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L ergonome comme agent de transfert des besoins de l utilisateur dans la chaîne utilisateur-fabricant : élaborer un langage commun

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des besoins de l’utilisateur

dans la chaîne utilisateur-fabricant : élaborer un langage commun

Angel Alberto TOYOS ALVAREZ

Doctorant en Ergonomie toyos_alvarez.angel_alberto@courrier.uqam.ca

Monique LORTIE

Professeure

Laboratoire de Recherche en Ergonomie, Département de Sciences Biologiques

Steve VEZEAU

Professeur Groupe 3D, École de Design

Université du Québec à Montréal, Case postale 8888, succursale Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3P8, Canada

lortie.monique@uqam.ca ; vezeau.steve@uqam.ca

À l’aide d’exemples issus d’une étude de cas sur les chariots élévateurs, cette communi- cation propose une réflexion sur le rôle que l’ergonome peut jouer dans le transfert et la systématisation des informations requises pour concevoir et choisir un produit. Articulé autour de la description des besoins des différents acteurs impliqués dans la chaîne de décision (utilisateur-décideur-répresentant-fabricant-concepteur), cette réflexion discute d’un point de vue épistémologi-que, la manière dont l’ergonome peut : 1) aider les divers acteurs à prendre conscience de leurs besoins pour leur permettre d’interagir efficace- ment les uns par rapport aux autres, 2) faciliter la circulation des informations de l’uti- lisateur au concepteur en passant par le décideur, le représentant et le fabricant et 3) outiller les divers interlocuteurs pour faciliter la prise de décision.

Introduction

Les règlements et les organismes de protection du consommateur tendent à responsabiliser davantage les fabricants en leur imposant de concevoir des produits qui, lorsqu’ils sont utilisés dans des conditions normales ou raison- nables prévisibles, incluant l'utilisation à long terme, ne représentent aucun risque ou un risque minimal pour l’utilisateur (GPSR, 1994). Généralement, lors de la conception d’un produit, le concepteur s’alimente de l’utilisateur s’il est en lien direct avec celui-ci ou il peut choisir d’être assisté par un ergonome. Ceci s’avère vrai pour les produits dont le cycle de vie est long ou pour ceux qui sont

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innovants. Toutefois, dans un marché où la concurrence est très féroce, une autre réalité s’impose. Les cycles de vie utile des produits sont de plus en plus courts et les fabricants produisent de plus en plus rapidement de nouveaux produits, sans avoir le temps de prendre en compte l’activité ou le contexte d’utilisation. C’est là où on attend de l’ergonome, selon leur rôle traditionnel, qu’il fournisse des données facilement intégrables ou tout simplement qu’il soit un traducteur rapide des données existantes.

La conception d’un produit implique la participation d’une grande diversité d’acteurs, susceptibles d’exprimer une multitude de points de vue différents : designer, ingénieurs, ergonomes, psychologues, sociologues, utilisateurs, etc.

On attend alors de l’ergonome qu’il interagisse surtout avec le designer et lui amène de l’information sur l’utilisateur et l’utilisation du produit. On pense souvent que ces informations doivent provenir des recherches appliquées dans le domaine de l’ergonomie ou des tests d’utilisabilité effectués par les concep- teurs pendant les étapes de conception du produit. Mais entre le fabricant et l’utilisateur, il y a d’autres acteurs directement impliqués, notamment les ache- teurs et les représentants, qui peuvent jouer un rôle important dans la produc- tion de connaissances sur l’utilisateur. Bien qu’ils soient en lien direct avec le terrain, là où le produit est utilisé, et qu’ils aient une certaine représentation des besoins des utilisateurs, ces intervenants ne sont que rarement consultés. Impli- qués dans le processus décisionnel, ils doivent arriver à un compromis en fonc- tion des caractéristiques du produit et de leurs propres contraintes comme le coût et la disponibilité. Il y a donc à l’intérieur de la chaîne « utilisateur - vendeur - décideur /acheteur- représentant – fabricant – concepteur », plusieurs acteurs susceptibles de fournir des informations pertinentes sur les utilisateurs.

Les informations parcourent la chaîne et une rupture à un des maillons empê- chera, au moins partiellement, la circulation des informations. Quelles sont cependant les modalités à mettre en place pour ramener ces informations vers les concepteurs ? Quel rôle peut jouer l’ergonome pour faciliter le transfert des connaissances entre les différents intervenants de cette chaîne ? Il n’existe que très peu d’information sur la manière dont l’ergonome peut intervenir dans une dynamique de chaîne pour aider à faire remonter ces données jusqu’au fabri- cant.

Le but de cette communication est donc d’initier une réflexion épistémologique sur le rôle de l’ergonome comme médiateur dans la systématisation et le trans- fert de l’information des utilisateurs tout au long de la chaîne jusqu’au concep- teur et ce, pour chacun des maillons que nous avons identifiés ainsi que leurs interactions et leur position dans la chaîne. Pour élaborer cette réflexion, nous nous servirons d’une étude de cas récemment réalisée : les chariots élévateurs (Vezeau & al., 2006).

Les chariots élévateurs : modernité versus adaptation ?

Les chariots élévateurs constituent un équipement industriel fortement utilisé dans les entreprises manufacturières, car ils aident à accroître l’efficacité de la manutention. Par exemple, en France, selon Dias (2001), le parc de véhicule

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contenait plus de 180 000 chariots (500 000 caristes). Selon une analyse de l’exis- tant que nous avons réalisé, une dizaine de fabricants (Toyota, Hyster, Clark, Nissan, Komatsu, Linde, Caterpillar, Still, etc.), dont plusieurs joueurs majeurs du secteur transport, proposent une grande variété de modèles et ont introduit au fil des ans, tout un ensemble de modifications pour en améliorer la perfor- mance, le confort et la sécurité : siège pivotant pour améliorer la visibilité, joys- tick pour affiner la précision des manoeuvres, mât à large visibilité, système anti-vibratoire, siège ajustable, dispositif de retenu en cas de renversement, etc.

Malgré ces améliorations, les accidents et les problèmes de santé liés à l’utilisa- tion du chariot persistent. En France, selon Wioland & al. (2006), la CNAMTS1 dénombre annuellement, sur la période 1992-2002, près de 8300 accidents avec arrêt de travail dont 580 avec une incapacité permanente et une dizaine de décès. La moitié de ces décès est consécutive au renversement latéral de l’engin et, généralement le cariste, éjecté de son siège, est écrasé par la structure de protection du chariot (base EPICEA2de l’INRS). Aux Etats-Unis en 1983 et 1985, selon une étude de Stout-Wiegand (1987) effectuée à partir des données du National Electronic Injury Surveillance System (NEISS) sur les lésions traitées dans les salles d’urgence, les accidents de chariot ont occasionné respectivement plus de 24 000 et 34 000 lésions. Hakkinen (1978), en Finlande, estime le nombre d’accidents à 1 500 par année. En ce qui concerne les TMS, au Québec, des 4 142 dossiers d’accidents indemnisés, 15% sont associés à des lésions au niveau du dos et 4% font référence à des TMS aux jambes et aux bras ou à des maladies inflammatoires associées au TMS (Tellier, 2001). Plusieurs facteurs ont été décrit à l’origine de ces TMS, notamment l’emplacement et la force d’activation des commandes et des pédales (Miyashita et al., 1992, Ellson, 2002), ainsi que les mouvements répétitifs et extrêmes et le niveau des vibrations (Stevens et al., 1966), etc. À l’instar de ces statistiques d’accidents, plusieurs auteurs ont démontré malgré les améliorations suivies pour diminuer les contraintes liées à l’utilisation du véhicule, qu’il existait encore des écarts importants dans l’inté- gration de l’information sur l’activité et l’utilisateur dans le produit (Hella et al., 1992 ; Malchaire et al., 1996 ; Larsson et al., 2003).

Dans le cas des chariots élévateurs, l’intégration des connaissances sur l’activité et l’utilisateur se révèle indispensable parce que c’est un produit ayant un long cycle de vie. Une fois choisi, les entreprises le gardent longtemps. Il faut que le produit puisse être utilisé de la façon la plus efficace et sécuritaire possible. C’est pour cela, qu’il est souhaitable de réfléchir à une autre voie d’intégration systé- matique de ces informations. Plusieurs éléments de solution semble se présen- ter sur les différents maillons de la chaîne « utilisateur - vendeur - décideur /acheteur - représentant – fabricant – concepteur » et sur les interactions entre les interlocuteurs de chacun de ces maillons.

1. CNAMTS : Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (France)

2. EPICEA : Étude de Prévention par Informatique des Comptes-rendus d’Enquêtes d’Accidents du travail

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Les interactions nécessaires entre les éléments de la chaîne.

L’utilisateur premier de cet équipement pour lequel l’ergonome doit s’intéresser est évidemment le cariste et l’activité qu’il déploie. L’autre catégorie d’interve- nants importants à considérer est le contremaître, l’acheteur, le décideur qui participent activement au processus décisionnel dans la sélection d’un chariot élévateur. Ils ont souvent le dernier mot sur l’équipement qui sera acheté.

L’autre catégorie d’intervenants dans la chaîne à laquelle l’ergonome doit penser est le fournisseur ou le représentant qui, avec les années, ont développé un certain art de conseiller les décideurs. Finalement, on retrouve le concepteur et le fabricant. Ici, il faut faire une distinction entre deux acteurs. Selon notre façon de voir les choses, le concepteur est celui qui intègre les différentes demandes (ergonomiques, techniques, fabrication, intégration de pièces, etc), celui qui crée le produit, alors que le fabricant est celui qui fabrique et positionne le produit dans le marché. C’est le fabricant qui a le dernier mot et qui oriente les choix finaux.

Le cariste et l’activité

Le premier intervenant qui peut apporter de l’information pertinente pour opti- miser la conception des chariots élévateurs est évidemment le cariste. Il peut intervenir au niveau des choix, en autant qu’il soit capable d’exprimer ses besoins de façon intégrable par le décideur, le concepteur ou le fabricant. Grâce à l’analyse de l’activité, l’ergonome dispose des outils nécessaires pour l’aider à le faire. La compréhension de l’activité permet de mettre en perspective les diffé- rents choix de conception.

Par exemple, l’analyse de l’activité réalisée par Vezeau al. (2006), a montré que le travail des caristes ne consistait pas seulement à déplacer des charges en conduisant un véhicule, mais aussi à gérer un ensemble de contraintes pour arri- ver à le faire avec efficacité. Manutentionner une charge avec efficacité dans un système de production est une tâche exigeante qui nécessite des savoir-faire qui permettent de gérer simultanément de nombreux paramètres liés à la charge, aux espaces de travail, aux objectifs de production, aux contraintes temporelles et organisationnelles et à la conduite d’un véhicule. Le cariste est « un agent de gestion de la marchandise » plutôt qu’un simple conducteur de véhicule indus- triel. Le chariot vient donc en support à cette activité et sa conception doit être optimale. Actuellement, ce n’est pas le cas. Par exemple, alors que la prise d’in- formation visuelle (PIV) est une composante importante de l’activité, car elle permet au cariste de rechercher la marchandise, de gérer la stabilité de la charge, d’effectuer des manoeuvres de grande précision pour positionner la charge dans les palettiers, de prendre de l’information sur l’ensemble de la situation de travail et d’anticiper leur déplacement, on constate que le champ de vision est grandement obstrué par les éléments du mât du chariot, occasionnant par le fait même des postures contraignantes, notamment de nombreuses flexions latérales prononcées au niveau du tronc lors des opérations de prise et de dépôt.

De plus, malgré l’évolution de la conception des chariots, on constate que les caristes sont toujours exposés aux contraintes d’exposition permanente au bruit,

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aux vibrations, à la position assise dans un espace réduit, avec des postures inconfortables (Danière et al, 1992). Les observations montrent également que certains caristes se voient limités dans l’utilisation de certains modèles de chariots vue leur taille et leur poids, car ils sont trop grands et la tête touche le toit de la cabine ou ils sont trop légers pour activer le système mise en marche que se trouve sous le siège. De plus, les contraintes dimensionnelles empêchent souvent de mettre un siège à suspension pour atténuer les vibrations. L’ergo- nome peut aider à mettre en évidence ces éléments.

Le cariste peut certes intervenir au niveau de la définition de ses besoins, mais il peut aussi intervenir sur le plan de l’évaluation du produit. L’ergonome peut aider à déterminer les critères et méthodes de telles évaluations. Ces évaluations peuvent prendre plusieurs formes : d’une participation directe lors du choix, à une participation dans des groupes de discussion. Compte tenu de nos expé- riences du terrain, force est de constater que le cariste est rarement impliqué dans le processus décisionnel. Jusqu’à présent, les ergonomes n’ont pas beau- coup oeuvré à faire émerger leurs besoins et leurs compétences. Le point de vue des caristes est important pour obtenir des informations pertinentes sur des éléments clefs du chariot tels que l’emplacement, la course et la force d’activa- tion des commandes qui ont un impact direct sur des éléments de l’activité comme la précision dans le prise et le dépôt et la gestion de la stabilité de la marchandise.

Le décideur/acheteur et la dure tâche de choisir

Le décideur ou l’acheteur est un acteur important dans le choix d’un équipe- ment, car il a souvent le dernier mot sur le choix final. Toutefois, la tâche n‘est pas facile et les critères de sélection ne sont pas toujours en adéquation avec l’ac- tivité. Présentement, un acheteur qui veut acquérir un chariot 3 à 5 T a à choi- sir entre une quarantaine de modèles des plusieurs fabricants (Toyota, Clark, Komatsu, Nissan, Caterpillar, Hyster, etc), avec des variantes d’une vingtaine de composantes. Il doit établir le lien entre une vaste gamme de caractéristiques, ses besoins, du point de vue de l’entreprise (en termes de budget, objectifs de production ou de livraison, etc) et ceux du cariste. En plus de bien cibler s’il s’agit d’un achat ou d’une location, pour y arriver, le décideur doit avoir une bonne compréhension de l’activité du cariste, de leurs besoins et établir des critères pour arriver à un choix valable en termes de compromis. Nos expé- riences sur le terrain montrent que peu d’acheteurs consultent les caristes et que les critères économiques ont une prévalence par rapport aux critères de l’acti- vité. Les décideurs dans leur compromis d’achat cherchent plutôt une solution passe partout, c’est-à-dire un chariot qui puisse être utilisé dans toutes les situa- tions. Par exemple, certains éléments comme les systèmes antivibratoires sous le siège, les portes latérales, les sièges mieux rembourrés, les indicateurs de vitesse, les miroirs, le contrôle de stabilité du mât, etc., semblent importants pour améliorer le confort ou la sécurité du cariste, mais font souvent l’objet de compromis, car ils se traduisent en ajouts et des coûts supplémentaires. Peu informé sur l’activité, le décideur se voit obligé parfois de trancher selon les caractéristiques de base pour obtenir le meilleur coût.

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Comment l’ergonome peut-il aider à la prise de décision ou à la sélection d’un chariot ? En plus d’aider le décideur à se construire une représentation plus fidèle à l’activité des caristes, l’ergonome doit être capable, dans ce cas, de comprendre aussi l’activité du décideur/acheteur, ses besoins et ses contraintes pour pouvoir l’aider. Il faut dire que les ergonomes n’ont pas été trop présents sur ce plan. Dans cette partie de la chaîne, ils ont contribué à l’activité du déci- deur en fournissant des recommandations sur les caractéristiques des outils ou en participant à la rédaction du cahiers des charges. Toutefois, les entrevues avec les décideurs montrent que les ajouts faits par les ergonomes sont souvent perçus comme des « extra » et se traduisent souvent par de coûts supplémen- taires. L’ergonome doit développer des outils ou des argumentaires qui aident le décideur à préserver sont pouvoir d’achat.

Un autre aspect intéressant est la relation établie avec les fournisseurs ou les représentants des chariots. Le décideur connaît généralement leur représentant et les échanges d’informations se font de manière informelle. Ces échanges varient d’une fois à l’autre, ainsi que la nature de l’information échangée. L’er- gonome peut aider le décideur en standardisant le mécanisme d’achat, en lui donnant des critères valables pour soutenir les négociations avec les représen- tants. Les catalogues sont un des éléments d’échange d’information entre les décideurs et les représentants sur lesquels l’ergonome doit se pencher. L’infor- mation présentée dans les catalogues varie d’un fabricant à l’autre, occasionnant des difficultés pour comparer les modèles entre-eux et entre les fabricants. L’er- gonome pourrait bien déterminer quelle est l’information importante à présen- ter et ainsi harmoniser le contenue des catalogues pour faciliter aussi la comparaison entre l’offre du marché.

Le fournisseur ou représentant et l’art de conseiller

Le fournisseur ou représentant est un acteur privilégié, mais souvent oublié, pour transférer de l’information tant aux décideurs qu’aux fabricants. Le four- nisseur a besoin de comprendre les besoins de l’acheteur pour interagir effica- cement avec lui. Selon nos entrevues effectuées sur le terrain, on constate que les représentants ont peu d’outils pour interroger et conseiller un décideur. Ils y vont de la représentation qu’ils se font de l’activité des caristes selon les expli- cations fournies. L’ergonome pourrait intervenir et aider à élaborer des ques- tionnaires judicieux pour établir des caractéristiques clés comme la taille des allées avec les stocks temporaires, la nature de la variabilité des charges, des éléments de l’organisation du travail, le type de parc actuel, le présence d’un service de maintenance interne, etc. Ces questionnaires permettraient aux repré- sentants de construire une représentation plus juste de l’activité du cariste et de prendre conscience des enjeux du décideur et ainsi, faire des propositions qui plus centrées sur la sécurité, la performance, le confort, etc.

Le représentant est aussi une courroie de transmission importante vers le fabri- cant. Actuellement, il fonctionne plutôt en mode de distributeur de services de ces fabricants, mais il pourrait être un acteur privilégié pour guider les concep- teurs en recensant des informations sur les caractéristiques et besoins des utili- sateurs. Un autre aspect important constaté est le matériel fournit par le

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fabricant au représentant pour appuyer leur intervention. Il ne semble pas toujours répondre à ses besoins. Les ergonomes pourraient s’intéresser davan- tage à l’activité des fournisseurs en tant que maillon important dans la circula- tion des informations. Ils pourraient aider les représentants à créer des grilles d’évaluation des besoins des clients pour déterminer quel type d’intervention utiliser et quel type de produit conseiller. Par exemple, dans le cas d’une entre- prise qui manipule des charges variables de grand volume et où les allées sont étroites, ils pourraient conseiller des chariots avec un siège pivotant ou encore, quand le travail se fait une grande partie à l’extérieur, fournir un chariot avec une cabine fermée avec une visibilité acceptable ; les observations montrent que les caristes ajoutent des panneaux de protection qui obstruent davantage la visi- bilité.

Le concepteur et l’intégration des données.

Dans la chaîne d’intervenants, le concepteur est celui qui a le plus de chance de générer des améliorations sur le produit Il doit intégrer l’ensemble des demandes et tenir compte des données scientifiques produites dans ce domaine.

Pour prendre en compte le point de vue anthropocentré, il doit intégrer dans sa démarche des utilisateurs, se référer à des données théoriques sur l’humain en activité ou faire appel aux services de l’ergonome. On sait que les données produites en « human factors » ne sont pas toujours suffisantes ou transférables et que les concepteurs en font un modeste usage. Ceci est dû au formatage des informations ou parfois, parce que les données des manuels ergonomiques sont insatisfaisants et complexes pour la recherche de l’information. De plus, le contenu des données présentées est souvent trop généralement détaché de la réalité. Les concepteurs contournent ces difficultés par des séries de tests essais- erreurs ou en multipliant les prototypes. À cet égard, la production continue de nouvelles données n’apparaît peut-être pas être la voie la plus prometteuse. Le nouveau rôle que pourrait prendre l’ergonome serait plutôt d’apprendre à accompagner le concepteur dans sa démarche en tant que co-concepteur (Sagot et al., 1998).

Le fabricant et l’évolution du chariot

Le fabricant est l’acteur qui a la part de responsabilité la plus importante pour défendre le point de vue de l’utilisateur et il est celui qui a le dernier mot sur la conception. Dans ces choix, le fabricant cherche à se positionner de façon avan- tageuse sur le marché et à maintenir sa clientèle. Il doit proposer des produits

« d’avant-garde », introduire de nouvelles technologies et harmoniser son savoir-faire technique avec les besoins des utilisateurs. De façon générale, les fabricants attirent l’attention sur leurs exclusivités, c’est-à-dire les éléments du produit qui leur sont propres et qui ne se retrouvent pas chez la concurrence.

Ces spécificités sont considérées comme des atouts pour lesquelles on retrouve souvent une description des avantages liés à l’utilisation. Même si ces avantages sont bien décrits, de manière générale, l’information présentée par les différents fabricants n’est pas standardisée, ni du point de vue du contenu ni de la forme.

Selon les entrevues réalisées, les gestionnaires sont confrontés à d’importantes

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différences lors de la sélection d’un chariot et s’interrogent sur la pertinence et la nécessité de ces éléments selon l’activité déployée. En fait, on constate qu’il y a eu un accroissement considérable du nombre de modèle et il est difficile de déterminer celui qui s’adaptera le mieux à l’activité des caristes. Compte tenu que le fabricant est loin de l’utilisateur et que l’information transite à travers de multiples intermédiaires (représentants, spécialistes de mise en marché, concep- teurs, chercheurs, organisations professionnelles, organismes de normalisation, etc.), le fabricant ne reçoit pratiquement pas d’information sur les besoins de l’utilisateur. Dans le secteur automobile par exemple, les fabricants ont mis en place des enquêtes-clients récurrentes qui permettent d’obtenir « régulièrement

» des informations de l’utilisateur plusieurs années après l’achat. Quels sont les mécanismes possibles pour recevoir ce type d’information ? Avec ses outils méthodologiques, l’ergonome est le mieux placé pour analyser l’activité des fabricants et trouver une façon de s’assurer que l’information concernant les besoins de l’utilisateur, qu’elle provienne de l’utilisateur ou des représentants, puisse être incorporée de façon systématique dans la conception sans attendre de lancer un nouveau produit sur le marché. Dans d’autres secteurs comme les outils manuels, on remarque que les fabricants se servent directement des améliorations et des commentaires issues des utilisateurs pour enrichir l’argu- mentaire marketing, ce qui leur permet de positionner avantageusement leur produit sur le marché. L’ergonome doit aider le fabricant à construire cet argu- mentaire. Dans le cas de chariots, par exemple, l’utilisation d’un limiteur de vitesse qui n’affecte pas la performance du moteur, mais qui permettrait de préserver la puissance pour les appareils de levage, serait un élément qui pour- rait attirer fortement l’attention des décideurs ou des acheteurs, puisque les comités de SST sont confronté à ces questions. En trouvant une façon de faire remonter cette information jusqu’au fabricant, il serait un argument de poids lors d’une nouvelle acquisition.

L’autre endroit où l’ergonome peut aider le fabricant et l’ensemble de la chaîne est dans l’élaboration des outils de transfert comme les catalogues qui relève de la responsabilité du fabricant. L’analyse de l’activité des différents intervenants permettrait de réfléchir à la mise en place de nouveaux outils mieux adaptés pour faire un choix éclairé comme un site web muni d’un comparateur de modèles et de caractéristiques.

Le rôle de l’ergonome comme un agent de transfert

Toutes ces évidences nous amènent à penser que la production des connais- sances sur l’usager ne doit pas être seulement prévue lors de la conception, mais tout au long de la chaîne utilisateur-fabricant. Normalement pendant le proces- sus de création du produit, le concepteur s’alimente de l’utilisateur quand il est en lien direct, mais l’ergonome peut aussi aider à créer des interfaces laconiques bien adaptés qui facilitent le transfert des connaissances sur l’utilisateur et à l’in- térieur desquelles chaque élément de la chaîne arrive à se retrouver facilement.

Notre réflexion montre qu’en plus des tests d’utilisabilité qui s’avèrent parfois coûteux pour les fabricants, il y aurait une autre manière de faire remonter l’in-

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formation sur les besoins des utilisateurs vers les concepteurs de façon plus systématique. Cette voie de transmission de l’information touche la chaîne formée par les caristes, les décideurs, les représentants, les fabricants et les concepteurs. Le rôle de l’ergonome dans ce processus de transfert est donc d’amener les différents acteurs impliqués dans le processus à parler un langage commun qui traduise adéquatement les objectifs et les besoins. Compétent pour analyser l’activité, l’ergonome dispose des méthodes et outils pour comprendre les contraintes qui compliquent l’échange d’information entre les différents intervenants. L’ergonome doit arriver à harmoniser la chaîne d’information et les diverses représentations. Il peut donc utiliser les savoirs spécifiques à sa discipline pour mieux interagir et comprendre les différents acteurs impliqués dans le processus de conception. En tant qu’interprète, il peut aider à identifier et à décoder les besoins des différents acteurs. Il peut aider à structurer les données pour qu’elles soient compréhensibles par l’interlocuteur qui suit dans la chaîne. Le développement d’un support adéquat aux échanges d’informations est donc une étape importante qui devrait plus retenir l’attention des ergo- nomes. Il est appelé à créer une dynamique, un lien pour que l’information se rende facilement et sans interruptions chez le fabricant. Toutes ces évidences nous amènent à réfléchir sur deux points.

Tout d’abord, si l’information présentée par les fabricants dans les catalogues ne permet pas aux décideurs de choisir, il se peut que les fabricants et les concep- teurs aient une représentation différente de l’activité du cariste. Ceci peut les amener à montrer dans les catalogues des éléments du chariot qui n’ont pas une relation directe ou qui ne sont pas des éléments clef pour l’activité.

L’autre point de réflexion est plutôt centré sur la manière d’acheminer cette information clef sur l’activité du cariste jusqu’aux fabricants et aux concepteurs.

On pourrait aller un peu plus loin, en disant que les données ergonomiques concernant l’utilisation du produit pourraient être produites par les caristes eux- mêmes et elles pourraient être intégrées aux critères actuels de sélection utilisés par les décideurs.

Cette dynamique du transfert a une double dimension, c’est-à-dire qu’elle peut aider à ce que cette information produite par les utilisateurs devienne soit des critères de conception pour le designer, soit des critères de sélection pour le déci- deur. Pour aider à remonter l’information vers les fabricants, l’ergonome peut consolider la chaîne et accroître la fluidité de la circulation des informations sur cette chaîne et ce, d’un maillon à l’autre. L’ergonome cherchera à systématiser l’information qui transite dans la chaîne pour l’amener aux différents acteurs.

Ces acteurs sont interdépendants. Ainsi, au sein de cette interdépendance, l’er- gonome pourrait jouer un triple rôle : 1) Aider les divers acteurs à prendre conscience de leurs besoins pour le permettre d’interagir efficacement les uns par rapport aux autres, 2) faciliter la circulation des informations de l’utilisateur au concepteur en passant par le décideur, le représentant et le fabricant, et 3) outiller les divers interlocuteurs pour faciliter la prise de décision.

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