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Image et pouvoir en Mésopotamie. L'exemple des bas-reliefs néo-assyriens.

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(1)

Image

et

pouvoir

L'exemple des bas-reliefs néo-assyriens

Luc Bachelot (UMR ArScAn - Orient cunéiforme)

La constitution e t le d é velop pem ent d e l'em pire néo-assyrien (IXe siècle-Vil» siècle) offre une illustration particulièrem ent é c la ta n te d e l'utilisation d e l'im ag e dans l'exercice du pouvoir. Les souverains assyriens du premier millénaire av. J.-C. ont, en effet, d é co ré leurs palais de ce ntaine d e mètres d e bas-reliefs m e tta n t en scène leur m a g n ifice n ce e t leur pouvoir qu'ils voulaient absolu. À peu près tous les spécialistes ont interprété c e tte iconograp hie com m e é ta n t la m anifestation d e la p ro p a g a n d e royale. C ette production répondant, selon eux, au m odèle de la com m unication tel qu'il a été promu par la sém iologie2 e t bon nom bre d 'é tudes se ré cla m a n t du structuralisme.

Or l'exam en précis d e c e t ensemble pléthorique d'im ages et du co ntexte dans lequel il a été élaboré, nous am ène à constater que rien ne relève, ici, de la p ro p a g a n d e proprem ent dite. Nous proposerons plutôt d 'y voir l'expression incantatoire d'u n souverain qui s'adressait certainem en t au grand Dieu tutélaire, à une pe tite co m m u n a u té d e fidèles peut-être e t à lui-même très probablem ent...

De l’interprétation sémiologique de la propagande...

Trois ensembles d e bas-reliefs ont été examinés : celui qui orne le palais d'Assurnasirpal à Kalhu (Nimrud, en Irak du Nord) e t ceux des palais de Sennachérib puis d'Assurbanipal à Ninive (région d e Mossoul). Ce choix correspond d o n c au d é b u t (IX» siècle av. J.-C.) e t la fin de la période (Vil* siècle av. J.-C.) p e n d a n t laquelle se d é v e lo p p a c e tte production.

Le palais d ’Assurnasirpal à Kalkhu

L'ensemble le plus im portant provient d e la salle du trône d e c e palais qui mesurait 47 x 10 mètres e t qui é ta it d é c o ré e d e ces bas-reliefs sur la totalité d e son pourtour (Fig. I ) 3. Malheureusement, une moitié seulem ent d e ces derniers nous est parvenue : ceux du mur sud ainsi qu e ceux des petits côtés est e t ouest. C ela suffit m algré to u t à donner une idée précise de c e q u 'é ta it c e tte déco ra tio n to u t entière. Les bas-reliefs é ta ie n t sculptés sur des dalles d e calcaire fichées dans le sol et le dépassant de 2,50 mètres. Larges égalem ent d e 2,50 mètres, elles é ta ie n t accolées les unes aux autres e t form aient ainsi une frise continue. C hacune d'elles é ta it com posée d e deux registres séparés par un texte d e 18 à 26 lignes, gravé en écriture cunéiform e, a p pelé l'inscription standard. Elle donne la titulature du Roi ainsi que le récit d e ses hauts-faits ou réalisations. La totalité d e c e texte est répétée, à l'identique, sur ch a cu n e d e ces dalles. C haque dalle a reçu une scène différente des autres e t représente d o n c un épisode particulier. L'organisation d'e nsem ble d e ces représentations

1 Le texte présenté ici reprend pour l'essentiel les éléments d 'u n e é tu de plus détaillée, d éjà publiée dans M élanges P. Garelli, Editions Recherche sur les Civilisations, Paris 1991.

2 Les travaux d e Roland Barthes notam m ent sur la sémiologie des images ont exercé une influence considérable sur les études iconographiques. Dans le d o m a in e d e l'archéologie proche-orlentale c'e st I. Winter qui exposé d e la fa ç o n la plus systématique l'interprétation des reliefs néo-assyriens co m m e expression d e la p ro p a g a n d e royale.

3 Nous reprenons sur c e plan la num érotation des dalles données por I. Winter 1981. Le « a » désigne le registre supérieur d e la dalle e t le « b » son registre inférieur.

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correspondait néanmoins à une organisation rigoureuse. La thém atique essentielle d e c e tte iconographie est la puissance royale, qui se manifeste essentiellement dans ses activités guerrières ou la chasse qui symbolise ces dernières. Entre ces orthostates sculptés appelés « reliefs narratifs », é ta it p la cé e une décoration sculptée (en ronde-bosse e t bas-reliefs) représentant des figures apotropaïques, anim aux composites, lions ailés, taureaux ailés, griffons, génies ailés, etc. Ces figures en ca d ra ie n t généralem ent les portes e t les passages e t se retrou- voient sur les façades extérieures, puisqu'il s'agissait d'êtres essentiellement protecteurs.

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Trône

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Damdammusj Sura, Bit Halupe" :.(7p. Adilu (?~

Fig. 1. Plan d e la salle du trône du palais d'Assurnasirpal II à Kalkhu e t e m p la c e m e n t des différents reliefs.

Les scènes d e guerre se répartissent en plusieurs catégories qui sont : la ville assiégée, la chevauch ée au milieu d 'u n c h a m p d e bataille, le butin remis par les populations soumises e t le retour triomphal. C ontrairem ent aux scènes d e chasse, les représentations guerrières sont empreintes d 'u n réalisme facilité par la m ultiplication des détails. La scène, en effet, se d é ve lo p p e sur une, deux ou trois dalles différentes c e qui perm et une grande souplesse dans la réalisation (Fig. 2, n° 18 a). Le Roi se trouve à g a u c h e de la scène et regarde vers la droite dans la direction m êm e vers laquelle é ta it tourné le Roi vivant, assis sur son trône. Il y a dans le relief le reflet d e la situation réelle, co m m e dans un jeu de miroir. Dans la réalité, ou simplement son reflet, c'e st toujours la figure royale qui d onne l'orientation, le sens d e l'action, e t de fa ç o n allégorique, celui de to u te a ctio n possible.

L'interprétation précise d e ces scènes est grandem e nt facilitée par la docu m e n ta tio n textuelle4. Les figures 2 n° 17 a e t b e t 3 n° 3a, 9b, 10b, 11b, correspondent bien aux descriptions des batailles données par les textes retrouvés dans le tem ple de Ninurta situés à proximité im m édiate du palais où se trouvaient les reliefs.

Les représentations des différents épisodes sont disposées dans la salle selon la situation géographique de ces derniers et suivent d o n c un ordre qui va (en pa rta n t de la dalle 23 vers la dalle 1) du sud-ouest, passe ensuite à l'Ouest puis au nord a v a n t d e rejoindre l'est e t sans d o ute le sud. C ette disposition des bas-reliefs semble suivre l'ordre des épisodes a d o p té dans l'inscription standard.

C ette déco ra tio n est caractérisée d 'a b o rd par une am pleur incom parable car, à la salle du trône, il fa u t ajouter les autres pièces ou cours é galem en t décorées d e reliefs, ensuite une forte proportion de scènes à c a ra c tè re symbolique ou cultuel (l'arbre sacré, par exem ple) à cô té d e scènes d e guerre ; enfin, quel que soit le typ e de docum entation, la figure du Roi a p p a ra ît incontestablem ent com m e é ta n t à l'origine de tout événem ent.

Sur le plan stylistique, les tenants d e l'interprétation sémiologique, pour lesquels les reliefs sont oeuvre de p ro paga nde, ont souligné la simplicité d e la construction d e l'oeuvre, destinée à ne pas perturber la com m unication qui serait d 'a u ta n t meilleure qu'e lle serait claire5. Toujours selon les mêmes auteurs, la

4 Grayson A. K. 1976.

5 En d e ç à d e la référence à la sémiologie d e R. Barfhes on repère aisément, dans l'é tu d e d'I. Winter, l'em preinte d e la théorie d e la com m unication telle q u 'elle s'est d é ve lo p p é e aux États-Unis (Shannon C, E. e t Weaver W. 1949) e t d o n t les co n ce pts se retrouvent dans toute la sémiologie.

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simplicité de la structure n'e xclu t nullement la mise en œ uvre d 'u n e grande précision dans les détails c e qui perm ettrait de faire croire à la réalité donc, pour le sens com m un, à la vérité d 'u n e situation. C ette iconographie serait d e plus largem ent « m anipulée »6, ne serait-ce que par la sélection des épisodes représentés parmi une m ultitude d'autres possibles. On devrait d o n c considérer que ces reliefs sont a u ta n t l'illustration d e l'Histoire désirée e t reconstruite par le Roi que celle de l'Histoire réelle. Malgré tout, au-delà de c e t a n cra g e dans la réalité, réalisé par le truchem ent des détails particuliers, anecdotiques e t naturels, qui différencie effe ctive m e n t ch a q u e représentation, c 'e s t bien une tram e préétablie, une structure de base solidem ent construite, bref une grammaire, a-t-on dit7, qui serait à l'œ uvre. Ainsi, les reliefs se développeraient- ils co m m e de véritables phrases a ve c un sujet, puis un com plém ent, e t enfin un verbe.

Les palais d e Sennacherib e t d ’Assurbanipal à Ninive (Fig. 4-8)

Au term e d 'u n e évolution qui se déve lo p p a deux siècles durant, d'autres bas-reliefs prirent p la c e dans les palais gigantesques d e Sennachérib e t d'Assurbanipal (VIIs siècles, av. J.-C.) à Ninive. C om m e c 'é ta it le cas dans le Palais d'Assurnasirpal la salle du trône reçoit une déco ra tio n com p re n a n t des épisodes d e différentes cam pagne s militaires destinés à informer le spectateur d e l'é te n d u e réelle d e l'empire, e t d 'e n indiquer, non seulement les limites mais tous les territoires qui se trouvaient à l'intérieur d e ces terres.

Mais la salle du trône est une exception et l'on observe désormais une te n d a n c e qui consiste à attribuer à ch a q u e épisode représenté une seule et m êm e pièce. Cela se traduit évidem m ent par l'extension considérable de la p la c e disponible pour la composition. Il s'ensuivra des représentations b e a u c o u p plus développées, a v e c l'ap parition dans ces images d 'u n e quantité d e détails qui faisaient d é fa u t dans les représentations antérieures. Les œuvres g a g n a n t en précision, elles tendraient, selon la théorie d e la com m unication, à se rapprocher d e plus en plus de la réalité perceptive. Les reliefs d e Sennachérib m ontrent des épisodes se déroulant sur la mer com m e en pleine c a m p a g n e , où a b o n d e n t les détails naturels (Fig. 4). Un effort certain pour tenter d e donner au moins l'illusion d 'u n espace à trois dimensions est m êm e perceptible. Ainsi en est-il d e l'utilisation des diagonales suivies par les lignes d e sol sur lesquelles se d é p la c e n t les personnages e t qui est une te ntative d e rendre sur une surface quasim ent plane l'illusion d e la profondeur de cham p.

L'organisation d e c e tte iconographie dans son contexte architectural reprend les principes repérés dans le Palais d'Assurnasirpal. Les scènes guerrières se déroulant soit sur mer soit dans un paysage m ontagneux symbolisent les limites territoriales d e l'empire, qui sont la mer M éditerranée à l'ouest e t la chaîne m ontagneuse du Zagros à l'est (Fig. 8). Sur la fa ç a d e extérieure de c e tte salle du trône une représentation d e palm eraie et d e marais indique clairem ent que la scène se déroule en Babylonie.

Autre caractéristique qu'il convient de relever, les inscriptions deviennent d e véritables légendes. Elles apparaissent généralem ent dans des cartouches am énagés dans la com position e t dire cte m e n t gravés sur les reliefs.

Pour le lettré qui se trouvait d e va n t ces images, disent les sémiologues, ce la aurait permis d 'é vite r les mauvaises interprétations. G râce à sa brièveté c e tte légend e ancre l'im ag e dans la réalité e t contraint plus à une interprétation précise que ne pourrait le faire un texte long destiné, par exemple, à co m m e n te r l'im age. Pour le non-lettré, ia précision d e l'im ag e aurait de to u te fa ço n atte in t un niveau tel qu'il n 'y aurait pas d 'a m b ig u ïté possible.

Du point d e vue du contenu, remarquent-il, on parvient a ve c Assurbanipal à l'aboutissem ent d 'u n e évolution iconograp hique où l'im p o rta n ce des sujets cultuels à très forte ch a rg e symbolique, l'arb re sacré ou la libation, par exemple, c è d e peu à peu le pas à des thèmes plus narratifs, plus anecdo tiques dans une présentation plus im m édiatem ent perceptible par le com m un des mortels.

6 Barthes R. 1964, cité p ar I. Winter, 1981, p. 29 col b. 7 Winter I. 1981, p. 17 col b.

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Une telle évolution s'expliquerait par le fait que l'interprétation des images à sujet cultuel ou symbolique nécessiterait une culture approfondie, qui ne pouvait être celle des populations conquises puisqu'elles étaient étrangères8. En revanche, les reliefs narratifs seraient b e a u co u p plus accessibles à tous c a r ils renvoient à l'expérience com m une et, d e surcroît, se trouvent légendés, c e qui fixerait le c a d re de l'interprétation. Il y aurait d o n c moins d e liberté laissée à l'interprétation e t une plus gra n d e p régnan ce d e l'émetteur. De plus, la précision dans le rendu des éléments et leur nom bre qui p la c e n t la scène dans un contexte concret fonctionneraient com m e « un enregistrement de l'ordre naturel »9 e t donneraient au sens construit, particulier, élaboré par l'ém etteur l'a p p a re n c e du donné, d e l'objectif, du naturel, bref d e la vérité. L'empire s'étendant, son hétérogénéité allait ég a le m e n t en a u g m e n ta n t e t il fallait trouver le m oyen d 'é la b o re r un message com préhensible par le plus grand nom bre, d 'o ù l'évolution d 'u n art qui serait allé du symbolique, théoriquem ent difficile à interpréter, à l'a n e c d o tiq u e plus accessible à un large public. La p ro p a g a n d e des bas-reliefs, d e va it concourir à donner à c h a cu n le sentiment qu'il p a rta g e a v e c ses concitoyens un certain nom bre d e valeurs essentielles e t surtout une histoire com m une. Pour qu'il y a it cohésion sociale, il faudrait qu'il y ait véritable c o m m u n a u té 10.

L'empire néo-assyrien devait-il, pour se maintenir, rassembler des individus se sentant ainsi dans un é ta t de com m union ? C 'est c e à quoi nous tenterons d e répondre après avoir analysé c e qu'il en est des reliefs en ta n t que m oyen d e com m unication.

... à l’interprétation symbolique du pouvoir

Considérer les reliefs assyriens com m e oeuvre de p ro p a g a n d e ne va u t que dans la mesure où l'on s'appuie sur une c o n ce p tio n sémiologique, fo n d é e sur une logique d e la com m unication de masse, une com m unication qui serait directe entre le pouvoir e t la population. Une telle com m unication d o it transmettre le maximum d'inform ations au plus grand nom bre e t surtout a ve c le moins d e pertes d'inform ation possible, d 'o ù la simplicité du contenu e t l'abaissem ent nécessaire du niveau d e compréhension requis. Ce schéma correspond, d e fait, à une co n ce p tio n d e la com m unication très co ntem pora ine déterm inée par les moyens e t techniques actuels, particulièrem ent par les mass media, qui p euven t to u ch e r une grande partie de la population. Cela n'est pas d 'u n grand secours pour m ettre en lumière les caractéristiques d e la période néo­ assyrienne. Rappelons d'ailleurs que le term e de p ro p a g a n d e fut utilisé, semble-t-il, pour la première fois, en 1622, au m om ent où fut c ré é e à Rome une C ongregatio d e p ro p a g a n d a fide (a p p e lé e plus tard, à la fin du XVIIe siècle, « C ongrégation pour la p ro p a g a n d e »). Q uand il s'agissait d'in fluencer seulement quelques personnages importants pour q u 'à leur tour ils répercutent l'idéologie du pouvoir, com m e c e fu t sans d oute le cas durant la période néo-assyrienne, on ne pe u t y reconnaître l'exercice d 'u n e véritable propaga nde. Les bas-reliefs assyriens ne furent jamais accessibles aux populations mais à quelques proches seulement : la famille du roi, quelques hauts-dignitaires, sans d o u te les généraux. Seuls ceux-là c o m p ta ie n t aux yeux du souverain. C om m e nous le montre leur histoire, c 'e s t par eux que son destin p o u va it basculer. Ces courtisans, d o n t le Roi avait besoin, devaient, à la vue d e ces reliefs, se sentir solidaires du (ou a ve c) souverain mais aussi entre eux. Le spectacle offert par ces images d e va it renforcer encore la co h é re n ce d e c e petit groupe d e dignitaires d 'a u ta n t plus fiable qu'il é ta it solidem ent uni e t faisait bloc. On p e u t fa cile m e n t déceler au moins trois facteurs qui concouraie nt à c e renforcem ent des liens entre eux. Sur ces bas-reliefs, ils se reconnaissaient com m e « frères d'arm es », confrontés au m êm e danger. Étant ensuite choisis par leur maître, leur Roi, pour figurer ensemble sur ces monuments commémoratifs, ils p a rta g e a ie n t c e t honneur a v a n t de jouir seuls du privilège de voir et d'a d m ire r l'im ag e de leurs exploits. Ils se trouvaient conviés à la consommer. Il y a dans la vision une prise de possession du m onde, une absorption, une incorporation de la réalité extérieure. C ette équivalence a été établie à peu près dans toutes les disciplines anthropologiques (la psychanalyse bien-sûr, mais aussi les recherches sur la mythologie, l'histoire, l'histoire des religions, la philosophie etc....). Voir le m onde équivaudrait d o n c à l'ingérer.

8 Winter I. Idem, p. 29 col a.

9 Barthes R. 1977, p, 47, cité par Winter, 1981, p. 29 co l b.

10 Winter I. idem, p. 30 col. b « The b a ttle scenes serve to crea te a commonHistory for th e Empire w hich reinforces past shared Experience »,

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En effet, à une logique d e com m unication d e masse, directe, il fa u t substituer, q uand on analyse les reliefs néo-assyriens, une logique de com m unication particulière, différenciée puisque peu de m onde pouvait a c c é d e r à ces images. La seule connaissance que po u va it éventuellem ent en avoir une plus large population éta it d o n c nécessairement d e « seconde main », le fa it d e com m entateurs, spectateurs privilégiés par leur fonction ou leur rang, autorisés à pénétrer dans le palais. Il y aura d o n c toujours eu l'intervention d 'u n médiateur, e t l'inévitable co rtè g e des déform ations (volontaires ou non) du message original qui s'ensuit. C ependant, bien qu'ils soient cachés à l'intérieur d e c e lieu clos, fo rce est de reconnaître que to u t dans ces bas-reliefs, leur iconographie, leur style co m m e leur o rd o n n a n ce m e n t dominés par le souci d e précision et d'e xa ctitu d e , é ta it fait, semble-t-il, pour être vu, exposé, transmis,

La prise en c o m p te du contenu d e ces images pe u t à c e t égard fournir une clé d'interprétation. Que nous m ontrent ces images ? Beaucoup d e carnages, que l'on serait te n té d 'a p p e le r : sacrifices, sacrifices humains. Un sacrifice est un don qui s 'a c c o m p a g n e généralem ent d e la destruction de l'être sacrifié. C ette perte est le prix à payer pour recevoir en retour les bienfaits d e celui à qui l'on sacrifie. À c e t échange, le sacrificateur g agne, en plus, d e se hausser au niveau d e la divinité a v e c laquelle il com m unique désormais. Il fa u t égalem en t d e la solennité e t d e la p o m p e à c e t échang e, l'intervention d 'u n spécialiste (l'officiant, le prêtre) est d e mise. C ette m édiation est indispensable. Elle m aintient ég a le m e n t l'é c a rt entre le sacrifiant et le groupe, ainsi qu'entre c e dernier e t la divinité. Or l'é c a rt est toujours constitutif du pouvoir. Ainsi, plus le pouvoir est important, ou se veut tel, plus le recours à la m édiation est nécessaire puisque c e tte m édiation concrétise l'écart, la distance, la différence, l'inaccessibilité de celui qui domine.

De même, l'icon ographie tire, pour une part au moins, son e ffica cité particulière du fait qu'e lle m et en œ uvre une longue série d e m édiations indispensable à son fonctionnem ent. À la m édiation nécessaire de l'o fficia n t pour que le sacrifice porte ses fruits, répond, dans le fonctionn em ent iconographique, la m édiation inévitable du com m entaire, que celui-ci soit différé e t adressé à un vaste public par l'interm édiaire d e quelque h a u t personnage ou m êm e q u 'il soit sim plem ent celui qu e produisait, dans l'im m é d ia t, pe u t-ê tre intérieurement, silencieusement e t pour eux- mêmes, ces individus q uand ils se trouvaient d e v a n t ces œuvres.

On te n ta it par l'im ag e d e soustraire aux méfaits du temps, à l'oubli, c e qu'e lle montrait. C 'est bien toujours c e tte maîtrise du temps, assurée par le m atériau dans lequel elle est façonnée, qui est toujours recherchée dans la fabrication des im ages11. Mais la maîtrise est im parfaite. L'im age reste, mais le sens s'érode, se corrom pt, se perd, com m e dans le sacrifice se perd toujours l'o b je t sacrifié. Faire une im age, c'e st toujours s'exposer, prendre le risque de s'éca rter radicalem en t d e celui à qui l'on veut s'adresser ; risque d e ne plus être compris, c'est-à-dire d e ne plus exister pour lui, d e se perdre donc, d e mourir (sym boliquem ent ou socialem ent) ou d e décle n ch e r e t d'a lim e n te r une hostilité violente. Or c 'e s t la prise de risque qui, co m m e on le sait, éta b lit le prestige du maître sur l'e scla ve 12. Risque d o n c majeur d e la production de l'im ag e e t risque illustré dans c e tte iconographie m êm e par la scène des carnages, des décapitations, des tortures diverses. Nous sommes en présence d 'u n risque (celui d e la co m m unication par l'im ag e) m e tta n t en scène un autre risque (celui de perdre la vie encouru dans les batailles) les deux se renforçant m utuellement. La logique du pouvoir, qui est une logique d e l'é c a rt e t d e la différence, ne peut mieux faire que d e m ettre en scène un sacrifice, qui est l'é c a rt absolu. Sacrifice reconnu d'ailleurs dans toutes les traditions com m e a c te fondateur.

11 Pour une reprise d e l'analyse (constam m ent présente dans la tradition philosophique o ccid e n ta le , n o tam m ent chez Aristote e t Kant) des rapports qui s'établissent, dans la mise en oeuvre des processus d e symbolisation, entre la maîtrise d u temps e t l'instauration d e Id Loi voir Kremer-Marietti A. 1982, e t particulièrem ent le chapitre IV intitulé « Le temps, la symbolisation e t le sym bolique » (pp, 61-92).

12 L'allégorie du maître e t d e l'esclave (Hegel, La phénom énologie d e l'Esprit, Traduction d e Lefebvre e t Guterm an 1939, M orceaux choisis n°l 73, Paris, Gallim ard) est une illustration connue d e c e processus général. A. Kremer-Marietti, en reprend l'analyse a ve c un com m entaire d e c e q u 'e n a va ie n t dit Freud e t à sa suite Lacan (Cf. Le Séminaire, Livre 1, Les écrits techniques d e Freud, p. 248.) Voici les principaux éléments d e c e tte allégorie. Le maître a risqué sa vie, au cours d 'u n c o m b a t singulier e t c'e st c e qui lui confère prestige aux yeux d e l'esclave. En effet, en risquant sa vie, en a c c e p ta n t d e la m ettre en eu, d e la perdre éventuellem ent, le maître montre q u 'il se p la ce au-dessus d e l'existence empirique. L'esclave, lui, est enchaîné à elle, « il n 'a pu s'en d é tach e r dans la lutte, il s'est ainsi m ontré dépendant... Puisqu'il (le maître) dom ine c e t être (la vie) e t que c e t être dom ine l'esclave, le maître aussi le dom in e ». (Phénom énologie d e l'esprit, Lefebvre e t Guterm an, 1939. pp. 176-177). Le maître n'est d o n c pas maître en soi mais par une m édiation double, sinon triple, En effet, il y a d 'a b o rd une double relation, celle qu'il a a ve c le m onde em pirique et, à travers elle, celle qu'il a a v e c l'esclave ; mais le maître n'est maître que par la reconnaissance de l'esclave, là intervient la troisième m édiation. Sans c e t enchaînem ent d e m édidtions il n'y aurait ni maître ni esclave.

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On est d o n c en présence d 'u n système fo n d é sur l'exercice d 'u n rapport de forces d o n t l'une des modalités est l'expression symbolique a v e c ses médiations, ses prises d e risques, ses pertes e t ses dépenses. Le rôle de p ro p a g a n d e a pu être tenu, dans d'autres contextes culturels b e a u co u p plus proches d e nous, par l'utilisation massive d e l'iconographie, mais ce rtainem en t pas à la période néo-assyrienne. L'iconographie était, dans c e c a d re là, la m anifestation sur le plan symbolique, d e l'exercice d 'u n pouvoir qui visait à un ordre où le p a rta g e im portait peu. Les bas-reliefs n 'é ta ie n t pas faits pour les populations, nous l'avons vu, et les quelques personnages importants qui pouvaie nt les voir en é ta ie n t peut-être les destinataires, mais on ne peut s'em pêcher d e penser que celui pour qui ils ava ie n t le plus d 'im p o rta n c e éta it sans d oute le Roi lui-même. N'y avait-il pas là une sorte d 'a u to proclam ation d e la p a rt du m onarque, com m e s'il d e va it pour gouverner et écarter les menaces, les convoitises e t les complots, se persuader lui-même de sa puissance, voir sur ses bas- reliefs l'exercice d e sa maîtrise absolue e t conjurer le mauvais sort ? Il y avait dans c e tte a ttitu d e l'expression d 'u n e sorte d e m agie qui a c c o m p a g n e souvent l'exe rcice du pouvoir, Les relations existant entre le narcissisme, la paranoïa et le pouvoir sont depuis Freud13 des thèmes d 'é tu d e devenus classiques. Convaincus systém atiquem ent e t depuis si longtemps m aintenant que toute organisation, to u t fonctionnem ent, toute vie peut-être se ram ènent à un problèm e de com m unication, nous éprouvons peut-être aujourd'hui quelque difficulté à ad m e ttre q u 'u n e production aussi im portante e t spectaculaire que celle des reliefs néo-assyriens ne fut quasim ent destinée q u 'à son seul instigateur.

Conclusion

Les bas-reliefs néo-assyriens, loin d 'ê tre sim plem ent un m ode d e com m unication du pouvoir (fût-il sous form e d e p ro p a g a n d e ) en sont une condition essentielle. Pas d e pouvoir sans m édiation, sans risque, sans perte et sans image.

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13 Kremer-Marietti A. 1982, p. 65 e t suivantes.

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Fig. 2. Palais d'Assurnasirpal II à Kalkhu dalles 13 à 20 sur le mur sud de la salle du trône

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Fig. 3. Palais d'Assurnasirpal II à Kalkhu, dalles i l à 3 sur le mur sud de la salle du trône

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Fig. 4. Palais de Sennachérib à Ninive (d'après Layard A. H. 1849)

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Fig. 5. Palais de Sennachérib à Ninive, travaux de construction, transport d'une statue colossale pour la décoration du palais

(d'après Layard A. H. 1849)

Fig. 6. Pièce XXXIII du palais de Sennachérib à Ninive (règne d'Assurbanipal). Bataille menée par les armées d'Assurbanipal contre les Elamites,

sur les bords de l'Ulaïet la mort du roi élamite, partie gauche et centrale de la scène

(d'après Layard A. H. 1849)

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Fig. 7. Pièce XXXIII du palais de Sennachérib à Ninive (règne d'Assurbanipal). Bataille menée par les armées d'Assurbanipal contre les Elamites,

sur les bords de l'Ulaï et la mort du roi élamite, partie droite de la scène (d'après Layard A. H. 1849)

(12)

m am

Fig. 8. Pièce XXXIII du palais de Sennacherib à Ninive (règne d'Assurbanipat). Elamite se prosternant aux pieds de son nouveau souverain Ummanigash,

Figure

Fig.  1.  Plan d e  la salle du  trône du  palais d'Assurnasirpal II à  Kalkhu  e t e m p la c e m e n t des différents reliefs.
Fig.  2.  Palais d'Assurnasirpal II à Kalkhu  dalles  13 à 20 sur le mur sud de la salle du trône
Fig.  3.  Palais d'Assurnasirpal II à Kalkhu,  dalles  i l   à 3 sur le mur sud de la salle du trône
Fig.  4.  Palais de Sennachérib à Ninive  (d'après Layard A.  H.  1849)
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