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Centre et périphérie fondements et critères

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01527264

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Submitted on 24 May 2017

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Centre et périphérie fondements et critères

Jean-Marie Huriot, Jacky Perreur

To cite this version:

Jean-Marie Huriot, Jacky Perreur. Centre et périphérie fondements et critères. [Rapport de recherche] Laboratoire d’analyse et de techniques économiques(LATEC). 1995, 16 p., ref. bib. : 2 p. 1/2. �hal-01527264�

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n° 9505

Centre et périphérie

fondements et critères

J e a n - M a r i e H U R I O T et Jacky PERREUR* mars 1995 Enseignants-chercheurs

Faculté de Science économique et de Gestion LATEC (CNRS)

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Centre et périphérie

fondements et critères

Jean-Marie Huriot et Jacky Perreur

Résumé

Le concept de centre est considéré comme un des plus importants en économie spatiale et en géographie. Le dualisme centre-périphérie est évoqué dans les contextes les plus variés et même avec les significations les plus diverses. Cet article a pour objet de mettre en lumière les fondements de ce couple inséparable. L'idée de centre, comme en géométrie, évoque d'abord une position privilégiée. Mais un centre c'est aussi un lieu de forte concentration de population, d'activités économiques, de culture, de pouvoir.

La structure centre-périphérie engendrée par une combinaison des deux critères précédents est source d'inégalités, d'asymétries, de polarisation, de domination. Mais le dualisme centre - périphérie est trop réducteur. Il faut raisonner en termes de centralité diffuse, évolutive et subjective.

Un cadre formel général est proposé qui recouvre les différents types de centralité évoqués.

Center and periphery

foundations and criteria

Abstract

The concept of center is considered as one of the most important in spatial economy and in geography. The dualism center - periphery is mentioned in most varied contexts and even with most various meanings. The aim of this article is to bring the foundations of this inseparable couple to light. The idea of center, as in geometry, evokes first a privileged position. But a center is also a place of strong concentration of population, economic activities, culture and authorities.

The structure center - periphery created by a combination of the two preceding criteria is source of inequalities, asymmetries, polarization and domination. But the dualism center -periphery is too reducing. It is necessary to reason in terms of diffuse, progressive and subjective centrality.

A general formal framework is proposed that covers the different types of centrality evoked.

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C e n t r e et p é r i p h é r i e f o n d e m e n t s et c r i t è r e s *

Jean-Marie Huriot et Jacky Perreur

Professeurs à l'Université de Bourgogne - LATEC, CNRS 4, boulevard Gabriel - 21000 Dijon (france)

1. Introduction

Lorsqu'en 1826 von Thùnen construit le schéma de l'Etat Isolé, il réalise le premier modèle où l'espace est structuré selon la logique duale centpériphérie. Même si cette re-présentation duale laisse souvent la place à l'idée d'un continuum de situations, de la plus centrale à la plus périphérique, les concepts de centre et périphérie sont aujourd'hui plus que jamais d'actualité. Ils sont les deux aspects indissociables de tout système organisé.

Une récente enquête dans les milieux de la science régionale montre que 32% des éco-nomistes interrogés et 56% des géographes citent le centre ou la centralité parmi le dix con-cepts les plus importants de la discipline (Baumont, Derognat, Derycke et Huriot, 1994). La même enquête révèle un certain manque de consensus sur la signification du terme centre. Cela est dû à la richesse du concept, qui est porteur de sens à plusieurs niveaux. C'est peut-être faute d'avoir saisi toute cette sémantique que la "centrographie", étude de la détermination statistique des centres sur une surface, n'a suscité qu'un faible intérêt.

Le premier niveau est celui de la localisation dans l'espace. A partir du centre du cercle euclidien, l'idée se généralise à l'appréciation de la position plus ou moins privilégiée d'un point particulier dans un ensemble de points (espace mathématique), selon les distances qui le séparent de ces points (section 2).

En science régionale, le centre n'est pas seulement un lieu à position physique privilé-giée. Son contenu économique, social, culturel, politique, est important. C'est un lieu de concentration de population ou de certaines activités qui structure l'espace d'un point de vue fonctionnel (section 3).

La structuration duale centre-périphérie n'est pas neutre. Elle se traduit par des inégali-tés, des asymétries, des phénomènes de polarisation et de domination (section 4).

La centralité est une réalité relative, évolutive et diffuse (section 5).

Le centre est valorisé subjectivement, non seulement dans l'image mentale des centres concrets dans la population, mais dans le symbolisme et l'imaginaire pur relatifs à l'idée de centre et de périphérie (section 6).

Devant une telle richesse, la structure formelle que nous proposons en vue d'une me-sure de la centralité, même si elle peut atteindre un certain degré de généralité, ne peut en-glober qu'une partie de ces différents niveaux de signification (section 7).

1 Ce texte est une version modifiée d'une communication présentée en septembre 1994 au colloque de l'ASRDLF. Il est destiné à être publié dans un livre sur les aspects théoriques de l'intégration régionale.

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2. De la géométrie à la géographie : les distances

Soit un espace formé par ensemble de points. Le centre peut d'abord être défini comme un point qui possède une position relative privilégiée dans cet ensemble. Une illustration est donnée par le centre en géométrie euclidienne : c'est le

"point intérieur situé à égale distance de tous les points de la circonférence d'un cercle ou de la surface d'une sphère" (Dictionnaire Robert).

C'est un cas particulier de la définition du centre comme point qui minimise la distance maximum qui le sépare des autres points d'un ensemble (ici les points du disque). Cette conception s'applique en particulier dans la théorie des graphes [encadré 1].

Encadré 1. Graphes et centres

Dans un graphe orienté (Harary, Norman et Cartwright, 1968), on peut représenter chaque élément ei d'un ensemble discret E par un sommet de même nom. dy est l'écart (longueur du plus

court chemin) de ei à ey. L'écartement de e{ est la valeur de l'écart maximum de ei à un sommet

quelconque. On suppose que tous les écartements sont finis, donc que le graphe est fortement con-nexe. Un

centre

du graphe est un sommet d'écartement minimum, tel que l'on ait :

minmax^y

' J

Un point

périphérique

est au contraire tel que : maxmax^y

' j

Cette valeur est finie si et seulement si le graphe est fortement connexe. La

centralité

du som-met

e

t est une fonction décroissante de l'expression

maxdy

: plus cette valeur est faible, plus le

J

sommet est central, max^y est une mesure de la facilité d'accès de ei à un sommet quelconque. Si

le graphe est symétrique (dij = dji V/,y), la même expression mesure la facilité d'accès d'un

som-met quelconque à ei. Sinon, il faut reprendre tout ce qui vient d'être dit en remplaçant d^ par :

on parle alors d'anti-centralité et d'anti-périphérie.

Une meilleure évaluation de la centralité prend en compte toute l'information disponible. Dans un graphe fortement connexe, la centralité (l'anti-centralité) de ei se mesure alors, par exemple, par

la somme des écarts de et à tous les sommets de E (de tous les sommets de E à ei ), le centre

(l'anti-centre) étant le lieu pour lequel cette somme est minimum. On peut aussi utiliser une distance moyenne, ou l'indice de centralité relative de Bavelas (Huriot, 1974, 50 ; Lantner, 1974, 186) :

(

y l

» J

V

J

Il existe bien d'autres méthodes pour hiérarchiser les sommets d'un graphe selon leur position (voir notamment les références citées dans cet encadré).

On remarque que dans cette analyse, centre et périphérie sont respectivement définis à partir du minimum et le maximum des écartements. Ces deux concepts n'épuisent donc pas l'espace et il reste en général un grand nombre de lieux qui ne sont ni centre ni périphérie.

Ce principe peut être appliqué lorsqu'un point représente un lieu2 géographique et que

l'écart représente une distance géographique mesurée en unités de longueur, de temps ou de

2 Un lieu est une unité spatiale indécomposable par nature ou par convention, dans un espace

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monnaie -coût de transport- (Huriot et Perreur, 1990) ; le lieu central est alors celui pour lequel la distance maximum qui le sépare d'un autre lieu est minimum. Le choix du lieu central dépend alors entièrement du type de distance pris en compte. Dans ce cas, localiser un service public au lieu central répond au souci de réduire le plus possible le temps d'accès du client le plus éloigné. Si l'on veut localiser p établissements de service de même impor-tance, on recherche le /^-centre (Hansen, Peeters et Thisse, 1980). Cela traduit une certaine forme d'équité (critère de Rawls). Le souci d'efficacité conduirait à rechercher le lieu qui minimise la somme des distances aux autres lieux : on obtiendrait alors un centre médian. Si ces distances étaient élevées à la puissance 2, on déterminerait un centre de gravité.

L'identification d'un centre ou d'une périphérie par le seul critère de la distance est pauvre. Elle peut néanmoins s'avérer utile dans l'application du principe de Rawls ou dans l'étude des structures de réseaux de communication (Flament, 1965).

3. L'espace structuré : la concentration

Le concept de centre fait appel non seulement à l'idée d'une position privilégiée dans un ensemble de lieux, mais aussi (et peut-être surtout) au mode de répartition des choses, des hommes, des activités, des comportements, etc., dans l'espace, c'est-à-dire à la struc-ture humaine, économique, sociale, culstruc-turelle, etc., de l'espace.

Selon une seconde définition, le centre est ainsi un lieu de concentration de la popula-tion, des emplois, de l'offre de biens et services, de la richesses, des connaissances, de l'in-formation, de la culture, des capacités d'innovation économique, scientifique et culturelle, mais aussi des moyens d'action, du pouvoir et des décisions d'ordre politique, juridique et économique (Polydorides, 1983; Reynaud, 1992).

Le centre, dans cette nouvelle acception, n'a bien sûr que peu de chances de correspon-dre avec le centre défini à la section précédente par sa seule position topologique. Le centre de concentration, économique, ou démographique, est a priori différent du centre géométri-que. Ainsi Dijon est bien loin du centre géométrique de la Bourgogne.

Nous avons ainsi deux définitions du centre, selon deux critères différents. Dans beau-coup de cas, elles ne correspondent pas a priori au même lieu. Il y a cependant un lien a posteriori : il y a parfois de bonnes raisons pour que la concentration d'activités se produise en un lieu qui est bien placé topologiquement. On peut également combiner ces deux critè-res de position et de concentration pour aboutir à une mesure générale et intégrée de la

cen-trante, comme on le montrera dans la section 7.

La première conséquence de cette nouvelle définition est que le centre est un lieu privi-légié d'action et d'interaction. C'est un lieu où ce qui se passe est important. Lefebvre (1974) parle du

"lieu [...] de l'explosion des énergies accumulées et désirant leur dépense" (383).

Le centre est un lieu de rencontres et de confrontations. C'est le cadre privilégié du jeu des effets externes, positifs (économies d'agglomération) ou négatifs (pollution, congestion).

En second lieu, cette concentration, renforcée par la "préférence pour la centralité", conduit à cette répartition caractéristique des valeurs foncières décroissantes du centre vers la périphérie.

La littérature théorique en géographie et en économie spatiale a donné naissance aux concepts spécifiques de lieu central, de ville-centre et de centre urbain ou centre des

affai-res (central business district ou CBD). Tous ces centaffai-res sont des lieux de concentration.

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"... un groupement d'établissements de services et de commerces de détail localisés à un endroit qui fournit un point de réunion favorable pour les consommateurs. La centralité est l'essence de ce point de réunion. Les consommateurs [...] préféreront toujours la localisation qui entraîne le moindre effort." (1967, trad. de 1971, 14).

Un lieu central, selon Christaller, a pour fonction première de desservir la région envi-ronnante. Il est donc à la fois une concentration d'activités et un ensemble de relations ex-térieures.

La théorie des lieux centraux vise à expliquer comment se forment ces lieux de concen-tration des activités de production que sont les villes. L'existence d'économies d'échelle ap-paraît comme la condition nécessaire de la formation des villes (Béguin, 1992, 519) [encadré 2]. La théorie aboutit à une hiérarchie urbaine à laquelle correspond une hiérarchie emboîtée de fonctions centrales, de façon que tout centre d'un rang donné fournisse tous les biens de ce rang et des rangs inférieurs. L'organisation spatiale de cette hiérarchie donne lieu chez Christaller puis chez Losch à une structure hexagonale (Pumain, 1992).

La ville-centre ou ville-marché apparaît dans la littérature spatiale du XVIIIème siècle (notamment chez Cantillon : Huriot et Perreur, 1992) avant d'être plus systématiquement définie comme le centre de l'"Etat Isolé" chez von Thùnen en 1826 (Huriot, 1994a). Ce centre est alors essentiellement le lieu de concentration de la demande de produits agricoles et pour cette raison le lieu du marché de ces produits.

Le centre urbain apparaît dans la Nouvelle Economie Urbaine comme la transposition à l'intérieur de la ville du schéma spatial de von Thûnen. Le titre de l'ouvrage de Papageorgiou : "The lsolated City-State" (1990) est une belle illustration de cette analogie. Ce lieu concentre tous les emplois.

Encadré 2. Les hypothèses de la théorie des lieux centraux

"Intentionnellement, la théorie repose sur des postulats simples qui n'évoquent aucune des par-ticularités locales par lesquelles on avait souvent expliqué la localisation des activités et des villes auparavant. Les voici : (1) l'espace géographique est parfaitement homogène quant à ses traits phy-siques et humains ; (2) chacun désire maximiser son utilité ; (3) les prix sont fixes pour tous les agents ; (4) pour le consommateur, le transport d'un bien est un coût qui augmente avec la dis-tance ; donc, il fréquente le point de vente le plus proche ; (5) il existe des économies d'échelle dans la production des biens centraux, c'est-à-dire que le coût moyen de production diminue lorsque la quantité produite augmente. Sans ce cinquième postulat, la production des biens aurait lieu par-tout, en autarcie, afin d'éviter tout transport ; il n'y aurait donc pas de villes. Avec lui, on peut produire moins cher, en quelques lieux, de plus grandes quantités, vendues ensuite ailleurs : l'ag-glomération de la production est possible. La conclusion fondamentale est que l'existence d'éco-nomies d'échelle est la condition nécessaire de l'existence des villes." (Béguin, 1992, 519)

Ville-centre et centre urbain sont les clés des théories des espaces concentriques qu'on peut classer sous le titre générique de "paradigme de Thùnen" (Huriot, 1994a, 1994b)

[encadré 3].

En théorie spatiale pure, ce type de centre joue un rôle important et spécifique. Le problème est de comprendre comment se forme l'espace humain, comment se répartissent, se concentrent ou se dispersent les activités humaines sur la surface de la terre. Pour y ré-pondre, géographes et économistes partent d'une représentation simplifiée de l'espace qui est le plus souvent le plan euclidien, ou plus généralement un ensemble de localisations sé-parées par des distances. La théorie spatiale microéconomique suppose l'existence de

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com-portements individuels optimisateurs. Sans aucune contrainte particulière, dans le cadre d'un espace euclidien vide et homogène, les agents économiques se répartissent de façon uniforme, ce qui veut dire qu'en chaque lieu existent toutes les ressources, toutes les caté-gories d'agents, toutes les activités de production, etc.... Ce constat théorique est fait par Losch (1940), puis par Koopmans (1957, 153-154), avant d'être repris dans le théorème

d'impossibilité spatiale de D. Starrett (1978) [encadré 4 ] .

Encadré 3. Le paradigme de Thiinen

"Nous regroupons sous le titre de paradigme de Thiinen toutes les analyses spatiales qui ont un minimum de points communs avec le modèle de Thûnen, à savoir :

• l'analyse se situe au moins au départ dans un espace uniforme et monocentrique ; • les variables expliquées sont principalement les répartitions spatiales de la rente foncière, du prix du sol et des divers aspects de l'utilisation du sol ;

• la variable explicative primordiale est la distance (au sens le plus général du terme) au centre, le plus souvent appréhendée comme un coût de transport fonction monotone de la distance eucli-dienne ; ainsi les variables à expliquer se ramènent à des fonctions de la distance au centre ;

• le résultat est toujours une configuration spatiale concentrique ou une combinaison de formes concentriques ; toute modification des hypothèses n'aboutit qu'à une déformation du schéma con-centrique, encore reconnaissable, et non à un schéma complètement différent."

(Huriot, 1994a, 186)

Encadré 4. Le théorème de Starrett

"Le problème consiste à déterminer simultanément les localisations des ménages et des entreprises qui les emploient, en supposant que l'espace est isolé, que les individus sont libres de leurs choix, que leurs utilités sont indépendantes de la localisation, et qu'il existe des marchés complets pour tous les biens et dans toutes les localisations. Sous ces hypothèses, il n'existe pas d'équilibre de type concurrentiel avec des coûts de transport positifs. Une solution est possible seulement sans au-cun coût de transport : elle est triviale puisqu'elle répartit toutes les activités uniformément dans l'espace : toutes les activités sont présentes de la même façon en chaque lieu, ce qui nie l'espace." (Huriot, 1994b). Il existe trois manières de dépasser cet obstacle : ouvrir l'espace considéré au commerce extérieur, introduire des externalités spatiales ou des biens publics et passer à une con-currence imparfaite avec économies d'échelle.

Une manière de lever l'impossibilité consiste à supposer le problème en partie résolu, en se donnant un centre unique de concentration d'activités. En fixant ainsi la localisation de certaines activités, on pourra déduire celle des autres sur la base des liaisons qu'elles en-tretiennent avec les premières, von Thiinen lui-même place dans ce centre a priori toutes les activités non agricoles et en fait la ville-marché : il cherche à en déduire les localisations de la production des biens agricoles qui vont être vendus au centre. La Nouvelle Economie Urbaine y localise tous les emplois et en fait le centre-ville : son but est alors de localiser les ménages résidents qui vont travailler au centre. Pour éviter la concentration de toutes les activités au centre, il faut un principe de dispersion des activités à localiser : c'est l'effet d'exclusion dans l'occupation du sol (Huriot, 1994a).

Cette problématique nous amène à l'idée de complémentarité, ou plus généralement d'interaction asymétrique entre centre et périphérie : le centre thûnenien est non seulement un lieu de concentration, mais aussi et en conséquence un lieu d'attraction (section 3).

Un des problèmes les plus stimulants de la théorie économique spatiale apparaît lorsqu'on abandonne l'hypothèse d'un centre a priori, c'est-à-dire lorsqu'on cherche à

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loca-User tous les agents simultanément. Comprendre comment peut se former un centre dans un espace, c'est comprendre comment on peut obtenir une distribution non-uniforme des agents. L'explication passe par la reconnaissance d'un principe d'agglomération qui peut prendre la forme d'indivisibilités, d'externalités spatiales, de biens publics générateurs

d'économies d'échelle : tel est le sens ultime du théorème de Starrett (Starrett, 1978 ; voir

aussi Fujita, 1986 ; Scotchmer et Thisse, 1993).

La formation de centre avec d'importantes concentrations est souvent socialement opti-male (Puig, Thisse et Jayet, 1994). Il est vrai que la concentration a des coûts sociaux (encombrements, pollution, durée importante des migrations journalières, fortes rentes fon-cières), mais elle a aussi de nombreux avantages, relatifs notamment à la variété des pro-duits et au meilleur appartement travailleur-emploi, qui peuvent surpasser les inconvé-nients : les agents acceptent de supporter les coûts pour bénéficier des avantages.

Dans l'analyse qui précède, le centre est un lieu ou un sous-ensemble de lieux où la concentration est relativement forte. Implicitement, la périphérie semble être le complémen-taire de ce sous-ensemble. Si c'est le cas, les deux concepts véhiculent la même informa-tion. Si l'on veut faire de la périphérie un concept ayant son sens propre, il faut distinguer au moins trois sous-ensembles dans l'ensemble des lieux. Le schéma dual est trop réduc-teur. De fait, on rencontre souvent des représentations de l'espace qui distinguent du centre et de la périphérie une tierce zone dite intermédiaire ou de transition, aux caractères moins extrêmes.

4. L'espace inégal : asymétrie, polarisation et domination

Le couple centre-périphérie évoque une asymétrie, une inégalité spatiale, parfois avec une connotation idéologique.

Le centre rassemble tout ce qui est attractif, prestigieux, riche, développé, nouveau, etc. ; La périphérie est définie négativement par rapport au centre. Elle apparaît comme marginale, désertifiée, délaissée, sous-développée, sans autonomie décisionnelle, dominée voire colonisée et exploitée (Reynaud, 1992).

Le centre entretient avec les autres lieux des relations asymétriques de complémentarité et de conflits (Lacour, 1980), sources de flux ; c'est un lieu de forte accessibilité, de focali-sation, de convergence, ou de rayonnement, un lieu qui attire et/ou diffuse des flux hu-mains, matériels ou immatériels. Il attire hommes et activités ; il diffuse connaissances, in-formations et décisions. Braudel (1979) écrit à propos du centre de 1"'économie-monde" :

"les informations, les marchandises, les capitaux, les crédits, les hommes, les or-dres, les lettres marchandes y affluent et en repartent" (t.3, 17).

L'attraction renforce la concentration. Attraction et émission sont liées à l'idée de po-larisation ou à celle de domination.

La domination comme relation asymétrique entre centre et périphérie correspond bien à la définition de F . Perroux :

"A ne considérer que deux unités économiques, nous dirons que A exerce un effet de domination sur B quand, abstraction faite de toute intervention particulière de A, A exerce une influence déterminée sur B sans que la réciproque soit vraie ou sans qu'elle le soit au même degré. Une dissymétrie ou irréversibilité de principe ou de degré est constitutive de l'effet en examen." (Perroux, 1964, 30)

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Toujours selon F. Perroux, cette définition simple peut être généralisée. Une unité A peut dominer plusieurs unités B, C, D, ... ; la domination de A sur B peut transiter par une ou plusieurs unités intermédiaires, ce qui peut amplifier ou amortir l'effet.

Il est important d'opposer l'idée de la domination à celle de l'interdépendance générale de l'équilibre concurrentiel :

"La dissymétrie et Y irréversibilité qui sont constitutives de l'effet de domination sont en opposition logique avec l'interdépendance réciproque et universelle sur la-quelle se construit le théorie de l'équilibre général et de son rétablissement ou de sa correction automatique quand celui-ci est troublé." (Perroux, 1964, 35 ; c'est nous qui soulignons)

Si le centre domine fortement, il unit. S'il concentre le pouvoir politique, la puissance économique, l'information, il engendre de nombreux flux créateurs d'interdépendances. Alors la dominance peut avoir un rôle intégrateur, maintenant l'unité des différentes parties d'un système spatial, dans l'inégalité (Loschak, 1978).

Dans le modèle thùnenien, l'hypothèse de concentration de certaine activités au centre (ville-centre ou centre urbain) a pour but d'engendrer des flux qui vont structurer l'espace autour du centre. Les agriculteurs doivent aller vendre leurs produits à la ville-centre : les coûts de transport engendrés déterminent toutes choses égales d'ailleurs leur localisation dans la périphérie. Les résidents urbains, obligés d'aller travailler au centre, se localisent selon le même principe.

Encadré 5. Von Thûnen : les conséquences d'une densité de population décroissante avec la distance à la ville capitale

Von Thûnen compare une contrée A proche de la ville centrale et une contrée B plus éloignée. La densité de population est plus faible en B qu'en A, ce qui rend les interactions plus difficiles et plus coûteuses, toutes choses égales d'ailleurs. En conséquence :

"[...], en B, les bâtiments et l'équipement sont plus mal entretenus, les travailleurs vivent moins bien et moins confortablement, et le médecin n'est appelé que pour les maladies plus graves.

Ceci s'exprime particulièrement dans l'enseignement religieux et scolaire. Si un domaine de 0,10 mille carré compte 150 personnes dans la contrée A et seulement 50 dans la contrée B et que tous deux possèdent une école également satisfaisante, l'enseignement scolaire sera trois fois plus coûteux par tête en B qu'en A. Il en est de même pour la rétribution du pasteur.

[...]

Mais nous ne pouvons pas nier que les connaissances et la formation des hommes appartiennent à une catégorie de biens dont la consommation s'arrête ou diminue quand ils deviennent trop coû-teux, et entrent en conflit avec d'autres plaisirs, comme l'habillement par exemple. Nous avons vu d'autre part que l'éducation de l'homme moyen devient d'autant plus difficile et coûteuse que le pays est moins peuplé. Il en découle la pénible conclusion que même dans le cadre limité de l'Etat isolé, on ne peut trouver partout un degré identique de formation et d'intelligence, et encore moins dans les vastes espaces de la Terre.

Ceci explique pourquoi dans la réalité les gens sont si souvent primitifs lorsqu'ils habitent des régions peu peuplées."

(Von Thûnen, VEtat Isolé, II, II, §4 et textes choisis, dans Huriot, 1994a, 154-157)

Braudel (1979, 3, 28) reproche au modèle de von Thûnen d'ignorer l'inégalité. Cela n'est pas entièrement juste. Même si le modèle de von Thûnen et tous ceux qu'il a directe-ment inspirés évitent en général le langage de la domination spatiale, il est clair que leur

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problématique est fondée sur une certaine forme d'inégalité, de dépendance plus que d'in-terdépendance. Dans le modèle agricole comme dans le modèle urbain, le centre est un lieu de fréquentation obligée. Il détermine la localisation des agents. Il est source d'une diffé-renciation de l'espace, d'une hiérarchisation des activités dont il occupe le sommet. Chez von Thûnen, le centre est le lieu de confrontation de l'offre et de la demande : le marché impose ses règles à l'ensemble de la périphérie, il organise la périphérie. Dans un passage peu connu, von Thûnen montre même explicitement comment l'inégalité économique créée par la distance au centre peut se traduite par une inégalité sociale et culturelle [encadré 5 ] . Dans la Nouvelle Economie Urbaine, l'inégalité spatiale n'est pas moins présente et le rôle premier du centre dans l'organisation de la périphérie est implicite.

En passant du paradigme de von Thunen -actuellement dominé par l'approche économi-que néoclassiéconomi-que- à une littérature d'inspiration marxiste plus ou moins directe, l'inégalité spatiale inhérente au dualisme centre-périphérie s'affirme plus nettement et plus explicite-ment comme une domination, voire comme une exploitation. On peut le constater dans l'analyse historique des "économies-mondes" de Braudel comme dans l'analyse de la divi-sion spatiale du travail.

L'économie-monde de Braudel est

"... un fragment de l'univers, un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l'essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échan-ges intérieurs confèrent une certaine unité organique." (Braudel, 1979, 3, 12)

C'est un "univers en soi" dont l'autonomie rappelle celle de Y Etat Isolé de von Thunen. C'est un concept explicatif d'une réalité qui pour Braudel a toujours existé. C'est une struc-ture spatiale dominée par l'opposition centre-périphérie et l'existence de zones concentri-ques à la von Thûnen [encadré 6].

Cet espace est limité par des barrières naturelles ou par l'effet de "distances hostiles". Il est organisé autour d'un centre qui est un pôle urbain, un centre d'affaires. Il existe des villes-relais autour du centre principal, "associées ou complices, plus fréquemment en-core asservies à leur rôle second" (Ibid., 20). Le centre correspond toujours à un pouvoir fort.

Il est hiérarchisé et comporte autour du centre dominant une zone intermédiaire un peu floue puis une zone périphérique nettement sous-développée, dominée et exploitée.

Bien que la modernité donne de plus en plus la primauté à la dimension économique de cette hiérarchie, d'autres dimensions y sont mêlées : politique, culturelle, sociale, etc.

Multidimensionnelle également est la théorie centre-périphérie développée par les éco-nomistes. Dès le milieu de ce siècle, R. Prebisch (1950) en donne implicitement les grandes lignes : l'Amérique Latine, périphérie du système économique mondial, produit matières premières et produits alimentaires pour les grands centres industriels cependant que les ef-fets positifs du progrès technique restent à l'intérieur de ces centres. J. Friedmann donne au centre une position de domination par l'innovation sur la périphérie ; l'opposition centre-périphérie mêle des éléments techniques, institutionnels et culturels. Il s'oppose à une cer-taine conception néoclassique en rejetant l'idée de la convergence pour au contraire mettre l'accent sur les facteurs de freinage ou de blocage de la réduction des inégalités (cité par Aydalot, 1985). Ces interprétation du monde rejoignent celle de l'échange inégal de A. Emmanuel et celle de la division spatiale du travail développée en France par P. Aydalot (1976).

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Encadré 6. L'économie-monde de Braudel

"Le premier soin, pour expliquer n'importe quelle économie-monde, c'est de délimiter l'espace qu'elle occupe. Ses limites d'ordinaire sont facilement repérables parce que lentes à se modifier. La zone qu'elle englobe se présente comme la condition première de son existence. Pas d'économie-monde sans un espace propre et signifiant à plusieurs titres :

- il a des limites, et la ligne qui le cerne lui donne un sens comme les rivages expliquent la mer.

- il implique un centre au bénéfice d'une ville et d'un capitalisme dominant déjà, quelle que soit sa forme. La multiplication des centres représente soit une forme de jeunesse, soit une forme de dégénérescence ou de mutation. Face aux forces du dehors et du dedans, des décentrages peuvent s'esquisser, en effet, puis s'accomplir : les villes à vocation internationale, les villes-mondes sont sans fin en compétition les unes avec les autres, et elles se remplacent.

- hiérarchisé, cet espace est une somme d'économies particulières, pauvres les unes, modestes les autres, une seule étant relativement riche en son centre. Il en résulte des inégalités, des différen-ces de voltage par quoi s'assure le fonctionnement de l'ensemble" (Braudel, 1979, 3, 16)

"Toute économie-monde est un emboîtement, une juxtaposition de zones liées ensemble, mais à des niveaux différents. Sur le terrain, trois "aires", trois catégories au moins se dessinent : un cen-tre étroit, des régions secondes assez développées, pour finir d'énormes marges extérieures. Et obligatoirement les qualités et caractéristiques de la société, de l'économie, de la technique, de la culture, de l'ordre politique changent selon qu'on se déplace d'une zone à l'autre. Nous tenons là une explication à très large portée, celle sur laquelle Immanuel Wallerstein a construit tout son ou-vrage The modem World-system (1974).

Le centre, le "coeur", réunit tout ce qui existe de plus avancé et de plus diversifié. L'anneau suivant n'a qu'une partie de ces avantages, bien qu'il y participe : c'est la zone des "brillants se-conds". L'immense périphérie, avec ses peuplements peu denses, c'est au contraire, l'archaïsme, le retard, l'exploitation facile par autrui." (ibid., 28)

"Les villes dominantes ne le sont pas in aeternum : elles se remplacent. Vérité au sommet, vé-rité à tous les niveaux de la hiérarchie urbaine. Ces transferts, où qu'ils se produisent (au sommet ou à mi-pente), d'où qu'ils viennent (pour des raisons purement économiques ou non), sont toujours significatifs ; ils rompent des histoires tranquilles et ouvrent des aperçus d'autant plus précieux qu'ils sont rares. Qu'Amsterdam remplace Anvers, que Londres succède à Amsterdam ou que, vers 1929, New York prenne le pas sur Londres, c'est chaque fois une énorme masse d'histoire qui bas-cule, révélant les fragilités de l'équilibre antérieur et les forces de celui qui va s'établir." (Ibid., 21)

"Cependant, les zones arriérées ne sont pas distribuées exclusivement dans les vraies périphé-ries. En fait, elles criblent les régions centrales elles-mêmes de multiples taches régionales, à la di-mension modeste d'un "pays" ou d'un canton, d'une vallée isolée de montagne ou d'une zone peu accessible, parce que située en dehors des voies passantes. Toutes les économies avancées sont ainsi comme trouées d'innombrables puits, hors du temps du monde ..." (Ibid., 30-31)

5. Une réalité relative, évolutive et diffuse

Le centre est une réalité relative, évolutive et diffuse.

Le centre est relatif'à l'objet que l'on étudie, "aux questions que se posent les cher-cheurs et les responsables" (Lacour, 1980), aux fonctions pertinentes à un moment donné.

L'Agora est le centre d'animation de la cité grecque. C'est un lieu de réunion, d'échange de nouvelles, de règlement des affaires publiques. Son utilisation comme place de marché est une conséquence de sa qualité première de lieu de rencontre. Dans la ville du moyen âge, le centre est l'église, et si le marché se tient près de l'église c'est parce qu'on se rend souvent en ce lieu. N'oublions pas que l'église est à cette époque un centre de réu-nions communautaires, et peut se transformer en salle de réfectoire ou de spectacle

(14)

(Mumford, 1961). Aujourd'hui, le marché au sens concret a perdu de son importance, mais le centre est toujours un important lieu de rencontre.

Parler du centre est certainement abusif. Chaque niveau de l'échelle spatiale peut avoir son centre (quartier, ville, région, nation, etc.). Chaque fonction urbaine peut avoir son centre. Ne parle-t-on pas de centre de loisirs, de centre d'achat, de centre administratif ? Ces lieux peuvent être très différents. Le langage commun traduit bien cette relativité. Il n'empêche que ces différents centres fonctionnels sont souvent regroupés ou très proches les uns des autres. C'est le propre de la ville déjouer le rôle de centre multifonctionnel.

La structure centre-périphérie ne se traduit pas forcément - et même rarement - par une structure physique circulaire. Si le centre n'est pas toujours au centre géométrique, la péri-phérie n'est pas non plus toujours et uniquement à la péripéri-phérie. Lieux dominés, retard de développement et pauvreté se rencontrent parfois à l'intérieure de le zone la plus centrale d'un espace. C'est vrai de toutes les formes de centralité, à toutes les échelles spatiales. Qu'on pense à la marginalité rencontrée à New York et même au coeur de Manhattan, aux îlots de pauvreté de toutes les villes internationales, aux zones peu développées des pays les plus riches du monde. Braudel a observé la même chose de façon quasi-universelle [encadré 6]. Le centre est relatif à l'échelle spatiale : urbaine, régionale, nationale ou mondiale.

Un centre évolue et se déplace ; un lieu peut perdre ses propriétés centrales (désertification) ou les regagner (réhabilitation). Un centre peut voir se succéder différentes activités au fur et à mesure que changent le capacités relatives d'enchères pour l'occupation du sol. A un autre niveau spatial, Braudel montre bien comment dans l'histoire les villes-centres des économies-mondes se succèdent [encadré 6]. La dynamique des villes-centres pourrait être dans certains cas rapportée à celle des avantages d'agglomération. Tant qu'un lieu pré-sente plus d'économies que de déséconomies d'agglomération, les forces centripètes l'em-portent et le centre se développe. Lorsque la situation s'inverse, par exemple par croissance de la congestion, le centre dépérit, et laisse la place à d'autres centres mieux placés, favori-sant ainsi une structure pluricentrique ou une centralité plus diffuse. Un centre peut encore être créé de toutes pièces, délibérément, par exemple dans le cas de l'implantation d'un cen-tre commercial. Ainsi un cencen-tre peut êcen-tre le résultat d'une évolution spontanée, d'une auto-organisation, ou d'une décision exogène.

Enfin un espace donné a rarement un centre unique. Il existe généralement un centre principal (ou plusieurs) et des centres de moindre importance.

Déjà Cantillon plaçait son analyse dans un espace à centralité diffuse, structuré par or-dre de centralité croissante en villages, bourgs, villes et ville-capitale (Huriot et Perreur,

1994). von Thiinen, considéré comme le père de l'espace monocentrique, intégrait pourtant dans son schéma l'existence de centres secondaires, non seulement sous la forme d'une pe-tite ville mais plus généralement sous la forme de tous les plus petits établissements hu-mains (villages, fermes) répartis sur le territoire de l'Etat Isolé. Ce schéma multicentrique est repris à l'intérieur de la ville notamment par Fujita et Ogawa (1982) et Fujita (1986). Les centres peuvent être exogènes (leur localisation et leurs fonctions sont fixées a priori) ou endogènes (ils sont déterminés à l'intérieur du modèle). La multiplication des centres est liée à la séparation des fonctions et à leur décentralisation. Quant à l'interprétation de la multiplication des centres comme une "dégénérescence" ou une "mutation" (Braudel [encadré 6]), elle repose implicitement sur l'hypothèse discutable que la structure spatiale idéale et stable est monocentrique.

L'intégration de plusieurs centres d'importances inégales est le premier pas du passage de la dichotomie centre-périphérie à une échelle de centralité : chaque lieu d'un ensemble E est caractérisé par un niveau de centralité, comme dans la théorie des lieux centraux.

(15)

6. L'espace imaginaire : mythes et symboles

Le centre est toujours le résultat d'une construction mentale. Il est donc inévitable que la dimension analytique consciente de cette construction, appuyée sur des critères observés, mesurés quand c'est possible, se trouve mêlée à une dimension imaginaire. Toute concep-tion du centre, comme de l'espace lui-même, est basée sur des a priori théoriques et métho-dologiques, sur une manière de voir l'espace qu'on peut difficilement dissocier de l'image du centre, et de toute une culture mythique et symbolique. (Dans le même sens, pour l'es-pace urbain, voir Bailly, Baumont, Huriot et Saliez, 1995 ; Baumont et Huriot, 1995)

Le centre est valorisé, objectivement ou subjectivement ; son image mentale a une haute valeur par son prestige historique, culturel ou économique, comme lieu de pouvoir et de responsabilités, pour l'attachement affectif qu'il suscite. Cette valorisation est liée no-tamment à des représentations symbolique et mythiques. Elle est matérialisée nono-tamment par la monumentalité des centres-villes (Pinchemel et Pinchemel, 1988).

Le couple centre-périphérie présente un contenu symbolique très riche (voir Huriot, 1994a, 1994b ; cette section reprend notamment des idées développées dans ces textes).

Dans les systèmes organisés, le centre représente l'ordre et l'unité, le principe interne par opposition à l'influence externe (Chevalier, 1978). C'est vrai pour les systèmes vivants, pour les systèmes politiques, comme pour l'organisation de l'espace géographique.

Durant toute la longue période qui s'étend au moins jusqu'à la fin du XHIe siècle, et pendant laquelle le christianisme a imposé une vision dogmatique de la géographie en op-position avec les découvertes de la Grèce classique, on a représenté le monde par un disque et le lieu le plus sacré, Jérusalem, était placé au centre. Ce n'est là qu'une illustration d'une conception du centre assez largement partagée. La vision biblique relève en fait d'une sym-bolique plus générale du centre et du cercle. Le centre est souvent un lieu sacré. Le couple centre-périphérie est un symbole de hiérarchie, de contrôle, de domination, voire de trans-cendance [Encadré 7].

Encadré 7, Une symbolique du centre et de la périphérie

"Tout microcosme, toute région habitée, a ce qu'on pourrait appeler un "centre", c'est-à-dire un lieu sacré par excellence. C'est là, dans ce centre, que le sacré se manifeste d'une manière totale." (Eliade, 1957, 49)

"Comme une pierre tombée au milieu d'un étang et à partir de laquelle naissent et se dévelop-pent des ondes concentriques qui communiquent le mouvement originel jusqu'à l'horizon du créé, le Centre est avant tout le Principe. [...] Le point central, c'est l'Être pur, c'est l'Absolu et le Trans-cendant. [...] Le cercle est d'abord un point étendu ; il participe de sa perfection. Aussi le point et le cercle ont-ils des propriétés symboliques communes : perfection, homogénéité [...]. Le cercle peut encore symboliser, non plus les perfections cachées du Point primordial, mais ses effets créés ; autrement dit, le monde en tant qu'il se distingue de son Principe." (de Champeaux et Sterckx,

1966, 23-24)

Un symbole n'est pas seulement une représentation formelle, c'est une forme qui porte en elle au moins un certain nombre des propriétés de ce qu'elle représente :

"Si l'on pense que le cosmos est rond, la création d'un cercle non seulement sym-bolise le cosmos mais le reproduit sous la forme d'un microcosme." (Sack, 1980,

(16)

Or Y Etat Isolé est un microcosme, comme la ville de la Nouvelle Economie Urbaine, comme l'économie-monde de Braudel. L'idée de centre-périphérie repose toujours sur l'hy-pothèse implicite que l'espace étudié est un microcosme.

Dans le schéma thùnenien, le Principe, c'est le Marché ; il est symboliquement au cen-tre. L'Etat Isolé, c'est "le monde en tant qu'il se distingue de son Principe", c'est le monde gouverné et structuré par le principe du Marché, c'est la périphérie organisée par le mar-ché.

Du Principe on peut facilement passer au contrôle : le centre est le lieu idéal de con-trôle d'un espace circulaire, comme dans l'utopie du Panoptique de Bentham où la tour cen-trale d'un établissement circulaire est le moyen de voir, donc de contrôler en permanence l'application par tous du principe d'utilité (Cot, 1990), ou encore comme dans le projet de la ville de Chaux par l'architecte visionnaire C.N. Ledoux, où le centre est occupé par la maison du directeur et dont une partie est réalisée aux salines d'Arc-et-Senans, sous la forme d'un demi-cercle de bâtiments.

7. Une mesure de la centralité ?

Les différents niveaux de signification du concept de centralité qu'on a successivement évoqués jusqu'ici sont plus ou moins emboîtés, du plus simple (le sens géométrique ou to-pologique) au plus complexe et au plus riche (le sens imaginaire). Il semble bien qu'une mesure de la centralité se heurte à la difficulté d'évaluer l'ensemble des différents critères que nous avons cités. L'approche que nous proposons reste très abstraite. Elle entend saisir un espace structuré par des centres à partir des positions géographiques et des concentra-tions. Elle s'apparente à la mesure des potentiels dans la théorie de l'interaction spatiale mais est plus générale.

Hypothèses

Soit un ensemble fini E de lieux ei (/ = 1,...,/).

On se donne une mesure de distance de et à ej notée dy, et on suppose que d^ est finie

pour tout i et tout j .

On fixe une fonction localisée particulière qu'on peut appeler attribut. L'importance objective (mesurée) ou subjective (perçue) de cet attribut en un lieu et est supposée être

évaluée par la grandeur xt.

Un attribut qui est critère de centralité parce qu'il est attractif est un attribut

d'attrac-tion ou attribut-A. Par exemple, un service localisé est attractif parce qu'il reçoit des flux.

Un lieu est d'autant plus central pour un tel attribut qu'il est attractif, c'est-à-dire qu'il comporte une offre importante et diversifiée de ce service, qu'il est relativement proche des autres lieux, c'est-à-dire accessible, et que ceux-ci présentent une offre faible de ce ser-vice et sont mal localisés; il peut être la destination de nombreux flux. Désignons cette qua-lité par le terme centraqua-lité-attractivité ou centraqua-lité-A.

Un attribut qui est critère de centralité parce qu'il est émetteur ou diffuseur est un

attri-but de diffusion ou attriattri-but-D. Par exemple une fonction d'information, de commandement

ou de service ambulant émet ou diffuse des flux. Un lieu est d'autant plus central pour un tel attribut qu'il est un bon diffuseur, donc qu'il concentre une quantité importante de cet at-tribut, se trouve relativement plus proche des autres lieux, et que ceux-ci concentrent une faible quantité de cet attribut et sont mal localisés ; il peut être l'origine de nombreux flux. Désignons cette qualité par le terme centralité-diffusion ou centralité-D.

(17)

Eléments de formalisation

Pour un attribut-A, la centralité-A d'un lieu e{ est une fonction non-décroissante de xi

et non-croissante des distances des autres lieux ey à e{ ; elle est également une fonction

non-croissante de Xj ,j*i et non décroissante des distances des autres lieux ek à chacun

des lieux ej , y * / :

cf=cA(xhd_+i;xi,d_>i) ,

d_^i = (dlh..., dpr,..., djj) est le vecteur des distances de tous les autres lieux à ei ;

<U/=(d

->1>

Cette fonction est supposée définie pour ^ = 0 .

Pour un attribut-D, la centralité-D d'un lieu ei est une fonction non-décroissante de

Xi , non-croissante des distances de e{ aux autres lieux ej ; elle est aussi une fonction

non-croissante de Xj ,j*i et non dénon-croissante des distances de chacun des lieux ej, j*i à tous les autres lieux ek :

où d = [da,...,dij,...9diI) et le vecteur des distances de et à tous les lieux ;

Si la relation d est une véritable distance, elle est symétrique et d_>7 = d;_>.

Cette formalisation est à la fois générale et limitée.

Elle est générale car la forme des fonctions est non spécifiée. Elle inclut la mesure d'une centralité qui ne dépendrait que de la position géographique, puisque c peut être une fonction indépendante des quantités d'attribut x. De même elle inclut la mesure d'une

cen-trante

qui dépendrait uniquement de la concentration relative d'attributs absolument quel-conques dans les différents lieux, indépendamment des positions géographiques, puisque c peut être une fonction indépendante des distances d. La centralité de e{ dépend des

concen-trations relatives de l'attribut dans les différents lieux, puisque c{ est une fonction

non-dé-croissante de x, et non-non-dé-croissante de x; , j' * i .

Cette centralité est à la source d'une hiérarchie qu'on peut interpréter comme une struc-ture asymétrique d'influences. "Central" est supposé synonyme d"'influent" ou de "dominant". La mesure donnée par cette formalisation est un indicateur de domination.

Une forme générale simple multiplicative pourrait être :

Tdij Hxj n i ^ u , a > 0 , h < 0 , c<0 ,dj>0(j * / ) .

Elle est limitée parce qu 3

• elle suppose une mesurabilité directe ou indirecte (indicateur) de l'attribut utilisé comme critère de centralité ;

(18)

• elle fait reposer la mesure de la centralité sur un seul et unique critère fonctionnel, ce qui est extrêmement pauvre face au caractère multidimensionnel de la centralité mis en évi-dence dans les sections précédentes ; le passage de ces indicateurs unifonctionnels à des in-dicateurs plurifonctionnels pose les problèmes habituels de l'agrégation, dont le plus délicat est celui de la pondération des fonctions.

• elle donne une boîte vide qu'il faut remplir par le choix d'un critère adéquat et la spécification de la fonction c, par exemple par l'évaluation des paramètres a, b et c de la formule précédente.

8. Conclusion

Rappelons seulement brièvement ce qui nous semble important dans l'approche de l'es-pace en termes de centre-périphérie.

• D'abord les différents niveaux de sens du couple centre périphérie se placent dans une série de conceptions emboîtées. Les visions les plus simples de la centralité se fondent soit sur la seule position géographique soit sur la seule concentration des attributs. Si l'on com-bine ces deux caractères, on obtient une vision plus riche, celle de l'espace structuré. L'es-pace imaginaire déborde cette vision en la déformant ou en l'enrichissant de significations symboliques.

• La centralité est un cadre d'interprétation de l'espace en termes d'asymétrie, d'inéga-lité et de domination. Elle suppose que les agents et les lieux sont inégaux ou le deviennent. Ils le sont si l'on se sert de ce cadre pour décrire la réalité ou si en théorie pure on se donne un ou plusieurs centres. Ils le deviennent si on cherche à rendre compte de l'évolution réelle de la centralité ou si en théorie pure on cherche comment apparaît un centre. On s'oppose là à l'idée concurrentielle de l'égalité a priori de tous les agents et de la symétrie des relations qu'ils entretiennent.

• La centralité évolue, mais lentement. C'est une manifestation de l'irréversibilité des phénomènes spatiaux, qui s'oppose à la réversibilité qui caractérise l'idée d'équilibre con-currentiel. Mais on sait que l'équilibre spatial est trivial si l'on n'introduit aucune source d'inégalité spatiale (théorème de Starrett). Il semble donc que l'espace introduise naturelle-ment l'asymétrie et l'irréversibilité dans l'analyse de l'équilibre.

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