Une pensée à temps et à contre-temps: Dietrich Bonhoeffer

(1)

Article

Reference

Une pensée à temps et à contre-temps: Dietrich Bonhoeffer

MULLER, Denis

Abstract

Dans cette introduction aux actes du colloque Bonhoeffer de l'ATEM (2006 au Louverain), l'a.

rappelle la complexité de l'interprétation de l'éthique de Bonhoeffer, notamment si l'on considère les différentes étapes de sa pensée (Nachfolge, Ethique, Résistance et soumission). Il en appelle à une réception généalogique et critique

MULLER, Denis. Une pensée à temps et à contre-temps: Dietrich Bonhoeffer. Revue d'éthique et de théologie morale , 2007, vol. 246, p. 11-15

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:26408

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

UNE PENSÉE À TEMPS ET À CONTRE-TEMPS : DIETRICH BONHOEFFER

Denis Müller

Editions du Cerf | Revue d'éthique et de théologie morale

2007/HS - n°246 pages 11 à 15

ISSN 1266-0078

Article disponible en ligne à l'adresse:

---

http://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2007-HS-page-11.htm

---

Pour citer cet article :

---

Müller Denis, « Une pensée à temps et à contre-temps : Dietrich Bonhoeffer »,

Revue d'éthique et de théologie morale, 2007/HS n°246, p. 11-15. DOI : 10.3917/retm.246.0011

---

Distribution électronique Cairn.info pour Editions du Cerf.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.62.51.228 - 18/02/2013 11h45. © Editions du Cerf

(3)

11 U N E P E N S É E À T E M P S E T À C O N T R E - T E M P S . . .

R E V U E D ’ É T H I Q U E E T D E T H É O L O G I E M O R A L E�N�2 4 6�S E P T E M B R E 2 0 0 7�P . 1 1 - 1 5

D e n i s M ü l l e r

U N E P E N S É E À T E M P S E T À C O N T R E - T E M P S : D I E T R I C H B O N H O E F F E R

Vue sous l’angle des anniversaires, l’année 2006 a été une année Lévinas et Arendt (tous deux nés en 1906), mais aussi une année Bonhoeffer. Le 100� anniversaire de la naissance de Dietrich Bonhoeffer, à Breslau (aujourd’hui Wroclaw, en Po- logne) le 4 février 1906, a donné lieu à de nombreux collo- ques et congrès, dont celui tenu précisément à Wroclaw, du 6 au 8 février 2006, sous l’égide de la Société internationale Bonhoeffer présidée par Christian Gremmels. Ce fut l’occasion de se remémorer et de reconstruire la vie, l’œuvre et l’impact toujours actuel de Bonhoeffer, dans de nombreux domaines de la pensée théologique : systématique, éthique, ecclésiologie, théologie pratique notamment. Des chantiers éditoriaux impor- tants sont en cours, à la suite de l’imposante édition critique allemande, le dernier en date étant celui d’une nouvelle édition (sélective, celle-ci) en français, chez Labor et Fides, de huit volumes à venir, sous la conduite de Henry Mottu, édition magnifiquement inaugurée par le volume 8 paru cette année, un Résistance et Soumissionrafraîchi et sidérant, attestant l’immense travail de mise à jour et de commentaire critique effectué en Allemagne ces dernières années dans les milieux scientifiques bonhoefferiens. Nous en devons la version française (avec notamment une bibliographie tenue à jour) aux talents conjoints de Bernard Lauret et de Henry Mottu. Le volume suivant sera une nouvelle édition de La Vie communautaire ainsi que le Livre de prières de la Bibleconsacré aux Psaumes. Autant dire qu’on attend avec intérêt et impatience la nouvelle édition duPrix de la grâce (Nachfolge) et de l’Éthique, deux ouvrages dont la réception francophone est restée, jusqu’à ce jour encore, tri- butaire d’une lecture souvent approximative et parfois un peu

(4)

12

trop hagiographique. Un des exemples les plus frappants de ces problèmes de réception est la manière dont le terme de Nachfolge (litt. suivance) a été traduit et reçu comme « obéis- sance », terme dont la connotation morale tend à eﬀacer la dimension christologique plus radicale de l’expression allemande, dans la pensée même de Bonhoeﬀer en 1937�¹.

Le colloque de l’ATEM, organisé au Louverain (près de Neu- châtel, en Suisse), du 30 août au 3 septembre 2006, en étroite collaboration avec les facultés de théologie de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel et leurs Instituts respectifs (l’Institut romand de systématique et d’éthique de Genève, l’Institut d’études œcuméniques de Fribourg) ne s’est pas voulu ce- pendant un colloque de plus autour de l’œuvre de Bonhoeffer, mais a tenté d’esquisser et de baliser quelques idées nouvelles pour une reprise responsable et pertinente de nos interrogations actuelles sur les questions d’éthique fondamentale, de théologie systématique, de dogmatique et d’ecclésiologie. L’œuvre de Bonhoeffer, en effet, se tient au carrefour de plusieurs disciplines et à la frontière de la théologie et d’autres disciplines universi- taires. La genèse particulière de son élaboration contingente et circonstancielle ne doit pas occulter l’importance de ses débats avec l’évolution plus globale de la théologie et de la religion en modernité. Le fait que Bonhoeffer n’ait cessé de trouver son propre chemin critique et original entre ses héritages luthériens, incontestables, et sa dette décisive envers la théologie de Karl Barth, son aîné de vingt ans, objet d’une admiration profonde et source d’une inspiration constante, de même que son che- minement pastoral au sein de l’Église confessante, ne doivent pas conduire à rétrécir ou à anesthésier notre champ d’interprétation.

Nous ne saurions oublier tout ce que cette pensée doit à la théologie protestante et à la philosophie du XIX� siècle, ainsi qu’aux renouveaux critiques de la théologie, de la philosophie

1. Raison pour laquelle nous avons décidé de modifier, à l’occasion de cette publication, le titre initial du colloque, en substituant le terme de suivance à celui d’obéissance (voir notamment les contributions d’Askani, Dumais, Causse et Thiel à ce sujet). Même si le néologisme de suivance garde, en français, une connotation énigmatique et ambivalente, il rend mieux compte que le concept plus classique d’obéissance (largement utilisé dans l’éthique protestante de la première moitié du XX�siècle) de la double dimension de laNachfolgebonhoeﬀerienne, qui renvoie toujours à la fois à l’appel à suivre Jésus(élément religieux, voire mystique, mais pas d’abord moral) et à sesconséquenceséthiques.

(5)

et de la sociologie aux débuts du XX� siècle (Troeltsch, Tillich, Holl, etc.)�². Sans doute un des enjeux majeurs de la réception de Bonhoeffer, et, plus largement, de l’histoire des effets de la théologie dialectique, tient-il dans un nouveau regard à porter sur les liens de cette époque avec la modernité tardive. En particulier, nous pensons qu’il y aurait beaucoup à gagner d’une lecture de Bonhoeffer qui le fasse progressivement sortir de ses attachements exclusifs à une certaine manière de concevoir la théologie et l’Église (on lira ici Corbic, Lienhard, Lehmkühler).

Cela implique de nous questionner à frais nouveaux sur les articulations des religions, de la théologie, de la philosophie, des sciences humaines et sociales et de l’éthique de la respon- sabilité (analysée notamment par Dermange) dans un monde qui, pour être devenu majeur (cf. les précisions de Bondolfi à ce sujet), nous apparaît néanmoins aujourd’hui, plus de soixante après la mort de Bonhoeﬀer, comme un monde fragile, pluriel, mondialisé et divisé (voir en particulier, dans ce volume et sous des angles divers, les contributions de Rollet, Ferrario, Ehrwein, Waterlot, Gisel et Gaziaux).

Il convient dès lors aussi de résister à une certaine tendance hagiographique dont le destin tragique de Bonhoeﬀer, bien malgré lui sans aucun doute, est souvent nimbé par ses adeptes, subjugués au point d’en devenir inconditionnels ou de perdre de vue le contexte historique et intellectuel d’une œuvre ina- chevée et programmatique. Notre problématique n’est pas de savoir si Bonhoeﬀer, en plus d’être un grand théologien malgré son jeune âge, en plus d’avoir été un homme courageux et un martyr, serait encore un saint et, au fond, le « saint » protestant par excellence (sa vie personnelle et ses fiançailles avec Maria von Wedemeyer étant de plus à préférer aux égarements conjugaux de Martin Luther King, comme cela m’avait été rappelé un jour à Rome par des responsables de la Communauté de San Egidio). La bibliographie sélective figurant en fin de volume contient quelques exemples de ces tendances, en particulier dans le monde anglo-saxon, où les thèmes du martyre se conjuguent

2. Nous l’avons souligné dans notre relecture de l’éthique de la théologie dialectique, cf. L’Éthique protestante dans la crise de la modernité. Généalogie, critique, re- construction, Paris/Genève, Le Cerf/Labor et Fides, 1999, ainsi que notre ouvrage plus récentKarl Barth,Paris, Le Cerf, 2005.

(6)

14

à des velléités hagiographiques, le « phénomène Bonhoeffer » (analysé avec humour et perspicacité, mais non sans une certaine ambiguïté par Haynes en 2004, cf. les commentaires de Ferrario dans son étude critique « Bonhoefferiana ») oscillant entre une indéniable célébrité, une fascination compréhensible et une sainteté bien improbable compte tenu des idées théologiques du tout de même très luthérien disciple critique de Barth. Georges Bush lui-même y avait été de son effet de manche, dans son discours du 23 mai 2002 au Bundestag, lorsqu’il avait déclaré que le pasteur Bonhoeffer était « un des grands Allemands du XX�siècle », ce qui avait valu à l’orateur, mais sans doute davan- tage encore au nominé, une salve d’applaudissements.

La seule chose qui devrait compter ici est bien plutôt de savoir ce que nous pouvons faire, vivre, penser et apprendre à la suite de Bonhoeffer, non pas comme si nous devions l’honorer d’une suivance, d’une Nachfolge que seul Jésus de Nazareth mérite aux yeux de l’Évangile, mais parce que son œuvre et son exemple sontporteurs d’une inspiration forte et féconde, au plan théologique, ecclésiologique et œcuménique comme au plan éthique et politique�³. Travail de pensée, de méditation, d’application à soi et au monde, en conséquence, qui nous interroge sur notre actuel rapport à la société, à la laïcité et à la mondialisation contemporaine. Élaboration théolo- gique en corps à corps avec le monde, en sa réalité profane et immanente, comme lieu de découverte, d’expérience spirituelle, de transcendance par effraction, de provocation éthique et de déplacement politique. Avec Bonhoeffer, peut-être, nous voici obligés d’entrer en conspiration, c’est-à-dire, à notre plus mo- deste et moins tragique niveau, de révoquer les fausses évi- dences du monde naturel et bourgeois, de faire le deuil de nos accommodements tranquilles, de sortir de notre sommeil dogmatique et de ce qui peut parfois confiner à une forme de naïveté morale.

La tâche demeure donc, immense et stimulante : non seu- lement reconstruire, repenser et réactualiser Bonhoeﬀer, mais

3. Parmi les innombrables interprètes de Bonhoeﬀer, des auteurs comme DUMAS (1968), PECK(1987),VONSOOSTEN(1992),DEGRUCHY(notamment 1999), GREEN(1999²), MOTTU(2002, 2004), GREMMELS(notamment 2003), HAUERWAS(2004) et HAYNES(2004) nous semblent baliser, dans leur diversité, certains éléments essentiels d’une telle reprise.

(7)

également et surtout développer et promouvoir, sous notre propre responsabilité et dans un contexte totalement autre, une théologie, une éthique et une politique adaptées aux redou- tables défis de notre époque. Le va-et-vient fascinant, chez Bonhoeﬀer, entre Suivance, l’Éthique et les Lettres de prison invite à la reprise novatrice d’une herméneutique scripturaire, d’une éthique reconstructive et d’une critique de la religion.

Ce volume réunit la quasi-totalité des contributions présentées l’été dernier au Louverain�⁴. Tous les chapitres ont été revus et harmonisés par Simone Romagnoli, que nous remercions vivement de sa collaboration compétente et eﬃcace. En tant qu’organisateurs scientifiques, Alberto Bondolfi et moi-même remercions également tous les collègues, les Instituts, les Dé- partements et les Facultés, à Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel, qui ont soutenu le colloque et la publication des actes, ainsi que le Fonds national suisse de la recherche scien- tifique, à Berne. Notre gratitude va en particulier à deux per- sonnes qui nous ont grandement aidés dans l’organisation pratique et financière du colloque : Annick Müller-Hulin (qui a magnifiquement pensé à toutes les questions touchant l’accueil et la convivialité) et Jean-Christophe Jaermann (étudiant en théologie, qui a assumé avec eﬃcacité et souplesse le rôle de trésorier du colloque sur place). Tout cela n’aurait pas été possible,last but not least, sans le soutien du Conseil et du bureau de l’ATEM, dont nous remercions tous les membres de leur soutien attentif, enthousiaste et constant, depuis la conception du projet jusqu’à sa réalisation et à l’écho que va en donner la présente publication.

D e n i s M ü l l e r

4. Christian Gremmels n’a malheureusement pas pu participer au colloque. Quant à Henry Mottu, auteur notamment duDietrich Bonhoefferparu en 2002 aux Éditions du Cerf, nous l’avions naturellement invité à intervenir, mais il ne lui pas été possible de se libérer à la date prévue, pour cause de séjour à l’étranger. Parmi les intervenants du colloque, Martino Dotta a dû renoncer au dernier moment à nous livrer le texte de son excellente contribution, ainsi qu’une note sur la réception de Bonhoeffer dont il nous avait offert des aperçus au Louverain. Nous le regrettons vivement et renvoyons aux études de cet auteur signalées dans la bibliographie.