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Habitus informationnel 2.0 : approche parentale et hésitation à la vaccination à l'ère d'Internet

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Maryline Vivion, 2019

Habitus informationnel 2.0 :

approche parentale et

hésitation à la vaccination à l’ère d’Internet

Thèse

Maryline Vivion

Doctorat en anthropologie

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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Habitus informationnel 2.0 : Approche parentale et

hésitation à la vaccination à l’ère d’Internet

Thèse

Maryline Vivion

Sous la direction de :

Raymond Massé, directeur de recherche

Eve Dubé, codirectrice de recherche

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iii

Résumé

Cette thèse porte sur la transformation de l’habitus informationnel à l’ère d’Internet. Bourdieu définit le concept d’habitus comme « […] les dispositions acquises, les manières durables d’être ou de faire qui s’incarnent dans les corps » (Bourdieu, 1984: 29). En me basant sur ce concept, j’ai exploré comment l’omniprésence d’Internet a modifié, entre autres, les façons de s’informer et le rapport aux informations en prenant comme exemple le phénomène de l’hésitation à la vaccination. L’hésitation à la vaccination désigne les parents qui peuvent choisir certains vaccins, retarder la vaccination ou suivre les recommandations vaccinales des autorités de santé, tout en ayant des craintes et doutes importants. Au Québec, près du tiers des parents seraient hésitants par rapport à la vaccination. Selon certains auteurs, le phénomène de l’hésitation à la vaccination serait causé par les informations « anti-vaccins » qui circulent sur Internet. D’autres études indiquent que les parents hésitants peuvent s’inscrire dans une approche parentale particulière, telle que la maternité intensive. En Amérique du Nord, la parentalité est sujette à de nombreuses représentations normatives, dont les modèles dominants sont centrés sur les besoins de l’enfant. Ces idéaux exercent une forte pression sur les nouveaux parents qui doivent prendre de nombreuses décisions concernant la santé et le développement de leurs enfants. Dans un tel contexte normatif, où la recherche d’information est valorisée, voire essentielle, Internet apparaît comme une source d’information incontournable pour les nouveaux parents.

Les résultats de cette thèse sont basés sur une ethnographie en ligne effectuée en 2015. Cette ethnographie a été réalisée par le biais d’observations participantes et non participantes sur des groupes de mamans en ligne, des entrevues individuelles en personne et une veille médiatique sur le thème de la vaccination. Les résultats de cette analyse mettent en évidence le contexte informationnel des mères québécoises et les tensions entre les normes véhiculées par les autorités de santé publique (par ex., la norme vaccinale) et les normes véhiculées par une idéologie santéiste (par exemple, remettre en question le savoir expert). Ce contexte véhiculant plusieurs normes qui peuvent être contradictoires façonne le nouvel habitus informationnel. Par ailleurs, de ce contexte normatif découle l’importance accordée au choix qui devient ainsi la pierre angulaire de l’habitus informationnel. Cela signifie que le choix oriente les modalités de recherche d’information, d’appropriation de l’information et de réflexivité informationnelle visant la construction d’un savoir profane individuel que les mères adaptent en fonction de leurs besoins et de leurs valeurs. Par exemple les mères hésitantes à la vaccination peuvent choisir les vaccins et adapter le calendrier vaccinal en prenant en considération leur situation propre et non pas dans une perspective de santé publique. Par ailleurs, il apparaît que pour certaines mères, la transformation de l’habitus informationnel opéré par le choix s’inscrit essentiellement dans un désir d’affirmation d’identité maternelle.

Mots-clés : habitus informationnel, savoir profane, communauté virtuelle, maternité intensive, idéologie santéiste, ethnographie en ligne

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iv

Abstract

My doctoral thesis focuses on the information habitus transformation in the age of the Internet. Bourdieu defines the concept of habitus as a “[…] system of durable, transposable disposition which functions as the generative basis of structured, objectively unified practices” (Bourdieu quoted in Harker, 2000: 167). Using the concept of habitus, I explored how the Internet has modified how mothers access to, and make sense of, the wealth of information available, using the vaccine-hesitancy phenomenon as a case study. In Quebec, vaccination is not mandatory, and it is estimated that nearly one third of parents are vaccine hesitant. Vaccine-hesitant parents may choose to refuse vaccines for their children, to delay vaccination, or to follow the recommendations of health authorities despite significant fears and concerns. Some authors attributed vaccine hesitancy to the proliferation of negative information about vaccines on the Internet. Other studies indicated that vaccine-hesitant parents adhere to a specific parental approach, such as intensive mothering. In North America, many normative views co-exist, most of them put children’s needs as the priority. Mother’s involvement and dedication are perceived as essential to ensure their children’s development. These ideals place considerable pressure on new mothers who are forced to take numerous decisions regarding their children’s health and welfare. In this normative context, where searching and appraising information is highly valued, the Internet appears to be an unavoidable source of information for mothers.

This thesis is based on the findings of an online ethnography conducted in 2015. Non-participant and Non-participant observations on three online social media groups for mothers, 19 individual interviews with mothers, and media monitoring on the topic of vaccines were conducted. The results highlight the informational context of mothers and the tensions between health authority norms (such as the vaccine norm) and healthism ideology norms (such as questioning expert knowledge). This context, conveying contradictory norms, shapes the new information habitus. Furthermore, this normative context highlights the importance attributed to choice; choice has become the cornerstone of the information habitus. Choice is now the driving force of information-research practices, appropriation of information, as well as informational reflexivity which led to the construction to an individual lay knowledge that mothers can adapt to their needs and values. For example, vaccine-hesitant mothers can choose among recommended vaccinations or adapt the vaccine schedule to their own personal situation, without taking into consideration the public health recommendations and guidelines. For some mothers, the transformation of the informational habitus, with choice as the driving force, is essentially due to the desire to assert their maternal identity.

Key-words: Informational habitus, lay knowledge, virtual community, intensive mothering, healthism, online ethnography.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des figures ... ix

Liste des tableaux ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique générale ... 5

Un bref historique d’Internet ... 5

Utilisation d’Internet ... 6

Les différentes plateformes ... 8

Les producteurs de contenu et leurs motivations dans le domaine de la santé ... 9

Les enjeux de l’Internet santé ... 12

« Cyberpessimisme » et l’inquiétude pour le savoir expert ... 12

« Cyberoptimisme » ou l’émergence d’une société du savoir ... 13

La vaccination ... 16

La vaccination au Québec ... 17

Anthropologie de la vaccination ... 18

Le phénomène de l’hésitation à la vaccination ... 21

Internet et l’hésitation à la vaccination ... 27

L’influence d’Internet sur les décisions vaccinales ... 34

Conclusion du chapitre 1 ... 35

Chapitre 2 : Cadre conceptuel ... 38

Habitus et habitus informationnel ... 38

Le concept d’habitus ... 38

Une sociologie déterministe ? ... 40

Autres critiques de l’habitus ... 47

Bourdieu et les inégalités numériques ... 52

Le concept d’habitus informationnel ... 53

Opérationnalisation du concept d’habitus informationnel ... 54

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vi

Les apports théoriques de l’anthropologie au concept de savoir profane ... 57

Les composantes et les sources du savoir profane ... 63

Savoir profane en opposition au savoir expert ... 65

Internet et le savoir profane ... 70

Communauté en ligne / virtuelle ... 71

Le concept de communauté ... 71

Les communautés virtuelles ... 73

Schéma du cadre théorique ... 79

Question de recherche et objectifs ... 81

Chapitre 3 Méthodologie ... 83

La recherche sur Internet ... 83

Veille médiatique ... 86

Les groupes de mamans ... 87

Rejoindre les groupes ... 87

Observation participante et non participante sur des groupes de mamans ... 91

Les entrevues ... 92

Le journal de bord... 95

Traitement des données ... 95

Analyse des données ... 96

Considérations éthiques et règles de transcription et de présentation des données ... 98

Chapitre 4 : Contexte informationnel en lien avec la vaccination et la maternité ... 99

Vaccination et maladies infectieuses dans les médias québécois en 2015 ... 99

Portrait général de la couverture médiatique ... 99

Couverture médiatique de la rougeole : mise en évidence de la norme vaccinale ... 101

Vaccination VPH : mise en évidence de la controverse ... 104

Les thèmes des échanges : La maternité intensive à l’épreuve du quotidien ... 107

L’importance de l’entourage ... 117

Conclusion du chapitre 4 ... 119

Les médias et les normes de santé... 119

L’idéologie santéiste ... 121

La maternité intensive ... 125

L’entourage ... 130

(7)

vii

Chapitre 5 : Parentalité, communautés virtuelles et habitus informationnel ... 133

La description des échanges ... 133

Rejoindre des groupes ... 133

Cycle de vie des groupes ... 134

La ritualisation des échanges ... 136

Les types d’intervention ... 144

Le rôle joué par les groupes de mères ... 144

L’importance du soutien social ... 146

Le soutien émotif : briser l’isolement et l’importance des pairs ... 146

Le soutien émotif : quand ça ne va pas ... 148

Le soutien informationnel ... 150

Le soutien affectif : L’importance de se sentir utile et le sentiment d’appartenance ... 152

Conclusion du chapitre 5 ... 154

Chapitre 6 : Vaccination : construction du savoir ... 163

De la structure normative à la structure du questionnement ... 164

La vaccination, un questionnement ... 166

Conseils contradictoires ... 166

Hésitation en lien avec une controverse spécifique ... 168

De la maladie hostile à l’hostilité envers la science : la remise en question du savoir expert ... 169

Une conception différente du corps... 169

Contestation des arguments favorables ... 173

L’honnêteté scientifique ... 176

Science et lobbying pharmaceutique ... 178

Savoir expérientiel ... 181

Témoignages du jugement négatif porté par les professionnels de la santé sur les parents ... 182

Immunité de groupe : de la protection collective au bien-être individuel ... 187

Hésitation à la vaccination et information polarisée ... 190

Conclusion du chapitre 6 ... 191

Les modalités de construction d’un savoir en défaveur de la vaccination ... 192

L’hésitation à la vaccination et la construction d’un savoir ... 196

L’habitus informationnel et construction d’un savoir individuel ... 198

Chapitre 7 : Hésitation à la vaccination : le reflet de l’importance du choix ... 201

(8)

viii

Conception populaire du choix informé ... 205

Le partage de références : moyen privilégié pour le choix informé ... 207

Les avantages d’Internet pour le choix informé ... 214

Autre motivation pour la recherche d’information ... 216

Du choix informé au doute ... 218

Détermination de la crédibilité des informations ... 222

Réflexivité informationnelle ... 228

Capital scolaire ... 228

Capital religieux ... 231

Compétences personnelles ... 231

Recul critique face à la place de l’information dans la prise de décision ... 233

Être une mère informée ... 234

Conclusion du chapitre 7 ... 236

Synthèse : Habitus informationnel, maternité intensive et savoir profane... 246

De la défiance à l’égard du savoir expert à la nécessité de devoir s’informer et faire des choix ... 246

Le choix opérateur pratique de l’habitus informationnel ... 248

Les modalités de recherche ... 249

Appropriation des informations ... 252

Réflexivité informationnelle ... 253

La construction d’un savoir ? ... 255

Contributions, limites et recherches futures... 256

Conclusion ... 257

Bibliographie ... 261

Annexe 1 : Les différentes plateformes et leurs définitions ... 305

Annexe 2 : Message envoyé aux modérateurs ... 306

Annexe 3 Résumé du projet de recherche ... 307

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Liste des figures

Figure 1 – Calendrier de vaccination pour les jeunes enfants au Québec. ... 18

Figure 2 – Continuum de l'hésitation à la vaccination ... 22

Figure 3 – L'hésitation à la vaccination représentée sur deux axes ... 24

Figure 4 – Exemple de photographies publiées sur Pinterest ... 32

Figure 5 – Modélisation du cadre théorique ... 81

Liste des tableaux

Tableau 1 : Résumé des arguments les plus fréquemment évoqués sur les sites défavorables à la vaccination ... 36

Tableau 2 : Profil des participantes ... 94

Tableau 3 : Activités réalisées pour la collecte des données ... 96

Tableau 4 : Amorces des publications illustrant les questionnements généraux en lien avec la vaccination ... 203

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x

Remerciements

Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m’ont aidé et soutenu pour l’élaboration de ma thèse.

Pour commencer, mon directeur de thèse, Raymond Massé pour son soutien, ses commentaires, ses rétroactions rapides et ses nombreux conseils durant la rédaction de ma thèse.

Je remercie également Eve Dubé, chercheuse à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Eve a été bien plus qu’une codirectrice en me faisant découvrir la recherche et en m’impliquant dans de nombreux projets. Je la remercie pour sa générosité, sa disponibilité, sa patience et nos échanges constructifs. J’ai énormément appris à ses côtés et cette précieuse expérience m’a permis de devenir une meilleure anthropologue.

Cette thèse n’aurait pu être menée à bien sans les mamans qui ont participé à ma recherche Merci à celles qui ont pris le temps de faire des entrevues et celles qui ont accepté que je rejoigne leur groupe. Merci infiniment !

Ce travail n’aurait pas été possible sans les appuis financiers que j’ai reçus. D’abord une bourse du Réseau canadien de recherche en immunisation (CIRN), une bourse de doctorat en recherche du Fonds de recherche sur la société et la culture (FRQSC) et une bourse de doctorat du Conseil Recherche en Sciences humaines (CRSH) et enfin les bourses de soutien à la réussite offerte par la faculté des sciences sociales. Je remercie aussi l’Institut national de santé publique qui en m’employant m’a soutenu financièrement tout en étant accommodant avec mes horaires. Ces diverses aides financières m’ont permis de me consacrer à l’élaboration de ma thèse.

Au terme de ce parcours, je remercie enfin celles et ceux qui me sont chers et que j’ai quelque peu délaissés ces derniers mois pour achever cette thèse. Leurs attentions et encouragements m’ont accompagnée tout au long de ces années.

D’abord, je remercie mes parents qui m’ont enseigné la persévérance. Ma mère qui m’a toujours soutenu dans mes choix, même si le chemin choisi n’était pas le plus simple. Je

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remercie mon père qui malheureusement n’est plus là pour apprécier la fin de ce projet et qui serait probablement fier de sa petite fille. Mes sœurs et mes frères qui malgré le fait d’être séparés par l’Atlantique m’ont soutenue et encouragée notamment dans les moments éprouvants. Merci à Raphaëlle d’avoir relu ma thèse et encouragée dans la dernière ligne droite : la plus pénible ! Merci à ma grande amie, Chantal Beauchesne pour avoir été là tout au long de ce projet et pour son soutien dans les moments très difficiles. Merci à mon grand ami Christophe Marot pour m’avoir soutenue. Merci à Fanny Defay pour ses textos d’encouragements, Didier Adinolfi, Mona et Rémi. Merci aux collègues et amies de l’INSPQ notamment Dominique Gagnon, qui m’a écoutée quand je lui «expliquais» ma thèse et mes impasses, Armelle Lorcy, Marie-Claude Gariepy et France Bouchard. Merci aussi aux collègues de l’Unité de recherche du CHU de Québec. Merci aux compagnons de thèse qui ont soulagé ma solitude, Catherine Morin-Boulais, Sarah Pezet, Amélie Keyser-Verreault, Jocelyne Zafack et Marilou Kiely.

Enfin, merci à Leo qui est arrivé dans ma vie il y a déjà 4 ans et qui m’a permis de « rester connectée » en me ramenant à l’instant présent. Je te dédie cette thèse.

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Introduction

Cette thèse porte sur la modification de l’habitus informationnel à l’ère d’Internet et son rôle dans la construction du savoir profane en prenant le cas du phénomène de l’hésitation à la vaccination. L’habitus est l’un des concepts majeurs développés par Bourdieu qu’il définit brièvement comme « […] les dispositions acquises, les manières durables d’être ou de faire qui s’incarnent dans les corps » (Bourdieu, 1984: 29). Le concept d’habitus s’applique à différents domaines tels que le sport ou bien la santé (Lewis, 2006a, Ohl, 2004). Par exemple, l’habitus santé réfère à toutes les dispositions incorporées qui orientent les décisions et les pratiques en lien avec la santé (Lewis, 2006b). Le concept d’habitus santé est très large car il regroupe à la fois les pratiques alimentaires, l’activité physique et plus largement les habitudes de vie. Dans cette thèse, je me suis spécifiquement intéressée à l’habitus informationnel. Certains auteurs affirment qu’Internet participe à la modification des habitus (Baltz, 2014, Lewis, 2006a). En effet, depuis sa démocratisation dans les années 90, Internet n’a cessé d’évoluer et occupe désormais une place importante en ayant investi la majorité des domaines de la vie humaine. Telle une déferlante, Internet s’est immiscé dans quasiment tous les aspects de nos vies, au point où nous pouvons nous demander ce qui n’est pas « Googlelisable ». Il apparaît d’ailleurs que les recherches en lien avec la santé sont nombreuses sur Internet (Bernier, 2017b).

Parmi les sujets de la santé sur Internet, la vaccination est un thème qui retient l’attention. En effet, l’association entre l’hésitation à la vaccination et les informations négatives sur la vaccination qui circulent sur Internet a fréquemment été invoquée (Betsch et al, 2010, Betsch et al, 2012b, Zimmerman et al, 2005). Au Québec, on estime que près du tiers des parents seraient hésitants par rapport à la vaccination (Boulianne et al, 2015). Ces parents peuvent choisir certains vaccins, retarder la vaccination ou suivre les recommandations vaccinales des autorités de santé, tout en ayant des craintes et doutes importants (Dubé et al, 2016). Plusieurs auteurs ont réalisé des analyses de sites Internet défavorables à la vaccination, pour mettre en évidence les arguments mobilisés en défaveur de la vaccination (Grant et al, 2015, Kata, 2010, 2012). Une étude a établi un lien entre les informations

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défavorables qui circulent sur Internet et la diminution de l’intention de vacciner (Betsch et al, 2011). Toutefois, cette étude fut réalisée dans un contexte expérimental et comportait plusieurs limites. Des études qualitatives ont mis en évidence que les parents hésitants font de nombreuses recherches concernant la vaccination et mettent en avant leur capacité à s’informer et faire des choix informés (Reich, 2014, Sobo et al, 2016, Ward et al, 2017). Toutefois, bien que ces études évoquent parfois Internet comme source d’information, le rôle d’Internet dans la prise de décision n’est pas exploré. Pourtant, il ne fait aucun doute que l’omniprésence d’Internet a entraîné son lot de modifications. Cependant, ces études qualitatives ont indiqué que les parents hésitants s’inscrivaient généralement dans une approche parentale spécifique qui peut être associée à la maternité intensive (Attwell et al, 2017b, Dubé et al, 2016, Sobo, 2015b, Ward et al, 2017). En Amérique du Nord, la maternité est sujette à de nombreuses représentations normatives, dont le modèle dominant est centré sur les besoins de l’enfant. Ce modèle idéologique, nommé maternité intensive, est présenté comme la façon « appropriée » d’élever ses enfants. Les mères doivent être à l’écoute des besoins psychologiques, affectifs et cognitifs de leurs enfants, les protéger, et s’assurer de leur bon développement comportemental et de leur bien-être (Hays, 1996).

Dans le cadre de cette thèse, je soutiens qu’Internet participe à la transformation de l’habitus informationnel. Afin de mettre en évidence cette transformation, il était nécessaire de prendre en considération le contexte dans lequel les décisions en lien avec la vaccination des nourrissons se prennent. C’est pourquoi, il était nécessaire d’inscrire l’hésitation à la vaccination dans une approche parentale en mettant ce phénomène en lien avec d’autres comportements et décisions de santé. De plus, pour mettre en évidence cette transformation, il convient de décrire l’habitus informationnel initial. Auparavant, le conjoint, les membres de la famille et de l’entourage ainsi que les professionnels de la santé jouaient un rôle majeur dans le domaine de la maternité et ils constituaient les fondements de l’habitus informationnel. Cet habitus s’inscrivait dans la continuité d’une approche paternaliste dans laquelle le médecin détient le rôle de décideur auprès du patient, car il possède le savoir et est considéré comme le mieux placé pour décider ce qui est bon pour les patients (Lalonde, 2015). Par exemple, pour les décisions en lien avec la vaccination, les

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recommandations des médecins étaient traditionnellement au cœur de l’habitus informationnel en étant légitimées par le savoir expert.

Dans le cadre de cette thèse, je soutiens que la quantité importante d’informations accessibles sur Internet, les possibilités de rejoindre des groupes sur les médias sociaux, communément appelés « communautés virtuelles » transforment l’habitus informationnel et participe à la construction d’un savoir profane critique du savoir expert. Ainsi on observe un élargissement du réseau informationnel qui, combiné avec un recul critique de l’approche paternaliste, participe à la transformation de l’habitus informationnel. Dès lors, la réflexivité à l’égard des informations constitue l’une des caractéristiques majeures de ce nouvel habitus. Ainsi, c’est dans une perspective anthropologique que j’ai étudié cette transformation en explorant les liens entre Internet, le phénomène de l’hésitation à la vaccination, la maternité intensive et la construction d’un savoir profane. Pour ce faire, j’ai réalisé une ethnographie en ligne, sur des groupes de mamans en ligne, afin de pouvoir situer la décision en lien avec la vaccination dans un contexte parental plus large.

La présentation de cette thèse est classique et deux grandes parties peuvent être distinguées. D’abord, la première partie, composée des chapitres 1, 2 et 3, présente successivement la problématique, le cadre conceptuel et la méthodologie employée. Le chapitre 1 établit le lien entre Internet et le phénomène de l’hésitation à la vaccination en dressant d’abord un portrait d’Internet, puis en documentant le phénomène de l’hésitation à la vaccination. Le chapitre 2 vise à présenter le cadre conceptuel développé pour cette thèse. Les concepts d’habitus informationnel, de savoir profane et de communauté virtuelle y sont successivement définis pour être mis en relation. En conclusion de ce chapitre, le but et les objectifs de la recherche sont présentés. Le chapitre 3 présente l’approche méthodologique employée. Il s’agit d’une ethnographie en ligne sur des groupes de mamans en ligne (forum et Facebook), comprenant des observations participantes et non participantes ainsi que des entrevues. Cette ethnographie comporte également une veille médiatique sur le thème de la vaccination dans les principaux médias québécois réalisée en 2015.

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La seconde partie, composée des chapitres 4, 5, 6 et 7, présente les résultats basés sur l’analyse des données. D’abord, le chapitre 4 vise à établir le contexte informationnel dans lequel les mères québécoises s’insèrent. Ce chapitre présente donc les résultats de la veille médiatique, les résultats de l’analyse thématique des échanges sur les groupes rejoints et l’importance de l’entourage dans les sources d’information mis en évidence par les entrevues. Ce chapitre permet de mettre en lumière les différentes normes qui agissent sur l’habitus informationnel. Le chapitre 5 a pour objectif d’établir le rôle des communautés virtuelles dans le développement de l’habitus informationnel. Dans ce chapitre, je mets en évidence la façon dont les communautés virtuelles peuvent agir comme des structures qui façonnent l’habitus informationnel en offrant notamment divers types de soutien. Dans le chapitre 6, j’établis le lien entre l’habitus informationnel et la construction d’un savoir profane en m’intéressant spécifiquement à la vaccination. Ce chapitre permet d’une part de distinguer la construction du savoir en ligne et la construction d’un savoir individuel hors ligne. D’autre part, ce chapitre établit le lien entre la construction du savoir profane et l’idéologie santéiste qui réfère à la responsabilité des individus pour se maintenir en santé. Enfin, l’objectif du chapitre 7 est d’établir l’importance du choix dans la transformation de l’habitus informationnel. Dans le cadre de ce chapitre, l’habitus informationnel est opérationnalisé autour des concepts de modalité de recherche d’information, d’appropriation de l’information et de réflexivité informationnelle.

Enfin, le dernier chapitre de la thèse est une synthèse où je résume et mets en relation les principaux résultats issus de chacun des chapitres. Cela signifie que j’établis les liens entre les communautés virtuelles, l’importance accordée au choix et leurs rôles dans le façonnement de l’habitus informationnel et la construction d’un savoir profane.

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Chapitre 1 : Problématique générale

Il ne fait aucun doute qu’Internet a modifié de nombreux aspects de la vie quotidienne en devenant quasiment incontournable. Certains auteurs ont affirmé qu’Internet contribuait à la modification d’habitus (Baltz, 2014, Lewis, 2006a). L’habitus peut être défini comme « les dispositions acquises, les manières durables d’être ou de faire qui s’incarnent dans les corps » (Bourdieu, 1984: 29). Dans le cadre de cette thèse, je me suis particulièrement intéressée aux modifications de l’habitus informationnel générées par Internet. Pour ce faire, je me suis intéressée au phénomène de l’hésitation à la vaccination. L’objectif de ce chapitre est, d’une part, de bien situer Internet et son développement afin de comprendre le contexte socio-technique dans lequel l’habitus informationnel s’est transformé et, d’autre part, d’expliquer le phénomène de l’hésitation à la vaccination et les liens avec Internet.

Un bref historique d’Internet

Dans les années 1970, le développement d’Internet était motivé par la création d’un réseau qui échapperait à la logique du marché (Blaimpain et al, 2000). Les chercheurs de l’agence gouvernementale ARPA1, un organisme sous la tutelle du département de la défense des États-Unis, souhaitaient être en mesure d’échanger des ressources entre différents centres de recherche informatique, sans être tributaires des normes que les fabricants appliquaient à leurs machines pour l’obtention du monopole (Blaimpain et al, 2000: 34). Cet objectif a été atteint par la mise au point d’un protocole de communication (TCP/IP) qui permettait la compatibilité entre les ordinateurs. Ce protocole a été imposé comme standard en accès libre pour empêcher qu’il se retrouve aux mains d’une quelconque instance qui pourrait définir des restrictions (Blaimpain et al, 2000: 25). Plus tard, en 1989, le Web a été créé par des informaticiens du CERN2 qui cherchaient à mettre au point un système efficace de consultation et de stockage des publications. Ils ont pensé à un système de structure hypertextuel qui a entraîné la création de pages électroniques appelées HTML3 (Blaimpain

1 ARPA : Advanced Research Project Agency 2

CERN Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire

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6

et al, 2000). Le HTML est le langage qui codifie les pages en proposant un ensemble de codes qui font partie du domaine public, comme le protocole de communication (Blaimpain et al, 2000: 34). Bien que ces standards soient toujours en accès libre, Internet n’a pas échappé à la logique marchande. En effet, aujourd’hui, Internet repose sur deux conceptions différentes donnant lieu à une lutte d’appropriation de son espace de communication. D’un côté se trouvent ceux qui souhaitent conserver les fondements de la création d’Internet, soit l’échange des données qui échappe aux logiques marchandes. De l’autre côté se trouvent les acteurs économiques qui cherchent à s’emparer de ce réseau qui offre à leurs yeux une possibilité inouïe de nouveaux profits. Microsoft, Apple, Yahoo, Amazon, Facebook ou bien encore Google sont désormais les géants d’Internet et représentent de véritables empires commerciaux. Ils luttent pour l’appropriation d’Internet, notamment en essayant d’acquérir les standards de communication. En 2018, les protocoles de communication sont toujours gratuits et en accès libre, ce qui a permis le développement d’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. La gratuité et l’accès libre des protocoles de communication permettent probablement d’expliquer en partie le développement rapide d’Internet ainsi que sa popularisation.

Utilisation d’Internet

Depuis les années 90, Internet s’est popularisé et est quasiment devenu incontournable pour les activités quotidiennes tel que s’informer, communiquer, magasiner se divertir, etc. Alors que 80,3 % de la population avait accès à Internet au Canada en 2010, l’accès à Internet s’élevait à 91 % en 2017 (Hootsuite, 2017). Au Québec, la proportion d’internautes s’élevait à 88 % en 2016 (Bernier, 2017b). Une enquête sur le profil des utilisateurs souligne qu’au Québec, les hommes utilisent plus fréquemment Internet que les femmes (Bernier, 2017b). Par contre, si certaines activités sont privilégiées par les hommes, la proportion d’internautes qui recherchent des renseignements médicaux ou liés à la santé est clairement plus élevée chez les femmes (84,5 % contre 74 %) (Bernier, 2017b). Outre le genre, l’utilisation d’Internet est médiée par l’âge, c’est-à-dire que l’utilisation diminue avec l’âge. Cependant, il convient de noter que les proportions pour le groupe âgé de 55 à 64 ans n’a cessé d’augmenter, passant de 63 % en 2010 à 87 % en 2016 (Bernier, 2017b,

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Bernier et al, 2012). La présence d’enfants dans les ménages serait également un aspect qui favoriserait l’utilisation d’Internet. En 2016, les ménages ayant des enfants de moins de 18 ans ont un taux d’utilisation de 98 %, contre 85 % pour les ménages sans enfant (Bernier, 2017a). Le niveau de scolarité influence aussi l’utilisation, ceux ayant un diplôme universitaire ont un taux d’utilisation nettement plus élevé que ceux ayant un niveau secondaire ou moins (Bernier, 2017a). Enfin, en 2016, 80 % des internautes connectés à domicile avaient fait des recherches sur des questions de santé (Bernier, 2017b). Les avantages offerts par Internet peuvent expliquer cet engouement pour son utilisation. Tout d’abord, l’information est accessible immédiatement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui offre une très grande flexibilité (Bulled, 2011). Celle-ci permet aux internautes de s’informer et de communiquer au moment qui leur convient le mieux. De plus, il est possible d’interagir avec d’autres internautes sans être restreint par l’éloignement géographique (Tanis, 2008). L’anonymat représente aussi un avantage. Parfois, il peut être difficile de partager des informations privées avec des proches, voire avec un professionnel de la santé, par crainte d’être jugé. Par le biais d’Internet, il est possible pour certains d’obtenir du soutien propre à leur situation, sans être embarrassé (Wright et al, 2003). Il convient toutefois de préciser que cet aspect constitue un avantage sur les forums au sein desquels les internautes peuvent échanger en donnant un pseudonyme. Par contre, la situation peut différer sur certains médias sociaux. Par exemple, Facebook est basé sur l’idée que chaque utilisateur doit fournir une représentation véridique de son identité, avec de vrais amis et de vrais renseignements personnels. En principe, « nous sommes amis avec des gens que l’on connaît » (Casilli, 2010: 209). Par ailleurs, Tanis souligne le caractère asynchrone des conversations comme un avantage d’Internet. Selon cet auteur, cela permet aux utilisateurs de prendre le temps de formuler les messages qu’ils souhaitent publier, ce qui peut être bénéfique quand il s’agit d’un thème sensible, en offrant également l’avantage de pouvoir formuler ses idées sans être interrompu (Tanis, 2008: 702). La possibilité de choisir l’information est aussi un autre avantage. À l’inverse des médias traditionnels, tels que la télévision ou la radio, en un seul mot-clé tapé dans un moteur de recherche, l’internaute peut accéder à toute une diversité d’informations qui ciblent directement ses intérêts. Certains auteurs parlent d’ailleurs d’un « océan informationnel » (Broca et al, 2011a). En somme, Internet offre la possibilité de choisir l’information en lien avec sa

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propre situation, au moment qui convient le mieux, et ce, de façon anonyme (Kivits et al, 2009).

Les différentes plateformes

Bien qu’Internet soit une innovation récente, il a déjà connu plusieurs phases importantes, dont celle du passage du Web 1.0 ou Web 2.0 vers la fin des années 90. Ce passage est qualifié de majeur (Dupagne, 2010, Ruette-Guyot et al, 2009). À l’ère du Web 1.0, les contenus des sites Internet comprenaient des pages statiques, il s’agissait habituellement du transfert d’une communication papier sous une forme numérique (Quiquere, 2016). Le Web 2.0 fait référence à la nouvelle génération d’Internet, caractérisée par la participation des utilisateurs, l’ouverture et le réseautage en opposition à la première génération d’Internet, dont le contenu était contrôlé par les fournisseurs (Ruette-Guyot et al, 2009). Aujourd’hui, l’une des caractérisques essentielles d’Internet est l’interactivité et de cette dernière découleraient les bouleversements entraînés par Internet (Dupagne, 2010). Le Web 2.0 favoriserait l’échange et le partage entre pairs, ainsi que la construction collective de connaissances (Proulx et al, 2010). Pour ce faire, le Web 2.0 met à la disposition des internautes différentes plateformes qui peuvent être utilisées pour échanger avec des pairs (Proulx et al, 2010). Ces plateformes sont les suivantes : les sites Internet, les médias sociaux, les blogues, les forums et les moteurs de recherche. Les plateformes et leurs définitions sont présentées à l’annexe 1. Toutes ces plateformes peuvent être reliées et je dirais même que dans la plupart des cas elles le sont. Les internautes peuvent naviguer sur Internet en passant de l’une à l’autre des plateformes en un simple clic. Certaines organisations offrent des espaces d’échanges de type forum à l’intérieur même de leur site Internet. Certaines d’entre elles offrent la possibilité de les « suivre » en les rejoignant sur Facebook ou Twitter tout comme certains blogues.

Parmi les médias sociaux, Facebook est le plus populaire et mérite qu’on s’y attarde. Facebook est un média social créé par Mark Zuckerberg en 2004 à l’université Harvard (Wilson et al, 2012). Initialement, l’usage de Facebook était limité aux étudiants de cette

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université avant d’être accessible à tous à partir de 2006. Le nombre d’utilisateurs Facebook n’a cessé de croître. En 2010, le réseau social comptait déjà 500 millions d’utilisateurs. Il a franchi la barre du milliard en 2012 pour compter 2 milliards d’utilisateurs actifs en 2017 (Gauthier, 2017). Au Québec, Facebook est le média social le plus utilisé avec 67 % des adultes québécois ayant un compte actif en 2016 (CEFRIO, 2016). Ce réseau social permet d’être en lien avec des « amis », de rejoindre des groupes selon des centres d’intérêt ou de suivre des pages telles que l’actualité. Ce réseau social permet de communiquer avec des amis sur un « mur », de partager aisément des photos, des vidéos ou du texte. Par ailleurs, Facebook offre aussi la possibilité de réagir en laissant des commentaires ou bien en cliquant sur « j’aime ». Depuis 2016, d’autres émotions ont été rendues disponibles par Facebook. Le réseau offre également la possibilité d’utiliser plusieurs applications. Outre les fonctionnalités de Facebook, la gratuité favorise certainement l’engouement pour ce média social. Toutefois, la gratuité a un prix, car le modèle d’affaires repose sur la publicité. En effet, Facebook recueille les informations données par les utilisateurs (sexe, âge, lieu d’habitation, parcours scolaire, orientation sexuelle, statut matrimonial, religion, opinion politique) ainsi que les échanges et les réactions des utilisateurs. Ces données personnelles sont ensuite analysées et permettent de mieux cibler les publicités. Depuis 2017, des controverses liées à l’usage des données personnelles ont été mises en avant. D’ailleurs, en avril 2018, il est apparu que des données privées avaient été utilisées par la firme Cambridge Analatyca pour soutenir la campagne de Donald Trump (ICI.Radio-Canada.ca, 2018). Bien que Facebook continue d’être un média social fortement utilisé, les questions liées à la confidentialité vont peut-être modifier l’utilisation qu’en font quelques milliards de personnes dans le futur.

Les producteurs de contenu et leurs motivations dans le domaine

de la santé

L’intérêt pour les différentes plateformes qui composent Internet repose sur le contenu généré par les différents producteurs. En matière de santé, différents producteurs de contenu ont été repérés sur Internet : les sites gouvernementaux, les sites détenus par des

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groupes d’intérêts tels que les laboratoires pharmaceutiques et les distributeurs de médicaments (Thoër, 2012: 72), les sites associatifs, militants ou non (Thoër, 2012), les sites généralistes tels que Doctissimo ou Passeport santé, et Yahoogroup (Bruchez et al, 2009, Lemire, 2009, Thoër, 2012). Le point commun des organisations est la production d’informations, mais les objectifs visés par chacune d’elles sont différents. Les sites gouvernementaux ont pour objectif d’informer la population sur les services de santé proposés en se basant sur le savoir expert. De plus, Internet peut également être utilisé pour la mise en place d’interventions de promotion de la santé, telles que des programmes pour l’adoption de saines habitudes de vie (Le défi santé), la cessation tabagique, etc. (Giroux, 2009, Gomez- Zamudio et al, 2009). Les compagnies privées qui créent des sites Internet ou même des espaces d’échange ont pour but la promotion de leur produit. Les associations des malades ont également investi Internet. Les sites associatifs peuvent remettre en question le savoir expert ou bien être un relais d’information pour vulgariser le savoir expert. À l’inverse, certaines associations visent à transmettre des informations du terrain vers les experts médicaux. Enfin, il y a aussi les sites associatifs qui peuvent se positionner à l’encontre d’un certain savoir expert tout en revendiquant la reconnaissance d’une autre expertise (Broca et al, 2011a). Dans le domaine de la santé, les sites généralistes jouent un rôle important, notamment par la variété des thèmes qu’ils peuvent aborder. Doctissimo est le site généraliste sur la santé le plus populaire dans la francophonie. Son mandat est d’offrir de l’information vulgarisée sur la santé ainsi qu’un grand nombre de forums (Bruchez et al, 2009: 248). Enfin, les internautes produisent également du contenu, que ce soit sur les forums, les blogues, etc. Leur contribution peut être envisagée selon trois types de motivation. Tout d’abord une motivation financière, par exemple les internautes qui produisent du contenu pour une utilité économique. Dans le domaine de la santé, certains internautes racontent leur histoire et offrent des produits tels que des livres ou des DVD et des services en lien avec un état de santé particulier (Hardey, 2002). La seconde motivation est celle du don, c’est-à-dire que la contribution s’exprime en termes d’échanges qui ne sont pas axés sur la recherche d’une rétribution financière ou matérielle, mais plutôt dans un désir de réciprocité, qui peut être symbolique (Goldenberg, 2010, Proulx, 2012: 52). Les différentes études menées sur Internet en lien avec la santé peuvent mettre en évidence cette motivation. Hardey s’est interrogé sur les motivations de certains internautes qui acceptent

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de consacrer beaucoup de temps pour partager leur expérience, répondre à des questions et donner des conseils. Pour ce faire, il a analysé des pages Web présentant des histoires de maladies chroniques (sclérose en plaques, fibromyalgie, fatigue chronique) (2002). Différentes motivations sont apparues. Certains internautes racontent leur histoire et fournissent des explications dans le but d’informer et d’aider les proches ou toute autre personne à mieux comprendre la maladie (Hardey, 2002). D’autres internautes offrent du soutien en étant une ressource. Cela peut s’effectuer par la remise en question de l’approche biomédicale ou bien par l’évaluation de l’efficacité de traitement en se basant sur leur propre expérience (Hardey, 2002: 38). Pour certains, informer et partager son expérience afin de pouvoir aider les autres peut être considéré comme une responsabilité (Pitts, 2004: 47). On trouve également des internautes qui se perçoivent comme des experts en se faisant les porte-parole d’une approche particulière de la maladie (Hardey, 2002: 39). Dans ce cas-ci, le modèle biomédical est fréquemment remis en question. La plupart des internautes construisent leur témoignage sous la forme d’une longue recherche de traitement et de longues consultations avec des experts biomédicaux, pour enfin expliquer comment ils ont trouvé une solution de rechange. Afin de légitimer les conseils qu’ils contiennent, les récits comportent de nombreux liens hypertextes vers d’autres sites, tels des sites de chiropractie ou d’homéopathie, etc. (Hardey, 2002). Ces motivations se retrouvent aussi sur les sites généralistes. Sur les forums, on trouve les récits de vie, les témoignages et les conseils, laissant une large place à l’expérience, le vécu apparaissant comme un gage de fiabilité (Romeyer, 2012: 16, Thoër, 2012: 70). De plus, les forums offrent la possibilité d’un soutien émotionnel et d’encouragement (Fox et al, 2005).

Enfin, l’acquisition d’un statut sur les plateformes du Web 2.0 serait une motivation importante pour certains internautes (Thoër et al, 2012). Par exemple, sur Doctissimo, les demandeurs d’informations sont qualifiés de « novices » et, à l’opposé, les internautes dont les compétences sont généralement reconnues sont qualifiés de « doctinautes » (Bruchez et al, 2009: 249). Ces profils seraient constitutifs d’une identité. Bruchez souligne : « L’inscription des internautes sous le nom collectif de doctinautes, ainsi que le choix d’un forum particulier comme lieu d’expression privilégiée, contribue à l’établissement d’un

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sentiment d’appartenance et de reconnaissance réciproque, voire de familiarité entre pairs » (Bruchez et al, 2009: 250). Différents statuts de doctinautes existent : les habitués ont publié 50 messages, les doctinautes d’honneur plus de 50 000 messages et, entre les deux, on trouve les doctinautes fidèles, d’argent, d’or et de diamant, etc. (Akrich et al, 2009). En somme, les motivations recensées dans la littérature pour participer à des forums sur la santé sont les intérêts financiers, le désir d’informer et d’aider et l’obtention d’un statut en devenant une personne-ressource.

Les enjeux de l’Internet santé

Internet, en ayant investi de nombreux domaines de la vie, a donné lieu à l’apparition de nouvelles terminologies telles que « culture informationnelle, cyber-culture, infoculture, culture informatique, culture de l’information, culture numérique, e-culture, Web culture » (Baltz, 2014). Ces nouvelles terminologies sont le reflet des modifications entraînées par Internet. Origgi souligne qu’« Internet constitue une révolution culturelle et cognitive profonde, qui a changé notre vie quotidienne » (Origgi, 2013). Des analyses sur les répercussions d’Internet sur la société ont été réalisées, donnant lieu à des métathéories oscillant entre un prophétisme technologique et une position alarmiste. Dans le domaine de la santé, ces craintes étaient notamment liées aux enjeux à l’égard de la diffusion du savoir.

« Cyberpessimisme » et l’inquiétude pour le savoir expert

Parmi les enjeux évoqués par les « cyberpessimistes », la quantité et la qualité de l’information sont parmi les principaux recensés par Lévy et Lasserre (Lévy et al, 2011). La quantité importante d’informations et la propagation rapide de celles-ci ne permettent pas de prendre le recul et le temps de réflexion nécessaires pour analyser une information. Ainsi, pour les « cyberpessimistes », Internet « favoriserait l’indigestion de données douteuses et peu susceptibles de transformer le rapport au savoir » (Lévy et al, 2011: 22). À cela s’ajoute la validation parfois difficile des sources d’information sur Internet. En effet, l’éphémérité d’une information, car les sites Internet peuvent disparaître aussi rapidement qu’ils sont apparus, est doublée de son caractère mouvant. Les informations ne sont plus

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ancrées : elles peuvent être reprises, redirigées et modifiées (Nettleton et al, 2005: 173). La qualité de l’information sur Internet a fait l’objet de nombreuses recherches. Dans le cadre d’une revue systématique sur ce sujet, Eysenbach conclut, malgré le manque de consensus concernant les critères pour juger de la qualité de l’information, que plus des deux tiers des informations circulant sur Internet auraient des problèmes de qualité (informations incomplètes, erronées ou trompeuses) (Eysenbach et al, 2002). Malgré cette forte proportion, Internet n’est pas le seul média véhiculant de l’information de mauvaise qualité. Eysenbach souligne ainsi que certaines études ont montré que 70 % des informations en lien avec la santé véhiculées par la télévision étaient incorrectes ou trompeuses (Eysenbach et al, 2002). Il précise à ce sujet : « The quality of a website should be interpreted in the larger context of information in other media to determine whether the web is the beginning of an epidemic of misinformation or nothing more than a variation of what is endemic » (Eysenbach et al, 2002: 2697). La validation de l’information par les internautes, lorsqu’ils réalisent une recherche, peut être un véritable défi, notamment s’ils sont confrontés à une masse d’informations parfois contradictoires (Gagliardi et al, 2002, Wacogne et al, 2010). Bref, l’accès au savoir par monsieur et madame Tout-le-monde suscite des inquiétudes, car les internautes ne seraient pas en mesure de séparer le bon grain de l’ivraie. Lewis résume la vision des cyberpessimistes comme suit:

In these depictions of online health consumption, the web is portrayed as a risky and potentially dangerous space. Lacking the regulatory and gate keeping mechanisms of traditional media or the evidence base and legitimacy of the medical profession, the web is constructed as an informational quagmire, while the lay person is positioned not as an empowered health consumer but as a potential victim, at risk of being duped by medical misinformation, of being encouraged to engage in "unhealthy behaviours" and/or of developing some kind of compulsive, health-seeking addiction (Lewis, 2006b: 527).

« Cyberoptimisme » ou l’émergence d’une société du savoir

À l’opposé des « cyberpessimistes », qui craignent entre autres la perte du statut d’expert, les « cyberoptimistes » voyaient dans Internet l’émergence d’une société du savoir. Les nouvelles technologies permettraient d’échapper aux formations sociales dans lesquelles l’accès au savoir est limité, afin de le rendre beaucoup plus généralisé et de permettre

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l’épanouissement des individus et des sociétés (Lévy et al, 2011: 20). Lévy évoque l’émergence d’une « intelligence collective », qu’il définit comme « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences […] dont les fondements et le but sont la reconnaissance et l’enrichissement mutuel des personnes » (Lévy, 1994: 29). Internet permettrait de mettre fin au monopole du savoir expert en effaçant les frontières de la connaissance et en mettant à mal les structures hiérarchiques qui se nourrissaient des limitations, de la rétention et du contrôle de la circulation de l’information (Dupagne, 2011: 52, Hardey, 2001).

Les « cyberoptimistes » attribuent aux internautes le développement des processus de filtrage par lesquels ils se réapproprient, d’une manière ou d’une autre, le savoir technique et l’utilisent de manière routinière dans leurs activités quotidiennes (Hardey, 2004: 30). En effet, les internautes ont pu développer des mécanismes d’évaluation, même si ces derniers peuvent être discutables (Morahan-Martin, 2004). Enfin, certains auteurs soulignent que les internautes peuvent faire preuve de discernement et savent repérer les sites commerciaux auxquels ils ne font pas confiance (Dupagne, 2010, Morahan-Martin, 2004, Nettleton et al, 2005).

Internet interpelle et suscite des interrogations et, qu’il s’agisse d’un scénario catastrophe ou de prophéties futurologiques, chacune de ces deux grandes théories nie les espaces de liberté des individus. Ces derniers seraient soumis au déterminisme technologique auquel ils ne seraient pas en mesure de réagir. De plus, les cyberpessimistes postulent en quelque sorte que l’information qui circule sur Internet est nécessairement en opposition au savoir expert; or, il apparaît que ce dernier est mobilisé à des degrés variables. Parfois, le savoir expert biomédical est fortement mobilisé, par exemple dans une communauté sur la perte de poids (Fox et al, 2006). Dans le cadre d’une étude sur les dysfonctions érectiles, le savoir expert pouvait être mobilisé pour les interactions médicamenteuses et le savoir populaire pour l’élaboration de cocktail de médicaments pour augmenter la performance sexuelle (Fox et al, 2006). Enfin, le savoir expert au sein de la communauté proanorexie est

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rejeté notamment parce que le discours biomédical considère l’anorexie comme une pathologie. Ce forum donne des conseils afin de gérer de façon sécuritaire le maintien d’un faible poids tout en gardant une identité proanorexique (Fox et al, 2006). Ces conseils vont à l’encontre des discours issus du savoir expert qui, par ailleurs, y est discrédité.

Les enjeux liés à Internet concernent de nombreux domaines, notamment celui de la santé. Dans le cadre de mon projet de doctorat, j’ai retenu le thème de la vaccination et je m’intéresse plus particulièrement au phénomène de l’hésitation à la vaccination. Ce thème a été choisi pour plusieurs raisons. D’abord, il s’inscrit dans la continuité de mon mémoire de maîtrise : Influence de la moralité populaire et des stratégies de gestion du risque dans le cadre de la vaccination des nourrissons au Québec (Vivion, 2013). Dans le cadre de mon mémoire qui s’inscrivait dans un projet plus large menée par Eve Dubé, les informations en lien avec la vaccination véhiculées sur Internet constituaient un thème qui a émergé, sans toutefois avoir été approfondi (Dubé et al, 2016). Par ailleurs, depuis 2010, je travaille comme agente de recherche à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). J’ai intégré l’équipe de la direction des risques biologiques et de la santé au travail. Plus particulièrement, j’ai rejoint le groupe scientifique en immunisation. Au sein de cette équipe, j’ai collaboré à plusieurs projets, notamment une étude auprès de sages-femmes (Sauvageau et al, 2011), de professionnels de la santé (Dubé et al, 2013b), des mères québécoises (Dubé et al, 2016) et des veilles médias (Vivion et al, 2015, Vivion et al, 2016). J’ai aussi collaboré à la rédaction d’articles sur le thème de la vaccination (Dubé et al, 2015b). L’intégration de l’équipe à l’INSPQ révèle que je suis plutôt favorable à la vaccination des nourrissons et que j’adhère à plusieurs valeurs véhiculées par les autorités de santé publique, notamment celle de bien commun et de justice sociale.

Par ailleurs, outre mon parcours universitaire et professionnel, il convient de préciser ma position personnelle qui a très certainement influencé les orientations de cette thèse. En effet, de façon générale, je partage les caractéristiques sociodémographiques des participantes de mon étude. Je suis une femme blanche qui, au moment du terrain, était fin

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trentaine, mariée et de la classe moyenne, bien qu’issue d’un milieu qui peut être qualifié de modeste. Toutefois, mon expérience de la maternité diffère de celles des participantes, puisque notre enfant était âgé de 4 ans au moment de l’adoption. Cependant, le processus d’adoption m’a certainement sensibilisée aux approches parentales, notamment celles centrées sur les besoins de l’enfant. Étant d’origine française, nous avons bénéficié de quelques conseils et mises en garde supplémentaires, puisque ces approches sont peu populaires en France et étaient en dissonance avec le modèle centré sur la famille que j’avais pu connaître. Afin de prendre en considération ma position qui a orienté mes choix théoriques et méthodologiques, j’ai tenu un journal de bord et j’ai discuté de l’interprétation de mes résultats avec mon directeur et ma co-directrice. L’objectif n’étant pas d’évacuer la subjectivité en la neutralisant, mais de prendre conscience de ses effets sur l’évolution de ma recherche (Laperrière, 1997: 369)

La vaccination

La vaccination est présentée comme l’une des mesures les plus efficaces en santé publique pour lutter contre les maladies infectieuses (Black et al, 2010, Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011). La vaccination de l’ère moderne est attribuée à Edward Jenner qui avait remarqué que les vachères ayant contracté une maladie bénigne de la vache étaient ensuite protégées contre la variole (Guérin, 2007). Depuis l’invention du vaccin, de nombreuses campagnes de vaccination obligatoire ont été mises en œuvre. Moulin évoque les premières destinées aux militaires en Égypte dès 1819, celles-ci étant perçues comme un moyen de rendre l’armée plus robuste (Moulin, 2003: 565). Au Québec, les campagnes de vaccination ont commencé au 17e siècle. À cette époque, les maladies infectieuses représentaient la principale cause de mortalité pour les habitants de la Nouvelle-France. L’épidémie de variole en 1885 a entraîné la formation d’un conseil d’hygiène de la province de Québec (Anctil, 1986: 39). Durant cette période, le programme de vaccination était peu accepté par la population. « La pratique de “la vaccine” se heurte bien souvent à l’hostilité de la population, qui demeure sceptique. Encore à l’étape expérimentale, les vaccins donnent peu de résultats probants […] » (Anctil, 1986: 37). Depuis, les façons de prévenir les maladies infectieuses par des vaccins se sont nettement améliorées. D’ailleurs,

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dans le monde occidental moderne, les maladies infectieuses ne font plus partie des causes principales de mortalité et ont cédé la place aux maladies dites de civilisation : maladies cardio-vasculaires, cancers, accidents (Pouliot et al, 2011).

La vaccination au Québec

Aujourd’hui, la plupart des pays sont dotés d’un programme de vaccination. Au Canada, ils sont sous la responsabilité des provinces. Au Québec, un calendrier vaccinal qui débute au 2e mois de l’enfant est proposé gratuitement aux parents. Ce calendrier peut évoluer, par exemple certains vaccins ont été retirés à la suite de l’élimination de maladies comme la tuberculose, alors que d’autres se sont ajoutés, tels le vaccin contre la varicelle ou celui contre la gastro-entérite (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018c). Aujourd’hui, un nourrisson vacciné selon les recommandations gouvernementales est immunisé, à 18 mois, contre treize maladies, soit six maladies de plus que dans les années 1980 (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018c). De plus, outre les nouveaux vaccins, des doses supplémentaires ont été ajoutées pour certaines maladies, telles qu’une deuxième dose de vaccin rougeole, rubéole, oreillon (RRO) à 18 mois (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018c). Enfin, les innovations technologiques ont permis l’introduction de vaccins combinés, ce qui signifie que plusieurs vaccins sont administrés en une seule injection. Par exemple, le vaccin RRO-Var permet de vacciner contre la rougeole, la rubéole, les oreillons et la varicelle en une seule fois. Cependant, malgré ces progrès, un nourrisson de 12 mois peut recevoir jusqu'à 3 injections lors d’une même visite4

. Le calendrier vaccinal québécois est présenté à la figure 1.

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Figure 1 – Calendrier de vaccination pour les jeunes enfants au Québec.

Source : (Québec.ca, 2018b)

Anthropologie de la vaccination

Les premiers travaux anthropologiques sur la vaccination se sont déroulés dans les pays en voie de développement et s’inscrivaient en grande partie dans la lignée du programme élargi de vaccination lancé en 1974 (Aubry, 2017). L’objectif initial était que la vaccination ait été rendue disponible pour tous les enfants du monde en 1990 (Santoni, 2001). Les premiers travaux anthropologiques visaient en général l’identification des barrières à la vaccination (Hardon, 2004). Ces échecs étaient en large partie attribués à la culture qui était perçue par les organisateurs comme un obstacle à la mise en place des programmes (Massé, 1995: 53). Bien souvent, les campagnes visaient à fournir de l’information et à éduquer en introduisant des méthodes occidentales de prévention, de contrôle et de thérapie. Cependant, ces campagnes étaient des tentatives de substitution d’un modèle de pensée par

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un autre (Caprara, 2000: 129). Même si l’éducation en matière de santé a été un succès en permettant à une population de reconnaître les vecteurs d’une maladie, les représentations préexistantes des causes étaient bien souvent cumulatives et syncrétiques (Nichter, 2008: 44). Les anthropologues ont donc été sollicités et, peu à peu, ils ont fait leur place pour améliorer la mise en œuvre de programmes de santé publique, notamment en matière d’aide internationale. Leur rôle était d’être des « courtiers culturels » en établissant des ponts culturels afin de favoriser la circulation des messages sanitaires (Massé, 1995: 67). Les travaux anthropologiques ont permis de mettre en lumière quatre motifs généraux pour le refus de la vaccination. D’abord, on trouve le refus des vaccins pour des raisons religieuses (Renne, 2011, Streefland et al, 1999a). Ensuite, on remarque le contexte historique et politique dans lequel les programmes s’implantaient, notamment dans le cas des pays colonisés (Feldman-Savelsberg et al, 2000, Hardon, 2004). D’autres se sont intéressés aux contextes sociopolitiques dans lesquels les programmes étaient mis en œuvre, ainsi qu’aux modes de domination impliquée (Nichter, 1995, Renne, 2011). Enfin ressortent les facteurs organisationnels et opérationnels des programmes de vaccination. Il s’agit, entre autres, de l’approvisionnement en vaccins, de l’entretien des infrastructures ou encore de l’attitude des vaccinateurs (Streefland et al, 1999b). Les travaux anthropologiques ont mené à l’abandon du terme résistance pour se substituer au concept d’acceptabilité (Moulin, 2003: 565). Cette substitution ne représentait pas uniquement un changement de vocabulaire, car le concept d’acceptabilité sous-tend la prise en considération des systèmes de pensée des populations pour lesquelles nous souhaitons implanter un programme. Moulin évoque ce concept comme suit : « Au lieu de considérer la résistance comme un phénomène plutôt négatif, l’idée a prévalu d’analyser les représentations et les pratiques des communautés, en admettant qu’elles peuvent être bien fondées, et reflètent des expériences dignes d’attention » (Moulin, 2003: 566). Nichter utilise les concepts de demande active et d’acceptation passive. Dans le premier cas, les parents adhèrent au programme de vaccination, car ils en perçoivent les bénéfices. Dans le second cas, les parents acceptent la vaccination par conformité sociale (Nichter, 1995: 617). Streefland utilise quant à lui trois concepts : l’acceptation, qui peut être plus ou moins active par la population, la demande sociale, qui correspond aux parents qui considèrent que la vaccination est bénéfique, et la non-acceptation, qui correspond aux parents qui n’adhèrent pas aux programmes de

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vaccination (Streefland et al, 1999a). Ces catégories ne sont pas exclusives et les études indiquent qu’une gradation existe au sein de chacune des catégories, les parents étant parfois amenés à changer d’avis (Streefland et al, 1999a). Bref, les anthropologues se sont principalement efforcés de mettre en évidence que les échecs des programmes de vaccination n’étaient pas attribuables à « l’ignorance » des populations, mais relevaient plutôt d’un contexte complexe qui devait être étudié et pris en considération.

Malgré les réussites attribuées à la vaccination, dont l’éradication de la variole ou l’élimination de la poliomyélite dans les Amériques, on assiste, dans les pays industrialisés, à une remise en question de la vaccination (Blume, 2006: 628). Cela a entraîné la réalisation de plusieurs recherches dans les pays occidentaux. Leach et Fairhead ont étudié les inquiétudes en lien avec la vaccination et se sont principalement intéressés à la controverse du vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons (vaccin RRO) et l’autisme. Cette controverse appelée l’affaire Wakefield fait référence au médecin qui en 1998 a publié un article dans le journal The Lancet, établissant un lien possible entre le vaccin RRO et l’autisme. Même si l’article évoquait le rôle du Thimesoral (un ingrédient des vaccins), aucun lien clair n’était établi et l’article indiquait le besoin d’études supplémentaires. Toutefois, Wakefield, qui travaillait au Royal Free Hospital School of Medicine, a donné une conférence de presse dans laquelle il réclamait la suspension du vaccin RRO (Deer, 2004a, 2004b). Cette déclaration a immédiatement suscité la controverse et a engendré des inquiétudes. Bien que cette étude ait été discréditée et que le journal se soit rétracté, les craintes à l’égard du vaccin RRO persistent. Par la suite, les auteurs ont établi un parallèle avec des recherches réalisées en Afrique de l’Ouest. Ils concluent, entre autres, que le rejet des savoirs profanes des parents et le fait de les qualifier d’ignorants ne fait que favoriser la défiance à l’égard des vaccins (Leach et al, 2007). Alors que la plupart des travaux s’intéressaient aux résistances à la vaccination, Brunson s’est intéressé aux parents qui acceptaient la vaccination en établissant une distinction entre une demande active et une conformité passive telle que proposée par Nichter (Brunson, 2013a). Enfin, d’autres anthropologues se sont intéressées au phénomène de l’hésitation à la

Figure

Figure 3  –  L'hésitation à la vaccination représentée sur deux axes
Figure 4  –  Exemple de photographies publiées sur Pinterest
Tableau 1 : Résumé des arguments les plus fréquemment évoqués sur les sites défavorables  à la vaccination
Tableau 2 : Profil des participantes
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