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En attendant la vague (roman) : suivi de Représentation de la fuite par le voyage dans la littérature à l'ère du 2.0

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Priscille Gélinas, 2018

En attendant la vague- Roman suivi de Représentation

de la fuite par le voyage dans la littérature à l'ère du 2.0

Mémoire

Priscille Gélinas

Maîtrise en études littéraires - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

La première partie de ce mémoire est constituée d’un roman faisant le récit d’une jeune femme de 24 ans en pleine crise existentielle qui, du jour au lendemain, se retrouve au Salvador afin de prendre du recul sur sa vie. À travers ses aventures où la jeunesse et l’insouciance sont à l’honneur, des réflexions profondes sur ce qui l’a amenée à fuir, et sur sa définition du bonheur, ne cessent de lui rappeler que cette pause ne durera pas éternellement. Ce roman fragmenté entre Le voyage et L’avant ouvre une fenêtre sur une génération qui tente de tracer sa place d’un trait coloré dans un monde où tout a été pensé en noir et blanc.

La partie réflexive du mémoire porte sur la place que prennent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la littérature de voyage contemporaine. Pour faire référence au roman qui précède, la fuite, comme motif du voyage et thématique centrale de la recherche, sera mise en relation avec la réalité du 2.0, pour étudier les divers effets que les réseaux sociaux, téléphones intelligents et autres TIC ont sur la concrétisation de cette évasion.

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Abstract

The first part of this memoir consists of a novel telling the story of a

24-year-old woman in the middle of an existential crisis who, from one day to the next, finds herself in El Salvador to take a step back from her life. Through her adventures where youth and carelessness are honored, deep reflections on what led her to flee, and on her definition of happiness, keep reminding her that this break will not last forever. This novel fragmented between ‘’Le Journal’’ and ‘’L’avant’’ opens a window on a generation that tries to trace its place with color in a world that was meant to be black and white.

The reflective part of the thesis focuses on the role of new information and communication technologies (ICTs) in contemporary travel literature. To make reference to the preceding novel, flight, as a motive for travel and a central theme of research, will be related to the reality of 2.0, to study the various effects that social networks, smart phones and other ICTs have on the concretization of this

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... IV REMERCIEMENTS ... VI EN ATTENDANT LA VAGUE ... 1 REPRESENTATION DE LA FUITE PAR LE VOYAGE DANS LA LITTERATURE A L’ERE DU 2.0 ... 163 INTRODUCTION ... 164 1. ÉTAT DES ÉTUDES LIÉES À LA QUESTION ... 166 1.1 Le voyage ... 166 1.2 La fuite ... 169 1.3 Le 2.0 ... 172 2. PRÉSENTATION DES ŒUVRES DE RÉFÉRENCE ... 175 2.1 Critère de sélection des œuvres ... 175 2.2 Le corpus ... 176 2.2.1 Les petites tempêtes, de Valérie Chevalier ... 177 2.2.2 Le saint patron des backpackers, de D. Strévez La Salle ... 178 2.2.3 Les cigales, d’Antonin Marquis ... 178 2.2.4 En attendant la vague ... 179 3. REPRÉSENTATION DU VOYAGE CONTEMPORAIN ... 180 3.1 Les petites tempêtes ... 180 3.2 Le saint patron des backpackers ... 181 3.3 Les cigales ... 183 3.4 En attendant la vague ... 185 4. CONSTATS ... 187 CONCLUSION ... 190 BIBLIOGRAPHIE ... 192

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Remerciements

Merci à Alain Beaulieu, mon directeur de maîtrise, qui a vu en moi un potentiel qui était alors insoupçonné et pour être la personne accessible et authentique qu’il est malgré la grande figure littéraire qu’il représente à mes yeux ainsi que dans tout le monde de la littérature québécoise.

Merci également à Olivier qui a pris soin de mon moral en m’écoutant et en m’encourageant lorsque personne d’autre n’aurait pu le faire.

Et finalement, merci à ma famille, mon entourage et tous ceux qui ont permis à la créatrice de créer…

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À ma génération…

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En attendant la vague

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Le voyage

1er jour

Cela fait presque une heure que je suis assise dans cette fourgonnette poussiéreuse. J’ai si chaud que je ne compte plus les ruisseaux qui suivent tous les plis de mon corps. Ils sont là pour y rester, je l’ai compris. Le chauffeur, un garçon d’à peine seize ans, parle au cellulaire tout en dépassant une camionnette dont la boîte est remplie de militaires qui m’observent en souriant.

De plus en plus anxieuse, j’aimerais demander au jeune homme si nous arrivons bientôt, mais il ne parle que l’espagnol. La seule raison qui m’a amenée à monter dans sa voiture à l’aéroport de San Salvador, c’est qu’il avait mon nom dans son cellulaire. J’en ai conclu qu’il avait été engagé par l’hôtel pour venir me chercher. Mais il reste que j’ai ignoré plusieurs fois ses signes avant de me décider à le suivre. Une touriste canadienne de 24 ans qui voyage seule en Amérique centrale n’est jamais trop prudente. Tout ce que je sais, c’est qu’en principe je me rends à l’hôtel La Sombra à El Tunco. Or, après trois quarts d’heure à voir défiler des villages, des kiosques de mangues en bordure de route et des vaches sorties de nulle part, je suis encore là à me demander si je ne viens pas de me faire vendre à un réseau de trafic humain. Un gros merci aux multiples films d’enlèvement que j’ai visionnés dans ma vie.

Alors que je commence à désespérer d’arriver vivante à destination, la fourgonnette ralentit pour arrêter devant une barrière. Sur une affiche je lis « Bienvenido a El Tunco ». Ainsi, grâce à mes bases presque inexistantes en espagnol qui m’ont pourtant rapporté un « A » en cours de langue à l’université, je comprends que je suis arrivée à destination. Pas folle, la fille!

Une fois dans le village, le conducteur se gare devant un bâtiment orange brûlé. Il termine finalement son appel et m’indique l’immeuble. Son sourire me fait réaliser qu’il est plutôt mignon. Il faut dire que je ne l’avais pas encore regardé d’un

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œil très réceptif. Je le remercie de mon plus beau « Graciâs » québécois, et il repart aussitôt.

Mon sac sur le dos, je me dirige vers l’entrée de La Sombra en contournant la piscine creusée. Dans le lobby, une femme corpulente et à la peau luisante m’accueille gentiment et me donne quelques instructions avant de me tendre la clé quand elle comprend que je suis un imposteur de la langue.

Ma chambre se trouve au deuxième étage, ce qui est une bonne chose puisque j’ai tendance à croire que cela limitera le nombre de bestioles avec lesquelles j’aurai à séjourner. J’y retrouve le strict nécessaire : un lit, une table de chevet, une lampe, une étagère de rangement et, le plus important, l’air conditionné dont j’empoigne la manette de contrôle pour le mettre en marche. Il a beau être 17 heures, j’ai toujours aussi chaud. Sans prendre le temps de vider mon sac, j’enfile mon bikini pour aller plonger dans la piscine qui m’a fait du charme un peu plus tôt.

Depuis que je suis petite, l’eau me procure un bien-être vivifiant. J’en profite pour effectuer quelques vrilles et brasser mes cheveux qui me collaient sur la nuque depuis ma descente d’avion. De retour à la surface, je comprends que je viens d’offrir un drôle de spectacle à ceux qui prennent place autour de la piscine. Mon état de bien-être se transforme aussitôt en gêne jusqu’à ce qu’un garçon lève son verre dans ma direction.

— T’as l’air d’une fille qui est due pour une bière!

Avant même que j’aie le temps de comprendre qu’on s’adressait à moi, le jeune homme qui doit avoir la vingtaine avancée me tend une Miller que j’accepte sans me faire prier.

— Moi, c’est David, se présente-t-il en me tendant la main.

Il n’est pas très grand, mais sa carrure est plutôt impressionnante. Sa casquette bien callée ne réussit pas à masquer ses grands yeux bleus, qui me le rendent d’emblée attachant.

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— Elle, c’est Caroline, ma blonde. Et eux, Philippe et Stéphanie. Le petit groupe me salue en même temps.

— Vous êtes tous Québécois?

— Non, moi je suis de l’Ontario, répond Stéphanie.

À en entendre son accent, j’aurais pu le deviner. Je suis un peu embarrassée de me présenter à eux en bikini, mais en dépit de mon manque de vêtement, mes bonnes manières prennent le dessus. Alors que je leur serre la main, je sens leurs regards se poser sur mon corps un peu trop blanc. Particulièrement lorsque j’arrive devant Philippe et Stéphanie, qui semblent avoir passé une partie de leur vie au soleil. Quant à Caroline, elle est blonde aux yeux bleus, donc son teint se rapproche davantage du mien.

Nous passons l’heure suivante à faire plus ample connaissance autour de quelques bières froides. C’est fou comme la Miller se boit bien! Si bien que je suis au Salvador depuis à peine quelques heures et j’ai déjà l’impression de m’être fait de nouveaux amis. Je dois cependant rester vigilante. Si je me mets à leur dire à quel point je les aime, c’est que j’aurai pris une bière de trop.

— Bon, on va en ville? lance Philippe. C’est bien beau la bière, mais moi, j’ai faim.

Du haut de ses six pieds quelques, il s’étire et frotte ses cheveux bruns légèrement bouclés qui n’ont pas tout à fait séché depuis sa dernière baignade.

— Moi aussi, poursuit Stéphanie. Je vais me changer et on y va. — Je vous accompagne, dis-je.

Dans ma chambre, je tire sur la robe soleil qui dépasse de mon sac et l’enfile. J’attache mes cheveux en un chignon mottoneux sur le dessus de ma tête (ma spécialité) et applique une couche de mascara sur mes cils. Je ne sais pas où nous allons, mais pour cette première soirée de ma nouvelle vie, j’ai envie d’être jolie.

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Quand j’arrive au bord de la piscine, tout le monde est là à m’attendre. Stéphanie, maintenant vêtue d’un short très court mettant ses longues jambes en valeur, nous invite à la suivre. Alors que nous commençons à marcher, je remarque que Philippe me regarde avec un petit sourire en coin. Je le lui renvoie, légèrement mal à l’aise, et il s’amène à mes côtés, derrière les autres.

— Personnellement, j’aimais bien le bikini, mais t’es très cute comme ça aussi, marmonne-t-il.

La chaleur me monte aux oreilles. Qu’est-ce qu’on répond à ça? Après six ans de relation, je ne suis clairement plus dans la game. Il me semble que c’est raide comme entrée en matière…

— Merci, toi aussi, tenté-je.

Il me décoche un regard perplexe.

— Ben, pas que t’étais mieux en bikini, ça serait bizarre, mais, tsé, tu comprends, t’es cute aussi… Quoique cute ça fait un peu juvénile pour un homme. Je me demande d’ailleurs pourquoi c’est plus approprié de dire qu’une femme est cute. Me semble qu’un garçon de treize ans peut être cute, mais pas un gars de mon âge. T’as quel âge au fait?

Bravo pour cette belle nonchalance face à un compliment. Philippe me dévisage, intrigué, mais amusé.

— J’ai 26 ans et les bikinis, je garde ça pour chez moi. Il rit, me fait un clin d’œil et pose son bras sur mes épaules.

Nous marchons quelques minutes dans ce qui ressemble à un centre-ville abandonné. Quelques poulets et chiens errants parcourent la rue en pavé dépareillé à nos côtés, mais les citoyens manquent étrangement à l’appel. Pendant un moment, je commence même à me demander comment nous allons trouver un endroit où manger si personne ne vit ici. À ma grande surprise, nous finissons par entrer dans une cabane en ciment blanc à l’intérieur de laquelle trois tables sont disposées. Une petite télévision dans un coin et un gros ventilateur dans l’autre s’ajoutent au mobilier. Les murs sont parsemés d’affiches de Coca-Cola et d’autres

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publicités. Une fois assis dans ce qui semble être un casse-croute typique de la ville, nous commandons divers mets au poulet ou aux fruits de mer accompagnés d’un bouillon plutôt fade et de galettes de maïs. Je n’arriverais pas à dire si j’aime ça ou pas, mais j’ai si faim que j’engloutis le contenu de mon assiette sans même me poser la question.

Après le souper, David propose d’aller faire un tour sur la plage pour digérer notre repas. Proposition qui me réjouit étant donné que je ne suis pas allée voir l’océan depuis que je suis arrivée. En plus, il s’agit de l’océan Pacifique, ce qui veut dire qu’à l’heure qu’il est, nous allons assister au coucher du soleil. Ça promet d’être magnifique!

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L’avant

Six ans avant le départ : la rencontre

Je t’ai vu pour la première fois dans un bar, rue Wellington. J’étais sortie avec mes copines pour fêter les 18 ans de mon amie Geneviève. Dans ces soirées, tout ce qui nous intéressait, c’était de boire de la vodka canneberge et de se déchaîner sur le dancefloor jusqu’à ce que l’une d’entre nous doive sortir « prendre l’air » pour finalement dégueuler sur sa belle robe à paillettes trop courte.

Je me félicite encore de ne pas avoir exagéré sur l’alcool ce soir-là afin de prendre soin de Geneviève, sans quoi je ne t’aurais peut-être jamais rencontré. J’étais en train de danser quand j’ai croisé ton regard. D’une certaine façon, ça n’avait rien de particulier comme moment, étant donné que tous les hommes de la place avaient les yeux rivés sur nous depuis le début de la soirée. Une bande de filles de 18 ans qui a pris des heures à se chixer en buvant des Smirnoff au melon d’eau, ça passe rarement inaperçu dans un bar, sauf que tes yeux verts ne m’ont pas laissée indifférente. À vrai dire, ils m’ont tout de suite captivée. J’étais là, au milieu des danseurs, à te fixer à l’autre bout de la pièce, comme si tu essayais de me dire quelque chose alors que je ne t’avais jamais vu de ma vie. Juste avant que ça devienne bizarre, tu es venu vers moi. Plus tu t’approchais, plus je te trouvais beau. Tout le monde se déhanchait sur un beat de Pitbull, mais mes sens étaient devenus sélectifs. Je n’entendais la musique qu’en bruit de fond, bien qu’elle soit excessivement forte, et ma vue embrouillait tout ce qui n’était pas toi. Face à moi, tu m’as demandé dans un lent mouvement des lèvres si je voulais danser, et je n’ai pu qu’esquisser un sourire attendri en guise de réponse. J’étais complètement sous le charme.

De nos jours, quand un homme nous approche pour danser, il ne nous demande pas notre avis. Sournois, il arrive par derrière et se frotte sur nous

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comme un chien mal dressé qui zigne la jambe des invités au party de Noël. Mais toi, tu savais comment t’y prendre.

Nous avons passé le reste de la soirée à danser collés et à nous embrasser comme des amants de longue date ne se le permettraient pas en public. Nous ne l’avons plus jamais refait d’ailleurs. Quand les coups de trois heures ont sonné, nous avons échangé nos numéros. J’ai découvert que tu t’appelais Vincent, et nous nous sommes revus trois jours plus tard pour ne plus jamais nous quitter pendant six ans. Six ans, jusqu’à cette nuit…

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Le voyage

1er jour

Assise sur le sable noir, je m’extasie devant le spectacle qui se déroule sous mes yeux. Avec mes nouveaux amis près de moi, je me sens bien. Je ne peux refouler l’émotion qui monte en moi. Je la sens au creux de mon ventre, se fraie un chemin jusqu’à ma gorge, menace de m’étrangler si je ne la laisse pas sortir. Des larmes se forment au coin de mes yeux et coulent sur mes joues, puis dans mon cou. Je pense à Vincent qui est sûrement en train de me chercher dans toute la ville. Au fond, je ne suis pas certaine du type de sentiment qui m’habite, mais je sais que le moment est mal choisi pour en faire l’analyse.

J’essaie de me ressaisir, puis constate que David a été témoin de mon moment de faiblesse. Je ressens instantanément un malaise, mais il m’offre un regard de compassion, comme s’il me comprenait alors que je peine à mettre des mots sur ce qui m’arrive.

— OK, gang, une petite tequila? lâche-t-il, pour détourner l’attention des autres avant qu’ils ne voient mes yeux rougis. C’est ma tournée!

— Ouais, le soleil est couché, le party peut commencer! répond sa copine. — Tant qu’on l’échappe pas comme avant-hier, je suis in, ajoute Philippe. — Phil, tu dis ça à chaque fois et tu l’échappes tout le temps quand même, lui rappelle Stéphanie en riant.

— Camille, c’est ton premier soir au Salvador, faut fêter ça! me lance Caroline en me prenant par le bras. Viens, on va s’occuper de toi. Tu sais qu’avant minuit, c’est Ladies night ici? Ça veut dire que tu payes 1 $ en arrivant au bar et que t’as tous tes drinks gratos!

— Ouf, ça peut pas finir bien tout ça, noté-je. — Je te confirme que non! dit-elle en riant.

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Nous nous dirigeons vers un petit bar directement sur la plage. De loin, l’endroit a l’air très vivant. Des lanternes de couleurs entourent la petite cabane en bois dans laquelle un serveur prend la commande des clients qui semblent déjà sur le party. Une musique de type reggaeton se fait entendre, ce qui ne tarde pas à nous mettre dans l’ambiance.

— Cinco tequilas! commande David dès que nous arrivons sur place.

Une lichée de sel, une shot de tequila et une croquée dans le citron. Nous répétons ce petit rituel quelques fois, entrecroisé de drinks de toutes sortes que les gars se plaisent à nous commander étant donné que c’est gratuit pour les femmes. Puis, question de faire descendre tout cet alcool, nous accédons à la piste de danse, soit le sable qui entoure le bar.

Philippe ne perd pas de temps pour m’attirer vers lui. L’alcool que j’ai ingurgité m’incite à lâcher prise et à m’amuser comme je ne l’ai pas fait depuis longtemps. Sur des airs que je ne connais pas, mais qui m’inspirent drôlement, je me déhanche sans pudeur. De toute façon, tout le monde autour de moi semble embarquer : Caroline avec David et Stéphanie avec un garçon de la place. Ce dernier semble particulièrement apprécier le corps élancé de ma nouvelle copine et je ne peux pas le lui reprocher, son physique est parfait. Et comme je me sens moi-même assez bien dans ma peau ce soir, ça n’en prend pas plus pour que j’entre dans le jeu. Alors que mon partenaire pose ses mains dans le bas de mon dos, je me rapproche de son corps jusqu’à ce que nos bassins soient plaqués l’un contre l’autre. Sur le coup, Philippe semble surpris de mon audace, mais il s’en réjouit assez vite. L’ivresse que je ressentais plus tôt s’est transformée en une vague d’excitation. Nos hanches se balancent dans un synchronisme parfait, alors qu’il glisse l’un de ses genoux entre les miens comme le font les danseurs dans les clips de musique reggaeton. Ça me rassure de me dire que Philippe n’est pas un de ces inconnus qui nous abordent par-derrière dans les clubs. Je ne le connais peut-être que depuis quelques heures, mais les présentations officielles ont été faites avant que l’on mélange nos sueurs respectives.

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Mon élan est freiné lorsque j’observe en direction du bar, à la recherche du beau barman qui nous a servis un peu plus tôt. Va savoir pourquoi, quand je tombe sur lui, il est en train de me fixer d’un regard noir. Noir de quoi? Je ne saurais le dire, mais j’ai l’impression que ses yeux me transpercent, ou, à tout le moins, traversent le tissu de ma robe comme si je me retrouvais nue devant lui. Intimidée, je détourne mon attention à la recherche des visages familiers qui m’entourent. Heureusement, aucun d’entre eux n’a assisté à cet échange visuel étrange. Il n’empêche que je me sens moins à l’aise maintenant. Je suis même fâchée que ce gars m’ait déstabilisée de la sorte.

— Je vais aller prendre une bière, t’en veux une? demandé-je à Philippe, décidée à confronter le barman qui, visiblement, semble avoir un problème avec moi. Du moins, c’est ce que la Camille éméchée en conclut.

— Ouais, OK. — Je reviens.

J’ai les idées embrouillées, mais je viens de m’attribuer une mission. Une jeune femme célibataire (le suis-je vraiment?) a bien le droit de danser collée avec un ami et c’est ce que je compte lui faire comprendre.

— Dos cervezas, por favor, commandé-je, pleine d’assurance et fière d’avoir plogué une des rares phrases que je connais en espagnol.

— Bueno.

Le jeune homme verse les bières devant moi, avec un petit sourire mesquin. Dans ma lancée d’assurance, et pour lui rendre la monnaie de sa pièce, je ne me gêne pas pour le fixer pendant qu’il s’exécute. Je scrute le moindre de ses gestes en m’attardant sur ses mains, ses bras bronzés et ses épaules à la musculature découpée que l’on peut apercevoir sous sa camisole de style surfeur. Il pousse les deux verres de bière vers moi et je me lance, bien consciente qu’il ne comprendra pas un traître mot des reproches que j’ai à lui adresser.

— Hey, mon homme, tu te prends pour qui? commencé-je. C’est pas parce que t’es un latino sexy que tu peux te permettre de checker les filles comme ça.

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T’as beau être exotique et tout, un obsédé, ça reste un obsédé, peu importe sa face. À part de ça, je te connais même pas. Tu penses que t’as juste à me faire des beaux yeux pour m’avoir? Peut-être que ça marche avec les autres, mais pas avec moi. À mon avis, t’as plutôt l’air d’un psychopathe vicieux, donc je te conseille de changer de technique de cruise, parce que tu vas finir tout seul avec ta gueule de prince bronzé.

Je pourrais continuer ainsi encore longtemps. Je sais bien que c’est l’alcool qui me permet d’exprimer ma frustration aussi sèchement. Je sais aussi que ma « montée de lait » ne découlait pas uniquement de ce serveur, mais ça m’a soulagée.

— Qu’est-ce qui se passe, Camille?

Stéphanie vient d’apparaître à côté de moi. Je reprends mon souffle et remarque que mon allocutaire continue de me fixer avec un sourire arrogant.

— Ça va, réponds-je.

— Mais de quoi vous parlez? demande-t-elle en remarquant mon visage rougi.

— Rien. En fait, je lui disais simplement que c’était un gros macho, mais évidemment, il comprend rien. Il sourit comme ça depuis tantôt parce que c’est la seule chose qu’il est capable de faire.

En disant ça, je discerne un malaise dans le visage de Stéphanie. Elle m’adresse des gros yeux, puis se tourne vers le serveur, nerveuse.

— Ça va faire quatre dollars, dit-il. — …

— Pour les bières. — Oh shit.

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— En passant, je sais que j’ai un beau sourire, mais je suis pas bon juste à ça, regarde les belles bières que je viens de te verser.

Ils se moquent tous les deux de mon incapacité à réagir. La situation me laisse sans voix. Je voudrais m’excuser pour toutes les insultes qu’il a forcément comprises, mais je suis encore plus fâchée contre lui de n’avoir rien dit plus tôt. Je réussis à déposer un billet sur le comptoir et m’éloigne avec mes bières. Stéphanie me rejoint sur la plage, un peu à l’écart du bar, où je lui offre l’une des bières.

— Inquiète-toi pas avec ça, il est capable d’en prendre, me rassure-t-elle. Je t’ai trouvée assez hot, moi!

— Mais j’avais aucune idée qu’il parlait français! J’aurais jamais dit tout ça sinon. Je me sens tellement mal. En même temps, il est tellement bizarre ce gars. Il m’intimide vraiment!

— Je sais, c’est normal. C’est l’effet qu’il produit sur tout le monde au début. Je te parle par expérience.

Elle rit en aérant le collet de son t-shirt pour que je comprenne à quel point elle le trouve sexy.

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L’avant

Trois ans avant le départ : l’épreuve

C’était le soir du14 février. Nous nous apprêtions à fêter notre troisième Saint-Valentin ensemble. En revenant du travail, tu as trouvé l’appartement plongé dans une lumière tamisée. La table était mise pour le souper et le tout était accompagné d’une playlist « Love night ». J’avais tout préparé dans le but de te surprendre. J’étais loin de penser que ce serait moi la plus surprise des deux.

Nous avons mangé en nous faisant des yeux doux. Fidèle à ton habitude, tu m’as offert un petit quelque chose : un bracelet en or blanc qui n’a jamais quitté mon poignet depuis. Moi, qui n’avais pas le même budget que le jeune avocat à succès que tu étais devenu, je t’avais acheté de jolies chaussettes à agencer avec tes costumes.

Inspirés par l’ambiance du moment, nous nous sommes embrassés sur le divan avant de faire l’amour avec passion, à même le tapis du salon. Couchée sur le dos à fixer le plafond, je t’ai adressé un « Je t’aime » sincère. Nous n’étions pas de ces couples qui utilisent le « Je t’aime » à un point tel qu’il s’essouffle. Nous le réservions pour les moments d’intimité comme celui-ci. Seulement cette fois, ce qui a suivi n’était pas un « Je t’aime aussi », ni même un baiser en guise de réponse. Au lieu de cela, tu t’es mis à pleurer. C’était la première fois que je te voyais ainsi. Il ne m’en a pas fallu davantage pour m’alarmer, mais tu étais incapable de me dire ce qui se passait. En fait, tu n’arrivais plus à me regarder dans les yeux. Comme si une grande honte venait de s’emparer de toi, ce qui était plutôt étrange considérant la beauté du moment que nous venions de vivre. Mais tu n’étais plus en mesure de faire semblant. J’imagine que tu espérais être capable de me le cacher et peut-être même de l’effacer de ta propre conscience avec le temps. C’était peine perdue, les remords te rattrapaient.

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Lorsque tu as enfin réussi à me faire face, j’ai lu la culpabilité dans ton visage.

— J’ai eu une aventure, m’as-tu enfin avoué.

Pétrifiée, je n’ai rien dit. Ma seule réaction a été de m’éloigner de toi. Je n’ai même pas cherché à en savoir davantage. J’ai couru m’enfermer dans la chambre où je me suis habillée en vitesse en remplissant un sac de vêtements pour quitter l’appartement le plus rapidement possible. Tu as tenté de me retenir et même de t’expliquer, mais aucun des mots que tu prononçais ne se rendait à mon cerveau. J’étais en mode automatique et ma mission était simplement de quitter ce logement.

J’ai conduit pendant une heure dans la ville de Sherbrooke en ne sachant pas où aller. Je n’avais pas envie de raconter ce qui se passait à qui que ce soit puisque je n’arrivais pas à le comprendre moi-même.

À 23 heures, j’ai finalement décidé d’aller à l’hôtel. C’est seulement là, seule dans le grand lit, que mes émotions ont surgi. J’ai passé la nuit à pleurer, d’abord de frustration à cause de ce que tu venais de m’avouer, puis d’inquiétude, apeurée par la suite des événements. Si bien qu’à quatre heures du matin, complètement vidée, j’ai fini par m’endormir sur le couvre-lit.

Au matin, dès que j’ai ouvert les yeux pour me rappeler où j’étais et ce qui s’était passé la veille, l’angoisse est revenue me ronger. J’ai utilisé mes dernières heures dans cette chambre d’hôtel pour décider de ce que je ferais maintenant que j’avais encaissé le coup. J’ai compris que je ne pouvais rien changer à ce qui s’était passé. Tout ce qui me restait c’était l’avenir. Quel serait-il? Je ne pouvais qu’imaginer un futur dans lequel tu te tenais à mes côtés. Je n’étais pas prête à te laisser partir pour une histoire de cul. J’avais besoin de toi, du moins, c’est ce que je croyais. Comme si ma propre identité se résumait à notre couple.

Je suis donc retournée chez nous avec une seule intention : oublier la soirée de la veille. Quand j’ai passé la porte d’entrée, tu étais assis au comptoir, la tête couchée sur tes avant-bras. Tu m’as fait pitié, même si tout était de ta faute. Tu m’as regardée avec tes grands yeux plus verts que jamais, puis voyant que je

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déposais mon sac, tu es venu vers moi. Tu m’as serrée dans tes bras, probablement du plus fort que tu le pouvais. Si bien que j’en ai perdu le souffle, mais ça ne me dérangeait pas. Même que ça me faisait du bien, car cela me confirmait que j’étais toute à toi. Nous avons pleuré les dernières larmes qu’il nous restait dans cette position.

— Camille, si tu savais à quel point je m’en veux, je m’excuse, m’as tu implorée.

— Ça va, je veux plus jamais en reparler.

L’histoire s’est terminée ainsi. Tu as respecté ma demande, et nous n’y avons plus jamais fait allusion, comme si ce n’était jamais arrivé. J’ai passé les trois années suivantes auprès de toi sans savoir ce qui s’était vraiment passé. Je faisais ma forte, mais quelque chose en moi s’est cassé cette nuit de Saint-Valentin. À 21 ans, je me suis complètement oubliée au bénéfice de notre couple. Depuis ce temps, j’ai perdu de vue qui j’étais en tant que femme pour être uniquement celle d’un homme. Cet homme qui n’a pas su se contenter de l’amour de celle qui l’aimait pourtant plus que tout.

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Le voyage

3e jour

Après notre petite virée de la veille, ma première journée officielle en sol salvadorien n’a pas été très productive. Je me suis levée hangover sur l’heure du dîner pour découvrir ce qu’était la chaleur de l’Amérique centrale à son apogée. Dans ma condition, la piscine pour me rafraîchir et les siestes à l’ombre s’imposaient. Vers la fin de l’après-midi, j’ai réussi à aller me promener en ville pour m’acheter des provisions et quelques trucs que j’avais oubliés en partant si vite du Québec.

Je compte bien profiter de ma journée que je considère comme ma première vraie journée de voyage. Ainsi, je me suis levée à 7 h 30, en même temps que Caroline, David et Stéphanie, pour assister à une séance de yoga à l’hôtel voisin. Nous y avons enchaîné les salutations au soleil pendant une heure. Pour la première fois en presque cinq ans de yoga, j’ai réellement « salué » le soleil. Installée sur un tapis au troisième étage de ce qui pourrait ressembler à une tour d’observation en bois, j’ai profité de tout ce que m’offrait la nature. Des oiseaux exotiques de toutes sortes chantaient autour de nous. Leurs gazouillements se mêlaient au vent qui secouait les feuilles des palmiers, et celles du toit en branches de bananiers au-dessus de nos têtes. Devant nous, le soleil, qui prenait tranquillement de la hauteur, scintillait en rayons dansant avec le mouvement des vagues.

— C’était de loin ma meilleure expérience de yoga à vie, déclaré-je aux autres en retournant à notre hôtel.

— Je sais, c’est assez stimulant! répond Caroline. Même si c’est relaxant dehors comme ça, je trouve ça quand même intense. Même mon chum avec ses gros bras a de la misère à suivre!

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Caroline prend David par la taille en lui souriant. Ce dernier n’hésite pas à rétorquer.

— Tu sauras que je suis meilleur que vous dans ben des positions! C’est plus au niveau de la flexibilité que ça rushe…

— Ah ben, j’avais pourtant pas remarqué, le taquine Stéphanie.

— Une chance que t’as encore quelques jours pour te pratiquer, poursuit Caroline. Tu vas pouvoir montrer ça aux gars à la caserne en revenant.

— Je te rappelle que c’est pour te faire plaisir que je les suis, tes cours de yoga. Si t’arrêtes pas de m’écœurer, tu vas finir dans la piscine.

En disant ça, David attrape sa blonde en poche de patates et feint de la laisser tomber dans la piscine de l’hôtel. Elle lâche quelques cris, et il finit par la déposer. Je les trouve cutes et les envie. Presque instantanément, j’ai honte de réagir ainsi. « Hey, la grande, toi aussi t’en avais un beau chum qui te prenait en poche de patates pour te faire rire, sauf que tu t’es sauvée sans rien dire y a trois jours, tu t’en souviens? Oui? Bon, ben assume! »

***

Cet après-midi, j’ai envie de sortir de ma zone de confort et de penser à autre chose qu’à Vincent. Depuis hier que je me retiens de l’appeler pour le rassurer. La seule chose qui m’en empêche, c’est que mon cellulaire ne fonctionne pas ici. Sinon, l’hôtel fournit du Wi-Fi gratuit que je pourrais utiliser pour lui écrire, mais je tente tant bien que mal de résister. Si c’est ce qu’il faut pour me permettre de penser seulement à moi… Justement, ce que « moi » souhaite cet après-midi, c’est d’essayer quelque chose de nouveau. C’est d’ailleurs ce qui a déterminé le choix précipité de sa destination. Aujourd’hui, je vais surfer.

Mais avant tout, je vais commencer par analyser l’océan. Je suis déjà allée me baigner dans le Maine, mais on m’a dit que les vagues ici étaient plutôt puissantes. Les deux pieds plantés dans le sable et les poings sur les hanches, je contemple l’immense étendue d’eau. Je me vois en train de surveiller la plage

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dans Baywatch aux côtés de Zac Effron, ce qui ne manque pas de me faire sourire. « Si seulement... » J’avance tranquillement vers l’eau et je suis tout excitée. C’est la première fois que je me baigne dans l’océan Pacifique. J’ai maintenant de l’eau jusqu’aux genoux et mes pas sont déjà plus ardus. Les vagues sont encore loin devant moi, mais je commence à comprendre leur puissance. La fine mousse blanche qui me monte sur les cuisses est assez forte pour me déséquilibrer. J’ai du mal à aller plus loin parce que chaque vague m’oblige à reculer de plusieurs pas. OK, après la prochaine, je donne le tout pour le tout. Ce n’est pas vrai que je vais me baigner dans de l’eau à la hauteur des genoux! Go! Un, deux, trois, quatre, dix pas! J’ai maintenant de l’eau au nombril, mais dans ma lancée, je n’ai pas pris le temps de penser qu’avec la profondeur de l’eau, la mousse aussi s’épaissit. Le constat ne tarde pas à me frapper en plein visage. Une broue de trois pieds d’épaisseur me projette violemment en arrière. Aucune chance de garder les pieds à terre, me voilà à la merci de la vague. En à peine six secondes, j’ai culbuté à deux reprises dans l’eau pour poursuivre avec une vrille horizontale et finalement toucher le sol avec mon derrière. Évidemment, après ce tour de machine à laver, j’ai le bas de mon maillot aux chevilles. Encore chanceuse de ne pas l’avoir perdu parce que c’est certain que je ne l’aurais jamais retrouvé dans cette mousse, et pas question que je sorte de là sans culotte! Puis je réalise, un peu à retardement, que l’un de mes seins est complètement à découvert. Les quelques personnes sur la plage ont sans doute tout vu… En même temps, des petites touristes qui se font ramasser par la mer, ça doit être la routine ici. Je ne dois pas être la seule à se dire « Dans le fond, ça doit ressembler à la piscine à vagues de Bromont… » avant d’avaler deux litres d’eau salée et d’avoir du sable jusque dans la craque de fesse… Bref, si j’étais eux, moi aussi je profiterais du spectacle!

Je sors de l’eau en m’assurant que tous les morceaux sont maintenant à leur place. Je suis épuisée et pourtant je me « baigne » depuis à peine cinq minutes. C’est un peu décourageant pour mes projets de surf, mais pas question d’abandonner si vite. J’ai juste à suivre des cours. Avec un instructeur, ce sera plus facile, j’imagine…

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J’ai remarqué une boutique de surf près du resto où nous sommes allés souper le soir de mon arrivée. Après m’être rincée dans la douche extérieure de l’hôtel, j’enfile un short et une camisole, puis je m’y rends.

— ¡ Hola! Surf lesson? adressé-je au commis à l’entrée du magasin. — ¡ Si! ¿ Mañana?

— Hummm… — Tomorrow? — Ah, si!

— Perfecto! Vuelve mañana a las 10 horas. Frayan estará allí. Encore une fois, mon expression de perplexité parle à ma place.

— Tomorrow, ten, here, dit-il en pointant l’endroit où l’on se trouve. Coach, Frayan.

— OK. ¡ Gracias!

Je termine la conversation en lui adressant mon plus beau sourire pour compenser mon manque de vocabulaire. Je passe le reste de la journée à me reposer, car demain, j’aurai ma première leçon avec Bryan, si j’ai bien compris. J’espère que ce sera un jeune coach sexy, question de me motiver un peu.

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L’avant

Un an avant le départ : la première

Cet été-là, tu m’as convaincue qu’il était temps pour nous de devenir propriétaires. Il faut dire que tu n’as pas eu à me le demander plus d’une fois puisque l’idée m’a tout de suite plu. Cela dit, il allait de soi que ça ne m’impliquait pas personnellement. J’étais en train de compléter ma maîtrise en histoire de l’art et je travaillais à temps partiel dans une galerie d’art du centre-ville, alors que tu travaillais comme avocat depuis déjà quelques années, donc tu pouvais compter sur des économies beaucoup plus considérables que les miennes. Nous étions tous deux d’accord pour que tu achètes la maison et que je t’aide à la payer une fois que j’aurais un salaire plus important.

Au début du mois de juin, excités comme des puces, nous avons finalement emménagé dans notre première maison à Rock Forest. Elle n’était pas très grande, ni très moderne, mais, dans un sens, je trouvais qu’elle nous allait bien.

Lorsque tout fut installé, nous avons formellement convié notre entourage à venir profiter d’un barbecue pour pendre la crémaillère. Pour la première fois de ma vie, j’avais le sentiment d’être devenue une adulte. J’étais contente de vivre ce moment avec toi, mais une partie de moi angoissait à l’idée que nous allions passer une bonne partie de notre vie dans cette maison. J’étais à la fois heureuse et tourmentée. Je tentais de me rassurer en me disant que ça devait être normal de se sentir ainsi quand on franchit une étape importante de notre existence. J’ai profité de la fête sans trop accorder d’importance à mes insécurités, sans me douter qu’elles finiraient par prendre le dessus une fois la nuit venue.

Étendue à tes côtés dans notre nouvelle chambre, je fixais le ventilateur en tentant de contrôler les pensées qui menaçaient de me faire exploser. Depuis trois heures, j’essayais de comprendre pourquoi j’avais si peur. J’ai repassé ma journée en détail dans ma tête à la recherche de l’élément déclencheur. Puis, cela m’est

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apparu clair tout à coup. Je t’ai revu en train de parler à mes parents autour du barbecue. Ils semblaient si heureux de notre acquisition. Ma mère a toujours dit que j’avais « pogné le jack pot avec toi » et que je devais prendre soin de toi sans quoi une autre le ferait à ma place. C’était comme dire que je n’étais pas à ta hauteur, et j’étais assez d’accord avec elle. Bref, la conversation concernait le terrain de la propriété. Tu informais mon père, un adepte de nature, des dimensions exactes du terrain, en mentionnant au passage la jeune forêt et le ruisseau qui la traversait. J’ai vu dans son regard qu’il était vraiment fier de son gendre.

— La cour est pas mal grande, avait considéré mon père. Vous allez pouvoir vous construire un beau deck.

— Peut-être même une piscine pour vos futurs enfants, avait poursuivi ma mère. Justement, quand est-ce qu’on attend le premier de la lignée? J’ai hâte d’être grand-mère, moi!

Je comprends que, pour une mère d’enfants adultes, c’est normal de penser à sa descendance. C’est ta réponse, en y repensant, qui m’a ébranlée.

— Inquiète-toi pas, Monique, dès que Camille finit sa maîtrise, on se met là-dessus! l’avais-tu rassurée, aussi charmeur qu’à ton habitude.

Ça me faisait plaisir de vous voir discuter ensemble, et même si j’avais tout entendu, je n’avais pas porté attention à vos propos avant cette nuit d’insomnie où la question m’est finalement tombée dessus. Comment avais-tu pu te permettre de dire à mes parents que nous projetions de faire des enfants dans la prochaine année alors que nous n’en avions pas encore parlé? Il me semble que c’est une décision qui se prend à deux. Je voulais des enfants, la question n’était pas là, mais certainement pas si vite. C’est vrai, à quoi bon s’acheter une maison si nous ne pouvons pas en profiter à deux avant d’y ajouter des occupants?

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Je n’avais pas réalisé que ma respiration s’était accélérée et que mon cœur cognait dans ma poitrine. J’avais des sueurs froides, et la gorge me serrait terriblement.

— Respire, ma belle.

Le simple fait de t’avoir près de moi a suffi pour me calmer, ce qui est plutôt ironique considérant que tu étais la cause de ma crise.

— C’est beau, ça va mieux, t’ai-je rassuré. J’ai fait un cauchemar un peu trop réel… Serre-moi fort.

Tu m’as encerclée de tes grands bras chaleureux en déposant un bec sur mon front, et nous nous sommes rendormis.

Au matin, tu avais oublié l’incident, ce qui était normal puisque tu croyais qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Mais je n’ai jamais oublié cette nuit où j’ai vécu la première d’une série de plusieurs crises d’angoisse.

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Le voyage

4e jour

9 h 50. Plantée devant le magasin de surf, j’attends qu’un inconnu dénommé Bryan vienne me chercher. J’en profite pour me mettre un peu (beaucoup) de crème solaire parce que le soleil chauffe déjà énormément. Au même moment, un garçon prononce mon nom. Le fantôme que je suis se retourne, puis je recule d’un pas.

— Toi? fais-je avec surprise en reconnaissant le barman désagréable de mon premier soir.

Avoir su que c’était lui, le fameux Bryan, j’aurais préféré aller me noyer toute seule dans l’océan. Aucune envie de me faire ridiculiser une seconde fois.

— Oui, je travaille au bar le soir et je donne des leçons de surf aux petites touristes comme toi le jour. Je m’appelle Frayan.

« Aux petites touristes comme toi »,… quelle condescendance!

Je lui serre la main même si je n’en ai pas envie. Il m’invite à le suivre à l’intérieur de la boutique pour m’équiper pour la séance. Il me semblait aussi que Bryan, ça ne faisait pas très latino.

Frayan choisit une planche et nous nous dirigeons vers la plage. Je suis fâchée de devoir prendre ma leçon avec lui, mais comme j’ai déjà payé, je n’aurai pas le choix de l’endurer. C’est comme payer pour des danseurs à un enterrement de vie de jeune fille et se ramasser avec le plus vieux bonhomme de l’agence. Tu fais avec. Pour la leçon, je vais agir comme si je ne l’avais jamais rencontré, en espérant qu’il en fasse autant.

Nous commençons la séance par l’apprentissage des positions et mouvements sur la plage. Jusqu’ici, tout va bien. À plat ventre et hop! Selon Frayan, je me débrouille bien. Puis vient le moment d’entrer dans l’eau. Je suis un

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peu craintive en me rappelant ma dernière expérience aquatique, mais mon coach me rassure en avançant avec moi vers les vagues, tout en transportant ma planche. Il me dit quand passer sous les vagues et, de cette façon, je réussis à aller assez loin pour avoir de l’eau à la taille sans faire de culbute. Lorsqu’une vague approche, Frayan m’invite à monter sur la planche et je m’exécute, un peu nerveuse.

— Les mains sur la planche, regarde ta vague. Quand je te le dis, tu essaies de te lever.

Il pousse ma planche lorsque la vague m’engloutit et, à son signal, je tente ma chance. J’étire à peine mes bras pour me surélever que je chavire sur le côté, tirée par ma planche qui, attachée à mon pied, se fait encore emporter par la vague. Après quelques secondes sous l’eau, je réussis à m’encrer à terre pour me relever. J’ai à peine de l’eau aux cuisses, ce qui rend mon exploit encore plus ridicule. Il était temps que je réussisse à trouver terre considérant que je touchais au fond dès le départ. Frayan me sourit en avançant vers moi.

— C’est pas grave, crie-t-il.

— Qu’est-ce qui est arrivé? demandé-je en tentant de reprendre mon souffle.

— Tu t’es accrochée aux bords de ta planche pour te lever. Faut vraiment que tu laisses tes mains à plat. Viens, on y retourne.

Pour mes trois essais suivants, j’enchaîne les erreurs. Malgré cela, Frayan ne semble pas perdre espoir. Je dirais même qu’il est plutôt encourageant. Cette fois-ci je me lève, c’est sûr!

— Debout! m’ordonne mon coach.

Les mains à plat, j’allonge mes bras et propulse mes pieds vers l’avant. J’ai réussi! Je tiens sur ma planche et le feeling est malade! Pour une fois, j’ai l’impression d’avoir le contrôle sur l’eau.

Oh shit, mon maillot! Dans le vif de l’action, je ne me suis pas rendu compte que mon bas de bikini ne couvre plus du tout mes fesses. Par réflexe, je saute à

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l’eau. Je pense que devant ça allait, mais Frayan a certainement tout vu derrière. Aussi fière que j’aie pu l’être il y a quelques secondes, la gêne vient de prendre le dessus.

— Qu’est-ce qui s’est passé? dit-il. C’était super!

— Au cas où tu n’aurais pas remarqué, j’avais le derrière à l’air!

— Ah, ça! Ben oui, j’avais remarqué, mais t’aurais pas dû arrêter pour ça, ça arrive tout le temps.

Sa réponse me surprend. Le gars qui me déshabillait quasiment du regard l’autre soir ne semble pas se préoccuper d’avoir finalement vu mon postérieur.

— Allez, tu recommences, et cette fois-ci tu te n’arrêtes pas avant que je te le dise.

Décidément, ça ne l’a pas impressionné. Ainsi, je passe la prochaine demi-heure à répéter ce que j’ai appris, et après 45 minutes passées à combattre les vagues, je n’en peux plus. J’ai beau avoir payé pour une heure, je suis exténuée.

— OK, j’en ai assez. Je suis morte.

Je retourne sur la plage avec ma planche que je dépose par terre et je m’affale à côté d’elle. Frayan me rejoint.

— C’est normal. T’es pas pire, en général la première leçon dure seulement 30 minutes.

— J’ai l’impression que je pourrais dormir tout le reste de la journée. Tu m’as pas ménagée en tout cas!

— Non, mais t’as réussi à te lever plusieurs fois. Je savais que tu serais capable.

— Oui, je suis contente. Je dois dire que tu as été un très bon coach. J’étais sceptique au début étant donné que notre première rencontre a pas été très agréable… J’aimerais d’ailleurs m’excuser pour ce que je t’ai dit ce soir-là. J’avais bu pas mal et j’avoue que tu m’intimidais.

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Il me regarde avec des yeux doux et sourit gentiment. J’ai du mal à croire que c’est le même gars qu’il y a deux jours.

— Ça va. De toute façon, là je suis le coach, pas le barman.

Je ne sais pas trop ce qu’il veut dire par là, mais je lui souris. Il se lève et me tend la main pour que j’en fasse autant. Nous retournons tranquillement au village. La douche va être bonne parce qu’en ce moment j’ai la face qui me chauffe à cause du soleil, du sel et du sable. Malgré tout, je suis très satisfaite de ma leçon. Il y a quelques jours encore, je n’aurais pas pu prévoir que j’apprendrais à surfer, mais ça s’avère un moyen très efficace de gérer une peine d’amour.

***

— Toi, Camille, t’es célibataire? me questionne Caroline. Je pense qu’on te l’a même pas demandé.

Ça fait deux heures que mes cinq amis et moi discutons de tout et de rien autour de la piscine. Comme à notre habitude, nous passons le happy hour ensemble à boire de la bière en relaxant.

— On peut dire ça, oui.

— T’as pas l’air sûre, insiste Philippe pour se moquer. Normalement c’est pas le genre de question qui demande réflexion. C’est plus une « Yes/No Question ».

— C’est que c’est assez récent… — Genre?

— Voyons, Phil, t’es ben insistant! intervient Stéphanie. De toute façon, ça change rien pour toi, célibataire, en couple, mariée même, ça t’empêche pas d’essayer de toutes les cruiser.

La gang rit un bon coup. Ma première soirée en leur compagnie a confirmé ses dires, bien que je ne me sois pas fait prier. Je sais qu’elle a dit ça pour me sortir de l’embarras, mais il se trouve que j’ai envie de répondre à la question de

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Philippe. Au fond, je n’ai encore parlé à personne de ma rupture, et j’ai l’impression que ça me ronge de l’intérieur à force de garder ça pour moi.

— Disons juste que c’est en grande partie pour ça que je suis ici. — Tu veux dire que tu t’es sauvée! ose David.

Sa blonde lui fait des gros yeux pour avoir passé ce commentaire. Cette fois, je suis ébranlée.

— Ouin, ça a l’air épouvantable dit comme ça...

En même temps, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire d’autre. Je n’aurais pas pu lui cacher éternellement. Il aurait fallu que je lui mente et je sais que je suis une très mauvaise menteuse. Voyant que je suis mal à l’aise, Stéphanie s’interpose une seconde fois.

— Bon, c’est décidé, ce soir c’est « Girls night ». Messieurs, on va se passer de vous et de vos propos machos pour quelques heures et on sort entre filles fêter le nouveau célibat de Camille. C’est bon, Cam?

— Euh, oui, OK! fais-je en cognant ma bière sur celles de mes deux nouvelles copines.

***

— Je suis pas certaine pantoute, dis-je à Caroline qui se tient devant moi avec un fard à lèvres de couleur rouge vif. Je le trouve un peu intense.

— Avec ton teint de rose et tes yeux verts, je suis sûre que ça va bien t’aller! Au pire, on essaie et si t’aimes pas ça, on l’enlève.

Caroline a tellement l’air enthousiaste de me maquiller que je finis par consentir. Elle dessine le contour de mes lèvres avec un crayon. C’est drôle parce que je me souviens que ma mère faisait pareil quand j’étais petite. Par contre, je n’avais aucune idée que c’était redevenu à la mode. Caroline passe ensuite au rouge à lèvres qu’elle étend minutieusement pour être certaine que tout soit

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uniforme. Ce que je retiens c’est que ça aura pris dix minutes pour que j’aie l’air de Fanfreluche.

— Wow, c’est tellement beau! s’exclame Stéphanie qui boit une Smirnoff Ice derrière nous.

— Bon, j’ai fini pour vrai, là, affirme Caroline. T’es prête? — Oui oui, confirmé-je, un peu tannée.

— Je te le dis, si t’aimes pas ça, je te l’enlève. C’est probablement ce qui va arriver…

— Tadam! chante-t-elle en me flanquant le miroir devant le visage.

— Eh ben…

— T’aimes pas ça? s’inquiète-t-elle.

J’observe longuement mon reflet. C’est bizarre, on dirait que je voie quelqu’un d’autre que moi dans le miroir. Je ne m’étais jamais vue avec des lèvres aussi… pulpeuses. En fait, j’ai toujours cru que j’avais des petites lèvres, donc je ne voyais pas l’intérêt d’y apposer du maquillage. Mais je dois dire que c’est plutôt joli. Et mes yeux! Depuis quand ai-je les yeux si verts? Avoir su qu’un eye-liner pouvait autant mettre mes yeux en valeur…

— Je suis surprise, mais, sais-tu quoi, c’est vraiment beau!

— Mets-en que c’est beau. C’est pas juste, moi aussi je veux être chix comme elle! se plaint Stéphanie.

— Ah! Je suis contente, se réjouit Caroline. Pas de problème, Steph. Cam, mets de la musique, je vais m’occuper d’elle maintenant.

Tandis que Stéphanie se laisse barbouiller la figure, je cherche une playlist à passer dans le haut-parleur de Caroline. « Girls’Night », ça devrait bien sonner. Tout en chantant par-dessus Ariana Grande (signe que je commence à être pas mal à l’aise avec mes amies, ou que j’ai bu une Miller de trop pendant le happy hour), je m’observe dans le miroir mural. J’ai bien choisi ma robe. Elle est simple;

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noire, ajustée, à la mi-cuisse et avec de larges bretelles. Avec ce maquillage, c’était probablement le meilleur match. Je complète mon look avec une queue de cheval haute bien lissée. Avec mes cheveux ondulés par l’air salin, je viens de me transformer en une séduisante Espagnole. Appelez-moi désormais Camilia. Aucune idée si c’est un prénom espagnol, mais en tout cas… « I've been here all night, I've been here all day-iiiiaayy, And boy, got me walkin' side to side ».

— Tu rock ça, du Ariana Grande, toi, me taquine Stéphanie. — C’est ma meilleure!

Elle rit, et nous nous mettons à chanter toutes ensemble. Une vraie scène de film de filles quétaine.

***

Le centre-ville d’El Tunco, une fois la nuit tombée, n’a rien à voir avec la rue que j’ai visitée en plein jour. Tous les commerces qui semblaient barricadés sont maintenant ouverts et la fête y bat son plein. De la musique nous parvient de partout et la rue est peuplée de jeunes, autant des touristes que des locaux, qui s’enivrent à la belle étoile. L’ambiance est simplement exaltante, comme si la ville se réveillait avec l’arrivée des premières lueurs de la lune.

Ça fait à peine une heure que nous sommes arrivées au bar et nous nous sommes déjà fait offrir trois tournées de margaritas : à la mangue, à la fraise et à la lime. Il faut l’avouer, c’est bien meilleur que de la Miller. Néanmoins, je me demande déjà comment je vais dealer avec mon estomac demain… De l’eau, c’est le seul remède!

— ¿Puedo tener una botella de agua por favor ?

— Ayoye, Cam, ton espagnol est sur la coche! me complimente Caroline. — Je viens d’entendre l’autre fille demander la même chose. On va danser? Ça va nous faire une pause de margaritas.

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— I’m in! Surtout que… C’EST MA TOUNE! crie Stéphanie, hystérique, en entendant le début d’une chanson de Justin Bieber.

Pour la deuxième fois depuis que je suis arrivée, nous prenons d’assaut le plancher de danse. Au cours des prochaines semaines, j’ai bien l’intention de me reprendre pour les dernières années passées avec Vincent. Parce qu’il ne dansait pas, j’avais l’impression que je devais me retenir, pour l’accompagner. Comme si seules les filles célibataires avaient droit à ce plaisir… Eh bien, maintenant, je suis une fille célibataire.

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L’avant

Neuf mois avant le départ : la jalousie (quelle jalousie)?

C’était l’anniversaire de ton meilleur ami. Pour l’occasion, nous nous sommes rassemblés sur une terrasse bondée. Nous étions un peu trop serrés pour manger, car avec notre tablée de dix personnes, nous occupions presque tout l’espace. La bière et les pichets de sangria ont coulé à flots tout au long du souper. C’était une chaude soirée d’été et tout le monde passait un bon moment. Tu étais particulièrement heureux puisque ça faisait longtemps que tu n’avais pas vu tes amis. Le bonheur t’allait bien; tu me semblais encore plus beau qu’à l’habitude. Je me souviens t’avoir regardé pendant le souper et avoir remarqué à quel point tu étais devenu un bel homme. Tu portais un t-shirt noir et tes cheveux châtains étaient dépeignés, ce qui allait à merveille avec ta barbe naissante, que tu n’avais pas l’habitude de laisser pousser quand tu travaillais. C’était le week-end, donc tu te permettais un look beaucoup plus décontracté. Ça me plaisait beaucoup.

Une fois la nuit tombée, nous nous sommes dirigés vers un pub où vous aviez l’habitude de vous rejoindre entre gars pour boire de grosses pintes. Après quelques verres, tout le monde était éméché. Le ton montait de plus en plus, et tes copains et toi deveniez de plus en plus écervelés; tiraillage et concours de bras de fer à l’appui. Blasées de vos chamailleries, les filles et moi avons décidé de traverser dans le bar d’en face pour aller danser « comme dans le temps ».

— Minute! Nous aussi on vient! a lancé le fêté en calant le fond de sa bière. J’ai vu dans ton expression que tu n’étais pas aussi enchanté par l’idée de changer de place, mais tu as suivi la gang.

Bien installé sur une banquette à l’écart du plancher de danse, tu as commandé une bouteille de rhum et des pichets de Coke pour faire des drinks à tes amis. La générosité a toujours été l’une de tes plus grandes qualités. Je ne me souviens pas d’avoir réussi à payer une seule addition quand j’allais au restaurant

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avec toi. Dans un sens, ça me fâchait un peu parce que je trouvais ça antiféministe, mais au fil des années, je me suis faite à l’idée.

Pendant que je dansais avec tout le monde, toi, tu restais à ta table et tu nous regardais en sirotant ton rhum and coke. Je ne pense pas que tu t’ennuyais, mais tu étais clairement le seul de la gang à ne pas danser. Même les autres gars qui ne dansent jamais d’habitude ont autorisé l’alcool à mener leur pas en laissant de côté leur amour-propre. C’était très amusant à voir. Après un temps, certains t’ont rejoint pour reprendre leur souffle et faire le plein de boisson. Moi et quelques filles sommes restées, pas encore contentées.

Avec la disparition de nos « chums de gars » autour de nous, ça n’a pas pris de temps pour que quelques inconnus nous repèrent. Visiblement, les choses n’avaient pas changé depuis la dernière fois que j’étais allée dans un club. L’un d’entre eux est apparu devant moi, comme sorti de nulle part. Sur le coup, sachant bien que tu m’observais, j’ai eu un mouvement de recul jusqu’à ce que je réalise que c’était Simon, un collègue de classe avec qui j’avais fait plusieurs travaux d’équipe pendant mon baccalauréat. Ça faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus, donc j’étais contente de le retrouver. Après avoir échangé des becs sur les joues, nous avons commencé à danser ensemble. Le problème c’est que Simon, n’ayant probablement pas remarqué ta présence, a vite fait de se rapprocher de moi, tout en restant dans la limite de ce que je crois être acceptable pour une fille en couple. Je m’amusais bien avec lui, il dansait d’une drôle de façon, ce qui m’a rappelé qu’il m’a toujours fait rire.

Mon moment n’a cependant pas duré longtemps. Il a été interrompu par ton regard que j’ai croisé pendant que je dansais. Durant un instant, j’ai cru que tu pouvais être jaloux, donc j’ai tout de suite pris congé de mon partenaire pour aller m’asseoir près de toi. Tu n’étais tellement pas possessif avec moi que ça m’a fait plaisir de m’imaginer que ça te dérange de me voir avec mon ami.

— Ça va? t’ai-je demandé dans l’oreille.

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Je n’ai rien ajouté voyant bien que tu te foutais complètement que je danse avec Simon. Je m’étais fait des idées et ça m’a vraiment virée à l’envers. J’ai passé la demi-heure suivante à me demander si tu étais toujours amoureux de moi et à me faire toutes sortes de scénarios de rupture, bref à me faire du mal. Dans ma tête, que tu sois si peu jaloux voulait nécessairement dire que tu ne tenais pas assez à moi. J’étais encore plus fâchée quand j’ai réalisé que j’étais la seule à avoir mal dans tout ça.

Quand la gang est partie, je me suis proposée pour rester avec mon amie qui venait de rencontrer un garçon très intéressant. Ça faisait une heure qu’ils se mangeaient la face sur une banquette voisine. J’ai fait comme si je trouvais ça imprudent de la laisser seule avec lui, mais ma seule idée était d’aller rejoindre Simon. Peut-être était-ce par vengeance, pour m’assurer de ne pas être la seule à avoir mal, mais ce soir-là, j’ai embrassé un autre homme et je n’ai même pas apprécié.

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Le voyage

4e jour

La sueur perle sur mon visage tellement j’ai chaud. Je me démène comme jamais et mes deux amies en font tout autant. Il y a foule dans le petit bar, si bien que l’endroit au complet sert de plancher de danse. Il n’y a pas de jeu de lumière ni de DJ pour accompagner la musique, mais l’ambiance est si bonne que tous les clients se laissent entraîner par le beat. Ça fait du bien de lâcher prise et d’arrêter de réfléchir un instant. En ce moment, je m’autoproclame « Reine du dancefloor » même si au fond je sais que je fais n’importe quoi, et comme la foule autour de moi a l’air de croire à mon jeu, je leur en donne encore plus.

— Hey, Cam, c’est pas ton coach de surf là? me crie Stéphanie directement dans l’oreille en indiquant l’entrée du bar.

— Frayan? Où ça? — Là, là!

— Ah, oui, c’est lui! confirmé-je, un peu trop heureuse de le voir.

Au même moment, il nous repère à travers le bain de fêtards. Lui aussi a l’air content de nous voir lorsqu’il se dirige vers nous. Quand il réussit à se frayer un chemin jusqu’à notre trio, j’ai à peine le temps d’ouvrir la bouche pour le saluer qu’il attrape mes mains et me fait tourner comme une professionnelle d’un style de danse que je ne pourrais même pas identifier. Une vrille d’un bord, une vrille de l’autre, un coup de bassin par si, un cercle avec le haut du corps par-là, ce n’est pas mêlant, on dirait que je danse avec Messmer. Avant même que je comprenne ce qui se passe, un rond s’est formé autour de nous. Je suis totalement à la merci de cet homme. La féministe en moi voudrait mettre son poing sur la table, mais cette fois-ci c’est la princesse qui remporte le duel. Ce n’est pas tous les jours

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qu’elle rencontre le prince charmant sur un plancher de danse. Pour mettre fin à notre petit spectacle, Frayan me plaque contre lui.

— ¿ Cerveza, señorita?

— Si! réponds-je, complètement sous le charme.

En me prenant par la main, il m’entraîne au bar où il commande deux shots de téquila, puis deux bières que nous vidons dans le temps de le dire. Ça donne soif de jouer aux Dieux de la danse. Je suis pas mal sûre que Nico Archambault nous aurait fait passer en second round.

— Pas trop fatiguée de ta séance de surf?

— Ça va. Comme c’est là, j’ai l’impression que c’est plutôt de danser avec toi qui va m’achever.

— Pourtant, t’es super bonne.

— Arrête, tu peux faire croire ça aux autres, mais moi je sais très bien que c’est toi qui me contrôles.

Il rit discrètement en guise d’approbation. — On y retourne? propose-t-il.

— Ouais, OK.

— Cette fois-ci, c’est toi qui mènes, lance-t-il juste avant de reprendre ma main pour nous guider jusqu’à mes amies.

Sa proposition sonne comme un défi. Pour l’impressionner, je sors les quelques mouvements de baladi que je connais. Je tourne autour de lui en faisant exprès de le frôler au passage. Ma provocation ne le laisse pas indifférent parce qu’il m’attrape par les hanches dès que je lui fais à nouveau face. Maintenant nez à nez, nous poursuivons notre chorégraphie en toute sensualité.

— Ouin, finalement, c’est vrai qu’il est pas juste bon à sourire, son beau barman, déclare Stéphanie derrière moi assez fort pour que je l’entende.

(44)

Elle se moque de moi, c’est certain. Je voudrais lui faire une grimace, mais encore une fois, Frayan prend toute mon attention. Cette fois-ci, ce sont ses yeux qui m’hypnotisent. Ils sont si foncés que je n’arrive pas en m’en détacher. Normalement je me sentirais intimidée, comme le premier soir, mais je suis trop bien pour changer quoi que ce soit.

— Cam, j’y vais, m’avertit Caroline en posant une main sur mon épaule. — Déjà? m’étonné-je.

— Il est déjà 1 h 30 et ça fait genre une heure que vous dansez avec vos boys. Moi, le mien est à l’hôtel, donc je vais le rejoindre.

— OK, c’est bon. Désolée de t’avoir délaissée, j’avais pas réalisé. — Mais non, ça va. On remet ça, c’était cool.

— Clairement!

Je lui envoie un « bye » de la main pendant qu’elle se dirige vers la sortie, puis je me retourne vers mon « boy », comme elle a dit, mais c’est Stéphanie que je cherche. Elle est effectivement en train de danser avec un grand blond. Ils ont l’air assez intimes. Quand elle remarque que je l’observe, elle vient vers moi avec son surfeur.

— Cam, je te présente Paul, dit-elle en le prenant par la taille. — Salut!

Stéphanie se penche pour m’expliquer.

— Il est anglais. D’Angleterre! ajoute-t-elle, voyant que je ne réagis pas. — Ah, OK!

Je ne suis pas de ces filles qui tripent sur les British, mais elle, on dirait bien que oui.

— Ça fait quelques fois qu’on se croise depuis que je suis arrivée. Peut-être que je ne rentrerai pas à l’hôtel avec toi ce soir.

(45)

— J’y compte bien, et tu devrais faire pareil, me conseille-t-elle en louchant vers Frayan.

Je préfère ne rien répondre à ça. Comment pourrai-je seulement y penser? Il y a trois jours de ça, j’étais encore dans une relation qui a duré six ans. Je m’imaginerais mal faire quoi que ce soit avec un autre homme que Vincent, surtout pas avec un quasi-inconnu.

— Tu viens prendre l’air? propose Frayan, me sortant de mes pensées. J’accepte d’un signe de tête. De toute façon, j’ai assez dansé pour ce soir. Avec le surf qui m’alourdit les épaules et la nuque, je commence à avoir hâte de m’allonger. Pendant que je m’éloigne, je jette un dernier regard vers Stéphanie. Elle m’observe avec un sourire coquin et m’adresse un clin d’œil très peu subtil auquel je réplique en roulant les yeux. On dirait qu’elle ne pense qu’à ça. En même temps, avec le beau blond qui est en train de l’embrasser dans le cou, j’imagine que c’est normal d’avoir des idées croches…

— T’as froid? s’informe Frayan quand nous atteignons la rue. — Non, en fait je crève.

Il ne répond rien. Je me demande s’il comprend toujours ce que je dis. Son français est très bon, mais nos expressions québécoises ne sont pas toujours logiques quand on y pense.

— Je veux dire que je meurs de chaleur. — Oui, oui, j’avais compris.

Nous marchons lentement, sans savoir où nous allons. — Pourquoi tu parles si bien français?

— J’étais fiancé à une fille de Québec. — Pour vrai?

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