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Tako - Cerfs-volants japonais traditionnels, la collection du musée du quai Branly.

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Academic year: 2021

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Submitted on 16 Jul 2019

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Tako - Cerfs-volants japonais traditionnels, la collection

du musée du quai Branly.

Cecile Laly

To cite this version:

Cecile Laly. Tako - Cerfs-volants japonais traditionnels, la collection du musée du quai Branly.. [Rapport de recherche] Musée du quai Branly - Jacques Chirac. 2014. �hal-02185644�

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T

AKO

-

Cerfs-volants japonais traditionnels,

la collection du musée du quai Branly

Cécile LALY

Lauréate d’une bourse d’étude pour la documentation des collections du musée du quai Branly 2013-2014

Note de recherche

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 2

SOMMAIRE

Avant-propos ... 5

Introduction ... 8

1ère partie : Cerfs-volants japonais : Histoire, utilisations, terminologie, fabrication ... 9

1. Histoire ... 9

1.1. Origines ... 9

1.2. Époque d’Edo : l’âge d’or ... 9

 Démocratisation du cerf-volant ... 9

 Interactions entre les distractions populaires ... 9

 Diffusion de la mode cerf-voliste d’Edo dans les provinces ... 12

 Organisation de la production... 12

1.3. Déclin et préservation ... 13

2. Utilisations ... 16

3. Terminologie ... 18

4. Fabrication ... 20

4.1 Du bambou pour l’armature ... 21

4.2 Du papier Japon pour la voilure ... 22

4.3 Des pigments naturels pour le décor ... 23

4.4 Et pour les cordes ? ... 24

2ème partie : Cerfs-volants japonais du musée du quai Branly ... 26

1. Donations et acquisitions ... 26

2. Cerfs-volants Edo, Honshū ... 29

2.1 Kaku dako [Cerfs-volants rectangulaires] ... 29

2.2 Yakko dako [cerfs-volants Yakko] ... 32

2.3 Sode dako [cerfs-volants Sode ou Kimono] ... 34

3. Cerfs-volants de la région du Chūbu, Honshū ... 37

3.1. Cerfs-volants Yokosuka ... 37

Yokosuka tonbi dako [cerf-volant Yokosuka – Milan] ... 38

Yokosuka semi dako [cerf-volant Yokosuka – Cigale] ... 39

Yokosuka beka dako [cerf-volant Yokosuka – Beka] ... 40

Yokosuka buka dako [cerf-volant Yokosuka – Buka] ... 41

Yokosuka Shōsuke yakko dako [cerf-volant Yokosuka – Yakko Shōsuke] ... 42

Yokosuka bekkakō dako [cerf-volant Yokosuka – Bekkakō] ... 42

Yokosuka yatsubana dako [cerf-volant Yokosuka – Yatsubana] ... 44

Yokosuka tomoe dako [cerf-volant Yokosuka – Tomoe] ... 44

Yokosuka tongari dako [cerf-volant Yokosuka – Tongari] et Yokosuka atamagire dako [cerf-volant Yokosuka – Atamagire] ... 45

3.2 Cerfs-volants de Sagara [Sagara dako] ... 46

3.3 Cerfs-volants d’Aichi (Fukusuke dako – cerf-volant Fukusuke) ... 47

4. Cerfs-volants du Tōhoku, Honshū ... 49

4.1 Cerfs-volants d’Aomori (Tsugaru dako – Cerf-volant Tsugaru) ... 49

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

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5.1 Cerfs-volants de Niigata (rokkaku dako – cerf-volant Rokkaku) ... 50

6. Cerfs-volants du Kyūshū ... 52

6.1. Magoji dako [cerfs-volants Magoji] ... 52

6.2. Dōjin dako [cerfs-volants Dōjin] ... 53

7. Cerfs-volants de Shikoku ... 55

7.1 Trains de cerfs-volants : kuro-goi dako [cerf-volant Carpe noire] et mukade dako [cerf-volant Millepatte] ... 55

7.2 Cerfs-volants pliables : shōjō dako [cerf-volant Orang-outang], hakkaku dako [cerfs-volants Hakkaku], chō dako [cerf-volant Papillon], semi dako [cerf-volant Cigale], sekitori dako [cerf-volant Sumo], chōchin dako [cerf-volant Lanterne] et kōmori dako [cerf-volant Chauve-souris] ... 57

Conclusion ... 60

Table des illustrations ... 61

Bibliographie ... 63

Annexe 1 : Schémas de l’armature des cerfs-volants ... 67

Annexe 2 : Annotations sur les cerfs-volants et leurs boîtes ... 70

Annexe 3 : Musées dédiés aux cerfs-volants au Japon ... 79

Annexe 4 : Liste des festivals de cerfs-volants du Japon 2014 ... 80

Notes

Les noms propres et mots japonais sont transcrits avec le système Hepburn modifié.

Les noms propres japonais sont écrits dans leur sens d’origine à savoir patronyme suivi du prénom.

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

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Remerciements

Ce texte fait suite à des recherches menées dans le cadre d’une bourse de documentation des collections du musée du quai Branly. À l’occasion de ce projet portant sur les cerfs-volants japonais, cette bourse, qui existe depuis trois ans, a été pour la première fois décernée à la documentation d’objets faisant partie des collections Asie. La validation de ce projet de recherche a donc été un double honneur. Je souhaite témoigner de ma reconnaissance envers le musée du quai Branly pour la réalisation de ce projet et pour m’avoir facilité l’accès aux sources. Parmi les membres du musée, je remercie plus particulièrement Daria CEVOLI, responsable des collections Asie, Ghislain DIBIE, responsable du patrimoine imprimé, et Frédérique SERVAIN-RIVIALE, chargée des Bourses d’études pour la documentation des collections, pour leur aide, tant scientifique que logistique. Je remercie également Françoise LEVAILLANT (CNRS) pour ses conseils et son aide.

Je tiens également à remercier les cerfs-volistes français qui m’ont aidé à appréhender un objet que je connaissais mal : Gérard CLEMENT, Ludo PETIT et Pierre FABRE, ainsi que l’historien anglais du cerf-volant Paul CHAPMAN.

Enfin, je remercie les personnes qui m’ont apporté leur aide lors du terrain au Japon : MODEGI Masaaki, Directeur du musée du cerf-volant de Tokyo, FUKUOKA Masami, secrétaire de l’Association des cerfs-volants japonais, OGURA Masakiyo, maire de la ville d’Higashiōmi, TORII Katsuhisa, conservateur et vice-directeur de la maison du cerf-volant géant d’Higashiōmi, NAKAMURA Akira, vice-président de l’Association de préservation des cerfs-volants géants d’Higashiōmi, MURAYAMA Hiroaki, vice-responsable du département des sports de la ville d’Higashiōmi, OOE Makoto, cerf-voliste, ainsi que les fabricants de cerfs-volants, TAKEUCHI Yoshihiro, OGAWA Akihiro, OKAJIMA Takeshi et SAGAWA Ichizō.

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

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Avant-propos

La documentation des cerfs-volants japonais de la collection du musée du quai Branly a été rendue possible en quelques mois seulement grâce au travail déjà réalisé par les acteurs japonais de la préservation de la culture cerf-voliste. Parmi ces personnes, certains noms se démarquent. C’est le cas entre autres d’HIKE Ichirō (1922-2003), de TAWARA Yūsaku (1932-2004), de MUNAKATA Shikō (1903-1975), de MODEGI Shingo (1911-1978) et Masaaki (1939-), de SAITO Tadao (1919-1993), ou encore d’HASHIMOTO Teizō (1904-1991) et Kiyo (1902-2009). Ils sont héritiers de plusieurs générations de fabriquants, collectionneurs, auteurs, mécènes, ou encore fondateurs d’organisations et de musées impliqués dans la sauvegarde de cette culture traditionnelle.

HIKE Ichirō est une des personnalités japonaises centrales des recherches faites sur les cerfs-volants japonais. Il commence à s’y intéresser à partir du milieu des années 1960 en étudiant auprès du couple de fabricants de cerfs-volants Edo, HASHIMOTO Teizō, gratifié du titre de « trésor national vivant », et sa femme Kiyo. Il voyage à travers toute la zone Pacifique, en Europe et en Amérique à la recherche d’informations et d’objets, et il cumule plusieurs activités : il est collectionneur de cerfs-volants, d’outils qui servent à leur fabrication, de documents liés à leur histoire, à leurs techniques de fabrication et de vol ; il écrit de nombreux articles et livres ; il ouvre un bureau d’études des cerfs-volants japonais ; et il participe à la fondation de l’Association des cerfs-volants japonais avec MODEGI Shingo. Parmi ses relations se trouvent les deux collectionneurs TAWARA Yūsaku, propriétaire de deux magasins d’artisanat qui vendent des cerfs-volants, et le peintre MUNAKATA Shikō. Ces derniers ont enrichi la collection d’HIKE Ichirō en lui faisant don de leur propre collection. Si bien qu’à la mort d’HIKE Ichirō, sa collection atteignait un total de mille neuf cent quatre-vingt-quinze cerfs-volants, cent soixante-trois outils et jouets et cinq cent trente-deux images (estampes et esquisses).

SAITO Tadao participe lui aussi à la sauvegarde et à la transmission des cerfs-volants japonais. Il est le petit frère de SAITO Ryōsuke, un spécialiste des jouets traditionnels japonais. Sous l’influence de son frère, alors qu’il travaille comme publicitaire, il se tourne vers les cerfs-volants et commence à s’intéresser à leur histoire. À partir de la fin des années 1960, il voyage en Europe et en Asie du sud-est afin de collecter de la documentation et des objets. Auteur prolifique, il rédige plusieurs livres sur les cerfs-volants japonais et réalise le film 16mm The Japanese Kite, qui gagne le 1er prix du Festival du film culturel en 19971.

MODEGI Shingo est également une personne importante pour la sauvegarde de la culture cerf-voliste. Cuisinier reconnu premier cordon-bleu du Japon, en 1948, il ouvre un restaurant spécialisé dans la nourriture occidentale, le Taimeiken, dans un bâtiment à plusieurs étages du quartier de Nihonbashi à Tokyo. Passionné de cerfs-volants, il commence à les collectionner dès les années 1930. Durant la période de déclin de la culture cerf-voliste, il achète des pièces

1SKINNER, Scott, STREETER, Tal, MODEGI, Masaaki, Kites: Paper Wings over Japan, éd. Thames & Hudson, 1999, p. 66.

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pour des tarifs plus élevés que la normale, afin de soutenir les fabricants professionnels, comme son ami HASHIMOTO Teizō. Sa collection grandissante, il utilise alors son restaurant comme vitrine et vend à ses clients des cerfs-volants collectés à travers tout le pays pour des tarifs inférieurs à la somme versée aux artisans. Avec le temps sa collection devient si importante qu’en 1977 il ouvre un musée de cerfs-volants au cinquième étage du restaurant. Il s’agit du premier musée dédié aux cerfs-volants ouvert dans le monde. Quelques mois après l’ouverture du musée, MODEGI Shingo décède. Son fils, MODEGI Masaaki, prend la relève. Aujourd’hui, le musée compte environ trois mille pièces, cerfs-volants, outils et images confondus. Faute de place, seule la moitié de la collection est exposée dans le musée. Sur la durée, le travail de collecte du père et du fils s’est complété. Le père, MODEGI Shingo, préférait les cerfs-volants. Le fils, MODEGI Masaaki, témoigne d’un goût plus prononcé pour les estampes et a augmenté la collection d’images représentant des cerfs-volants.

Parallèlement à ces contributions individuelles, un organisme est particulièrement important dans cette activité de préservation et de transmission de la culture cerf-voliste japonaise. Il s’agit de l’Association des cerfs-volants japonais (JKA) [日本の凧の会, nihon

no tako no kai]. Elle est fondée en novembre 1969 par une dizaine de personnes se

rassemblant autour de MODEGI Shingo. La devise de ce dernier était : « Tout le monde peut être membre de la JKA, des enfants aux Présidents d’entreprises, en passant par les professeurs d’université ». Aujourd’hui, elle compte plus de deux mille membres à travers tout le pays, organise des événements au Japon et à l’étranger, et publie deux fois par an le

Journal de l’Association des cerfs-volants japonais. À la mort de MODEGI Shingo, c’est son fils Masaaki qui lui succède à la tête de cette association.

Lorsque le mouvement de sauvegarde des cerfs-volants japonais a pris de l’ampleur, des musées autres que celui de MODEGI ont vus le jour. Jusqu’à récemment, le Japon comptait six musées dédiés aux cerfs-volants2

: le musée du cerf-volant de Tokyo (Nihonbashi, Tokyo), le Hamamatsu Festival Hall (Hamamatsu, préf. de Shizuoka), le musée du cerf-volant d’Ikazaki (Uchiko, préf. d’Ehime), le musée du cerf-volant géant et de l’histoire de Shirone (Niigata, préf. de Niigata), la maison du cerf-volant d’Higashiōmi (Yōkaichi, préf. de Shiga), et la maison du cerf-volant géant (anciennement Shōwa-machi, aujourd’hui Kasukabe, préf. de Saitama). Ce dernier établissement a dû fermer suite au tremblement de terre du 11 mars 2011 qui en a fragilisé les murs. Il reste donc aujourd’hui cinq musées entièrement dédiés aux cerfs-volants. À cela s’ajoutent les collections de cerfs-volants conservées par d’autres musées et personnes, telles que celles du Minpaku (le musée national d’ethnologie d’Osaka), du musée d’histoire et du folklore d’Uchinada, de l’Institut d’art Folklorique de l’université d’art Musashino, du musée des jouets d’Himeji, du musée de l’université d’Hōsei (collection HIKE Ichirō), ou la collection privée KIMURA Kaoru.

Depuis les années 1960, les Japonais ont mis beaucoup d’énergie dans la collecte d’objets et d’informations, ainsi que dans la transmission de la culture cerf-voliste. En participant à des

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événements de par le monde, ils ont éveillé la curiosité de spécialistes et d’organismes étrangers, tels que le sculpteur et cerf-voliste américain Tal STREETER, l’artiste cerf-voliste Scot SKINNER3, et l’organisme américain “Drachen Foundation”. Des cerfs-volants japonais ont été exposés à l’étranger : à la maison de la culture de Rennes, en 1979 ; à la Grande Halle de la Villette, Paris, en 1990 ; au Centre culturel Franco-japonais, Paris, en 2002 ; au Tikotin Museum of Japanese Art, Haïfa, en 2010 ; au Museum of International Folk Art, Santa Fe, en 2013. Enfin, des cerfs-volants japonais sont également conservés à l’étranger : au World Kite Museum de Long Beach, Washington ; au musée du quai Branly, Paris ; au musée de l’air et de l’espace, Le Bourget ; à Dieppe (un volant géant d’Higashiōmi) ; à Marseille (un cerf-volant géant d’Hamamatsu), ainsi que dans des collections privées de cerfs-volistes, telles que celles de Pierre FABRE, Ludo PETIT, Gérard CLEMENT ou Paul CHAPMAN pour n’en citer que quelques-uns.

La culture cerf-voliste japonaise est bien vivante. Elle est organisée. Elle s’exporte et elle suscite la curiosité des connaisseurs et des passionnés de par le monde.

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Introduction

Le présent travail est consacré à la collection de cerfs-volants japonais du musée du quai Branly. Il a été réalisé durant les premiers mois de l’année 2014 dans le cadre d’une bourse de documentation des collections. La recherche a été conduite en deux temps. Elle s’est d’abord déroulée en France, pour examiner les cerfs-volants japonais de la collection du musée, consulter les documents et archives associés, ainsi que les livres anciens des fonds précieux de la médiathèque, et rencontrer des cerfs-volistes français. Elle s’est poursuivie par un terrain d’un mois et demi au Japon, auprès des principaux acteurs de la culture cerf-voliste japonaise dans les musées, les associations, les festivals et les ateliers de fabricants de cerfs-volants afin d’en documenter les spécificités nationales et régionales, la fabrication et les usages.

Un état des lieux des travaux réalisés par les personnes et organismes impliqués dans la sauvegarde de la tradition cerf-voliste montre que les cerfs-volants japonais ont une histoire complexe, teintée d’échanges transnationaux à travers l’Asie et le Pacifique et transrégionaux au sein du Japon. Cette histoire et ces échanges sont en partie illustrés par la collection de cerfs-volants du musée du quai Branly constituée d’objets provenant tant du Japon que de Chine, du Vietnam, d’Indonésie, de Malaisie, d’Inde et du Népal. Parmi les cerfs-volants japonais de la collection, certains sont originaires du Honshū, d’autres du Kyūshū, et d’autres encore de Shikoku. Néanmoins, cette collection est incomplète, car tel que nous le verrons dans le développement de la deuxième partie, plusieurs modèles et plusieurs régions ne sont pas représentés dans la collection. Il manque également des outils de fabrication et objets associés aux cerfs-volants japonais, ainsi que des représentations sous forme de livres anciens ou d’estampes pour pouvoir disposer d’une vue complète de la culture cerf-voliste japonaise.

L’étude est divisée en deux parties. La première partie est consacrée à l’histoire des cerfs-volants japonais et documente les usages, la terminologie et les matériaux. La deuxième partie se concentre sur les objets conservés dans la collection du musée du quai Branly. Les objets ont été classés en fonction de leur origine géographique. Puis, pour chacun d’entre eux, il s’est agi de mettre en avant leurs particularités techniques et iconographiques, ainsi que les légendes et festivals qui leur sont associés. Dans les annexes, des schémas de l’armature des cerfs-volants présents dans la collection, une traduction des annotations présentes sur les objets de la collection, une liste des musées du cerf-volant au Japon, ainsi qu’une liste des festivals de l’année 2014 complètent cette présentation documentaire.

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ère

partie : Cerfs-volants japonais : Histoire, utilisations, terminologie,

fabrication

1. Histoire

1.1. Origines

Comme de nombreux autres éléments culturels, le cerf-volant a été introduit au Japon par la Chine et la Corée. Il semblerait que cet objet volant, certainement d’abord fabriqué à partir de feuilles végétales, soit apparu dans le Pacifique Sud, en Malaisie ou en Indonésie. Ses origines sont encore floues, car la nature des matériaux en a empêché la conservation. Au Japon, les premières traces écrites de la présence de cerfs-volants datent de l’époque de Nara (710-794). D’après ces témoignages, les premiers cerfs-volants japonais devaient être fabriqués en papier et avoir une forme d’oiseau. Le papier étant lui aussi un matériau naturel périssable, il n’existe plus aujourd’hui de cerf-volant japonais très ancien. Pour en retracer l’histoire, les évolutions techniques et stylistiques, nous devons donc nous baser sur les sources écrites. Hormis quelques mentions lexicales entre les VIIe et XIIe siècles, les cerfs-volants n’apparaissent dans les textes que bien plus tard, à partir du XVIIe siècle, lorsqu’ils commencent à devenir populaires.

1.2. Époque d’Edo : l’âge d’or  Démocratisation du cerf-volant

À l’époque d’Edo (1603-1868), les cerfs-volants d’abord considérés comme des objets de célébration, deviennent des objets de divertissement pour adultes, puis rapidement des jouets pour enfants. Cette évolution est favorisée par la situation politique du pays. C’est une période de paix qui permet un épanouissement des arts, de la culture et des divertissements. La population de la ville d’Edo, la nouvelle capitale politique du pays, augmente très vite. Elle est composée principalement de marchands, de familles de daimyos et de samouraïs oisifs. Les marchands, force économique de la ville (se trouvant néanmoins en bas du système hiérarchique shinōkōshō : samouraïs, fermiers, artisans, marchands), souhaitent se démarquer en montrant un goût pour le luxe et les divertissements, en opposition au raffinement et à l’érudition en vogue à Kyoto et parmi la classe des samouraïs. Les estampes, le kabuki et les cerfs-volants sont des distractions qui deviennent populaires et qui s’influencent les unes les autres.

 Interactions entre les distractions populaires

Pendant l’époque d’Edo, dans la ville éponyme, l’effervescence culturelle créée des interactions entre les diverses distractions populaires. Le roman de cape et d’épée chinois Au

bord de l’eau, qui raconte l’histoire de cent-huit bandits se battant contre un gouvernement

corrompu, est traduit en japonais et connaît un vif succès. Il est illustré d’estampes réalisées par Hokusai figurant des guerriers tatoués. Ces figures de héros (figure 1) deviennent à la

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 10

mode : les adultes se les font tatouer4 et, pour les imiter, les enfants réclament des motifs de

valeureux guerriers pour le décor de leurs cerfs-volants.5 Les pièces de kabuki et leurs acteurs

sont représentés sur les estampes et sur les décors de cerfs-volants. Pour cela, les peintres assistent régulièrement à des représentations de kabuki pour étudier les maquillages et les postures des rôles de samouraïs.6 Dans la pièce de kabuki de N

AMIKI Gohei intitulée Le

Shachihoko7 d’or et la courtisane [傾城黄金鯱, keisei kogane no shachihoko], 1882, la scène

durant laquelle le voleur Kakinoki Kinsuke utilise un cerf-volant pour se hisser sur le haut du toit du château de Nagoya afin de dérober les écailles en or du Shachihoko devient célèbre. Des estampes sont détournées pour être utilisées en tant que voilures de cerfs-volants, tandis que ceux-ci figurent sur nombre d’estampes.8 Après leur déclin, ils continuent à apparaitre sur

des affiches, comme ce cerf-volant Yakko figurant sur une affiche de 1949 annonçant les élections de la Chambre des représentants du Japon (figure 2, droite).

Les cerfs-volants sont également évoqués dans les livres publiés tant par les Japonais que par les voyageurs étrangers, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Parmi ces livres on peut citer Child-Life in Japan (1888) de Matilda Chaplin Ayrton, dont le chapitre sur les jeux se termine par une image représentant sept garçons s’amusant avec un cerf-volant Edo (figure

2, gauche) ; le recueil de poèmes japonais pour enfants intitulé Cerf-volant [『凧』tako]

(Kenkyūsha, 1926) du peintre et poète TAKEHISA Yumeji ; ainsi que le livre pour enfants américains Kites and Kimono (The Macmillan Compagny, 1936) d’Elinor Hedrick et

4 Voir l’exposition et le catalogue Tatoueurs Tatoués, musée du quai Branly, 6 mai 2014 – 18 octobre 2015. 5 H

IKE, Ichirō, « Pensées sur les décors de cerfs-volants », The Mingei, no. 2, février 1984, p. 24.

6

SKINNER, Scott, STREETER, Tal, MODEGI, Masaaki, Kites: Paper Wings over Japan, éd. Thames & Hudson, 1999, p. 20.

7

Animal mythique avec une tête de lion et un corps de carpe.

8

En illustration, voir les planches dans l’ouvrage de STEVENSON John intitulé Japanese Kite Prints:

Selections from the Skinner Collection, éd. University of Washington Press, 2004.

Figure 1 : Trois estampes se raccordant et représentant des hommes tatoués, fin XIXe siècle

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Kathryne Van Noy, qui raconte l’histoire d’une famille japonaise avec deux enfants, Momoko, une petite fille, et Takashi, un petit garçon, et dont un chapitre9 est dédié à la description de

jeunes garçons s’amusant avec des cerfs-volants dans la rue le jour de la Fête des garçons.

 Variation des décors de cerfs-volants à Edo

Les premiers cerfs-volants rectangulaires d’Edo ont un décor simple figurant un emblème familial, un kanji, ou un kana.10 Ce type de cerfs-volants est aujourd’hui connu sous le nom

de ji dako, ji signifiant « lettre » et dako signifiant « cerfs-volants ». Puis, au fur et à mesure que les cerfs-volants deviennent populaires, les adultes sont attirés par des décors de plus en plus voyants, figurant des motifs variés (samouraïs, lapin et vague [波兔, nami usagi], Daruma, etc.) et de plus en plus luxueux. Ils n’hésitent plus à tomber dans l’ostentatoire en commandant des cerfs-volants avec une armature ou un arc sonore (appelé unari au Japon) laqué et des voilures décorées de dorures.11 Cependant, ces excès vont à l’encontre des

valeurs confucianistes du gouvernement. Vers 1780, ils sont contrés avec l’édiction de lois somptuaires interdisant les décors trop riches et trop voyants. S’en suit une mode des cerfs-volants moins luxueux, plus simples, mais toujours décorés de couleurs vives, les ji dako redeviennent à la mode.

9

« Flying Kites », p. 126-132.

10

L’écriture japonaise est composée de kanji et de kana. Les premiers sont hérités des caractères chinois, Figure 2 (gauche) : page du livre Child-Life in Japan, 1888, collection du musée du quai Branly ;

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 Diffusion de la mode cerf-voliste d’Edo dans les provinces

Pendant cette période d’âge d’or du cerf-volant, le gouvernement impose aux daimyos le

sankin-kotai, un système les faisant séjourner alternativement dans leur fief et à Edo. À

chaque déménagement, les seigneurs sont accompagnés de centaines d’employés qui tous rapportent à leur famille, restée dans les provinces, des cadeaux typiques d’Edo. Les cerfs-volants et le goût pour les images de guerriers ou d’acteurs de kabuki voyagent alors à travers tout le pays. La culture d’Edo est diffusée dans toutes les régions et dans toutes les classes sociales. C’est l’opportunité pour les fabricants de cerfs-volants de tout le Japon d’avoir régulièrement accès à de nouveaux modèles, de stimuler leur créativité, tout en cultivant la mode des cerfs-volants auprès de la clientèle. Ces échanges ne s’opèrent pas à un sens unique. Des cerfs-volants fabriqués dans les provinces sont également apportés à Edo.

 Organisation de la production

Le métier de fabricants de cerfs-volants apparaît pendant l’époque d’Edo. Il s’agit alors d’une activité saisonnière. Les artisans de métier alternent entre la fabrication de cerfs-volants et celle d’autres objets, tels que des lanternes, des parapluies ou encore des poupées. Quant aux fabricants non professionnels, ils ont tous types de profils : des samouraïs, en manque d’activité (le pays connaît une longue période de paix), qui commencent à s’intéresser aux arts et se mettent notamment à fabriquer des cerfs-volants ; des paysans, habitués aux travaux manuels, qui forment une main-d’œuvre habile pendant la période creuse du travail agricole.

Avant que les cerfs-volants n’atteignent leur pic de popularité et que la demande ne soit trop pressante, les fabricants maîtrisent généralement l’ensemble des étapes de la fabrication : choix et assemblage des matériaux, réalisation du décor et encollage de la voilure. Puis, lorsqu’à la fin de l’époque d’Edo les cerfs-volants deviennent des objets de grande consommation, la production est organisée par les revendeurs. Ces derniers engagent alors des artisans pour fabriquer les armatures. Parallèlement, pour la voilure, ils achètent des dessins chez des peintres et emploient des graveurs ainsi que des imprimeurs pour les reproduire en série. Enfin, ils déposent chaque élément chez un sous-traitant pour l’encollage. Le processus doit être achevé au début de l’hiver, afin que les étals soient remplis et que les clients puissent offrir et faire voler des cerfs-volants pour célébrer la nouvelle année.

Le collectionneur HIKE Ichirō12 note que, parmi la production de cerfs-volants réalisée durant cette période de popularité, on peut distinguer quatre niveaux de qualité : des cerfs-volants de luxe, entièrement faits à la main par des artisans talentueux ; des cerfs-cerfs-volants dont les contours noirs du décor sont imprimés et les couleurs sont entièrement peintes à la main (les plus répandus) ; des cerfs-volants dont les décors et une partie des couleurs sont imprimés

les seconds, servant à une notation phonétique, ont été inventés par les Japonais.

11 M

ODEGI, Masaaki, The Making of Japanese Kites: Tradition, Beauty and Creation, éd. Japan

Publications Trading Company, Tokyo, 2007, p. 14. 12H

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en série et sur lesquels quelques coups de pinceau sont ajoutés pour donner un peu de vie ; et, enfin, des cerfs-volants de premier prix, dont le décor de la voilure est entièrement imprimé.

1.3. Déclin et préservation

Durant le XXe siècle, la culture cerf-voliste perdure chez les adultes qui ont beaucoup joué avec pendant leur enfance. Certains gardent en mémoire le fait que lorsqu’ils étaient petits, les jours de vacances étaient rares et que ces quelques jours de liberté étaient consacrés à faire voler des cerfs-volants.13 Mais à partir de la deuxième moitié du

XXe siècle, cette activité devient moins populaire parmi les jeunes Japonais, et ce malgré les efforts fournis par les adultes, notamment le premier concours de cerfs-volants pour enfants organisé très rapidement après la fin de la guerre, en janvier 1946. Comme le note IDDITTIE Eishin, rédacteur en chef du Journal de l’Association des cerfs-volants japonais, après la Seconde Guerre mondiale la culture cerf-voliste disparaît de la vie quotidienne des enfants pour deux raisons : l’importation en grand nombre de jouets manufacturés qui détourne leur intérêt et l’urbanisation rapide des villes qui ne laisse plus de place où faire voler les cerfs-volants. 14

Dès lors, le nombre de fabricants diminue considérablement et le savoir-faire tend à disparaître. En réaction, un mouvement général de préservation voit le jour. À partir des

13

SAGAWA Ichizō, né en 1935, témoigne de son enfance dans le texte Quand les cerfs-volants baramon sont-ils apparus à Nagasaki ? et MODEGI Masaaki parle pour son père dans The Making of Japanese Kites: Tradition, Beautyand Creation, p. 6.

14

« Japanese Kite Scene », Discourse – From the End of the Line, avril 2010, p. 34.

Figure 3 (gauche) : peinture d’Itō Seiu montrant un magasin de cerfs-volants à l’ère Tenpō (1830-1844) avec un cerf-volant en forme de calamar pendu au-dessus de l’entrée. Extrait d’Histoire des mœurs et coutumes d’Edo-Tokyo [『江戸と東京風俗野史』edo to tōkyō fūzoku yashi], 1927-32 ;

(15)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 14

années 1960, les cerfs-volants sont introduits dans le matériel éducatif du ministère de l’Éducation, des passionnés collectionnent des cerfs-volants pour décorer leur intérieur, ils se rassemblent en associations et les premiers musées voient le jour. Parallèlement à cette mise en place d’organisations et d’établissements privés et publics, des collections de cerfs-volants japonais, elles aussi privées et publiques, se constituent et une littérature commence à être publiée. Plusieurs livres japonais sont consacrés aux cerfs-volants dans les années 1970 :

Cerfs-volants japonais [『日本の凧』nihon no tako] (1970), de TAWARA Yūsaku et SONOBE Kiyoshi ; Formes de cerfs-volants (1971), de SAITO Tadao ; Fabriquer et faire voler des

cerfs-volants (1974), de SAITO Tadao, HIKE Ichirō et MODEGI Shingo ; ou encore Trois générations

de fabricants de cerfs-volants Edo(1978), d’HASHIMOTO Teizō et Kiyo.

Malgré cette forte animation dans les années 1970, la popularité du cerf-volant reste faible et les recherches semblent s’essouffler. Puis, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, peut-être sous l’essor de la curiosité des étrangers pour les cerfs-volants japonais, un regain d’intérêt se fait sentir et de nouvelles publications voient le jour : Histoire du

cerf-volant (1996), de KAWARAZAKI Jirō ; Japanese Kite Prints: Selections from the Skinner

Collection (2004), de STEVENSON John ; The Making of Japanese Kites: Tradition, Beauty

and Creation (2007), de MODEGI Masaaki. Il s’agit principalement de livres rédigés en anglais et destinés à un lectorat étranger.

Au Japon, en dehors du monde des spécialistes et passionnés, les cerfs-volants continuent d’être dans l’ombre. Ils peuvent certes figurer dans les nombreuses anthologies de jouets traditionnels japonais destinées au grand public. Ils apparaissent aussi, mais de façon ponctuelle et détournée dans les mangas, qu’il s’agisse de films d’animation ou d’anime en série. Dans le film Nausicaä de la vallée du vent (1982), MIYAZAKI Hayao fait de nombreux renvois plus ou moins directes aux cerfs-volants : le planeur de la princesse Nausicaä, qui vole au loin pendant les premières minutes du film, s’apparente à un aigle (Miyazaki utilise le même jeu de faux-semblant formel que les enfants japonais lorsqu’ils prétendent avoir un aigle vivant au bout de leur corde en faisant voler un cerf-volant milan) ; le sifflet à insectes de la princesse Nausicaä produit le même bourdonnement qu’un unari et son design est proche du sifflet éolien n° 71.1935.120.63 de la collection du musée du quai Branly ; enfin, l’insecte géant qui chasse Asbel ressemble à un train de cerfs-volants dragon. Dans le film

Laputa : le château dans le ciel (1986), les références sont également nombreuses : lorsque

les enfants sont poursuivis, les pirates se déplacent dans des engins volants en forme d’insectes produisant le même bourdonnement que l’unari et les militaires, dans des engins volants évoquant des rapaces (insectes et rapaces sont les deux formes d’animaux volants les plus répandues parmi les cerfs-volants japonais) ; pour atteindre l’île volante, les enfants utilisent une “nacelle cerf-volant” ; lorsque les robots serviteurs du roi s’envolent pour se débarrasser des intrus, ils prennent l’allure de cerfs-volants Yakko ; et encore, lorsqu’à la fin du film, les engins volants en forme d’insectes se retrouvent liés les uns aux autres, ils sont à l’image d’un train de cerf-volant. Dans les anime en série, les références sont plus ponctuelles. Dans le premier épisode de Himawari (2006), l’héroïne arrive en cerf-volant de façon houleuse à l’académie des ninjas ; elle est accrochée sur la partie inférieure de la voilure, tel que l’était le voleur Kakinoki Kinsuke dans la pièce Le Shachihoko d’or et la

(16)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 15

courtisane. Dans Simoun (2006), la forme des engins volants figurés au loin dans les paysages

panoramiques évoque celle des cerfs-volants Yakko et Ika. Dans Suisei no Gargantia (2013), le personnage principal d’Amy se déplace avec un “planeur cerf-volant”.

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 16

2. Utilisations

Dès leur introduction sur le territoire nippon, les cerfs-volants sont immanquablement dotés d’un pouvoir symbolique ou religieux15. Dans la compilation de documents décrivant la

province d’Hizen, intitulée Fudoki de la province d’Hizen [肥前国風土記, hizen no kuni

fudoki] et datée de 713, un moine lance un objet ressemblant à un drapeau dans le ciel dans un

but de purification. Les cerfs-volants ont également servit à prier ou remercier les divinités pour les bonnes récoltes et les bonnes pêches dans les zones agricoles, ou empêcher les incendies dans les zones urbaines. Puis, à partir du XVIe siècle, devenus luxueux, ils font le plaisir des nobles et sont utilisés lors de célébrations servant à honorer la nouvelle année ou la naissance d’un enfant mâle. Ces traditions sont toujours présentes aujourd’hui. En effet, la plupart des festivals ont lieu au début de l’année ou se déroulent simultanément à travers le Japon autour du 5 mai, le jour de la Fête des garçons [端午の節句, tango no sekku] (voir

Annexe 4).

D’autre part, à partir du XVIIIe siècle, les cerfs-volants perdent de leur symbolique et évoluent en une distraction profane qui convient aussi bien aux adultes qu’aux enfants par jour de beau temps lorsque le vent le permet. Des combats de cerfs-volants, de toutes tailles, se sont développés dans certaines provinces (activité populaire, les combats sont aujourd’hui également pratiqués à l’étranger). Néanmoins, même si au fil du temps les superstitions se sont estompées, les cerfs-volants géants sont toujours bénis par une cérémonie en ouverture de festival et les vœux des participants sont collés au verso de la voilure pour qu’ils se rapprochent des cieux lors du vol (figure 4).

Enfin, s’éloignant de la culture cerf-voliste traditionnelle, les cerfs-volants font des incursions dans le monde de l’art avec des projets tels que : Cerfs-volants d’artistes – L’Art

prend l’air, 1990, du Goethe Institute, qui a fait collaborer des artistes internationaux de

renom avec des fabricants de cerfs-volants japonais ; le travail du sculpteur YOSHIMURA Fumio dont les œuvres sont des cerfs-volants qui ne volent pas ; l’exposition It Blew Right in

my Ear Like the Wind, 2014, CCA Kita-Kyūshū Project Gallery, de l’artiste pluridisciplinaire

Joan JONAS ; ou dans un autre registre, le renshi (poème en chaine) What the Kite Thinks, composé de trente-six poèmes écrits en 1991 par un poète japonais, OOKA Makoto, et trois poètes américains d’Hawaii, Wing Tek LUM, Joseph STANTON et Jean YAMASAKI TOYAMA en débutant avec les vers de Ooka : « Because a hand holds me down to earth / I can climb the staircase of the sky. / Each time I push against the wind with my shoulders / I am sucked ever farther upward into the bosom of the sky. / Because a hand hold me down to earth / I hold the earth suspended in the air. »16 Autres incartades à la culture traditionelle, le cerf-volant est

15 D’après Tal Streeter cela tiendrait peut-être au fait que les cerfs-volants auraient été introduits au Japon à

peu près en même temps que le bouddhisme. Il n’existe pas de preuve, mais l’auteur émet l’hypothèse suivante : « comme plus tard, les moines bouddhistes utilisent les cerfs-volants dans un but religieux, il serait possible que les cerfs-volants aient été associés au travail des premiers missionnaires bouddhistes. », Tal STREETER, The Art of the Japanese Kite, éd. Weatherhill, 1980, p. 156.

16

OOKA, Makoto, LUM, Wing Tek, STANTON, Joseph et YAMASAKI TOYAMA, Jean, What the Kite Thinks,

(18)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 17

aujourd’hui également appliqué à la photographie (kite photography) et au sport (kite surf,

kitefoil, etc.).

Figure 4 (gauche) : au premier plan, deux des quatre déesses du vent, et au second plan, un prêtre - cérémonie de bénédiction du cerf-volant géant d’Higashiōmi, 25 mai 2014 ;

(droite) : par transparence, on aperçoit les messages de vœux collés à l’arrière de la voilure d’un des mini cerfs-volants géants, Festival du cerf-volant géant d’Higashiōmi, 25 mai 2014.

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 18

3. Terminologie

L’évolution de la terminologie japonaise désignant les cerfs-volants est intrinsèquement liée à l’évolution formelle de l’objet, ainsi qu’à diverses influences régionales. Il semble donc nécessaire d’en faire une brève présentation pour compléter la compréhension de l’objet. Cette histoire multiple et compliquée est décrite en détail par KAWARAZAKI Jirō dans le texte

Ika nobori et tako17.

Dans les textes, les plus anciennes mentions de cerfs-volants sur le territoire japonais se trouvent dans le précédemment cité Fudoki de la province d’Hizen et dans les Chroniques du

Japon [日本書紀, nihon shoki], datant de 720.18 Néanmoins, ces textes sont rédigés en

caractères chinois et la prononciation des mots n’est pas indiquée. Il faut attendre les

Chroniques de la famille Den [田氏家集, denshi kashū], un recueil de poésies chinoises du

IXe siècle ou le Wamyō Ruijushō [和名類聚抄], un dictionnaire japonais compilé au Xe siècle, pour connaître les prononciations japonaises. Dans ces ouvrages, les cerfs-volants sont nommés shirōshi [紙老鴟], ce qui signifie « vénérable aigle de papier », ou shien [紙鳶], ce qui signifie « aigle de papier ». Puis, entre le XIIe et le XVIe siècle, il semble ne plus y avoir de référence aux cerfs-volants dans les textes.19

Dès lors que les Japonais s’approprient les cerfs-volants, ils commencent à développer des modèles originaux formés d’un corps duquel pendent de longues queues (figure 3,

gauche). La silhouette de ces nouveaux cerfs-volants ressemble à des calamars ou des

poulpes. Par conséquent, ils sont appelés ika-nobori (calamar flottant) à partir du XVIe, notamment dans la région de Kyoto-Osaka. Tant qu’il n’y avait pas de caractères japonais spécifiques pour le mot « cerf-volant », des furigana20 indiquant la prononciation « ika-nobori » étaient ajoutés aux côté des caractères chinois « 紙鳶 ». À Edo, les habitants, qui

cherchent à se démarquer de la culture de Kyoto, préfèrent dès le XVIIe siècle le mot tako (poulpe) au mot ika (calamar) pour désigner les cerfs-volants. Peu de temps après, des régionalismes se manifestent comme en témoigne l’ouvrage Du nom des choses [物類称呼,

butsurui shōko], 1775, de KOSHIGAWA Gozan :

« [Pour désigner les cerfs-volants] à Kinki, on dit ika ; dans le Kantō, on dit tako ; à Shikoku, on dit tatsu ou fūriu ; à Karatsu, on dit tako ; à Nagasaki, on dit hata ; à Kōzuke et Shinshū, on dit taka ; à Koshiji, on dit ika ou ikago ; à Ise, on dit hata ; à Ōshū, on dit tengubata ; à Tosa, on dit tako.

17 K

AWARAZAKI, Jirō, « Ika-nobori et tako [いかのぼり・鳳巾・凧, ika-nobori, ika-nobori, tako] »,

dans Histoire du cerf-volant. Mr. HIRAGA Gennai et cerfs-volants Sagara, éd. Hagoromo, Shizuoka, 1996,

pp. 45-48.

18 S

KINNER, Scott, STREETER, Tal, MODEGI, Masaaki, Kites: Paper Wings over Japan, éd. Thames &

Hudson, New York, 1999, p. 16.

19

MODEGI, Masaaki, The Making of Japanese Kites: Tradition, Beauty and Creation, éd. Japan Publications Trading Company, Tokyo, 2007, p. 8.

20

Indication de la lecture phonétique d’un mot japonais au moyen d’hiragana (un des deux systèmes d’écriture phonétiques) placés le long d’un ou plusieurs caractères.

(20)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 19

Pour désigner l’action de faire voler un cerf-volant on dit ika o nobasu ; à Edo, on dit

tako o aguru ; à Tokaido, on dit tako o nobasu ; à Sōshū, on dit tako o nagasu. »21

Puis, vers la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, le caractère japonais 凧 (tako) est inventé pour désigner les cerfs-volants. Il est formé d’une contraction du caractère du vent [風] et de celui du tissu [布]. Il décrit donc une pièce de tissus volant dans le vent. Il aura fallu attendre dix siècles, au moment de l’âge d’or du cerf-volant, pour que le caractère japonais désignant aujourd’hui cet objet soit créé. Même après la création de ce caractère spécifique japonais, les caractères chinois [紙鳶] ont continué d’être utilisés pendant un temps. C’est par exemple ce qu’illustre l’emballage du cerf-volant provenant de Kyoto et datant du début du XXe siècle conservé dans la collection du musée du quai Branly sous le n° 71.1937.40.96 (figure 3, droite). Au même moment, les cerfs-volants d’Edo deviennent très populaires et le dialecte d’Edo prononçant le mot cerf-volant « tako » s’impose dans de nombreuses régions. Hormis à Nagasaki où l’on continue de dire « hata », le terme aujourd’hui le plus couramment utilisé à travers le Japon est « tako ».

21

Du nom des choses de Koshigawa Gozan cité par KAWARAZAKI Jirō, dans « Ika-nobori et tako [いかの

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 20

4. Fabrication

Rares sont aujourd’hui les artisans professionnels parmi les fabricants de cerfs-volants, ou tako hachi. Certains d’entre eux ont embrassé cette carrière dès leur plus jeune âge, en suivant l’enseignement d’un parent ou d’un maître. D’autres, d’abord employés comme

salaryman, ont changé d’orientation et sont devenus fabricants de cerfs-volants en reprenant

un atelier familial après la mort de leurs parents. C’est le cas du fabricant TAKEUCHI Yoshihiro (1944-), des cerfs-volants Magoji (figure 5). Les fabricants professionnels sont les garants des patrimoines régionaux. Ils ont la charge de faire perdurer les modèles de cerfs-volants dont ils détiennent un label officieux. En contre-partie, leur travail est protégé par un copyright lui aussi officieux.

On rencontre en revanche un nombre important de fabricants amateurs. Ce sont des amateurs très éclairés, travaillant soir et week-end à la fabrication de cerfs-volants et à la préservation de la culture cerf-voliste. Lorsqu’ils sont à la retraite, ils y consacrent tout leur temps. C’est par exemple le cas d’OKAJIMA Takeshi (1941-) (figure 6). Le travail de ces fabricants non professionnels est souvent d’une qualité équivalente à celui des professionnels. Néanmoins, afin de protéger le métier, il est admis par tous que seuls les fabricants professionnels font commerce de leur travail.

Un cerf-volant est constitué de plusieurs éléments : une armature (que les Japonais appellent « ossature [骨組, honegumi] »), une voilure [紙, kami, papier], le décor de la voilure [凧絵, tako-e, peinture de cerf-volant], ainsi que des cordages [糸, ito] pour le bridage et le fils de retenue. Les matériaux utilisés pour la fabrication de ces différents éléments sont du bambou pour l’armature, du papier Japon pour la voilure, des pigments naturels locaux pour le décor et du chanvre, de la soie, du lin ou du coton pour les cordages. Ces matériaux ne sont

Figure 5 : TAKEUCHI Yoshihiro tenant du medake dans sa main gauche et du madake dans sa main

(22)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 21

pas spécifiques à la fabrication des cerfs-volants japonais traditionnels. Les cerfs-volants chinois sont par exemple construits à partir des mêmes éléments.

Figure 6 : Atelier d’OKAJIMA TAKESHI, fabricant de mini cerfs-volants (Kyoto).

4.1 Du bambou pour l’armature

L’armature des cerfs-volants traditionnels japonais est généralement fabriquée en bambou. Sur certains modèles toutefois, elle peut être en roseau (cerfs-volants Oiseau de Niigata) ou en cyprès (cerfs-volants Tsugaru d’Aomori - cf. figure 20, droite - 71.1967.36.376).

Matériau léger, flexible, tout en étant résistant, le bambou présente des qualités qui conviennent parfaitement à cet usage. C’est par ailleurs une plante qui pousse rapidement et à profusion, ce qui permet aux fabricants d’avoir toujours à portée de main la matière première qui leur est nécessaire. Il n’est d’ailleurs pas rare que les fabricants de cerfs-volants louent ou possèdent un bout de forêt de bambou afin de gérer leurs besoins de matériaux.

Il existe un grand nombre de variété de bambous au Japon. On en compte environ cent cinquante. Deux d’entre elles sont particulièrement adaptées à l’armature des cerfs-volants : le

madake [真竹, phyllostachys bambusoides], aussi appelé otoko dake ou bambou masculin, et

le medake [ 雌 竹 , pleioblastus simonii], aussi appelé onna dake ou bambou féminin. Généralement, il est récolté entre novembre et janvier22, puis il est laissé à sécher pendant plusieurs années. Plus le bambou est vieux, plus il est de qualité. Avec le temps, la fibre devient plus fine et donc plus flexible. Le bambou utilisé pour les cerfs-volants courants est généralement laissé à sécher pendant deux ans. Celui qui est employé pour les cerfs-volants de luxe est le susudake [煤竹], un bambou d’une centaine d’années, récupéré dans les vieilles fermes traditionnelles lorsque celles-ci sont détruites. Il est reconnaissable à sa couleur noircie par le temps et la fumée de cuisine.

22

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 22

Pour travailler le bambou, les artisans n’ont pas besoin d’un grand nombre d’outils. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’ils les forgent eux-mêmes afin de répondre aux mieux à leurs besoins. C’est notamment le cas de l’étau sur la figure 6 (photo de gauche). Il a été fabriqué par OKAJIMA Takeshi afin de pouvoir découper des tiges de bambou de divers diamètres de moins d’un millimètre pour la réalisation de ses mini cerfs-volants (figure 6, droite). Dans le cas des cerfs-volants de taille normale, le bambou, qui pousse naturellement droit, est facilement divisé en deux en suivant le sens des fibres dans la longueur. Afin de garder l’équilibre gauche droite, il faut le diviser au milieu et recommencer cette opération autant de fois que nécessaire jusqu’à l’obtention de la bonne largeur de baguette. Plus il est effilé, plus il est flexible. Il est également possible d’ajuster sa rigidité en enlevant un peu d’écorce. Il peut aussi être incurvé de façon permanente, comme pour la tête du cerf-volant Fukusuke d’Aichi (71.1967.36.363 - figure 21), en le chauffant au-dessus d’une flamme et en le

courbant doucement lorsqu’il commence à dorer.

4.2 Du papier Japon pour la voilure

La voilure des cerfs-volants japonais traditionnels est composée de papier Japon, ou

washi en japonais. L’histoire du papier Japon remonte au début du VIIe siècle, lorsque le papier est importé au Japon depuis la Chine. Dès lors, le Japon s’est approprié la technique de fabrication et l’a fait évoluer jusqu’à produire un papier fin, résistant et relativement pérenne. Ces trois qualités, essentielles aux cerfs-volants, sont obtenues grâce aux fibres utilisées, à savoir le kōzo [楮, broussonetia kazinoki, une sorte de mûrier], le mitsumata [三 椏,

edgeworthia chrysanta] et le ganpi [雁皮, diplomorpha sikokiana]. Les fibres de ces plantes

sont particulièrement longues. Elles s’entremêlent verticalement et horizontalement, ce qui augmente la résistance du papier.

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La fabrication du papier Japon est un procédé onéreux et chronophage. Celui-ci est décrit dans un reportage photo de la collection du musée du quai Branly (références PP0060629 à

PP0060637). Il y a aujourd’hui encore beaucoup de fabriques manuelles. Par conséquent, il existe plusieurs sortes de papier Japon. Pour les cerfs-volants, le washi le plus communément utilisé est le papier Japon Ogawa de la préfecture de Saitama (Honshū), le papier Japon Tosa de la préfecture de Kagawa (Shikoku) et le papier Japon Mino de la préfecture de Gifu (Honshū).23

Lorsque l’opportunité de rencontrer le fabricant ne se présente pas, il est difficile de connaître l’origine du papier. Néanmoins, il arrive parfois que celle-ci soit mise en avant dans le nom du cerf-volant. Par exemple, la voilure du cerf-volant Senka [仙花いか, senka

ika] d’Osaka est fabriquée avec du papier Senka.

Les voilures sont généralement composées d’une ou plusieurs feuilles de papier assemblées et collées ensemble. Cela forme une surface de papier vierge plus ou moins blanc sur laquelle le décor est peint ou imprimé. C’est un support parfaitement approprié aux décors réalisés à la main, car il absorbe bien les différents pigments utilisés par les artisans.

4.3 Des pigments naturels pour le décor

À l’exception du Hata de Nagasaki, dont le décor n’est pas peint, mais réalisé par l’assemblage de formes de papier préteinté en bleu, blanc, rouge ou noir, puis collées en patchwork (figure 7), les voilures de cerfs-volants japonais sont peintes à la main. Tout comme pour l’armature et la voilure, les artisans font appel à des matériaux naturels pour les pigments. Mis à part le noir, qui est généralement de l’encre de chine, il est difficile de dresser

23 Lors du terrain réalisé dans le cadre de cette étude, le fabricant O

KAJIMA Takeshi a fait don au musée du quai Branly d’un échantillon de papier usu-mino [薄美濃紙, usu mino-shi] afin d’illustrer les matériaux utilisés pour fabriquer ses mini cerfs-volants.

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Cécile Laly 24

une liste exacte des pigments utilisés. Ils sont propres à chaque fabricant et à son environnement. Ce sont généralement des minéraux originaires de leur région. Par exemple, les lettres des cerfs-volants géants d’Higashiōmi, toujours peintes en rouge, sont colorées à partir d’un minéral extrait dans une carrière voisine. Les fabricants font également appel aux pigments utilisés pour les teintures textiles. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ils utilisent aussi de plus en plus des pigments alimentaires. TAKEUCHI Yoshihiro témoigne que lorsque son premier enfant est né, l’atelier de fabrication étant dans la maison, pour des raisons de sécurité, il a préféré opter pour ces derniers qui ne présentent aucun risque en cas d’ingestion. Cette pratique est aujourd’hui relativement répandue, ce sont par exemple des pigments alimentaires qui sont utilisés pour le décor des cerfs-volants géants de Sagamihara.

4.4 Et pour les cordes ?

Là encore, chaque artisan a sa propre recette. Néanmoins, les quatre matériaux de fabrication que l’on retrouve fréquemment sont le chanvre, le lin, la soie et le coton. Pour les cordes de bridage, il est impératif que le matériau utilisé ne soit pas élastiques ou composé de fils qui vrillent. Cela empêcherait le cerf-volant d’être stable et de voler correctement. Le chanvre est un matériau qui répond à cet impératif de résistance, car il est une des fibres végétales les plus résistantes de la nature. Au Japon, le chanvre était auparavant largement cultivé et outre son utilisation pour la fabrication de corde, c’était une source importante pour la fabrication de vêtement. Il existe même un dieu du chanvre au Temple Oasahiko à Tokushima, Shikoku. Aujourd’hui, sa culture est contrôlée et limitée. Il faut pouvoir témoigner d’une autorisation spéciale et surtout légale pour passer commande. Pour le fil de retenue des petits cerfs-volants, il n’est pas rare que les fabricants utilisent des bobines de coton. Néanmoins, pour le fil de retenue des cerfs-volants géants, le chanvre est toujours utilisé. Par exemple, pour le cerf-volant géant du festival de Sagamihara de cette année (2014), presque une tonne de corde a été fabriquée à Kyoto, avec du chanvre provenant de Kanuma dans la préfecture de Tochigi. À la clôture du festival, comme le veut la tradition, le cerf-volant et les cordes ont été entièrement brûlés. L’année prochaine, il faudra produire une nouvelle tonne de corde en chanvre pour la nouvelle édition de ce festival.

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2

ème

partie : Cerfs-volants japonais du musée du quai Branly

1. Donations et acquisitions

Les cerfs-volants japonais se trouvant dans la collection du musée du quai Branly faisaient préalablement partie des collections du Musée de l’Homme. Ils y ont été transférés au début des années 2000. Une partie de ces cerfs-volants a intégré les collections du Musée de l’Homme durant les années 1930 et l’autre durant les années 1960. Les cerfs-volants datant des années trente et ceux datant des années soixante sont différents, non pas parce qu’ils ont été fabriqués à une trentaine d’années d’intervalle, mais parce qu’ils ont été collectés par des personnes et organismes singuliers dont les choix correspondent à des logiques distinctes.

Les cerfs-volants des années trente ont été acquis lors d’une donation de la Société pour le développement des Relations Culturelles Internationales [国際文化振興会, kokusai bunka

shinkōkai, 1934-1972, que nous nommerons KBS] et lors d’une mission d’André LEROI -GOURHAN (1911-1986), qui se trouvait au Japon en 1937-39, en tant que premier étudiant français invité par le ministère des Affaires étrangères du Japon, par l’intermédiaire de la KBS. Ces deux sélections d’objets ont donc été réalisées, ou orientées, par le Japon et plus particulièrement par la KBS.

La KBS est un organisme créé par le gouvernement japonais le 11 avril 1934 pour promouvoir la culture japonaise à l’étranger. Il s’agit de l’ancêtre de l’actuelle Fondation du

Japon [国際交流基金, kokusai kōryū kikin]. Telle qu’elle est décrite lors de sa création, sa

mission consiste à défendre les échanges culturels internationaux et à « établir le contact avec les étudiants, les amis et les organismes qui poursuivent des buts semblables aux siens ». Elle a pour principes directeurs « [d’] insister sur l’histoire, l’art et les autres sujets culturels de même nature »24. La donation de cerfs-volants et le programme auquel participe LEROI

-GOURHAN sont donc de parfaites illustrations du rôle de cette organisation.

La donation de cerfs-volants japonais au Musée de l’Homme a lieu dans le contexte de l’Exposition internationale des Arts et Techniques de la Vie Modernes, Paris, été 1937 et de l’Exposition Ethnographique, qui a lieu conjointement. Le Bulletin de la KBS,25 fait part du

rôle de cet organisme dans l’organisation des deux expositions. Néanmoins, il n’est pas fait mention de la donation des cerfs-volants. De même, dans le chapitre destiné à présenter le Musée de l’Homme aux lecteurs japonais dans Affaires culturelles japonaises en France [『佛蘭西に於ける日本の文化事業』furansu ni okeru nihon no bunka jigyō] 26, 1939, il est fait référence à une donation de poupées pour les expositions de 1937, mais les cerfs-volants ne sont pas cités. Néanmoins, en croisant ces informations avec trois documents conservés dans les archives du musée du quai Branly (une Liste des poupées, modèles et photographies

présentée au Musée de l’Homme par la KBS27, un courrier adressé à Paul Rivet par la KBS

24

Bulletin de la KBS, vol. 1, no. 1, avril-juin 1935.

25

Revue trimestrielle rédigée en français, qui commence à être publiée en 1935 et qui présente le programme trimestriel de la KBS.

26

Chapitre 6 – Musée de l’homme, p. 50-52.

27

(28)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

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(figure 10, droite), ainsi qu’une photographie (figure 10, gauche) sur laquelle les cerfs-volants apparaissent avec des raquettes [羽 子 板, hagoita], nous comprenons que cette donation a été réalisée pour une vitrine illustrant les Fêtes au Japon, et plus particulièrement le Nouvel An.28

Deux points sont à noter en ce qui concerne cette donation. D’une part, cette présentation de la culture, du folklore et plus particulièrement des jouets traditionnels japonais, tout comme le séjour de Leroi-Gourhan au Japon, donnent l’impression que la KBS est créée à des fins purement altruistes et philanthropiques, facilitant les échanges culturels entre le Japon et le reste du monde. Néanmoins, officieusement, le rôle de la KBS consiste à maîtriser l’image du Japon à l’étranger alors que les relations internationales sont de plus en plus tendues.29 Une présentation des Fêtes rythmant le calendrier japonais et des jouets pour

enfants détourne donc l’attention des enjeux internationaux. D’autre part, les cerfs-volants datant des années trente sont principalement originaires de Tokyo,30 l’actuelle capitale,

28

Les cerfs-volants et les raquettes sont tous deux des jouets traditionnellement utilisés par les enfants pendant les vacances du Nouvel An. Le premier était traditionnellement destiné aux garçons, le deuxième aux filles.

29

Dans les années 1930, le Japon mène une politique expansionniste en Asie.

30

Cet intérêt pour les cerfs-volants de Tokyo perdure aujourd’hui et se retrouve dans les publications Figure 10 (gauche) : photographie conservée au musée du quai Branly sous le n° D001712/38647 ;

(29)

Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 28

agrémentés d’un échantillon provenant de Kyoto, l’ancienne capitale restée le centre des arts. Il s’agit donc non pas de montrer la richesse et la diversité des régions, mais plutôt de présenter des exemples d’ouvrages d’artisanat provenant des deux centres urbains importants du Japon.

La situation est différente en ce qui concerne les cerfs-volants entrés dans les collections du musée durant les années soixante. L’un d’entre eux provient d’une donation réalisée par ISHII Ushinosuke (1911-1993), un collectionneur de jouets traditionnels japonais. Il s’agit d’un cerf-volant provenant de Chiba, dans la région de Tokyo. Les autres proviennent du reste du Japon. Ils ont été collectés principalement chez les fabricants ayant des magasins facilement identifiables : Atelier Magoji Dako, préfecture de Fukuoka, Kyūshū (huit objets), magasin Yanase Chōchin, préfecture de Shizuoka, Honshū (dix objets) et magasin Kinoshita, préfecture de Kagawa, Shikoku (neuf objets). À cela s’ajoute un cerf-volant amulette vendu dans un temple de Tokyo, et des cerfs-volants originaires des préfectures de Nagasaki, d’Aomori, d’Aichi et de Niigata. Ces cerfs-volants provenant de plusieurs régions provinciales, témoignent autant d’un grand travail artisanal, que d’une fabrication bon marché pour les touristes. Il ne s’agit plus de la mise en avant de la qualité d’exception d’ouvrages réalisés par les meilleurs artisans des deux pôles urbains et modernes du Japon, mais au contraire d’une illustration si possible objective de la variété de ce qui est produit à travers le pays.

japonaises récentes dédiées aux cerfs-volants.

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Note de recherche [TAKO – Cerfs-volants japonais traditionnels]

Cécile Laly 29

2. Cerfs-volants Edo, Honshū

La collection de cerfs-volants japonais du musée du quai Branly comprend plusieurs exemples de cerfs-volants Edo. L’appellation « cerf-volant Edo » signifie que le cerf-volant a été fabriqué à Edo, ancien nom de la ville de Tokyo. La ville d’Edo ne devient conséquente qu’après être devenue le centre politique du Japon au début du XVIIe siècle, les cerfs-volants Edo ne sont donc pas les plus anciens du Japon. Néanmoins, puisque la popularité des cerfs-volants à travers le Japon date de l’époque d’Edo, ils sont au centre de leur développement. Parmi les anciens témoignages de la présence de cerfs-volants à Edo, on trouve des estampes telles que celle de Masanobu, datant de 1745 et figurant des cerfs-volants se balançant dans le ciel au-dessus du district des théâtres Sakai-chō pour le Nouvel An, ou encore celle d’Hokusai, datant de 1800, dans laquelle un enfant joue avec un cerf-volant rectangulaire dans une maison de thé de la baie de Shinagawa. Aujourd’hui, les principales formes de cerfs-volants Edo, comprennent les cerfs-cerfs-volants de forme rectangulaire [角凧, kaku dako], les cerfs-volants en forme d’humain [奴凧, yakko dako], les cerfs-volants en forme d’aigle [とん び凧, tonbi dako] et les volants en forme de kimono [袖凧, sode dako]. Les cerfs-volants Edo conservés au musée du quai Branly sont des kaku dako, des yakko dako et des

sode dako.

2.1 Kaku dako [Cerfs-volants rectangulaires]

Les cerfs-volants rectangulaires sont souvent tous appelés cerfs-volants Edo, mais à tort. En effet, les cerfs-volants rectangulaires ne sont pas tous originaires d’Edo. Parmi ceux de la collection du musée du quai Branly, on trouve des cerfs-volants rectangulaires de Kyoto, dont deux sont conservés sous les références 71.1937.40.92 bis et 71.1937.40.96, et des cerfs-volants Tsugaru, originaires d’Aomori, dont un est conservé sous la référence 71.1967.36.376. Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres. Sans réaliser une liste exhaustive, parmi les cerfs-volants rectangulaires, on compte également les cerfs-volants de Saku [佐久凧, saku

dako] de la préfecture de Nagano, les cerfs-volants Soleil Levant [日出てんばた, hinode tenbata] de la préfecture de Miyagi, ou encore les cerfs-volants Senka [仙花いか, senka ika]

de la préfecture d’Osaka. Tous partagent une même forme. Cependant, leur armature et le décor de leur voilure ont évolué différemment en fonction des traditions locales.

Les deux cerfs-volants rectangulaires Edo de la collection du musée du quai Branly sont référencés sous les numéros 71.1937.40.92.1-2 (figure 11, gauche) et 71.1937.40.95.1-2

(figure 11, droite). Ils font partie des plus anciens cerfs-volants japonais de la collection du musée et ils présentent une facture d’une grande finesse, tant du point de vue de la réalisation de leur armature, que de celle de leur décor. Ce travail de la main est d’autant plus appréciable que ces deux objets sont dans un très bon état de conservation.

Bien que leurs dimensions soient différentes – le cerf-volant n° 71.1937.40.92.1-2 mesure 48.5 x 78cm, tandis que le n° 71.1937.40.95.1-2 mesure 24 x 35cm – leur armature est identique. En effet, l’armature du cerf-volant rectangulaire Edo se compose traditionnellement de dix baguettes de bambou : cinq horizontales, trois verticales et deux diagonales. Il n’y a

Figure

Figure 1 : Trois estampes se raccordant et représentant des hommes tatoués, fin  XIX e  siècle  [71.1934.172.18.1-3]
Figure  4  (gauche)  :  au  premier  plan,  deux  des  quatre  déesses  du  vent,  et  au  second  plan,  un  prêtre  -  cérémonie de bénédiction du cerf-volant géant d’Higashiōmi, 25 mai 2014 ;
Figure 5 : T AKEUCHI  Yoshihiro tenant du medake dans sa main gauche et du madake dans sa main  droite (atelier Magoji, Kita-Kyūshū)
Figure 6 : Atelier d’O KAJIMA  T AKESHI , fabricant de mini cerfs-volants (Kyoto).
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