encore là de choix qui ne font pas l’unanimité, étant donné que la langue innue, par exemple, ne possède pas de féminin pour les noms communs et, a fortiori, pour les adjectifs. Aussi, compte tenu des

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différentes orthographes désignant les nations autochtones, j’ai choisi les plus courantes, soit « Innu », comparativement à l’orthographe, un peu moins répandue, « Ilnu », ainsi qu’« Atikamekw », comparativement à « Attikamekw », « Attikamek », ou « Atikamekw ».

Lorsque je cite certains auteurs ou lorsque je désigne certaines organisations, pour respecter l’orthographe d’origine, il est possible que ces différentes déclinaisons apparaissent sporadiquement.

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Introduction

La science politique a produit de nombreux travaux concernant les nations et le nationalisme. Malgré le fait qu’on ait souvent prédit, voire souhaité leur disparition, il est aujourd’hui manifeste que les nations et les nationalismes ne sont plus menacés de subir ce sort dans un avenir prévisible. Au contraire, au cours des dernières décennies, ils sont devenus des éléments incontournables du politique. Cet état de fait est particulièrement vrai au sein des États dits multinationaux, où la notion de nation en tant que sujet de revendication politique représente des défis sans cesse renouvelés en ce qui concerne les questions de partage des pouvoirs, d’autonomie, de reconnaissance ou de sécession. Dans cette thèse, nous avons choisi de nous interroger sur l’origine, la nature, les fondements et les objectifs des nations et du nationalisme autochtones, en mettant au défi des notions qui sont devenues, avec le temps, des lieux communs mais qui pour nous ne vont pas de soi. Mais auparavant, il s’impose de présenter de façon succincte la trajectoire historique de ces groupes que l’on qualifie aujourd’hui de nations autochtones, ainsi que leur relation avec les nations non-autochtones. Cette mise en perspective nous permettra de situer la position théorique et normative que nous adopterons par la suite comme cadre de compréhension des relations entre Autochtones et non-Autochtones.

Un aperçu du parcours historique des nations autochtones

Les relations entre les nations autochtones et non-autochtones au Canada sont complexes et présentent des variantes importantes entre les peuples et les régions. Néanmoins, et en accord avec les catégories mises de l’avant par la Commission royale sur les peuples autochtones, ci-après nommée CRPA, qui a rendu son rapport en 1996, nous pouvons identifier quatre phases dans les relations entre les nations autochtones et non-autochtones au Canada : d’abord, la situation des groupes non-autochtones peu avant et au moment du contact, que la CRPA identifie comme étant celle des « deux mondes étanches »; ensuite, la relation entretenue entre les nations dans les premiers rapports, ponctués de nombreuses alliances, ou « interaction et coopération »; puis, une transformation de cette relation en marginalisation progressive des Autochtones pendant la

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phase de colonisation en tant que telle, identifiée comme étant la phase de « déracinement et assimilation »; enfin, une certaine résurgence des groupes autochtones, qualifiée de « négociation et renouveau », qui commence dans les années 1970 pour se poursuivre jusqu’à nos jours (Canada, 1996a : 39-411). Cependant, de l’aveu même de la CRPA, « il

arrive que ces étapes se chevauchent ou qu’elles ne débutent pas au même moment dans les différentes régions » (Canada, 1996a : 39). Cette catégorisation permet néanmoins de jeter un certain éclairage sur la politique des non-Autochtones envers les Autochtones en fonction des buts, ou intentions des acteurs, qui ont varié au fil du temps, de même que sur les rapports de force en présence ainsi que les idéologies qui ont caractérisé les différentes époques.

Le fait que les Autochtones des premiers contacts aient été des peuples de tradition orale a mené à une histoire écrite par les seuls explorateurs et missionnaires européens. Il n’est pas facile d’établir avec certitude jusqu’à quel point les Autochtones étaient organisés politiquement au moment du contact. La question des sources « primaires » concernant cette période est de plus à prendre avec précaution. En effet, les tentatives de justification de l’occupation du territoire par les Européens ou encore, de façon générale, de la supériorité de la civilisation sur la vie sauvage, ont pu fausser les interprétations de ces premiers « historiens » (Canada, 1996a : 112-113). Forts des convictions de l’époque, les Autochtones qui vivent dans la nature n’exploitent pas suffisamment les ressources pour qu’elles leur appartiennent. Le mode de vie européen, axé sur l’agriculture intensive, est plus productif, et justifie que les colons accaparent les terres, les défrichent et les exploitent. On assistera déjà, au XVIIième siècle, à des tensions en Nouvelle-France, en

Nouvelle-Angleterre et en Nouvelle-Hollande entre Européens et Autochtones sur ces questions (Delâge, 1991 : 287-290), alors que parallèlement, des auteurs comme John Locke et Emer de Vattel élaboraient des théories éloquentes justifiant ce comportement (Tully, 1999 : 68-77). De plus, il est possible que certains comportements, en raison de différences culturelles et de la moralité chrétienne, aient été tout simplement mal interprétés (Lacasse, 2004 : 19), ce qui apparaît clair à la lecture des Relations des Jésuites entre autres. C’est pour tenter de dépasser la représentation ethnocentrée des écrits européens de

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l’époque concernant les Autochtones que certains chercheurs ont tenté de rassembler, à partir du XXième siècle, des récits oraux qui, bien qu’à utiliser avec parcimonie, se parent de

plus en plus d’une certaine valeur historique et même juridique, par exemple quant aux conceptions particulières en ce qui concerne le territoire ou à l’occupation de celui-ci. C’est ainsi que les récits oraux furent utilisés comme preuve, devant la Cour, de l’occupation ancestrale de territoires particuliers dans l’affaire Delgamuukw. La Cour souligna que les récits oraux autochtones devaient être mis sur un pied d’égalité avec les autres preuves historiques, notamment les documents écrits (Lacasse, 2004 : 20). À ces sources historiques est venue aussi s’ajouter l’archéologie, qui nous renseigne sur les lieux et l’importance des établissements des groupes autochtones et sur les déplacements de ceux-ci.

Il existe, de plus, des différences importantes entre les groupes. Il est en effet admis que les groupes semi-nomades2 étaient moins organisés que les groupes sédentaires, dont

les Iroquois sont l’archétype. Ces derniers présentaient une organisation complexe de clans, de communautés, de nations et de regroupement de nations, ou confédération (Alfred, 1999 : 25). Cette dernière structure politique est d’ailleurs considérée par certains, tels Iris Marion Young et l’historien huron-wendat Georges Sioui, comme étant à l’origine des notions modernes de fédéralisme et de confédéralisme, dont les États-Unis, alors en formation, se seraient d’ailleurs inspirés (Young, 2000; Sioui, 1999 : 132-133). À l’opposé, les groupes semi-nomades, majoritaires, se formaient et se défaisaient au gré des saisons. Des rassemblements de plusieurs centaines de personnes avaient lieu l’été, une période pendant laquelle on procédait à des cérémonies, des échanges et des mariages. En revanche, à l’automne, l’ensemble se fragmentait en communautés de quelques familles, réunies normalement autour d’un chasseur expérimenté qui prenait alors une certaine autorité, le plus souvent temporaire, sur un groupe à géométrie variable. Dans tous les cas, on parle d’une conception du pouvoir décentralisée et peu hiérarchisée, axée sur la persuasion plutôt que sur la contrainte (Alfred, 1999 : 25-27; Delâge, 1991 : 72-74, 303).

2 Les termes « semi-nomade » et « semi-nomadisme » sont préférés aux termes « nomade » et

« nomadisme », car ils impliquent que les déplacements s’effectuaient sur un nombre de territoires restreints et qu’une certaine continuité de l’occupation des territoires pouvait s’observer, de façon cyclique,

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La deuxième étape, identifiée en tant qu’« interaction et coopération » par la CRPA, est marquée par « des alliances commerciales et militaires » (Canada, 1996 : 40) entre Autochtones et non-Autochtones. Il y a un relatif consensus au sujet des relations entre les Autochtones et les non-Autochtones de l’époque. Elles semblaient être, en apparence du moins, d’égal à égal, peut-être même à l’avantage des Autochtones, du fait de leur nombre et de leur connaissance du territoire (Canada, 1996a : 106). En effet, cette forme égalitaire de relations est observable dans un type de traité, appelé wampoum à deux rangs, conclu en 1613 entre les Mohawks et les Hollandais (Canada, 1996 : 131-132). À noter que l’esprit de ces traités entre partenaires égaux est souvent cité par la CRPA, par des intellectuels autochtones comme Taiaiake (Gerald) Alfred et par un juriste comme Michel Morin comme des exemples de relations « diplomatiques » (Canada 1996a : 132), voire « internationales » (Canada, 1996a : 131; Morin, 1997 : 85), entre Autochtones et non-Autochtones qui auraient pris place dès les débuts de la relation entre nations autochtones et non-autochtones, et qui prenaient un caractère « quasi diplomatique » (Canada, 1996a : 148) chez les non-Autochtones, tout comme chez les Autochtones d’ailleurs. Le type de traités qui furent signés durant cette époque démontre aussi ce respect mutuel : « les premiers traités entre Autochtones et non-Autochtones au Canada furent conclus dans le contexte de petits groupes de colons n’occupant qu’une faible portion du territoire du continent, et portaient généralement sur les échanges commerciaux, le droit, la paix, l’alliance et l’amitié, l’extradition et l’échange de prisonniers » (Canada, 1996a : 130). En effet, durant cette période, l’immigration européenne fut relativement minime, ce qui se traduisit par une faible demande de terres et, par conséquent, peu de conflits quant à celles-ci.

L’interprétation concernant cette période d’« égalité » entre les nations doit toutefois être nuancée : en effet, bien qu’on ait affiché, du côté européen, un respect pour l’autorité des nations autochtones sur leurs territoires, il semble que les nations européennes aient secrètement entretenu entre elles des prétentions sur les territoires, comme l’avance la CRPA :

Alors que le discours politique entre les Européens et les nations autochtones était fondé sur le respect mutuel et la reconnaissance de leurs pouvoirs en tant que nations, le discours entre les puissances coloniales faisait état de leur

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prétention à une autorité souveraine sur les nations autochtones. Il est clair que les peuples autochtones n’ont pas supposé ou accepté l’existence d’un rapport de domination, et, dans la pratique, les Européens n’ont pas essayé d’en imposer un pendant cette première période d’interaction. Leur discours et leurs alliances avec les nations autochtones reposaient plutôt sur des principes d’égalité, de paix et d’échanges mutuels (Canada, 1996a : 136).

Aussi, déjà au XVIIième siècle, par exemple chez Locke, on considérera que les

Autochtones ne détiennent pas de droits de propriété sur leurs terres. Cette vision, nous explique la CRPA, citant Tully, vient du fait que les Autochtones, en tant que non-chrétiens ne cultivant pas, le plus souvent, la terre de façon tout à fait sédentaire et ne possédant pas de gouvernement effectif aux yeux des Européens, n’ont par conséquent pas la pleine souveraineté de leurs terres, qui sont donc considérées comme terra nullius, ou inoccupées, ce qui signifie que les non-Autochtones peuvent s’en emparer (Canada, 1996a : 46-47). Il semble toutefois qu’il y ait eu un décalage entre la théorie et la pratique, ou entre « philosophie » et « pragmatisme » (Canada, 1996a : 139), le second l’emportant bien souvent durant cette phase des relations entre les nations en raison du rapport de force démographique et politique qui prévalait alors : « Tant que leurs colonies étaient petites et vulnérables, ils [les non-Autochtones] concluaient des traités avec empressement en se conformant scrupuleusement aux modalités et aux rites demandés par les nations indiennes » (Canada, 1996a : 130). À noter que cette relation « d’égal à égal » vaut davantage pour l’aspect politique qu’économique : en effet, la relation économique qui se mit en place dès le XVIIième siècle entre Européens et Autochtones, autour de la traite des

fourrures, est qualifiée d’« échange inégal » par un auteur comme Delâge, un type d’échange caractéristique d’une relation coloniale (Delâge, 1991 : 89). Malgré la transformation de l’activité économique, les modes de gouvernance décentralisés et le mode de vie semi-nomade perdureront durant cette phase, voire s’accentueront en raison de la traite des fourrures qui prolonge la durée des séjours en forêt (Delâge, 1991 : 164).

Le rapport démographique, qui expliquait pour une bonne part le principe du respect de l’égalité entre les nations, s’est plus tard renversé. Vers la fin du XVIIIième siècle, les

populations autochtones et non-autochtones étaient à peu près égales, en raison de deux facteurs : l’augmentation de la population non-autochtone, due à l’immigration de l’Europe et des nouveaux États-Unis par l’arrivée massive de loyalistes, et à la diminution des

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populations autochtones, principalement en raison des maladies (Canada, 1996a : 147). Les relations « égalitaires » se sont donc transformées alors qu’on fit face à un besoin constant de nouvelles terres pour soutenir l’immigration européenne croissante. Dès lors, pour Renée Dupuis, la relation d’interaction, d’interdépendance et de gain mutuel entre les nations fut renversée : « il semble que le développement historique et contemporain du Canada soit fondé sur une conception selon laquelle les Autochtones constituent en fait un obstacle à écarter sur le chemin du développement et de l’exploitation des ressources du territoire » (Dupuis, 2001 : 16). Cet objectif marque le début de la troisième phase des relations entre les nations, appelée « déracinement et assimilation », que la CRPA situe « au cours des dernières décennies du XVIIIième siècle et au début du XIXième » (Canada, 1996a :

147). À cela est venu s’ajouter ce que la CRPA qualifie de « normalisation des relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, après la Guerre de 1812 » (Canada, 1996a : 148), qui rendait caduques les alliances militaires avec les Autochtones, et ce faisant réduisait leur importance politique.

La CRPA qualifie donc cette période de « déracinement », certes physique mais aussi culturel. Parmi les manifestations les plus évidentes de ce déracinement, notons la création des réserves qui imposent aux Autochtones un lieu de résidence, un mode de vie sédentaire, une forme de gouvernement calquée sur les gouvernements municipaux, et évidemment les pensionnats autochtones. La plupart de ces éléments furent le fait de politiques gouvernementales : celles des gouvernements coloniaux dans l’intervalle entre la proclamation royale de 1763 et la Confédération de 1867 (Canada, 1996a : 118-119) et des autorités fédérales par la suite, ce palier de gouvernement ayant, en vertu de l’article 91 (24) de la Constitution canadienne de 1867, hérité des compétences en ce qui a trait aux « Indiens ». C’est d’ailleurs à la suite de la Confédération que le déracinement et l’assimilation prennent leur forme la plus poussée, d’abord avec l’Acte pourvoyant à

l’émancipation graduelle de 1869, puis avec l’Acte des sauvages de 1876 et de 1880, puis

l’Acte de l’avancement des sauvages de 1884 (Canada, 1996a : 193), et plus tard avec la

Loi sur les Indiens, qui subira de nombreuses modifications au cours du vingtième siècle

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Malgré ce rôle de premier plan des autorités politiques, d’abord britanniques et canadiennes par la suite, d’autres acteurs ont également participé à ce déracinement et à cette assimilation, notamment les communautés religieuses qui ont joué un rôle clé dans les pensionnats autochtones, et auxquelles on attribue la paternité du modèle des réserves, dont la première voit le jour du temps du régime français avec la réduction de Sillery (Canada, 1996a : 154; Delâge, 1991 : 295-301). Les provinces aussi ne sont pas en reste : le Québec, par exemple, s’est battu dans les années 1930 jusqu’à la Cour suprême pour ne pas assumer le poids financier des Inuit (Simard, 2003 : 83), et le droit de vote des « Indiens » ne sera obtenu au Québec, pour les élections provinciales, qu’en 1969, près d’une décennie après le fédéral, ce qui en fait la dernière province canadienne à ce chapitre.

Nonobstant les politiques d’assimilation, nous avons assisté, paradoxalement, à une forme de marginalisation des Autochtones durant cette même période, principalement à la marginalisation de leur culture et de leur identité. Les réserves constitueront de véritables îlots en marge du reste de la société. De plus on rendra, à une certaine époque, l’exercice de droits ou d’activités dans les institutions de la société majoritaire, tels le droit de vote ou la poursuite d’études universitaires par les Autochtones, conditionnels à l’abandon du statut indien, une démarche appelée « émancipation ». Il en résultera une faible participation des Autochtones à la société canadienne, une mise de côté qui favorisera, dans une certaine mesure, la perpétuation des modes de pensée, des langues, et de certains modes de vie, du moins pour les Autochtones éloignés des zones de peuplement non-autochtones. Dans les faits, et au Québec du moins, les gouvernements fédéral et provincial tenteront peu d’étendre géographiquement leurs tentacules vers les zones plus nordiques avant les années 1960, exception faite de certains développements miniers ou forestiers comme Schefferville ou Chibougamau.

Cette phase d’assimilation/marginalisation ne signifie toutefois pas que les Autochtones aient complètement disparu de la scène publique. Claude Gélinas, dans son ouvrage Les Autochtones dans le Québec post-confédéral (1867-1960), s’emploie

justement à démentir ce raccourci historique. En effet on commence à percevoir, chez les

non-Autochtones, une certaine sensibilisation au sort des Autochtones après l’effort de guerre de ces derniers et à la suite de la crise économique des années 1930, qui affectera

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particulièrement les Autochtones (Gélinas, 2007 : 49-50), en plus du fait qu’une certaine protection des cultures autochtones sera réclamée par des non-Autochtones, bien que cette opinion reste minoritaire (Gélinas, 2007 : 90-98, 116).

Une quatrième et dernière phase, appelée phase de « négociation et renouveau » par la CRPA, commence il y a quelques décennies pour se poursuivre jusqu’à nous. Il s’agit d’une véritable résurgence marquée par des gains à plusieurs niveaux. Soulignons d’abord le droit de vote au niveau fédéral en 1960 et dans les provinces à des dates quelque peu antérieures ou postérieures. Ensuite, des décisions favorables des tribunaux, notamment dans le contexte du développement hydroélectrique de la Baie James avec le jugement Malouf, mais aussi dans la clarification de la notion de droits ancestraux, par les jugements Calder, Sparrow, Van Der Peet et Powley, et dans celle du titre aborigène, par les jugements Delgamuukw et Tsilhqot’in. Notons aussi les diverses ententes d’autonomie gouvernementale telles que la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Paix des braves au Québec et les diverses ententes d’autonomie gouvernementale ailleurs au Canada, comme l’entente avec les Nisga’as de la Colombie-Britannique ou la création du Nunavut, et les négociations dans le but d’en arriver à de telles ententes, au Québec et dans le reste du Canada. La reconnaissance des Autochtones et de leurs droits ancestraux dans la loi constitutionnelle de 1982 constitua elle aussi un moment charnière, tout comme celle des peuples autochtones par le gouvernement de René Lévesque en 1985. Enfin, au niveau international, nous ne pouvons passer sous silence les actions entreprises à l’ONU, dont le résultat le plus évident est la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples

autochtones adoptée par l’Assemblée générale en 2007, et signée par le Canada en 2010.

Cette phase de résurgence sera directement au centre de notre analyse.

Problème de recherche, contexte, objectifs et questions de recherche

L’étude du nationalisme autochtone soulève certaines questions. D’abord, nous sommes intrigué par le concept même de nation autochtone, dû à certaines interrogations issues de tensions dans la littérature et dans le discours politique, et ce, des deux côtés du débat sur la nature et la place des nations autochtones au niveau politique. Pour certains, les

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nations autochtones sont des sujets de droit, comme les autres nations, que nous appellerons, faute de mieux, occidentales ou non-autochtones. Pour d’autres, les nations autochtones sont plutôt des groupes culturels, et la légitimité de leurs revendications politiques est limitée. À noter qu’il existe aussi, chez les Autochtones, des divergences quant à ces questions. Il s’ensuit de sérieuses tensions entre les acteurs, et ce, au sein même du discours nationaliste autochtone quant à l’origine de la nation, ses frontières ou encore sur son contenu, ainsi que sur les bases normatives sur lesquelles s’appuient les nationalismes et les nationalistes autochtones.

Toutefois, la tension majeure reste, par-dessus tout, l’insertion grandissante du discours autochtone dans un langage essentiellement moderne, visible par l’utilisation de termes clés tels « nations », « droit à l’autodétermination », « souveraineté » et « gouvernement », entre autres. À ce sujet, les Autochtones s’emploient, de façon active, à mettre en relief le fait que les conceptions autochtones, traditionnelles, de la nation, du pouvoir et du territoire diffèrent de façon importante des conceptions non-autochtones (Tully, 2007; N’Tsukw etVachon, 1983 : 17-19). Le nationalisme autochtone, cela semble

clair, remet donc en question de façon importante le cadre de l’État westphalien dans lequel s’insère la plupart des nationalismes (Parekh, 2000 : 182-186). Encore aujourd’hui, le cadre de l’État westphalien et même de la politique tel que nous la connaissons, qui incluent des concepts-clés tels que la domination exclusive de l’État sur le territoire, le pouvoir représentatif ou encore la hiérarchie, sont rejetés au sein du nationalisme autochtone comme étant contraires aux philosophies politiques propres à ces nations.

Nous prendrons toutefois ici le soin d’établir une distinction entre la théorie politique et la pratique, ou entre ce que postulent les Autochtones au niveau de leurs philosophies politiques d’un côté et ce qui leur est matériellement possible de mettre en place de l’autre, notamment en fonction de la structure et de la répartition du pouvoir actuel dans le cadre de l’État westphalien, dont la nature est de répartir le pouvoir de façon presque exclusive entre différentes structures, institutions, gouvernements ou paliers de gouvernements, ainsi qu’en raison de leurs ressources. Ces considérations sur la distinction entre une approche autochtone et non-autochtone du pouvoir et de la nation n’empêchent toutefois pas ces groupes, comme le souligne Kymlicka, de se mobiliser « along nationalist

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lines » (Kymlicka, 2000 : 217). Néanmoins, dans la démarche autochtone, l’accent est souvent mis sur le traditionalisme.

Dans l’ouvrage de Tom Flanagan Premières nations? Seconds regards, l’auteur s’interrogeait sur la part de révisionnisme historique qui pourrait exister vis-à-vis des conceptions dites traditionnelles autochtones (Flanagan, 2002 : 14), qui auraient intégré certains éléments issus des nationalismes plus modernes sans toutefois que soit complètement assumé cet apport. À ce sujet, des auteurs autochtones comme Menno Boldt et Anthony Long, au début des années 1980, rejetaient le « nouveau » nationalisme autochtone qui commençait à émerger sur la scène internationale comme étant non authentique. Selon eux, une perspective de la nation plus culturelle, autochtone, se serait pervertie, transformée en quête de pouvoir selon le modèle occidental, victime d’un « dilemme » entre les « traditions tribales et les idéologies européennes-occidentales » (Boldt et Long, 1984) dans lequel les secondes l’emportent le plus souvent. Paradoxalement, ces arguments rejoignent ceux de Tom Flanagan qui s’emploie plutôt, dans son ouvrage, à déconstruire ce qu’il appelle l’orthodoxie autochtone en effectuant une critique moderniste et libérale du nationalisme et du traditionalisme autochtone. Ces questions seront également au centre de notre analyse.

En ce qui a trait à la période historique que nous touchons dans notre thèse, et nonobstant quelques retours sur l’ère que nous qualifions de pré-moderne des nations autochtones, nous nous interrogeons plus spécifiquement sur le parcours des groupes autochtones au Canada dans ce que nous appelons la période moderne des Autochtones, qui débute dans les années 1970 jusqu’à nos jours. C’est en effet à partir de ce moment que les Autochtones, en tant que groupes s’identifiant comme des nations, se font de plus en plus visibles sur la scène politique. Nous remettons en question l’impression de continuité, voire de pérennité des nations autochtones et de leur nationalisme jusqu’à aujourd’hui. Malgré un discours axé sur la tradition et la continuité, il est évident que les nations et le nationalisme autochtones ont subi des mutations. Nous nous intéresserons plus spécifiquement à ce qui nous semble être la nécessaire reconnaissance de l’imbrication de la tradition et de la modernité dans le cas des Autochtones. C’est donc en tant que construits évolutifs que nous travaillerons à une compréhension critique de ces nations et nationalismes. Pour nous,

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comme pour la plupart des auteurs en sciences sociales, les nations sont des construits en perpétuelle évolution. Nous étudierons aussi des notions corollaires, voire insécables, des nations et du nationalisme : pouvoir, souveraineté, territoire, identité.

Nous poursuivons, dans cette thèse, deux objectifs principaux : d’abord, nous entendons comprendre ce qui a mené à l’évolution des groupes autochtones, leur perception d’eux-mêmes, la nature de leur nation et de leur nationalisme. Concernant ce premier objectif, notre question de recherche sera donc la suivante : dans quelle mesure la tradition et la modernité ont-elles joué dans la définition des nations et du nationalisme autochtones contemporains? Si, pour nous, il est clair que les groupes autochtones sont principalement unis autour d’éléments traditionnels forts, la modernité a certes aussi joué un rôle sur la formation récente des groupes autochtones. Le second objectif concerne plus spécifiquement l’aspect normatif de ce nationalisme. La question de recherche sera formulée ainsi : Quels sont les fondements normatifs sur lesquels s’appuie ce nationalisme? Bien qu’encore ici, des présupposés traditionnels forts concernant l’occupation ancestrale du territoire et la présence de structures politiques millénaires soient avancés par les Autochtones, on utilise également un langage plus moderne quant au droit des nations. Les deux niveaux de la thèse, l’empirique et le normatif, chercheront donc à comprendre de manière critique l’impact de la tradition et de la modernité en étudiant et en interprétant les discours d’intellectuels autochtones et de certains spécialistes non-autochtones, en examinant les actions et discours nationalistes des acteurs politiques et des citoyens et en réalisant des entrevues avec des membres de la nation innue au Québec. L’objectif final, en conclusion, sera de réinsérer le discours nationaliste autochtone dans une théorie du nationalisme et du droit des nations en fonction de cette double influence.

Bien qu’elle soit de la plus grande importance, la question des problèmes sociaux des Autochtones ne sera abordée ici que de façon sporadique. Cette thèse ne proposera pas comme tel de moyen pour améliorer les conditions socio-économiques autochtones, tout comme il n’est pas certain que la décolonisation, objectif ultime de ces nationalismes, améliorera du même coup les conditions de vie des Autochtones. En ce sens, des exemples de nations autochtones ayant bénéficié de structures d’autonomie gouvernementale, semblant aller dans le sens de la décolonisation sans nécessairement la réaliser de façon

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pleine et entière, n’ont malheureusement pas connu d’amélioration importante de leurs conditions sociales. Dans le cas de la Convention de la Baie James, par exemple, la plus vieille entente d’autonomie gouvernementale au Canada, Jean-Jacques Simard a produit des études étoffées qui évaluent les revenus et l’État de santé physique et mentale des populations concernées par la Convention; ses études ne concluent qu’à des différences peu significatives par rapport aux autres populations autochtones au Canada (Simard, 2003 : 291-397). Ce constat, qui pourrait faire l’objet d’une étude ultérieure, ne remet pas en question selon nous le bien-fondé de la décolonisation et de la mise de l’avant du droit à l’autodétermination des nations autochtones, mais suggère peut-être au contraire que le processus n’est pas allé encore assez loin, que certaines lacunes doivent encore être comblées, et que des décennies sinon des siècles de marginalisation politique, sociale et économique ne peuvent être si aisément renversés.

Plan des chapitres

Le chapitre 1 exposera les considérations théoriques nécessaires à la poursuite de la recherche, principalement les différentes théories de la nation, certaines définitions de concepts, divers scénarios envisageables pour répondre à nos questions de recherche ainsi que la méthodologie que nous utiliserons.

Les chapitres subséquents traiteront chacun de l’exploration de scénarios, qui représentent autant de visions du nationalisme et des nations autochtones. D’abord, le chapitre 2 traitera de la thèse de la continuité, où on observerait la présence, antérieure au contact avec les Européens et à l’avènement de la modernité, d’éléments politiques structurés chez les Autochtones, qui nous semble être la thèse privilégiée par certains nationalistes autochtones, qu’ils soient intellectuels ou dirigeants politiques. Une large part sera donc faite à l’observation de leur discours, principalement en ce qui concerne leurs affirmations quant à l’autodéfinition des nations autochtones, la présence d’une communauté politique et d’institutions rendant compte de cette communauté.

Ensuite, au chapitre 3, nous explorerons la thèse de l’évolution vers des éléments politiques plus standard, due à l’impact de la modernité. Nous analyserons, entre autres, de

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quelle façon le langage de la nation, du nationalisme, du droit à l’autodétermination et à la décolonisation a été utilisé et intégré par les Autochtones, depuis un moment charnière que nous situons au milieu des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Cette évolution plus récente n’exclurait pas la présence d’un élément culturel et ethnique plus ancien.

Puis, le chapitre 4 s’intéressera concrètement à diverses expressions du nationalisme autochtone selon trois types d’acteurs : les dirigeants officiels, les traditionalistes et les citoyens. Nous verrons que diverses visions et stratégies sont mises de l’avant par ces trois groupes, bien que nous assistions également à des chevauchements. Nous examinerons les actions de ces trois types d’acteurs à travers des événements récents, soit la crise du logement d’Attawapiskat et le mouvement « Idle No More ».

Suivra le chapitre 5, consacré à une étude de cas, celle des Innus au Québec. Nous procéderons principalement par des entrevues semi-dirigées avec des acteurs du milieu politique, administratif, et aussi des citoyens. Dans cette étude de cas, nous observerons les forces, à la fois redevables de la tradition et de la modernité, qui ont forgé cette nation et ce nationalisme autochtone contemporain, qui nous permettront de vérifier nos interprétations quant à l’évolution de cette nation autochtone.

En conclusion, nous proposerons une certaine reformulation concernant la nature des nations et du nationalisme autochtones contemporains, dans laquelle les bases normatives, principalement ancrées dans le passé, sont reconsidérées en intégrant et en assumant des éléments plus modernes, en fonction des conclusions établies par notre recherche.

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Chapitre 1 : Théorie, concepts et méthodologie

Les théories de la nation et le cadre théorique empirique

L’étude de la nation et du nationalisme a donné lieu à la formulation de diverses théories de la nation, leur objectif étant principalement d’expliquer l’émergence de la nation et sa nature. Nous verrons ici les principales théories de la nation de façon à forger un cadre théorique empirique pour notre recherche adapté au nationalisme autochtone.

Le primordialisme

Concernant le primordialisme, il s’agit de la première façon, chronologiquement parlant, d’envisager la nation. La littérature qui tente de théoriser cette approche est limitée : certains auteurs comme Edward Shils et Clifford Geertz s’y sont engagés, tout comme Pierre van den Berghe (Jaffrelot, 2006 : 88-91). Mais il s’agit surtout d’une façon d’entrevoir la nation par les acteurs politiques et les auteurs nationalistes eux-mêmes. Umut Özkirimli, dans son ouvrage Theories of Nationalism : a Critical Introduction, définit ainsi le primordialisme : « Le ''primordialisme'' est un terme générique utilisé pour décrire la croyance que la nationalité est une partie ''naturelle'' de l’être humain, aussi naturelle que la parole, la vue ou l’odorat, et que les nations ont existé depuis des temps immémoriaux » (Özkirimli, 2010 : 493), tandis que pour Anthony D. Smith, un auteur davantage associé à

l’ethnosymbolisme : « Le ''primordialisme'' est un terme qui couvre ces théoriciens de l’ethnicité et du nationalisme qui insistent sur les liens ''primordiaux'' qui lient les populations et qui ne sont pas sujets à un calcul rationnel » (Smith, 2005 : 1214).

Il s’agirait donc de la façon intuitive d’aborder le nationalisme. Cité par Smith, un auteur comme Kohn envisage cette vision comme étant organique et s’opposant à celle qui serait volontaire. Concernant les caractéristiques de la nation, celles-ci sont considérées comme fixes, on ne peut entrer dans la nation ni en sortir (Smith, 1998 : 146). La nation est

3 Les notes de bas de page en italique représentent la version originale de nos traductions : Primordialism’ is

an umbrella term used to describe the belief that nationality is a ‘natural’ part of human being, as natural as speech, sight or smell, and that nations have existed from time immemorial.

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ici envisagée comme étant naturelle, reconnaissable à des traits culturels, biologiques, voire raciaux. Aux dires de Smith, le langage de la survivance y est particulièrement présent : « les membres de la nation peuvent, et c’est souvent le cas, avoir perdu leur conscience nationale en même temps que leur indépendance; et le devoir des nationalistes est de restaurer cette conscience de soi et cette indépendance à la nation organique ''à nouveau éveillée'' » (Smith, 1998 : 1465). Ce type de nation est visible au sein des anciennes tribus

qui deviennent ainsi, selon les mots de Pierre van den Berghe, des « superfamilles » (Smith, 1998 : 147) ou encore le « prolongement de sa propre famille » (Jaffrelot, 2006 : 90). Ces « superfamilles », ou encore « tribus », ainsi que le terme « ethnies » ne sont pas si éloignés : « Les familles de types nucléaire ou étendu ont tendance à se marier entre elles, souvent par le simple fait de contraintes spatiales et, après plusieurs générations de mariages endogames, forment des ethnies » (van den Berghe, 2005 : 1146). Poursuivant sur

les ethnies, il ajoute :

Pendant qu’une ethnie est en processus de formation, elle développe rapidement une superstructure culturelle élaborée autour d’elle-même : une série de règles qui régulent le mariage et la filiation, un système légal de règlement des conflits, un mythe d’origine, et ainsi de suite. […] à moins que cette superstructure reste liée à sa structure sociale sous-jacente concernant l’interaction des individus, l’ethnie cesse d’exister, ou devient quelque chose d’autre. Cette structure, basée sur la biologie de l’accouplement humain et de la reproduction, est antérieure. Les ethnies ont existé depuis l’aube de l’histoire de l’évolution (van den Berghe, 2005 : 1157).

Cette notion de superfamille n’exclut pas qu’on observe un certain brassage génétique et culturel au sein de ces ethnies : « la composition actuelle de ces groupes a été un flux

5 The members of nations may, and frequently have, lost their national self-consciousness along with their

independence; and that the duty of nationalists is to restore that self-consciousness and independence to the ‘reawakened’ organic nation.

6 Families of nuclear or extended kin tend to intermarry, if only because of spatial constraints, and, through

several generations of endogamous marriage, form ethnies.

7 As an ethny is in the formative process, it quickly develops an elaborate cultural superstructure around

itself: a set of rules regulating marriage and filiation, a legal system adjudicating conflicts, an origin myth and so on. […] unless that superstructure remains linked to its underlying social structure of interacting individuals, the ethny ceases to exist, or becomes something else. That structure, based on the biology of human mating and reproduction, is prior. Ethnies have existed since the dawn of our evolutionary history.

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continuel » (van den Berghe, 2005 : 1158). L’ethnicité serait donc ici à la fois primordiale

et instrumentale, une combinaison de biologie et de culture (Smith, 1998 : 149). Puis, concernant la relation entre ethnie et nation, selon van den Berghe : Pour Smith, les nations sont des ethnies qui possèdent des éléments additionnels tels la conscience de soi, la fabrication de mythe et de mémoire, la territorialisation, la possession d’une culture publique, et une uniformisation légale. En bref, pour Smith, les nations sont des ethnies avec une superstructure culturelle particulièrement élaborée. Le problème avec cette définition est que tous ces éléments sont déjà présents dans plusieurs ethnies, incluant plusieurs sociétés sans État […] De plus, ces critères de la nation relèvent d’une question de degré sans test clair nous permettant de déterminer leur présence ou leur absence. En effet, plusieurs utilisent les concepts d’ethnie et de nation de façon interchangeable (van den Berghe, 2005 : 1159).

À noter que van den Berghe critique cette étiquette qui l’identifie en tant que primordialiste, mais il l’accepte néanmoins : « Je suis un primordialiste dans le sens que je crois que la séquence causale et temporelle vient de la biologie, de la superstructure sociale, tandis que pour Smith, l’explication vient ''des symboles, de la mémoire, des mythes et des valeurs'' » (van den Berghe, 2005 : 11710). Il n’endosse toutefois pas, comme nous l’avons

vu, une conception fixe de l’ethnicité et de la biologie, qui sont mouvantes : « Je réitère que l’ethnicité est à la fois primordiale et construite socialement » (van den Berghe, 2005 : 11711).

On distingue quatre types de primordialisme. Ce sont les approches nationaliste, sociobiologique, culturaliste et pérennialiste (Özkirimli, 2010 : 50). La thèse nationaliste, dans sa plus simple expression, indique que l’être humain doit avoir une nationalité comme, selon les mots de Gellner, « il doit avoir un nez et deux oreilles » (cité dans Özkirimli,

8 The actual composition of these groups has been in continual flux.

9 For Smith, nations are ethnies with additional elements of self-consciousness, myth- and memorymaking,

territorialisation, a public culture, and legal standardisation. In short, for Smith, nations are ethnies with a particularly elaborate cultural superstructure. The problem with this definition is that all its elements are already present in many ethnies, including many stateless societies […]. Furthermore, these criteria for nationhood are matters of degree with no clear test of whether they are present or absent. Indeed, many people use the concepts of ethny and nation interchangeably.

10 I am a primordialist in that I believe the causal and temporal sequence goes from biology, to social

structure, to cultural superstructure, while Smith puts the entire burden of explanation on ‘symbols, memories, myths, and values’.

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2010 : 5112). On parle alors d’un langage commun, dont l’origine peut être trouvée dans la

nuit des temps, partagé par tous les auteurs nationalistes. La survie du groupe est alors plus importante que celle des individus, et la nation comporte un côté mystique et intemporel. L’approche sociobiologique est la vision de van den Berghe. Les liens familiaux étendus deviennent alors la base des sentiments ethniques, raciaux, tribaux et nationaux (Özkirimli, 2010 : 55). Quant à l’approche culturaliste, elle est celle d’auteurs comme Edward Shils et Clifford Geertz. Mais il semble que cette approche ait été mal interprétée, certains observateurs considérant que Shils et Geertz avancent que les identités nationales sont innées, prioritaires à l’interaction sociale (Özkirimli, 2010 : 55). En fait, l’approche culturaliste :

[…] peut être décrite comme celle qui met l’accent sur le rôle des « perceptions » dans la compréhension de liens ethniques et nationaux ou, selon les termes de Geertz […] sur les toiles de sens tissées par les individus eux-mêmes. Comme Tilley l’explique de façon convaincante, Geertz en fait utilise le terme « primordial » dans le sens de « premier d’une série »… dans le but de souligner les façons selon lesquelles les concepts fournissent une base pour d’autres idées, valeurs, coutumes ou idéologies chez les individus (Özkirimli, 2010 : 57-5813).

Il s’ensuit que la culture, ici nationale selon cette approche, est le lieu premier d’interprétation du monde et oriente la perception que l’individu se fait des autres phénomènes sociaux. Elle n’est donc, en aucun cas, innée. Enfin, une dernière catégorie de primordialisme, le pérennialisme, est introduite par Smith (Smith, 2004 : 8-13) et comprend des auteurs comme l’historien Adrian Hastings. Selon cette approche, la nation n’est peut-être pas un produit de la nature, mais elle est visible depuis les débuts de l’Histoire et possède un caractère « immémorial et perpétuel » (Özkirimli, 2010 : 5814).

Cette approche est ensuite subdivisée : le « pérennialisme continu »15, où les nations

actuelles prennent leur origine il y a des siècles, voire des millénaires, et le « pérennialisme

12 He must have a nose and two ears.

13 may be more properly described as one that focuses on the role of ‘perceptions’ in understanding ethnic

and national attachments, or in the words of Geertz […] on the webs of meaning spun by the individuals themselves. As Tilley explains convincingly, Geertz is in fact ‘making use of the term ‘primordial’ in its sense of ‘first in a series’… in order to highlight the ways in which foundation concepts provide the basis for other ideas, values, customs or ideologies held by the individual.

14 immemorial and perrennial. 15 continuous perrenialism.

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récurrent »16, alors qu’on considère que les nations se créent et disparaissent, mais que le

phénomène de la nation, en tant que mode d’association, fut visible depuis un passé lointain et le sera dans un futur tout aussi lointain (Smith, 2004 : 9-11).

Le primordialisme essuie diverses critiques. Özkirimli en identifie les principales : la nature et l’origine des liens ethniques et nationaux, le moment de l’émergence des nations et la question de l’émotion et de l’affect (Özkirimli, 2010 : 60-67). D’abord, concernant la nature des liens, toutes les approches primordialistes, exception faite de l’approche culturelle, considèrent les caractéristiques des nations comme étant données et les nations elles-mêmes comme comportant une essence et étant statiques, tandis que pour Özkirimli, leur contenu et leurs frontières sont au contraire perpétuellement renégociés. Concernant l’origine des nations, ces théories sont perçues comme étant non scientifiques et téléologiques. En ce qui a trait au moment de l’émergence des nations, les pérennialistes considèrent que les nations en tant qu’associations ont toujours existé, alors que pour d’autres, il semblerait que les groupes ne se sont pas toujours identifiés comme des nations, une bonne part de l’impression de pérennité étant due au caractère mythique de la nation. Enfin, sur la question de l’émotion et de l’affect, les nationalistes ont mis l’accent sur les passions qu’engendre le nationalisme, ce qui peut fausser leur représentation (Özkirimli, 2010 : 60-67). On peut donc parler de nationalisme rétrospectif, ou encore d’anachronisme au sein du pérennialisme, celui-ci percevant la présence de nations de tout temps et en tout lieu (Smith, 2005 : 94).

À ce stade-ci de notre recherche, la conception de la nation offerte par le primordialisme semble particulièrement adéquate pour décrire la représentation que se font les Autochtones, de façon générale, de leurs propres nations. La partie la plus visible de cette représentation se trouve probablement dans le discours des leaders autochtones. On y dénote une certaine rhétorique, l’utilisation récurrente de certains termes liés à des champs lexicaux précis tels le passé, les mythes, la nature. À titre d’exemple, en 1999, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations et le président du National Congress of American Indians ont signé conjointement la Déclaration de parenté et de coopération

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entre les peuples et nations autochtones d’Amérique du Nord. Nous avons isolé ici les

éléments les plus évocateurs de cette déclaration :

Nous, le peuple autochtone, savons que le Créateur nous a mis ici sur la Terre mère en tant que nations souveraines. Nous cherchons à vivre en paix, en toute liberté et en toute prospérité au sein de l’humanité selon nos propres lois traditionnelles. Nous sommes unis par les relations sacrées que nous entretenons avec la terre, l’air, l’eau et les ressources de nos territoires ancestraux. […] Depuis des temps immémoriaux, les terres connues sous les noms de « Canada » et d’« États-Unis d’Amérique » sont, et continueront d’être, la maison sacrée des peuples et nations autochtones […] En façonnant nous-mêmes nos propres destinées, nous demeurerons fidèles aux immuables traditions de nos ancêtres […] Nous sommes depuis longtemps des personnes qui vivent en harmonie avec leur environnement et aiment et protègent leurs terres traditionnelles (Assemblée des premières nations, 1999).

Cette origine supposée immémoriale de la nation et un certain essentialisme quant à ses caractéristiques (Smith, 1998 : 167), tout comme son caractère « immuable » (Jaffrelot, 2006 : 91-92) sont des traits attribuables au primordialisme. Un examen plus soutenu de ce type de discours sera offert au chapitre 2.

Le modernisme

Parmi les définitions de la nation de l’époque moderne, Ernest Renan fut célèbre pour sa conférence « Qu’est-ce qu’une nation? » et sa métaphore de la nation, qu’il associait à « un plébiscite de tous les jours » (Renan : chapitre III). On parle donc ici de consentement, de volonté partagée de vivre ensemble et de participation politique (Smith, 1998 : 9-10). La nation est même, pour Renan, « une âme, un principe spirituel » (Renan : chapitre III). Enfin, la mise de l’avant de la nation suppose pratiquement une certaine manipulation de l’Histoire, sur laquelle nous reviendrons : « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses » (Renan : chapitre II). Cette définition apportera une nouvelle vision de la nation (Özkirimli, 2010 : 30-31) et ce, avant que les théories de la nation comme telles n’apparaissent.

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