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Esquisse d’une approche phénoménologique des romans de Silvia Molina

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Academic year: 2021

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Marie-Agnès Palaisi-Robert, « Esquisse d’une approche phénoménologique des romans de Silvia Molina », Les espaces des écritures hispaniques et

hispano-américaines au XXIe siècle, sous la direction de Eduardo Ramos Izquierdo et

Marie-Alexandra Barataud, Limoges, PULIM, 2012, pp.107-115.

Dans chacun de ses romans, Silvia Molina (Mexique, 1946) a choisi une femme comme protagoniste. Chacune de ces femmes s’interroge sur le sens de sa vie, ses priorités et remet en cause un certain modèle de la féminité. Parallèlement, c’est dans la correspondance épistolaire que toutes ces protagonistes se libèrent et se dévoilent. C’est donc la récurrente mise en abîme de cette forme d’écriture que j’interroge.

Le roman Muchacha en azul (Joaquín Mortiz, México, 2001) servira à illustrer mon propos qui est généralisable à tous les romans de Silvia Molina. Pour comprendre la façon dont le sujet féminin tente de se saisir lui-même, je propose, tout d’abord, de considérer les figures de la féminité qui sont déconstruites par la protagoniste.

A partir de là on commence à entrevoir le rôle que pourrait jouer l’écriture dans la construction du sujet féminin, et c’est en utilisant la théorie ezquerrienne du texte que je soulignerai le sens de la spécularité de l’écrit dans le(s) roman(s) de Molina.

De là j’en viendrai à montrer comment ces romans sembleraient proposer une vision merleau-pontienne du sujet féminin. En effet certaines notions de la phénoménologie de Merleau-Ponty peuvent nous aider dans la compréhension du fonctionnement de Hilda et dans la définition d’un sujet féminin libre de toute catégorisation et construction sociale, ce qui pourrait constituer une alternative aux théories féministes sociologiques.

Il convient tout d’abord de partir de ce que contre quoi se construit le roman. Toutes les femmes protagonistes des romans de Silvia Molina remettent en cause les images communes de la femme du XXème siècle. Dans Muchacha en azul, Hilda n’a que 15 ans, et la naïveté inhérente à sa jeunesse en font une critique intransigeante.

Le premier modèle auquel elle s’oppose est celui de sa mère, battue par son père, et qui a abandonné ses enfants pour sauver sa peau et échapper à son mari. Cette situation fait naître chez Hilda dès son plus jeune âge une farouche envie d’émancipation et surtout une méfiance envers le sexe masculin dont elle ne se débarrassera jamais.

Le deuxième modèle qui se substitue immédiatement à celui de la mère absente est celui de sa demi-sœur, Flora. Celle-ci décide de prendre Hilda sous son aile afin de la soustraire à ce

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climat familial traumatisant. Flora, qui a le même père que Hilda, est partie travailler à Paris et elle décide d’y faire venir la jeune Hilda. Malgré ce drame familial qui les rapproche géographiquement, la cohabitation entre les deux sœurs n’est pas simple et Hilda mettra très longtemps à savoir gré à Flora de l’avoir recueilli sans que rien ne l’y eût obligé.

Flora joue donc le rôle de mère de substitution et Hilda pensera longtemps, avant de comprendre toute la complexité de la situation, que c’est sa sœur qui l’a privé de sa mère en l’ayant arrachée à son pays. La grande sœur n’est donc pas non plus le modèle auquel elle pourrait s’identifier : Flora est une jeune femme que Hilda décrit comme indépendante, qui a toujours choisi des hommes qui ont favorisé son ascension sociale mais qui ne s’est jamais attachée à aucun d’entre eux. Les hommes défilent dans sa vie à un rythme variable et elle donne l’impression de les utiliser comme moteur à sa carrière dans la société mondaine parisienne. Il est notable que ce qui gêne Hilda avant tout, peut-être parce que Flora remplace sa mère, c’est que sa sœur ait des aventures. Le fait qu’elle utilise les hommes pour sa carrière n’est pas source de questionnement pour elle. Mais malgré son indépendance, Flora s’attache un jour à Enrique, un péruvien, et semble aveuglée par son charisme et sa beauté. Bien souvent Hilda décrit alors sa sœur comme une femme soumise à un macho primaire, et elle se rend compte bien avant sa sœur qu’Enrique est un séducteur. Malheureusement cette conscience de la véritable nature d’Enrique ne lui permettra pas d’éviter le pire : Enrique la violera, raison qui la poussera à repartir au Mexique sans rien avouer à sa sœur. Flora se trouve donc elle aussi dans une relation amoureuse qui met clairement en scène la domination masculine.

Le troisième modèle qui s’offre à Hilda en est une troisième déclinaison. Il s’agit de son amie, Natuya, une jeune indienne qui fréquente la même école pour étrangers qu’elle. Natuya est d’une famille princière et ses parents la marient dès son plus jeune âge. La situation révolte Hilda mais Natuya a été éduquée pour accepter ce mari qu’elle ne connaît pas et qu’elle est sûre d’aimer dès le premier regard, ce qui se produira effectivement.

Hilda ne comprend pas comment Natuya peut se résigner à ce mariage. Elle ne comprend pas que son amie accepte de passer sa vie avec quelqu’un sans le connaître et sans l’aimer ; mais Natuya est dans une autre logique et une autre culture et cette soumission et ce fatalisme lui semblent naturels.

Reste donc à Hilda le modèle de la veille fille, doña Filo, qui devient un peu sa grand-mère d’adoption, mais qui est une veille dame solitaire. Hilda n’a donc pas de modèle féminin pour se construire. Donc depuis qu’elle a vu son père battre sa mère, les rapports entre hommes et femmes sont pour elle aliénants et elle ne trouve dans sa vie aucun couple qui lui prouve

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qu’un autre type de relation entre les deux soit possibles. La critique de Molina est sévère, son regard, par l’intermédiaire de cette adolescente non encore totalement formatée par la société, ne laisse échapper aucune trace de la domination masculine et de la réduction de la femme à un objet.

Mais dans cet univers sombre, Hilda trouve une lueur d’espoir : Herman Sulzer. Elle le rencontre lors d’une réception à l’ambassade où elle accompagnait sa sœur. Cet homme vient lui adresser la parole, semblant ne pas tenir compte de son jeune âge. Ils engagent une discussion au terme de laquelle il lui donne sa carte en lui disant qu’à leur prochaine rencontre elle lui donnerait la sienne et qu’il lui raconterait l’histoire de l’Afrique où il a passé une partie de sa vie. Hilda prend cette promesse très au sérieux et commence entre eux une relation épistolaire à sens unique car Flora détruira presque toutes les lettres qu’Herman enverra à sa sœur, trouvant cette correspondance entre une jeune fille et un homme mûr malsaine. Malgré tout Hilda gardera toujours l’espoir de revoir Herman, ce qui effectivement se produira, et ses lettres lui auront permis de s’évader d’un monde qui ne lui correspond pas et de s’en construire un à sa convenance.

Comme dans les autres romans de Molina, on a deux textes imbriqués, le roman et les lettres, et deux typographies, l’une normale, qui correspond au récit chronologique que fait Hilda de sa vie avec sa sœur, et l’autre en italique qui restitue l’histoire de et avec Herman. Or c’est dans cette partie-là qu’Hilda se dévoile, exprime la façon dont elle se voit et formule ce qu’elle aimerait être. On trouve toujours dans les romans de Molina, ce double niveau, ce récit dans le récit, cette tentative d’écriture du sujet féminin, très souvent dans une correspondance qui supplée à une insuffisance des modèles existants. Ce deuxième niveau permet l’utopie : c’est le récit de l’Afrique qu’Herman promet à Hilda dès leur première rencontre, récit idéalisé, fantasmé, que nous ne lirons que partiellement mais qui est l’aboutissement du livre. C’est aussi la rencontre de cet être idéal longtemps fantasmé puis qui devient réel. Hilda l’admire, il est l’être dans lequel elle se reconnaît, celui à qui elle aimerait ressembler. C’est une identification récurrente chez Molina, mais les hommes choisis pour l’identification sont des hommes toujours exceptionnels, nous y reviendrons.

Le mécanisme du genre épistolaire, de même que l’émergence d’un sujet « écrivant », me semblent parfaitement adapté à l’émergence du sujet féminin post-moderne. Etant donné la récurrence de cette mise en abîme du processus d’écriture dans la constitution du sujet

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féminin dans les romans de Silvia Molina, je me suis interrogée sur les raisons de leur imbrication.

En premier lieu, la théorie de Milagros Ezquerro permet d’insister sur le mécanisme de la lettre. Milagros Ezquerro considère que le texte n’est pas figé et qu’il est modifié par les différentes lectures dont il est l’objet. Les deux notions de sémiotope et d’idiotope permettent de comprendre comment : le sémiotope est le terme qui désigne le texte dans son fonctionnement et le pose comme un ensemble de signes qui entrent en relation les uns avec les autres suivant le contexte historico-culturel dans lequel il est produit. L’idiotope définit le contexte historique, social et culturel de l’auteur et du lecteur. Le sémiotope du texte est donc le produit du travail de l’écrivain, sujet producteur, qui, par son idiotope le dessine, et chaque lecteur, sujet récepteur et oméga, l’enrichit également de son propre idiotope lors d’une lecture analytique. Ainsi le sémiotope évolue-t-il au fil des ans et des lecteurs qui vont lui prêter tel ou tel sens, il est ainsi le fruit de la circulation du sens entre les sujets producteur et récepteur, le point où se rencontrent et communiquent les mondes de l’un et de l’autre.

Le fait que Silvia Molina choisisse la lettre comme forme de prédilection pour la définition du sujet féminin est pour moi révélateur de ses objectifs subversifs : la lettre n’est pas choisie chez Molina comme forme littéraire mais elle est mise en abîme à l’intérieur d’un autre genre, le roman, pour mettre ainsi en relief le travail de l’écrivaine qui cherche à se saisir avant tout dans son identité de femme. La relation épistolaire insiste donc pour moi sur l’intérêt et la nécessité de la circulation du sens dans la construction du sujet féminin. Dans cette perspective, je propose de considérer la relation épistolaire non pas comme un genre spécifiquement féminin et mineur (comme le considèrent les féministes telles que C. Planté ou NC Mathieu) qui serait donc révélateur de la place marginale assignée à l’écrivaine dans le monde littéraire, d’autant que cette forme-là n’est que secondaire, englobée dans un roman ; mais au contraire, comme un moyen de faire circuler du sens entre l’auteur et le lecteur de la lettre, la femme et l’homme donc qui se retrouvent alors sur un pied d’égalité. La différence de sexe est secondaire, ce sont deux sujets qui se répondent. Les rôles, les valeurs, les qualités et les compétences s’échangent : les rapports de domination se neutralisent et un rapport d’égalité (nécessaire à l’échange) se construit.

La femme, comme tout sujet, a besoin du regard d’autrui pour se construire. Mais dans la société actuelle, cela pose un problème puisqu’elle ne trouve pas de miroir à sa convenance dans les modèles féminins existants. C’est donc dans l’écriture qu’elle s’invente. En même temps que se construit le texte, se construit le sujet féminin à venir. L’interlocuteur qu’elle se choisit, qui est aussi son lecteur, est toujours un homme brillant, reconnu pour son travail,

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mais qui adopte des positions personnelles en marge de celles que lui confèreraient son statut. Dans Muchacha en azul, Herman Sulzer, qui refuse l’obéissance aveugle et la corruption, se mettra de nombreuses fois en danger de mort (que ce soit par ses actions en Afrique pour libérer les femmes de l’emprise masculine, ou au Mexique face à la corruption des leaders de la Pemex). Cette position marginale lui confère un statut à part dans le milieu masculin du pouvoir. Elle fait de lui un homme à l’esprit ouvert, capable de voir Hilda telle qu’elle est, sans plaquer sur elle les schémas communs de la féminité qui ne correspondraient en rien à cette adolescente encore mal dans son corps. Ce fait même est révélateur de la déconstruction des canons de la féminité qu’opère Molina. Ainsi on comprend mieux le fonctionnement du processus spéculaire qui se construit dans la relation épistolaire : si nous sommes d’accord pour reconnaître la nécessité d’autrui pour se définir soi-même, nous comprendrons aussi que les femmes en quête d’une réelle émancipation et d’une réelle liberté de parole et d’action, ne trouvent leur interlocuteur de prédilection que dans un homme suffisamment critique par rapport à sa position de dominant. Parce qu’il est homme, il est libre et puissant, modèle féminin moins répandu pour l’instant. Mais parce qu’il est critique, il est apte à accepter lui aussi que son miroir lui renvoie une figure périphérique, marginale, comme peut l’être celle d’une adolescente encore mal dans sa peau. Il y a donc pour moi dans ces romans une double volonté : l’émancipation de la femme portée par la mise en abîme du genre épistolaire et la déconstruction des images communes de la masculinité et de la féminité.

Or c’est cette circulation du sens entre sujets dépouillés au maximum de leurs caractéristiques génériques, regardée depuis la structure romanesque qui l’analyse, qui m’a conduite à reconsidérer la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty pour en faire une clé de lecture des romans de Silvia Molina.

Cela fait quelque temps que je travaille sur les femmes et j’en viens à deux constats : depuis les années 70 et les travaux d’Ann Oakley, toutes les théories féministes s’accordent à penser qu’une bonne partie de ce qui fait la féminité n’est que le fruit d’une construction sociale et que nos comportements ne sont que le résultat d’une éducation et d’une histoire sociale qui a toujours fait des femmes des êtres inférieurs, faibles et soumis à leur mari. Le constat de la domination masculine déborde des frontières nationales, de même que celui d’une construction sociale des comportements associés au sexe (à des degrés divers suivant les cultures).

Mais là où les opinions divergent c’est sur la façon dont il faut mettre fin à cette construction. Deux écoles s’opposent fondamentalement : les anti-essentialistes (comme Planté et Butler) et

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les différentialistes (comme Luce Irrigaray ou Hélène Cixous). Que le genre précède le sexe ou l’inverse, là est le nœud de la discorde. Pour les anti-essentialistes, il semblerait qu’il soit impossible de redéfinir le sujet féminin sans remettre en cause la bipartition sexuelle originelle ; les anti-essentialistes pensent que les hommes utilisent à leur avantage cette différence initiale et biologique comme fondement de leur domination et qu’il est impossible de stopper ce pouvoir sans modifier ce sur quoi il se fonde.

Ayant à la base une formation scientifique ─ en biologie qui plus est ─ il m’est difficile de me positionner en marge de toute idéologie naturalisante, mais il me semble par ailleurs évident que les qualités attribuées à l’un et l’autre sexe donnent parfois matière à des dérives de comportement.

Or la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty qui définit le sujet par un acte de réciprocité au sein de la chair du monde pourrait me semble-t-il ouvrir une autre voie dans la définition du sujet féminin, voie dans laquelle se situerait Silvia Molina.

La notion merleau-pontienne de chair n’est pas étrangère à la notion courante qui renvoie au corps vécu, animé, mais elle s’en écarte aussi en tissant un lien entre le corps voyant et le monde visible. La chair est ainsi « l’indivision de cet être sensible que je suis et de tout le

reste qui se sent en moi »1. L’être est donc visible et voyant, corps phénoménal et objectif,

dedans et dehors : c’est lorsqu’il est vu, que l’on en perçoit le style, intimement lié à l’être. L’apparence, qui est en liaison avec l’intérieur de l’être, est une notion fondamentale chez Merleau-Ponty. C’est le point de contact entre l’être et le monde, le lieu de la communication entre le dehors et le dedans.

De fait cela peut permettre de neutraliser le regard masculin superficiel qui plaque sur le corps de la femme des fantasmes qui lui sont propres et la réduisent ainsi à un objet faisant impasse sur cette chair qu’est la femme, cette chair sensible « au double sens de ce qu’on sent et de ce qui sent »2. La femme ne peut être vue – comprise – que si elle même voit et se donne à voir de l’intérieur.

C’est bien ce que fait Herman Sulzer avec Hilda : il va derrière l’apparence pour voir ce que l’être a à dire, et pour connaître son histoire propre qui seule éclairera son style androgyne. Cela implique une relation profonde, qui, dans les romans de Silvia Molina, n’est pas forcément sexuelle. La connaissance d’autrui passe par le corps comme reflet de l’être. Mais le sexe n’est qu’une partie du corps auquel on ne peut le réduire. Or, comme cette réduction

1

Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p.309

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s’opère systématiquement lorsqu’il s’agit de comprendre une femme, Molina préfère faire passer cette relation au second plan, derrière la relation épistolaire, véritable lieu de la rencontre entre l’homme et la femme. Bien souvent les relations épistolaires semblent asexuées dans le sens ou le sexe de l’auteur et du lecteur importe peu, le sujet de l’écriture étant la quête du sens de l’être.

Chez Merleau-Ponty, la phénoménologie de la perception, c’est-à-dire le fait de saisir l’intersubjectivité et l’empirique comme données indispensables à la compréhension de la vie au même titre que la transcendance, permet la rencontre avec l’être brut. L’être brut désigne

« le monde avant la connaissance dont la connaissance parle toujours »3, le monde vécu et

perçu auquel nous sommes ouverts dans la foi perceptive et qui est sauvage en ce sens qu’il

n’est pas encore « réduit à nos idéalisations et à notre syntaxe »4. La description de l’être brut

laisse être les choses et « se borne à leur rendre le creux, l’espace libre qu’ [elles]

redemandent, la résonance qu’[elles] exigent »5

.

Or si, en accord avec les études de genre, on convient que la féminité n’est qu’une construction sociale, cet être brut pourrait permettre de retrouver ce que l’être pouvait être avant toute socialisation et éducation, toute « sexualisation » donc. Pour cela, le langage, fondamental dans la construction de l’individu, doit également retrouver sa force originelle créative, celle que possède tout enfant dans les premières années de sa vie. Merleau-Ponty distingue en cela la parole parlée de la parole parlante autour de leur rapport au silence. La parole parlante, conquérante, outrepasse l’univers des significations sédimentées et, animée par une intention significative « à l’état naissant », tente de « mettre en mot un certain

silence » 6. Elle va donc au surgissement de l’être brut pour le conduire à l’expression en

apprivoisant le silence. Tandis que la parole parlée est la retombée de l’invention du sens dans le monde culturel des significations communes disponibles.

Or la création littéraire permet seule un retour à un langage originel. C’est le seul lieu, dans l’écriture, où l’on puisse retrouver la force créatrice et originelle du langage qui devient alors l’habillage du silence. La littérature permet les néologismes, les innovations syntaxiques, les licences poétiques, autant d’outils pour retourner à une parole vierge de tout bagage idéologique, historique et culturel qui va donc pouvoir redessiner les rapports entre les êtres dans leur seule dimension ontologique et phénoménologique.

3

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, III partie

4

Maurice Merleau-Ponty , op.cit., p.139.

5 Ibid., p.138

6

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On comprend pourquoi la femme qui cherche à se reconstruire utilise la correspondance : lorsque Hilda écrit à Herman, elle puise dans son silence intérieur et seule la parole poétique a cette capacité de retour à l’être brut. Etant donné que le langage porte aussi les marques d’une culture patriarcale, il est limité dans l’usage que peut en faire la femme pour son émancipation. A moins de l’épurer. Il est donc logique que la femme libre à redéfinir, le fasse dans le travail d’écriture et de création littéraire, qui tisse un nouveau lien avec un homme ouvert à dépasser sa condition de mâle. Logique aussi que Silvia Molina mette en abîme dans ses romans ces correspondances épistolaires qui sont le cœur d’une démarche féministe. Pour Merleau-Ponty, la communication ne doit pas être un échange de paroles qui seraient la revivification de significations que chacun possèderait par devers soi. Ce doit être une invention de sens et de vérité dans un dialogue doublement actif : le sens transmis ne doit pas être étranger, extérieur à autrui, uniquement perçu. Il doit combler un vide, un silence et l’interlocuteur y répond par un investissement de soi, de sa chair, dans la parole d’autrui : « le sens de la parole que je dis à quelqu’un lui ‘tombe sur la tête’, le prend avant qu’il ait

compris, tire de lui la réponse »7 .

La stratégie de Silvia Molina et la construction de ses romans insistent donc sur la nécessaire réciprocité des rapports humains dans la revalorisation du sujet féminin faisant ainsi du genre épistolaire ─ qui est souvent associé à la femme et considéré comme mineur ─ un des genres les plus actifs dans cette reconstruction de la femme. Cette thèse met la philosophie de Merleau-Ponty au centre du processus d’émancipation de la femme.

Bibliographie

Ezquerro, Milagros, Fragments sur le texte, Paris, L’Harmattan, 2002 Leerescribir, México/París, Rilma2/ADEHL, 2007 Molina, Silvia, Muchacha en azul, México, Joaquín Mortiz, 2001

El amor que me juraste, México, Joaquín Mortiz, 1998

La mañana debe seguir gris, México, Cal y arena, 2005 (1era ed. 1977)

Merleau-Ponty, Maurice, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964

Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945

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