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Le port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement québécois et français : une liberté, deux modèles

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Le port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement

québécois et français : une liberté, deux modèles

Marianne Hardy-Dus sault

Faculté de droit Université McGill, Montréal

Août 2007

A thesis submitted to McGill University in partial fulfilment of the requirements of the degree ofMaster ofLaws (LL.M.)

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la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse. Bien que ces formulaires

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(3)

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Résumé

Par la présente étude, nous souhaitons nous inscrire en continuité avec les travaux entrepris au Québec et en France sur le pluralisme religieux dans l'espace public. Dans une première partie, nous étudions l'approche qui, d'abord commune aux deux États, permettait aux élèves de porter un signe religieux dans les écoles publiques. Nous mettons cependant en relief les divergences de concepts qui, en 2004, ont permis au législateur français d'interdire les signes manifestant« ostensiblement» une appartenance religieuse.

Dans une seconde partie, nous mesurons la capacité des deux approches juridico-politiques à assurer la cohésion sociale, à protéger la liberté de religion, le droit à l'égalité et les minorités internes victimes des pressions ou contraintes exercées par leur entourage. Certaines considérations liées à 1 'universalisme français peuvent faire contrepoids aux difficultés que présente le modèle différentialiste, mais cette étude comparée nous conduit à conclure que, au Québec, le différentialisme demeure la voie à suivre.

Abstract

The present study intends to contribute to the work undertaken in Quebec and in France on religious pluralism in the public sphere. The first section examines the common approach adopted by both States which allowed students to wear religious symbols in public schools. We then highlight the divergent approaches that emerged in 2004 when the French legislature prohibited almost entirely this practice.

The second section assesses the capacity of Quebec's and France's legal and poli ti cal approaches to ensure social cohesion, to protect freedom of religion, the right to equality as weil as the rights of the internai minorities who are pressured and constrained by their surroundings. Sorne considerations related to French universalism might be used to counterbalance the negative effects of the differentialist approach. Nevertheless, this comparative study leads us to conclude that, in Quebec, differentialism remains the path to be followed.

(4)

Remerciements

Je souhaite remercier chaleureusement la professeure Colleen Sheppard qui a bien voulu superviser la rédaction de ce mémoire. Ses conseils judicieux m'ont été précieux.

Merci à mon père, Yves Dussault, pour son soutien ainsi qu'à ma mère, Lise Hardy, qui a accepté sans hésiter le mandat de première lectrice et critique. Je tiens aussi à exprimer toute ma reconnaissance à François Bourgault, second lecteur, mais non moins critique. Je le remercie de son support ainsi que de sa patience.

Mes sincères remerciements à Mark G. Peacock qui m'a permis de travailler et d'acquérir beaucoup d'expérience pendant mes études de maîtrise.

Je souhaite aussi remercier le Greenshields Memorial Scholarships de m'avoir attribué une bourse lors de mon admission à 1 'Université McGill.

(5)

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 1

I. ÉTAT DES LIEUX ... 7

A. Le contexte législatif québécois ... 1 0 1. L'élève croyant: titulaire de liberté et bénéficiaire du droit à l'égalité ... 11

2. Restrictions imaginées et limites justifiées ... 15

B. Le contexte législatif français ... 24

1. Une liberté étroitement surveillée ... 25

2. L'épilogue : une interdiction de principe ... 34

II. ANALYSE CRITIQUE DES APPROCHES DIFFÉRENTIALISTE ET UNIVERSALISTE ... 47

A. Expression religieuse, intégration et cohésion sociale ... 49

1. L'école différentialiste et l'intégration interculturelle ou multiculturelle ... 50

2. L'école universaliste et l'intégration républicaine ... 63

B. La protection des minorités internes ... 75

1. Le « paradoxe » différentialiste ... 7 6 2. Les contradictions du modèle universaliste ... 84

CONCLUSION ... 95

(6)

INTRODUCTION

Pourquoi devrais-je me dépouiller de tout ce qui fait ma personnalité pour bénéficier des faveurs de votre égale dignité ?1

Récemment revisité par le professeur Ost, le personnage d'Antigone a pris les traits d'une écolière. Le mythe illustre toujours avec autant d'acuité comment les lois de la cité et l'appartenance au clan peuvent s'opposer. Au lendemain de la mort de ses frères, alors que l'un d'eux était soupçonné d'avoir fomenté un attentat, Antigone décidait de revêtir un voile, geste que venait d'interdire le directeur de l'établissement d'enseignement qu'elle fréquentait. Citoyenne et musulmane, elle s'est vu refuser la possibilité de se réclamer publiquement des deux à la fois. L'héroïne a choisi l'isolement, mais si elle avait plutôt renoncé à afficher son identité religieuse, 1 'hostilité manifestée par la majorité aurait pu demeurer source d'exclusion.

De nombreuses institutions, qu'elles soient publiques ou privées, doivent quotidiennement négocier avec la diversité religieuse et ses modes d'expression. Ces dernières années, de toutes les questions liées à la cohabitation des diverses croyances, le port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement a particulièrement retenu 1 'attention des classes dirigeantes françaises et québécoises ainsi que celle de leurs populations3

• L'intégration des minorités, la lutte contre les intégrismes religieux, la promotion de l'égalité entre les sexes, la protection des élèves vulnérables aux pressions exercées par leur famille ou leur communauté et le respect de l'ordre public sont les thèmes qui, sans avoir été systématiquement abordés, étaient toujours présents en filigrane.

1 François Ost, Antigone voilée, Bruxelles, Larcier, 2004 à la p. 51. 2

Christian Lavialle, «Antigone ou la contestation de la loi» (2006) 5 Revue du Droit Public 1182 à la p. 1184.

3

Pour les fms de la présente étude, les termes école, établissement public d'enseignement ou institution

publique d'enseignement seront employés de façon générique pour désigner les établissements publics de niveau primaire et secondaire québécois ainsi que les écoles, collèges et lycées du réseau public français.

(7)

Comment expliquer que le port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement ait créé une telle polémique alors qu'il s'agit d'un «phénomène secondaire» par rapport aux maux qui lui sont associés4

? Tant au Québec qu'en France, l'État s'est affranchi de l'Église en prenant le contrôle du système d'éducation. Bien que le fait religieux ne soit pas entièrement exclu des institutions d'enseignement, l'augmentation de sa visibilité est souvent perçue comme pouvant compromettre les acquis hérités de la Révolution française et ceux qui, au Québec, sont notamment issus de la Révolution tranquille. Au-delà de ces justifications historiques, d'autres éléments ont contribué à faire de la présence de signes liés à des religions minoritaires dans les écoles publiques, plus que dans toute autre institution, un important sujet de controverse.

Qu'il puisse parfois être qualifié de pratique culturelle ou d'expression de nature politique, le port d'un signe à caractère religieux implique dans l'esprit de plusieurs un marquage identitaire susceptible de créer, entre la majorité et la minorité, un clivage souvent jugé incompatible avec la mission dévolue aux établissements publics d'enseignement5

• Il convient immédiatement de préciser qu'une minorité religieuse se

définit essentiellement comme un ensemble composé d'individus qui, issus ou non de l'immigration récente, possèdent quatre particularités : une infériorité numérique, une «position de non-dominance», des croyances ou pratiques distinctes de celles de la majorité et la volonté de maintenir l'univers qu'ils considèrent avoir en commun6

• La

majorité regroupe quant à elle les individus dont les pratiques religieuses cadrent avec les

4

Philippe Malaurie, «Laïcité, voile islamique et réforme législative: Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 » (2004) 14 La Semaine Juridique 1 124 au para 5 (Lexis); France, Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la Mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, par Jean-Louis Debré,

Rapport n° 1275 (4 décembre 2003), t. 1, 1ère partie aux pp. 72-73, 78 [Rapport Debré].

5

Georges Leroux, «Les signes de l'identité: le langage du voile et les exigences du pluralisme» dans Khadiyatoulah Fall et Laurier Turgeon, dir., Champ multiculturel, transactions interculturelles : Des théories, des pratiques, des analyses, Paris, Harmattan, 1998, 181 aux pp. 189-190; Yolande Geadah, Femmes voilées, intégrismes démarqués, Montréal, VLB, 1996 aux pp. 65, 206; Homa Hoodfar, «Le voile

comme espace de négociation de l'identité et de la modernité : du Moyen-Orient au Canada » dans Cahiers des conférences et séminaires scientifiques No. 7, Chaire Concordia-UQAM en études ethniques, Montréal,

Université du Québec à Montréal, 2001 aux pp. 1-5.

6

Andrée Lajoie, Quand les minorités font la loi, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 aux pp.

20-26 ; Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Étude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques, Rapport sur l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par Francesco Capotorti, Doc. Off.

CCPR NU, 30e sess., Doc. NU E/CN.4/Sub.2/384/add. 1 (1977) ; José Woehrling, «Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé» (2003-2004) 34 R.D.U.S. 91 aux para 3-13 (QL) [J. Woehrling, «Les trois dimensions»].

(8)

normes et le mode de vie privilégiés par 1 'ensemble de la société et qui reçoit par conséquent le soutien de l'État, ne serait-ce qu'implicitement.

L'école publique est un lieu de socialisation et, plus important encore pour l'État, un lieu d'intégration qui lui permet d'assurer la cohésion sociale et de transmettre les valeurs qu'il considère fondamentales7

:

Tout État a une politique explicite ou implicite qui s'exprime dans ses grandes orientations lesquelles ne sont pas indépendantes de son idéologie. Et c'est sous les formes de cette idéologie qu'il demande à l'éducation et notamment à sa principale instance, l'école, d'assurer ses fonctions de préparation de la force de travail, de transmission du patrimoine culturel, de socialisation. Quel que soit le régime, 1' éducation tend à réaliser le consensus en légitimant le système8

Cette intégration n'est pas seulement celle des nouveaux arrivants: elle est aussi celle de toute une génération qui n'avait jusqu'alors connu que la cellule familiale. L'école publique est un des lieux où 1 'État et les groupes religieux rivalisent pour obtenir ou conserver l'allégeance de la jeune génération. L'accueil que le système d'éducation réserve aux différences religieuses en révèle davantage sur la politique d'intégration adoptée par l'État que l'examen de tout autre microcosme. Or, cette politique a un impact déterminant sur la manière dont la sphère juridique accueille cette diversité.

Jusqu'à tout récemment, la France et le Québec avaient opté pour une approche similaire qui permettait aux élèves d'afficher leur croyance religieuse en revêtant un signe ou une tenue particulière. En France, cette solution était issue d'un avis émis par le Conseil d'État en 1989 alors qu'au Québec, elle a été recommandée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lorsque, en 1994, la province a été aux prises avec sa toute première «affaire des foulards »9

• En 2004, la France s'est

7

Guy Bourgeault et Linda Pietrantonio, «L'école dans une société pluraliste et l'indépendance morale des individus » dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé, dir., Pluralisme, citoyenneté et éducation, Montréal, Harmattan, 1996, 231 aux pp. 242-243.

8 Lê Thành Khôi,

L'Éducation: cultures et sociétés, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991 à la p. 291.

9 Cons. d'État, 27 novembre 1989,

Le principe de laïCité et les signes d'appartenance à une communauté religieuse dans les écoles (Avis), (1991) 3 R.U.D.H. 152 [Cons. d'État, Le principe de laicité] ; Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Le pluralisme religieux au Québec : un

(9)

~·-,

distinguée en adoptant une loi interdisant le port de signes manifestant

«

ostensiblement

»

une appartenance religieuse10

• Bien que, la même année, la Cour d'appel du Québec ait estimé que, pour des raisons de sécurité, le port du kirpan pouvait être interdit à un élève inscrit dans une école publique montréalaise, ce jugement a été renversé par la Cour suprême du Canada en 200611

• Depuis, le Québec est demeuré dans la voie tracée par cette

dernière ainsi que par la Commission des droits de la personne.

Pour faire face aux défis que rencontrent la plupart des sociétés diversifiées, le Québec et la France ont opté pour des solutions divergentes qui se sont imposées en réaction à un passé qui n'a que peu en commun. Le Québec a longtemps été dominé par de grandes puissances coloniales et, avant les années soixante, la religion cimentait encore la société12

• Bien que l'école québécoise ait subi d'importantes transformations depuis, elle n'a pas entièrement complété le processus de déconfessionnalisation entrepris il y a plus d'une dizaine d'années. La France est quant à elle demeurée fidèle à sa tradition universaliste. Avant même que ne soit prononcée la séparation officielle des Églises et de l'État en 1905, les institutions publiques d'enseignement respectaient un certain cadre laïque13

• Accueillant désormais des ressortissants provenant de pays qu'elle

a autrefois colonisés, la France entretient avec ces derniers des relations parfois tendues qui diffèrent sensiblement des celles que le Québec a avec les minorités religieuses ou culturelles14

• Cela étant dit, il n'est pas indispensable que deux États possèdent un bagage social, historique ou politique identique pour faire l'objet d'une comparaison fructueuse15

Dans le cas qui nous concerne, l'exercice pourra contribuer de manière significative à une meilleure compréhension des difficultés que pose la prise en compte de la diversité.

défi d'éthique sociale (Document soumis à la réflexion du public) par Monique Roch on et Pierre Bosset, Québec, CDPDJ, 1995 [CDPDJ, Le pluralisme religieux au Québec].

10

Loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, J.O., 17 mars 2004,5190 [Loi du 15 mars 2004].

11

Multani (Tuteur de) c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, [2006] 1 R.C.S. 256 [Multani CSC],

infirmant [2004] R.J.Q. 824 (C.A.) [Multani CA].

12

Micheline Milot, Laïcité dans le nouveau monde: le cas du Québec, Turnhout (Belgique), Brepols, 2002

aux pp. 111-113 [Milot, Laïcité dans le nouveau monde]. .

13 Guy Bedouelle et Jean-Paul Costa, Les laicités à la française, Paris, Presses Universitaires de France,

1998 aux pp. 91-93.

14

Geadah, supra note 5 à la p. 226.

15

Esin Orücü, The Enigma of Comparative Law : Variations on a Theme for the Twenty-jirst Century, Boston, Martinus Nijhoff, 2004 à la p. 34.

(10)

Nous estimons qu'en ce qui concerne le port de signes religieux au sein des institutions publiques d'enseignement, le différentialisme demeure la voie à suivre au Québec. L'approche préconisée par la France ne sera toutefois pas invoquée à titre de simple «repoussoir» dans le but de conforter la position québecoise16

• La comparaison doit plutôt nous permettre de soupeser les faiblesses et mérites respectifs des deux modèles étudiés. Malgré ce qui les distingue, les deux États ont d'ailleurs en commun la volonté d'assurer la liberté de conscience et de religion de leurs citoyens, la cohésion sociale, le respect des valeurs que la majorité considère fondamentales et la protection des individus vulnérables aux pressions ou contraintes exercées par leur famille ou leur communauté17

• Que la France ait choisi une autre voie pour atteindre ces mêmes objectifs

porte à la réflexion. Les récents développements survenus en France nous offrent donc une occasion particulièrement intéressante de revisiter le modèle québécois et de mieux cerner les interactions complexes qui sont à l'œuvre dans différents contextes.

La symbolique associée aux différents signes ou tenues communément qualifiés de religieux ne sera pas directement abordée. Toutes les religions se caractérisent par un pluralisme interne, rendant impossible toute tentative d'attribuer de manière définitive une quelconque signification aux signes ou pratiques qui leur sont liés18

• On ne saurait d'ailleurs se prononcer sur la signification que revêt le foulard, la kippa, le turban ou le kirpan sans procéder à « une reconstruction » nécessairement incomplète tant de la religion que de la culture qui leur sont associées19

• L'entreprise dépasserait d'ailleurs largement le cadre de la présente étude et, par conséquent, nous nous contenterons à 16 L'expression «repoussoir français» est utilisée par Marie McAndrew, «Diversité culturelle et

religieuse : divergences des rhétoriques, convergences des pratiques ? » dans Gagnon, McAndrew et Pagé,

supra note 7, 283 à la p. 288. 17

Martin Hollis, « Is Universalism Ethnocentric? » dans Christian Joppke et Steven Lukes, dir.,

Multicultural Questions, Oxford, Oxford University Press, 1999, 27 à la p. 41. 18

Francis Messner, Pierre-Henri Prélot et Jean-Marie Woehrling, Traité de droit français des religions, Paris, Litec, 2003 à la p. 151 ; Fawzia Zouari, Le voile islamique : histoire et actualité, du Coran à 1 'affaire du foulard, Paris, Favre, 2002 à la p. 117.

19 David Kessler, «Laïcité: du combat au droit» (1993) 77 Le Débat 95 ; David Kessler, «Neutralité de

l'enseignement public et liberté d'opinion des élèves (À propos du port de signes distinctifs d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires)» (1993) 1 Rev. fr. dr. admin. 112 à la p. 119. Plusieurs considèrent que le foulard ou le voile dit islamique est celui dont le port est imposé ou encouragé par les intégristes, voir Geadah, supra note 5 aux pp. 84-87. Nous avons donc privilégié un vocabulaire plus neutre en utilisant simplement les termes foulard ou voile.

(11)

1 'occasion de renvoyer le lecteur aux nombreux ouvrages qui se sont penchés sur ces questions.

Dans une première partie, nous étudierons en parallèle le compromis judiciaire qui fut d'abord commun aux deux États. En 1' absence de législation spécifique régissant la question du port de signes religieux, le respect de la liberté de conscience et de religion des élèves exigeait que, sous réserve de certaines restrictions, cette pratique soit autorisée dans les établissements publics d'enseignement. Nous mettrons cependant en relief les divergences de concepts qui ont ensuite permis à la France d'opérer un changement législatif qui pourrait être plus difficilement envisagé au Québec. Cette étape nous permettra entre autres de mettre en place les éléments qui alimenteront la seconde partie de notre exposé. Celle-ci sera d'abord consacrée à un examen des politiques d'intégration adoptées par les deux États ainsi qu'à l'étude des notions de citoyenneté, d'égalité et de neutralité qui leur sont liées. Nous verrons comment la politique différentialiste québécoise et 1 'universalisme français ont influencé la sphère juridique et nous nous attacherons aussi à l'impact que ces approches peuvent avoir sur la cohésion sociale. Nous mesurerons ensuite la capacité des approches québécoise et française à respecter la liberté de conscience et de religion des minorités et surtout à protéger ceux qui, victimes de pressions de la part de leur famille ou de leur communauté, doivent porter un signe ou un vêtement particulier contre leur gré.

(12)

1. ÉTAT DES LIEUX

Les néo-québécois forment 9,9% d'une population qui s'élève à plus de 7,1 millions d'individus20

• Les églises chrétiennes récoltent toujours un nombre élevé d'adeptes, soit

l'adhésion de 90,2% des citoyens21

• Quoique récente, la présence musulmane est en pleine

expansion. Entre 1991 et 2001, elle a connu une croissance de 141,7%22

• Regroupant plus

de 108 000 individus, elle ne représente toutefois que 1,5% de la population québécoise23 •

Les sikhs forment quant à eux 0,1% de la population24

• Bien que faiblement représentées,

les religions orientales transforment peu à peu le visage du Québec qui, depuis la Révolution tranquille, est marqué par la désaffiliation religieuse de ses peuples fondateurs. Ce pluralisme a notamment exigé du gouvernement qu'il révise le statut confessionnel du réseau public d'enseignemenf5

• Plusieurs événements ont permis à la

société québécoise de mesurer l'ampleur du «défi d'éthique sociale» que pose la gestion de cette diversite6

• Au milieu des années 90, l'égalité des sexes et l'endoctrinement des

jeunes consciences étaient au coeur des préoccupations alors qu'une élève voilée, récemment convertie à l'Islam, était expulsée d'un établissement public d'enseignemenf7

À la même époque, l'imposition du foulard aux enseignantes catholiques d'une école privée musulmane est venue ajouter à la controverse28

• Près de dix ans plus tard, le port

20

Québec, Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, Des valeurs partagées, des

intérêts communs. Pour assurer la pleine participation des Québécois des communautés culturelles au développement du Québec. Plan d'action 2004-2007, Québec, MRCI, 2004 à la p. 123 [MRCI, Plan d'action 2004-2007].

21

Québec, Conseil des relations interculturelles, Laïcité et diversité religieuse : l'approche québécoise par Sophie Therrien, Québec, CRI, 2004 [CRI, Laïcité et diversité religieuse].

22 Ibid. à la p. 37. 23 Ibid. à la p. 32. 24

Ibid.

25

Depuis 1997, les écoles publiques n'ont plus à respecter les privilèges que la Loi constitutionnelle de

1867 reconnaissait aux religions catholique et protestante. Des clauses dérogatoires en vigueur jusqu'en

2008 autorisent cependant un traitement différencié à 1' égard de ces deux religions dont 1' enseignement doit être obligatoirement organisé, voir Modification constitutionnelle de 1997 (Québec), T.R. 97-141, Gaz. C. 1997 II, édition spéciale du 22 décembre 1997, vol. 131; Loi modifiant diverses dispositions de nature

confessionnelle dans le domaine de l'éducation, L.Q. 2005, c. 20, art. 19; Loi sur l'instruction publique,

L.R.Q. c. 1-13.3, art. 225, 726-727.

26 CDPDJ,

Le pluralisme religieux au Québec, supra note 9.

27

François Berger, «Élève expulsée de son école parce qu'elle portait le foulard islamique» La Presse (9 septembre 1994) Al.

28

CDPDJ, Le pluralisme religieux au Québec, supra note 9 à la p. 5 ; François Berger, « Fini le "hijab" pour les profs non musulmanes» La Presse (22 février 1995) Al O. Suite à l'avis émis par la Commission,

(13)

d'un kirpan a contribué à renforcer le discours fondé sur les nsques associés au multiculturalisme, position déjà ravivée par le débat portant sur la reconnaissance des tribunaux d'arbitrage religieux.

La France, composée de plus de 62 millions de citoyens, prévoit quant à elle qu'en matière de statut personnel, les résidents qui n'ont pas acquis la nationalité française demeurent soumis au droit étranger9

• Théâtre d'un important flux migratoire en provenance de ses colonies pendant les années 60, la France et 1 'Islam ne sont pas des étrangers30

• Près de 4,3 millions de citoyens français sont nés à l'extérieur du pays et plus du tiers viennent du continent a:fricain31

• L'Islam est communément qualifié de

«deuxième religion de France» et environ 4 millions d'individus s'identifieraient à celle-ci32. La répartition des individus selon leur affiliation religieuse ne peut cependant être évaluée avec précision puisque cette donnée n'est pas recueillie lors du recensement, laïcité et neutralité obligene3

• En 1989, cette même laïcité a été invoquée par le principal d'un collège pour justifier l'exclusion de trois élèves voilées34

• La fatwa prononcée la même année contre l'auteur des Versets sataniques, le passé colonial de la République, la guerre civile algérienne et ses répercussions en terre française ont contribué à la polémique35

• Les jeunes voilées sont alors devenues un symbole d'intolérance pour les

uns, le fruit d'une politique d'intégration inefficace pour les autres ou, pire encore, les porte-étendards d'un fondamentalisme religieux marquant 1' asservissement des femmes et le rejet des valeurs dites occidentales.

l'école privée rendait le port du foulard facultatif pour les enseignantes non musulmanes, mais demeurait obligatoire pour les enseignantes et les élèves appartenant à cette confession.

29

France, Haut Conseil à l'intégration, L'Islam dans la République, Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 2001 aux pp. 53-55 [HCI, L'Islam dans la République].

30

Ibid. à la p. 26 ; Alain Boyer, L'Islam en France, Paris, Presses Universitaires de France, 1998 à la p. 17.

31 Institut Nationale de la Statistique et des Études économiques, «La France en faits et en chiffres»

(2006), en ligne: Insee.fr <http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?ref_id=NATCCI02124&tab_id=427 &souspop=4>.

32 HCI, L'Islam dans la République, supra note 29 à la p. 27 ; Boyer, supra note 30 à la p. 2. 33

HCI, L'Islam dans la République, ibid. à la p. 25 ; Messner, Prélot et Woehrling, supra note 18 à la p. 248.

34

Raphaëlle Rerolle, « Trois jeunes musulmanes élèves d'un collège de Creil. Trois foulards contre la sérénité laïque» Le Monde (7 octobre 1989) 13.

35

(14)

Le droit a d'abord inspiré aux deux États un même résultat. Le Québec et la France ont fait de la lioerté d'expression religieuse une liberté de principe au sein des établissements d'enseignement. En France, cette liberté était cependant plus étroitement surveillée. Au Québec, malgré les craintes que suscitait l'évolution de la situation française, la multiplication des revendications dites communautaires ainsi que les réactions disproportionnées qu'elles provoquent parfois chez la majorité, l'expression religieuse dans la sphère publique fut présentée en 2004 par le Conseil des relations interculturelles comme une «modalité du vivre ensemble »36

• Cette modalité exige

notamment qu'il y ait négociation entre les individus et l'État, mais aussi reconnaissance par ce dernier de l'identité religieuse de ses citoyens. La même année, au terme d'une réflexion marquée par les rapports de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République et de la Mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, la France s'est démarquée en aménageant un tout autre «vivre-ensemble» qui exige que foulards, kippas, turbans et croix indiscrètes s'éclipsent de l'école publique37

36

CRI, Laïcité et diversité religieuse, supra note 21 à la p. 76.

37

France, Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, Laïcité et République, Rapport au Président de la République, par Bernard Stasi (11 décembre 2003), Paris, La Documentation française, 2004 [Rapport Stasi] ; Rapport Debré, supra note 4.

(15)

A. Le contexte législatif québécois

Au Québec, la polémique liée au port de signes à caractère religieux à 1' école publique a vu le jour au moment où sévissait en France le second épisode de «l'affaire des foulards». En septembre 1994, une élève âgée de 12 ans était expulsée d'un établissement d'enseignement montréalais et contrainte de s'inscrire dans un autre établissement public où le port du foulard n'était pas interdif8

• À cette époque, dans

1 'ensemble des écoles formant la Commission des écoles catholiques de Montréal, seules 70 élèves affichaient ce signe d'appartenance religieuse39

• L'intervention du tribunal n'a

pas été sollicitée, mais la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s'est prononcée en faveur des jeunes voilées40

• Un nouvel incident survenu en

2001 a permis aux tribunaux québécois et, ultimement, à la Cour suprême de se prononcer pour la première fois sur la portée qu'il convenait d'accorder à la liberté d'expression religieuse des élèves inscrits dans le réseau public. Un jeune sikh âgé de 12 ans s'était vu interdire l'accès à son établissement d'enseignement pour le motif qu'il refusait de se départir de son kirpan. D'après les autorités scolaires, ce signe religieux, qui prend la forme d'un poignard, représentait un risque trop élevé pour la sécurité des autres élèves pour être autorisé41

• En 2006, la Cour suprême fut d'avis contraire.

Au Québec, comme dans les autres provinces canadiennes, le port de signes à

caractère religieux ne fait l'objet d'aucune législation spécifique. La juxtaposition de plusieurs textes de loi et la jurisprudence o:tlTent cependant un encadrement relativement précis en la matière. Qu'elle soit envisagée sous l'angle de la liberté de religion ou du droit à 1' égalité qui sont consacrés par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, 1' expression religieuse des élèves ne peut être

38 François Berger, « Élève expulsée de son école parce qu'elle portait le foulard islamique » La Presse (9

septembre 1994) Al ; François Berger, «L'élève au voile islamique ira dans une autre école», La Presse, (10 septembre 1994) A3.

39 Québec, Conseil du statut de la femme, Réflexion sur la question du port du foulard à l'école, par Marie

Moisan, Québec, CSF, 1995 à la p. 29 [CSF, Réflexion sur la question du port du foulard à l'école].

4

°

CDPDJ, Le pluralisme religieux au Québec, supra note 9.

(16)

restreinte qu'en des circonstances exceptionnelles42

• Avant de circonscrire les limites qui

s'imposent, il convient d'examiner brièvement de quelle manière cette liberté et ce droit interviennent pour faire de l'expression religieuse une liberté de principe au sein des écoles publiques.

1. L'élève croyant titulaire de liberté et bénéficiaire du droit à l'égalité

La liberté de religion comporte deux dimensions, l'une positive et l'autre négative. Dans sa dimension positive, la liberté de religion réfère au droit de croire ou de ne pas croire, mais aussi au droit de professer et de manifester ses croyances43

• Il est admis que le

port de signes ou de tenues à caractère religieux, tels qu'un couvre-chef, est une forme d'expression ou de manifestation religieuse qui mérite protection44

• Il importe peu que

cette expression soit liée à une religion établie, qu'elle soit considérée obligatoire ou qu'elle soit conforme aux dogmes que prônent ses représentants officiels ou la majorité de ses adeptes45

• Il suffit que celui qui réclame protection croit sincèrement que la

pratique qu'il entend exercer a un lien avec la religion à laquelle il adhère et que la contrainte dont il est l'objet entrave de façon non négligeable l'accomplissement de cette pratique ou le prive d'un autre droit garanti, tel que le droit à l'instruction publique46

42

Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 2(a) [Charte canadienne] ; Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 3 [Charte québécoise] ; voir aussi Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, art. 2(1), 18, 26; Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, 1577 R.T.N.U. 3, art. 14, 30; Pour un examen approfondi des

nonnes internationales en la matière, voir notamment Québec, Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, Étude sur le rapport entre les droits fondamentaux de la personne et les droits des parents en matière d'éducation religieuse (Étude n°6), par José Woehrling, Québec, MEQ, 1999.

43

R. c. Big M Drug Mart. Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295 aux pp. 336-337; José Woehrling, «L'obligation

d'accommodement raisonnable et l'adaptation de la société à la diversité religieuse» (1998) 43 R.D. McGill325 aux pp. 370-371[J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable»].

44

Multani CSC, supra note Il ; Grant c. Canada (P.G.), [1995] 125 D.L.R. (4e) 556 (C.A.P.); Comité des

droits de l'homme, Observation générale n° 22 relative à l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Doc. Off. CCPR NU, 48e sess., Doc. NU C/21/Rev.l/Add.4 (1993) au para 4.

45

Pierre Bosset et Paul Eid, «Droit et religion: de l'accommodement raisonnable à un dialogue intemonnatif? » dans Acte de la XVIIe Conférence des juristes de 1 'État, Montréal, Yvon Blais, 2006, 63 à

la p. 69 [Bosset et Eid, « Droit et religion » ].

46

Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551 aux para 46-49, 58-59; Multani CSC, supra note

(17)

Dans sa dimension négative, la liberté de religion se caractérise par l'absence de coercition47

• Bien qu'au Canada les constituants n'aient pas prévu de stricte séparation

entre l'Église et l'État, il n'existe pas de religion d'État et les institutions publiques doivent s'abstenir de privilégier une religion par rapport à une autre48

• Cette obligation de

neutralité n'est pas un principe juridique autonome, mais «découle naturellement» du droit à la liberté de religion et du droit à l'égalite9

• L'étendue des obligations que cette

neutralité implique est d'ailleurs largement tributaire de ce statut particulier. En tant que composante de la liberté de religion, elle se veut moins rigoureuse que la neutralité qui, sous le couvert de la laïcité, jouit en France d'une consécration constitutionnelle50

• La

neutralité qui naît de la liberté de religion permet de différencier 1 'institution de ceux qui s'y côtoient. Seule la première se doit d'être neutre.

L'expression religieuse au sein des institutions publiques n'est pas incompatible avec la neutralité religieuse de 1 'État51

• Tel que le reconnaissait récemment la Commission

des droits de la personne, le caractère laïque d'une institution d'enseignement ne peut la dispenser d'offrir certains accommodements52

• Cette distinction demeure cependant

largement incomprise. Dans la foulée de l'arrêt Multani, le discours majoritairement tenu dans les médias consistait à déplorer le fait que l'école publique, affranchie de la religion depuis 1997, était désormais contrainte d'accepter un retour du fait religieux53

• Or, le

simple fait pour un élève d'arborer un signe religieux ne peut être perçu comme un geste coercitif susceptible de porter en lui-même atteinte à la neutralité de l'école ou à la liberté

note 25, art. 1. Comme le souligne le professeur Woehrling, les tribunaux s'abstiennent généralement d'invoquer un critère objectif qui exigerait du plaignant qu'il prouve l'existence de la croyance ou du précepte qu'il souhaite observer, voir José Woehrling, «Les principes régissant la place de la religion dans les écoles publiques du Québec» dans Myriam Jézéquel, dir., Les accommodements raisonnables: quoi, comment, jusqu'où? Des outils pour tous, Cowansville, Yvon Blais, 2007,215 à la p. 227.

47

R. c. Big M Drug Mart. Ltd., supra note 43 aux pp. 336-337; Voir aussi Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650 aux para 65-68 U. LeBel) ; J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 aux pp. 370-371.

48

Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834 à la p. 840 (j. Taschereau).

49

J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 aux pp. 372- 374.

50

Ibid. à la p. 374.

51

Bosset et Eid, « Droit et religion», supra note 45 à la p. 64.

52

Centre de recherche-action sur les relations raciales et École de technologie supérieure, (3 février 2006), CDPDJ Résolution COM-510-5.2.1, en ligne: Cdpdj.qc.ca <http://www.cdpdj.qc.ca/fr/

publications/docs/ETS_resolution.pd:f> à la p. 13 (La Commission était saisie d'une plainte logée par des étudiants musulmans qui souhaitaient utiliser un local de l'établissement pour prier).

53

J. Woehrling, «Les principes régissant la place de la religion dans les écoles publiques du Québec»,

(18)

de religion des autres élèves. Seuls les signes religieux contraignants qui portent atteinte de façon« significative» à la liberté de religion des élèves peuvent être interdits54

• Ainsi,

en raison de la vulnérabilité des élèves et du caractère captif de cet auditoire, les écoles publiques devraient en principe retirer de leurs murs croix et crucifix55

• Ces mêmes

arguments ont été avancés par le Conseil des relations interculturelles pour affirmer que les enseignants et les autres personnes embauchées dans les établissements d'enseignement devraient s'abstenir d'afficher leur appartenance religieuse56

L'État n'a jamais exigé de ses agents qu'ils s'abstiennent d'exprimer leurs croyances. Une institution aussi symbolique que la Gendarmerie Royale du Canada permet aux sikhs de substituer le turban au couvre-cheftraditionneP7

• Il est vrai que, dans

les écoles publiques, la situation peut paraître plus problématique en raison de l'influence indue que des personnes en situation d'autorité peuvent avoir sur de jeunes consciences. Pourtant, le législateur n'a pas jugé opportun d'imposer au personnel scolaire un devoir de réserve similaire à celui qui limite la liberté de religion de leurs collègues français58

Ne serions-nous pas d'ailleurs en plein paradoxe si le port de signes religieux devait être interdit aux enseignants alors qu'ils ont le mandat de sensibiliser les élèves à la diversité et au respect de celle-ci 59?

Afin que la dimension négative de la liberté de religion des

54

Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Pratiques et symboles religieux : quelles sont les responsabilité des institutions publiques (Communication), par Pierre Bosset,

Québec, CDPDJ, 2000 aux pp. 13-14.

55

Québec, Comité sur les affaires religieuses, La Place de la religion à l'école publique (Étude), par José

Woehrling, Québec, Ministère de l'Éducation, 2002 à la p. 61 [CAR, La Place de la religion à l'école publique] ; Québec, Comité sur les affaires religieuses, Rites et symboles religieux à l'école, Défis éducatifS de la diversité (Avis), Québec, CAR, 2003 à la p. 66 [CAR, Rites et symboles religieux à l'école]; Pierre

Bosset, « Pratiques et symboles religieux : quelles sont les responsabilités des institutions? » dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Les 25 ans de la Charte québécoise, Cowansville, Yvon

Blais, 2000, 39 aux pp. 49-52.

56 CRI, Laïcité et diversité religieuse, supra note 21 aux pp. 58-59; voir également Marie McAndrew,

«L'accommodement raisonnable: atout ou obstacle dans l'accomplissement des mandats de l'écoles?» (2003) 22 Options CSQ 131 aux pp. 144-145 [McAndrew, «L'accommodement raisonnable: atout ou obstacle»].

57 Grant c. Canada (P. G.), supra note 44. 58

Pandori c. Peel Board of Education, (1990) C.H.R.R.D/364, conf. par [1991] 3 O.R. (3e) 531 (Div. Ct.

Ont.) (Dans cette affaire, la Commission ontarienne des droits de la personne a donné raison à un enseignant sikh qui souhait porter un kirpan dans le cadre de ses fonctions).

59 Telle était d'ailleurs la réflexion faite par le Comité des droits de l'enfant en 2004 alors que certains

Uinder cherchaient à interdire le port du voile aux enseignantes des écoles publiques. Selon le Comité, cette prohibition était incompatible avec la mission des établissements d'enseignement qui doivent former des citoyens tolérants et conscients de l'importance que revêt la liberté de religion, voir Examen des rapports

(19)

élèves soit respectée, il devrait suffire qu'en fonction de l'âge des enfants, le personnel scolaire s'abstienne d'adopter un comportement ou un discours susceptible d'être perçu comme constitutif de pression ou de prosélytisme60

Lorsque la situation est envisagée sous l'angle du droit à l'égalité, il est admis qu'en vertu de la Charte canadienne et de la Charte québécoise, il y a discrimination lorsque l'objet d'une loi ou d'une mesure est en lui-même discriminatoire, mais aussi lorsque, dans la poursuite d'un objectif valide et séculier, la loi ou la mesure en question a des effets discriminatoires sur les individus dont les pratiques cadrent mal avec celles de la majorité61

• Ainsi, il y a discrimination lorsque, en raison de la religion à laquelle il

adhère, un individu se voit imposer un fardeau que d'autres n'ont pas à assumer ou lorsqu'il ne bénéficie pas de la même manière des services généralement offerts au public62

• Transposés à la situation particulière des écoles publiques, ces principes ont

conduit la Commission des droits de la personne à conclure que le port du foulard ne pouvait être interdit63

Qu'une école prohibe expressément le port d'un signe particulier, qu'elle interdise le port de signes religieux en général ou qu'un code vestimentaire ait indirectement cet effet, la liberté d'expression religieuse des élèves sera entravée et leur droit à l'égalité compromis64

• Dans le premier cas, la règle poursuivrait un objectif en lui-même discriminatoire puisqu'elle ne s'appliquerait qu'aux élèves adeptes d'une religion particulière. Dans les deux derniers cas, bien que la règle serait applicable à tous, celle-ci pourrait avoir un effet disproportionné sur certains individus. Contrairement aux élèves catholiques ou protestants qui peuvent porter une croix susceptible d'être aisément

présentés par les États parties en application de l'article 44 de la Convention, Observations finales, Rapport de l'Allemagne, Doc. Off. CRC NU, 35e sess., Doc. Nu C/15/Add. 226 (2004) aux para 30-31 ; R.

c. M (MR.), [1998] 3 R.C.S. 393 au para 3.

6

°

CAR, La Place de la religion à l'école publique, supra note 55 aux pp. 70-71 ; CAR, Rites et symboles religieux à l'école, supra note 55 à la p. 66.

61

Charte canadienne, supra note 42, art. 15 ; Charte québécoise, supra note 42, art. 10, 12; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 [Simpsons Sears Ltd.].

62

Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525 [Bergevin]; Eldridge c. Colombie-Britanique (P.G.), [1997] 3 R.C.S. 624.

63

CDPDJ, Le pluralisme religieux au Québec, supra note 9 aux pp. 23-26.

64

(20)

soustraite aux regards, les élèves de confession musulmane ou juive qui souhaiteraient exprimer leurs croyances ou respecter les préceptes de leur religion en portant un foulard ou une kippa ne pourraient faire de même. Il y aurait alors non seulement entrave à leur liberté de religion, mais aussi atteinte à leur droit à 1' égalité puisque ces élèves se verraient dans l'obligation de renoncer au port de ce vêtement ou contraints à poursuivre leur scolarité dans le secteur privé ou dans une école publique autre que celle de leur choix. Or, la Charte québécoise garantit le droit à 1 'instruction publique gratuite et la Loi sur l'instruction publique prévoit que, sous certaines réserves, les parents peuvent choisir

1 'école où leur enfant recevra sa scolarité65 •

2. Restrictions imaginées et limites justifiées

L'article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne justifie en ces termes les limites qui peuvent être imposées à toute liberté :

Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de 1 'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager 1 'exercice66

Que la situation soit envisagée uniquement sous l'angle de la liberté de religion, du droit à 1 'égalité et de la clause justificative comprise dans la Charte canadienne ainsi que dans la Charte québécoise ou qu'elle soit étudiée de concert avec l'obligation d'accommodement raisonnable plus généralement associée à la mise en œuvre du droit à 1 'égalité, une réflexion et un résultat similaire s'imposent67

65

Charte québécoise, supra note 42, art. 40 ; Loi sur l'instruction publique, supra note 25, art. 4 ; Pierre

Bosset, « Le port du foulard islamique en milieu scolaire » dans Service de la formation permanente,

Congrès annuel du Barreau du Québec (1995), Montréal, Barreau du Québec, 1995, 781 à la p. 792

[Bosset, « Le port du foulard islamique »] ; Ghislain Otis et Christian Brunelle, « La Charte et la tenue vestimentaire à l'école publique» (1995) 36 C. de D. 599 à la p. 634.

66

Charte québécoise, supra note 42, art. 9.1 ; voir aussi Charte canadienne, supra note 42, art. 1.

67

J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 aux pp. 360, 364. Comme

le souligne l'auteur, la liberté de religion et le droit à l'égalité sont souv~nt invoqués de concert. Plusieurs réfèrent d'ailleurs à la notion d'accommodement raisonnable même lorsque seule la liberté de religion est invoquée ou qu'un texte de loi est contesté. En ce dernier cas, «l'obligation d'accommodement» qui

(21)

En vertu des clauses justificatives, une loi, un règlement ou une décision prise par un agent de l'État peut être invalidé, assoupli ou annulé à moins que l'objet de la loi, du règlement ou de la décision contesté poursuive un objectif urgent et réel et que les moyens choisis pour l'atteindre soient raisonnables. Le moyen choisi pour atteindre l'objectifvisé sera raisonnable si la loi, le règlement ou la décision est rationnellement lié à l'objectif en question, qu'il porte le moins possible atteinte à la liberté de religion des personnes lésées et s'il y a proportionnalité entre ses effets bénéfiques et ses effets préjudiciables68

• Les codes vestimentaires adoptés par les écoles publiques et les décisions

individuelles prises sur la foi de ces règlements peuvent être assujettis à un tel examen69 •

Une interdiction reposant sur 1 'hypothèse selon laquelle la formation de bons citoyens exige que l'école n'autorise aucune manifestation de particularismes religieux ou culturels ne saurait être justifiée. Il s'agit d'un objectif qui n'entretient aucun lien rationnel avec une interdiction générale et repose plutôt sur le préjugé selon lequel il convient de vider l'espace scolaire de toute trace de particularismes afin de former des citoyens qui partagent des valeurs communes70

• Comme nous le verrons en seconde

partie, les politiques multiculturelle et interculturelle nous encouragent à renoncer à cette conception de la Nation. Pour les fins de la discussion, nous pouvons cependant admettre que les règles internes adoptées par les établissements d'enseignement poursuivent généralement un objectif suffisamment important pour justifier l'imposition d'un certain conformisme vestimentaire71

• Ces règlements prohibent la possession d'objets dangereux,

les tenues indécentes, les couvre-chefs et les vêtements sur lesquels sont imprimés des messages haineux ou violents. Que cela soit pour éviter qu'un élève ne soit marginalisé, pour des raisons liées à la sécurité, à 1 'hygiène, ou pour apaiser les tensions que peuvent provoquer certaines formes d'expression, ces règles visent à assurer aux élèves un environnement propice à l'accomplissement du mandat de l'école, lequel consiste à

s'impose au législateur ou au décideur découle des clauses limitatives des chartes canadienne et québécoise; voir également Multani CSC, supra note 11 au para 53 (j. Charron).

68 R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Notons que le test élaboré sous l'article premier de la Charte

canadienne s'applique à l'article 9.1 de la Charte québécoise, voir Ford c. Québec (P.G.), [1988] 2 R.C.S.

712 aux pp. 770-771.

69 Multani CSC, supra note 11 aux para 21-23. 70

J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 aux pp. 343-344.

71

(22)

-,. instruire et socialiser les élèves, ma1s aussi à favoriser leur intégration sociale et la transmission des valeurs que notre société considère fondamentales72

• Pourtant, l'atteinte

de ces objectifs ne justifiera que rarement l'application intégrale de la règle73• Des

exemptions devront alors être accordées.

Ainsi, dans l'affaire Multani, le code vestimentaire prohibant le port d'armes et d'objets dangereux en vertu duquel le kirpan a été interdit n'a jamais été remis en question. Seule la décision du Conseil des commissaires fondée sur une application stricte de cette règle a été contestée74

• L'exemption réclamée, que d'aucuns pourraient percevoir

à tort comme un «privilège» accordé à un groupe minoritaire75

, n'est en fait qu'une

mesure égalitaire de nature individuelle dont l'objectif consiste à permettre à un élève appartenant à la minorité sikh orthodoxe de bénéficier d'un égal accès à l'instruction publique. Tel que nous le verrons plus amplement ci-après, contrairement à l'égalité formelle qui est satisfaite lorsqu'un même traitement est réservé à tous, l'égalité réelle ou de fait, laquelle sous-tend l'article 15 de la Charte canadienne et l'article 10 de la Charte québécoise, est un concept qui reconnaît qu'en certaines circonstances, la véritable égalité doit se traduire par un traitement distincC6

• La norme générale demeure en vigueur, mais

des exceptions ponctuelles non susceptibles de compromettre l'atteinte de l'objectif qu'elle poursuit pourront être accordées.

La démarche entreprise par l'élève dont la liberté de religion ou le droit à l'égalité est compromis par une décision fondée sur l'application d'une règle d'apparence neutre n'est en principe mue que par une volonté individuelle et, à moins que l'annulation ou qu'une modification formelle de la règle soit recherchée, la réparation sera accordée à

72

Otis et Brunelle, supra note 65 aux pp. 601, 607-608 627-629 ; Bosset,« Le port du foulard islamique», supra note 65 à la p. 794 ; Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Code vestimentaire et uniforme dans les écoles publiques, par Daniel Carpentier, Québec, CDPDJ, 2005. à la p.

10 ; Loi sur 1 'instruction publique, supra note 25, art. 22, 36.

73 J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 aux pp. 359-360. 74

Multani CSC, supra note 11.

75 CAR, La Place de la religion à l'école publique, supra note 55 à la p. 53 ; J. Woehrling, «Les principes

régissant la place de la religion dans les écoles publiques du Québec »,supra note 46 à la p. 232.

76

R. c. Big M Drug Mart. Ltd., supra note 43 à la p. 347; Andrews c. Law society of British Columbia,

[1989] 1 R.C.S. 134 aux pp. 164-171 [Andrews] ; Law c. Canada (Ministre de L'Emploi et de l'Immigration, [1999] 1 R.C.S. 497 aux para 69-71 [Law]; CAR, La Place de la religion à l'école publique, ibid.

(23)

l'élève concerné plutôt qu'à une collectivité. En vertu de l'obligation d'accommodement raisonnable, les établissements d'enseignement sont d'ailleurs tenus de négocier avec celui qui se plaint de discrimination et le caractère individuel de 1 'exemption offerte ne semble pas en mesure de mettre en péril le maintien de la norme ou le « mode de vie » privilégié par la majorite7

• Tel que nous l'observerons cependant en seconde partie, il

n'est pas exclu que, contraintes à accommoder les pratiques de certains individus, des institutions adoptent une logique de « droits collectifs » ou décident de réévaluer la norme dominante qui sous-tend les règles dont elles se sont dotées.

Lorsqu'en vertu des clauses justificatives il sera possible de constater qu'un code vestimentaire est rationnellement lié à la poursuite d'un objectif valide et qu'il porte le moins possible atteinte aux droits des élèves, il y aura également lieu de conclure que tout effort supplémentaire de la part de l'établissement pour assouplir ce code ira au-delà de ce que l'obligation d'accommodement raisonnable exige78

• Développée dans le domaine des

relations de travail, cette notion admet qu'un employeur ou un agent de 1 'État a l'obligation d'adapter son entreprise ou sa réglementation interne pour permettre à un individu d'exprimer ses convictions religieuses ou d'occuper son poste malgré un handicap, à moins que l'adaptation réclamée n'entraîne des coûts prohibitifs, qu'elle entrave l'exploitation de l'entreprise ou porte atteinte aux droits des autres employés79

77

Simpsons Sears Ltd., supra note 61 au para 23 ; J. Woehrling, «Les principes régissant la place de la

religion dans les écoles publiques du Québec », supra note 46 aux pp. 232-233. Partant de ce principe, le Conseil des communautés culturelles et de l'immigration a émis en 1993 deux avis destinés à faciliter le règlement des conflits de normes, notamment au sein des institutions publiques, voir Québec, Conseil des relations interculturelles, La gestion des conflits de normes par les organisations dans le contexte pluraliste

de la société québécoise. Principes de fond et de procédure pour guider la recherche d'accommodements raisonnables, par Vincent Ross, Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration,

1993; Québec, Conseil des communautés culturelles et de l'immigration, Gérer la diversité dans un

Québec francophone, démocratique et pluraliste. Principes de fond et de procédure pour guider la recherche d'accommodements raisonnables (Étude complémentaire), par Vincent Ross, Québec, Ministère

des Communautés culturelles et de l'Immigration, 1993 [CRI, Gérer la diversité dans un Québec

francophone, démocratique et pluraliste].

78

J. Woehrling, «L'obligation d'accommodement raisonnable», supra note 43 à la p. 360 ; Multani CSC,

supra note 11 au para 53

G.

Charron); La juge Charron a rédigé l'opinion majoritaire. Notons cependant que les juges Deschamps et Abella ont insisté sur l'importance de distinguer l'obligation d'accommodement raisonnable associée au droit administratif et 1' évaluation exigée par le critère de

1' atteinte minimale sous 1' article 1 de la Charte canadienne puisque cette dernière « comporte des conséquences sociales plus importantes », voir Multani, ibid. aux para 129-134.

79

Simpsons Sears Ltd., supra note 61 ; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2

(24)

Transposés à l'environnement scolaire, ces principes nous permettent de conclure de façon plus spécifique que la liberté de religion d'un élève pourra être restreinte si son expression compromet l'accomplissement des principaux mandats de l'école publique dont l'atteinte exige le maintien de l'ordre, de la sécurité et de l'efficacité du service ou si elle porte atteinte à un droit ou à une liberté concurrente de l'élève, de ses camarades ou du personnel scolaire80

Pour permettre à l'école d'accomplir son mandat premier, soit d'instruire les élèves, la présence en classe pour toutes les matières est nécessaire81

• Un absentéisme

systématique pourrait compromettre cet objectif. Ainsi, un élève ne peut être exempté d'une matière ou d'une activité pour le motif que celle-ci heurte ses valeurs ou ses convictions religieuses82

• En ce qui concerne le port de signes religieux en particulier, une

adaptation non susceptible de compromettre la sécurité des élèves et l'atteinte des objectifs scolaires peut généralement être envisagée. Jusqu'à tout récemment, le port du kirpan avait cependant donné lieu à des jugements contradictoires83

• Dans 1 'arrêt Multani,

la Cour suprême a mis fin à la controverse, du moins sur le plan juridique84

• Selon la

Cour, les établissements d'enseignement chercheraient à atteindre un niveau de sécurité raisonnable, par opposition à un niveau de sécurité absolue85

• Une relation particulière se

développerait entre les élèves et le personnel, justifiant un traitement distinct de celui réservé aux individus momentanément présents dans un avion ou une salle d'audience,

8

°

CDPDJ, Le pluralisme religieux au Québec, supra note 9 à la p. 11 ; Otis et Brunelle, supra note 65 à la

p. 641 ; Bosset, «Le port du foulard islamique », supra note 65 aux pp. 795-796; Jean-François

Gaudreault-Desbiens, «Du crucifix au kirpan : quelques remarques sur l'exercice de la liberté de religion dans les établissements scolaires » dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec,

Développements récents en droit de l'éducation (2002), Cowansville, Yvon Blais, 2002, 89 à la p. 98.

81

McAndrew, «L'accommodement raisonnable: atout ou obstacle)), supra note 56 à la p. 132.

82

CRI, Laïcité et diversité religieuse, supra note 21 à la p. 57. Les élèves et le personnel scolaire doivent

cependant être autorisés à s'absenter de façon exceptionnelle pour célébrer une fête religieuse qui n'est pas intégrée au calendrier scolaire régulier, voir Bergevin, supra note 62 ; Islamic Schools Federation of Ontario c. Ottawa Board of Education, [1997] 145 D.L.R. (4e) 659 (Div. cit. Ont.).

83 Pandori c. Peel Board of Education, supra note 58 ; Multani CA, supra note 11. Dans l'affaire Pandori,

la Cour divisionnaire de l'Ontario avait confirmé qu'un élève sikh pouvait porter un kirpan à l'école à condition qu'il soit d'une taille raisonnable, qu'il soit dissimulé et fixé à ses vêtements. Dans Multani, la

Cour d'appel du Québec avait conclu que, même sous ces conditions, le port d'un kirpan représentait un risque trop élevé pour la sécurité des élèves et qu'il pouvait donc être interdit.

84 Multani CSC, supra note 11. 85 Ibid. aux para 45-47.

(25)

~·. lieux où le port du kirpan a déjà été interdit86• Bien que la prohibition d'armes et d'objets

dangereux ait un lien rationnel avec le maintien d'un environnement sécuritaire pour les élèves, la Cour suprême a reconnu que la décision de la commission scolaire d'interdire au plaignant de porter un kirpan, confiné dans un fourreau fixé à ses vêtements, ne se situait pas« à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables

»

87

Les écoles publiques peuvent cependant exercer un certain contrôle sur l'expression religieuse lorsqu'un groupe d'élèves appartenant à une confession particulière impose sa présence en portant atteinte aux droits et libertés des autres élèves et exerce des pressions de nature à rendre 1 'environnement peu propice à l'accomplissement du mandat de l'école88

• Deux principaux cas de figure peuvent être

envisagés. Il pourrait y avoir lieu de restreindre la liberté d'expression religieuse des élèves qui, individuellement ou collectivement, par le biais de pressions diverses, tenteraient d'imposer leurs croyances ou leurs pratiques aux élèves athées ou à ceux qui appartiennent à une autre confession religieuse. Il en serait de même d'un individu ou d'un groupe d'individus qui chercheraient à imposer certaines pratiques à ceux qui, tout en appartenant à la même confession religieuse que la leur, ne souhaitent pas exprimer leurs croyances de la même manière. Bien qu'au Québec aucun cas de cette nature n'ait été médiatisé, les pressions exercées sur les jeunes musulmanes par leurs coreligionnaires pour qu'elles revêtent le foulard est l'un des motifs qui, en France, a parfois justifié une intervention89

S'il n'est jamais apparu nécessaire d'interdire le foulard en contexte scolaire, certaines restrictions peuvent être imposées quant à la manière de le porter, notamment lors d'activités sportives ou de travaux de laboratoire90

• Au Québec comme en France, ce

86 Ibid. aux para 63-66; Nijjar c. Lignes aériennes Canada 3000 Ltée, [1999] C.H.R.D. No 3, No. T.D.

3/99 (avion); R. c. Hothi, [1986] 3 W.W.R. 671 (C.A. Man.) (salle d'audience).

87 Multani

esc,

ibid. au para 60

G.

Charron). Dans cette affaire, la Cour suprême a notamment tenu compte

du fait qu'aucun incident violent lié au port du kirpan dans les écoles canadiennes n'avait été rapporté et qu'il n'était pas contesté que le plaignant avait un comportement exemplaire.

88 CAR, Rites et symboles religieux

à l'école, supra note 55 à la p. 58.

89

CAR, La Place de la religion à l'école publique, supra note 55 à la p. 67.

90

Bosset, «Le port du foulard islamique», supra note 65 aux pp. 797-798. Notons toutefois que

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