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À qu(o)i sert l'agriculture urbaine ? Mémoire critique d'un phénomène sociétal épars

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Academic year: 2021

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À qu(o)i sert l’agriculture urbaine ? Mémoire critique

d’un phénomène sociétal épars

Alexis Chatellier

To cite this version:

Alexis Chatellier. À qu(o)i sert l’agriculture urbaine ? Mémoire critique d’un phénomène sociétal épars. Architecture, aménagement de l’espace. 2018. �dumas-01997461�

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À QU(O)I SERT

L’AGRICULTURE URBAINE ?

ALEXIS CHATELLIER

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À qu(o)i sert l’Agriculture Urbaine ?

Mémoire critique d’un phénomène sociétal épars

Mémoire de Master par Alexis Chatellier

Sous la direction de Frédéric Barbe & Margaux Vigne

Ensa Nantes, juin 2018

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Un grand merci à mes conseillères/relectrices/critiques/partenaires de bibliothèque qui se reconnaîtront.

Un grand merci à Frédéric pour sa justesse d’accompagnement ainsi qu’à Margaux pour la complémentarité de son regard.

Un grand merci à mes interlocuteurs pour leur disponibilité et ce qu’ils ont apporté d’essentiel à ce travail.

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- AVANT-PROPOS -

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- A V ANT P RO POS - - AV ANT P RO POS

-Postulat initial de l’agriculture urbaine : « Nous serons 9 milliards sur terre en 2050, dont les 2/3 dans les villes, soit 2,5 milliards de nouveaux urbains par rapport à aujourd’hui. L’importation en ville des produits agricoles est très vorace en énergies fossiles, énergies dont les réserves seront incertaines à l’horizon 2050 » L’agriculture urbaine se pose comme une solution alternative au maraîchage expansif, quant à la pérennité d’une alimentation mondiale, en circuits courts.

L’agriculture urbaine n’est plus à la mode. En tout cas c’est ce que l’on ressent quand on évolue dans un contexte comme celui d’une école d’architecture. On entend plusieurs choses à son sujet quand elle est discutée par des professeurs et des étudiants : « ça ne sert à rien, ça ne produit pas assez, c’est dérisoire, ça n’a pas de sens, ce n’est pas de l’architecture, c’est de la communication, on nous ressort ce truc à toutes les sauces, ça fait vert du coup ça fait bien. » Ce discours assez répandu, est bizarrement l’inverse de celui d’il y a quelques années. A une époque où l’image d’une ferme sur un toit d’immeuble devait sûrement faire rêver quelques aspirants architectes. Pourtant à l’époque peu de gens y croient, pas ceux qui construisent l’architecture en tout cas, et qui hier argumentaient de la même manière que les sceptiques d’aujourd’hui. La médiatisation toute relative du sujet étant portée par peu de projets n’aidait probablement pas non plus à donner une assise crédible à l’idée.

Aujourd’hui le schéma est diamétralement opposé, l’agriculture urbaine se fait partout par tout le monde, dans les associations, par les ingénieurs, architectes, urbanistes, maraîchers, entrepreneurs. Si bien que toute une génération d’apprentis-architectes - mais pas que -, se retrouve très vite immergée par l’agriculture urbaine. La bascule est telle que même le promoteur immobilier, prétendu Némésis de l’architecte se met à inclure l’agriculture urbaine dans ses projets, ce qui finit de dégoûter les passionnés qui y croyaient encore.

Durant mes recherches, principalement à l’école d’architecture, la question de la bibliographie autour du sujet « agriculture urbaine » m’est apparue nécessaire. De nombreux ouvrages dédiés à l’agriculture urbaine existent, intéressants par l’éventail de cas présentés, mais nombreux ont tendance à effectuer un catalogage plutôt policé des agricultures présentes dans les villes du monde. C’est grâce à ce formidable éventail, représentatif de la diversité de l’agriculture urbaine, que l’on apprend à comprendre un concept fascinant et passionnant.

Le problème n’est pas tant la supposée subjectivité de cette littérature. C’est plutôt l’absence, pour les architectes, d’une littérature qui tenterait de prendre du recul et de décrypter les tenants et aboutissants de l’agriculture urbaine. Au delà de la sphère architecturale, Il y a aussi certainement un assentiment médiatique autour du sujet, les articles éditoriaux à charge sont rares. Le débat autour de l’agriculture urbaine, d’apparence consensuel, ne permettrait peut-être pas le doute ou la remise en question.

Ce rapide « historique » que je fais m’est personnel, le scepticisme que je ressens chez les architectes n’est surement pas une généralité, et est peut-être à mettre sur le compte d’une partie de la profession, et d’un milieu parfois cynique ou méprisant vis-à-vis de ce qui à le vent en poupe. Si le sujet n’inspire que de la méfiance chez certains, n’est-il pourtant pas légitime d’émettre des doutes sur un concept qui du jour au lendemain, se retrouve subitement publiquement plébiscité. Le mœurs politiques évoluent forcement avec le temps, on pourrait dire qu’elles évoluent même très vite puisque l’agriculture urbaine est devenue un argument phare de l’aménagement de certains quartiers, certaines villes, voire métropoles entières. Il y a définitivement eu une bascule pour que l’agriculture urbaine soit aujourd’hui aussi bien acceptée par les organes aménageurs. Sans tomber dans de rapides assomptions, on est en droit de questionner l’intérêt de certains pouvoirs publics à vouloir faire de l’agriculture urbaine leur nouveau cheval de bataille. Quel est leur réel positionnement sur le sujet ?

La vision futuriste de la ville tend elle aussi à inclure l’agriculture comme partie intégrante d’un postulat urbain. Ou plutôt des postulats. La disparité que l’on peut trouver dans la projection artistique de ces futurs possibles atteste d’une diversité des avis, des théories, et des sens qui leurs sont attribués. La science fiction a pu s’emparer du sujet, entre autres dans es films, plus ou moins récemment. Les propositions artistiques, architecturales, et urbaines de l’agriculture peuvent être lourdes de sens dans leur radicalité, oscillant tantôt entre une vision d’utopie ou de dystopie. Quel est l’impact visé par ces différentes projections ?

En écrivant ces lignes, je me souviens de plusieurs conversations que j’ai pu avoir avec un ami, étudiant architecte comme moi, dont les parents sont viticulteurs. Celles-ci m’ont marqué par la récurrence d’une conclusion qu’il tirait systématiquement : « Mes parents m’ont toujours dit une chose : Surtout, ne fait jamais agriculteur ». La noblesse et

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-l’importance de cette profession sont indéniables, mais il est probable qu’une partie des agriculteurs ne souhaitent pas à leurs enfants de prendre la relève. S’il est un métier laborieux, c’est celui d’agriculteur, qui se transmet traditionnellement à chaque lignée. En est-il de même pour l’agriculteur urbain ? Probablement pas, puisque le métier existe à peine. Mais si l’agriculture est un métier que l’on tient de sa lignée, qu’en est-il de ces nouveaux agriculteurs en milieu urbain ? Ceux qui sont les techniciens de l’agriculture urbaine ne sont pas non plus les mêmes que ceux qui ont dû s’adapter à la PAC dans les années 60. Parce qu’ils ne sont pas de la même génération bien sûr, mais surtout parce qu’ils n’en sont pas les héritiers. S’il est concevable qu’ils évoluaient auparavant dans des conditions dites « privilégiées » par rapport à celles d’un exploitant, pourquoi alors vouloir devenir agriculteur ? Pour parler simplement, pourquoi vouloir devenir maraîcher lorsqu’on est cadre supérieur ? Dans un mode de pensée traditionnel, une telle trajectoire s’apparente à descendre l’échelle sociale. Il n’est pas anodin que les sortants du monde agricole, les agriculteurs ruraux, soient remplacés par de jeunes citadins peu expérimentés, qui aboutirait sur une agriculture sans agriculteurs.

La nature de la technologie employée, haute, ou basse, est déterminante dans le sens que prend le type d’agriculture entreprise. Plutôt que l’agriculture urbaine, il existerait des agricultures urbaines car les manières de faire sont multiples et combinables. Un carré de permaculture citoyenne sur un espace de friche n’a pas le même sens politique qu’un hangar opaque de salades en hydroponie éclairées à la LED et vendues sous-vide. Bien que ces deux cas semblent en tout points opposées dans l’éthique, la technique, et la finalité, ils cohabitent au sein du même concept, et tracent entre eux-deux un spectre fourni de formes d’agriculture urbaines. Au même titre que le « développement durable », ou la « transition écologique », l’appellation communément entendue est trop large et floue pour qu’un paragraphe unique puisse décrire ce qu’est « l’agriculture urbaine ». Il s’agirait de les définir.

Enfin doit-on vraiment croire que l’agriculture urbaine soit la panacée des problématiques alimentaires de demain ? La radicalité d’un postulat de l’agriculture de la ville, par la ville fait-elle vraiment sens ? On entend souvent dire qu’il faut repenser la consommation des urbains de manière plus locale, mais avant de penser ferme verticale et métropole nourricière, la première étape ne serait-elle pas par exemple de commencer par remobiliser le maraîchage périurbain qui reste du circuit relativement court ? La donnée « prix du foncier » d’une

ville dense n’est pas négligeable si l’on veut ne serait-ce que rester à l’équilibre financier d’une exploitation, dans un centre urbain le prix du mètre carré peut prendre des dimensions astronomiques tant la demande de logement est forte, ce qui est beaucoup moins le cas en périphéries.

Une somme d’interrogations, et des quantités de questions :

Comment jauger l’honnêteté des

aménageurs ? Quelle légitimité pour les nouveaux acteurs de l’agriculture urbaine ? Quelles sont les promesses

de l’agriculture urbaine dite high-tech ? Sont-elles si progressistes que ça ?

Quelle vision projetée, fantasmée, utopique, dystopique ?

Quelle est l’image que doit véhiculer l’agriculture urbaine ?

Les acteurs sont-ils utiles à l’agriculture urbaine, ou bien l’agriculture urbaine est-elle utile à ses acteurs ?

Ces questions ramenant finalement à une question plus globale

qui est celle de l’utilité de l’agriculture urbaine. A qu(o)i sert

l’agriculture urbaine ?

A quoi sert-elle ? Qui se sert d’elle ? Pourquoi se servir d’elle ?

En quoi est-elle utile ?

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I. RÊVER VERT, UNE UTOPIE NÉCESSAIRE ?

A / VÉGÉTAL EN VILLE, UN ÉTAT DES LIEUX B/ UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’URBAIN VÉGÉTALISÉ C / UTOPIE ET DYSTOPIE D’UNE VILLE DANS L’URGENCE

REMERCIEMENTS

AVANT PROPOS

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8-11

16-73

16 21 39

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

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76-131

76 88 110

II. QUELLE LÉGITIMITÉ POUR UNE RÉALITÉ

PLEINE DE PROMESSES ?

A/ LOW-TECH & HIGH-TECH, DEUX ÉCOLES ET UN VASTE INTERVALLE

B/ OPPOSITION DE STYLE : ASSOCIATION ET ENTREPRISES

C/ DES AGRICULTURES SANS AGRICULTEURS ? QUI SONT LES NOUVEAUX ACTEURS QUI FONT L’AGRICULTURE URBAINE ?

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- RÊVER VER T, UNE UT O P IE NÉCESS AIRE ? -- RÊVER VER T, UNE UT O P IE NÉCESS AIRE ?

-A / Végétal en ville, un état des lieux

LE CAS PARISIEN ...

Sur la mandature parisienne 2014-2020, Anne Hidalgo ambitionne un programme de végétalisation conséquent avec 30 hectares supplémentaires d’espaces verts ouverts au public, une rénovation des parcs et jardins existants, et la plantation de 20 000 nouveaux arbres. Autre initiative de la ville de Paris, le « permis de végétaliser » donne au riverain un pouvoir de végétalisation de l’espace public qui l’entoure. Pénélope Komitès, adjointe chargée des espaces verts, de la nature et de la biodiversité, entend inciter les parisiens à prendre possession de la ville et à produire leur propre vision de la ville végétale, toute proportion gardée puisque la mairie détient un droit de regard sur ces permis. L’opération « un arbre dans mon jardin », sur un model BIMBY1 (Build In My BackYard), permet également au parisien d’implanter un ou plusieurs arbres dans son jardin ou celui de la copropriété, tout cela aux frais de la mairie qui s’occupe de fournir et implanter les arbustes. Par ailleurs, avec la création de « rues végétales », aux multiples utilités, elle entend apaiser voire supprimer la circulation automobile afin de prioriser les piétons et circulations douces. Cela se fera à travers la mise en place de pavés à joints engazonnés, de bandes de terre sur les trottoirs en longueur de façade, l’instauration de murs végétalisés de plantes grimpantes, et de bacs de plantation en bois ; tout cela au sein de la bande riveraine. Projetées au nombre de 20 à l’horizon 2020 (pour l’instant dans les 12e, 15e, et 20e arrondissements, plus 4 autres sites potentiels identifiés), les rues végétales entendent s’imposer comme les lieux de cristallisation des projets de la végétalisation, tout en s’adaptant à un besoin criant de la capitale : se végétaliser. Selon une étude du «Senseable City Lab», laboratoire du MIT, Paris serait la ville où le piéton aurait le moins de verdure à portée d’œil, à raison de 8,8% contre 29,3% pour Singapour, leader du classement qui détient donc près d’un tiers de végétal dans son paysage. Formellement assez classique, efficace en matière d’ambiance et d’esthétique visuelle, la végétalisation de Paris ne se résume pourtant pas qu’a cela2.

L’agenda de la ville comporte tout un volet d’agriculture urbaine, nouvelle donnée de l’équation verte, inter-combinable à volonté. A titre

d’exemple, les bacs de plantation des « rues végétales » peuvent tout à fait accueillir des légumes et plantes comestibles, comme l’aurait fait le collectif des « Incredible Edible »3 Outre-Manche. Dans le désordre, on peut compter 100 hectares de végétalisation sur les murs et toits dont un tiers est dédié à l’agriculture urbaine dans le cadre des « Parisculteurs »4, la création de vergers et de potagers dans les écoles, ainsi que l’aménagement de fermes pédagogiques pour sensibiliser les plus jeunes à l’agriculture. A cela s’ajoute le développement des jardins partagés afin de créer du lien social entre voisins, et l’implantation de ruches pour faciliter la pérennité biologique de toutes ces interventions. D’une ampleur importante, le projet des « Pariculteurs » ambitionne la création de potagers participatifs et de petites productions exploitantes sur les toits. Peu de pleine terre, mais plutôt une réquisition de ce qui n’est pas utilisé en terrasse accessible, et une multitude de partenariats avec de grandes enseignes parisiennes. Le Centre Georges Pompidou, l’Accor Hotel Arena, ou encore LVMH, mettent les toitures de leurs locaux à disposition de ces projet participatifs. Du houblon dans Paris sur 1km linéaire, voilà un des projets des Pariculteurs, drôle s’il en est, dont la finalité réside dans la culture des susnommées plantes grimpantes sur les murs et pignons vacants. Avec l’émergence de nombreuses brasseries locales, la capitale française se met à rêver de devenir également la capitale de la bière urbaine « AOC ».

Toutes ces informations, sont développées de manière exhaustive, et claire sur le site de la ville de Paris, dans l’onglet « végétalisons la ville ». Très bien communiquées, toutes ces mesures sont révélatrices d’un appareil politique du végétal, conquérant et très bien organisé. Cette végétalisation généralisée est finalement multiple et comprend en son sein l’idée d’une agriculture urbaine. Elle se pose sur nos « skylines » du fait des directives municipales qui appuient les démarches associatives ou entrepreneuriales, sans que le citoyen ne s’en rende vraiment compte. Ce « mariage forcé » du béton et du végétal semble se dérouler sans accrocs, puisqu’il n’existe pas de contestations visibles au sein de son territoire.

... SYMBOLE D’UN GÉNÉRALITÉ ?

En effet, la présence du végétal en zone urbaine est aujourd’hui l’une des conditions sine qua none de la qualité d’un néo-quartier. Les villes à très fortes densités comme Paris en manquent terriblement. L’obsessive végétalisation de la capitale n’est pas une exception, et on constate

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-que peu de métropole aujourd’hui n’aimeraient pas se parer davantage de verdure. Nombreuses sont les agglomérations qui se lancent dans la compétition d’une ville la plus végétale possible. Nantes, n’est pas en reste dans ce domaine puisqu’on recense 37 m2 d’espace vert par habitant, que 17 millions d’euros ont été investis dans les espaces verts en 2016, et que 5 élus sont en charge uniquement des problématiques d’environnement et d’espaces verts5. En 2017, elle a été élue ville la plus verte de France par l’Observatoire de l’Unep (Union Nationale des Entreprises du Paysage), en compagnie d’Angers et Strasbourg. Pour ce qui est de Nantes, on pourrait également mentionner la toute nouvelle pépinière du Quai de la Fosse, à l’esthétique faussement bricolée, mais vraiment très inspirée du langage architectural de la ZAD de Notre Dame des Landes. Un beau pied de nez lorsque l’on connait l’avis de la mairie Nantaise sur le sujet6.

En 2018, le confort de vie urbain repose sur une présence croissante du végétal qui prend différent aspects. Le parc présente une forme de végétalisation urbaine de grande ampleur, ayant vocation à être un espace récréatif, de détente, et de ressourcement au sein de l’agitation urbaine. Il prend temps et lieu sur une sieste dominicale, un pique-nique entre amis, ou un footing matinal. Les interventions du type « rue végétales » reposent sur des vécus plus épisodiques qui sont de l’ordre d’une perception rapide, au détour d’un croisement, ils ne sont praticables que par ceux qui en ont la maintenance. Enfin l’agriculture urbaine arrive peu à peu comme le nouveau visage de la végétalisation de la ville, une formalisation différente qui ajouterait une notion d’utilité - dans sa dimension purement productive - à celle unanimement partagée de l’agréable.

Généralisons toutes ces branches de la végétalisation en ville et mettons donc l’agriculture urbaine sous cette même coupe. Quelle devient alors son utilité ? S’agit-il de satisfaire l’œil et les poumons du passant, ou bien comme le déclare le postulat de base de l’agriculture urbaine, de changer les systèmes d’alimentation classiques et de pouvoir nourrir la ville de demain par la ville de demain ? La deuxième option ne semble pas envisageable puisque les quelque 33,333 nouveaux hectares - selon ce que planifie la mairie de Paris - pèsent peu face aux 11 000 hectares - représentant la quasi-totalité de la superficie de Paris intramuros - nécessaires à l’autosuffisance alimentaire de la capitale7. Le choix de la mairie d’implanter 100 nouveaux hectares n’est pas vraiment expliqué, pourquoi ce chiffre ? Est-ce pour le symbole ou la rondeur du chiffre ? Le tiers distribué à l’agriculture urbaine, n’est pas vraiment explicité

Un potager urbain dans le cadre des ‘Parisculteurs’, ici sur le toit du Bon Marché dans le 7e arrondissement. © Le Parisien

Quai des plantes, la pépinière du Quai de la Fosse à Nantes

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-non plus. S’agit-il d’une part du gâteau attribué par la mairie à une nouvelle tendance sur laquelle il faut statuer ? Les quantifications étonnamment arbitraires des études peuvent également laisser perplexe, et il ne semble pas qu’un quelconque objectif de production ait été réellement pensé. Face à cette apparente insignifiance de cette agriculture urbaine au regard des besoins qu’elle est censé fournir, on est en droit de se poser la question de l’utilité d’une telle pratique. Bien que la nécessité de productivité ne soit pas la seule dimension que peut prendre l’agriculture urbaine, ce constat froid se pose là comme la possibilité d’aboutir sur une coquille verte , c’est à dire une volonté formelle verte, sans le fond qu’elle est censée contenir. Cette coquille ne serait cependant pas vide, mais plutôt à moitié pleine tant la substance d’autonomie alimentaire ne fait plus sens. Ne subsistent que d’autres utilités, comme la fortification du lien social, ou bien l’apport de davantage de verdure en ville, qui sont des objectifs certes très intéressants, mais secondaires au regard de la définition première de l’agriculture urbaine.

B/ Une brève Histoire de

l’Urbain Végétalisé

Les Jardins de Babylone font figure de forme pionnière de végétalisation mixée à une architecture dans un contexte urbain. Aujourd’hui introuvables, les seules descriptions antiques évoquent un bâtiment d’emprise carrée massive de 120 m de côté, en gradins sur la hauteur, permettant aux longues terrasses d’accueillir les arbres plantés, dont les racines apparentes se mêlent à la toiture. A l’époque déjà, la technologie au service des cultures prévaut puisqu’il est dit que la vis d’Archimède8 aurait été éprouvée pour la première fois sur les jardins de Babylone, afin de déplacer la source dans des hauteurs artificielles. Si la possibilité d’un tel édifice a longtemps fait partie de l’imaginaire collectif, les avancées scientifiques et les fouilles archéologiques non-abouties du début du 20e siècle tendent finalement à dire qu’il s’agirait probablement d’une légende. Toujours est-il que les Jardins de Babylone sont profondément ancrés dans l’(in)conscient des rêveurs, et que la présence du végétal en ville est née bien avant que le sujet ne devienne aujourd’hui omniprésent.

RENAISSANCE ET OUVERTURE SUR LE VERT

On pourrait situer le vrai point de départ de la ville végétale à la toute fin du XVIIe siècle, ou s’entame une mue de la ville moyenâgeuse vers celle de la Renaissance. Les remparts et fortifications qui cloîtraient alors la ville commencent à tomber, déclenchant une perméabilité de la nature rurale sur le minéral de la cité. C’est une bascule puisqu’à l’exception des faubourgs de l’époque, qui pouvaient alors entourer la ville fortifiée et avoir un contact plus direct avec la nature, vie urbaine et vie rurale étaient cloisonnées par les systèmes défensifs militaires féodaux.

Au même moment, le perfectionnement des techniques de dessin en perspective devient un facilitateur d’aménagement des cités à la période de la Renaissance. on ne parle pas encore d’urbanisme mais plutôt d’embellissement de la ville. Il s’agit d’une stratégie d’aménagement qui revêt un enjeu économique, moral et civique, puisqu’on est persuadé qu’un espace urbain commode, sain et policé contribuera à la prospérité et au bien commun. Le paradigme proposé est assez rigide : des rues subordonnées à un centre, des lignes géométriques rectilignes qui doivent fluidifier les trafics tout en facilitant le contrôle

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-de l’espace. Unité, ordre, et harmonie sont donc les maîtres mots d’une esthétique urbaine qui n’exclut pas les considérations pratiques. C’est pourtant dans ce cadre relativement strict que vont naître les premières expériences d’un urbanisme végétal.

Bien que le lent processus d’embellissement des villes ne soit pas axé sur des problématiques de nature en ville, il implique un rapport nouveau au végétal. Les traces de verdure n’étaient cependant pas inexistantes auparavant, dans une société médiévale, puisqu’elles remplissaient un rôle fonctionnel au sein de celle ci. A Limoges, l’Arbre de Beauvais occupe une place centrale où l’on à coutume de tenir les marchés, les étals éparpillés autour du tronc dans lequel est fichée une barre de fer prolongée d’une lanterne qui tient le rôle d’éclairage public. A partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, on passe d’une logique utilitaire du végétal au quotidien à une perspective d’embellissement des villes, suivant une dimension esthétique toute nouvelle. C’est aussi l’apparition des jardins à la française, expression d’une maitrise absolue de la nature, qui ne ressemble en rien à celle que l’on peut retrouver en milieu rural.

Cette appropriation nouvelle n’est pas anodine puisque le jardin à la française n’est pas le jardin de tous les français, c’est surtout celui de la Royauté et d’une élite de privilégiés. Si les ruraux et les citadins ont désormais le dénominateur commun de la nature dans leurs environnements propres, ils ne sont pas de la même caste. La forme et la manière de faire paysage végétal laissent là aussi voir qu’il y a une classe d’écart : la campagne bucolique d’un côté, les buissons taillés de l’autre. Car malgré ce rapprochement des deux milieux par la nature, la fracture sociale entre province et ville devient de plus en plus prégnante. Les élites bâtisseuses se concentrent en villes, noblesse de robe, gens d’affaires, élites municipales venant renforcer leur position auprès du pouvoir central ; même la noblesse rurale quitte son château de campagne pour une adresse dans la cité, et les décalages culturels se creusent. Cela devient même un ressort comique dans le théâtre : chez Molière, un M. Pourceaugnac de Limoges, arrogant petit noble rustique devenu le dindon d’une farce orchestrée par de rusés Parisiens, démontre de manière implacable la fonction civilisatrice de la ville sur ce brave rural9.

C’est dans un Paris qui acquiert peu à peu son titre de cité centrale de la France que se font les avancées les plus significatives en matière de végétalisation publique. Ces changements viennent s’ajouter à

l’héritage médiéval qui est plus d’ordre privé. Au XVIe siècle, diverses formes d’aménagement apparaissent : jardins de ville, jardins des plantes, promenades plantées sous la forme de cours. Le boulevard prend le relais au XVIIIe siècle, et devient alors le lieu de prédilection de la haute société pour sa bonne distraction, en retrait de l’agitation, des miasmes et autres désagréments de la rue. Lors de son séjour à Paris au printemps 1784, l’Anglaise Madame Cradock apprécie la caractère à la fois bucolique et urbain de cet espace mixte, intégré aux quartiers résidentiels, et en même temps ouvert sur les cultures maraîchères périurbaines : « Nous avons admiré sur les boulevards un jardin ravissant, auquel conduisait une longue allée bordée d’abricotiers et de vignes formant festons, le tout en fleur. Entrés dans un café pour nous y rafraîchir nous y entendîmes un excellent orchestre […]. Une fois reposés, nous avons flâné dans quelques rues nouvelles avoisinantes.10»

AUDACES D’UNE MODERNITÉ ADOLESCENTE

A la fin du XVIIIe siècle apparaissent les prémices de la première ère industrielle. L’architecture des villes évolue, la métallurgie et la verrerie connaissent un grand bond en avant dans la technologie et la production. La ville voit ses traits changer, l’architecture devient structurellement plus efficace, c’est l’adolescence de la modernité. L’alliage acier/verre permet d’alléger la masse constructive, et dote le bâti de plus d’ouvertures. Moins de murs et plus de verre permet évidement un meilleur ensoleillement des constructions nouvelles. L’apparition des serres représente sûrement le paroxysme de cette symbiose matérielle, elles sont nombreuses à émerger dans les villes, et ces écosystèmes sous cloche permettent aux milieux urbains d’entrer dans un nouveau monde de végétation. Au même moment, la foi religieuse est mise à mal par les Lumières, les révolutions, et les aller-retours de régime politique. En France se dessine alors une bascule de paradigme où la science gagne un crédit que la religion perd dans l’ensemble de la société. Les jardins botaniques cristallisent cette mouvance naissante, les mondanités urbaines se mêlent au désir de connaissance émanant de la haute société urbaine. La découverte relativement récente de l’Amérique par le monde occidental amène son lot de curiosités végétales, les tulipes, les jacinthes, auxquelles on peut par exemple ajouter les agrumes méditerranéens, et autres plantes médicinales venant des Indes qui sont autant de nouveautés dans la végétalité de la ville. Début XVIIIe, ces environnements contrôlés n’en sont qu’à leurs balbutiements et la prise de risque est parfois élevée

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-quant il s’agit d’acclimater des plantes exotiques qui ont l’habitude de climats bien différents de ceux qu’on peut trouver en France. Ainsi M. de la Quintinie, directeur des jardins fruitiers et potagers de Louis XIV, conseille de chauffer les serres à la mauvaise saison, en y tenant des lampes, ou des flambeaux allumés pour prévenir du gel. La maîtrise est toute autre cent ans plus tard, dans une époque nouvelle qui voit également fleurir de nombreuses explorations naturalistes à travers le monde, révélant les richesses florales extraordinaires de la planète, qui fascinent sociétés occidentales. La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, en effet, va s’emparer de ces techniques, de ces constructions et de cette manne florale, pour la démocratiser : il est le temps de tous les dépassements, celui où la foi dans la science permet tous les excès, toutes les espérances. Le monde végétal doit suivre ce mouvement et ne plus être soumis à aucune limite d’espace, ni de temps. Balzac ne rêvait-il pas de faire pousser, sur la petite propriété des Jardies qu’il avait achetée à Sèvres en 1837, rien moins que 100 000 ananas qui devaient lui rapporter une fortune11 ?

Dans le Sud, où le temps est plus clément, il n’est pas besoin de contrecarrer la nature. Ainsi arrivent les premiers palmiers et autres arbres exotiques, qui malgré des origines étrangères, se plaisent sous un climat méditerranéen, de quoi poser les premiers jalons des promenades de bord de mer que nous connaissons aujourd’hui. Les eucalyptus seront plantés pour la première fois à Toulon en 1802, les mimosas introduits dans le Sud durant les Second Empire. Cette prolifération de nature exotique ira parfois jusqu’à l’excès. Sur la Côte d’Azur, les palmiers, caractéristiques du paysage, prendront une importance industrielle à partir de 1860, allant jusqu’à provoquer l’agacement, et mettre en le péril tout un écosystème. Récemment, la proportion de palmiers, 17 000 à Nice par exemple, inquiète quant à la prolifération probable du charançon rouge. Certes le palmier est un marqueur identitaire de cette région, synonyme de vacances et de douceur de vivre, mais cela n’a pas empêché Antibes den détruire plusieurs dizaines. Un acte qui laisse planer une ombre sur la pérennité du palmier, le Figaro titrant en 2015 : « Imaginez la promenade des Anglais sans ses légendaires palmiers ! Et, au delà, l’ensemble de l’arc méditerranéen, de Nice à Perpignan, privé de ces arbres majestueux… »12

HYGIÉNISME EN VILLE, LA RURALITÉ COMME MODÈLE

Le XVIIIe siècle est une période charnière dans les modes de conception de la ville puisqu’elle voit émerger le discours hygiéniste

qui construit ses arguments et commence à influer sur les prises de décisions publique. L’explosion des jardins et promenades publiques s’explique donc autant par les plaisirs qu’ils procurent à la population urbaine que par les bienfaits régénérateurs qui leurs sont prêtés. L’œil hygiéniste perçoit la ville de tissu moyenâgeux comme le cancer de la vie urbaine, et on voit apparaître avec l’ordonnance urbaine des tracés régulateurs de la ville nouvelle, l’essor d’une nature aux vertus énoncées plus tôt. C’est à grand renfort de mémoires théoriques et d’enquêtes pré-statistiques que le discours dominant dénonce en effet la surmortalité urbaine, comparée à la vitalité des campagnes. A une époque où les connaissances médicales sont encore obscures, il y a cette idée repandue selon laquelle l’air vicié rejeté par d’innombrables organismes, humains, animaux, ainsi que la pollution occasionnée par les activités économiques implantées au cœur de la ville (tanneries, boucheries, équarrissages), seraient responsables de la ville mouroir et de ce déséquilibre de salubrité entre urbain et rural. De l’hygiénisme ambiant découlera par la suite des utopies de vie en communauté, sur fond de réflexion sociale, mais aussi de qualité sanitaire en lien avec sa végétalité.

UTOPIES COMMUNAUTAIRES ET LIEN VÉGÉTAL

Au XIXe siècle arrivent les avancées de la première ère moderne, qui ne sont pas uniquement d’ordre technique. L’industrialisation entraîne un bouleversement dans la composition des hiérarchies, des strates sociales, et des modes de pensée. Une partie du monde paysan devient ouvrier et rejoint les grandes villes pour y travailler. C’est aussi l’apparition de nouveaux courants de pensées, dits « de gauche », dérivés de la libération intellectuelle du siècle des Lumières. L’arrivée d’une nouvelle caste en transition, les travailleurs, rassemblée sous le toit de la fabrique, combinée à une période intellectuelle faste, aboutit à de nouveaux paradigmes, marginaux, mais pionniers. Certains industriels, disposant d’une manne d’employés importante, se mettent à penser la vie en communauté, sous couvert d’un élan de philanthropie, et d’une volonté de penser le monde du travail comme un mode de vie à part entière.

Le Phalanstère, pensé par Charles Fourier et directement inspiré des réalisations de Robert Owen, entrepreneur Anglais et théoricien « socialiste utopique », est une figure pionnière de la vie en communauté hiérarchisée. Le projet de vie partagée sous un même toit, tend à remplir les besoins vitaux et sociaux de nombreux individus, de 1800 à

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-2000 selon ses planifications. Projet de papier, le Phalanstère entend le travail comme la nécessité d’une époque qui le voit évoluer de manière vertigineuse. Cela impose d’être contrebalancé par des activités de vertu, afin de prévenir une société aliénée par le travail, et donc une société malade. Pour faire simple, le projet du Phalanstère tend à optimiser le travail en regroupant tous ses acteurs sous un même toit, tout en y organisant des lieux de vie et d’activités pour tout le monde, afin de dépénibiliser le travail et le rendre meilleur. De fait, chaque personne au sein du Phalanstère œuvre selon ses affinités, tout en accordant une place particulière à l’agriculture, ainsi qu’aux arts et aux sciences.

Sous l’impulsion de grands industriels, la pensée de Fourier pourra prendre forme, à travers par exemple le Familistère de Guise de Jean-Baptiste André Godin. Dans un élan de philanthropie et d’optimisation de la rentabilité de son usine de poêle à bois, Godin décide de réaliser un édifice qui rassemblera son lieu de travail ainsi que son lieu de vie et celui de ses ouvriers, dans une même zone. Cette main mise sur l’ensemble des ficelles de l’usine lui permet un contrôle sur les actes et mouvements de ses employés, qui en contrepartie se voient proposés une qualité de vie supérieure à ce qu’ils pourraient connaître autrement. Une multitude d’espaces verts est mise à disposition des ouvriers dans ce « packaging de vie » proposé par Godin ; le jardin d’agrément, créé en 1858, comprend un potager, un verger, et une partie agrément, ponctuée de fontaines alimentées de différentes façon, eau stagnante, tourbillonnante, jet d’eau. De quoi proposer une autonomie de vie sur le site de Guise qui verra l’utopie sociale tenir jusqu’en 1969.

Le cas d’étude du Familistère est révélateur de tentatives relativement concluantes quant à la vie en communauté dans le milieu de l’industrie, dans laquelle on retrouve un volet dédié à l’importance de la végétalité. Cependant, en choisissant le site de Guise, dans l’Aisne, Godin choisit un lieu de la ruralité détaché de tout, qui abritera en 1889 jusqu’à 1748 personnes, ce qui est considérable, mais agit plus à l’échelle d’un gros village que d’une véritable ville. Au tournant du XXe siècle naissent les cités jardins, nouvelle forme de végétalisation théorisées par le britannique Ebenezer Howard dans son ouvrage Garden Cities of Tomorrow. Elles tendent à rendre à l’homme une nature bienfaitrice malgré l’exode rurale. Il s’agit d’un désir utopique, qui défend l’accession à la nature pour tout le monde et y compris pour le prolétaire, à une époque où les conséquences de la première période industrielle

commencent à se faire ressentir sur les populations les plus vulnérables, La Cité Jardin, concept combinant urbanité et ruralité© Garden Cities of Tomorrow

Vue aérienne actuelledu Familistère de Guise dans contexte naturel. © Agora des Arts

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-les ouvriers. Composition urbaine organisée d’un genre nouveau, la cité-jardin serait une commune autonome, réduite à 36 000 habitants, circulaire, avec en son centre un parc et des bâtiments publics, et sur ses faubourgs les industries nécessaires à la faire prospérer. Symbolisée par un aimant dont elle se trouve à l’extrémité, la cité jardin se veut être la combinaison parfaite entre ruralité et urbanité, les avantages de l’un, sans les inconvénients de l’autre. La vision d’Howard, urbanisme de papier, ne prendra jamais vraiment forme sous les codes décrits dans son ouvrage. En dehors des réalisations effectuées en Angleterre, aucun autre ne reprendra le concept dans son intégralité, Ainsi, on qualifiera à tort de cité jardin toute réalisation urbaine mariant construction et nature. Sans doute trop idéaliste, sa vision sera pourtant source d’inspiration pour bon nombre de sociétés HBM (Habitat Bon Marché) à l’aube du 20e siècle, dans un contexte de reconstruction d’après-guerre, avec notamment la « Cité du Chemin Vert » à Reims en 1922, et l’instauration des premiers logements sociaux. La cité-jardin du Chemin Vert, comme beaucoup de quartiers de ce genre, ressemble davantage à un petit village inclus dans le tissu urbain rémois qu’à la cité telle qu’on l’entend dans le langage courant actuel. Il s’agit finalement d’une sorte de grand jardin à l’anglaise où les 731 bâtiments - des maisons comprenant deux ou quatre logements - se répartissent sur 30 hectares le long d’allées courbes. Elle deviendra un modèle du genre pour la France entière. La dimension sociale est centrale : les loyers restent modérés et les principaux locataires sont des ouvriers du bâtiment ou des manœuvres ; chaque logement dispose d’un jardin de 300 mètres carrés permettant de cultiver fleurs et légumes, tout cela ayant pour objectif d’améliorer le cadre de vie et faciliter le sentiment communautaire. On retrouvera les mêmes ambitions dans les 32 cités-jardins (qui abriteront 31 000 habitants en 1923) créées par la compagnie du chemin de fer du Nord. En 1930, le CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne) vient couper court au développement de ces maisons ouvrières. La vie en verticalité devient le nouveau modèle architectural du logement social, la cité radieuse du Corbusier en est l’emblème, et l’on retire la pleine terre appropriable aux bénéficiaires de ces nouveaux habitats pour conserver seulement les vastes espaces verts qui viennent entourer les barres de logement.

SIMPLIFICATION PAR LE MODERNISME

Le nouveau paradigme des grands ensembles durera 20 ans, de 1953 à 1973 (date de leur abandon public par les pouvoirs publics français) et représente plus de 6 millions de logements. Ces nouvelles constructions,

Cité Jardin du Foyer Rémois en 1925 © Collection O. Rigaud

Espace Vert, Cité du Lignon près de Genève, 2013 © Wikimedia

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-du fait de leurs grandes hauteurs, dégagent un maximum d’espace au sol, 40% en moyenne, systématiquement végétalisé. On est pourtant loin de l’idée d’une réelle mise en œuvre du végétal, les surfaces sont souvent constituées d’espaces verts, pelouses râpées et arbres sans grâce, faute d’entretien ou de pensée paysagiste aboutie. Les mots eux-mêmes dévoilent ce relatif appauvrissement, « espaces libres » et « espaces verts ». Cela n’empêchera pas le terme « espace vert » de devenir le standard de définition de tous les espaces de verdure privés ou publics, et insérés dans le tissu urbain. Pour l’essentiel, dans les Trentes Glorieuses, on crée dans les grands ensembles des espaces verts utiles (aires de jeux pour les enfants, lieu de promenade ou de sport pour les adultes), homogènes, soumis à un entretien horticole mécanisé et chimique intensif. Cette bascule de « jardin » à « espace vert » résulte également d’une adaptation des politiques d’aménagement en réponse aux demandes de populations aux mœurs évolutives. De simples pelouses aérées s’avèrent désormais plus pertinentes qu’un parc paysager pour permettre les bacs à sables, plus sécurisés et hygiéniques pour les jeunes enfants, les jeux de ballons, les pique-niques, courses à pied, etc. Le même phénomène occupe les banlieues pavillonnaires dans les années 60 : le cadre de vie plaisant posé en alternative aux grands ensembles, au contact de la nature, et loin de l’anarchie urbaine, dispose d’espaces verts là aussi trop abstraits pour qu’ils puissent jouer un rôle autre que sanitaire. L’extension des zones pavillonnaires présente un paradoxe ; elle accroît indubitablement la présence de la nature en ville. Mis à part dans les grandes villes très denses, comme Paris, les espaces verts urbains privatifs occupent en effet souvent plus de surface que les jardins et parcs publics. Au niveau national, on estime que les jardins pavillonnaires couvrent 2% du territoire français. Le paradoxe du pavillon réside dans le fait que malgré ses apports de végétalité en ville, il se propage finalement en péri-urbanisation des villes, et grignote donc du territoire rural, naturel, qui se voit bétonnisé, et auquel on substitue une nature artificielle. Les conséquences sur le paysage peuvent être dévastatrices, notamment du fait de l’artificialisation des sols qui perdent en qualité et porte atteinte à la biodiversité.

CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE ET RENAISSANCE PAYSAGÈRE

La question de la biodiversité vient justement rejoindre et conclure l’historique de la végétalisation de la ville jusqu’à notre époque. La prise de conscience environnementale qui est aujourd’hui une préoccupation centrale des villes n’a finalement qu’une trentaine d’années. Des

prémices voient le jour dans les années 70, après le choc pétrolier de 1974 qui entraine une prise de conscience et des manifestations contre la présence de l’automobile dans les villes. D’étranges mousses commencent à flotter à la surface des rivières, conséquences indirectes des rejets des usines, égouts, et activités de la ville. C’est la fin de l’insouciance et le début de la visibilité de la pollution amenée par la modernité. Dans les années 80, certains événements tragiques comme la catastrophe de Tchernobyl de 1986, mettent fin à la naïveté des autorités sur l’importance de préserver l’environnement. C’est à cette période que le changement de paradigme s’opère. A ce titre, la nature citadine change elle aussi, elle coïncide d’ailleurs avec le renouveau de la pensée paysagiste qui revêt une composante écologique dans les années 80. Il s’agit désormais de défendre la présence du végétal en ville afin d’améliorer la qualité de vie mais aussi de protéger la diversité biologique menacée. Il y a désormais une bascule dans le choix du type de nature que l’on veut voir s’épanouir dans la cité. On va bien sûr conserver les jardins et parcs « à l’ancienne », pourvus d’un végétal apprivoisé et contraint dont la beauté reste appréciée du public. Viennent cependant se poser de nouvelles alternatives formelles et fonctionnelles plus sauvages, comme les friches, ou jardins en mouvements où la nature est laissée à elle même13. Gilles Clément est le grand instigateur de cette mouvance : le concept de « Tiers Paysage » vient qualifier ces espaces délaissés ou non-considérés, les espaces de transitions, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, de voies ferrées rives, et talus. Ce nouveau motif, d’une esthétique invasive, d’une nature vierge, repose sur les codes et les lieux de ces endroits. Les interstices urbains sont pris pour cible d’intervention, mais également pour modèle. Les apparentes « mauvaises herbes » qui poussent sous l’impulsion de cette catégorie paysagiste définissent une nouvelle offre de végétalisation urbaine. Le « jardin en mouvement », toujours décrit par Gilles Clément, s’inscrit dans cette veine de paysage à la fois naturel et artificiel, dépouillé, empirique et faussement désorganisé, comme une sorte de « jardin à l’anglaise » réinventé.

SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES

C’est donc une nouvelle valorisation du végétal, sous toutes ses formes, mais particulièrement les plus naturelles et indigènes, qui voit le jour et s’appuie sur un argument bien rôdé, et plus que jamais au goût du jour : celui des services écosystémiques rendus aux citadins par la nature14.

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-Une étude menée en 2014 par l’association Plante & Cité sur la base de publications scientifiques et en évidence une dizaine de services rendus par la nature en ville. Cette présence verte, bénéfique autant pour la santé physique que mentale, et caractérisée par le jardin thérapeutique, est donc particulièrement adaptée au malade. Réduction des symptômes cardio-vasculaires, des troubles respiratoires et de la mortalité associée, réduction du stress, amélioration de l’état de santé ressenti et de la santé mentale, sont quelques uns des bénéfices mis en évidence par l’approche thérapeutique du jardin, mais qui nécessitent des recherches supplémentaires pour être totalement démontrées15. La dénomination de « jardin thérapeutique » n’est d’ailleurs pas indispensable puisque les études semblent montrer que le moindre carré de gazon, ou la moindre plante ont une effet bénéfique sur les patients. Tout jardin est donc potentiellement thérapeutique sans forcément le revendiquer. La médecine constate également que la distance par rapport au végétal ne nuit pas aux bienfaits indirects de la nature sur les patients. En 1984, un scientifique américain, Roger Ulrich constate que le patient situé dans une chambre d’hôpital donnant sur un paysage naturel se rétablit plus vite de son opération chirurgicale que celui dont la chambre donne sur un mur de brique16.

Au delà de l’aspect médical, très localisé et spécifique, les services rendus par la nature peuvent prendre une ampleur urbaine. Toujours dans la même étude, Plante & Cité démontre que des vertus environnementales peuvent être attribuées à la présence verte en ville. Elle joue par exemple un rôle déterminant dans la réduction de l’effet d’îlot de chaleur urbain, une présence végétale forte pouvant réduire la température d’une ville de presque 2 degrés. Une végétalisation abondante dans les rues et les immeubles (sur les toits et les murs) permet également une meilleure efficacité énergétique. Les effets sur la qualité de l’air sont réels, mais plus diffus et parfois contrebalancés par les réactions allergiques. Des expériences innovantes ont néanmoins lieu, comme celle de la tour parking de la gare Lyon-Perrache dont les murs végétalisés intérieurs contribuent à la dépollution atmosphérique17. La nature peut également agir comme filtre au sein des étapes du traitement de l’eau. A l’usage privé, la phytoépuration - terme désignant les réactions bactériennes agissant aux racines de plantes pour épurer l’eau – intègre le réseau d’évacuation des eaux usées du foyer par des gradins successifs de filtres de différents végétaux. Ces nouvelles eaux, ne sont propres qu’à une consommation différenciée, le système ne générant pas d’eau potable, mais plutôt une eau adéquate à être réinjectée dans la machine à laver ou la chasse d’eau. Il existe mille

Jardin du Tiers Paysage par Gilles Clément sur le toit des cales de Saint Nazaire

Mur Végétal du Parking Lyon Perrache © Atelier Arche

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-manières de pratiquer la phytoépuration, mais nous retrouvons cela dit des dénominateurs communs à cette pratique, notamment dans les techniques de filtrage par les racines, les sables, ou le gravier. Sur un modèle « low tech », la phytoépuration peut également s’appliquer à un centre d’épuration de plus grande ampleur, dans une logique complémentaire. Depuis 2009, dans l’Hérault, une station d’épuration est accolée à un hectare et demi de zones humides comprenant 48 espèces différentes de plantes, choisies pour leur capacité à absorber certains pesticides, métaux lourds ou résidus médicamenteux18. Entre autres services écosystémiques rendus, la nature peut jouer un précieux rôle de régulateur hydrique en cas d’inondation : le bois de Boulogne et le parc André Citroën à Paris, ainsi que les zones humides en amont de la ville, limiteraient ainsi les dégâts occasionnés par une crue trop abondante de la Seine.

Au delà des constatations physiques de bénéfices - souvent invisibles ou non-intentionnels - du végétal au sein de la ville et pour la ville, existe aussi l’idée que la nature puisse faire culture au sein d’un territoire urbain. Depuis plusieurs années déjà, Montreuil est précurseur dans la prise en considération de la nature en ville. La commune est dotée de trois grands parcs, le Parc Montreau, le Parc Jean Moulin, et le Parc des Beaumonts, et aime à rappeler son rôle de faubourg nourricier du maraîchage de la ceinture parisienne. Un statut qui périclitera à partir de la fin du 19e siècle. Il ne faut pas oublier les murs à pêches, vestiges visibles et revendiqués d’une spécialité et fierté locale. Cette culture est en effet assez remarquable pour une banlieue certes séparée du Paris intramuros par le périphérique, mais en tout point liée, proche, et semblable aux arrondissements qu’elle côtoie. Son titre honorifique de « 21e arrondissement de Paris » n’est pas anodin. Montreuil n’est pas une ville « neutre » : ancrée à gauche depuis de nombreuses années, celle qui est appelée « la banlieue rouge » ou « deuxième ville du Mali » s’est également construite sur un passé industriel non négligeable qui disparaitra au profit d’une densification de l’habitat à partir des années 70. A l’origine populaire, aujourd’hui de plus en plus gentrifiée, Montreuil bénéficie à l’heure actuelle d’un contexte actuel très urbain, tout en conservant les traces d’un important passé agricole et rural. La complexité de la ville en fait un cadre pionnier idéal pour des expérimentations en lien avec une idée plus verte de la ville. Ces expérimentations on engendré de nombreux bénéfices culturels pour sa population.

Juste en face de Montreuil, passée l’autoroute A3, se trouve Bagnolet,

une ville séparée par le grand flux routier mais similaire sur de nombreux points. Des tensions existent entre jeunes des quartiers difficiles de Bagnolet, et de Montreuil, et se traduisent par des guerrillas juvéniles entre les quartiers qui se mettent en compétition. Par le passé, ces rivalités résidaient dans des affrontements, des violences, des destructions de voitures, chaque groupe allant semer l’autre. Jusqu’à 2007, puisque séparés par un bras d’autoroute, les deux quartiers étaient reliés par plusieurs ponts et une passerelle. Puis il a été décidé de recouvrir l’A3 sur 670 mètres, permettant un large plateau de franchissement entre les deux quartiers. Cela a tout d’abord permis recouvrir les nuisances sonores, et ensuite de proposer des aires de jeux et des terrains de sport partageables entre tous, tout cela dans une optique d’apaisement. Cela n’a au départ pas eu l’effet escompté, puisqu’avec plus d’espace disponible pour se retrouver à mi-chemin, les deux camps en profitaient pour se battre davantage, en toute « tranquillité ».Preuve s’il en fallait qu’un urbanisme bricolé sur un territoire déchiré par les affrontement ne fonctionne pas toujours. Avec le temps, l’association des parents de Bagnolet-Montreuil tente de diminuer ces rivalités en organisant des repas de réconciliation inter-quartier, au niveau de cette couverture de béton, où ont eu lieu par le passé de nombreux affrontements. L’objectif restant toujours une pacification des jeunes pour la libre circulation de tous, notamment des jeunes enfants, et des personnes âgées, au sein de l’espace public.

SERVICES CULTURELS, L’EXEMPLE DU BERGER URBAIN

Sans être une solution de panacée, la présence de nature et le rapprochement formel de la ruralité peut jouer ce rôle d’apaisement, d’une manière subtile, la non-action non-humaine, ou plus simplement la présence animale peut être à même de rendre un de ces nombreux services, en se posant comme source disruptive d’étonnement, d’amusement, d’étrangeté ou de fascination, dans un contexte tendu. C’est aussi à Bagnolet qu’existe un berger urbain, basé au sein de la cité des Malassis : c’est là qu’il fait ses pâturages, avec 25 bêtes, moutons et chèvres confondus. Les animaux se nourrissent dans les allées et les friches attenantes aux barres HLM, proposant ainsi un beau contraste d’utilité publique. Dans la lignée de ce qu’on appelle « l’éco-pâturage », les bêtes du berger urbain des Malassis, voraces, taillent bénévolement les arbustes et gazons de la ville. A la différence des action classique d’éco-pâturage, ces animaux évoluent et broutent dans leur propre environnement. Cet éco pâturage là est localisé, et ne nécessite donc pas de ramener des ruminants des campagnes

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-plus éloignés, comme cela se fait habituellement dans d’autres cadres urbains. Pratiques donc, ces bêtes en ville. Ce qui est plus étonnant en revanche, c’est de constater à quel point le monde animal peut arrêter le temps et les habitants. Autour de la Bergerie de Bagnolet, ou bien du troupeau de chèvres et de son berger en pâturage, une bulle neutralise le contexte présent. Il se créé des lieux et moments autres, autour des cette anomalie urbaine. Les gens s’arrêtent, discutent, les langues se délient, certains se confient, on apprend des choses que l’on n’aurait jamais sues, qu’il y a des gens dans ces cités, qui en France ou ailleurs, Serbie, Maghreb, Espagne, Mali, entre autres, ont étés bergers, eux aussi, à un moment de leur vie19. Les figures de l’urbanisme social n’ont pas des histoires figées. Des vécus, parfois ruraux, caractérisent des individus. Les personnes âgées, que l’on considère parfois, uniquement par l’environnement dans lequel ils évoluent à l’instant « t » ont pris leurs habitudes dans la petite ferme locale, chacun y trouve sa place, prend sa part20 :

Huguette : « Quand je viens ici, je ne pense pas à mon âge, à la maladie, aux impôts. J’ai envie de peindre, j’ai envie de planter. On échange des graines de coquelicot, de lin bleu. J’amène mes épluchures et je prends du compost pour les plantes, sur le balcon. »

Azzedine : « Je viens chercher du lait de chèvre, de temps en temps. Je le bois le matin avec des dattes d’Algérie, ça me rappelle mon enfance. Et je viens chercher des œufs aussi, ils sont très bons. » André : « J’habite ici depuis toujours. Un jour, je suis passé devant, je suis venu les aider et depuis le temps, je suis toujours là... Je viens souvent faire un petit tour, je viens bricoler. Mes petits-fils viennent aussi. »

Jamel et Enzo : « J’amène mon petit-fils, pour qu’il découvre les animaux. Et puis, il y a des jeux. C’est lui qui demande à venir, il connaît la bergerie car il était à la crèche à côté. »

Pas si dérisoire ou anecdotique, le rôle de ce berger urbain, même si la taille de son troupeau peut paraître famélique. Au delà des services rendus, il créé aussi ici son propre apport culturel, qu’il explique : « Ici c’est pas une ferme pédagogique, c’est pas une boite d’entretien d’espaces verts, c’est pas une association de quartier ou de culture, c’est tout à la fois. Ce qui couronnerait le projet, ça serait de faire bosser des gens du quartier, qu’ils puissent gagner leur vie. »21

Les murs à pêche de Montreuil, carte postale, début du XXe siècle © Coll. Part

Le berger urbain des Malassis en pâturage © Hélène Legay

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-Si le projet du berger urbain amène son lot d’apports culturels, elle tient aussi selon lui de la démarche artistique : « C’est possible qu’un mec se ballade avec un petit troupeau de chèvres dans les rues de Bagnolet, dans les rues de Paris, dans les rues de Montreuil. Si ça c’est possible, ça rend d’autres choses possibles. On dessine sur les murs, on squatte un endroit, on se balade avec des chèvres. C’est comme un graf’, c’est dire : la ville est à nous. »22

Etre berger urbain, c’est aussi une posture critique de la ville, dans la ville. Depuis 2 ans, 4 fois par mois, le berger des Malassis prend ses quartiers dans un des grands ensembles du parc immobilier de Paris Habitat. Il y construit ses jardinières, y installe ses plantations, y trait ses chèvres, parmi les habitants, avec les habitants, et y fait de la sensibilisation, notamment auprès des enfants : « Il faut montrer aux gosses, et aux gens, qu’ils vivent dans un tout petit environnement, assez étriqué, mais que ça peut s’ouvrir, si eux, ils font les démarches. »23

Pouvoir offrir ces possibles, c’est finalement la seule chose que le berger souhaite. Il ne demande pas davantage de moyens financiers à la mairie, il ne demande pas une « véritable » bergerie normée comme on voudrait lui imposer, c’est aussi une manière pour lui de n’avoir de compte à rendre à personnes. Il ne demande pas d’autorisations pour faire ce qu’il fait, il ne tient pas compte des avis, et le clame haut et fort, il parcourt la ville comme bon lui semble. Il ne demande que sa liberté pour mener à bien son « entreprise ». Cependant cette fantaisie proposée, bien que chaleureusement accueillie par le voisinage, se heurte parfois à la réalité d’un monde, de spéculation, de profit, de béton, au pragmatisme froid, que le berger dénonce sur son blog24 dans un poème teintée d’une ironie désabusée :

Les chèvres ça bouffe sur les chantiers Ça bouffe à travers les grilles Ça s’pavanne aux pieds des immeubles

Ça s’balade avec les gosses

Ça bouffe les arbres arrachés par les bulldozers On finit par les aimer, les chèvres

Et pis un jour ... plus rien Enfin si ... des logements Ah ... c’était bien les chèvres

Si l’agriculture urbaine se veut être la forme végétale d’avenir, dans ses promesses modestes mais justes, et réhabilitatives d’un meilleur « vivre ensemble » urbain, encore faudra-t-il qu’elle ne se heurte pas - à l’image de ces chèvres habituées à brouter la friche, et qui bientôt se casseront les dents sur le projet immobilier – à des dynamiques pernicieuses bien connues.

Interlude Critique de Film

Interstellar de Christopher Nolan imagine un monde désertique, aride, où faire pousser des céréales en pleine terre est un impératif de survie, un défi technique, et une cause d’intérêt général pour le monde. Une scène du film en particulier illustre au mieux cette problématique : Une réunion parent-professeur au sujet de l’avenir professionnel d’un adolescent, dans le bureau du conseiller, aboutit sur l’inéluctabilité pour le lycéen de devenir agriculteur, comme son père, malgré des résultats scolaires qui lui permettraient de faire des études supérieures. Cooper, le père et personnage principal, aujourd’hui agriculteur, mais hier ingénieur, pilote, et héros de la NASA d’une époque où le monde courait après le progrès scientifique, ne veut pas de ce futur pour son fils25.

Le conseiller pédagogique ne veut rien entendre puisque les instructions gouvernementales sont claires et irrévocables : le monde ne peut plus se permettre les futilités de la recherche technologique et de la course au progrès, responsables du déclin climatique actuel, les « élites intellectuelles » doivent disparaître au profit de ceux qui prodiguent à la survie de l’humanité, les agriculteurs. Le propos du film de Nolan est multiple, mais un des axes, plus implicite que les autres, est d’opposer deux visions d’un futur incertain du globe. D’un côté fuir d’urgence une Terre qui ne veut plus de l’humanité, coloniser des exoplanètes, et donc continuer à y vivre, plus ou moins comme on peut le faire actuellement dans nos sociétés occidentales, ou bien opter pour la résilience à outrance.

Abandonner toute aspiration, ambition personnelle, besoin superficiel, au profit du bien commun, d’une vie de labeur, et de plaisir « quasi-monacal », afin de pouvoir rester sur notre chère planète. De manière sous-jacente, c’est plus ou moins la vision des « republicans » américains, fervents croyants de la « géo-ingénierie » qui ressort, c’est-à-dire la certitude que ce sont les technologies et sciences pointues, et elles seules, qui nous sortiront du mauvais pas climatique. C’est finalement ce dernier penchant idéologique qui prime puisque par le biais d’une prise de libertés sur la maléabilité des propriétés de la gravité, Nolan désigne Cooper comme héros divin, terraformeur26 d’exoplanètes, dans une logique amplifiée de l’écogénèse ou biosphérisation. L’homme maîtrise tellement la science qu’il est capable de créer une

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-planète de toute pièce, et d’en contrôler l’atmosphère, la température, ou l’environnement. Un message d’espoir délivré par le réalisateur britannique, à l’apparente innocence, mais qui porte finalement une pensée politisée assumée, mais peu claire tant le décryptage expliqué précédemment n’est pas évident au premier visionnage.

Il est évidemment important de poursuivre la recherche scientifique, peu d’experts de la question climatique diront le contraire, et il n’est pas déraisonné de penser que les avancées futures, notamment en terme d’autonomie énergétique, puissent être prometteuses. Là où le propos du film pose question, c’est en partie dans les libertés prises au niveau scientifique, amenant aux facilités scénaristiques cités précédemment. Mais ce n’est pas cela qui interroge le plus. L’ambiguité d’Interstellar se situe plutôt dans cette vision quelque peu dangereuse, mais pas isolée puisqu’on la retrouve dans de nombreux films analogues - on pense ici à Seul sur Mars de Ridley Scott, ou bien Gravity d’Alfonso Cuaron, entre autres - qui voudrait faire d’un personnage le sauveur du monde en perdition. L’homme providentiel, Cooper, incarné par Matthew McConaughey, prend la responsabilité de l’humanité entière sur son dos, comme si la tâche environnementale, à l’échelle du globe, ne tenait qu’à l’action d’un seul homme. Cette réponse individualiste à la cause écologiste est très répandue dans le style hollywoodien dit des « block busters ». Cette vision est dommageable car l’identité environnementale que nous voulons donner, et la teinte qu’elle prend dans les consciences de générations est cruciale, il s’agit d’une impasse d’ampleur globale qui concerne la population à l’échelle mondiale. Le positionnement en tant que victime du pilote Cooper et l’impression de fatalité qui en ressort à travers ses répliques en dit long sur le postulat du film : « La nature ne veut plus de l’Homme sur la Terre ». Comme si l’on se déresponsabilisait des conséquences de l’anthropocène, jusqu’à inverser la réalité même des choses. C’est plutôt l’Homme qui ne veut plus de la Terre, en tout cas de la Terre dans l’état où il l’a amené. La fiction reste indéniablement un médium essentiel de réflexion, de projection, et de sensibilisation environnementale, la question agricole faisant souvent partie intégrante du débat, comme cela peut être le cas d’Interstellar.

Vision fantasque d’une agriculture sous gravité alterée © Capture d’écran Interstellar, par Christopher Nolan

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