MODE D’ACTION DE L’ISORIBOFLAVINE SUR L’UTILISATION DE LA VITAMINE B2
PAR LA POULE PONDEUSE
J.-C.
BLUMStation de Recherches avicoles,
Centre national de Recherches
zootechniques,
78 -Jauy-en-Josas
Institut national de la Recherche
agronomique
Centre de Recherches sur la Nutrition, C’entre national de la Recherche
scientifique,
92 - BellevueSOMMAIRE
En se substituant à la riboflavine
qui
esttransportée
dans le sang sous forme d’uneflavopro- téine,
l’isoriboflavine rend unepartie
de la vitamine B, inutilisable pour le transfert à l’oeuf. L’effetcompétitif
de l’antivitamine ne s’exercerait pas au niveauenzymatique,
mais exclusivement au niveau de la forme de transportplasmatique.
INTRODUCTION
L’isoriboflavine 5 ,6 diméthyl-g (i’ D-ribityl) isoalloxazine est
un antagoniste
de la riboflavine chez
le
rat en croissance EMERSONetT ISI ILE R , (z 94 q). Dans le cadre
d’une étude portant
sur les mécanismes responsables
du transfert de la
riboflavine
à l’oeuf,
nous avons voulu savoir si l’isoriboflavine
a également
un effet nocif chez
la poule pondeuse
et en particulier,
dans quelle
mesure elle s’oppose
à l’incorporation
de la vitamine à l’oeuf.
Nous avons
comparé
les effets de l’isoriboflavine à ceuxprécédemment
étudiésd’une carence
vitaminique Br,uM, ( 19 6 2 ). Habituellement, les antivitamines sont
utilisées pour
intensifier l’action d’un régime
déficient. Nous avons abordé le pro-
blème d’une
manière différente
voulant savoir si en régime normal,
l’isoriboflavine
pouvait gêner préférentiellement l’incorporation
de la vitamine dans l’oeuf ou dansles
tissus de lapoule.
MATÉRIEL
ETMETHODES
a)
Animaux etrégimes
’
Nous avons utilisé comme matériel
expérimental
despoules
Rhode XWyandotte
choisies au coursde leur
première
année de ponte. Eau de boisson et aliments sont distribués ad libitum. Lerégime
utilisé à base de céréales, tourteaux divers et farine de
poisson
estcomplet
etéquilibré.
Toutefoisl’apport
de riboflavine( 3 mg/kg)
estmarginal ;
il permetcependant
d’assurer une bonne ponte etune teneur convenable de l’oeuf en vitamine B,,.
Au cours d’une
prépériode
de i mois(r 5 mai-rg juin),
on récolte les oeufs de 18poules
et on doseleur contenu en riboflavine
(vitellus
et albumenséparés).
Puis les animaux sontrépartis
en 3 lotsde telle sorte que le
poids
des oeufs et l’intensité de ponte soient sensiblementidentiques
dans tousles lots.
- Le lot témoin continue à recevoir le
régime
de base ; ilcomprend
8poules.
- Le lot 1.200
reçoit
le mêmerégime
de base additionné de 200mg d’isoriboflavine parkg ;
ilne
comprend
que 4animaux.- Le lot
L 5 oo reçoit
lerégime
de base additionné de 500 mg d’isoriboflavine parkg ;
ilcomprend
6 animaux.
L’expérience
proprement dite débute le r5juin.
On sacrifie : le r7juin (après
48 heuresd’expé- rience)
deux animaux du lot témoin et deux animaux du lot1. 500 ,
le 1erjuillet (i 5 jours d’expérience)
deux animaux de
chaque lot,
le 8juillet ( 3
semainesd’expérience)
deux animaux dechaque
lot, leia
juillet
les deux témoins restants.La riboflavine est dosée dans tous les oeufs
pondus.
De ce fait, ondispose
pourchaque
animald’un
grand
nombre de résultats(cf.
indice de ponte : tabl.i)
montrant l’évolution du contenu vita-minique
de l’oeuf en coursd’expérience.
b)
Méthode dedosage
Nous avons dosé la vitamine B2par voie
microbiologique
selon la méthode de SNELLet STRONG( I939
) qui
utilise Lactobacillus casei. FORSTER(r 9 ç. 4 )
a montré que l’isoriboflavine n’entrait pas encompétition
avec la vitamine B2pour inhiber ledéveloppement
de Lactobacillus casei.Cependant,
selon cet auteur, l’isoriboflavine aurait une faible activité
vitaminique qu’il qualifie
denégligeable :
inférieure à o,5 p. ioo de celle de la riboflavine.
Nous avons testé l’effet de l’isoriboflavine sur la croissance de Lactobacillus casei.
Quelle
que soit la dose introduite(entre
o et 50 lig par ml demilieu)
cette substance s’est révéléedépourvue
de toute activité
vitaminique.
La croissance dumicro-organisme
nedépend
quede la quantité
de ribo-flavine
introduite ;
elle n’est nigênée
ni exaltée par l’isoriboflavine.En
bref,
l’isoriboflavine n’est pour Lactobacillus casei ni une vitamine, ni uneantivitamine ;
ce
qui
assure la validité desdosages
enprésence
de cetantagoniste. Quant
à lasignification
biolo-gique
de cette indifférence dulactobacille,
nousl’envisagerons
ultérieurement en discutant de l’effet de l’isoriboflavine chez lapoule pondeuse.
RESULTATS
a)
Intensité deponte
L’indice
deponte (nombre d’oeufs pondus
en un jour
par cent poules)
et son
évolution en cours
d’expérience
sontindiqués
dans le tableau i. Lespériodes
ontété délimitées par les dates de mise en
expérience
et de sacrifices.L’intensité
deponte
est élevée dans tous leslots ;
elle n’est pas diminuée par l’administration d’isoriboflavine.b) Analyse
du vitellus et de l’albumen desceufs pondus
L’évolution
de la teneur moyenne en riboflavine( fl g
par gfrais)
de chacun desconstituants de l’oeuf est
indiquée
dans le tableau 2.L’influence
du facteur individuel se faitparticulièrement
sentir dans les dernièrespériodes
en raison du nombre faible des animaux restantaprès
sacrifice. Pour l’éli- miner on utilise un artifice de calcul : les valeurs de laprépériode
sont affectées pourchaque poule du coefficient 100. La teneur du vitellus et de l’albumen des oeufs
suivants s’exprime
alors en pourcentage
de la prépériode.
C’est la moyenne de ces
pourcentages qui figure
dans le tableau 3.
De ces deux
tableaux,
il ressortqu’en
find’expérience :
-
l’adjonction
de 200 mg d’isoriboflavine parkg
derégime
aprovoqué
unediminution sensible de la teneur
vitaminique
du vitellus( 20
à 30 p.ioo),
tandis que celle de l’albumen est peu modifiée(baisse
d’environ 10 p.100 ) ;
-
l’adjonction
de 500 mg d’isoribollavine a diminué d’environ 50 p. 100 la concentrationvitaminique
dujaune d’oeuf,
tandis que le blanc s’est moinsappauvri
(―
37 p.1 00 ) ;
-
dans
le lot1. 500 ,
le contenu en vitamine du vitellus diminueprogressivement
et n’atteint une valeur minimum
qu’après
une dizaine dejours ;
l’albumen conservesa richesse initiale
pendant 4 8
heuresenviron,
sa teneur diminue alors brutalementjusqu’à
une valeurqui
reste la mêmejusqu’à
la fin del’expérience.
c) Analyse
dufoie
Dans le tableau 4, nous
indiquons
la teneur en riboflavine en yg par gramme frais etégalement
en yg par gramme d’azote(dosée
parmacrokjeldahl).
A titre d’indi-cation,
nous mentionnons aussi lepoids
du foie. Pour le lottémoin,
nous avons faitfigurer
ces valeurs sous forme de moyennes enindiquant l’écart-type
pour donnerune idée de la
variabilité ;
pour les autres lots afin de rechercher l’influence éven- tuelle de la durée d’administration durégime,
nous donnons les résultats individuels.La teneur en riboflavine diffère d’un individu à
l’autre ;
elleparaît cependant
moins variable
lorsque
l’azote est utilisé commeparamètre
de référence. En ce cas, toutes les valeurs obtenues dans les lots L2oo et1. 500
sont inférieures à la moyenne des témoins. La différence restecependant
faible et, du fait de la variabilité et du nombre peu élevéd’animaux,
cette différence n’est passignificative.
DISCUSSION
Les résultats obtenus tendent à montrer
qu’il n’y
a pascompétition
entre lavitamine
B 2
et l’isoriboflavine au niveau du foie de lapoule.
Ce caractère est à rap-procher
de l’indifférence de Lactobacillus casei àl’égard
de l’antivitamineB 2 (Cf. Matériel et méthodes).
On est en droit de penser que l’isoriboflavine n’entre pas en
compétition
avec la vitamineB 2
pour constituer lesflavoprotéines-enzymes qui
sontindispensables
pour le lactobacille etqui
constituent lamajeure partie
de la ribo-flavine
hépatique.
Cettehypothèse
trouve confirmation dans les résultats obtenus par divers auteursqui
montrent que nil’isoriboflavine,
ni une autre antivitamineB 2 ,
lagalactoflavine,
nepeuvent
servir de substrats artificiels pour lasynthèse
de nucléo- tidesflavin.iques (McCoxnmcx, ig6i ;
MCCORMICK etB UTLER , 19 6 2 ;
PROSKY etal., x
9 64).
Au cours de travaux antérieurs
(Bi,u!
etJ ACQUOT -A RMAND , 10 65 ;
BLUM,ig66),
nous avons vu chez la
poule pondeuse
que la riboflavine esttransportée
par le sang et introduite dans l’oeuf sous forme deflavoprotéines.
La vitamineB 2
de ces flavo-protéines
n’est pas sous forme de nucléotides et in vitro elle estdéplacée partielle-
ment par l’isoriboflavine. Cette substitution
ayant
lieu à latempérature
de+ 4 °
semblen’exiger
aucune réactionenzymatique.
Onpeut
supposer que l’isoriboflavinea le même effet in vivo. Ainsi
s’explique
son action sur le transfert de la vitamine à l’oeuf. Endéplaçant
la riboflavine de sonsupport plasmatique,
l’isoriboflavine induit l’excrétion de la vitamine et la rend inutilisable pour le transfert à l’oeuf. Cette influ-ence s’exerce dès le
jour
où l’isoriboflavine estajoutée
aurégime
et son intensitédépend
desproportions
relatives de riboflavine et d’antivitamine. S’il faut un cer-tain
temps
de latence pourqu’elle
se manifestepleinement
auniveau
de chacun des constituants del’oeuf,
c’est parce que ledépôt
de la vitamines’y
effectue progres- sivement suivant unecinétique
que nous avonsanalysée
par ailleursB LUM , (tg65).
CONCLUSION
Chez la
poule pondeuse,
il y acompétition
entre la vitamineB 2
et l’isoribofla- vine pour la forme detransport plasmatique,
en revanche cettecompétition
n’existepas au niveau
enzymatique.
L’action de l’antivitamine n’estmarquée
quelorsque
le rôle de
l’apport plasmatique
estessentiel ;
cequi
est le cas pour la formation duvitellus,
et à un moindretitre,
de l’albumen.On
dissocie ainsi deux modes d’inter- vention de la vitamineB 2
dans lavitellogenèse,
d’unepart
en tant que constituant de l’oeuf et d’autrepart
commebiocatalyseur
essentiel dans le métabolisme inter- médiaire.Lorsque
lerégime apporte
suffisamment de vitamineB 2 , l’isoriboflavine
negêne
ni laponte,
ni aucune fonctionphysiologique ;
mais enappauvrissant
l’oeufen
riboflavine,
ellecompromet
à coup sûr ledéveloppement embryonnaire.
Ainsiune substance
d’origine
alimentaire pourrajouer
le rôle d’antivitamine exclusive- ment pourl’embryon
et non pourl’organisme
maternel.Reçu
pourpublication
en novembre19 67.
SUMMARY
MODE OF ACTION OF ISORIBOFLAVINE ON THE UTILIZATION OF VITAMIN B2 BY LAYING HENS
A
large
amount of isoriboflavine(lot
I500= !oo mg perkg feed)
wasgiven
tolaying
hens ina
complete
balanced dietcontaining
3 mg vitamin B2perkg.
There was a reduction in nboflavinecontent of the egg ; the content of the vitamin diminished in
yolk by
a half and in whiteby
a third.There was no effect on reserves of riboflavine in liver.
In a
previous study (B LUM , x 9 66)
we showed the presence in blood of aflavoprotein
whichassured the transport of riboflavine and its
incorporation
into the egg. The ribofla.vine of this flavo-protein
can bereplaced
in vitroby
isoriboflavine. It is doubtlesse the same in vivo and part of the vitamin B. then becomes unusable for transfer to the egg. The constancy of the reserves in liver confirms other work, andpermits
thesupposition
that isoriboflavine does not compete with ribo- flavine in the formation of enzymeflavoproteins
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