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Commerce équitable

Vivien Blanchet et Aurélie Carimentrand

Pour citer ce papier :

BLANCHET V. et A. CARIMENTRAND. 2012. Commerce équitable. In: Blanchet V et Carimentrand A (éds). Dictionnaire du commerce équitable. Versailles: Quae. 44-54.

La définition du commerce équitable constitue, elle-même, un enjeu pour le développement du commerce équitable. Elle délimite les contours des pratiques et, partant légitime une « bonne manière » de pratiquer le commerce équitable. Depuis une quinzaine d’années, les débats sur la définition du commerce équitable s’intensifient sous la pression de trois facteurs. Premièrement, de nouveaux entrants bouleversent les frontières du champ : la certification permet à des entreprises issues du commerce conventionnel d’engager une partie de leur activité dans le commerce équitable (voir entrées « Certification » et « Organisations du commerce équitable ») ; parallèlement, l’État accroît son implication dans le champ et participe à sa régulation (voir entrée « État »). Deuxièmement, ces nouveaux entrants ont permis une croissance du secteur. Principale marque de certification, Max Havelaar a ainsi multiplié ses ventes par 21 entre 2001 et 2010 : elles atteignent désormais 303 millions d’euros sur le marché français. La croissance semble néanmoins s’affaiblir : elle n’était plus que de 5% entre 2009 et 2010, alors qu’elle s’élevait encore à 12% entre 2008 et 2009. Plus inquiétant : en 2010, les ventes de produits équitables labellisés Max Havelaar ont reculé de 2,4 % dans les circuits de grande distribution. Troisièmement, la croissance du secteur s’est accompagnée d’une intensification de la concurrence entre acteurs, d’une professionnalisation et d’une institutionnalisation du mouvement ([Gendron et al., 2009]; [Özçaglar-Toulouse et al., 2010]). Ces trois tendances ont conduit à deux mouvements conflictuels. D’une part, des initiatives ont tenté de rallier la diversité des acteurs derrière une définition commune du commerce équitable. Les organisations supranationales du commerce équitable se sont entendues sur une définition consensuelle (le consensus de FINE en 2001). D’autres acteurs ont essayé de produire une définition commune : l’État a légiféré, en 2005 ; l’AFNOR a publié un accord, en janvier 2011 (cf. infra). Un tel objectif de rassemblement implique un rapprochement des acteurs autour d’une position médiane – ou du moins, ayant l’apparence de la neutralité. D’autre part, cette définition consensuelle, précisément parce qu’elle est consensuelle, tend à masquer les enjeux du champ ; ou plus exactement, elle tend à faire des enjeux de certains les enjeux de tous. Cette position n’est pas tenable pour les acteurs qui en sont les plus éloignés. Ils font défection et proposent des définitions alignés sur

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2 leurs propres engagements. Autrement dit, les enjeux de la définition du commerce équitable objectivent une ligne de partage entre orthodoxie et hétérodoxie ; bref, entre les différentes manières de pratiquer le commerce équitable.

Trancher les débats et proposer une définition a priori du phénomène reviendrait donc immanquablement à descendre dans l’arène, à prendre part – c'est-à-dire à prendre partie – dans les luttes entre acteurs, et finalement à imposer une définition de ce qui

doit être, sous couvert d’énoncer – scientifiquement – ce qui est. Aussi n’existe-t-il pas de définition, pour ainsi dire « toute faite et prête à l’emploi », qui soit suffisamment neutre pour entamer ce dictionnaire. Aucune définition conceptuelle ne peut donc être servie à son début ; et une telle définition ne peut être recherchée qu’à sa fin, comme la consécration du travail de rassemblement entrepris par cet ouvrage.

Point de définition conceptuelle donc. À la place un « signalement provisoire ». Il vise à dégager une forme suffisamment nette pour que les différentes initiatives du commerce équitable puissent s’y fondre.

1.

Un signalement du commerce équitable

1.1. Une critique du commerce conventionnel

Le signalement le plus sûr du commerce équitable procède peut-être par la négative. Proposer un commerce équitable implique de considérer un commerce conventionnel inique. Les critiques à l’encontre du commerce conventionnel sont de trois ordres ([Boltanski et Chiapello, 1999] ; [Chiapello, 2009]). Premièrement, une critique sociale dénonce l’exploitation et les inégalités engendrées par le commerce conventionnel. Elle dénonce des échanges inégaux (voir entrée « dégradation des termes de l’échange ») et pointe les dysfonctionnements d’un marché sensé s’autoréguler. La critique sociale lutte également contre les discriminations (sociales, de genre ou religieuses) et promeut des formes d’organisation démocratiques issues de l’économie sociale (voir entrées « Producteurs » et « ESS »). Deuxièmement, une critique « artiste » pointe une perte d’authenticité et un désenchantement du monde. Elle dénonce la marchandisation du monde. La consommation de produits équitables aspire alors à redonner du sens à l’acte d’achat (voir entrées « Consommateurs » et « Consommateurs responsables »). Nombre d’entrepreneurs du commerce équitable justifient également leur engagement par cette quête de sens (voir entrée « Engagement »). Troisièmement, une critique écologique dénonce la destruction de l’environnement et des écosystèmes. De nombreuses réflexions sont engagées pour préserver la biodiversité au sein des filières ou pour développer des techniques plus respectueuses de la nature (voir entrées « Développement durable » et « Bio-équitable »). Dans le commerce équitable, ces trois critiques se combinent. Et différemment dosées selon les initiatives, elles participent de l’hétérogénéité du mouvement et de sa dynamique.

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1.2. Des espaces de discussion

Cette définition par la négative demeure floue. Elle enveloppe le commerce équitable dans un voile d’incertitudes à la fois interne et externe. Dans le premier cas, la critique de l’ordre social est un critère insuffisant pour isoler le commerce équitable d’autres systèmes d’échanges. Par exemple, les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), les Systèmes d’Échanges Locaux (SEL) et le commerce éthique adressent, eux aussi, des critiques au commerce conventionnel. Certaines se recoupent. Dans le second cas, les critiques portées par les organisations du commerce équitable sont hétérogènes : elles varient en intensité – un pôle réformiste se voit opposé à un pôle révolutionnaire (voir entrée « Typologies ») ; elles revêtent différentes formes – la défection, la prise de parole et le « buycott » ([Micheletti, 2003]) ; et, sur le fond, elles invoquent plusieurs principes de justice, parfois antagonistes (voir entrée « équité ») ([Diaz Pedregal, 2007]).

Ce brouillard conceptuel présente deux risques principaux pour le développement du commerce équitable. Le premier concerne la coordination des acteurs. Ceux-ci ne peuvent demeurer constamment dans une situation d’incertitude. Ils ont besoin de repères sur lesquels adossés leurs actions. Ces conventions peuvent être le socle sur lequel construire des synergies et des partenariats. Le second risque concerne la régulation du commerce équitable. Une définition trop vague tend à démultiplier les initiatives, comme c’est le cas actuellement avec la coexistence de plusieurs labels et marques du commerce équitable (voir entrée « label et marque »). Et sans repères formels, le concept risque d’être galvaudé ou récupéré. Dans les années 1990, plusieurs espaces de discussion ont éclot afin de réduire cette incertitude.

Au niveau français

Au niveau national, la Plateforme pour le Commerce Équitable (PFCE) est fondée en 1997. En 2011, elle compte 35 membres. Ses missions se déclinent en trois axes : (i) favoriser les liens entre les acteurs du commerce équitable, (ii) participer à l’information et à la coordination des membres et (iii) promouvoir le commerce équitable auprès des consommateurs et des entreprises, des administrations et des collectivités territoriales. La PFCE a produit une charte afin de rassembler ses membres autour de principes partagés. Elle est structurée en deux parties. La première fixe les critères impératifs auxquels les membres ne peuvent dérogés. Ils concernent les producteurs ciblés, leurs conditions de travail et leurs rémunérations, la stabilité des relations commerciales, l’information et le contrôle de ces principes. La seconde partie énonce des critères de progrès que les membres doivent satisfaire au fur et à mesure du développement de leur activité. Ils concernent la lutte contre la discrimination et la prise de décision démocratique, l’amélioration des techniques de production et la diversification des débouchés, le raccourcissement du circuit entre le producteur et le consommateur et l’information des acteurs tout au long de la filière.

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4 L’association Minga – Faire ensemble est créée deux ans plus tard. Elle compte une centaine de membres. Ses missions visent principalement à informer sur le commerce équitable, à accompagner les porteurs de projets et à soutenir le développement de nouvelles filières commerciales.

Au niveau international

Au niveau international, une poignée d’organisations émergent pour structurer le commerce équitable. Les associations EFTA (European Fair Trade Association), au niveau européen, et FTF (Fair Trade Federation), pour l’Amérique du Nord, regroupent les principales centrales d’achat afin d’améliorer l’efficacité des pratiques d’importation de produits équitables.

L’IFAT (International Federation for Alternative Trade) regroupe des acteurs du commerce équitable du Sud (organisations de producteurs, ONG, etc.) et du Nord (fédérations nationales, OCE). Sa particularité est de compter une majorité d’acteurs du Sud parmi ses membres et d’être constituée de cinq bureaux régionaux (Europe, Pacifique, Afrique, Asie, Amérique Latine). Vingt ans après sa création, en 2009, l’IFAT a été rebaptisée « organisation mondiale du commerce équitable (WFTO – World Fair Trade Organization).

Fondé en 1994, NEWS ! (Network of European WorldShops) rassemblait les « magasins du monde » – par exemple, Artisans du Monde. Le réseau a cessé d’exister dans sa forme d’origine ; il est désormais intégré à WFTO.

FLO (Fairtrade Labelling Organizations) naît en 1997. L’organisation regroupe les différentes initiatives de labellisation fondées sur le modèle des associations Max Havelaar et Transfair. L’objectif est de faire converger les multiples registres de certification, de mutualiser les coûts de contrôle, d’obtenir une information plus précise sur les filières et de développer le volume du commerce équitable.

1.3. Le cadrage du consensus de FINE

En 1999, puis en 2001, quatre de ces organisations internationales se réunissent dans un forum informel ([Reed, 2009]). Les discussions aboutissent à une définition commune du commerce équitable, appelée « consensus de FINE » (encadré 1 et encadré 2) – FINE est l’acronyme des quatre organisations participantes (FLO, IFAT, NEWS! et EFTA).

Encadré 1 : Première définition du commerce équitable selon FINE (1999) Le commerce équitable est une approche alternative au commerce conventionnel. Il est un partenariat commercial qui vise un développement soutenable pour les producteurs exclus et désavantagés.

Il cherche à atteindre ce but en proposant de meilleures conditions d’échanges, en conscientisant [awareness raising] et en menant des campagnes.

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5 Encadré 2 : Seconde définition du commerce équitable selon le consensus de FINE (2001)

Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, qui vise à une plus grande équité dans le commerce international.

Il contribue au développement durable en proposant de meilleures conditions d’échanges et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, en particulier dans le Sud.

Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à appuyer les producteurs, à sensibiliser l’opinion publique et à mener campagne pour des changements dans les règles et les pratiques du commerce international conventionnel

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux définitions. Premièrement, aucune initiative n’est privilégiée. La définition de 2001 supprime même la dimension alternative du commerce équitable. Elle permet ainsi d’inclure dans le commerce équitable des entreprises conventionnelles qui n’y engageraient qu’une partie de leur activité. Dès lors, le consensus de FINE tend à affirmer implicitement la complémentarité des pratiques : le développement du commerce équitable nécessiterait ainsi une synergie entre ses différents acteurs (Diaz Pedregal, 2007). Deuxièmement, la définition de 2001 réaffirme la primauté d’un commerce équitable Nord-Sud, sans exclure, pour autant, la possibilité d’un commerce équitable local, c'est-à-dire Nord-Nord ou Sud-Sud. Troisièmement, la définition de 2001 opère un glissement sémantique dans la désignation des bénéficiaires du commerce équitable. Elle substitue « les producteurs et les travailleurs marginalisés » aux « producteurs exclus et défavorisés ». La propriété des moyens de productions n’est donc plus un critère de qualification : le terme « travailleurs » permet d’inclure les plantations et les ateliers dépendants d’une main d’œuvre salariée. Quatrièmement, la définition objective le rapprochement entre le commerce équitable et le développement durable : le premier est présenté comme un levier du second.

Dès lors, le consensus de FINE permet d’apprécier les différences entre le commerce équitable et le commerce éthique (encadré 3). Trois divergences principales peuvent être soulignées. En premier lieu, le commerce éthique est présenté comme l’apanage des multinationales. En ce sens, il participe à leur stratégie de responsabilité sociale et œuvre dans la sphère du commerce conventionnel (voir entrée « Responsabilité sociale de l’entreprise »). Le commerce équitable implique, lui, une majorité de petites organisations et œuvre pour un changement des règles du commerce international. En second lieu, le commerce éthique se concentre sur le respect des normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Contrairement au commerce équitable, il n’intègre ni les principes d’un « juste prix », ni le développement de relations commerciales de long terme, ni le préfinancement des commandes. Enfin, le commerce éthique ne répond pas à une démarche de développement, contrairement au commerce équitable.

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6 Encadré 3 : Définition du commerce éthique selon la Commission des Communautés

Européennes

« Si l'on parle de commerce éthique, c'est plutôt à propos de modes opératoires (codes de conduite, par exemple) propres aux sociétés multinationales qui opèrent dans les pays en développement et qui manifestent ainsi, à l'intention de leurs salariés ou autres partenaires, qu'elles ont le sens de leurs responsabilités sur les plans éthique et social ».

Source : Communication de la Commission au Conseil « Sur le commerce équitable ». Bruxelles, le 29 novembre 2011.

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:1999:0619:FIN:FR:PDF

1.4. La loi du 2 août 2005 : entre rupture et continuité

Une première définition légale du commerce équitable a été adoptée par l’article 60 de la loi n°2005-882 « en faveur des petites et moyennes entreprises », le 2 août 2005. Suite au vote de cette loi, une commission nationale du commerce équitable (CNCE) été créée via le décret d’application n°2007-986 du 15 mai 2007. Elle a été installée officiellement le 22 avril 2010. Son rôle est de reconnaître officiellement les organismes du commerce équitable au regard d’un référentiel de six critères décrits par l’article 6 du décret n°2007-986, du 15 mai 2007 (encadré 5).

Encadré 4 : Article 60 de la loi n°2005-882 du 2 août 2005

I – Le commerce équitable s’inscrit dans la stratégie nationale de développement durable. II – Au sein des activités du commerce, de l’artisanat et des services, le commerce équitable organise des échanges de bien et de services entre des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement. Ce commerce équitable vise à l’établissement de relations durables ayant pour effet d’assurer le progrès économique et social de ces producteurs. III – Les personnes physiques ou morales qui veillent au respect de ces conditions définies ci-dessus sont reconnues par une commission dont la composition, les compétences et les critères de reconnaissance des personnes précitées sont définis par décret en Conseil d’État.

Encadré 5 : Article 6 du décret n°2007-986 du 15 mai 2007 pris pour l'application de l'article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et relatif à la

reconnaissance des personnes veillant au respect des conditions du commerce équitable Pour reconnaître les personnes physiques ou morales qui veillent au respect des conditions du commerce équitable, la commission se fonde sur les critères suivants :

I. - Objectif : la personne physique ou morale a pour objectif, dans le respect des principes du développement durable, de permettre aux producteurs défavorisés des pays en développement d'améliorer leurs conditions de vie, et aux organisations de producteurs de renforcer leur capacité d'action et de négociation vis-à-vis des marchés et des pouvoirs publics.

II. - Indépendance : la personne physique ou morale qui sollicite la reconnaissance veille au respect des conditions du commerce équitable, à l'exclusion de toute activité de production, de transformation ou de distribution de produits ou de services marchands relevant du commerce équitable. L'activité de la personne physique ou morale qui sollicite la reconnaissance comporte des actions d'information et de sensibilisation du public aux enjeux du commerce équitable. III. - Transparence : la personne physique ou morale qui sollicite la reconnaissance met à la disposition de toute personne qui en fait la demande l'ensemble des informations relatives à son

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7 mode de fonctionnement, concernant notamment les modalités de contrôle et de prise de décision suite aux contrôles du respect des conditions du commerce équitable.

IV. - Présence auprès des producteurs dans les pays en développement : la personne physique ou morale veille à l'existence d'un système de contrôle effectif du respect des conditions du commerce équitable, y compris dans les pays où sont situés les producteurs. Ce contrôle porte sur la structure de l'organisation des producteurs, sur son caractère démocratique, et sur la transparence de la gestion des revenus générés par le commerce équitable, en vue d'atteindre les objectifs de développement économique, social et environnemental.

V. - Contrôles effectués auprès des importateurs : la personne physique ou morale veille au respect par les importateurs de conditions minimales relatives au prix d'achat, à la continuité des commandes et à leur préfinancement.

VI. - Accompagnement et sensibilisation : la personne physique ou morale veille à l'existence de prestations d'accompagnement des producteurs, visant à les renforcer dans leurs compétences techniques et économiques, dans leur organisation et dans leur capacité d'action et de négociation vis-à-vis des marchés et des pouvoirs publics, et de prestations de sensibilisation du public aux enjeux du commerce équitable.

L’article 60 de la loi du 2 août 2005 subordonne explicitement le commerce équitable au développement durable (voir entrée « Développement durable »). Par ailleurs, le commerce équitable est défini exclusivement comme un commerce international entre des pays différemment positionnés sur l’échelle du développement. Autrement dit, la loi française ne reconnaît pas le commerce équitable régional, qu’il soit Nord-Nord ou Sud-Sud. Plusieurs acteurs – Minga, Bio Equitable ou encore Breizh Ha Breizh – ont fortement critiqué cette approche tiers-mondiste (voir entrées « Colonisation » et « Commerce équitable local »). Enfin, cette définition juridique atteste du rôle croissant de l’État dans la régulation du commerce équitable (voir entrée « État »).

On peut aussi noter que si un accord de l’AFNOR a bien été publié en janvier 2006 (AC X50-340), la création d’une norme officielle pour le commerce équitable a bel et bien été abandonnée en France suite à l’échec des négociations (voir entrée « Normalisation »).

1.5. Des définitions hétérodoxes

La définition du commerce équitable défendue par les membres de l’association Minga est spécifique dans son étendue professionnelle (tous les acteurs de la filière) et géographique (tous les territoires). Pour Minga, « le commerce équitable, c'est-à-dire l’équité dans les échanges économiques, concerne tous les travailleurs impliqués dans une filière (producteur, emballeur, transporteur, transformateur, prestataire de services, commerçant et client) […]. Cette démarche est une alternative au commerce ultra-libéral et doit s’appliquer à tous les territoires » (Minga, 2005 cité par Diaz Pedregal, 2007, p. 150) (voir aussi entrée « Commerce équitable local »).

2.

Un

programme

de

recherche

:

des

pistes

de

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8 Le commerce équitable est un champ de recherche encore jeune. En France, la première thèse sur le sujet n’a été soutenue qu’en 1996 ([Renard, 1996]). Il suscite donc de nombreuses pistes de recherche. Les unes sont importées d’autres champs pour éclairer le commerce équitable ; les autres sont exportées du commerce équitable pour approfondir les champs alentours. Dans les deux cas, le commerce équitable est le centre de gravité d’un vaste programme de recherche. Et, dès à présent, nous pouvons brosser à grands traits quelques unes des pistes les plus importantes.

2.1. Le commerce équitable face à ses paradoxes

Nombre d’enjeux du commerce équitable gravitent autour de paradoxes. Le plus important concerne certainement l’ubiquité du commerce équitable : il est à la fois dans et contre le marché ([Le Velly, 2006]). La tension entre les deux termes du paradoxe permet d’envisager plusieurs voies de recherche. Au niveau global, leur pouvoir d’attraction questionne l’avenir du commerce équitable. Tendre vers le marché interroge la récupération du mouvement par le commerce conventionnel. Les recherches sur le commerce équitable pourraient recouper des thèmes comme le greenwashing ou le

branding. S’éloigner du marché questionne l’efficacité du mouvement. Au niveau organisationnel, le paradoxe incite à étudier la manière dont les acteurs composent pour résoudre les tensions contradictoires et pour stabiliser – au moins temporairement – les compromis qu’ils forgent. À cet égard, des recherches pourraient étudier la confrontation des différents principes de justice et d’équité engagés dans le mouvement, en soulignant leur dynamique. De même, le commerce équitable est un terrain fertile pour l’étude de controverses, qu’elles soient liées à la certification, au référencement des produits en grande distribution ou à l’efficacité même du commerce équitable. Au niveau individuel, l’ubiquité du commerce équitable peut donner lieu à des injonctions paradoxales. Elles ouvrent la voie à des recherches en comportement du consommateur ou, plus généralement, sur le travail identitaire des acteurs.

2.2.Le commerce équitable aux prises avec la gestion

La certification a favorisé l’apparition de nouveaux acteurs. Des entreprises conventionnelles ont ainsi pu engager une partie de leur activité dans le commerce équitable. Leur entrée dans le champ a conduit à un changement d’échelle du commerce équitable. Elle y a également favorisé une diffusion du management, selon un double mouvement : d’une part des acteurs historiques se sont appropriés des pratiques managériales qu’ils mettent au service de leur cause ; de l’autre les nouveaux acteurs – essentiellement des entreprises – ont incorporé les principes du commerce équitable à leurs pratiques managériales (voir entrées « GRH », « Management » et « Marketing »). Ce double mouvement appelle trois principales voies de recherche. En premier lieu, il incite à étudier la professionnalisation du secteur. Plusieurs pistes semblent prometteuses. Elles étudieraient la trajectoire des entrepreneurs du commerce

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9 équitable (Quelle est leur expérience du commerce conventionnel ? Quelle est leur formation ? Quel sens donne-t-il à leur engagement ?). Elles analyseraient les stratégies déployées par les organisations du commerce équitable pour assurer leur positionnement dans un champ de plus en plus concurrentiel. Mais la diffusion de pratiques empruntées au commerce conventionnel soulève également des résistances. En deuxième lieu, le commerce équitable invite donc à étudier l’appropriation du management. Il n’est « consommé » de manière passive ; il donne naissance à de nouvelles « productions » ([de Certeau, 1980]). En d’autres termes, le commerce équitable peut être compris comme un lieu d’expérimentation pour des pratiques managériales plus responsables, plus humaines ou plus soutenables. En ce sens, il incite à étudier des innovations dans des domaines aussi variés que la démocratie organisationnelle, la gestion des approvisionnements ou encore la gouvernance des filières ([Moore, 2004] ; [Reed et al., 2010]). En troisième lieu, le commerce équitable peut être un champ pertinent pour étudier la « managérialisation » de la société ([de Gaulejac, 2005]). Il ouvre ainsi la voie à des recherches critiques.

2.3.Le commerce équitable ici et ailleurs

Le commerce équitable est historiquement un commerce international. À cet égard, trois pistes de recherche peuvent être tracées. La première s’intéresserait à l’aval de la filière, particulièrement aux producteurs. A cet égard, les études d’impacts, déjà nombreuses et poursuivant des objectifs divers ([Vagneron et Roquigny, 2010]) permettent de tracer des voies d’amélioration du commerce équitable (voir entrée « impact »). Par ailleurs, les producteurs peuvent interpeller les acteurs du Nord, en proposant des modèles d’organisation et des pratiques alternatives ou innovantes tout en protestant contre leur faible représentation au seul des instances de labellisation ([Renard, 2010] ; Carimentrand et al., 2011). La deuxième piste étudierait le développement du commerce équitable local, qu’il s’agisse d’échanges Sud-Sud ou Nord-Nord. La troisième piste proposerait une approche comparative du commerce équitable. Elle confronterait les différentes initiatives nationales. Cette dimension internationale permettrait d’améliorer la réflexivité des pratiques et des recherches en pointant les spécificités locales (numéro spécial de Journal of Business Ethics coordonné par [Huybrechts et Reed, 2010]).

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