uNrvERSrrÉ
DU
euÉBEC À
nruousrr
CnnvrrNrR
vERs
t
'.LurRn
DEpUISuNn
nxpÉRIENCE
nonssnulnMnNT
:
uN
PROCESSUS DE CONCERNEMENT
Mémoire présenté
dans le cadre du programme de maîtrise en étude des pratiques psychosociales en vue de
I'obtention
du srade de maître ès artsPAR
@
JOSÉE DESJARDINS
Composition
dujury
:Jean-Philippe Gauthier, président
dujury,
Université du
Québec àRimouski
Jeanne-Marie
Rugira, directrice
de rechercheoUniversité du
Québec àRimouski
Sylvie
Morais,
co-directrice
de recherche,Université du
Québec àChicoutimi
Anne
Cazemajou,examinateur
externe,Université
Blaise Pascal deClermont-Ferrand
UNIVERSITE DU
QUEBECA
RTMOUSKIService de la bibliothèque
Avertissement
La diffirsion
de ce mémoire ou de cette thèse sefait
dans le respect des droits de sonauteur,
qui
a signéle
formulafue <<Autorisation
dereproduire
et dedffiser
unrapport,
unmémoire
ou
une
thèse >>.En
signantce
formulaire,
l'auteur
concèdeà l'Université
du Québec à Rimouski une licence non exclusived'utilisation
et de publication dela
totalitéou
d'une partie imporlante de sontravail
de recherche pour desfins
pédagogiques et noncommerciales. Plus précisément,
I'auteur
autorisel'Université du
Québecà
Rimouski
àreproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche à des
fins
non commerciales sur quelque support que ce soit,y
comprisl'Internet.
Cette licenceet
cette autorisation n'entraînent pas une renonciationde
la parl
del'auteur
à
ses droits morauxni
à ses droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire,l'auteur
conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dontil
possède un exemplaire.Pour mes nièces, mon neveu et leurs enfants à
REMERCIEMENTS
Me
voici
au terme de ces années de recherche et de formation en étude des pratiquespsychosociales.
C'est
avecune
reconnaissanceinfinie
queje
remercietout
d'abord
madirectrice de
rechercheMadame
Jeanne-MarieRugira,
professeureau
département depsychosociologie
et
de
travail
social
à
I'UQAR.
Je veux
ici
saluer
I'extraordinaire pédagoguede
I'accompagnement des processusde
changementhumain.
Elle
qui a
su m'accompagner depuis les tout débuts,m'insufflant la
confiance nécessaire pour cheminervers
un
renouvellementde mon
rapport
à
l'école
et à
l'écrit.
Son
appui
constant etbienveillant,
m'a
non seulement permis de mener à terme ce projet, mais bien plus encore,par
son regard aimantet curieux elle
m'a
propulsée dansma
vie
vivante,
et fait
don
de I'expérience d'une solitude reliée.Ma
gratitude sans mesureva
ensuite à ma codirectrice Madame Sylvie Morais,qui
asu me guider sur
le
chemind'une
phénoménologie appliquée, vers une rencontre riche de mon processus de (( concernement )) en première personne. C'est à travers sa passion et sonamour
pour
l'expérience humaine,la
créationet
la
philosophie, quej'ai
pu
rencontrer levéritable plaisir de la recherche. Par elle,
je
me reconnais artiste reliée.Il
m'est
aussi essentiel de remercier mes nombreux alliés, cochercheurs et amis, aveceux
j'ai
pu
apprendrela
reliance sensible.Un
merci tout particulier à
Éhe Jardon,Marja
Murray,
Myra-Chantal Faber, Jean-François Paré,Vincent
Cousin et Sophie dela
Brosse. Cette démarche a bénéficié égalementd'un
accompagnementinédit
et généreux de ThierryLeuzy
quim'a
mise presque à mon insu sur le chemin del'écriture.
Je suis reconnaissantepour ce chemin
fait
ensemble.Ma
gratitudeva
égalementaux
compagnonsde ma
cohortequi ont
soutenu monSamson, Dominique Lapointe,
Ingrid
Lathoud et Noémie Dubuc.Merci
aussi, à tous ceuxet
cellesqui veillent
surla vie
et
qui font
del'école
deRimouski,
une terre de tous les possibles !Une pensée douce et de profonde gratitude
va
également à mafamille
de sang et de cæur.Merci à
ma
mèreMarie-Claire Lamont, mon
modèlede
vie,
y
compris
dans sesretours
tardifs
aux études.Merci
à ma sæur Marie-Claude, à mon frère Pierre et à Jacquesmon
beau-frèrepour
leur présence soutenante. Je pense également avec reconnaissance àmes nièces et neveux, Chloé,
Mathieu
etMarie-Audrey pour leur
amour etleur fierté.
Jeremercie plus particulièrement ma nièce Laurence, ma merveilleuse complice dans cette si
belle
aventure transformatrice.Que dire de mon amie
et
complice
RenéeClément,
à l'écoute chaleureuse qui soutient chacun de mes pas.Je tiens
à
remercier
tous mes
professeursà la
maîtrise:
Luis Adolfo
G6mezGonzàles,
Mire-Ô
Tremblay,
Jean-MarcPilon,
PascalGalvani, Danielle Boutet,
pour
la beautéet
l'intelligence infinies de vos
enseignements,qui
me
redonnentà
mes
élansd'apprendre.
Un
merci particulierva
à mes accompagnateurs en somato-psychopédagogie.Merci
à AgnèsNoel,
Sylvie Hogues, Ève Berger,Matc Humpich
et ÉhseArgoua'ch,
vos mains et vos cæurs sensibles, ont été de vrais guides dans cette grande aventured'un
retourvers Soi, un cheminement qui me tend vers l'autre et le monde.
Pour
finir,
uneinfinie
tendresse pour la petite Esseulée qui se niche enmoi,
quifut
unmoteur
puissant,
tout
à
la
fois
touchée
et
touchante,
sur mon
chemin
inédit
de transformation.AVANT-PROPOS
<
Cette
teruepanique où
je
marchais,
on
a
cru
queje
prétendais
y
trouverI'explication
de tout.J'y
cherchais un simple départ.La
viea
voulu queje
sois obligé de découvrir moi-même les chemins. Ceuxqu'on
meproposaif
j'en
voyais le déroulement meporTer vers le désespoir. Je suis revenu vers les premières traces. Je les
ai
remontées pas àpas.
D'abord
inquiet.Le
bruit
de votre sciences'était
tu.Il
nerestait
qu'unpetit
chemindans
l'herbe.
Ceuxqui
avaient passélà
étaient morts depuis longtemps.J'étais
dansla
double solitudedu
lemps et de I'espace.Parfois,
les traces seperdaient
sousI'herbe.
La glaciale présence du dieu sepenchait
au-dessus demoi
commeI'ombre d'une
montagne.Les
échos retentissaientd'un
silenceplus
violent
quetous les
bruits de
la
tene.
Mais, chaquefois,
un ordrepartait
duplus
secret de moi-même;d'un
næud d'artères enterré auplus noir
de mon corpsfusait
un songprécis
qui
soudainéclairait
mesyelffi,
débouchait mesoreilles,
ffinait
mqpeau
aupoint
queje
me sentais aussinu
qu'uneflamme. Je
ne cherchaisplus
le
chemin,j'étais
la
recherche
même, commele
soc
et le
sillon.
Jem'enfonçais de
plus
enplus loin
dansma
brousse; dans cetffioyable
amasde
matière vivante.Ilfallait
écarter des lianes lourdes comme des serpents, se glisser entre desfeuillesqui
me retenaient comrne des mains vertes, saisissant mapoitrine,
mes bras, mes jambes, etje
sentaispalpiter
dans leurforce
le halètement d'une sève capable de vivre pendant milleans; I'odeur
des humustournait
enlent
tourbillon
autour de moi, si ferocement déchainéqu'il
mejetait par
terre,m'entrainait
comme dans les remousd'unfleuve
dela
montagne.La
vie
m'ensevelissaitsi
profondémentau milieu d'elle
sansmort ni
pitié
que parfois,pareil
au
dieu,je
sentaisma
tête, mes cheveLlx, mesyeux remplis d'oiseaux,
mes braslourds de
branches, mapoitrine
gonfléede
chèvres, de chevatm,de
taureaux, mes piedstrainant
des racines, etls
teweur despremiers
hommes me hérissait comme unsoleil.
Un matin,j'ai
compris que I'apprentissagepanique
étaitfini:
je
n'avais pluspeur
dela
vie. Pan me couvrait désormais defrissons
heureux comme le vent surla
mer. Devantmo|
une terre rase montait vers ttn sommet qui meparaissait
être lajoie.
> (Jean Giono, 1937,p.17)nÉsuptÉ
Ce mémoire propose une étude compréhensive
d'un
processus de << concernement >>,tel
qu'il
a été vécu, construit et compris par une praticienne chercheure en création. Engagéedans
une action
communeen toute solidarité,
l'artiste
chercheà
sesentir
concemée demanière bidirectionnelle, c'est-à-dire dans une situation interne
qui
permetd'être
àla
foistouché par soi et par
I'autre
dans un espace interactionnel.La
recherche veut contribuer auchamp des
études psychosocialesselon
deux
axes.
Sur
leplan
méthodologique, cette recherche en première personne,illustre bien
la portéed'une
approche phénoménologiquelorsque
celle-ci est
combinée
à
une
pratique
professionnelle,notamment
par
I'usaged'entretiens
d'explicitation
(PierreVermersch,2006) pour
accompagnerla
mise
en motsd'actions,
de pensées, d'impressions sensoriellesou
d'émotions. Sur
le plan
<formatif
>cette
étude s'intéressesurlout
aux
espacesde
transformations solidaires,en balisant
laconstitution
de
l'individu
dansun lieu
de
communion
original. Les
résultats
de
cetterecherche
montrent
commentet à
quelles conditions ce
processusde
(( concernement >constitue
la
clé
devoûte
qui a
permis de maintenir
l'artiste
dansune
cohésion-solitude< reliée > entre son sentiment d'esseulement, ses insatisfactions professionnelles, ses crises
existentielles, ses
impressionscorporelles,
et
son rapport
à
I'altérité. Ces
espaces de transformation solidaire proposent un modèle de sociabilité nouveau etinédit qui
contribueà
ouvrir
le dialogue entre I'artiste praticien chercheur et sa communauté.Mots
clés:
Transformation solidaire, processus de < concernement >>, esseulement,4BSTRACT
This
master's thesis articulates an understandingof
the(
concernment process),
asexperienced, constructed
and
understoodby a
scholar-practitionerin
the
creative
arts.Involved
in
solidarity-basedjoint
action,the
artist triesto
relatebidirectionally,
that is, toreach an internal state which allows her to be moved both by herself and by the other
within
a relational space. This research hopes to contribute to psychosocial studies along
two
lines.On the
methodological plane,this
first-person research illustratesclearly the
scopeof
aphenomenological
approach
when
the
latter
is
combined
with
professional
practice,especially through
the
useof
entretiensd'explicitation
(<clarification
interviews >> PierreVermersch, 2006)
for
the pu{poseof
articulating actions, thoughts, sensory experiences oremotions.
On the formative
plane,
this
research focusesmostly
on
solidarity-basedtransformational spaces, circumscribing the making up
of
anindividual
in
a placeof
initial
communion.
The
results
of
this
researchshow
how and under what
conditions
this(
concernment process>
is
the
keystonethat
allowed the artist
to
stayin
a <
related
>cohesion-solitude between
her
feelingsof
loneliness,her
professional dissatisfaction, herexistential crisis, her
bodily
feelings, aswell
as her relationshipwith
the Other,with
others,with
otherness. These solidarity-based transformation spaces suggest a new and distinctive relational modelwhich
helpsto
openup
a dialogue between the scholar-practitioner artistand her community.
Keywords
:
solidarity-basedtransformation,
<< concernment process>,
loneliness,TABLE DES
MATIERES
A!/ANT-PROPOS...
...x1RESUME..
...xiii
A&]TRACT
...
...xvTABLE DES
MAT18RES...
...xviiLISTE DES
F1GURES...
...xxiINTRODUCTION
... 1I
- PENSERL'EXPEzuENCE...
...7CHAPITRE
1LA
PROBLEMATIQUE...
...91.1
PpRrrNrNcE pERSoNNELLE ETpRoFESSIoNNELLE...
...91.2
PeRrrNpNcE socrALE ETscrENTrFreuE...
...161.3
SrruarroN
pRoBLEMATIeUE
...17I.4
PRoer-pvp DE RECHERCHE...
...201.5
QursrroN
DE RECHERCHE...
...21I.6
Oerecrrps DERECHERCHE...
...21CHAPTTRE 2 LES
CHOIX
EPTSTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGTQUES... ...232.1
LpvoNop
pHENoMENoLocreuE
...,...232.I.I
La
rccupncHE EN pREMTEREpERSoNNE
...242.2
MprnorolocrE
DERECHERCHE
...282.2.1
Unp ve,ruoDe DE RECHERCHEHEURrsrIeuE...
...282.2.2
Tpnnan
DERECHERCHE...
...312.2.3
DEvrs DE RECHERCHE EN pREMIEREpERSoNNE
...34CHAPITRE
3LE
CADRE DEREFERENCE...
...393.1.1
L'psseuLptVtENTVERSUS LASOLITUDE...
...403.1.2
CupvINpn vERS L'AUTRE...
...'...4l
3.1.3
Lp pRocpssus DE(
coNCERNEMENT))...
...443.1.4
L'pcuo-cRpATIoN
...453.1.5
UNp pxpsnIENCE DE TRANSFoRMATIoNsoLIDAIRE
...473.2
Ceonp DEnRATIQUE...
... 503.2.I
La
peoacoclE eERCEPTIVE, uNE, ECourE DUcoRPS
... 513.2.2
L'AutoptcrloN
ou L'ECRITURE coMME cREATIoN DEsol
...--...523.2.3
Lsrnavarr-
DES < Co-IopNTITES)
PouR M'APERCEVoIR...
...54II
- EXPLORERL'EXPERIENCE
....,..,,,,,.,57CHAPITRE 4
RUMEUR
D'AMOUR
:IINE
AUTOFICTION...
...594.1
Pannp
1-Ouï-DIRE...
....' 604.I.1
Ler.oNcue
MARCHE
...'...604.1.2
LernaNsvurATloN
...624.1.3
Rsar.Irp ouFICTIoN?...
...'...654.1.4
PnpspNcp ETMouvEMENr...
...'. 694.2
Penrn
2-DnrD'Atr,touR.
...714.2.I
Passacp (oEvanot
AMERCREDI)...
...714.2.2
Lnpnrp
...744.2.3
LeKasela
te
VaLpRtE...
...-...764.2.4
< Je)
rEvoIS...
...'.. 784.2.5
Me latsspR PENETRER PAR LE cHEMIN DUREToUR
...794.2.6
Reve
...854.2.7
Éprlocue
.
...87CHAPITRE
5 SOUFFLED'AMOUR...
...895.1
S'pNcacpR(or
rour
voN
ErnE)-Avpc
L'EsseuLpE...
.... 905.2
Le
Cnrspeul
MEsAUVE...
...945.3
La
sauvsusE ET LA BATAILLEUSE EN coNTEXTE DEcRISE...
...975.4
Lp MpNsoNcEINESPERE
...'... 99XlX 5.6 5.7 5.8 5.9 Sp r.arsspn ACCoMpAcNER
...
... 103L'pcgo-cRlATIoN
DANS LAcITE
...107ErRe
evsc
AUTRUI...
...110AppRpNpRE A sE LArssER
ToucHER
...1I2
CHAPITRE
6LE CHEMIN DE
COMPREHENSION...
...1196.1
LE Rapponr AUcoRps
...1226.2
Lp napponr AAUTRUT
...1256.2.1
Vorn L'AurRE ETINTERSUBJECTIVTTE
...1266.2.2
RscaRppnL'AUTRE
... 1286.3
Lp Rapponr A LA cREATToN...
...1296.3.I
INrpRvpNrR DANS L'ETRE, sEcREER
...I29
6.3.2
L'ARrrsrp (psr)
r-'ESSEULEE
...1306.3.3
SpcnEeR
...1316.4
Ls RAppoRr ar-'ÊtRe
... 1346.4.1
LE,r.rEcEssarRE RAppoRT a L'ÊIRE, ET A NorRE coMMUNE HUMANTTE ...1346.4.2
Sppan-q.rroN r/rÀsusRnrRouvarLLES...
... 1366.5
Lp nSNouvELLEMENT DE MApRATreuE
...1376.6
CoNcr-usroN...
...140CONCLUSION
GENERALE
...145Figure 1 Figure 2 Figure 3 Figure 4 Figure 5 Figure 6 Figure 7 Figure 8 Figure 9
LISTE
DESFIGURES
Figure 10
INTRODUCTION
<
Quand
le
mondes'auto-éveille,
notre
sois'auto-éveille; quand notre soi s'quto-éveille,
le
mondes'auto-éveille.
Chacunde
nos
soisauto-éveillés
est
un
centre
perceptif
du monde >t.Nishida Kitarô
Le
thème de cette rechercheTraverser
l'écriture d'un
mémoirequi
s'inscrit en Étude des pratiques psychosociales est une aventure sans pareille. Aussi, c'est grâce à cette démarche de rechercheformation-création, que
je
suis entrée dans un processus introspectif profond quim'a
amenée à puiser dans mon expérience relationnelle pour faire face audéfi
de me laisser transformer, tout en renouvelant ma pratique et en créant de la connaissance nouvelle.C'est
ainsi queje
suis retournée sur les bancs del'école
après plus de 30 ans d'une vie pleinement dédiée à la création.Il
y
avait à la source de cet élan de changement radical,un
sentimentd'insatisfaction récurrent
qui
m'envahissait
régulièrementet me
donnaitf
impression d'entraver ma vie. En effet, du plusloin
queje
me souvienne, cette impressionm'a
régulièrement plongée dans un grandinconfort qui fait
queje
peine à rester proche demoi.
Au
fil
du
temps,j'ai
appristant bien
quemal
à me
couperde ce
désagrément en déployant des stratégies pour ne pas me sentir. De cette manière,j'ai
fini
par me retrouver enfermée dans une expérience d'esseulement qui tend à teinter I'ensemble de mon rapport àIaréalité.
Mon projet
de
rechercheavait
commeambition
dèsle
départde travailler à
mamutation
existentiellepar la voie
de
cette recherche formation-création. J'espérais ainsipouvoir
laisser
émerger
du
neuf.
Au
cours
de
mon
processus
d'écriture,
j'étais
constamment à
l'affrt
de ce queje
n'arrivais
pas normalement à percevoir demoi.
J'étaispar conséquent dans une forme de
vigilance
pour laisser m'apparaître cequi
ne savait pas encore comment se révéler au cæur de ma propre vie.Pour
Pascal
Galvani
(2010,
p.96),
<<La
formation
est
condition même
deI'existence.
l
Qui plus
est,
il
ajoute:
<<Poser
la
questionde
I'autoformation dans
uneperspective existentielle, c'est
ouvrir
la
recherche sur des horizons ayantI'amplitude
dela
vie elle-même. > (çt.94) C'est ainsi queje
suis entrée dans le réel de ma vie en empruntant le chemin de l'autoformation existentielle et de la création. J'étais ainsi dans une(
1...f tentative personnelle d'accomplissement d'une présence au monde/pour
devenir sujet de ma vie, unsujet]
qui
essaied'être
lui-même dans lesrapports
qu'il
construit
et dans les actesqu'il
pose,pour
trouver unefaçon
d'être qui soit vrqimentla
sienne (Roelens, 1996). > (Galvani,2010, p.99) Toujours selon Galvani, s'émanciper des conditionnements hérités et construits demande forcément
qu'il
y
ait
de
l'autre,
c'est
seulementà
cettecondition
que quelque chose deneufpeut
se créer.L'actualisation héroique et differenciatrice du sujet s'exprime par
l'affirmation
desoi
contreles
événements.Mais,
au risquede
sombrer dansl'autisme,
le
trajet anthropologique deI'autoformation doit
nécessairement passer del'opposition
àune coopération entre le sujet et l'environnement. (Galvani, 2010,
p.I07)
Une recherche
d'inspiration
phénoménologiqueInspiré de
la
phénoménologie contemporaine, ce projet vise essentiellement à éclairerl'expérience
de
I'esseulementtelle
queje
la vis
dansma
vie
personnelle, relationnelle et professionnelle et telle queje I'ai
non seulement aperçue, mais aussi traversée grâce à monprocessus de recherche,
de
créationet de
formation.Or,
il
ne
s'agira pasici,
de
fixer
oud'objectiver à l'avance ce que ce processus
allait
impliquer, mais bien de s'engager dansur
chemin de découverte à la manièred'ule
recherche menée dans une perspective heuristique.Il
s'agissait donc pourmoi
de comprendre comment et à quelles conditions,je
pourrais passer d'une expérience d'esseulement à une expérience de reliance même au cæur de ma solitude.5
J'espérais ainsi que les gains réalisés dans ce contexte pourraient avoir un réel impact sur ma pratique créatrice et relationnelle.
< Faire > de la phénoménologie, lorsque la recherche
s'inscrit
dans l'espace renouveléd'une pratique concrète (Depraz, 2006),
c'est
apprendre à prolongerla
coruraissance dansune
pratique,
de
façon
à
l'ouvrir
sur de
multiples possibilités
à
venir, plutôt que
del'enfermer dans
des
théories abstraites
et
fermées
sur
elles-mêmes.
Ainsi,
la phénoménologie(du
grec:
phainomenon:
((ce
qui
apparût>)
proposeau
chercheur dedemeurer
dans cette attitude d'ouverture,
en
portant
une
attention particulière
surI'expérience en
train
de sevivre, tout
ens'efforçant
deporter le moins
de jugements, de projections, de préjugés possiblesà
sonendroit,
de façonà
la
laisser apparaîtrepour
cequ'elle
est.
Telle
une praxis,
la
dimension
opératoireet
fonctionnelle
de
la
recherche phénoménologique se situe donc sur le plan del'action,
son fondement est inséparable de la pratique concrètequi
la constitue et elle trouve sa vérité et savalidité
au cæur même de samise en æuvre. (Depraz, Varela et Vermersch, 2000)
À
cela s'ajoute une transformation dela
réalité objective et de soi-même. Selon MaxVan
Manen (1984),
c'est en
apportantune
conscienceréfléchie sur
la
vraie
nature dessituations qui nous sont données à
vivre
qu'il
est possible de transformer ces situations et enmême temps de se transformer soi-même. Dans ce sens, nous pourrions dire que la recherche phénoménologique met
le
chercheur en contact direct avec le monde, les autres et aveclui-même. Cela faisant,
il
engage son devenir dansle
wai
sensdu
mot bildung
(formation-éducation), comme le proposent Fabre (1994), Morais (2012).
Cette quête
de
transformationde
soi et du
rapport au monde,je
l'ai
poursuivie en postulantqu'un
chemin de
proximité
avec
mon
expérience seraitune
voie
royale
pouratteindre
mes
objectifs
de
recherche.
Je
disais alors
m'engager
sur
une
voie
deL'organisation
de cemémoire
Ce mémoire est
divisé
entrois
grandes parties,qui
se subdivisentà
leurstours
endifférents chapitres.
.
La
premièrepartie,
intitulée : Penserl'expérience
est composée detrois
chapitresqui
ont commefonction
de poser le cadre compréhensif deI'objet
de cette recherche. Dans|e
premier
chapitre:
La
problématique,je
me
penchesur I'univers à
problématiser enmettant en évidence les pertinences personnelle, professionnelle, sociale et scientifique de
cette recherche,
afin d'aboutir
à la formulation du problème, de la question et des objectifsde recherche
qui
ont guidéla
conduite de la présente démarche. Dansle
second chapitre :Les choix épistémologiques et méthodologiques,j'expose les fondements épistémologiques
et
méthodologiquessur
lesquels reposecette
recherche.Puis
finalement
le
troisième chapitre :Le
cadre de référence présente d'une part les differents concepts qui tiennent lacohérence
de
ce mémoire,et
d'autre part les
cadres de pratiquesqui ont
sous-tendu madémarche.
.
La
deuxièmepartie,
Explorer
I'expérience,
est constituéede deux
chapitres quitiennent
lieu
de
mon terrain
de
recherche.Le
chapitre
quatre:
Rumeur d'amour
:
uneautofiction, est une exploration créatrice autofictive, qui est
tout
à lafois
un espace témoin,un récit initiatique et
un lieu
de re-création demon
rapportà
I'esseulement.Le
chapitrecinq :
Soffie
d'amo'ur, est un tableau phénoménologique de neuf moments importantsqui
ont participé au passage de I'esseulement à la solitude < reliée >.
.
La
dernièrepartie
de
cette
recherche,Analyser I'expérience
trace
le
chemincompréhensif de toute ma démarche de création, d'autoformation et de recherche. En effet,
au bout de mon processus,
j'avais
besoin de baliser le chemin quim'a
permis de passer de I'enfermement dans un douloureux et paralysant sentiment d'esseulement pour apprendre à5
manière
qui
ne me délie pas de mes ancrages essentiels. Ce chapitre tente doncd'éclairer
mon chemin de formation de manière à le rendre partageable et inspirant pour d'autres.
Me voici
aubout d'une
démarche d'apprentissageet
de recherchede
la
reliance commeI.
PENSERL'EXPÉRIENCE
< Penser fl'expérienceJ, c'est marcher, ailleurs que
sur des sentiers battus ou des routes balisées.
Alors
que
la
route nous mènerait tranquillementjusqu'au
but,
le
chemin
quant
à lui
est
incertain
etinaccoutumé
t...1
C'est
ici
en
cepremier
thème, dirons-nous à Ialisière
delaforêt,
que s'engage le chemin de la pensée en phénoménologie. >CHAPITRE
1LA
PRoBr,Éu.trteun
< Le voyage secoue mon corps, mon cæur Ce qui meurt brûle
etje
ne sais encorebrûler
dufeu
de ma vie. >tHélène
Dorion
Ce premier chapitre présente la problématique
d'un projet
de recherche qui porte surla
questiondu
passagede
I'esseulement
à
la
solitude reliée. Celui-ci
sedivise en
sixparties. D'abord,
je
présentela
pertinence
de
la
recherche
sur
les plans
personnel,professionnel,
social
et
scientifique.
Ensuite,j'expose
la
situation
problématiqueet
leproblème de recherche, pour aboutir sur
la
question et les objectifs de recherche poursuivisdans le contexte d'une pratique psychosociale.
l.l
PrRrrNrNcE
pERSoNNELLE ET pRoFESSIoNNELLESur les traces de
mon
sentiment d'esseulement,je
me
vois
dansun
premier tempsretourner
à
mesorigines pour tenter de cemer
la
naturede cet
enfermement. Je prends< rendez-vous )) avec l'Esseuléel, ses peurs, ses doutes, ses croyances et ses questions.
Tout
d'abord,
je
peux
dire
que
I'esseulementrelève pour
moi
d'une
sensationd'enfermement en moi-même qui me suit pour ainsi dire en permanence. Que
je
sois seuleou entourée, l'impression reste la même, bien que
je
ressente cet état plus fortement quandje
suis seule. Ensuite, cette expérience d'esseulement se manifeste autant par ma pensée que'
L'emploi du E majuscule pour désigner I'esseulée, distingue cette part de moi comme une identité àentière, une Co-identité ou subpersonnalité (voir chapitre
III,
page6l)
prénommé I'Esseulée qui estprotagoniste centrale dans cette recherche.
part une
dans mon corps. Ses effets sur ma pensée me plongent dans des états de méfiance exagérée, quasi paranoiaques dans lesquels
je
deviens tantôt calculatrice, envieuse ou jalouse, tantôttétanisée, confuse
ou
< contrôlante>.
L'impact
corporel
qui
se
manifeste
en
totale synchronicité avec ces types de pensées est quant àlui
de nature sensorielle et perceptive.En
effet,
que cesoit
dansun
moment de grande intensitéou
dansI'affection à
basbruit,
c'est tout mon
systèmeperceptif
qui
vit
un
genre d'engourdissement généraliséqui
medurcit
et me pincela
bouche.D'une
certaine manière,je
perçois moins de lumière dansla
pièce,
j'ai
unedifficulté
à comprendreI'autre
et une tendance àbafouiller.
Puis, à un autreniveau,
un
syndrome de constipation chroniqueimbriqué
dansun
système de préservationqui, me semble-t-il, est aussi intimement
lié
à mon état d'engourdissement corporel.Tout
aulong
de ma viej'ai
usé de stratégies pour ne pas sentir la brulure au cæur etles effets dans mon
corps
généré par mon sentiment d'esseulement. Par exemple, enfantje
me
gelais enme
berçantet
enme
secouant danstous les
sens,on
auraitcru
une enfant autiste. Adolescente,je
mejetais
dans laËte
et les paradisartificiels.
Par la suite,je
devinsartiste/joaillière, à la
fois
Esseulée dans son atelier etégaréeloin
dans son être. Sans en être consciente,je
créais à la recherche de voies de passage.Mon
sentiment d'esseulement mefit
adopter une multitude de dispositifs anesthésiants me petmettant de me maintenir àI'abri
dumonde.
À
la base,je
voisici
des stratégies hyper intelligentes d'autoconservation.Au
fil
desannées, elles sont devenues autant de prisons qui me coupent de
moi,
de I'autre et del'être.
Pour Yvan
Amar
(1999,p.23), parler de
l'être
c'est réferer au soi,
à la Éalité, à
(
[...J
quelque chose d'immuable que la
peur
ne peut atteindre. >Cette
coupureprofonde avec
moi et
avec
l'autre est
sourceà la
fois de
grande souffrance et de grande révélation. En effet, c'est mon problème de constipation chroniquequi
fut
ma première porte d'entrée vers mon chemin de rapatriement, et qui mefit
prendre conscience de cette petitefille
tétanisée par son contextefamilial
quej'ai
été et qui parfoisme semble encore si présente.
Ainsi,
cette affection de rétention récurrente a agi comme une sorte de système d'alarme interne, me rappelant constamment à mon colps. Je ne dénombre11
pas les cures et régimes que
j'ai
entrepris tout au long de ma vie pour tenter de dénouer mon ventre. Puis defil
enaiguille,
je
commençai versla
trentaineà
soupçonner que d'autres enjeux étaient en cause dans cette constipation etj'amorçai
ce queje
nommerais un chemin de quête de mieux-être. Comme nous disent Depraz, Varela, Vermersch (2000),la
capacitéà
explorer
son expériencen'est
pas accessible spontanémentà la
conscience.Il
faut
encultiver l'habilité,
comme
un
véritable
métier,
qui
demandeun
entraînement,bref
unapprentissage.
Je me souviens de ma première rencontre avec un psychothérapeute, la bouche crispée de peur et claquant des dents littéralement, racontant pour la première
fois
la petitefille
néeendormie après
dix
mois de gestation. La toute petite extirpée àl'aide
de forceps, du ventre de sa mère, quel'on
anesthésia pour l'empêcher de contester I'opération. Selon les dires de ma mère,je
dors etje
suis propre, constipée dès mon arrivée,je
ne salis pas mes couches.Très
tôt,
peut-être même dès les premiers moments de ma conception,je
saisisla
menacequi gronde, qui s'exprime sous la forme
d'un
volcan en constanteébullition
prénommé monpère. Celui-ci est un homme extrêmement colérique et menaçant, qui explose à tout moment et
fait
régner de la terreur sur toute sa famille. Je me retrouve ainsi tétanisée parl'ire
de mon père etf
impuissance de ma mère, etj'ai
alorsl'intelligence
d'adopter la posture du < faire lamofle
> puisque lafuite
n'est pas uneoption...
Du
plusloin
queje
me souvienne,je
mevois
me bercer plusieurs heures parjour
en comptant dans ma tête. Cette manière de fairem'extrait
dela
réalité ambiantequi
m'ennuie et me terrorisetout
àla fois.
Pourtant,il
mesemble
que
dansmes
souvenirsles plus
anciens,je
dois avoir
4
ou
5
ans,avant
quej'apprenne à compter,
je
décolle dansl'infini
du cosmos,je
m'amuse àvoir
défiler
devant mes yeux clos des formes mouvantesd'un
bleu indigo.À
cette époque,je
croisqu'il
y
avaitbeaucoup d'espaces en
moi, jusqu'au
jour
oùj'ai
rencontré uneforte
angoisse devant lavastitude
et
l'incompréhension
de mon
incarnation...
<
Seul avec I'immensité,
I'enfantPetite mon univers tourne autour de mon fauteuil berçant, les autres sont une menace.
L'agressivité
de mon père etf
impuissance de ma mère donnent àla
maisonfamiliale
une ambiance non rassurante. Les plusvieux
chez nous se vengeaient parfois sur les plus jeunespour évacuer la tension
qu'ils vivaient. Mon
fauteuil,lui,
ne me cause pas de soucis. Quandj'y
pense,j'aiIa
sensation souflranted'une
enfant exclued'elle-même et du
monde, quicherche à tout
prix
à
attkerl'attention.
D'ailleurs,
j'aima
manière bien àmoi
dele
faire:
par exemple, àl'âge
de 6 ou7
ans,je dénonce sans hésiter, devol
(qu'ellesn'ont
pasfait),
deux
amiesd'école
qui
ne
m'accordentplus
leurs regards.À
un
autre moment dans ma classe de solfège,je
plante dans la cuisse d'une tropjolie
danseuse en tutu rose uneaiguille
installée dans I'efface de mon crayon.
En plus de souffrir
dejalousie,
je
ne
saispas
m'articuler en
grand groupe.
Parexemple, durant
la
classe de neige de mes 10 ans,je
passe 4jours
aulit
prétextant queje
suis malade. Jeme
souviens del'ennui,
je
me
souviensdu
manque del'autre. Et
puis,je
cesse de me bercer du
jour
au lendemain.J'ai
13 ans etje
découvre un moyen de me geler, de ne pas sentir, qui me permet de sortir de ma chaise à bascule, de sortir dans le monde :je
découvre les paradis
artificiels
et la fête.À
la même époque,je
bascule dans une espèce desoif
sansfond
de désir
d'être
aimé,je
démarreune collection
d'amants etje
me
blesseprofondément dans cette course sans cible.
Il
faut noter que nous sommes dans les années 70, à l'époque de(
peace and love >, de libération sexuelle, de clash de générations dû aux changements culturels d'une intensité sans égale. Pourtant,je
me sens isolée et paranoiaque,j'ai
besoin de liberté,je
ne supporte plus la dynamiquefamiliale faite
de peur, de crise, defolie
et de restrictions, et à l'âge de 16 ans,je
quiue la maison de mes parents.À
l'âge de 20ans,
je
suis si jeune et déjà sivieille.
En apparence,je
suis à cette période de ma courte vieune jeune
fille
extravertie. Néanmoins,je
suistout
àla fois
exclue du monde et exilée de moi-même ; maisje
ne le sais pas encore. Ce queje
sais, par contre, c'est mon mal devivre
et ma soif de vie. Contrairement au conte de fées, la Belle au bois dormant ne se réveille pas
d'un
coup. Une espèce de torpeur nonchalante s'installe dansmoi
et me laisse en état de13
rapport au monde extrêmement tordu,
je
n'ai
aucun repère relativementà l'amour,
toutesmes relations
passentà
travers
un
filtre
par
lequelje
me
dévaloriseet
mejuge.
Si
la personneen
face
de
moi
me
sourit,
je
suis
OK,
sinonje
suis
anéantie.Je
suis
ainsirégulièrement plongée dans mon ombre paranoiaque dans laquelle
I'autre
est avanttout
unennemi.
Les
effets de cette manièred'être
au monde sont très souffrants.C'est
pourquoij'adopte
une
stratégiede régulation
qui
consisteà
toujours
avoir
la
mêmeopinion
queI'autre, ainsi
qu'à
mentir
un
peu
pour
éviter l'affrontement
des idées. Naturellement,je
n'arrive
pas àtout
contrôler,il
m'arrive
defaire
des crises de colère extrêmes (à me faire peur moi-même).Et
plustard
dans mavie,
puisque ces colères ne sont pas acceptables,je
décompense. Celam'arrive
sur de courtes périodes une à deuxfois
par année.En
général,c'est mon défunt frère qui me sort de là, mon frère adoré qui me conforte et m'accueille.
Mon
frère tient une place cruciale sur ma route de femme à la recherche d'elle-mêmeet de l'autre.
Il
est arrivé dans ma vie,je
devaisavoir
14 ans, un grand frère hippie de 20 ans sorti de nulle parl qui avait dû quitter la maison vers l'âge de 12 ans. En effet, ma mère pour tenter de protéger mes frères contrela
violence de mon père, avait placé mes deux frères comme pensionnaires dans une école privée à plus de deux heures dela
maison.La
venue de ce frère dans mavie
agit surmoi
de plusieurs manières,il
savait entre autresm'inspirer
confiance et m'apporter de
l'air
nouveau là oùje
n'arrivais
presque plus à respirer. En fait,je
vivais
en sa présencef
impression d'être délestée du poids de mon enfermement. Parlui,
je
me suis sentie \.tre pour la premièrefois.
Parlui,
je
voyaisl'autre
pour la première fois,une brèche
dansmon
cæur,une
promessed'altérité. Puis
il
est reparti
faire
savie
debohème, des voyages en Inde, des amours, de temps en temps une lettre, puis
je
suis rentrée dans ma propre vie de jeune femme artiste.Je trouve vraiment énigmatique et très beau le parcours que nos vies nous offrent pour
nous façonner tels que nous sommes. Dans ce sens,
je n'ai
pasl'impression
d'avoir
choisimon métier : la
joaillerie. J'ai
débuté dès l'âge de 17 ans à caused'un
garçon qui me plaisaitbesoin
de
vivre
pour
pallier à
mes nombreux manques.Malgré ma peur de
manquer del'autre,
cetravail
solitaire et indépendant, me préservait dem'y
confronter àtout
moment.J'ai
toujours pensé qu'en mesollicitant
dansma
zone de compétence, celle reliée aufaire,
la
joailleriem'avait
sauvéla vie. Bien
queje
cherche constamment des voies de passage pourme
sentir touchée ou touchante,je
pouvais m'appuyer sur une structure téglée sur ce queje
nomme monterrain
dejeux.
Des espaces thématiques à travers lesquelsj'ai
pu créerau
fil
du
temps plusieurs séries
de projets
conceptuels,comme autant
de
tentativesd'apparaître et de me relier aux autres.
Je
n'ai
pas choisi formellement ma discipline. De la même manière,j'ai
été amenée àenseigner tout naturellement, et c'est bien naiVement que
je
me suis retrouvée formatrice enjoaillerie
avec peu de pédagogie etla
fermeintention
deprivilégier la
création.Mon
élanétait
sincère,mais force est
d'admettre que, malgré
mon
intention,
je
souffrais
d'un
sentiment d'incompétence dans ma capacité à accompagner mes étudiants à cheminer vers leurs propres univers créatifs. Je me sentais prisonnière de l'enseignement que
j'avais
reçu axé principalement sur un savoir-faire manuel. I1 faut dire quela
formation enjoaillerie
au Québec est une histoire relativement récente, d'à peine 40 ans.Elle
nous vient des premiersartisans-joailliers, émigrés principalement de la France et de
la
Suisse dans les années 50 et60,
qui
ont
imposéun
enseignementrigide,
reposant principalement surla
technique et le savoir-faire, sans jamais tenir compte de la personne.Ainsi,
malgré ma bonne volonté,je
mesentais en
difficulté
constante. J'étais préoccupée parl'intention
d'amener mes étudiants àpasser de l'expérience à son sens et surtout, de les accompagner à transposer ce vécu dans une æuvre et une démarche de création. Je mesure aujourd'hui combien j'essayais
d'offrir
àmes élèves ce dont
j'avais
le plus besoin. Et qu'endéfinitive,
sejouait
avec eux ma peur del'autre,
cellequi
souvent me plonge dans mes croyances, mon manque de justesse dans mapensée et ma parole et
qui
embrouille mon attention. Dans ces conditions, coûlment15
En
fait,
que ce soit dans mavie
personnelle ou professionnelle, tant comme créatricequ'accompagnatrice,je
me
suistoujours
sentie aux prises avecun
sentiment de confusionqui
entrave en sourdine mes élans etmon
déploiement.Ici,
lorsqueje
parle
de confusion,j'entends
un
sentimentd'insatisfaction
chroniquequi
s'exprime
sousforme
de souffrancequi
apparût comme
un
sentiment
de
confusion dans
ma
pensée
et
un
sentiment d'esseulement du point de vue de mon appartenance au monde.Dans ces conditions,
je
n'arrive
plus
à
me retrouver
seule dansmon atelier.
Cettesituation n'est pas nouvelle,
jel'ai
vécue plus d'unefois
à travers mes 35 ans de pratique, àla différence
qu'aujourd'hui je n'arrive
plus à me contenir,je
ne cautionne plus. L'Esseuléen'arive
plus à se geler. En effet, plusje
me rencontre dans mon Esseulée et plusje
prends lamesure
de
la
multitude
innombrablede
stratagèmespour ne
passentir...
Cela passe par écouter des séries en rafale, àmultiplier
les rencontres,jusqu'à
m'absorber dans des projets de création artistique ou autre... Étrangement,je
suis à lafois
figée et en mouvement,je
mevois comme dans une forme d'errance ponctuée de fuite par en avant. Souvent, mes errances
et
ma
fuite
sont très créativeset
porteuses,en
revanchela
pertede
senset
la
sensationd'absurdité achoppent bien souvent mes élans créateurs pour me retrouver au même endroit dans mon grand sentiment d'insatisfaction.
< Vient le
jour
oùI'on
quitte la gare. Enfermé depuis toujours on cesse soudain de chercher des abris.On lôche les amqrres.
Tout s'allège et le ciel s'entrouvre s)
1.2
PnRrrnnNcE socIALE ET ScIENTIFIQUE< Soyez le changement que vous voulez
voir
dans le monde. >Gandhi
L'Esseulemefi
-
Êfte
seule.J'ai
longtemps ressentiun
genre de honteà
être seule,cofirme
si
ce
simple
fait
étart
une tare.
I1 me
désignait non-aimable.
Plus
souventqu'autrement,
j'ai
eul'impression
deI'avoir
tatoué dansle front.
Sije
suis seule, c'est que personne ne désire ma présence. Je ne me suisjamais
délectée à ce que d'autres semblent rechercher avec empressement, c'est-à-dire les délices dela
solitude.Non,
pourmoi point
de repos seul. De même, du
lieu
de ma coupure,je
me suis longtemps imaginé que tous les autresou
pïesquevivaient
dansune
grandeliberté
delien. Libre
d'être
seule,libre
dansleurs paroles,
libre
dans leurschoix
d'action.
Un
truc tordu propre à l'esseulement: moi
seule suis touchée de cette terrible
affliction.
Je
mesureaujourd'hui
l'étendue
de mon
système d'esseulement,forgé
dans unestructure égotique, dans laquelle
tout
événement, émotionet
sensation est ramenéà
moi. Évidemment,la
Éalité
esttout
autre. Je suisloin
d'être
la
seuleà me
sentir Esseulée aucæur
de ma
solitude
ou
dansla
foule.
Loin
d'être
la
seuleà trouver
difficile
le
vivre
ensemble, à me sentir à distance de mon être et de la vie et d'en éprouver une perte de sens.
Loin
également àsouffrir
comme artiste du syndrome de l'esseulement au cæur de I'atelier,celui
qui
va de l'inconfort
supportableà
l'angoisse existentielle.
Commepour
nombred'artistes, le résultat est souvent le même, la désertion du
lieu
de création, la culpabilité et ladévalorisation. Par ailleurs, et contrairement à ce que
m'affirment
plusieurs artistes de monentourage,
j'ai
trouvé à
travers mes recherches autour de I'esseulementchezl'artiste
destémoignages surtout positifs de
la
vie
en atelier. Pourl'artiste
accomplie Agnès Thurnauerdans Salut
l'Artiste
- idées reçues sur les artistes (Isabelle de Maison Rouge, 2010, p. 31) :La
solitude
de I'atelier n'est
pas
éloignement,elle est
d'autant
plus
peupléeI7
dans cette écoute comme
le
philosophe en méditation de Rembrandt, assis entre sonæil
et son cerveau, dansla
nacelle en suspension de son potentielcréatif
le peintre transforme ses rêveries, ses visions et ses intuitions en formes.Alors,
qu'enest-il
vraiment ? Qu'est-cequi
créele
sentiment d'esseulement chez lesuns et non chez les autres ?
Et
comment se rapprocher de cet espace desolitude
qui n'estpas
éloignement,mais
résolument < salutairepour
unemise
entre parenthèses, une bullepersonnelle et
intime
dans laquelle se déploie la persoruralité del'artiste
et se met en placele processus créatif.
>
Jusqu'à devenir <un
[artiste concerné et concernant]qui
observe lemonde, s'interroge, s'émerveille,
pour mieux
dialoguer aveclui
et
ses contemporains par une vision unique des choses. > (de Maison Rouge,2010,p.32 et33)
Il
m'est
apparudès
lors
essentielde
pénétrermon
expériencepar
le
biais
d'un
processus
qui
me permettrait de
convergervers
moi,
vers
l'autre et le
monde.C'est
enfaisant l'hypothèse que le sentiment d'esseulement réside dans la coupure avec
l'n
écart qui estgarant de la
présenceau
monde>
(de Maison
Rouge, 2010,p.32),
c'est-à-dire
cet espace qui merelie
àmoi,
àl'autre
et au monde, que le projet de créer des espacesd'action
commune en toute
solidarité m'est
apparu. Plus encore,je
mesurela
pertinence sociale dem'adresser à ma problématique d'esseulement pour répondre à la question souvent évoquée par nos formateurs en étude des pratiques psychosociales : quelle est la question dont ma vie
est la réponse, et dont nous avons tous besoin? M'adresser à cet enjeu
vital
pourmoi
qui estde
faire
de mavie
unevie
vivante avecl'autre
et quemoi
seule peux faire devient alors un acte politique révolutionnaire dans le monde!1.3
Slru.lrroivPRoBLEMATreuE
Un
jour
lors d'un
cours, une de mes professeurs, medit
une chose qui me marqua etagit
surmoi tel
un
koanze*.EIle dit:
/'artiste
est I'Esseulée.it
cette époque,je
venais2 Koan : Courte phrase ou brève anecdote absurde ou paradoxale utilisée dans certaines écoles du bouclclhisme zen comme objet de méditation ou pour déclencher l'éveil
juste
de prendre consciencede
son existence. Venant del'exposer au
grandjour
dans le cadred'une
présentation orale autour de ma recherche,j'avais
peu de renseignements surl'impact
de celle-ci sur
I'ensemblede ma
vie.
Jeme
souviensde
l'avoir
entendue dire également que I'EsseuléeI'intéressait,
puis
de
m'être
sentievue
commejamais
et
d'en éprouver du soulagement heureux. Je me souviens également de son excitation, ellevoyait
quelque chose qui m'échappait, elle avait beau dire,
je
ne comprenais rien, sauf quej'aimais
ça. Jamais
je n'ai
pensé àlui
redemander cequ'elle
avaitvoulu dire
exactement, comme siçan'avaitpas
d'importance pourmoi
autre quel'émotion
que cela me procurait.Ainsi,
celaa pris plus de trois ans à rassembler toutes les pièces dupuzzle que cet énoncé
m'avait
lancé comme défi.En premier lieu,
je
pris
conscience queje
n'étais pas dutout la
seule artiste àsouffrir
d'esseulement au fond de son atelier, jusqu'à ne plus être capable
d'y
mettre les pieds. De lamême manière, non plus
la
seule à éprouver un sentiment d'absurditélié
autravail
solitairequotidien
deuéation
en atelier.En
effet,je
ne
compteplus
lesfois
oùje
me
suis sentieaffligée
devant I'apparenteinutilité
demon métier
dejoaillière,
assise des heuresà
mon banc àlimer
sansfin
un bout
de métal,à
chercher, entêtée,à
l'intégrer
àun
fragment deplastique, pendant que d'autres sauvaient des vies ou construisaient des routes.
En
secondlieu,
etil
va
desoi
quele travail
de création, comme pourbien
d'autres métiersd'ailleurs,
demande des'isoler.
Cette condition est souhaitable et pour plusieurs lefait
d'être
seulpour
se consacrer à leurs tâches ne cause aucun désarroi. Pour ma part,je
n'ai
aucun repèreinterne
qui
me
permettede
comprendrecela.
Qui plus
est,pour moi
I'esseulement
est
synonyme d'enfermement
et
donc
d'isolement.
À
ce zujet,
SimoneManon3 professeure
de
philosophie,
résumebien un extrait
du livre
Responsabilité etjugement (2009), d'Hannah Arendt qui souligne cette ambigûité liée à
l'isolement
:3
Simone Manon professeure de philosophie écrit sur son site Philolog (consulté \e22
avril 2014:t9
Il
est une expérience de séparation d'avec les autres, bien qu'on reste concerné par les choses du monde. D'une part,il
est la condition naturelled'un
certain nombred'activités
t...]
D'autre
part
il
est
un
phénomènenégatif.
[...]
Néanmoinsl'isolement n'est pas
I'esseulement,car
il
n'est pas
synonyme
de perte
del'appartenance
au
monde.[...]
Si
la
solitude
de l'activité
pensanteest
une expérience positive de séparation d'avec les autres, I'isolementpolitique
[ou malvécul
est
une
expérience
négative.
L'une
et
I'autre sont
menacés
parl'esseulement
ou
la
désolation, expériencelimite de
la
communauté humaine, signed'un
déracinement del'individu
devenu étranger aux autres et à lui-même.Le
vice absolu de ce vécu est de rendre impossiblele
souci de soi. Or, dèsqu'un
homme n'a plus le souci de soi,il
n'a plus de rempart contre le pire.En troisième lieu,
je
réalise queje
suis
cette artiste esseulée,la
création duplus
loin
que
je
me souvienne est mon refuge dansl'action.
J'ajouterais queje
crée des mondes d'unebeauté
infinie
dans un système àcircuit
fermé. Que ma cachette est devenue ma prison. Quecela devient de plus en plus
difficile
de rester dans mon atelier, et que poury
arriver,je
doisapprendre
à
dialoguer. Parceque
(
la
solitude implique
quebien
que seul,je
sois avecquelqu'un
(c'est-à-dire moi-même).
Cela
signifie
que
je
suis deux en
un,
alors
queI'isolement ainsi que I'esseulement ne connaît pas cette forme de schisme, cette dichotomie intérieure dans laquelle
je
peux me poser des questions et recevoir une réponse. > (HannahArendt,2005
p.125)D'une
certainefaçon être
concerné,c'est
aussibien
être touchépar le
vivant
:
lanature, les autres... que par
le
sentiment que nous en avons. Comme ledit
Barbier (1997),plus
on
se sent
concemé,plus
on
se sent
relié. Par
conséquent,on
se sent
davantageresponsable
de ce
que
l'on dit et
de ce
que
l'on
fait.
Ainsi,
ce
sentiment
de(( concernement > s'apparente à la reliance et voudrait
dire:
(
[...]
agirafin
que la reliancesoit
la plus humaine possible. > Barbier (1997,p.72)
ajoute à ce proposqu'
:
< on ressent cela profondément, ce n'est pas del'ordre
deI'intellect,
mais del'ordre
dela
sensibilité.La
reliance est donc un phénomène essentiel en liaison avec l'approche de la profondeur, plus on va vers la profondeur plus on se sent relié >. Barbier
(1997,p.72)
Pour
moi,
le
sentimentde
(
concernement >>exprime donc
la
reliance vécue
enprofondeur. C'est-à-dire
un
processusqui
seraitde
l'ordre d'une
sensibilité
particulière< ancrée
>
de
manièreperceptive
pour
créer
une
ouverture
vers l'altérité.
En
somme,m'engager dans un processus de << concernement >> consiste à
cultiver I'altérité
enmoi.
Or,devant cetétat
de désolation associéà
l'esseulementje
memis
en quête de processus de(
concernement >>, soupçonnantque
ce qui me
manquait
avarrttout était de I'ordre
duressenti vers moi et vers I'autre.
1.4
PRonlpnm
DE RECHERCHE< Ce que
I'artiste
est, c'est créateur de vérité,cqr la vérité n'a pos à être atteinte, trouvée
ni reproduite, elle doit être créée. >
Gilles Deleuze
Loin
de cettevision
romantique del'artiste qui
crée dansla
solitude de son atelier, cette solitude n'est pas toujours, pour tous, une situation souhaitée, bien au contraire. Pourplusieurs
d'entre
nous, créer
entre les
quatre
murs de son atelier
se ttansforme
trèsrapidement en un inconfortable sentiment d'esseulement. Certains pour
le
contrer,vont
semettre
à
l'ère
del'atelier virtuel,
c'est-à-dire sansdomicile
fixe,
migrant
d'une résidenced'artiste à une autreo on les appelle les artistes jet-setters.
Bien
quela
solitude soit en effetl'outil
etle
matériau de base dela plupart
des pratiques artistiques, cettevie
d'atelier
ensolitaire est remplie d'appréhensions, d'angoisses, de paniques, et d'insatisfactions tant sur
le
plan
personnelque
professionnel.Pire
encore,l'artiste est
souvent marquépar
unmanque de
l'autre.
C'est pour répondre à ce problème quej'ai
senti I'urgence de créer lesconditions
pour
vivre
des expériences inédites de relianceet
de
<< concernement>.
Plusprécisément de créer des espaces de transformation
solidaire,
semblables àun
champ derecherche, une marche sur mon chemin initiatique vers une pratique où
il
y
a del'autre.
Jesavais bien ce que
je
voulais, maisje
n'avais aucune idée des voies possibles poury
arriver.21
littérature,
aucune recherchene disait
clairement commentil
faudrait
s'y
prendre pour marcher son cheminde
concemementet
ainsi
sortir de cet
esseulement paralysant.Ma
recherche avait une visée claire,
je
voulais créer des conditions pour que s'enclenche pourmoi
un
processus de << concernement>
qui
pourrait
me permettre defaire
une rencontreinédite
avecmoi et
avecI'autre.
À
part
ce
désir,rien
sur mon
cheminn'était clair.
Jevoulais donc faire cette recherche comme
on
entre en atelier en espérant que les solutionsque
je
cherche
émergeraientde
mes pas.
Comment passer
de
l'esseulement
à
la< reliance >,
voici
l'énigme quim'a
mise en recherche.1.5
QunsrroN
DE RECHERCHEComment et à quelles conditions mon processus de
(
concemement >> a participé à mefaire cheminer vers I'autre depuis une expérience d'esseulement?
1.6
On.lncrrrs
DE RECHERCHE.
Explorer
à travers mon processus de(
concernement > les facteursqui
ontcontribué à me faire cheminer vers l'autre depuis mon expérience d'esseulement ;