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Portrait-paysage : rencontre, évènement, affects

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Portrait-paysage : rencontre, évènement, affects

Mémoire

Audrey Lahaie

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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II

Résumé

La série Portrait-paysage : rencontre, évènement, affects s’intéresse à la représentation de mon regard sur les liens tissés avec les personnes photographiées et explore la synthèse de deux images ayant leur langage et univers propre ; un dialogue entre un portrait et un paysage choisi. Par le portrait-paysage, je veux témoigner des expériences partagées avec les personnes ayant participé à ma recherche-création. C’est à l’occasion d’une série de rencontres dans lesquelles l’autre me donne accès à son intimité que se développe une complicité. Le portrait est créé dans le chez-soi des personnes, ouvrant à des mises en scène spontanées et intimes. Le point de vue large de mes photographies octroie une grande place à la gestuelle de la personne qui laisse transparaitre un rapport entre le photographe et la personne représentée qui marquera nécessairement l’image. Le paysage quant à lui témoigne plus directement de ma perception et de mon regard, il est une interprétation et une transposition des affects vécus avec les personnes représentées. J’aime penser qu’il se crée des ponts sensibles, des rapprochements entre les différents caractères d’un lieu et les sentiments humains. La composition portrait-paysage fusionne deux regards issus d’une même relation et laisse place à l’imagination en invitant le regardeur à créer des correspondances entre les deux photographies. La série Portrait-paysage : rencontre,

évènement, affects favorise une lecture active et mène à des perspectives interprétatives

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III

Table des Matières

Résumé ... II Table des Matières ... III Liste des figures ... IV Remerciements ... VI

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Le cheminement ... 3

Les prémices ... 3

La genèse : de l'autoreprésentation à un portrait complexe ... 4

Chapitre 2 : Les concepts de portrait et de paysage ... 10

Le portrait ... 10

Relation sujet-photographe ... 13

Tout le corps devient visage ... 18

Le chez-soi ... 22

Le Paysage ... 26

Chapitre 3 : Le portrait-paysage, de la méthode à l'imaginaire ... 37

Approfondissement du questionnement face au portrait-paysage ... 37

Mes portraits ... 38

Mes paysages ... 40

Le projet portrait-paysage ... 46

Les rencontres : processus et déroulement ... 51

Les séances de prises de vue ... 53

Le défi du paysage ... 58

Élaboration des portrait-paysage ... 62

Les divers niveaux de la rencontre ... 69

Conclusion ... 71

Bibliographie ... 72

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IV

Liste des figures

Figure 1 : Audrey Lahaie, Autoreprésentation 2, 2010, impression numérique, 45,72 x 111,76 cm (18 X 44 po.)

Figure 2 : Audrey Lahaie, Autoreprésentation 5, 2010, impression numérique, 45,72 x 111,76 cm (18 X 44 po.)

Figure 3 : Gabor Szilasi. M. Pascal Bouchard, Ile-aux-Coudres, de la série Le Québec rural

(1970-1976), 1970, épreuve à la gélatine argentique, dimensions indéterminées.

Figure 4 : Audrey Lahaie, Éric, de la série Portrait : esquisse de singularité, 2010, impression numérique au jet d'encre, 71,12 x 111,76 cm (28 x 44 po.)

Figure 5 : Yousuf Karsh, Winston Churchill, 1941.

Figure 6 : Diane Arbus, Un homme nu se faisant femme, 1968.

Figure 7 : Diane Arbus, Actrice de burlesque dans sa loge, Atlantic City, New Jersey, 1963. Figure 8 : Gabor Szilasi. Andor Pasztor, Montréal, de la série Portraits / intérieurs

(1978-1980), 1978, épreuve à la gélatine argentique, épreuve à développement chromogène,

dimensions indéterminées.

Figure 9 : Ansel Adams, The Tetons and the Snake River, 1942.

Figure 10 : Edward Burtynsky, Mines #19 Westar Open Pit Coal Mine. Sparwood, British

Columbia, Canada, 1985

Figure 11 : Lewis Baltz, South Corner, Riccar America Compagny, 3184 Pullman, Costa

Mesa, 1974.

Figure 12 : Audrey Lahaie, Québec_11.7, 2013, impression numérique au jet d'encre, 81,28 x 101,6 cm (32 x 40 po.)

Figure 13 : Alec Soth, Martha and Anthony, de la série Niagara. Figure 14 : Alec Soth, The Voyageur, de la série Niagara.

Figure 15 : Audrey Lahaie, Patrick_1.3, 2012, impression numérique au jet d'encre, 81,28 x 101,6 cm (32 x 40 po.)

Figure 16 : Audrey Lahaie, planche contact : Jacinthe_1, 2013. Figure 17 : Audrey Lahaie, planche contact : Jacinthe_2, 2013. Figure 18 : Orientations qualitatives paysagères de Patrick. Figure 19 : Audrey Lahaie, Québec_6.3, 2014.

Figure 20 : Audrey Lahaie, Québec_6.4, 2014, impression numérique au jet d'encre, 81,28 x 101,6 cm (32 x 40 po.)

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V

Figure 21 : Audrey Lahaie, Patrick, de la série Portrait-paysage : rencontre, évènement,

affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm (32 x 82 po.)

Figure 22 : Audrey Lahaie, Marie-Claude, de la série Portrait-paysage : rencontre,

évènement, affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm

(32 x 82 po.)

Figure 23 : Audrey Lahaie, Jacques, de la série Portrait-paysage : rencontre, évènement,

affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm (32 x 82 po.)

Figure 24 : Audrey Lahaie, Alexia, de la série Portrait-paysage : rencontre, évènement,

affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm (32 x 82 po.)

Figure 25 : Audrey Lahaie, Jacinthe, de la série Portrait-paysage : rencontre, évènement,

affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm (32 x 82 po.)

Figure 26 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 27 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 28 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 29 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 30 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 31 : Vue de l'exposition Portraits d'une rencontre présentée au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L'ÉTABLI du 5 au 14 mai 2017.

Figure 32 : Audrey Lahaie, Charles-Éric, de la série Portrait-paysage : rencontre,

évènement, affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm

(32 x 82 po.)

Figure 33 : Audrey Lahaie, François-Alexis, de la série Portrait-paysage : rencontre,

évènement, affects, 2017, impressions numériques au jet d'encre, 81,28 x 208,28 cm

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VI

Remerciements

Mes plus sincères remerciements s’adressent en premier lieu à mon directeur de recherche, le professeur Richard Baillargeon qui a su éclairer mon chemin à travers les différentes avenues théoriques et techniques. Beaucoup plus qu’un directeur de maîtrise à mes yeux, Richard Baillargeon m’a accordé sa confiance, il m’a offert une générosité incomparable, une écoute en or, des pistes de réflexions pertinentes ainsi que de judicieux conseils.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement Jacques Lacasse, Charles-Éric Beaulieu, François-Alexis Lemaire, Patrick Sternon, Alexia Roch, Jacinthe Lyons, Caroline duLotus, Marie-Claude Lepiez, Marilaine Pinard-Dostie, Lisa Grosbusch, Eve Escher, Émilie Dick Roy et Sarah Booth pour avoir cru en mon projet, pour votre temps, votre compréhension et votre participation.

À ceux qui ont motivé et supporté mes explorations :

À Marie-Pierre Bernier qui a contribué à la genèse du projet et m’a épaulée dans les différentes étapes de mes études.

Aux enseignants et au personnel de l’École des arts visuels de l’Université Laval qui ont assisté mes explorations pratiques.

À Martin Racicot pour son soutien quotidien.

Au Centre de diffusion en photographie et arts médiatiques L’ÉTABLI pour avoir contribué au rayonnement de ma première diffusion professionnelle.

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Introduction

La rencontre est à la fois la genèse de mon art, le résultat d’un moment singulier et le point de départ vers de nouveaux horizons. La représentation de cette rencontre est enregistrée sur ma pellicule photo sous la forme de paysages et de portraits. Étrangement, je découvre, apprivoise et échange d’une manière très similaire le caractère d’un lieu et celui d’une personne. Ce qui m’intéresse n’est point de transmettre une représentation parfaite de la réalité, mais de représenter les affects vécus lors de la rencontre avec le sujet. L’image photographique est l’espace d’un transfert, l’endroit où je donne une épaisseur propre à mon regard sur des réalités partagées avec les personnes qui ont pris part à ma recherche-création. Les images produites sont des portraits créés dans l’univers personnel des personnes ayant participé, ouvrant à des mises en scène spontanées. Ces images sont aussi des paysages souvent marqués par des transformations et des constructions, véhiculant une atmosphère particulière et un point de vue singulier. Depuis déjà un bon moment, j’explore la fusion possible entre un portrait et un paysage. Cette fusion force le spectateur à faire des liens et ouvre des perspectives interprétatives qui ne pourraient être communiquées par les images prises individuellement. Le mouvement narratif créé par le rapprochement des deux types d’images est donc au cœur de mes recherches actuelles. Ainsi, la rencontre, l’échange, l’intime et l’affect sont tous des thèmes mis de l’avant, autant dans chacune des photographies proposées que dans ce que le portrait-paysage lui-même peut créer.

Les objectifs de cette recherche étaient de cerner, comprendre, approfondir et expliciter la notion de regard à l’œuvre dans la création de portraits et de paysages. Dans ce texte, le premier chapitre fait état du parcours effectué, de ce qui a nourri ma pratique et les changements qui se sont opérés au fil du temps. Dans ce chapitre, je fais également état de la mise en place de la recherche visuelle et formule les questionnements qui ont permis la mise en place de mon projet.

Le deuxième chapitre est consacré à la définition des concepts de portrait et de paysage. Ce chapitre m’a permis de mettre en lien des idées issues du domaine des arts avec des notions complémentaires provenant de la sociologie, de l’anthropologie, de la géographie, etc. afin d’élargir leurs portées et de faire émerger une définition personnelle plus large et inclusive

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de ces concepts. Ainsi, la notion de portrait en passant de son acceptation générale vient se particulariser comme un lieu d’observation sur le rapport qui unit le photographe et la personne représentée au sein de l’image. Le portrait s’élargit en cadrant la scène de manière plus large de sorte que le corps de la personne photographiée témoigne du regard et des liens tissés entre les deux protagonistes. La relation entre le portrait et le contexte immédiat de prise de vue donne également un caractère plus intime au portrait, particulièrement lorsqu’il se réalise dans le chez-soi de la personne photographiée. Dans un deuxième temps, il est abordé ce qui distingue un environnement brut et un paysage. Il est notamment établi que le regard et son apprentissage sont des prérequis à la perception d’un paysage et que cette perception se développe dans un état d’esprit disponible et ouvert. Des différentes pratiques photographiques du paysage, je retiens les travaux de certains artistes qui développent une conception élargie du paysage.

Le troisième chapitre concerne le projet réalisé. Il présente premièrement le parcours conceptuel utilisé afin d’élaborer la synthèse portrait-paysage. Ensuite, j’énonce diverses conséquences de la fusion portrait-paysage en abordant notamment le mouvement narratif engendré. De par sa forme et son geste de rapprochement, le portrait-paysage produit un

évènement qui affecte la lecture de l’œuvre en la dynamisant et créant des ouvertures. La

méthode utilisée lors de la recherche-création est ensuite dévoilée. Elle aborde notamment, la sélection des personnes qui sont représentées, le déroulement des rencontres, la capture du portrait, la recherche du paysage, ainsi que la sélection et l’organisation des œuvres dans le lieu de diffusion.

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Chapitre 1 : Le cheminement

Les prémices

La photographie est marquée depuis son origine par l’idée d’une rencontre, celle d’un regard sur une réalité. C’est du moins, ma façon de comprendre ce médium aujourd’hui. Elle me permet de mettre en image des portraits illustrant la manière dont les personnes ayant participé à mon projet se sont présentées à moi et à mon appareil photo. Mais, pour en arriver là, bien avant de définir la photographie comme mon moyen de création premier, différentes approches furent explorées au cours de mes études au baccalauréat. Souvent, je travaillais avec les spécificités du médium, laissant en plan le côté conceptuel de la création. Par nature, je suis tentée de pousser les propriétés propres du matériau employé. Je me suis donc laissée guider par la gestualité de la touche en peinture, par les propriétés d’étirement et de résistance des matières en sculpture et par le renvoi à l’environnement englobant dans mes installations. En parallèle, je me suis toujours intéressée à la représentation de l’humain, particulièrement sous la forme du portrait peint. Lorsque je me suis consacrée plus activement au portrait photographique, le défi technique de la réalisation n’étant plus de restituer les traits d’une personne, je me suis aperçue qu’il y avait un manque à combler. La production de portraits me plaisait grandement. Cependant, mes projets me semblaient toujours inachevés. Bien que visuellement intéressants, ils ne semblaient pas soutenus par des intentions personnelles et des préoccupations artistiques claires. J’ai donc tenté de faire disparaitre cette sensation à l’aide d’écrits sur le portrait et de recherches sur d’autres manières d’approcher artistiquement le portrait. Seulement, ces explorations sur le portrait n’ont pas su créer de résonnances avec mes préoccupations de l’époque.

Ne trouvant pas à ce moment de réponse à mes questionnements sur le portrait, je me suis intéressée à la photographie de lieu me permettant alors d’explorer un côté plus affectif, spontané et émotif de la création. Réceptacle de mes perceptions et émetteur de sens, le lieu est devenu rapidement pour moi un outil pour analyser et rêver le monde. Seulement, se développait encore une fois une sorte d’insatisfaction face à la pratique, une certaine

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incompréhension du travail accompli accompagné d’un besoin d’approfondir et d’aller plus loin dans la pratique de la photographie.

La genèse : de l’autoreprésentation à un portrait complexe

Étant en questionnement actif vis-à-vis ma pratique, j’ai ressenti un grand besoin d’explorer de nouvelles voies de création. J’ai alors participé au cours d’autoreprésentation donné par l’artiste Raphaëlle de Groot, afin de me forcer à explorer un processus créatif différent. Le défi fut pour moi de créer une œuvre qui parle de ce qui m’est particulier, sans que je sois visible dans l’œuvre, tout en continuant à explorer le médium photographique. Pour orienter mes réflexions, je fus guidée par ma professeure vers un texte d’Anne Moeglin-Delcroix qui décrivait bien l’état de mes questionnements à cette étape de la recherche. Ce texte développe l’idée d’une « quête d’anonymat, dont l’intentionnalité négative tient dans la réponse à cette question : comment, sans dire “je”, puis-je dire que je ne dis pas ? Comment puis-je ne pas dire “je” sans dire que c’est moi qui ne dis pas ? »1

Je me suis alors interrogée sur les différents moyens que l’on peut utiliser afin de documenter et décrire une personne sans jamais la montrer. J’en suis venue à cette liste succincte : la description orale, la description écrite et la représentation métaphorique ou, pour le dire autrement, une transposition de ce qu’on ressent face à cette personne en un objet ou une chose.

Au cours de mes recherches, je mis la main sur le livre La mise en scène de la vie quotidienne2

d’Erving Goffman qui, avec une perspective sociologique, fait le parallèle

entre représentation théâtrale et représentation de soi. Selon cet auteur, l’individu se transforme en acteur. Il tente de contrôler, consciemment ou non, les impressions de lui-même et de son activité en se mettant en scène, en utilisant des décors pour jouer un personnage et adopter différents rôles. Ses différentes analogies dramaturgiques m’ont fait longuement réfléchir. En est ressortie, entre autres, la notion de décor. Le décor est un élément de l’appareillage symbolique utilisé par une personne qui participe et informe sur

1 Moeglin-Delcroix, Anne. 1997. « Ce qu'il y a de vivant dans l'art ». p. 14

2 Goffman, Erving. 1973. La mise en scène de la vie quotidienne. Vol. 1 La présentation de soi. Paris :

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le statut de la situation ou de la représentation. Cette notion de décor m’a permis de tisser des liens et faire un rapprochement entre mon intérêt pour les lieux et la représentation d’une personne.

Ce projet d’autoreprésentation (voir figures 1 et 2) s’est concrétisé sous forme de protocole utilisant différentes façons de décrire une même réalité. En premier lieu, j’ai demandé à des proches de me décrire sous forme d’enregistrement sonore. J’ai ensuite transféré leur parole en textes écrits sans mention de nom. Par la suite, ces descriptions anonymes ont été acheminées à des inconnus qui avaient comme mandat d’interpréter le texte reçu afin de déterminer un lieu qui lui correspondrait. Le lieu ciblé m'était communiqué par une boîte de courriel anonyme. Enfin, j’ai photographié le lieu désigné en tentant de mettre en évidence les explications quant au choix du lieu choisi par le dernier participant du processus.

Au cours des différentes phases de création, j’ai pu observer l’effacement progressif de ce qui m’est propre pour laisser de plus en plus de place à l’interprétation et l’imaginaire des participants. Le résultat de ce système présente côte à côte la description anonyme écrite et la photographie du lieu qui lui a été associée. Il est étonnant de voir comment chacune des œuvres fut fortement différente des autres.

Figure 1 : Audrey Lahaie, Autoreprésentation 2, 2010, impression numérique, 45,72 x 111,76 cm (18 X 44 po.)

Elle / Elle comme une bulle, une bulle de lumière, une bulle rouge, une bulle bleue / Une bulle qui danse, une bulle qui rie, une bulle qui sourit / Une belle bulle, une belle grande bulle / Elle est illuminante / Elle est comme un soleil / Elle a tout plein d’idées, plein d’énergie, plein de goûts : pour le voyage, pour

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6 les apprentissages, pour l’art, pour la connaissance / Elle est une femme qui vit, qui a besoin des autres, mais qui donne aux autres / Elle est une femme qui partage, une belle bulle de femme qui partage / Comme une bulle d’énergie, qui transmet, qui a besoin de transmettre, mais qui transmet aux autres, pour que les autres puissent continuer / Elle encourage, elle encourage toujours et c’est quelque chose de précieux, quelque chose qu'elle nous donne à nous afin que nous puissions continuer, toujours, plus fort, mieux et plus grand / Elle est pleine de motivation, toujours, plus fort et c’est quelque chose dont on ne peut pas calculer la nature, la grandeur et la quantité.

Figure 2 : Audrey Lahaie, Autoreprésentation 5, 2010, impression numérique, 45,72 x 111,76 cm (18 X 44 po.)

Elle c’est quelqu'un de calme, poli, toujours bien mise / / Je ne me sens pas en danger devant elle / C’est quand même rassurant contrairement à d’autres personnes / / Je sens comme une partie d’elle qui hésite à se dévoiler / Pas un mur, dans le sens que ce n’est pas dérangeant / Mais on sent qu’elle se protège un peu elle-même / Ce qui est quand même correct / / Autant c’est une personne qui est posée et calme / Autant c’est quelqu’un qui est capable de faire la fête, de se laisser aller / C’est quand même surprenant, c’est assez contradictoire.

La réalisation de ce projet marqua un tournant au sein de mon travail artistique. Ce projet souligna l’importance dans ma démarche d’inclure non seulement une relation avec des personnes qui participent au projet, mais aussi de mettre à profit leurs perceptions, leurs choix et leurs affects. Sans oublier, bien sûr, la transposition des caractéristiques attribuables à une personne aux qualités d’un lieu qui influença profondément la recherche-création à venir.

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Par la suite, je me suis intéressée à la création de portraits qui mettent en valeur un échange, une coopération entre le photographe et la personne représentée afin de créer une image qui attire l’attention vers ce qui lui est authentique. J’ai découvert la série Le Québec rural de Gabor Szilasi à ce moment. Les images de cet important photographe québécois ont transformé ma façon de penser le portrait et ont eu une influence décisive sur mon travail. Cet artiste sait capter quelque chose de ressenti et de personnel dans ses portraits. Gabor Szilasi cherche à créer une représentation « réaliste »3 de ses sujets. Ses photographies ne démontrent pas un regard froid, ni un regard sentimental vis-à-vis le sujet, mais un regard empreint de complicité, de curiosité et d’humanité. Il utilise un cadrage large qui inclut le corps de la personne photographiée et intègre des vues intérieures pour mettre en valeur les gouts ou le quotidien de celle-ci (voir figure 3).

Figure 3 : Gabor Szilasi. M. Pascal Bouchard, Ile-aux-Coudres, de la série Le Québec rural

(1970-1976), 1970, épreuve à la gélatine argentique, dimensions indéterminées.

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Pour mon projet de fin d’études au baccalauréat, j’ai réalisé une série de portraits dans lesquels une photographie de la personne représentée était insérée numériquement dans une photographie de lieu. Pour réaliser cette série, j’ai d’abord choisi de façon intuitive des gens de mon entourage. Je m’étais fixé comme contrainte de passer une demi-journée avec ces personnes afin de me familiariser avec eux. C’est dans un lieu sélectionné par la personne puisque faisant partie de son quotidien, de son milieu de vie ou ses endroits de prédilections que le portrait était créé. Puis, comme avec le projet d’autoreprésentation, je demandais à la personne représentée de m’indiquer un endroit qu’elle connaissait bien ou un type d’environnement bien précis qui pourrait bien représenter un aspect de sa personnalité (voir figure 4). En somme, la série Portrait : esquisse de singularité intégrait un portrait photographique de la personne dans un contexte qui lui est familier au sein d’un lieu qui pointait vers une perception différente ou plus complexe de la personne. Le lieu choisi avait pour but de compléter le portrait, d’arriver à une représentation qui allait au-delà de la façade corporelle et d’évoquer un aspect, une facette plus intime de la personne.

Figure 4 : Audrey Lahaie, Éric, de la série Portrait : esquisse de singularité, 2010, impression numérique au jet d'encre, 71,12 x 111,76 cm (28 x 44 po.)

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La série Portrait : esquisse de singularité a comblée les questionnements qui entouraient ma pratique photographique. En instaurant une correspondance entre une personne et un lieu, je venais donner une épaisseur, une originalité à ma démarche et je communiquais une vision de la réalité qui était bien mienne. Le rapprochement entre une personne et un lieu se créait avec de plus en plus de naturel et avait de plus en plus de sens à mes yeux. Le lieu devenait révélateur de ce qu’il nous était impossible de voir autrement dans un portrait. Avec cette série, je sentais que je tenais là tout le potentiel d’une approche artistique plus établie. Je ressentais le désir d’affiner mon processus de création visuel. Bien que les résultats de cette série furent bien accueillis dans le réseau artistique, je trouvais que l’intégration numérique du portrait au sein du lieu devenait redondante ou même prévisible, limitait ma créativité et restreignait la portée sémantique de ce rapprochement entre une personne et un lieu. La recherche-création au sein de la maîtrise en arts visuels était donc tout indiquée pour expérimenter d’autres dispositifs visuels qui me permettraient de mieux exprimer cette nouvelle approche de création. Il m’était aussi très important d’approfondir les concepts de portrait et de lieu afin de mieux saisir leur dynamique propre pour, par la suite, comprendre le pourquoi de ce rapprochement. Ce fut ce qui me guida dans la recherche-création de maîtrise, vers cette série Portrait-paysage : rencontre, évènement,

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Chapitre 2 : Les concepts de portrait et de paysage

Mon projet de recherche-création se concrétise à la jonction de deux genres artistiques qui ont subi diverses définitions au fil du temps, en plus d’avoir été explorés par un grand nombre d’artistes, démontrant la vitalité de ces genres pratiqués et étudiés au cours des siècles. Dans ce chapitre sur le portrait et le paysage, je viendrai mettre mon grain de sel dans cet océan de définitions et je jetterai sur papier la manière avec laquelle je m’approprie ces concepts à l’aide de quelques auteurs et artistes qui auront confirmé mes questionnements.

Le portrait

Dans cette partie, j’aurai recours à des écrits qui porteront sur le portrait en général, mais j’accorderai une attention particulière au portrait photographique en mettant l’accent sur le rapport particulier qu’entretiennent le photographe et la personne représentée.

Que donne à voir une représentation du visage et du corps ? « Les portraits révèlent les multiples façons de concrétiser l’instant durant lequel un être montre son visage. »4  Dans sa

définition générale, le portrait est la « représentation d'une personne réelle, et, spécialement, de son visage, par le dessin, la peinture, la gravure ; dessin, tableau, gravure… représentant un (ou plusieurs) être(s) humain(s) individualisé(s). »5 Souvent, son acceptation comprend non seulement l’idée de ressemblance physique, mais inclut également la visée de parvenir à la représentation de la personne qui passe au-delà de la corporéité du sujet afin d’atteindre une ressemblance intérieure, morale et spirituelle. En effet, l’intérêt du portrait fut longtemps de rendre au modèle ce qui lui confère sa propre identité, son individualité. En ce sens, le portrait comporte des enjeux liés à la ressemblance, à la vérité, à la vanité, à la postérité et à la connaissance de soi.

4 Angremy, Jean-Pierre. 1997. « Préface ». In Bibliothèque nationale de France. Portraits, singulier pluriel

1980-1990 : Le photographe et son modèle. p. 7.

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Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française. 2016. Récupéré le 30 mars 2017 de

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Les origines du portrait et ses définitions classiques définissent le portrait comme étant la représentation d’une personne dont l’identité est l’objet de l’œuvre. En effet, la personne doit être le sujet principal de la représentation, sans quoi, la représentation peut perdre son statut de portrait au profit d’un autre genre tel que la scène de genre. Pascale Dubus dans son livre Qu’est-ce un portrait ?6

mentionne quelques critères qui sont nécessaires afin de déterminer si une œuvre est un portrait. Parmi ceux-ci, elle souligne que la personne doit être représentée pour elle-même et que la figure peinte doit être l’unique objet de la représentation. Cela signifie que la représentation ne doit pas contenir d’attributs et de symboles qui pourraient être perçus comme la représentation d’une divinité ou une allégorie. Mais que faire des portraits où l’image de l’individu fusionne avec son statut ? Elle ajoute que le corps représenté suggère que l’œuvre découle d’une intention commune de l’artiste et de la personne représentée à produire un portrait. De plus, les traits du visage de la personne portraiturée doivent être individualisés, c’est-à-dire qu’ils doivent reproduire les caractéristiques d’une personne singulière7.

L’avènement du portrait photographique apporte un lot de questions qui brouillent les limites des définitions mentionnées ci-haut. En effet, que ce soit par la promotion de la plasticité du corps, son éclatement ou sa déshumanisation, par la mise en place d’une fiction ou même par un portrait de société ou de marginalité, les artistes ont cherché à déconstruire le portrait et à se repositionner face à ce genre en créant de nouvelles ouvertures. Comme le mentionne André Gilbert :

Ainsi, le portrait a longtemps été considéré comme un « miroir de l’âme », comme expression de la vie intérieure — par opposition à l’apparence extérieure —, d’où la nécessité, attestée dans toute l’histoire de l’art, de parfaire l’œuvre afin d’atteindre cette « ressemblance » morale ou spirituelle. Cette conception est fondée sur des théories psychologiques classiques, qui décrivent une individualité stable et constante, un moi permanent et invariable qui serait l’expression de l’identité essentielle de la personne. Or, depuis Freud, on convient plutôt qu’il s’agit d’un sujet dynamique, multiple et hétérogène, et les

6 Dubus, Pascale. 2006. Qu’est-ce qu’un portrait?. Coll. Art en perspective. Paris : L’insolite, 93 p.

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philosophes de la différence (Deleuze, Derrida) proposent maintenant un moi incertain, vacillant, témoignant d’une subjectivité fluctuante et insaisissable.8

D’ailleurs, cette façon de définir le concept de portait comme une représentation cherchant à atteindre une certaine vérité, rendant visible la personnalité et le caractère de la personne représentée ne me semble pas tenir compte du fait que la création ne montre pas une réalité, mais bien un regard sur cette réalité. Quel que soit le médium utilisé, la création est une construction référant à une réalité, une mise en image cohérente avec notre compréhension de la réalité, une représentation forcément teintée par nos perceptions et nos convictions tout en ayant une épaisseur propre.

L’intention créatrice ainsi que le contexte de réception sont des données essentielles pour déterminer la fonction du portrait. En effet, si l’on regarde du côté de la photographie, les approches sont généralement divisées soit fonctionnellement (la photographie documentaire, la photographie artistique, la photographie scientifique, etc.), soit par le champ référentiel qu’ils prennent pour objet (le paysage, le portrait, la nature morte, l’architecture, etc.). De plus, le portrait d’art se distingue des fonctions utilitaires que la photographie peut incarner (portrait d’identité, de publicité, industriel) ou des usages familiaux. Aussi faut-il distinguer le portrait amateur de celui produit avec une intention artistique qui traduit une expression. L’image photographique est de plus en plus répandue, la photographie qui figeait les moments forts de la vie familiale laisse place à une relation plus fréquente, intime et détendue envers la mise en image de son corps et de soi. Le portrait amateur va même jusqu’à acquérir « un statut de journal intime visuel »9

, phénomène particulièrement visible au sein des médias sociaux.

La photographie est très populaire, car elle nous permet de remonter très facilement de la représentation au sujet qui y est représenté. Ce phénomène est encore plus prononcé lorsqu’il s’agit d’un portrait puisque le contact avec l’image d’une personne, connue ou non, fait en général intervenir l’affect, comme le souligne Schaeffer : « lorsque mon activité perceptuelle rencontre un autre être humain, il en va toujours aussi de moi-même […] les images du visage et du corps humain sont toujours de formidables stimulis identificatoires

8Gilbert, André (dir.). 2004. Autoportraits dans la photographie contemporaine. p. 5. 9 Idem, p. 10.

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et projectifs, c’est-à-dire qu’elles fonctionnent avec une force mimétique presque irrépressible. »10

Cela est dû au fait que tout individu se construit une personnalité à travers les images qui lui sont renvoyées soit par réflexion, soit via la confirmation du regard d’autrui. D’une part, l’individu connait son identité visuelle seulement par reflet : reflet dans un miroir ou par une image le représentant, particulièrement l’image photographique. D’autre part, l’individu est marqué par le social, il se construit et prend conscience de son identité grâce aux contacts avec les gens qui l’entourent, en se regardant du point de vue des autres. L’interaction, moment où l’individu observe le regard de l’autre sur soi, devient un moment de confirmation et de connaissance de soi à travers l’image qui lui est renvoyée par l’autre. Le portrait n’est-il pas l’expression du regard d’une personne sur une autre ? Est-ce pour cela que le portrait attire autant qu’il fait craindre ?

L’une des principales craintes du modèle est, assez étonnamment, d’être révélé par le portrait. L’étrange particularité de cette crainte c’est qu’elle est, en même temps, l’une de ses plus grandes attentes. Une personne désire, autant qu’elle ne redoute, être révélée à elle-même par un portrait. Ce qui justifie ses craintes, c’est qu’elle peut se retrouver confrontée à un aspect qu’elle ne voulait pas voir et qu’elle ne voudra pas montrer, ou plutôt, laisser voir aux autres spectateurs du portrait.11

Relation sujet-photographe

Un des attraits majeurs de la photographie est qu’elle projette le regard vers un au-delà de l’image entrainant un mouvement de projection et d’identification de la représentation vers son référent. Cette attraction est particulièrement forte lorsqu’il s’agit d’un portrait. La photographie fut longtemps estimée comme un médium de la transparence entrainant un effet saisissant de réalité. Cela est dû au fait que l’image photographique est une empreinte indicielle du sujet. Elle est la résultante de la lumière réfléchie sur le sujet qui affecte la surface photosensible de la pellicule ou du capteur numérique. La photographie est une trace visible d’un cadrage choisie du monde. Bien que la photographie réfère toujours à une réalité, elle montre bel et bien une chose qui a eu lieu. Cependant, elle capture aussi bien

10 Idem, p. 19.

11 Alexandre, Lorraine. 2011. Les enjeux du portrait en art - étude des rapports modèle, portraitiste,

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une mise en scène bien ficelée qu’un instant spontané pris sur le vif. C’est pourquoi il est important de considérer le portrait photographique comme une création :

Certes, nous visons la personne portraiturée « à travers » son portrait. Mais c’est bien le portrait, c’est-à-dire l’interface de transfert, qui est le lieu « où ça se passe ». […] La complexité inhérente à l’image photographique est précisément liée à ce basculement permanent qui nous fait passer d’une reconnaissance quasi-perceptive (à la fois au niveau causal et au niveau analogique) à une attention accordée au champ imagé en tant que présence irréductible parce que manifestant une structuration, un point de vue, qui non seulement sont fondé dans le regard autre, mais résultent d’un faire et possèdent donc une épaisseur propre.12

Autrement dit, selon Schaeffer, cette fenêtre sur le réel qu’est l’image photographique est plutôt une transposition du regard du photographe en une représentation référant à un sujet, ici à la représentation d’une personne qu’il propose au regardeur comme une création. Le portrait photographique démontre et construit des rapports entre le photographe et la personne représentée. Il est toujours une rencontre concrète vécue par deux personnes bien conscientes de leurs rôles respectifs. Il pose la question du contact et installe un jeu de regards dans un mouvement de va-et-vient. Comme le mentionne Jean-Marie Schaeffer, les relations sujet-photographe ne sont pas du même ordre :

[…] le portrait photographique présuppose toujours un pacte dont l’enjeu est la rencontre et la négociation de deux désirs. Or il n’y a aucune raison pour que le désir d’œuvre du photographe et le désir d’image du portraituré coïncident : de ce fait, le portrait rencontre toujours sa vérité dans la manière dont il négocie la tension entre des regards qui se croisent et qui s’éprouvent mutuellement.13

En effet, le portrait photographique repose sur un équilibre précaire où chacun assume son propre rôle en correspondance avec ses attentes singulières. Le portraituré veut tester l’impact de son image qu’il ne peut atteindre que par médiation (soit via le miroir, soit via le regard risqué du photographe). Le désir du portraitiste quant à lui est de faire une œuvre, de saisir et de construire une expression personnelle du sujet. Le rôle du photographe est d’appliquer un certain nombre de codes (techniques, esthétiques, communicationnels, etc.)

12 Schaeffer, Jean-Marie. 1997. « Du portrait photographique ». In Bibliothèque nationale de France. 1997.

Portraits, singulier pluriel 1980-1990 : Le photographe et son modèle. p. 20.

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tout en mettant de l’avant au sein de la représentation les traits individualisés de la personne. La participation active du sujet au sein de la séance de prises de vue est nécessaire. Seulement, sa façon de négocier ses attentes peut influencer grandement le résultat du portrait. Le photographe peut soit exprimer sa souveraineté sur le sujet ou, inversement, être soumis aux commandes de la personne représentée.

En effet, plusieurs grandes approches du portrait photographique ont structuré nos manières de traiter le portrait et nous amènent à noter plusieurs différences dans les rapports qui lient le photographe et la personne représentée. Par exemple, le portrait commercial où le modèle paie le photographe pour son travail se distingue souvent considérablement du portrait où l’aspect psychologique de la personne photographiée est recherché et mis de l’avant dans la représentation. Il y a des portraits où la description documentaire d’une réalité sociale est dépeinte et d’autres où le sujet étant une personnalité connue pose ou même joue un jeu de rôle afin de perpétuer sa légende.

On peut donc affirmer que le portrait photographique est le résultat d’une rencontre fondé sur un rapport en se faisant témoin de l’échange de regards entre le sujet et le photographe pendant la séance de prises de vue. Le médium photographique suppose donc un rapport physique direct et incontournable entre le sujet et le photographe. La personne représentée n’est pas passive et soumise au regard du portraitiste, elle est appelée à vivre la pose demandée, elle valide ou non les demandes du créateur. Cet échange de regards est détectable au sein des portraits photographiques, comme le spécifie Pascale Dubus : « le modèle regarde à son tour l’artiste au travail avec la conscience que son image est en train de se décoller de lui-même pour apparaître sur une surface en deux dimensions »14.

Chacun des protagonistes de l’image se met en question par le jeu des réactions provoquées et suscitées. Se construit alors une démarche relationnelle importante qui transparait automatiquement dans le portrait photographique. D’ailleurs, plusieurs exemples et anecdotes ont été soulignés dans l’histoire du portrait photographique démontrant bien ce rapport qui lie la personne représentée et le photographe. Un d’entre eux est bien

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certainement la photographie de Winston Churchill produite par Yousuf Karsh (voir figure 5). Ce photographe avait une très forte volonté de traduire ce qui est particulier à chacun de ses sujets. Étant attiré par les personnalités fortes qui marquèrent son époque, il tenait à introduire le caractère singulier de chacun au sein de ses images. Comme le souligne James Borcoman dans Karsh : L’art du portrait, trois éléments ont fortement contribué à la réussite du portrait qu’il réalisa de Churchill : son talent de photographe, la chance, mais surtout son intuition.

Certes, Karsh a bénéficié d’une chance extraordinaire lorsque Churchill a continué de fumer son cigare après avoir pris la place qui lui était réservée pour le portrait. Mais à la chance s’ajouta le génie : ayant déterminé que le gros cigare n’était pas un ornement approprié pour un des plus grands dirigeants au monde, Karsh arracha instinctivement le cigare au fumeur, et se rendit compte, en un éclair de génie, que l’animosité qui apparut alors sur le visage de Churchill créait le moment idéal pour le cliché.15

Cette intuition, qui aura été la clé de ce portrait cache un fait sous-jacent. En effet, cette image est une bonne illustration que le portrait photographique est la trace d’un rapport entre le photographe et la personne représentée. Le jeu d’actions et de réactions, les regards qui sont à l’œuvre juste avant l’instant prélevé par la photographie sont cruciaux. L’image de Churchill qui arbore un regard direct et intense où une pointe de mécontentement est bien perceptible démontre bien sa forte personnalité et son caractère tenace. Cette image « devenu le célèbre symbole d’une détermination héroïque face à l’agression destructrice. »16 n’aurait jamais été la même sans ce geste imprévisible de Karsh. Ainsi, bien que Karsh travaille avec un décor et un éclairage bien contrôlés afin de bien étudier à la fois la forme, la lumière et le sujet dans une pose soignée, l’effet de présence du photographe et le rapport à l’autre sont toujours bien ressentis dans son œuvre.

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James Borcoman. 1989. « L’art du portrait ». In Karsh : L’art du portrait. p. 74-75.

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Figure 5 : Yousuf Karsh, Winston Churchill, 1941.

Un autre exemple probant est bien certainement l’approche de la photographe américaine Diane Arbus. Elle est l’une des artistes qui, par sa grande curiosité face à l’autre, met en valeur des gens intriguant, tant par leur statut non conforme que leur aisance face à l’appareil photo. Les portraits de Diane Arbus font preuve d’un investissement personnel et se distinguent des autres pratiques du portrait grâce à sa grande compréhension du rapport et de la relation intime qui unit la personne représentée et la photographe. Dans sa pratique, Arbus a su montrer comment l’interaction entre les deux protagonistes du portrait dans une ambiance de collaboration affecte et brille à travers l’image. Arbus pose un regard humain sur des célébrations et des choses qu’elle représente comme elles sont. Elle ne conçoit pas la photographie comme objective, mais comme l’expression du point de vue de son auteur : « For Arbus, the objective documentary nature of the photograph could not be disentangled from the experience of the personal encounter. »17 Souvent le fruit de rencontres préalables, ses portraits savent mettre en confiance la personne représentée ; elle n’est pas une intruse, elle n’est pas qu’une simple photographe, elle s’investit personnellement envers ses sujets.

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Figure 6 : Diane Arbus, Un homme nu se faisant femme, 1968.

Tout le corps devient visage

Je m’intéresserai ici à savoir comment le portrait prend en charge la représentation du corps au sein du portrait photographique. Je tenterai de mettre en lumière comment le portrait, par son cadrage, retient et révèle différemment une personne. Un cadrage rapproché influence différemment la lecture du portrait qu’un cadrage large où une grande partie du corps et de la gestuelle est visible. À ce sujet, Dubus affirme : « Si la série des portraits en buste donne peu d’indices sur la posture des corps, en revanche les cadrages en plan américain et en plan large, […] sont riches d’informations. »18 Pour moi, la prise en charge du corps dans le cadre de l’image est très importante puisqu’elle met en évidence entre autres la relation que le photographe entretient avec la personne photographiée.

Selon Dubus : « Sur un échantillonnage de portraits élaborés entre le XVe et le XXe siècle, la grande majorité d’entre eux présente des cadrages qui vont du plan serré au plan italien,

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soit des bustes. Le corps du portraituré, quoi qu’il se laisse deviner, est escamoté aux yeux du spectateur. »19 Le portrait donne en général une place fondamentale au visage du portraituré. Ce dernier, se sachant en train de poser, de s’inscrire dans une image, met beaucoup d’énergie à contrôler les impressions données. Le visage semble être le lieu où les émotions sont le plus lisibles et sujettes à être étudiées. C’est pourquoi le sujet y concentre toutes ses énergies afin de faire bonne figure et ne pas perdre la face. L’humain peut avoir en une journée une multitude d’expressions faciales diverses, selon ce qui l’affecte, selon sa personnalité, ses pulsions instinctives, ses expériences vécues, ses sensations, etc. Certaines de ses passions sont lisibles à la surface du corps et représentent notre inépuisable panel expressif : sourire, froncement de sourcil, rouge aux joues, etc. Certaines d’entre elles sont plus discrètes et tendent à ne pas transparaitre à la surface du corps. De cette dualité nait la richesse de la représentation du corps en portrait, mais de là, nait également sa plus grande difficulté : la difficulté d’interprétation qu’une même mimique peut occasionner. Lorsque l’on étudie des portraits en plan rapproché, rendant visible une partie du buste et le visage de la personne, nous pouvons nous apercevoir que la personne représentée cherche à contrôler les expressions de son visage de façon à mettre de l’avant la manière dont il veut investir le portrait et influencer les impressions.

À l’inverse, lorsqu’on étudie des portraits qui, avec un cadrage plus large laissent une grande place au corps dans l’image, nous pouvons remarquer que le corps traduit davantage le moment vécu lors de la pose photographique. Le corps du sujet devient ce que Goffman nomme l’expression indirecte, une expression qui est plus difficile à contrôler ou, du moins, qui est contrôlée d’une façon moins consciente ou stratégique que le visage. Pour le spectateur, l’impression que la personne représentée tente de lui transmettre peut être tout aussi bien vraie que fausse, sincère que feinte, authentique ou factice. Ainsi, le spectateur tente de repérer les aspects de la représentation qu’il juge comme non contrôlée afin de mesurer la crédibilité des aspects de la représentation de la personne qui se prête le plus à la mise en scène ou, du moins, qui sont davantage maîtrisés par celui-ci. Bien conscient de l’attention majeure que nous accordons au visage, la personne représentée y concentre toute son énergie afin de communiquer des expressions qui conviennent à l’impression qu’elle

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veut transmettre, tellement, qu’elle en oublie souvent son corps. Les gestes, les attitudes ou les regards, parce qu’ils sont uniques ou au contraire universels, deviennent des outils de lectures efficients. La gestuelle, la façon dont le corps occupe l’espace, l’action ou la pose change beaucoup la réception et les pistes de lectures qui pourront être faites.

Dans son portrait de l’Actrice de burlesque dans sa loge, Arbus intègre plusieurs strates de compréhension à l’image (voir figure 7). En effet, nous pouvons d’abord tenter de décrypter l’expression du visage qui montre une certaine assurance. Nous pouvons ensuite étudier la pose du corps vu dans son ensemble qui semble osciller entre une pose aguichante bien assumée et une pose légèrement maladroite. Déjà, un écart entre ce que la personne tente de faire transparaitre et ce qu’elle laisse voir dans sa représentation se dessine. Arbus utilise la photographie au format carré et cela a un impact non négligeable sur sa manière de cadrer son sujet. En effet, elle est bien consciente que ce format occasionne un effet centripète. Dans l’exemple étudié, le travail de composition d’Arbus semble diriger toute notre attention vers le centre de l’image, ici, comblé par les mains de la femme. La position et le jeu des mains de la personne représentée communiquent une certaine timidité, une fébrilité devant l’appareil photographique. C’est un petit détail qui marque beaucoup ma compréhension du portrait, c’est sans doute un détail qu’Arbus avait aussi remarqué en effectuant son cadrage lors de la prise de vue. Ses différentes interprétations du corps de la personne représentée sont possibles grâce à l’inclusion du corps et sa gestuelle au sein de l’image. La représentation du corps, la façon dont la personne occupe l’espace et se positionne est essentiellement déterminée par le cadrage du portrait. Cette image démontre bien qu’un cadrage plus large fait intervenir d’autres affects et traduit plus clairement peut-être le moment vécu lors de la pose photographique. Ainsi, malgré le regard humain et intime d’Arbus, la personne représentée semble tiraillée entre le naturel et le rôle qu’elle se donne.

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Figure 7 : Diane Arbus, Actrice de burlesque dans sa loge, Atlantic City, New Jersey, 1963.

Plus le corps est présent dans le portrait photographique, plus il est marqué par le social. Les vêtements et accessoires du sujet transforment le corps du sujet en un corps social :

Chacun revêt les attributs vestimentaires et les postures conformes aux attentes du milieu et de la situation vécue. Parfois la personne marque, au contraire, sa marginalité à l’égard des signes formels des attributs de la toilette. Des attributs qui dessinent, quelle que soit la façon dont ils sont portés, les signes d’un alphabet purement formel et visuel préexistant et reconnaissable. L’image du corps produite est une mise en scène stéréotypée, si bien réappropriée par la personne dans le processus de son éducation qu’elle lui semble spontanée et naturelle. L’image du corps correspond à une vision interne et subjective d’un corps dans son sens du paraître.20 

C’est pourquoi, je considère que tout le corps devient visage, visage de cette rencontre vécue entre le photographe et la personne représentée, tout le corps parle de cette intimité partagée. L’humain détient cette dualité particulière d’être en constante métamorphose, mais toujours reconnaissable. C’est pour cette raison qu’à mon avis, un portrait

20

Alexandre, Lorraine. 2011. Les enjeux du portrait en art - étude des rapports modèle, portraitiste, spectateur. p. 18.

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photographique réussi ne doit pas chercher à atteindre une vérité et ne doit pas être compris comme une représentation capable de définir une personne. Le portrait représente une volonté partagée d’une mise en image du corps au sein de laquelle la relation, le moment partagé, l’environnement, les choix de chacun et les échanges de regards pèsent tous à plus ou moins grande échelle dans la balance.

Le chez-soi

Je me suis intéressée jusqu’à maintenant à dégager un enjeu qui m’est très cher au sein du portrait photographique qui est le rapport entre la personne représentée et le photographe. Un autre point qui m’anime dans l’étude du portrait photographique est la charge émotive et informative que le contexte dans lequel se fait le portrait peut apporter. La relation entre le portrait et son espace de représentation, souvent tributaire du cadrage, peut soit donner priorité à la personne en la présentant dans un contexte dénudé et neutre ou présenter un décor qui vient informer la prise de vue de différentes marques.

Une grande part des portraits photographiques sont réalisés en studio. Ce contexte offre beaucoup de possibilités au photographe en ce qui concerne les différents effets d’éclairages, souvent à l’aide de lumière artificielle. Le studio offre aussi un large éventail de choix en rapport avec le fond qui sera plus ou moins visible derrière la personne représentée. Bien que plusieurs possibilités de mise en contexte sont présentes, les portraits de studio sont plus souvent produits sur fond neutre afin de donner toute l’attention à la personne représentée, surtout en soulignant le regard, dans un cadrage qui se situe souvent entre le plan rapproché et le plan américain.

Nous avons vu précédemment qu’un cadrage plus large permet d’entrevoir davantage le corps du portraituré et donc, implicitement, le rapport qui a mené à sa création. Un cadrage plus large donne aussi à voir un contexte qui se voit octroyer un espace plus important dans le champ de l’image. Les cadrages larges sont plus fréquemment utilisés dans un environnement et un contexte autre que le studio. Ce contexte peut prendre plus ou moins de place visuellement dans la représentation, il peut être estompé par un flou créatif ou être chargé de détails, peu importe, il vient toujours orienter la compréhension qu’on fera du

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portrait. Selon Max Kozloff : « L’espace est tout sauf un ingrédient neutre dans le portrait. »21

J’apprécie particulièrement les portraits qui présentent la personne dans un environnement connu, familier, cela donne en général une représentation plus détendue entre la personne représentée, son contexte et le photographe. Lorsque le contexte est l’environnement domestique de la personne représentée, ce dernier est investi et chargé d’une foule d’informations offertes aux yeux des éventuels regardeurs, se prêtant à une lecture intime en combinant l’information du contexte à ceux de la personne. Sandra S. Phillips commente l’œuvre d’Arbus et affirme : « Each element of the pictorial environment is deliberate and expressive of the place in which the subjects are depicted, and serves as a clue to better know them. »22

Les portraits qui laissent voir le chez-soi des personnes représentées communiquent des enjeux intimes qui ne seraient pas perceptibles dans un autre contexte. Le chez-soi est imprégné du quotidien de celui qui l’investit. Il constitue un aveu involontaire des gestes et rêveries de la personne qui révèle une mémoire intime et structurante de son occupant. Je ne pourrais mieux dire que Michel de Certeau à ce sujet :

Un lieu habité par la même personne pendant une certaine durée en dessine un portrait ressemblant, à partir des objets (présents ou absents) et des usages qu’ils supposent. Le jeu des préférences, l’arrangement du mobilier, le choix des matériaux, la gamme des formes et des couleurs, les sources de lumière, le reflet d’un miroir, un livre ouvert, un journal qui traîne, une raquette, des cendriers, l’ordre et le désordre, le visible et l’invisible, l’harmonie et des discordances, l’austérité ou l’élégance, le soin ou la négligence, le règne de la convention, des touches d’exotisme, et plus encore la manière d’organiser l’espace disponible, si exigu soit-il, et d’y distribuer les différentes fonctions journalières (repas, toilette, réception, entretien, étude, loisir, repos), tout compose un « récit de vie » avant que le maître de céans n’ait prononcé le moindre mot.23 

Le chez-soi et les objets qui le peuplent témoignent sans fard et de multiples façons des ambitions et statuts sociaux, des modèles culturels, du lien familial, d’une étape de la vie de

21

Kozloff, Max. 2008. Le jeu du visage : le portrait photographique depuis 1900. p. 149.

22

S. Phillips, Sandra. « The question of belief ». In Arbus, Diane. 2003. Diane Arbus : revelations. p. 50.

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celui qui l’habite. Tout du chez-soi parle de son occupant, que ce soit par sa localisation, l’architecture de l’immeuble, la répartition des pièces, les objets qui s’y trouvent, l’aménagement, les soins et égards, les gestes d’appropriation, etc. Le chez-soi est le théâtre de nos actions quotidiennes, de nos allées et venues, de nos habitudes, le lieu où se rythme le quotidien. Endroit dans lequel son occupant vit, s’identifie et par rapport auquel il développe un sentiment d’appartenance. L’aménagement du chez-soi et la façon dont son occupant le transforme dévoilent nécessairement soit un suivi des normes culturelles, soit un conformisme, soit une expression plus personnelle et originale. Selon Perla Serfaty-Garzon :

Le langage utilise le même mot, habitation, pour désigner l’expérience et l’activité d’habiter, qui supposent une implication affective, un engagement de l’être, une habitude, une durée, une familiarité, mais aussi pour désigner l’édifice dans les limites duquel s’inscrit cette expérience psychologique et affective. L’objet, c’est-à-dire l’édifice, qui participe de l’expérience d’habiter, et l’expérience elle-même, qui a lieu dans cet objet, sont transmis par un même terme, sans pourtant se confondre. Il en est de même du terme « chez-soi ». Le chez-soi est la demeure, le foyer, l’abri, le lieu de l’intime. Il est à la fois objet, l’endroit bâti, et expérience du lieu que cet objet fonde. 24

Le lien d’attachement entre l’habitant et sa demeure est habituellement très fort. « Être chez-soi, y avoir la paix, s’y sentir en sécurité, rester entre soi, réunir sa famille et fermer sa porte, décider librement de laisser à l’extérieur ses semblables et le monde en général. » 25 Le chez-soi est un espace protégé où seuls les invités peuvent y pénétrer, où l’espace est aménagé afin de maîtriser ses relations avec autrui et où nous pouvons être tout à fait nous-mêmes sans craindre les regards extérieurs. D’ailleurs, la répartition des pièces dans l’espace domestique permet moduler et de maîtriser les différents degrés d’intimité.

« Mise en ordre du monde, mise en cohérence du moi : la disposition des objets dans la maison s’inscrit dans une dynamique de création d’une syntaxe personnelle. »26 D’abord impersonnel et froid, le chez-soi est l’appropriation de cette maison. Les choses qui peuplent la maison acquièrent un sens symbolique, deviennent une réalité propre à son

24

Serfaty-Garzon, Perla. 1999. Psychologie de la maison : une archéologie de l'intimité. p. 51.

25

Idem p. 13.

26

Alexandre, Lorraine. 2011. Les enjeux du portrait en art - étude des rapports modèle, portraitiste, spectateur. p. 68.

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25

occupant, pouvant être rythmées par des modifications dans le temps afin de pouvoir héberger comme il se doit les gestes et rêveries du quotidien. Une lettre, un livre ouvert et une image au mur sont tous des éléments qui pourraient sembler anodins, mais qui sont au cœur d’enjeux de personnalisation de l’espace et d’expression de la personne qui permet d’assurer sa continuité temporelle et de soutenir sa réalisation de soi. L’espace domestique est cet endroit précieux où se déploient et où se répètent les gestes élémentaires du quotidien, ce lieu est en soi une sorte de portrait de son occupant à lui seul.

En somme, on peut penser sans grand risque d’erreur que les gens se sentent plus à l’aise et sont plus naturels lorsqu’ils se font représenter au sein de leur chez-soi puisqu’ils peuvent compter sur l’appareillage symbolique fort de leur décor personnel afin d’appuyer leur discours. Ce qui entraine souvent une représentation plus détendue.

Un exemple qui m’est très important est la série photographique Portraits/intérieurs

1978-1980 de Gabor Szilasi qui étudie à la fois l’homme et son habitat, les gens et leur mode de

vie. Cette série met en relation deux images : une première image montre, dans un cadrage large laissant beaucoup de place aux détails, la personne à l’intérieur de son chez-soi ; la seconde image reprend la partie du chez-soi représenté, mais cette fois seul, avec un cadrage avec une vue plus large ou légèrement décalée de la même pièce (voir figure 8). On peut tout d’abord mentionner que la singularité de la personne est bien représentée, et ce, grâce à un cadrage large laissant bien voir la personne et la façon dont elle occupe son espace. La présence de la personne et son authenticité sont magnifiées par cet intérieur qu’elle a investi. La répétition d’une même portion du chez-soi souligne l’intention de l’artiste de donner une grande place aux intérieurs photographiés. Le chez-soi ne constitue pas seulement le contexte immédiat derrière la personne représentée, il est bien affirmé dans cette composition où il apparaît par deux fois. Au sein de cette série, nous pouvons remarquer à quel point chacune des œuvres montre un portrait très singulier et ressenti de chacune des personnes et comment chacun a su habiter son chez-soi de manière complètement différente. En effet, lorsque nous prêtons attention aux espaces représentés, nous pouvons remarquer qu’ils viennent non seulement donner le ton, l’ambiance et l’atmosphère aux portraits, mais aussi dévoiler plusieurs aspects des personnes représentées qui ne seraient pas accessibles autrement. Chacune des images nous influence

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réciproquement et selon David Harris : « On cherche parmi les objets ou dans leur disposition un signe qui témoignerait non seulement du goût de la personne photographiée, mais aussi de sa personnalité ; inversement, on interprète le portrait comme étant, en partie, le résultat de diverses expériences associées à ces objets. »27

Figure 8 : Gabor Szilasi. Andor Pasztor, Montréal, de la série Portraits / intérieurs (1978-1980), 1978, épreuve à la gélatine argentique, épreuve à développement chromogène, dimensions indéterminées.

Le Paysage

Mes recherches sur le concept de paysage m’ont permis de constater que le paysage n’est pas une chose déjà là toute faite, mais bien une invention. Il est la transformation d’un espace devenant visible par sa valorisation, autrement dit, il est une élaboration culturelle. Comme Anne Cauquelin le mentionne, il y a beaucoup de « travail que nous faisons sans le

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27

savoir quand nous “voyons” un paysage. »28 En effet, le paysage est le fruit d’un long et complexe apprentissage.

Le paysage ne se réduit pas aux données visuelles du monde qui nous entoure. Il est toujours spécifié de quelque manière par la subjectivité de l'observateur ; subjectivité qui est davantage qu'un simple point de vue optique. L'étude paysagère est donc autre chose qu'une morphologie de l'environnement.29

Débutons l’étude du paysage à l’aide d’une première définition donnée par le dictionnaire Le Robert : « Partie d’un pays, étendue de terre que la nature présente à l’observateur. »30 Il semble d’emblée que cette définition soit incomplète. Les définitions du terme changent selon l’époque, mais aussi selon le domaine d’analyse prise pour son étude (artistique, géographie, sociologie, écologie, etc.). Plus qu’une simple vue ou une jouissance de la beauté de la nature, le paysage est plutôt un espace qualifié et construit par le regard. Selon Augustin Berque, « Ce n'est en effet pas un hasard si de nos jours on parle si souvent de l'“invention” du paysage […] ; c'est que le paysage, loin de n'être qu'un simple emballage de la réalité de notre environnement, traduit que celle-ci a été, qu'elle est encore et qu'elle doit plus que jamais être instituée par les acteurs sociaux »31

. Le paysage est une construction sociale évolutive : il est conditionné en permanence par des rapports sociaux. Ainsi, l’interprétation d’un environnement « est forcément typée, datée, inscrite dans le contexte singulier d’un certain mode de vie, à une certaine époque »32. Augustin Berque met de l’avant l’idée que le paysage est une sensibilité qui se cultive et qui n’a pas toujours existé partout et toujours ; il est une entité relationnelle qui se réalise que dans certaines conditions. Ce qui distingue les cultures paysagères des non paysagères est seulement l’interprétation que les gens font de leur environnement. Bref, le paysage est une entité relative et dynamique, où nature et société, regard et environnement sont en constante interaction. Le paysage est donc avant tout la construction d’un espace qualifié et construit par le regard.

28

Cauquelin, Anne. 2000. L’invention du paysage. p. 8.

29

Berque, Augustin (dir.). 1994. Cinq propositions pour une théorie du paysage. p.5.

30

Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française. 2016. Récupéré le 15 avril 2017 de

http://gr.bvdep.com.acces.bibl.ulaval.ca/robert.asp

31

Op. cit. p. 7.

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