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3. Représentation du voyage contemporain

3.3 Les cigales

Ce roman est sans doute celui dans lequel la dimension 2.0 est la plus présente. Bien que les personnages se servent de leur téléphone intelligent essentiellement pour prendre des « selfies » et autres photos de voyage, il s’agit de la seule œuvre du corpus dans laquelle on sent la présence constante des

outils de communication dans le quotidien des personnages. Le deuxième élément faisant partie du 2.0 est la référence aux réseaux sociaux, plus particulièrement Facebook qui jouait un rôle important dans la vie des jeunes lors du printemps érable de 2012. En effet, à plusieurs reprises, l’un des personnages parle de son usage du réseau social en lien avec la grève, maintenant qu’il s’agit d’une bonne façon de s’exprimer et de suivre l’actualité. Tandis que l’autre voyageur est l’un des rares universitaires à ne pas être sur Facebook par choix, un débat sur les bienfaits pour l’un et les méfaits pour l’autre d’un tel réseau divise les deux amis.

Pour le reste, il semble que le road trip soit effectué en « mode avion », ou sans réseau et données, puisqu’aucun appel ou message texte n’est envoyé durant la durée du voyage. D’autant plus qu’il est précisé que J-P s’empresse de publier ses photos sur Facebook dès son arrivée au Canada, où le mode avion n’est plus nécessaire.

Autrement, les garçons n’ont pas non plus accès à une connexion WiFi, ce qui fait que même s’ils traînent leur téléphone avec eux, peut-être par habitude, ils ne peuvent pas l’utiliser comme outils de communication. Au final, il s’agit plutôt d’un simple appareil photo.

En conclusion, les technologies d’informations et de communications utilisées dans ce récit n’ont pas d’impact sur la fuite des personnages. Bien sûr, la courte durée du voyage est à prendre en compte parce qu’on devine que dans le cas d’un road trip de plusieurs semaines/mois, l’auteur aurait possiblement laissé plus de place à la dimension 2.0 au cours des évènements du récit.

Dans le même sens, je pense que de retirer la dimension 2.0 du roman de Marquis n’aurait pas d’incidence sur le récit et ses aventures. Par contre, il va sans dire que les propos et thématiques de l’œuvre en général ne seraient plus les mêmes sans les TIC. Étant donné que la grève étudiante est un évènement marquant dont les principaux concernés sont principalement des jeunes de la génération Y, et donc, de la génération des TIC, je pense qu’il était indispensable que l’auteur inclue le 2.0 à son roman.

3.4 En attendant la vague

Dans mon roman, je considère que les technologies de l’information et de la communication sont très peu exploitées, surtout que je possède le même profil de bachelière en communication que Valérie Chevalier, et donc, les attentes qui viennent avec. Simplement, je pense que la destination du voyage joue pour beaucoup dans cette situation. Séjourner dans une ville assez rudimentaire de l’Amérique centrale limite les possibilités technologiques comparativement aux pays d’Europe ou aux États-Unis.

Camille arrive à El Tunco avec son téléphone intelligent en poche, mais les rares fois où elle l’utilise (deux pour être précise), elle se contente de consulter ses courriels. Pourtant, la connexion WiFi disponible à son hôtel lui permettrait amplement de consulter les réseaux sociaux quotidiennement, ce qu’elle avait sans doute l’habitude de faire avant son départ. On peut donc dire qu’il s’agit d’une utilisation sélective des TIC. Camille cible les personnes dont elle souhaite avoir des nouvelles et limite son usage des TIC à cet objectif.

Néanmoins, ses rares visites dans sa boîte de courriels jouent un grand rôle dans sa fuite. Il serait sans doute difficile d’expliquer précisément en quoi le fait de ne pas ouvrir son téléphone modifierait le récit. Seulement, il est clair que les mots reçus par ses proches, surtout ceux de son amoureux, qui est à la source de son départ, jouent un grand rôle dans son cheminement intérieur. Reviendrait-elle plus tôt ou plus tard si elle ne recevait aucune nouvelle de Vincent? Je ne saurais le dire, mais ce dont je suis certaine, c’est que la simple possibilité d’envoyer et de recevoir des courriels ou des appels détermine la coupure qu’elle souhaite effectuer avec sa vie antérieure.

Je suis persuadée que mon roman aurait pu tout aussi bien s’écrire sans prendre en compte l’ère du 2.0 dans laquelle nous vivons. Aucun élément du roman que je considère comme essentiel au récit ne nécessite la présence du téléphone intelligent ou du web. En fait, si Camille avait volontairement laissé son cellulaire à la maison avant de partir pour l’aéroport, cela n’aurait pas changé grand-chose au reste de l’histoire. Elle n’aurait pas pu donner de nouvelles à son entourage, par exemple pour les avertir de son retour, mais je rappelle que même

avec la possibilité de le faire, elle a préféré s’en abstenir dans le but de ne pas s’ajouter de pression à son arrivée.

Je peux donc affirmer que j’ai pris la décision d’intégrer la dimension 2.0 dans mon roman afin d’écrire une œuvre actuelle et réaliste, mais sans lui laisser jouer un rôle de premier plan, mon intérêt portant davantage sur l’aspect humain et psychologique de cette création.

4. Constats

La première observation que j’ai pu effectuer au fil de cette recherche est que la littérature est plus ou moins représentative de la réalité en ce qui a trait à la dimension 2.0. Tel que je l’ai expliqué plus haut, dans la section « Présentation des œuvres de référence », les auteurs qui incluent les technologies de l’information et de la communication dans leur œuvre de manière réaliste sont plutôt rares. À moins que les TIC soient reliées à la thématique du roman, il est plus naturel pour les auteurs d’en faire fi ou de mentionner leur présence simplement par souci de réalisme.

J’ai de plus remarqué que quand le Web et ses variantes sont effectivement présents dans un roman, il arrive souvent que l’usage qu’en font les personnages ne soit pas réaliste. L’exemple qui revient le plus souvent concerne les types de messageries. La plupart du temps, lorsqu’un personnage communique par message avec un de ses proches, il le fait par courriel. Or, en 2018, et ce depuis quelques années déjà, le courrier électronique est davantage réservé à un contexte formel de communication. Avec toutes les possibilités de messagerie instantanée qu’offrent les différents sites internet et les applications mobiles (Facebook, Snap Chat, Messenger, etc.), les échanges personnels ou sociaux se font très rarement par courriel. Malgré cela, plusieurs auteurs, moi y comprise, choisissent les courriels comme mode d’échanges électroniques entre leurs personnages. Dans mon roman, les rares nouvelles données par le personnage à ses proches lorsqu’elle est en voyage sont par courriel. Pourtant, je suis consciente que dans la vraie vie, une jeune femme de 24 ans qui part en voyage n’agirait pas ainsi. À la limite, il se pourrait qu’elle communique avec ses parents par courriel parce que ceux-ci n’appartiennent pas à la même génération qu’elle. Mais il est clair que pour écrire à son copain, un jeune homme dans la vingtaine, elle recourrait à Messenger (Facebook) ou au texto (utilisant le WiFi si le réseau n’est pas accessible). Aujourd’hui, très peu de milléniaux s’écrivent par courriel

dans un contexte personnel. Aussi me suis-je interrogée sur ce qui m’a amenée à faire ce choix plus ou moins réaliste pour mon roman, et j’ai identifié trois raisons.

D’abord, la temporalité est un facteur déterminant. Les réseaux sociaux et les autres applications sont d’utilisation plus récente que le courrier électronique qui est moins à la mode, mais présent depuis plus longtemps. Ainsi, choisir le courriel comme mode de communication électronique pour son roman est une décision qui donne un caractère plus intemporel à l’œuvre. Autrement dit, elle est moins actuelle par rapport à la dimension 2.0, mais risque de mieux « vieillir » qu’un roman qui met de l’avant les modes technologiques d’un moment précis.

Ensuite, bien qu’un auteur puisse écrire pour un lectorat ciblé, le désir d’élargir le plus possible son public subsiste. C’est pourquoi il souhaite rester accessible au niveau des TIC. Force est d’admettre que ce ne sont pas toutes les générations qui sont au même niveau dans leur utilisation des réseaux sociaux. Le courrier électronique est donc un bon compromis pour assurer la compréhension de tous.

La dernière raison, bien qu’assez simple, a été pour moi la plus décisive. L’idée est de ne pas se perdre dans des détails inutiles. Comme le type de technologie utilisé n’a pas d’incidence sur le récit, pourquoi ne pas se limiter à la simplicité? Le courriel est connu de tous et sa fonction est unique; envoyer des messages. C’est tout ce dont l’histoire a besoin.

En m’appuyant sur la remarque précédente, je constate que la façon dont la fuite par le voyage est représentée dépend en grande partie de la décision de l’auteur d’inclure le 2.0 à son récit, et si c’est le cas, dans quelle mesure il le fait. J’ai établi que la plupart du temps il choisit de ne pas laisser la place réelle à la dimension. Dans ce cas, les répercussions sur la fuite ne sont pas non plus réelles. C’est-à-dire que, même s’il a été démontré que la déconnexion totale en voyage n’est presque plus une option en 2018, la littérature contemporaine n’est pas figurative de cette réalité sociale.

Cette conclusion m’amène à la dernière remarque de cette étude. Je rappelle qu’en première partie de ce travail, j’ai maintenu que l’intérêt de cette recherche reposait sur la représentation d’une toute nouvelle question sociale en littérature. Bien sûr, c’est encore le cas. Cependant, je réalise que le Web 2.0 est un domaine d’études encore plus innovateur en littérature que ce à quoi je me serais attendue. En effet, bien que les recherches sociales abondent sur le sujet, il s’avère que quelques années supplémentaires seront encore nécessaires pour que nous puissions effectuer des études plus poussées sur l’ère du 2.0 présente dans la littérature.

Conclusion

Les quatre romans étudiés dans cette recherche ont été sélectionnés dans le but de représenter les auteurs de la génération Y, mais aussi le mode de vie de cette génération, qui se voit ou non représenté dans leurs œuvres. Mon analyse a démontré que la dimension 2.0 n’est pas toujours présentée de façon réaliste dans les voyages fictifs écrits par ces jeunes auteurs. Ainsi, les répercussions des technologies de l’information et de la communication sur la fuite dépendent de ce niveau de réalisme. S’il n’y a pas assez de place dans les œuvres pour les TIC, celles-ci ne peuvent avoir un effet important sur la nature de la fuite par le voyage entreprise par le personnage principal. Il en va de même pour le roman.

Comme pour le 2.0, la littérature demeure en retard dans la représentation de certains éléments évolutifs de cette société. Cela pourrait d’ailleurs devenir le sujet de futures recherches. Par exemple, les stéréotypes genrés font partie des sujets chauds du moment. Particulièrement en littérature jeunesse, les auteurs qui se font un point d’honneur de suivre le courant vers l’élimination des stéréotypes genrés sont très engagés, mais toujours en minorité. Comme l’a déclaré l’auteure Sophie Bienvenu à la sortie de son livre La princesse qui voulait devenir générale,

les « petites filles qui aimaient autre chose que le rose »33 étaient encore très rares

en 2017 dans les romans pour enfants.

D’un autre côté, il demeure important de noter que lorsque l’on s’intéresse à

la littérature du 21e siècle, plusieurs tendances importantes semblent refléter de

nouveaux courants sociétaux. Dans un article de La Presse+ écrit par Chantal Guy

et intitulé « Littérature d’ici, maintenant : Tout bouge autour de nous »34, des

spécialistes du domaine abordent les principaux courants qui marquent la littérature d’aujourd’hui. Par exemple, il y a le retour au régionalisme, ce courant

33 Dominic Tardif, « Rencontre avec des écrivaines sans frontières », Le Devoir, 10 février 2018,

Aimer autre chose que le rose [En ligne]. http://www.ledevoir.com/lire/519733/rencontre-avec-des-

ecrivains-sans-frontieres. [Texte consulté en février 2018].

34 Chantal Guy, « Littérature d’ici, maintenant : Tout bouge autour de nous », La Presse+, 11 mars 2018, [En ligne]. http://plus.lapresse.ca/screens/b1d7bc48-5e1c-4863-9f46-

qui amène les auteurs et les histoires qu’ils écrivent en dehors de la grande ville. Cet engouement pour la campagne, on le remarque aussi dans les tendances actuelles qui nous entourent. Le biologique, les jardins communautaires, les « toits verts », ainsi que les jeunes citadins, tannés de la vie en ville, qui quittent tout pour s’acheter une terre en campagne, sont des exemples parmi tant d’autres. On note aussi, en lien avec l’arrivée des réseaux sociaux, une nouvelle ère d’éditeurs non généralistes qui sont issus de la même génération que leurs auteurs avec qui le contact se fait naturellement via les réseaux sociaux. Ce sont des maisons d’édition spécialisées qui répondent au besoin de reconnaissance qui caractérise la génération Y.

Selon moi, dans l’optique d’apporter une contribution supplémentaire à ce domaine d’étude, il serait intéressant de privilégier une approche combinant les deux dernières remarques, soit les avancées ainsi que les retards dans la représentation de certains éléments évolutifs de cette société. Globalement, il s’agirait de comprendre comment la société actuelle s’inscrit ou pas dans la littérature ultracontemporaine. Évidemment, il s’agit d’un sujet de recherche en constante redéfinition par le simple fait que les sociétés évoluent.

Comme quoi la littérature s’imprègne des courants avec plus de facilité dans certains domaines que d’autres. Néanmoins, comme cet art suit l’évolution de l’humanité depuis déjà plusieurs siècles, on ne doute pas de sa capacité d’adaptation à cette nouvelle ère.

Bibliographie

Œuvres de référence

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