La procédure garante
de la liberté de l'information
Thèse sur essai
en vue de l'obtention du grade de docteur en science juridique
Jacques Englebert
Maître de conférences à l'ULB Avocat spécialisé en droit des médias Membre du Conseil de déontologie journalistique Assesseur à la section de législation du Conseil d’Etat
[...] la liberté de la presse, liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur et que certains hommes osent avec tant de bruit et tant d’insistance, demander et étendre partout.1
Et à ceux qui demanderaient « à quoi sert la liberté de la presse », nous ferions cette simple et vieille réponse : « Elle sert, cette liberté, à conserver toutes les autres ».2
Il n'y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d'expression, il n'en existe qu'un usage insuffisant.3
1 Mirari Vos, lettre encyclique sur le libéralisme et les maux de l’Eglise, Grégoire XVI, 15 août 1832.
2 A. Nothomb, Rapport fait, au nom de la section centrale, 6 juin 1879, Doc. Chambre, n° 162 (1879), p. 19.
Plan de l'essai
Introduction
7Première Partie :
Les règles de procédure spécifiques à la presse,
au service de la liberté d'information
9I. AU PÉNAL 9
A. LESDISPOSITIONSRELATIVESÀLAPHASED'INSTRUCTION 9
1. Les poursuites uniquement sur plainte 9
a. En matière d'atteintes à l'honneur envers les particuliers 9
b. En cas d'infractions à la législation relative au droit de réponse 11
c. Remarque 12
2. L’interdiction de la détention préventive en matière de délits de presse 12
3. Les juridictions d'instruction ne peuvent ordonner l'internement de l'auteur d'un
délit de presse 15
4. L'interdiction de toute mesure d'information ou d'instruction susceptible de violer
le secret des sources journalistiques 17
B. LESDISPOSITIONSRELATIVESÀLAPHASEDEJUGEMENT 18
1. La compétence du jury pour connaître des délits de presse 18
a. Pourquoi le jury pour juger le délit de presse ? 18
b. Les mauvaises raisons pour justifier l'absence de poursuites pénales
devant les assises 19
i) Le jury ne serait pas assez répressif à l'égard de la presse 21
ii) Le procès d'assises donnerait une trop grande publicité aux
délits de presse 23
iii) Les poursuites du délit de presse en cour d'assises seraient
'trop lourdes' 26
c. Pour une dépénalisation de l'information et de l'expression en
général 27
d. En attendant la dépénalisation, la presse ne peut pas être jugée
uniquement par des juges professionnels 32
i) Au pénal 32
ii) Au civil 39
2. La correctionnalisation des délits de presse inspirés par le racisme ou la
xénophobie 44
3. La place distincte 46
4. La publicité 47
a. La publicité des procès de presse: pas de huis clos sauf à
l’unanimité 47
b. La presse et la publicité des procès 49
5. Les courtes prescriptions 56
a. La courte prescription de trois mois pour le délit de calomnie à
l’égard de toute personne ayant un caractère public 57 b. La courte prescription et la calomnie à caractère raciste 59
c. La courte prescription participe à la protection de la liberté de la
presse 61
d. La courte prescription en matière de droit de réponse 64
6. Les règles de preuve spécifiques en matière de calomnie et diffamation 64
a. Calomnie et diffamation : entre vérité et mensonge 64
b. Le régime de la preuve du fait imputé 65
c. Le régime de la preuve du fait imputé est incompatible avec la
jurisprudence de la Cour européenne 67
i) Rappel des principes 67
ii) Analyse de l'évolution de la jurisprudence de la Cour
européenne 70
d. Le prétendu « droit à l’oubli » 80
II. AU CIVIL 85
1. L'attribution à une chambre composée de trois juges des actions civiles mues en
raison d'un délit de presse 85
2. L'avis du ministère public 87
3. Les règles spécifiques de procédure en matière de droit de réponse 88
4. L’interdiction du référé préventif en matière de presse et de média 89
III. LES GARANTIES PROCÉDURALES SE SITUENT AU CŒUR MÊME
Deuxième Partie :
La presse n’est pas débitrice
des règles du procès équitable
101
I. SPHÈREJUDICIAIREVERSUSSPHÈREPUBLIQUE 101
II. NONAPPLICATIONDESEXIGENCESDUPROCÈSÉQUITABLEÀLAPRESSE 106
A. Le renversement dialectique 106
B. Le presse ne juge pas, elle informe 107
C. La bonne foi et le respect de la déontologie journalistique sont les
seuls critères qui s'imposent à la presse 109
Troisième Partie :
Le champ d’application des règles procédurales de la
« presse » : de la liberté de la presse au droit d'informer
113I. LESTEXTESETLEURINTERPRÉTATION 113
A. La presse et son délit : restriction quant aux médias versus
élargissement quant au contenu 114
B. Pas de liberté de la presse en dehors de l'expression écrite de la
pensée 117
C. Réfutation des arguments visant à limiter la portée des garanties
constitutionnelles 121
1. L'intention du Constituant 121
2. La référence aux écrivains, éditeurs ou imprimeurs 124
3. L'emploi du terme drukpers 124
4. L'absence de jurisprudence constante 125
5. Les articles 25 et 150 ne sont que le corollaire de l'article 19 de la
Constitution 126
II. INTERNET, L'AVANCÉEDÉTERMINANTE 128
A. Internet, média d'information 128
B. Internet rend obsolète toute distinction quant aux médias et quant aux diffuseurs
1. L'image, expression d'une opinion ? 130
2. L'impact des différents médias et la permanence de l'information
diffusée 132
3. Tout citoyen peut effectivement exprimer librement ses opinions 134
C. L'expression sur Internet est soumises, mutadis mutandis, aux
mêmes règles que les autres modes d'expression 136 III. DUDROITDELAPRESSEAUDROITDEL'INFORMATION 140
IV. LA CONSTITUTION NEDOITPASÊTREMODIFIÉE 143
Conclusion générale de l’essai :
La liberté de l'information,
à la fois fondement et horizon des démocraties
147Introduction
1. Lorsqu’on examine le régime de la presse en droit belge, tel que les bases en sont fixées, depuis 1831, dans la Constitution, on est frappé de constater que les principales garanties et dispositions qui définissent et protègent la liberté de la presse sont en réalité des dispositions procédurales.
2. Le présent essai montrera que cette situation n’est en rien accidentelle. Elle n’est d’ailleurs pas propre au droit belge et trouve ses origines dans les théories libérales de protection des droits fondamentaux, consacrées par les textes constitutionnels adoptés à la suite des révolutions libérales. Ces théories affirment en substance que les deux garanties majeures qui protègent les libertés publiques contre les empiètements de l’Etat sont la liberté de la presse et le jury. La presse dénonce les atteintes contre les droits des individus en les rendant publics et permet à chaque citoyen d'exprimer ses opinions en toute matière et le jury protège cette liberté par la publicité également et en évitant un contrôle des juges professionnels sur la presse.
Le choix de déterminer le régime juridique de la presse et des médias en général par référence à des dispositions de procédure, plutôt que par référence à des règles de fond est le fruit de deux bonnes raisons complémentaires. D’une part, il est difficile et dangereux de tomber en la matière dans les questions de contenu sans s’aventurer déjà sur le terrain glissant et exécré de la censure ou du délit d’opinion. D’autre part, il s’agit d’arbitrer les relations entre les pouvoirs, même si la presse n’est qu’un pouvoir de fait et non un pouvoir constitué. Or de telles relations, en l’espèce entre le pouvoir judiciaire et les médias sont mieux réglées par des dispositions de procédure que de fond.
Ce choix trouve par ailleurs un écho moderne dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui considère, depuis quelques années, que la violation des règles du procès équitable constituent en elles mêmes, une violation de la liberté d'expression.
Dans la deuxième partie, après avoir écarté la confusion traditionnellement entretenue entre le rôle de la presse et celui de la justice, j'exposerai pour quels motifs la presse n'est pas elle-même débitrice des exigences du procès équitable, qui ne sont invoquées que pour tenter de contourner le dispositif procédurale protecteur de la presse en vue d'imposer un contrôle du contenu de l'information.
Je m'attacherai, dans la troisième partie, à démontrer que ces protections procédurales ne s'appliquent pas seulement à la presse écrite, comme cela a été généralement affirmé, mais bien à la liberté d'informer en général, quel que soit le support utilisé pour la diffusion de la pensée ou de l'information et quelle que soit la qualité de la personne qui informe. Je montrerai combien l'évolution de la technologie de la communication permet, aujourd'hui, de donner une portée moderne aux droits consacrés par le Constituant de 1831.
L'ensemble de l'essai permettra enfin de montrer que ce régime procédural d'exception s'explique en raison du caractère spécifique du droit protégé qui, contrairement à une opinion généralement défendue, ne se place pas dans un lien d'égalité avec d'autres libertés ou droits fondamentaux, mais les précède pour constituer le socle fondateur et l'horizon de la démocratie.