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La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013

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Texte intégral

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La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de

1990 à 2013

Mémoire

Raphaëlle Prince

Maîtrise en études internationales

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Raphaëlle Prince, 2015

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Résumé

Ce mémoire a pour objectif d’étudier la démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1991 à 2013. Il vise à éclaircir les défis singuliers d’un gouvernement en exil dans ses efforts de démocratisation. En reliant les travaux sur la démocratisation de Dahl et sur les gouvernement en exil de Shain au contexte très particulier de la communauté tibétaine exilée, nous avons tenté d’éclaircir le paradoxe apparent entre un gouvernement par essence transitoire, le gouvernement en exil, et une transition démocratique, permettant une meilleure stabilité institutionnelle. Une attention particulière a été portée au contexte socioculturel tibétain, car le processus de démocratisation ne saurait être compris sans un souci du milieu qui l’accueille et l’a fait naître. En ce sens, nous avons tenté de mettre comprendre la structure politique avant l’exil, le gouvernement central de Lhassa, ainsi que les obstacles et les moteurs contextuels de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, la participation politique tibétaine confrontée à l’imposante figure du dalaï-lama, le bouddhisme et finalement les institutions politiques de l’exil nous ont semblé autant d’obstacles aux élans démocratiques du gouvernement en exil. Malgré ces freins, d’autres facteurs encouragent au contraire la démocratisation du gouvernement, dont les organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil, qui s’engagent dans le débat politique, la toile virtuelle offrant une plateforme d’échange et de débats accessible à l’ensemble de la diaspora tibétaine, les initiatives du gouvernement tibétains en exil en faveur de sa démocratisation institutionnelle remarquable et finalement la diaspora tibétaine, lentement actrice engagée dans la politique de son gouvernement en exil. En nous appuyant sur les indicateurs de démocratisation de Robert Allan Dhal nous avons pu remarquer que la démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013 s’est développée sensiblement. Ainsi, les deux indicateurs de démocratisation, la libéralisation et l’inclusion politique, ont été plus importants durant cette période, quoique les défis semblent encore bien présents en 2013. Afin d’approfondir les liens qu’entretiennent le gouvernement tibétain en exil et la communauté internationale durant notre période d’analyse, une étude de cas relative à l’appui de la communauté européenne envers le gouvernement tibétain en exil conclu notre recherche.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures et des illustrations ... ix

Dédicace ... xi

Remerciements ... xiii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique de recherche ... 3

1.1 La structure politique avant l'exil: le Ganden Phodrang, gouvernement central de Lhassa ... 3

1.2 La démocratisation du gouvernement tibétain nouvellement exilé en Inde ... 5

1.3 Les obstacles à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil ... 9

1.3.1 Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, un héritage du Ganden Phodrang confronté aux nouvelles générations issues de l’exil. ... 9

1.3.2 Les défis de la participation politique tibétaine ... 11

1.3.2.1 Le problème du dalaï-lama ... 11

1.3.2.2 Le bouddhisme, allié ou ennemi de la démocratie? ... 12

1.3.2.3 L’organisation politique de l’exil : entre sectarisme et régionalisme ... 16

1.4 Les efforts de démocratisation ... 17

1.4.1 Des forces sociale et politique au cœur de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil ... 17

1.4.1.1 Les organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil au cœur du débat ... 17

1.4.1.2 La toile virtuelle, un ensemble de plates-formes informatives et ouvertes aux débats politiques ... 18

1.4.1.3 Les initiatives du gouvernement tibétain en exil en faveur de sa démocratisation institutionnelle... 18

1.4.1.4 La diaspora tibétaine, un acteur qui s'engage progressivement dans la démocratie de l'exil ... 19

1.4.2 La communauté internationale, un acteur essentiel à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil ... 20

1.5 La démocratie au service de la "cause tibétaine": un appel tibétain à la communauté internationale ... 21

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Chapitre 2 : Méthodologie ... 25

2.1 Question de recherche ... 25

2.2 Hypothèse et cadre théorique ... 25

2.3 Cadre opératoire et structure de la preuve... 31

2.4 Stratégie de recherche ... 32

Chapitre 3 : La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013 ... 35

3.1 Libéralisation ... 35

3.1.1 La liberté de former et de joindre une organisation ... 35

3.1.2 Liberté d’expression ... 41

3.1.3 Le système électoral libre et juste ... 48

3.1.4 Le système de partis ... 52

3.1.5 La distribution du pouvoir ... 55

3.2 Inclusion ... 59

3.2.1 Droit de vote ... 59

3.2.2 La dépendance des institutions de politique publique par rapport au vote et à d’autre expressions de la préférence de la population ... 63

3.2.2.1 Le pouvoir législatif ... 63

3.2.2.2 Le statut constitutionnel du régime ... 65

3.2.2.3 L’inclusion des propositions venant de l’extérieur du gouvernement. ... 66

3.3 Une question de légitimité : appui des communautés tibétaine et internationale au processus démocratique du gouvernement tibétain en exil ... 69

3.3.1 Une étude de cas : l'appui de la communauté européenne envers le gouvernement tibétain en exil entre 1990-2013 ... 73

3.3.1.1 1990-1998 : une décennie marquée par le soutien envers le dalaï-lama ... 74

3.3.1.2 1998-2008 : rapprochement avec la Chine : la Commission européenne prend ses distances par rapport à la cause tibétaine ... 76

3.3.1.3 2008-2013 : un soutien ambigu envers le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil, une défense claire des droits de l’Homme en Chine ... 78

3.4 Conclusion ... 81

Chapitre 4 : Conclusion générale ... 83

Bibliographie ... 85

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Liste des tableaux

Tableau 1 : La liberté de former et de joindre une organisation ... 40

Tableau 2 : La liberté d'expression ou la censure ... 47

Tableau 3 : La liberté et la justice du système électoral tibétain ... 51

Tableau 4 : Le système de parti du « Congrès national tibétain » ... 54

Tableau 5 : Le système de parti du « Congrès national tibétain » et la distribution du pouvoir ... 58

Tableau 6 : Le droit de vote selon différentes modalités de représentativité de la population ... 62

Tableau 7 : Le pouvoir législatif et l'exercice du droit de vote par le peuple ... 64

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Liste des figures et illustrations

Figure 1 : La structure du gouvernement tibétain au début du 20e siècle, selon Goldstein ... 5

Figure 2 : Représentation du processus de démocratisation du système politique tibétain ... 30

Illustration 1 : La démocratisation selon le haut initié ou le dalaï-lama ... 14

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Dédicace

À mes enfants, Nyma et Dawa Pour l’amour du savoir et de leur moitié d’héritage culturel

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Remerciements

Le chemin qui m’a mené au dépôt de ce mémoire fut ponctué de problèmes, parfois inhérents au contenu de ce travail, parfois propres au contexte qui fut le mien. Je ne saurais être suffisamment reconnaissante envers mon directeur, François Gélineau et ma codirectrice, Isabelle Henrion-Dourcy. Ils ont su me soutenir là où l’horizon n’était plus visible, me présenter le chemin qui, même s’il était sous mes pieds, m’apparaissait si éloigné parfois.

Ma famille est le second pilier qui m’a encouragée et soutenue concrètement dans mes responsabilités personnelles. Mes enfants, par leur rire, leur joie et leur regard toujours si neuf aux petites choses qui font trop souvent du quotidien une suite machinale de tâches et de devoirs m’ont permis de retrouver la motivation là où elle manquait. Mon mari, qui a toujours été là lorsque j’en avais besoin. Mes parents, par leur bienveillance et leurs encouragements.

Un remerciement spécial va à mes deux lectrices et correctrices de la forme : Mireille Caron et ma chère mère, France Gravel.

Finalement, ma reconnaissance va à tous ceux et celles qui ont défriché les chemins du savoir intellectuel, et en particulier celui de la tibétologie.

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Introduction

Le Tibet fascine l’Occident depuis plus de 100 ans. On y imagine une terre de paix, de bonheur et de spiritualité où tous les habitants vivent heureux et sans souffrance (Lopez, 2003). Depuis l’invasion du Tibet par l’Armée Populaire de Chine, en 1959, les Tibétains de l’exil se sont emparés de cet imaginaire afin de défendre et valoriser leur cause auprès de l’Occident. Cette valorisation est apparue essentielle à la survie de la diaspora tibétaine en Inde et dans le monde, mais aussi au gouvernement tibétain en exil, dans ses efforts de dialogue avec le gouvernement de la République populaire de Chine, afin de résoudre le conflit qui a pris de l'ampleur dès le début des années 50'. La communauté tibétaine réfugiée en Inde s’est développée malgré l'adversité et a réussi à préserver au mieux de ses capacités son héritage politique et culturel, entre autres par la création d’un gouvernement en exil chapeauté par le dalaï-lama. Ce gouvernement a entrepris la démocratisation de ses institutions peu après sa création dans les années 60, selon la volonté explicite du dalaï-lama. Grâce, entre autres, à cette initiative politique, la diaspora tibétaine a réussi son intégration sociale au sein de sa société d'accueil de façon exemplaire. Il peut paraître surprenant pour un gouvernement en exil, dont le statut est par essence provisoire, de vouloir se démocratiser, puisque cette démarche politique a pour effet de stabiliser l'assise de son pouvoir. Afin de comprendre cette problématique aporétique, la démarche de ce mémoire implique d'éclaircir son contexte et ses enjeux.

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Chapitre 1 : Problématique de recherche

1.1 La structure politique avant l'exil: le Ganden Phodrang, gouvernement central de Lhassa

Afin de mieux comprendre le processus de démocratisation mis en place par le dalaï-lama au début des années 60, il nous faut comprendre le système politique qui était à transformer, soit celui qui régnait au Tibet depuis 1642 jusqu’à l’invasion de l’armée populaire de Chine au début des années 50. Complexe et unique en son genre, le régime politico-religieux tibétain (chos srid gnyis’brel1)

appelé Ganden Phodrang concentrait son pouvoir spirituel et temporel dans les mains d’un seul homme, le dalaï-lama. C’est le « grand cinquième », le dalaï-lama Lobsang Ngawang Gyatso (1617-1682), qui unifia ces deux pouvoirs en soumettant la gouvernance à la loi du Dharma (enseignement bouddhiste) dont il est le meilleur interprète. Aidé par les bonnes relations entretenues entre les dalaï-lama antérieurs et les chefs de clan mongol, le « grand cinquième » s’est vu offrir par le chef de la tribu mongole Qoshot, Gushri Khan, le Tibet nouvellement conquis en échange de sa protection spirituelle. Avant ce coup de force, le Tibet était divisé en plusieurs principautés, dont certaines étaient réfractaires au pouvoir des dalaï-lama. Par cette alliance, le dalaï-lama fonde ce qui restera jusqu’en 1959, suite à son exil en Inde, le gouvernement central de Lhassa. Dès son institution en tant que chef temporel du Tibet, le "grand cinquième" nomme un régent pour le seconder. Sonam Rabten (de 1653 à 1658) occupe d'abord ce poste et ensuite Sangye Gyatso (de 1653 à 1705) prend la relève. Trois ans plus tard, commençait la construction du Potala, sur le site même de l’ancienne demeure du 33e de la dynastie royale de Yarlung, Songtsen Gampo, à Lhasa. L’emplacement et

l’imposante structure architecturale témoignent symboliquement du retour à un pouvoir fort et centralisé au Tibet (Blondeau, 2013). Suite à l’institution de cette nouvelle forme de gouvernance, les réincarnations du dalaï-lama se sont succédé à la tête de l’État tibétain, en alternance avec des périodes de régence plus ou moins tumultueuses, dans lesquelles les hauts dignitaires menaient parfois une lutte acharnée pour le pouvoir.

L’organisation du Ganden Phodrang de ses débuts jusqu’en 1959 a connu quelques réformes qui s’inscrivent dans une volonté continue de spécialisation, de centralisation et d’expansion de l’administration du gouvernement tibétain (Travers, 2011). Afin de rendre compte de ces

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transformations, la recherche documentaire du mémoire permet de dresser un portrait du Ganden

Phodrang, tel qu'il était structuré au début du 20e siècle afin d’en mieux comprendre sa structure

administrative. Celui-ci se caractérise par trois facteurs essentiels, comme le mentionne Stéphanie Roemer : « la séparation entre moines désignés et fonctionnaires laïcs la plupart du temps issus de l’aristocratie; une hiérarchie rigide; la position politique dominante du dalaï-lama ou du régent en exercice » (Roemer, 2008: p. 4).

Le gouvernement tibétain comprenait six entités, outre l’institution du dalaï-lama. Juste au-dessous du dalaï-lama on retrouvait le lönchen, poste créé par le 13e dalaï-lama au début du 20e siècle, se

rapprochant de ce qu’on appelle un premier ministre. Il est à noter que cette figure est assez récente et n’est pas en ce sens emblématique du Ganden Phodrang. Venait ensuite le Kashag, c’est-à-dire le Cabinet du gouvernement tibétain, comprenant quatre ministres. Ces ministres, un moine bouddhiste et trois laïcs étaient nommés à vie par le dalaï-lama, cependant, un roulement des effectifs était constatable. Aucun dossier n’arrivait entre les mains du dalaï-lama sans avoir au préalable été examiné par le Cabinet, qui avait le rôle de trier les informations et de ne retenir que celles qu’il jugeait pertinentes pour l’État et le dalaï-lama. Durant la régence, l’importance du Kashag augmentait considérablement. Le pouvoir du Kashag se limitait aux affaires séculières de l’État. C’est le Yigtsang qui avait la charge des affaires religieuses. Il était constitué de quatre moines. Par ailleurs, on retrouvait aussi le Tsikhang, une entité administrative qui était responsable de la gestion des impôts. Outre ces deux instances, le gouvernement tibétain avait aussi une assemblée nationale, le

Tshongdu Gyentsom composé de fonctionnaires laïcs et ecclésiastiques et de figures religieuses

importantes entourant la capitale, Lhassa. Les décisions prises par cette assemblée devaient être entérinées par le gouvernement et les trois grands monastères en banlieue de Lhasa : Drepung, Ganden et Sera. Toutes les décisions étaient sujettes à l’approbation ou au rejet du chef suprême, le dalaï-lama. Le recrutement des membres du gouvernement se faisait parmi l’élite religieuse et l’aristocratie de Lhassa, ce qui permet de conclure que le cœur du pouvoir au sein du gouvernement tibétain traditionnel était constitué de ces deux groupes sociaux privilégiés, parfois indistinctes puisque de nombreux hauts placés religieux étaient issus des familles aristocratiques de Lhassa.

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Figure 1 : La structure du gouvernement tibétain au début du 20e siècle, selon Goldstein

1.2 La démocratisation du gouvernement tibétain nouvellement exilé en Inde

En exil, l’union des deux piliers traditionnels du gouvernement tibétain s’effrite et de nombreux points de rupture sont à remarquer, points qui s’enlignent tous vers un même objectif : la démocratisation du système politique tibétain, comme le souligne le dalaï-lama lors d’une allocution en 2002 :

Ever since the founding of the Gaden Phodrang Government in Tibet some 360 years ago, we Tibetans have maintained our culture of non-violence and compassion. In view of the international situation and our own requirements, we in exile have grafted the values of democracy and modernity onto our traditional system. This is, of course, a matter of pride and joy for us. We now need to make efforts to achieve democratic self-rule in Tibet.

Progressivement, ces deux piliers traditionnels sont déstabilisés par les mesures incitées par le dalaï-lama en exil. En accord avec cette volonté de démocratisation, un troisième pilier émerge tant bien que mal : le peuple.

Sous l’impulsion du 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, les institutions politiques du gouvernement tibétain subissent des transformations dès leur création en Inde. En 1959, le gouvernement tibétain en exil est créé sous le nom d’Administration centrale tibétaine. D’abord installé à Mussoorie en Inde du Nord, il fut transféré à Dharamsala en 1960 où il demeure encore à ce jour. Accompagné de la

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plupart des membres du gouvernement tibétain lors de son exil, le dalaï-lama donne comme mission à l’administration centrale tibétaine la prise en charge des réfugiés tibétains et la restauration de l’indépendance du Tibet. Cette mission fut réorientée par la suite, ce qui sera traité plus loin dans le texte. En 1959, six départements sont créés au sein du gouvernement tibétain en exil, soit celui de l’Intérieur, de la Religion et de la culture, de l’Éducation, des Finances, de la Sécurité, des Affaires étrangères et quelques années plus tard de l’Information et des relations internationales.

En 1963, le dalaï-lama rédige, avec l’aide de juristes indiens, un projet de constitution démocratique pour le Tibet, composé de 77 articles, dans lequel on retrouve un effort apparent de consolidation démocratique tout en préservant une relative stabilité des piliers traditionnels du gouvernement tibétain. La grande innovation démocratique est la création de l’assemblée des députés du peuple tibétain dans laquelle les Tibétains peuvent élire leurs représentants régionaux et religieux. L’assemblée était structurée de façon complexe; on comptait 10 sièges pour chacune des trois régions tibétaines traditionnelles : le Kham, l’Ü-Tsang et l’Amdo et deux sièges pour chaque lignée religieuse (5 lignées). Trois députés représentaient la diaspora transnationale : deux sièges étaient attribués aux représentants des Tibétains de l’Europe et un à celui de l’Amérique du Nord. Ainsi, tout Tibétain en exil qui souhaitait voter pour son représentant le faisait en fonction de son appartenance régionale au Tibet natal et de son appartenance religieuse. De plus, soixante-dix pourcent des Tibétains en exil proviennent de la province de l’Ü-Tsang (Robin, 2009: 169-179), ce qui permet de voir que le système électoral introduit une distorsion dans la représentativité des élus. La raison de cette distorsion est de permettre une représentativité égale des régions ethniques tibétaines traditionnelles. Le Parlement tibétain en exil juge qu’il est préférable de maintenir cette représentativité, plutôt que d'opter exclusivement sur la provenance géographique réelle des Tibétains de la diaspora. Cependant, conformément à la Charte, rien n’interdit pas la création d’un système de partis au sein du Parlement.

Les années 90 marquent un second élan de démocratisation du gouvernement tibétain en exil (Roemer, 2008). En mai 1990 le dalaï-lama dissout l’assemblée parlementaire et annonce de nouvelles élections afin que les Tibétains élisent un plus grand nombre de députés. Ainsi le Parlement tibétain passe de 12 députés à 46. L’avancement le plus important concerne le processus de nomination des ministres du Kashag : c’est maintenant l’assemblée tibétaine qui a le pouvoir de nommer les membres du cabinet des ministres et non plus le dalaï-lama. En 1991, celui-ci a aussi

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ajouté une clause à la constitution concernant sa propre destitution, si les deux tiers du Parlement en manifestaient la volonté et que les instances judiciaires en exil en accordaient l’aval. Cette clause causa une onde de choc auprès de la communauté tibétaine en exil et auprès des députés de l’Assemblée législative.

En 1991, le pouvoir législatif a été transféré des mains du dalaï-lama à celles du parlement en exil. Le dalaï-lama crée aussi la Cour suprême tibétaine à cette époque, Cour qui ne peut juger des affaires criminelles, mais qui se donne le droit de juger des affaires civiles impliquant deux parties tibétaines. À partir de ce moment, le rôle du dalaï-lama devient symbolique au sein du gouvernement tibétain en exil : il y dispose d’un siège d’observateur et d’interlocuteur dans la plupart des instances, mais reste peu ou pas impliqué dans la politique quotidienne du gouvernement tibétain en exil. Cependant, l’importance du dalaï-lama auprès de la population tibétaine reste grande, ce qui fait obstacle à ses démarches de désengagement politique. Les positions du dalaï-lama sur différents sujets sociaux et politiques influencent encore grandement l’agenda du gouvernement tibétain en exil.

Une autre étape vers une plus grande démocratisation a été franchie en 2001 lorsque les Tibétains en exil âgés de plus de 18 ans ont obtenu le droit d’élire directement le premier ministre. L’ensemble de la diaspora tibétaine établie dans plus de 25 pays a pu voter pour un des deux candidats en lice : l’un, issu de l’aristocratie tibétaine et l’autre, célèbre moine bouddhiste. On peut constater une certaine continuité du chos srid gnyis’brel dans le fait qu’un des candidats représente les piliers traditionnels du pouvoir tibétain. C’est le moine Samdhong Rinpoche qui emporta l’élection. Les élections de 2006 ont reconduit le premier ministre en poste.

Les plus récentes élections qui ont eu lieu en 2011 sont très intéressantes sur le plan de l’avancement démocratique du gouvernement tibétain en exil. Parmi les 16 candidats à l’élection pour la première fois primaire, aucun n’était moine, ce qui laisse entrevoir une certaine sécularisation de la politique tibétaine de l’exil. Six candidats ont été retenus pour les élections au second tour du Kalon Tripa2, premier ministre tibétain, dont un s’est désisté. Le 27 novembre 2011, Lobsang Sangay

est élu à 55 % des voix comme nouveau premier ministre du gouvernement tibétain en exil. Ce

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nouveau premier ministre diffère des représentants politiques habituels. Il est issu d’un milieu modeste proche de Darjeeling et exerçait avant son élection des fonctions de chercheur au sein du département de droit de Harvard, la prestigieuse université américaine. La plus grande nouvelle reliée à ces élections est l’annonce par le dalaï-lama, à quelques jours du passage aux urnes en mars 2011, de son retrait officiel de la politique en tant que chef du gouvernement tibétain en exil, par un amendement à l’article 31 de la Charte. La constitution tibétaine de 1963 ainsi que le Guide pour une nouvelle politique du Tibet (1992) sont devenus par le fait même périmés. La dénomination du Parlement (Ganden Phodrang) comme étant dirigé par le dalaï-lama a dû aussi être modifiée. Par cette annonce, le dalaï-lama confirme ainsi concrètement sa volonté de définir les instances politiques tibétaines en exil comme séculières et démocratiques (Barnet, 2011). Cependant, le dalaï-lama ne se retire pas complètement de la vie publique pour autant. Il reste le chef spirituel des Tibétains et il demeure impliqué dans la résolution du conflit sino-tibétain. Les émissaires tibétains envoyés pour dialoguer avec le gouvernement chinois sont encore nommés comme des représentants du dalaï-lama et non de l’Administration centrale tibétaine (Sangay, 2011). Il poursuit ses voyages à travers le monde et continue de rencontrer des politiciens de différents pays. Depuis cette élection, le pouvoir du premier ministre est important et tous les regards sont orientés vers lui, au détriment du Parlement. De plus, le retrait du dalaï-lama marque un changement historique dans l’organisation politique du gouvernement tibétain puisqu’il symbolise la fin du chos srid gnyis’brel. D’ailleurs, suite à une session spéciale du Parlement tibétain en 2011, le nom de l’autorité tibétaine en exil a été amendé dans la « Charte des Tibétains en exil » de 1991, ceci afin de mieux refléter le nouveau statut du dalaï-lama. Ainsi, de « Gouvernement tibétain Ganden Phodrang victorieux dans toutes les directions » (Bod gzhung dga' ldan pho brang phyogs las rnam rgyal), communément appelé « Gouvernement en exil », le nom a été remplacé par « Organisation du peuple tibétain » (bod mi dmangs sgrig `dzugs), selon la traduction littérale du terme employé en tibétain. Pour certains, ce changement de nom diminue la légitimité historique du gouvernement tibétain et amoindrit son pouvoir d’union entre les Tibétains de la diaspora et ceux de la terre natale (Buffetrille, 2012). On pourrait donc se demander s’il ne traduit pas une certaine désillusion quant à un retour effectif du gouvernement tibétain en exil à Lhassa. Aussi, l’appellation du chef de l’Organisation du peuple tibétain, le Kalon Tripa, a été remplacée par Sikyong3 en 2012, terme qui signifie

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littéralement, « dirigeant politique », soulignant ainsi l'opposition au concept de dirigeant spirituel. Le terme avait été utilisé au Tibet par les régents qui gouvernèrent la nation durant la minorité du dalaï-lama.

1.3 Les obstacles à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil

1.3.1 Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, un héritage du Ganden Phodrang confronté aux nouvelles générations issues de l’exil.

Même si la démocratisation du système politique tibétain en exil est en marche grâce aux efforts du dalaï-lama, certains obstacles semblent être tenaces. Les structures institutionnelles du chos srid

gnyis’brel, transférées en grande partie en exil, représentent un des défis notables. Les piliers du

pouvoir traditionnel, l’aristocratie et le clergé (en particulier géloug), ont longtemps été dominants dans les sphères du pouvoir. En effet, concernant l’aristocratie, Alice Travers souligne que traditionnellement « la noblesse tibétaine était une élite administrative héréditaire : ses membres se transmettaient des domaines dont la possession était liée à l’obligation, pour au moins un membre de la famille par génération, de servir le gouvernement. » (Travers, 2011, p. 2). Dès les années 60, les couches populaires tibétaines s’impliquent davantage dans la vie politique et sociale de l’exil (Robin, 2009). Peu à peu, l’ancienne génération née au Tibet a laissé sa place aux jeunes nés en exil, qui ont grandi dans des pays démocratiques. On note en effet que les associations s’opposant à la voie privilégiée par le dalaï-lama et valorisant une plus grande démocratisation du gouvernement tibétain en exil, tels le Congrès de la jeunesse tibétaine et l’Association des femmes tibétaines, sont en grande majorité composées de membres exécutifs issus de l’exil (Robin, 2009). Ainsi, on peut penser que cette résistance démocratique est le fait d’une élite traditionnelle tibétaine dont l’héritage n’est plus aussi manifeste au sein des générations nées en exil.

De plus, l’importance décroissante du clergé au sein du pouvoir politique en exil témoigne sans conteste d’une sécularisation politique dans le but de poursuivre la transition démocratique. Le fait le plus notable de cette tendance est l’éloignement du dalaï-lama de la politique du gouvernement tibétain en exil, qui fut d’abord le chef politique du gouvernement en exil pour s’en retirer en 2011,

de la Charte des Tibétains en exil.

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afin d’exercer ses fonctions de chef spirituel exclusivement4. Le premier ministre, en 2001 et en

2006, quoiqu’élu par suffrage universel, fut un moine conservateur de la même tradition religieuse que le dalaï-lama (Gélougpa), Samdhong Rinpoche. En 2011, tous les candidats aux élections furent des laïcs. Le premier ministre actuel, Dr. Lobsang Sangay, né en exil, ne représente pas l’aile conservatrice du pouvoir. Le ministre des Affaires religieuses et culturelles, Tsering Phuntsok, fut en 2006 un religieux et depuis 2011 un laïc, Kalon Pema Chhinjor. (Robin, 2009).

À la lumière des situations documentées, le retrait politique du dalaï-lama paraît être la résolution d’un des obstacles majeurs à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. En effet, l’éveil du dalaï-lama est pour la population tibétaine un gage qu’il est le plus éclairé pour prendre les meilleures décisions dans l’intérêt de tous. Cette verticalité spirituelle et métaphysique plaçant les maîtres religieux au-dessus des laïcs dans leur capacité à saisir ce qui est bien se transposait sur le plan politique au sein du Ganden Phodrang. L’omniscience du dalaï-lama rendait, de par la foi des Tibétains envers cette croyance, impossible toute implication politique de leur part. Dans le même sens, la structure légale du Ganden Phodrang imposait la suprématie du dalaï-lama, puisque cette institution politique était soumise à la loi du Dharma (enseignement bouddhique) et que le chef le plus compétent quant à l’interprétation et l’application de cette loi était, depuis la fondation du

Ganden Phodrang, le dalaï-lama. Cette même verticalité est donc contraire au fondement égalitaire

de la démocratie et dépasse même les limites possibles d’une monarchie constitutionnelle dans la mesure où le dalaï-lama, qui ferait ici figure de monarque, ne pourrait pas manifester une opinion politique sans qu’il y ait une grande difficulté à la contester, du fait de son éveil aux yeux des bouddhistes tibétains. La sécularisation du gouvernement tibétain est donc un enjeu décisif afin de permettre une transition démocratique de ses institutions.

La démission du dalaï-lama de l’arène politique marque donc une rupture importante avec le système politique traditionnel. En effet, depuis 1963, la constitution du gouvernement tibétain en exil s’inspire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La loi du Dharma n’étant plus essentielle au gouvernement tibétain en exil, l’importance du dalaï-lama s’en trouve par le fait même diminuée. De plus, la modification du nom du gouvernement tibétain en exil, de Ganden Phodrang à

4 Le DL souligne qu’il ne se désengage pas pour autant de la cause tibétaine, ce qui témoigne de l’ambigüité de son retrait politique.

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« organisation du peuple tibétain », quelques semaines après le retrait du dalaï-lama de la sphère politique, accentue cette coupure entre le spirituel et le politique, mais aussi entre le Ganden

Phodrang et la nouvelle institution en exil (Buffetrille, 2012). 1.3.2 Les défis de la participation politique tibétaine 1.3.2.1 Le problème du dalaï-lama

Malgré cette lente sécularisation du gouvernement tibétain en exil, les Tibétains de l’exil restent attachés à l’idée qu’on ne peut contester le dalaï-lama. La conséquence sociale est une relative autocensure des Tibétains. En témoigne l’absence de parti politique ayant un programme politique clair et allant à l’encontre des vues politiques du dalaï-lama. Le seul parti politique existant a été créé à la demande du dalaï-lama et ne peut pas siéger au Parlement puisque son fonctionnement est sans parti politique. On peut observer cette autocensure lors la rencontre de 2010 (Tibetan General Meeting), organisée par le gouvernement tibétain en exil afin d’explorer, avec environ 300 délégués tibétains de tous horizons, les réformes possibles des politiques du gouvernement tibétain en exil (Tsering, 2010). La rencontre s’est conclue par l’appui unanime de l’approche de la voie du milieu5,

défendue par le dalaï-lama (His Holiness The 14th Dalai Lama of Tibet, 2010). Une deuxième rencontre s’est déroulée en 2012 (2nd Tibetan Special General Meetings) portant sur les solutions

possibles à la crise sociale au Tibet, notamment suite aux immolations de Tibétains. Les résolutions ont réitéré le soutien de la communauté tibétaine en exil envers les politiques initiées par le dalaï-lama ainsi que le besoin pressant d’un appui de la communauté internationale afin d’encourager le dialogue sino-tibétain.

Une conséquence de la présence du dalaï-lama dans la sphère politique est sans doute le manque d’intérêt de la population tibétaine pour la politique du gouvernement tibétain en exil. En effet, malgré

5 L'approche de la voie du milieu a été avancée par Sa Sainteté en 1988, lors d'une conférence au Parlement européen à Strasbourg, elle fait suite à un discours prononcé un an avant au Congrès américain, dans lequel il présente son « Plan de paix en cinq points », une réponse au « Plan en cinq points » de Hu Yaobang de 1981 et à l’annonce deux ans plus tôt de Den Xiaoping, que le gouvernement chinois serait prêt à négocier avec le dalaï-lama par rapport à toutes les propositions sauf celle de l’indépendance du Tibet. Ce plan de paix en cinq points se veut être un compromis entre les volontés chinoise et tibétaine. En effet, au lieu de revendiquer l’indépendance du Tibet, position qui était jusqu’alors celle du dalaï-lama et du gouvernement tibétain en exil, ce plan demande plutôt l’autonomie du Tibet et le respect des droits de l’homme en son sein. L'approche de la voie du milieu s'inspire de ce "Plan de paix en cinq points" et y ajoute l'établissement de la démocratie au Tibet. Ainsi, la nouvelle position du dalaï-lama par rapport à la question du Tibet est l'établissement d'un gouvernement tibétain démocratique et souverain en ce qui a trait aux affaires intérieures et aux affaires extérieures non-politiques.

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l’appel du dalaï-lama à la participation politique, la population ne répond que très faiblement. Comment un simple laïc pourrait-il avoir une meilleure opinion que celle du dalaï-lama, émanation du bouddha de la compassion, Tchenrezig? (Roemer, 2008).

Il semble que le peuple tibétain en Inde ne tire pas tous les enseignements possibles de la structure démocratique de son hôte et qu’il n’a peut-être pas l’éducation politique adéquate afin de favoriser son engagement auprès de l’institution qui n’a d’autre vocation que de le représenter légitimement (Norbu, 2009). Ainsi, la démocratie imposée par le haut souffre d’un manque d’éducation au devoir et au droit du citoyen au sein de la communauté tibétaine. Cette lacune est cependant reconnue et des efforts ont été entrepris pour corriger la situation par le Centre tibétain pour les droits l’homme et la démocratie. Le mandat de cet organisme est précisément d’éduquer la communauté tibétaine de l’exil, en organisant des ateliers, des conférences, des discussions publiques et des campagnes d’information sur les principes des droits de l’homme et les concepts démocratiques (Bentz, 2011). Cette situation ressemble à ce que Tocqueville a décrit dans son ouvrage célèbre, De la démocratie

en Amérique, en parlant du manque d’éducation civique des Américains, lors de son instauration :

« La révolution démocratique s’est opérée dans le matériel de la société, sans qu’il se fut, dans les lois, les idées, les habitudes et les mœurs, le changement qui eût été nécessaire pour rendre cette révolution utile.» (Toqueville, 1981, p. 62).

La révolution démocratique tibétaine s’est opérée aussi dans le matériel de la société, à travers une certaine égalité des conditions qui n’a que très faiblement occasionné une transformation des habitudes et des mœurs des Tibétains de l’exil parce que la population n’a pas été préparée adéquatement à la démocratie.

1.3.2.2 Le bouddhisme, allié ou ennemi de la démocratie?

De plus, l’importance du bouddhisme au sein de la gouvernance tibétaine, dans ses efforts de démocratisation, est ambigüe. Le dalaï-lama ne cesse de répéter que la convergence de valeurs entre la démocratie et le bouddhisme est un avantage à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. Ainsi la Charte tibétaine de 1991 ne mentionne pas la sécularisation politique du gouvernement, mais plutôt la "fusion des lois politiques et spirituelles" au sein d'une gouvernance démocratique (Brox, 2009: 88). Au premier chef, l’égalité de tous les êtres humains, valeur fondamentale de la démocratie. À cela s'ajoute, l’importance accordée dans la pratique geloug à la

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réflexion rationnelle au sein du processus décisionnel de tout individu. Cette réflexion se retrouve aussi au cœur de la possibilité d’une gouvernance démocratique, dans la mesure où une telle possibilité permet à l’homme de saisir la vérité ou le bien commun, qui sont aussi rationnels. La compassion envers tous les êtres vivants se rapproche aussi de la fraternité essentielle à la démocratie, puisque tout citoyen doit se dégager de ses préférences personnelles pour penser au bien des autres, plus précisément au bien de tous. De plus, l’approche de la voie du milieu avancée par le dalaï-lama, tout en reposant sur des fondements bouddhistes, respecte les principes démocratiques en ayant été adoptée démocratiquement (Dalaï-lama, His Holiness's Middle Way

Approach For Resolving the Issue of Tibet). La vision bouddhiste de la voie du milieu s'est

développée d’une part à travers l’enseignement sur la vie de Siddhârta Gautama, le Bouddha actuel, dans lequel il représente un juste milieu entre une vie ascétique et une vie de plaisir, et d’autre part, à travers l’enseignement sur la vacuité, développé à partir des écrits du pandit indien Nagarjuna au 8e siècle à partir d’enseignements dit « retrouvé » du Bouddha. La vacuité ontologique de tout

phénomène se veut être un juste milieu entre leur inexistence, position nihiliste, et leur existence en soi, position éternaliste. L’approche avancée par le dalaï-lama depuis son discours de Strasbourg en 1988 illustre l'application d'un point de vue basé sur une vision politique du juste milieu, entre l’indépendance et l’annexion pure et simple du Tibet à la Chine. Ainsi l’approche de la voie du milieu, valorisée par le gouvernement tibétain en exil depuis son adoption en 1988 jusqu’à aujourd’hui par le nouveau premier ministre, repose sur un concept bouddhiste ancestral. En considérant la verticalité sociale en matière spirituelle, malgré l’adoption démocratique de cette approche, il est difficile de voir comment une assemblée délibérante aurait pu s’opposer à une telle mesure.

En renforçant les liens qui unissent le bouddhisme et le gouvernement démocratique tibétain en exil, le dalaï-lama et l’autorité spirituelle en général se placent ainsi en quelque sorte comme pierre de touche de toute transformation politique du gouvernement tibétain en exil, étant à la tête du bouddhisme tibétain. On peut donc penser que cette position contribue à la résilience du religieux et au conservatisme politique. Sous un autre angle, cette affinité conceptuelle entre le bouddhisme et la démocratie avait sans doute comme but de convaincre une population très croyante envers le dalaï-lama et le bouddhisme à s’engager dans un processus démocratique. Cette difficulté est bien représentée par la caricature ci-dessous (citer source):

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Illustration 1 : La démocratisation selon le haut initié ou le dalaï-lama

De plus, la présence des oracles d’État, qui chaque année ont pour rôle de répondre aux questions posées par le dalaï-lama, dans tous les domaines, paraît mal s’insérer dans l’agenda politique d’une démocratie où le processus décisionnel doit passer par une délibération et non par une divination. Le dalaï-lama s’en est servi à plusieurs reprises pour prendre d’importantes décisions politiques. Symbole de cette résilience du conservatisme et du religieux, les oracles d’État sont d’ailleurs la seule institution héritée du Ganden Phodrang à avoir survécu à l’exil sans changement majeur.6 Le

nouveau Kalon Tripa conserve cet héritage et consulte lui aussi les oracles d’État : « I am a modern educated Tibetan but on the other hand, I am a Tibetan and follow Buddhist traditions,” […] “So, I will be also consulting the state oracle, but that doesn’t mean I will follow what the state-oracle says.» (Phayul, 23 mars 2012, http://www.phayul.com/news/tools/print.aspx?id=31126&t=1).

Ainsi, par la présence de ces oracles, certaines décisions politiques sont influencées par un processus divinatoire. Le dalaï-lama et le premier ministre ne rejetant pas la présence de ces oracles, cela légitime des comportements posant une entrave à la démocratisation. Pourtant, le dalaï-lama tente depuis plusieurs années d’amener les Tibétains à se fier davantage à la science et à laisser de côté les superstitions religieuses (Mosbergen, 2012).

6 Les oracles d’État, Nechung et Gadong, ont dévoilé les détails de la fuite du DL en Inde (le jour, le moyen de transport, etc.) et ceux-ci ont été suivis à la lettre (Powers, 1997 p ?).

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Malgré cet attachement aux oracles d’État Nechung, Gadong et Tseringma, un autre oracle et protecteur, du nom de Dorje Shugden, a été au coeur d’importantes polémiques qui ont débordé la sphère religieuse depuis que le dalaï-lama a demandé à ceux et celles qui veulent rester sous sa protection d’abandonner ce culte dans les années 907. Selon Jane Ardley :

Le dalaï-lama, en tant que dirigeant politique des Tibétains, a eu tort d'interdire à ses fonctionnaires de participer à un culte religieux particulier, quelque indésirable qu'il soit. Par contre, étant donné que les deux concepts (religieux et politique) demeurent entrelacés dans la perception actuelle du Tibet, une controverse religieuse était vue comme une menace à l'unité politique... Le dalaï-lama a utilisé son autorité politique pour traiter ce qui était et qui aurait dû rester une question purement religieuse. (Ardley, 2002: p. 175-176)

Le dalaï-lama a invoqué pour justifier cet interdit que Shugden représentait un obstacle à l’institution des dalaï-lamas et à la cause tibétaine8. Comme le dalaï-lama est l’élément fédérateur des Tibétains,

socle de l’espoir de résolution du conflit sino-tibétain, une telle menace ne pouvait être tolérée. Quelques adeptes de ce protecteur, refusant de se soumettre à une telle décision, ont été persécutés par la communauté tibétaine, voyant dans leur résistance une opposition au dalaï-lama et à la cause tibétaine. Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que l’ancien premier ministre Samdhong Rinpoche considère ces adeptes comme des terroristes. Clivages social, politique et religieux, les conséquences de cette mesure restent encore aujourd’hui difficiles, tant pour le dalaï-lama que pour la cause tibétaine, alors que l’intention était contraire. La Chine profite de cette controverse, arguant que la clique du dalaï-lama accuse la Chine de persécution religieuse alors qu’elle fait de même en Inde (Chinese in Vancouver, 2008). Cette polémique a même valu au dalaï-lama d’être assigné en justice pour violation de la constitution indienne et violation des droits de l’homme9. Cependant, un

aspect important doit être souligné afin de mieux saisir la vision du dalaï-lama et la portée à moyen et à long terme de cet interdit. Shugden était reconnu pour être le protecteur de la pureté de la lignée bouddhiste Gelougpa, contribuant ainsi au fractionnisme religieux et blessant l’unité sociale et politique de la communauté tibétaine, pourtant essentielle à sa survie en exil et à ses efforts de négociation avec le gouvernement chinois. Rompre avec cette attitude sectaire, dont Shugden est le symbole, permet de renforcer l’unité des Tibétains derrière une nation dont le dalaï-lama reste la

7 Le DL commença à dénoncer ce culte dans les années 70

8 Le Kashag a pris une résolution en ce sens en 1996, (http://www.dalailama.com/messages/dolgyal-shugden/kashags-statement)

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figure emblématique. Que l’on cautionne ou non la décision prise par le dalaï-lama, il est possible de remarquer que la mise en œuvre de cette politique contredit les fondements démocratiques. En effet, comme le souligne le député Tsultrim Tenzin (Al Jazeera 1er octobre 2008,

https://www.youtube.com/watch?v=KqON2lxArek), aucune discussion n’a été engagée au sein du Parlement tibétain relativement à l’interdiction de la pratique de Shugden. Il s’agit selon lui d’une mesure politico-religieuse qui a été imposée par le haut à l’ensemble de la population tibétaine. Ainsi, malgré les affinités entre les valeurs bouddhistes et démocratiques, certains aspects du bouddhisme représentent un obstacle à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil.

1.3.2.3 L’organisation politique de l’exil : entre sectarisme et régionalisme

Le Parlement tibétain est divisé en fonction des régions d'origine et des lignées religieuses d'appartenance et non à la lumière d'objectifs politiques. Le sectarisme et le régionalisme politique sont un vecteur identitaire important qui entrave le processus de démocratisation du gouvernement tibétain en exil. En effet, l’appartenance régionale et religieuse crée des solidarités politiques qui limitent la portée délibérative des enjeux. Ainsi, un Tibétain de l’Amdo votera pour le représentant de sa région natale à l’intérieur de l’Amdo, sans approuver ou rejeter ses positions politiques. Aussi, cette division est disproportionnelle, puisqu'on retrouve en exil beaucoup plus de Tibétains originaires de la région de l'U-Tsang que de l'Amdo et du Kham, ainsi que de Tibétains adeptes de la lignée bouddhiste Gélougpa que des autres lignées (Brox, 2012). Cette fracture sociale se retrouve aussi présente à travers les associations régionales des Tibétains de l'exil, provenant du Kham, de l'Amdo ou de l'U-Tsang. De plus, ce contexte de division sociale met en danger l’unité tibétaine, jugée essentielle pour la prospérité de la communauté en exil et la résolution du conflit sino-tibétain. On remarque cependant que ces divisions religieuse et régionale s'accompagnent d'une unité politique, quasi-imposée par le haut, dans laquelle tous les Tibétains de l'exil se rangent derrière la politique du gouvernement tibétain en exil et du dalaï-lama. L’élément fédérateur du peuple tibétain, qui réussit à transcender ces particularismes régionaux et religieux, est le dalaï-lama. Il unifie tous les Tibétains derrière son pouvoir spirituel et politique. Le récent retrait du dalaï-lama comme chef du gouvernement tibétain pourrait ainsi porter atteinte à cette unité politique et accroître les tensions sociales par l’absence sur le plan politique d’une figure fédératrice. Cependant, cette destitution offre un cadre politique ouvert à la contestation publique puisque l’imposante idéologie politique du

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dalaï-lama sera mise en retrait. Ce cadre libéral est essentiel à la démocratisation, si la division sociale s'incarne non pas sur une base religieuse et régionale, mais politique.

Une caricature issue du Tibetan Review 27, no. 9 (1992) compare l'identification des Tibétains, au Tibet et en exil.

1.4 Les efforts de démocratisation

1.4.1 Des forces sociale et politique au cœur de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil

1.4.1.1 Les organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil au cœur du débat

Illustration 2 : Le régionalisme politique de l’exil confronté à l’unité identitaire du Tibet.

Malgré ces obstacles, certaines forces sociales et politiques encouragent la démocratisation du gouvernement en exil. En effet, parmi celles-ci on retrouve les principales organisations sans but lucratif tibétaines de l'exil, soit le Congrès de la Jeunesse tibétaine, l'Association des femmes tibétaines et Guchusum. Les membres de ces organisations sont en majorité issus de la jeune génération de l'exil, souvent née en Inde (à l’exception de Guchusum, puisqu’il s’agit d’une association de prisonniers politiques) et sensibilisée à l'engagement démocratique sous l'influence de

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l'Inde et des pays occidentaux. Ces organisations ont aussi un point de vue différent sur la solution à privilégier afin de résoudre le conflit sino-tibétain par rapport à celui du gouvernement tibétain en exil. En effet, elles contestent l'approche de la voie du milieu avancée par le dalaï-lama en 1988 et défendent l'indépendance du Tibet. Ces organismes souhaitent être plus écoutés par le gouvernement tibétain en exil et encouragent la démocratisation de leurs institutions politiques.

1.4.1.2 La toile virtuelle, un ensemble de plates-formes informatives et ouvertes aux débats politiques

La contestation sociale s'affirme aussi grâce à Internet. En effet, une quantité significative de sites et de blogues portant sur l'actualité politique tibétaine de l'exil permet aux Tibétains de s'exprimer sur les enjeux de l'heure. Ces plates-formes ont l’avantage de rejoindre la diaspora malgré les distances géographiques qui en séparent les membres. Par exemple, la démocratie tibétaine a investi cet espace virtuel lors des élections de 2011. En effet, les trois principaux candidats en lice aux élections de 2011 avaient un site web et étaient très présents sur Internet. Alors que les débats sont sclérosés au Parlement, les nouveaux médias offrent une plateforme plus accessible et ouverte à la contestation et à la discussion politique, à condition de ne pas critiquer le dalaï-lama.

1.4.1.3 Les initiatives du gouvernement tibétain en exil en faveur de sa démocratisation institutionnelle

Malgré la lenteur du gouvernement tibétain en exil à engager des débats francs sur les enjeux politiques auxquels il est confronté, il ne faut pas négliger son importance, particulièrement celle du dalaï-lama, dans le processus de démocratisation. Plusieurs réformes initiées par Sa Sainteté ponctuent l’histoire de la politique tibétaine en exil. La Constitution tibétaine a été écrite une première fois en 1961, puis modifiée en 1963 et en 1991. Le système électoral fonctionne au suffrage universel depuis 2001. On constate depuis 1991 une séparation des pouvoirs plus stricte, mais le dalaï-lama conservait un droit de regard absolu dans les trois sphères du pouvoir jusqu'à son retrait officiel de l’arène politique en 2011. Ce retrait, ainsi que l’élection en 2011 d’un premier ministre laïc, Lobsang Sangay, marque une nouvelle étape décisive dans la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. Le fait que Samdhong Rinpoche appartienne au clergé ne contredit-il pas la séparation Église/État si chère à la démocratie? Ainsi, comme le mentionne Magnusson (1997: 5), le dalaï-lama est le moteur de la démocratisation du gouvernement en exil :

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The combination of the Dalai Lama's status, and his new role as promotor of democracy, creates an unusual political force that makes many exiles participate in democratic activities primarily because the Dalai Lama has asked them to do so, and not because they want more influence over government or to alter the policy (one does not exclude the other, of course).

1.4.1.4 La diaspora tibétaine, un acteur qui s'engage progressivement dans la démocratie de l'exil

La population tibétaine non issue des piliers traditionnels du pouvoir est un autre acteur crucial pour la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. En ce sens, on note une augmentation de l'engagement des jeunes tibétains de l'exil depuis 1990 (Robin, 2009), que ce soit à travers les débats publics, l'engagement au sein d'organisations sans but lucratif tibétaines ou encore à travers la participation électorale. Par exemple, lors des élections du Kalon Tripa de 2006, 30 % de la population en exil a voté (Roemer, 2008), alors que les élections de 2011 ont vu le nombre de votes augmenter et passer à 38 % de la population. Cette augmentation relative du taux de participation témoigne d’une certaine amélioration de la participation populaire. Comparé à d’autres pays qui permettent le vote de la diaspora, le gouvernement tibétain en exil ne se situe pas en mauvaise position. En effet, par exemple, lors des élections de 2012 en Tunisie, 40% de la diaspora tunisienne avaient participé aux élections, alors que le taux de participation se situait généralement autour de 10%. Il faut noter cependant que le cas de la diaspora tibétaine est différent des 115 pays autorisant le vote de leurs ressortissants à l’extérieur du pays. En effet, les élections du premier ministre d’un gouvernement en exil se font principalement, voir exclusivement, par la diaspora. Un taux de participation de 10% serait catastrophique quant à la légitimité de ce même gouvernement alors qu’il ne le serait pas pour un gouvernement étatique, puisqu’une partie importante de la légitimité du gouvernement tibétain en exil repose sur l’appui de la communauté tibétaine, dont la participation au vote est un indicateur important. Par contre, un taux de participation à l’intérieur d’un État aussi faible lors d’une élection serait tout aussi catastrophique. Ainsi il faut s’ajuster à cette perspective singulière d’une élection démocratique au sein d’un gouvernement sans État. Les enjeux de la participation populaire aux élections du gouvernement tibétain en exil touchent directement la légitimité de ce même gouvernement, qui dépend de l’appui effectif de la communauté tibétaine en exil qu’il prétend gouverner.

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1.4.2 La communauté internationale, un acteur essentiel à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil

La communauté internationale est très favorable à la démocratisation du gouvernement tibétain et en soutient les efforts, de par son expertise et ses ressources financières. En effet, 90 % des ressources financières viennent de fonds étrangers, que ce soit des dons de personnes, d’organisations non gouvernementales ou de gouvernements étrangers. (Phuntso, 2004, Roemer, 2008). De plus, sans le support d’experts internationaux en matière politique, diplomatique et législative, la réussite de ce gouvernement tibétain et de sa démocratisation n’aurait pas été aussi importante. Selon Ardley (2003: p. 357), la démocratisation du gouvernement tibétain en exil avait pour but de plaire à la communauté internationale en en faisant un gouvernement contemporain. C'est aussi dans ce même esprit que l'approche de la voie du milieu a été développée.

Cet appui de la communauté internationale envers le gouvernement tibétain en exil repose en grande partie sur le dalaï-lama. Ce facteur n’a pas empêché le dalaï-lama de se retirer de la politique en 2011 et dans ce contexte cette démission pose de nombreuses inquiétudes. Le nouveau Kalon Tripa Lobsang Sangay aura sans doute plus de difficulté à être invité par les gouvernements du monde du fait qu’il est le représentant d’un gouvernement non reconnu sur la scène internationale et non un chef spirituel charismatique ayant obtenu le prix Nobel de la paix. Notons que ce retrait marque une avancée démocratique importante pour le gouvernement tibétain en exil. En ce sens, tant la communauté internationale que le gouvernement chinois peuvent aussi y voir une raison de rapprochement. En effet, comment un pays démocratique pourrait-il soutenir un régime politique non démocratique? Comme un des objectifs importants des Nations Unies est la démocratisation des pays, la démocratisation du gouvernement tibétain en exil peut être une bonne décision dans la mesure où elle permet d’accroître la légitimité de ce gouvernement, ce qui risque de plaire à la communauté internationale. Par rapport à la Chine, la démocratisation du gouvernement tibétain en exil peut être vue positivement, car il va dans le sens d’une diminution du « féodalisme » dominant au sein de l’organisation sociale et politique tibétaine selon les autorités chinoises. De plus, le retrait du dalaï-lama de la démocratie tibétaine est une bonne nouvelle pour la Chine, qui n'a jamais reconnu le gouvernement tibétain en exil et qui a toujours souhaité négocier avec les représentants de Sa Sainteté, plutôt qu'avec ceux du gouvernement.

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1.5 La démocratie au service de la "cause tibétaine": un appel tibétain à la communauté internationale

L'appui de la communauté internationale envers le gouvernement tibétain en exil a non seulement un impact positif sur la démocratisation de ce gouvernement, mais aussi sur ce qu'on appelle la "cause tibétaine", on pourrait même dire que c'est afin d'encourager l'appui envers la "cause tibétaine" que le gouvernement tibétain en exil a entrepris une démocratisation institutionnelle. En effet, si le gouvernement tibétain en exil a pour objectif fondamental de retourner au Tibet et qu'il a besoin de l'appui de la communauté internationale, la démocratisation peut être comprise comme un outil servant à encourager l'appui de cette communauté afin de favoriser le retour au Tibet. Ainsi, comme le souligne Trine Brox : « democracy has been made a central pillar of discourse in the Dalai Lama's and the Government-in-Exile's struggle for self-determination in Tibet. [...] democracy can be flagged to attract sponsors and supporters to the exiles' freedom movement » (2009: 66).

Tout d'abord, il faut préciser ce qu'on entend par "cause tibétaine". Ce concept est apparu en réponse à l’invasion du Tibet par l’Armée populaire de libération, dirigée par Mao Zedong de 1950 à 1959, qui avait pour but officiel de « libérer » les serfs tibétains du joug de leurs seigneurs. Malheureusement, cette volonté inspirée des principes marxistes n’a pas été transmise complètement aux soldats de cette armée, qui ont conservé un certain « chauvinisme Han » hérité de l’époque du Guomindang (Goldstein et al., 2004). Inspirés par cette vision hautaine, des massacres de populations entières, le pillage des richesses tibétaines et le mépris de ces soldats ont encouragé le soulèvement tibétain antichinois et anticommuniste qui éclata le 10 mars 1959 à Lhasa, la capitale du Tibet, ce qui poussa le chef spirituel et politique du Tibet, le dalaï-lama et son gouvernement, à l’exil en Inde. De cet évènement découlent deux visions contraires sur la souveraineté du Tibet et donc de la légitimité de l’invasion chinoise. D’une part la vision protibétaine qui défend son point de vue comme un appel à la défense de la "cause tibétaine", qui soutient que le Tibet était avant l’invasion maoïste un pays indépendant. Cette position soutient que le droit à l’autodétermination de son peuple a été bafoué. Considérant l’invasion chinoise comme illégitime, les représentants du gouvernement nouvellement exilé en Inde décident, sous l’impulsion du dalaï-lama, de reconstituer le gouvernement tibétain en exil, dont la mission serait à la fois de prendre en charge les réfugiés tibétains en Inde et de restaurer la liberté au Tibet. Dans ce but, le gouvernement tibétain

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en exil revendique d’être le seul gouvernement légitime du peuple tibétain et le dalaï-lama d’être le seul chef politique du Tibet10. D’autre part, la vision prochinoise, qui soutient au contraire que le Tibet a fait partie de la Chine depuis le 12e siècle (Pommaret, 2003: 62; Wei, 1989) et que par conséquent la question tibétaine est une question interne à la Chine, qui est souveraine au Tibet. Le gouvernement tibétain en exil et le dalaï-lama sont donc perçus par les autorités chinoises comme des séparatistes, voire même des terroristes (Toy, 2008). Cette polarisation du statut du Tibet met la communauté internationale dans une position très délicate. Les raisons sont multiples pour soutenir l’une ou l’autre des positions, et certaines s’appuient sur des clichés contredits par les faits11, renforçant par le fait même la confusion entourant la question tibétaine.

Ainsi, la "cause tibétaine" renvoie à celle de la légitimité de l’invasion maoïste et donc à la souveraineté du Tibet et au statut du gouvernement tibétain en exil dont le dalaï-lama est le plus grand représentant. Suite à l’échec sur la scène internationale de la tentative par le gouvernement tibétain en exil de faire reconnaître le Tibet comme État souverain12, ce gouvernement a réorienté sa

stratégie politique afin de maintenir et d’accroître l’appui de la communauté internationale envers ses instances et le peuple tibétain. Le but était double : assurer sa survie en exil, grâce au financement de ses institutions par la communauté internationale, et permettre son retour au Tibet, grâce aux pressions de la communauté internationale envers la Chine, en ce qui a trait à la reprise et à la poursuite des négociations avec le gouvernement tibétain en exil. La stratégie du gouvernement tibétain en exil était donc d’obtenir le soutien de la communauté internationale par l’orientation de ses communications politiques non plus sur l’illégitimité du gouvernement chinois au Tibet, mais plutôt sur les violations des droits de l’homme au Tibet et sur ses efforts de démocratisation de ses institutions politiques en exil (Blondeau, 2002: 89)13.

Selon le politologue Yossi Shain (1991), un gouvernement en exil doit avoir l’appui de la communauté internationale pour atteindre son objectif général, soit le retour au pays d’origine. En

10 Depuis 2011, même si le dalaï-lama s’est retiré de la sphère politique de l’exil, il reste concerné par la « cause tibétaine », c’est-à-dire à la résolution du conflit sino-tibétain.

11 Ainsi dans l’article cité plus haut de Donald Lopez on mentionne l’utilisation de la non-violence du peuple tibétain comme raison d’un soutien à ce peuple et du barbarisme et de la violence de ce même peuple comme raison d’un soutien à la politique chinoise.

12 Aucun pays n’a reconnu le Tibet comme souverain à ce jour, malgré le Traité de Simla conclu entre le Royaume-Uni, la Chine et le Tibet en 1914, reconnaissant l’indépendance du Tibet de facto.

13 En témoigne le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie, financé par le gouvernement tibétain en exil et les nombreux discours du Dalaï-lama à travers le monde sur ce sujet.

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effet, c’est grâce à cet appui qu’un gouvernement en exil peut revendiquer une quelconque légitimité. C’est par rapport à cette nécessité que le jeu diplomatique du gouvernement tibétain en exil envers la communauté internationale se complexifie. Nous avons d’une part un gouvernement qui souhaite être légitimé et d’autre part une communauté internationale sympathique au dalaï-lama, à la démocratisation et à la protection des droits de l’Homme, qui ne souhaite toutefois pas accorder cette légitimité au gouvernement tibétain en exil, de peur de froisser ses relations avec la Chine, essentielles sur le plan économique. Selon Fiona McConnell (2009), le rapprochement entre les chefs d’État et le dalaï-lama et les représentants du gouvernement tibétain en exil, et l’établissement de « Maison du Tibet », sortes de délégations générales du gouvernement en exil, établies dans plus de 10 pays, permettent à ce gouvernement d'acquérir une légitimité de facto, essentielle à son maintien en exil et à l’atteinte de son objectif général, le retour au Tibet. On peut donc constater que la démocratisation du gouvernement en exil s'inscrit dans la volonté de plaire à la communauté internationale, ceci afin d'accroître ses chances d'un retour au Tibet ou, à tout le moins, d'un maintien de la légitimité de ce gouvernement en exil.

Ce mémoire tente d’éclaircir la démocratisation des institutions politiques du gouvernement tibétain dans la perspective complexe de l’exil, où l’appui de la communauté tibétaine et de la communauté internationale sont essentiels.

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Chapitre 2 : Méthodologie

2.1 Question de recherche

Les transformations politiques qui ont lieu au sein de la communauté tibétaine de l'exil depuis 1990 nous amènent à en questionner l'articulation, car il s'agit d'un cas unique : un gouvernement par essence provisoire initie une démarche de stabilisation institutionnelle à travers un processus de démocratisation. Ce croisement de deux concepts traditionnellement éloignés, soit d'une part la démocratisation et d'autre part le gouvernement en exil, est particulièrement intéressant. De plus, le cas tibétain est en soi fascinant et tout aussi riche en relations inhabituelles, notamment par rapport à l'image occidentale de la communauté tibétaine et de sa "cause" par rapport à la réalité de la diaspora tibétaine. Ces deux réalités complexes s'imbriquant l'une dans l'autre ont semblé un objet d'étude passionnant, pour l'auteure de la recherche.

La problématique qui s'est dessinée au fil des recherches a trouvé sa formulation finale à travers cette question :

Dans un premier temps : Dans quelle mesure le gouvernement tibétain en exil se démocratise-t-il,

selon les critères de démocratisation de Robert A. Dahl ? Ce qui nous a amené à nous poser la

question suivante : Comment la démocratisation du gouvernement tibétain en exil s'insère-t-elle dans

la défense de la cause tibétaine auprès de la communauté internationale?

2.2 Hypothèse et cadre théorique

Ce projet de recherche tentera d’éclaircir le processus de démocratisation du gouvernement tibétain en exil depuis 1990 jusqu'à ce jour. Très peu d’études se penchent sur les modalités de la démocratisation d’un gouvernement en exil. La raison principale est sans doute qu'on ne retrouve qu'un seul cas de ce type dans l'histoire, soit le gouvernement tibétain en exil. Ainsi l'étude entreprise est, de par son originalité, très pertinente. La démocratisation effective sera étudiée entre 1990 et 2013 en mettant en lumière les différents acteurs et enjeux auxquels le gouvernement tibétain en exil est confronté.

Afin de bien mesurer l'état de la démocratie tibétaine dans le temps, il faut d'abord définir ce qu’est la démocratie. Il faut préciser ce qu'entend en général la littérature occidentale contemporaine par

Figure

Figure 1 : La structure du gouvernement tibétain au début du 20 e  siècle, selon Goldstein
Illustration 1 : La démocratisation selon le haut initié ou le dalaï-lama
Illustration 2 : Le régionalisme politique de l’exil confronté à l’unité identitaire du Tibet
Figure 2 : Représentation du processus de démocratisation du système politique tibétain
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