• Aucun résultat trouvé

L'Ecriture du corps déchiré dans la littérature chinoise moderne (1917-1949)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'Ecriture du corps déchiré dans la littérature chinoise moderne (1917-1949)"

Copied!
454
0
0

Texte intégral

(1)

Thesis

Reference

L'Ecriture du corps déchiré dans la littérature chinoise moderne (1917-1949)

VUILLEUMIER, Victor

Abstract

L'écriture du corps déchiré est l'un des traits distinctifs de la littérature chinoise moderne, sous le signe de la rupture. Elle est tiraillée entre différents impératifs contraires (individualisme ou responsabilité collective, émancipation subjective ou nationale, tradition rejetée ou renouvelée), et en grande partie « occidentalisée », dans sa syntaxe ou ses nouveaux concepts, et par l'appropriation de représentations étrangères de l'image du corps, issues de différents champs littéraires et non littéraires (médecine, psychologie et psychanalyse, arts visuels, idéologies politiques, religions). Cette écriture présente deux polarités, le « corps faible » et le « corps fort ». Le premier caractérise la période du 4-Mai, et le second, celle des années 1930 et 1940. Ces paradigmes définissent un rapport d'intensité établi dans les textes entre le « corps » (signe) et « l'âme » ou « l'esprit » (sens) : l'insistance sur l'un ou l'autre thématise des esthétiques et des conceptions différentes de la littérature, et du rapport du sujet à la collectivité.

VUILLEUMIER, Victor. L'Ecriture du corps déchiré dans la littérature chinoise moderne (1917-1949). Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2010, no. L. 695

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:152253 URN : urn:nbn:ch:unige-1522539

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:152253

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Université de Genève Faculté des Lettres Unité des études chinoises

L’écriture du corps déchiré dans la littérature chinoise moderne (1917-1949)

Thèse de doctorat

Sous la direction du Professeur Nicolas Zufferey, Université de Genève

Membres du jury :

Professeur Guillemette Bolens, présidente du jury, Université de Genève Professeur Raoul Findeisen, Comenius University in Bratislava

Professeur Andrea Riemenschnitter, Universität Zürich Professeur Zhang Yinde, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Victor Vuilleumier

Mai 2010

(3)

Sommaire

Sommaire ...2

Remerciements...4

English Abstract...5

« La Nouvelle littérature chinoise et l’écriture du corps déchiré »...12

Introduction... 12

Première partie : Vers une nouvelle représentation du corps : du corps fort des Réformistes au corps moderne de la Nouvelle littérature chinoise...44

Chapitre 1 : le corps fort des Réformistes... 45

Chapitre 2 : La représentat ion du corps avant 1917 chez Liu E et Su Manshu : nation, ident ité cult urelle, et subjectivité... 75

Chapitre 3 : La représentat ion moderne du corps dans la « Nouvelle littérat ure »... 102

Deuxième partie : L’écriture du corps faible : persona féminine et victime, cicatrice et valorisation de l’âme ...127

Chapitre 1 : L’écrit ure du corps dans la Nouvelle littérat ure... 128

Chapitre 2 : La représentat ion et l’appropriation du corps faible dans la Nouvelle littérature : corps féminin et pieds bandés... 150

Chapitre 3 : Myt hes d’origine de la Nouvelle littérat ure : Nüwa, le corps, la décapitat ion et l’anatomie... 182

Chapitre 4 : L’écrit ure clinique dans la Nouvelle litt érature... 215

Chapitre 5 : La maladie de l’âme et la défiguration du corps... 237

Troisième partie : L’écriture du corps fort dans la Nouvelle littérature des années 1930 et 1940 ...261

Chapitre 1 : Le renforcement du corps... 262

Chapitre 2 : Représentation « néo-traditionnelle » du corps dans la Nouvelle littérature des années 1930-1940... 276

Chapitre 3 De la main faible de l’individu à la main forte du corps collectif des années 1930-40 ... 312

Chapitre 4 : Le tatouage, ou le corps fort réinvest i par la tradition... 332

Chapitre 5 : Le corps déchiré comme métamorphose de l’esprit... 353

Conclusion...370

Annexes...377

1. Texte chinois des versions... 377

2. Bibliographie... 410

3. Corpus... 426

4. Glossaire des noms d’auteurs chinois et japonais, et des dynasties... 439

(4)

5. Glossaire des termes et expressions chinois... 441 6. Index des noms propres ... 447 Table des matières...451

(5)

Remerciements

Je remercie en tout premier lieu le Professeur Nicolas Zufferey, mon directeur de thèse, qui a guidé mes études depuis que je suis son élève pour mon plus grand bénéfice. Je dois entièrement à son ouverture d’esprit, à son exigence et à son humanité toute confucéenne, mon parcours de cette dernière dizaine d’années, ainsi que la possibilité de cette recherche : et je lui suis particulièrement gré pour ses patientes et indispensables relectures de mon manuscrit.

Je remercie également les membres du jury : leur participation m’a honoré, et je leur suis reconnaissant pour leurs remarques et critiques.

La liste est longue de ceux qui encore m’ont instruit ou inspiré, et dont je ne donne ici que quelques noms : les Profs Chen Pingyuan à Pékin, dont j’ai pu suivre les cours et le séminaire doctoral (je pense aussi à ses doctorants avec qui nous avons eu d’intéressantes confrontations), John Hamm, dont j’ai suivi les cours à Seattle, et Wang Guangdong de Shanghai, qui m’a éclairé lors d’une visite au Musée de l’Ermitage ; les collègues de Genève qui au détour d’une conversation, au bureau, au café ou dans un couloir, ont apporté des indications toujours utiles de près ou de loin, à ma recherche : Vincent Durand-Dastès, Samuel Guex, Jörg Schumacher, Zhang Ning. Les amis, en particulier Nidesh Lawtoo, avec qui nos conversations téléphoniques longue distance de ces dernières années m’ont toujours stimulé.

Les conditions matérielles ayant permis la réalisation de mon travail ont été apportées par l’accord d’échange existant entre l’Université de Genève et University of Washington, entre 2002 et 2003 (avant mon inscription en thèse), qui m’a permis de préparer mon sujet ; par le soutien de la bourse PBGE11-117122 du Fonds National suisse et de l’accord d’échange entre l’Université de Genève et l’Université de Pékin, grâce auxquels j’ai mené mon dernier séjour de recherche à Pékin entre 2007 et 2008 pour y rédiger mon manuscrit ; et surtout, par le poste d’assistant à Genève dont j’ai pu bénéficier de 2003 à 2009.

Je remercie enfin mes parents peu orthodoxes, qui depuis mon enfance m’ont laissé libre de suivre mon inclination, tout en m’instruisant du sérieux avec lequel il convient de s’y consacrer – et mes grands-parents présents et absents, sans qui cette aventure ne pourrait avoir eu lieu.

Et surtout, je remercie Dandan pour son soutien constant, confiant et passionné.

(6)

English Abstract

The present dissertation addresses the “writing of the torn body” in the field of Chinese “New literature” (ca.

1917-1949 – to be distinguished from “Chinese Modern literature”, beginning in the 1890’s). This literature provides a critical portrayal of the “torn body”, a generic term I propose in order to account for representations of diseases and handicaps, dismemberments, wounded faces, or the psychoanalytical exploration of neurotic subjectivities. In other words, this study deals with the depiction of collective or individual sufferings, physical and psychical. This list comprehends non-corporeal elements, since the representation of the torn body may be considered as operating above all as a sign referring to the individual or collective spirit. Moreover, representations of the torn body express opposite aesthetical and political sensibilities. Therefore two modes of writing the torn body may be distinguished, i.e., the weak body and the strong body. This distinction is effective to describe different aspects and meanings of the body in Chinese New literature.

These two trends between representations of the weak and strong bodies match roughly the literary periods of the May Fourth Era (from 1910’s to 1920’s) and the 1930’s to the 1940’s. These two paradigms can also be approached in terms of “body” and “spirit” or “soul”: the degree of strength vs. weakness, or of materiality vs. immateriality (body/soul), problematize different aesthetics and conceptions of the Self or of the literature with regard to collectivity. The dissertation’s plan follows this distinction.

The aesthetic of the weak body represents the subject’s sick or undermined body, who is depicted as victim of the Chinese tradition and society. In this paradigm, the writing of the body aims at expressing a divided Self. This paradigm is often structured by an opposition between the alienated “soul”, referring to the individual, the spirit or the signified, and the “body”, which refers to the society or the materiality. These aesthetics of the

“allegory”, as Wang Ban redefines it using Benjamin’s terminology, dissociates the body from the soul, the signified from the signifier, by preventing the possibility of any totalist representation: I call this the writing of the

“scar”. On the other hand, by reasserting the power of the collective “body” over the individual “soul”, or by reinventing the representation of a “neo-traditional” body reinvested with the spirit, the strong body’s aesthetics is closer to the ideological or mainstream Chinese modern discourses on the body. This aesthetic of the

“symbol” aims at establishing an organic continuity between body and spirit, signifier and signified, as an experience of a sublime unity between the individual and the collectivity. I call this the writing of the “tattoo”.

This writing of the strong body nevertheless leads to the body’s destruction as well: it conveys the individuals’ political and ideological taming in the metaphor of the surgical operation, or in the figure of the Self’s fusion with national masses. The allegorical torn body has a subversive and critical meaning, whereas the symbolical torn body is meant to express an experience of totalist sublimation.

(7)

This dissertation’s central thesis is thus that the writing of the torn body offers a new way of defining Chinese New literature. This literature can be placed under the sign of rupture and tension. It lays between opposite imperatives, such as individualism and collective responsibility, the individual’s and nation’s emancipation, the tradition’s rewriting and its rejection.

Chinese New literature was largely Westernized, in terms of syntax, lexicon and themes, and this explains one aspect of its tensions. The “modern” literary representation of the body demonstrates a similar Sino-Western hybridization. New literature will borrow elements from Chinese tradition, such as literature or religion, but is mainly constructed on the translation or appropriation of Western discourses and representations, such as medicine, literature, psychoanalysis, or nationalism. The Chinese representation of the torn body in particular appropriates many Western or Japanese expressionist, symbolist and decadent body’s representations, e.g. through translations of Baudelaire, Wilde, Tanizaki, or the Bible.

The introduction (p. 12) defines the concepts developed in the present study. Some are inspired by Western literary criticism (e.g. “disfiguration”, “body”, “spirit”), but in a way that they fit within the Chinese context; some are Chinese, modern or ancient (e.g., “body-form”, xing, and “spirit”, shén); some are terms used in modern literary texts, that I propose to use as concepts (“body”, routi, and “internal training”, neigong).

The first part, “Towards a New Representation of the Body: from the Reformists’ Strong Body to the Chinese New Literature’s Writing of the Body” (p. 44), analyses the literary representations of the body prior to the New literature, and hints at the way New literature borrows from Chinese modern mainstream representations of the body (e.g. Western science, nationalism, and racist theories). The representations of the torn body, studied specifically in parts two and three, are to be considered in relation to this context, in order to describe how Chinese New literature distinguishes itself from it, yet asserting at the same time some of these mainstream representations of the “strong body aesthetics”.

Chapter 1, “The Reformists’ Strong Body” (p. 45), probes into the origin of these aesthetics, which can be traced back to the 1890’s, and particularly to 1895, after the Chinese defeat against Japan. Reformists authors and thinkers such as Yan Fu, Kang Youwei, and Liang Qichao want to strengthen the “Chinese body”, which they regard as sick. They introduce and advocate Western anatomical and medical representations of the body as a way to strengthen China. These Westernized representations of the strong body are also introduced into cultural discourse. But the emphasis on the strong body leads paradoxically to the assertion of the “spirit”, the former becoming only a metaphor for the latter in discourses increasingly blending nationalism and puritanism. The aesthetics of strength reject finally the material body. In parallel, it constructs implicitly the repulsive representation of the weak body, whose paradigm is the Chinese woman with her bound feet,

(8)

reappropriated from the colonial gaze on China. From the 1890’s on, modern intellectuals think of China in terms of body and spirit, whereas the themes of Western medicine, and of culture (wen), are used to express the intellectuals’ concerns about their cultural leadership in the process of defining and modernizing Chinese identity.

Chapter 2, “The Representation of the Body before 1917 in Liu E and Su Manshu’s Fiction: Nation, Cultural Identity, and Subjectivity” (p. 75), discusses the representation of the body in early modern Chinese literature, notably in the works of Liu E and Su Manshu. In Liu E’s novel (The Travels of Lao Can), the representation and the sense of the body are traditional (the body is not individualized), despite references to Western sciences. This Reformist allegory is meant to be revealing of national sickness, and proposes solutions rooted in the Chinese tradition. Su Manshu’s short stories confront and blend together traditional Chinese and Western representations of the body. This hesitation expresses the display of a shifting cultural identity shared by both narrators and characters, who try to define and renew their cultural identities between Japanese, Chinese and Western references. The representations of the body convey also the problematization of intersubjective relationships, without references to Freudianism yet, based on a traditional and modern Romantic tension between the world and the retreat from it. Besides, the subjective writing is also blended with national concerns.

Chapter 3, “The Representation of the Body in New Literature” (p. 102), lays out the representation of the major dimensions of the body in the New literature, by taking up the scientist and ideological Westernized discourses on the body inherited from the Reformists. It blends the anatomical representation of the body with the notions imported from psychoanalysis, even if these two paradigms of the body, libidinal and mechanistic, subjectivist and objective, are in principle opposed to each other. Thus it constructs a sexualized and biological modern body. The representation of the body problematizes and expresses subjective and national concerns. A key concept this study propose, adaptated from modern literary texts, is routi , the body as perceived in its physical and material dimension, which characterizes this new and “modern” representation of the body. But so far, these themes do not constitute by themselves representations of the torn body, which are more directly adressed in the second and third parts.

The second part, “The Writing of the Weak Body: Female Persona, the Figure of the Victim, the Scar and the Valorization of the Soul” (p. 127), approaches the first facet of the torn body’s writing. The weak body, or writing of the scar, is a negative representation issued from the Reformists’ discourses: New literature reverses it, in order to reject these mainstream aesthetics of the strong body. It is also thought as the cultural and literary assertion of the soul directed against the material and medical body. This implies also a problematic stance on the body.

(9)

Chapter 1, “The Writing of the Body in New Literature” (p. 128), focuses on the way New literature builds a new writing of the body, still interwoven with cultural discourse. Its representation of the body inscribes itself mainly in the context of May Fourth’s themes such as “realism” and “humanism”. The Western anatomical representation, thought as subversive and more “realist” than the traditional Chinese one, is used in order to overthrow traditional Chinese representations, accused of conveying “inhumane” values. This “modern” and

“natural” representation of the body goes hand in hand with the call for writing in “plain” or “vernacular Chinese” (baihua). The representation thus displayed in New literature is sometimes described as a “liberation”

of the body, but this appreciation has to be revised. The body conveys often a sense of individual or collective shame. Some of the May Fourth writers display an allegorical and divided perception not only of the body but also of the landscape, as a representation of the experience of the Self. Furthermore, Xiao Hong’s novel displays a narration inscribed in the writing of the female body’s traumatizing experience, described as the paradigm of the material and alienating torn body.

Chapter 2, “The Representation and the Appropriation of the Weak Body in New Literature: Female Body and Bound Feet ” (p. 150), suggests to define the weak body as female-gendered, by examining some examples of the representation of the bound-feet in Republican literature. Unlike their peers of the popular domain or of later works from the 1930’s or 1940’s, May Fourth writers are mainly reluctant to directly represent bound feet. But, as this chapter proposes it, the representation of the weak body is in fact metaphorically constituted by what is characteristically associated to bound feet (putrefaction, shame, seclusion, lameness). The weak body realizes the literary appropriation of some colonial representations of the body at first and then Chinese mainstream ones. Some of these writers seem to think of themselves and of their literature as a bound-feet woman, what revives the ancient poets’ and literati’s female persona from the Chinese tradition.

And finally, it is the female writers’ turn of appropriating this representation of the weak body from their male counterparts.

Chapter 3, “New Literature’s Myths of Origin: Nüwa, Body, Beheading and Anatomy” (p. 182), concentrates on the way the May Fourth literature creates “mythological” narratives of itself, and notably through the rewriting of Nüwa’s figure. Lu Xun for example constructs a “primal scene” for its “conversion” to literary writing in terms of beheading, implying a traumatic relationship to the past and to the Chinese

“traditional” system of meaning, by metaphorizing the medical discourse. This representation of the literature as a torn body is displayed by other writers as well. The anatomized body may also express an other meaning for an author like Guo Moruo. The past can be grasped and the sign can tally with the signified. Both paradigms of the torn body, the scar and the tattoo, are already attested in May Fourth literature.

Chapter 4, “The Clinical Writing in New Literature” (p. 215). In many respects, one of the major “genre”

of the May Fourth literature concerns the study of pathological cases (initiated by Lu Xun’s “Diary of a Madman”), whose paradigm is the bodily sickness or scar, but developed in a psychoanalytical way. At first, the

(10)

“clinical writing” is used in the writing of subjectivity and then, during the 1930’s and the 1940’s, it shifts to the strong body’s themes, such as the hygienist and ideological surgery. In a certain way, the May Fourth clinical writing and the representation of the scar showing a body that waits for its cure, share a common imaginary with the real political taming of the following periods.

Chapter 5, “The Sickness of the Soul and the Disfiguration of the Body” (p. 237), examines one of the characteristics of the weak body’s writing : its dualism and the importance granted to the “soul”. This is best showed by the May Fourth theme of melancholy or romantic agony (kumen), displayed as the soul’s sickness, a Westernized concept imported from Japan. The representation of the torn body implies, thus, a certain rejection of the body. But it signals also a symbolic disfiguration of the body, as regards to its nature as the Chinese tradition’s sign. For Lu Xun, as an example, it works as a “revenge” against the “Father”, and yet at the same time for his real father. The weak torn body entails above all a subversive and negative representation.

The third part, “The Writing of the Strong Body in New Literature from the 1930’s and 1940’s” (p. 261), approaches the torn body’s second facet : the writing of the reasserted strong body and the aesthetics of the tattoo. This representation of a strong and reanimated body signifies the reassertion of collectivity over individuality, by rejecting the weak body. This change takes place mainly during the 1930’s and the 1940’s, and coincides with a certain “popularization”, in the themes and references, of the New literature, in particular as concerning the representation of the body that becomes “neo-traditionalist”. Nevertheless, this reinforced body is still a torn one, aiming at expressing an experience of the sublime.

Chapter 1, “The Reinforced Body” (p. 262), explains how this representation of the strong body entails above all the strengthening and masculinization of a female-gendered body. This change is thought as a redefinition of the strength’s and the sublime’s aesthetics. New literature comes now closer to the Republican mainstream representations of the strong and militarized body, as exemplified by the Chinese cinema of that time. The strong body becomes a cosmic one. On the other hand, the libidinal body receives a new biological characterization, as worker and proletarian, keeping at the same time the May Fourth psychoanalytical heritage.

Chapter 2, “’Neo-Traditionalist’ Representations of the Body in New Literature from the 1930’s and 1940’s” (p. 276), suggests that this reinforcement occurs at the representational level as well, in the way the New literature shows this body. The May Fourth literature had rejected the body’s traditional techniques. Yet, they are reintroduced in the New literature only during the 1930’s. However, the New literature’s representation of these traditional techniques, mainly the martial arts, differs from those of popular literature. Namely, the former integrates an interiorized sense and narration of the body, inherited from May Fourth literature. Contrary to what the New literature did in the 1920’s, the “reinforced” representation constructs a reanimated body, by associating the body and the spirit. Hence, in this chapter, two terms are proposed to characterize this strong body’s representation, viz. “internal training” (neigong) and “labor” (gongfu). Nevertheless, this reinforced

(11)

body remains a torn one (as in the figures of the beheading, or of the “furious body”), which is sublimated, or persecuted by history and political power.

The second part had shown that the emblem of the weak body is the bound-feet. Conversely, chapter 3,

“From the Individual’s Weak Hand to the Collectivist Strong Hand from the 1930’s and 1940’s” (p. 312), studies the emphasis on the image of the hand, distinctive of the representation of the strong body. In the May Fourth literature, the hand was either immaterial or wounded. During the 1930’s and 1940’s, the hand becomes more present, signalling the will to reassert the body or the collective sign, and thus the link with the social realities.

This strengthening of the “black hand” appears as an antiphrastic reappropriation of negative representations.

The scar characterized the writing of the weak body. Chapter 4, “The Tattoo: the Strong Body as Reinvested by the Tradition” (p. 332), proposes to see the “ tattoo ” as characterizing the strong body, or in other words, the body as reinvested by the Father and the tradition. In the examples taken from New literature of the 1940’s, the tattoo is mainly realized on female bodies. As a consequence, the latter are masculinized. Moreover, tattoos are granted a collective meaning, in particular with the imperative of accomplishing a global revenge. The tattoo also figuratively suggests the imposition of the Father’s law, or text, on the body, leading even to its destruction. This tattoo may be represented negatively, or assumed by the narration. The tattooed body is made stronger, but it is torn in a way to express a sublime meaning. The individual does not belong to himself, and aims at merging with the collective.

Chapter 5, “Torn Body as Spiritual Metamorphosis” (p. 353), proposes an overall summary of the torn body’s figures and meanings. It shows that similar images, such as the crucified or the self-destructed body, are written and rewritten by the Chinese New literature to express different aesthetics, sublime or disrupted, symbolical or allegorical. Despite these differences, the various facets of the representations of the torn body reveal fundamentally an implied conception of the individual or collective subject as a torn totality. In the New literature, the subject tries to remedy this situation by rejecting the collective in a subversive way, or by sublimating itself in it. The torn representations of the body’s appear then to share religious overtones.

In conclusion, the body is an imaginary place where modern writers think about themselves, their identities, as well as about modern China. The representation of the torn body is produced by a cultural tension peculiar to the Republican period. It is generated by an appropriation of foreign elements that blends them with Chinese one, to appear as a distinctive trait of the New literature vs. some Republican Era main representations. This representation distinguishes Republican Era New literature not only from modern popular literature, but also from the New literature of the 1980’s onwards, where the torn body functions among other things as a catharsis as regards the politics from post-1949 China, to the merchandizing of Chinese society, or to the feeling of a loss at the level of Chinese identity. The torn body in Chinese New literature appears to be a general paradigm, which extends its range of signification from the expression of a rage against the body and the Chinese tradition, to

(12)

the quest for the sublimation of the Self and the spirit into the collective body, and often hesitates between these two trends.

(13)

« La Nouvelle littérature chinoise et l’écriture du cor ps déchiré »

Introduction

La Nouvelle littérature chinoise (Xin wenxue, 1917-1949)1 donne d’elle-même des récits ou des mythes de fondation, dont deux des meilleurs exemples sont la description d’une diapositive, et la réflexion que celle-ci entraîne, représentant un Chinois sur le point d’être décapité par des soldats japonais durant la guerre russo- japonaise de 19052, et les « souvenirs » de cours d’anatomie et de dissection d’un auteur chinois ayant étudié la médecine au Japon dans les années 19103. Ces récits sont présentés par leurs auteurs comme des emblèmes de la genèse de leur projet de création littéraire et de leur activité d’écrivain. Ces deux moments incarnent les deux principales tendances ou paradigmes de la représentation du « corps déchiré », à savoir, la « cicatrice » et le « tatouage ».

La Nouvelle littérature chinoise abonde en exemples de représentations de ce que je propose d’appeler et de regrouper sous ce terme générique de « corps déchiré » : ce sont des représentations de maladies et de handicaps, de démembrements, le portrait de visages marqués, l’exploration psychanalytique de subjectivités névrosées, la description de souffrances collectives ou individuelles, physiques et psychiques – cette liste comporte des éléments non corporels, car les représentations du corps déchiré se veulent avant tout signes de l’esprit individuel ou collectif.

L’emploi du concept ou catégorie de « corps déchiré » appelle immédiatement deux remarques : d’une part sur le fait d’associer la « Chine » et le terme de « corps déchiré », et d’autre part sur l’adaptation nécessaire au contexte de la littérature chinoise moderne de cette perspective.

Premièrement en effet, parler de « corps déchiré » pourrait rappeler les représentations colonialistes d’une Chine « cruelle », d’un Autre réduit à l’image de son corps tourmenté, dont sa littérature serait l’émanation ; on s’attendrait alors à trouver dans les textes chinois des représentations de « cruauté » dans la

1 Les caractères des noms et dynasties (incluant les dates), mots et expressions chinois donnés en italiques dans le texte, apparaissent en annexe (p. 439 pour les noms, p. 441 pour les termes).

2 Dans la « Préface » à Cris de Lu Xun. Les titres des textes sources auxquels il est fait référence dans le travail sont directement traduits (par exemple, Cris renvoie à Nahan) ; les références précises de ces textes (titre chinois, date et lieu de la première publication, auteur) sont données en annexe (p. 426), classées par ordre alphabétique selon la traduction proposée du titre. Les versions utilisées figurent dans la bibliographie primaire (p. 410). Sur ces deux exemples, cf. p. 195 sqq.

3 Dans « Dix ans de création » de Guo Moruo.

(14)

veine du roman des années 1900 français par exemple4. De fait, la Nouvelle littérature chinoise présente bien le phénomène du « corps déchiré » dans les termes définis plus haut, et pour la plus grande part, de façon conscience et construite. Les thèmes du « supplices » ou le thème de la cruauté en tant que tels dans la Nouvelle littérature chinoise sont cependant minoritaires5. La représentation du corps déchiré dans la littérature chinoise se construit néanmoins en partie à partir de représentations coloniales héritées du 19ème siècle sur la « Chine malade » et la « pratique cruelle et anormale » du bandage des pieds, et de certaines pratiques ou modes de supplices anciens exceptionnels6.

Deuxièmement, le concept de « corps déchiré » que je propose peut évoquer chez le lecteur occidental des perspectives critiques telles que celles qui se portent vers « les écritures de la défiguration au 20ème siècle »7, ou vers certaines formes de l’art contemporain8. La référence au « corps déchiré » appellerait aussi une réflexion sur le sacré9. L’un des dénominateurs commun à la plupart de ces perspectives critiques modernes occidentales, est qu’elles s’articulent autour de la question de la « figure », ou de la « défiguration » des formes et du langage, cette dernière visant à dégager des « énergies », pour libérer la parole de la langue ou des formes figées, pensées en termes de « corps, « signe » et « écriture »10. La littérature et l’art contemporain chinois en Chine, depuis les années 1990, présentent des œuvres et pratiques qui s’inscriraient parfois bien dans ce cadre. Mais la Nouvelle littérature chinoise (définition plus bas) ne correspond pas à cette perspective

4 Cf. par exemple Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices [1899]. Sur ce sujet, cf. Muriel Détrie et Antonio Dominguez Leiva (ed.), Le Supplice oriental dans la littérature et les arts, pp. 267-85. En France par exemple, le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle (1869) reproche aux Chinois leur « cannibalisme », tandis que Judith Gautier (1845-1917), dans son roman Le Dragon impérial (1868), décrit leur « cruauté » et leur pratique des

« supplices » (cf. Muriel Détrie « 19 shiji xifang wenxuezhong dezhongguo xingxiang ». In Meng Hua (ed.), Bijiao wenxue xingxiangxue, p. 250).

5 Ce thème auto-orientaliste réapproprié par les auteurs chinois apparaît de façon plus évidente dans la littérature contemporaine depuis les années 1980, dans des œuvres comme 1986 de Yu Hua ou Le Supplice de santal de Mo Yan. La littérature de fiction ancienne décrit des supplices, mais dans des scènes infernales et fantastiques, ou de vengeances personnelles, mais non des peines officielles (cf. Vincent Durand-Dastès, « Le hachoir du juge Bao ». In Le Supplice oriental, pp. 188-9).

6 Comme le fameux « supplice de la mort lente » (lingchi), ayant beaucoup fasciné l’Occident (cf. Jérôme Bourgon, « Bataille et le supplicié chinois : erreur sur la personne », in ibid., pp. 93-115).

7 Cf. Evelyne Grossman, La Défiguration. Artaud-Beckett-Michaux ; Antonin Artaud, un insurgé du corps.

8 Cf. Christine Detrez, La Construction sociale du corps, pp. 192 sqq., sur la « destructuration ».

9 Cf. Georges Bataille, L’Erotisme. L’expression « corps déchiré » par exemple se trouve dans un autre de ses textes, « Sacrifices ». In Œuvres complètes, vol. 1, p. 92.

10 Certaines études emploient parfois des termes proches de celui de « corps déchiré », mais sans donner lieu véritablement à des définitions théoriques : en littérature, cf. Christine Lecerf et Hannelore Burger (ed.), Corps blessés. Peines intimes autrichiennes ; en histoire, cf. Michel Porret (ed.), Le Corps violenté. Du geste à la parole. De nombreuses études, comme la précédente, se placent, à la suite de Foucault (cf. Surveiller et punir), dans la perspective de l’histoire des idées, de la critique du savoir comme pouvoir, du dressage, et de la domination. La critique récente s’intéresse à d’autres problématiques à partir de la relecture d’auteurs comme Nietzsche ou Deleuze : réflexions sur le « dionysiaque », la critique de la psychanalyse, le « corps sans organes » (cf. par exemple Gilles Deleuze, Proust et les signes, pp. 205-19), ou la violence (cf. Jean-Christophe Goddard, Violence et subjectivité.) ; mais ces thématiques seraient éventuellement plus appropriées pour l’étude de certains auteurs chinois contemporains, que pour la période de la littérature républicaine.

(15)

occidentale de la destruction des formes pour libérer des énergies psychiques, ou la parole prisonnière des formes du langage ou du corps.

J’emploierai donc ce concept de « corps déchiré », ou d’autres concepts proches, comme celui de

« défiguration », dans un sens différent, en les adaptant au contexte chinois, car combinés à d’autres termes et notions qui structurent ma recherche, ils permettent d’approcher les représentations du corps dans la Nouvelle littérature chinoise.

Rappelons d’autres thèmes de la critique littéraire occidentale qui, toujours après adaptation, sont d’une grande utilité pour mieux cerner notre concept de « corps déchiré » : ce sont le « réalisme », le « corps », le « signe », et

« l’allégorie », ainsi que leurs relations réciproques. Les perspectives du « carnaval », du « grotesque » et du

« bas corporel » permettent d’aborder et de rassembler ces différents thèmes11. Une autre perspective est l’interrogation sur le réalisme à partir du corps et de sa représentation : la façon dont le corps est montré thématise la représentation du réel ou du système de sens12. De même, des études sur la littérature baroque européenne permettent de rapprocher d’une part la réflexion sur « l’allégorie » 13 et d’autre part, la représentation morbide du corps supplicié et la volonté de montrer le corps déchiré. Enfin, la représentation du corps déchiré dénote aussi une dimension puritaine et « réactionnaire »14, que l’on retrouve dans le cas littéraire chinois, comme rapport problématique au corps : il s’agit alors de déchirer symboliquement le corps.

Ce sont les principaux concepts de la critique littéraire occidentale dont je m’inspire pour définir le

« corps déchiré » : mais avant d’en arriver à ce point, il faut d’abord évoquer le contexte chinois à partir duquel modifier et entendre ces perspectives et thèmes critiques.

11 Dans cette perspective, initiée par Mikhaïl Bakhtine, le corps ouvert et montré est régénérateur : cf. L’Œuvre de François Rabelais, p. 321 ; Yasmina Foehr-Janssens, « Les entrailles au dehors, La Chanson de Guillaume, ou la geste éclatée ». In Le Corps violenté, pp. 57-69.

12 Erich Auerbach aborde sa réflexion sur la mimésis à partir de l’exemple de la cicatrice d’Ulysse, en illustration d’un type de narration « objective » (cf. Mimésis, p. 16), ou du voyage dans le corps (la bouche) de Gargantua, pour exprimer son concept de « réalisme créaturel » (ibid., pp. 278-80).

13 L’allégorie nécessite un hiatus entre le signifiant et le signifié, par la mise en image du signe, vidé de son sens concret, pour en recevoir un plus

« abstrait » (cf. Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, pp. 188, 200, 218). Sur la littérature baroque voir aussi Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France.

14 Comme le montrent par exemple les études mentionnées dans la note précédente sur la période baroque. Dans le cas européen, ce phénomène est lié aux mouvements de la Réforme et de la Contre-réforme. Voir aussi Michel Jeanneret, Eros rebelle, littérature et dissidence à l’âge classique.

(16)

1. La Nouvelle littérature chinoise et le corps déchiré

1.1. Le corps déchiré dans le contexte chinois moderne

Une des principales thèses du présent travail est que la représentation du corps déchiré médiatise des thématiques propres à l’histoire des idées de la Chine depuis les années 1890, soit la fin de la dynastie Qing et durant la période de la République de Chine (Zhonghua minguo 1911-1949)15. Le corps est au centre de questions qui se comprennent comme négociation d’une identité moderne pour les intellectuels chinois. Ces thèmes sont à considérer globalement selon une double problématique parallèle : la Chine moderne dans son rapport d’une part à son passé et à sa culture, et d’autre part aux autres nations et civilisations, particulièrement l’Occident et le Japon. Ces deux derniers sont saisis à leur tour par les intellectuels chinois sous deux dimensions, l’une culturelle et l’autre, coloniale16. Ce double axe peut se décliner ensuite plus précisément en une série de relations dialectiques, qui organisent en grande partie l’histoire des idées, politiques, culturelles et littéraires de la Chine moderne, formant les données de la représentation du corps déchiré.

La représentation littéraire du corps, ou « corps romanesque »17, est à lire dans un rapport d’intégration, d’assimilation et de réaction aux représentations du corps des discours scientifiques, médicaux, politiques et culturels importés ou adaptés de l’Occident, en partie via le Japon, et ce d’une façon intense à partir des années 1890. Par ailleurs, les intellectuels et auteurs chinois modernes emploient les notions de

« matière » et « esprit » ou « âme » pour problématiser les rapports de la Chine à l’Occident, de la modernité à la tradition18, ou de la culture au politique et à la science. Enfin, les intellectuels chinois modernes cherchent à se définir, par rapport non seulement à l’Occident ou à la tradition chinoise, mais aussi aux discours culturels chinois dominants concernant le corps (voir p. 34), comme le cinéma ou la littérature populaire.

La défaite militaire de la Chine devant le Japon durant la guerre sino-japonaise de 1894-1895 (Jiawu zhanzheng)19 marque un moment historique crucial qui met en place des thèmes, discours et problématiques

15 Désignée couramment comme « République ». Taiwan vit toujours dans l’ère de la République de Chine, le gouvernement s’y étant établi en 1949.

16 Sur cette distinction entre Occident culturel et colonial établie par les intellectuels chinois, cf. Shih Shu-mei, The Lure of the Modern, p. 36.

17 Cf. Roger Kempf, Sur le Corps romanesque, pp. 5-7.

18 Lydia Liu relève à justre titre que la recherche et la réflexion en termes de « tradition et modernité » est dépassée, et propose le concept de

« translingual practice » (cf. Translingual Practice, pp. 25-8) ; néanmoins, cette distinction est pratique pour une présentation générale des problèmes – j’y recourerai donc ici ou là, compte tenu de cette réserve.

19 La Première Guerre sino-japonaise aboutit au « Traité de Shimonoseki » (Maguan tiaoyue), cédant Taiwan au Japon, et fixant pour la Chine des dédommagements financiers à payer. Cette défaite est vue par les intellectuels chinois comme l’échec d’une politique de « renforcement » superficiel, qui avait prôné la construction d’usines d’armement ou d’une flotte navale par exemple, menée par « l’Ecole des affaires étrangères » (Yangwu pai) ; ils estimaient au contraire qu’une réforme efficace nécessitait des réformes politiques, institutionnelles et éducatives menées en profondeur, soit une

« modernisation » à l’occidentale. C’est précisément le projet du mouvement des réformes (weixin pai) à partir de 1895.

(17)

fondamentaux pour la discussion de la représentation du corps en général dans la Chine moderne, et en particulier dans la Nouvelle littérature de la période républicaine. C’est à ce moment que se déclenche un mouvement de traductions de grande ampleur, la revendication d’un « nouveau roman » (xin xiaoshuo) politique et didactique20, et un appel à changer, « renforcer » et « guérir » « l’esprit » chinois 21 : ce discours est métaphorisé par l’image et l’esthétique du « corps fort ». De même, les représentations scientifiques et positivistes du corps en particulier, ainsi que les discours de l’évolutionnisme22 et des sciences politiques et sociales, sont introduits et revendiqués par les réformistes, puis intégrés dans la littérature par les auteurs du

« 4 Mai » (sur le 4 Mai, voir plus bas). La critique chinoise reconnaît généralement cette date de 1895 comme fondatrice d’une « modernité » au niveau politique, culturel et littéraire23. Cette date marque aussi le début de la représentation « moderne » du corps, et de ce qui deviendra ensuite le corps déchiré : l’un des textes fondateurs du courant réformiste est « Aux origines de la puissance » de Yan Fu, publié en 1895 en réaction à la défaite face au Japon, texte par ailleurs fondateur de la thématique du corps fort, et du discours sur le corps dans la Chine moderne (sur « l’esthétique du corps fort », voir le chapitre suivant). La problématique de la représentation du corps déchiré touche à la question de la « modernité », au sens restreint d’une part de représentations du corps dites « modernes » (anatomie, médecine, psychologie, etc.) et d’autre part, de valeurs discursives, politiques, morales, esthétiques, que cette représentation « réaliste » est censée véhiculer.

On peut retracer et établir avec une relative précision l’établissement d’une représentation « moderne » du corps en Chine à partir de 1895, qui est progressivement intégrée par la suite dans la « Nouvelle littérature », pour se cristalliser dans celle-ci vers 1921. Cette représentation « moderne » du corps dans la Nouvelle

20 Le « nouveau roman » (xin xiaoshuo) est un mouvement littéraire de la fin des Qing, à distinguer de la « Nouvelle littérature » (xin wenxue) ou

« littérature du 4 Mai » (Wu Si xiaoshuo). Chen Pingyuan propose ces périodisations : de 1898 à 1916 pour le « nouveau roman », et de 1917 à 1927 pour la « fiction du 4 Mai » (Cf. Zhongguo xiaoshuo xushi moshide zhuanbian, pp. 7, 21, passim).

21 Tan Guanghui distingue entre ces deux tendances, selon la métaphore de la maladie qu’elles développent : le yangwupai cherche à fortifier le corps chinois (ziqiang), et le weixinpai, à le guérir par une modernisation de l’esprit (cf. Zhengzhuangde zhengzhuang, p. 60). Néanmoins, les deux discours restent assez proches, et le weixinpai aussi cherche à renforcer le corps dans ses discours, le corps fort étant la métaphore d’un esprit national fort (cf. David Der-wei Wang, The Monster that is History, p. 280).

22 Voir par exemple la traduction de Evolution and Ethics (1893) de Thomas H. Huxley (1825-1895) par Yan Fu en 1898.

23 Sur l’importance de cette date pour la littérature, cf. par exemple Yang Lianfen, Wan Qing zhi Wu Si, p. 1. Dans la critique chinoise récente, la question de la « modernité » est importante. Cette perspective a l’avantage de remplacer la périodisation politique mise en place depuis la fin du 19ème siècle, et de saborder une critique idéologique (nationale, moraliste et marxisante) de la littérature ; un exemple fondateur est le travail de Chen Pingyuan, qui examine la modernité de la littérature de la fin des Qing et du début de la République, dans ses formes narratologiques. Ces changements profonds réagissent grandement à la traduction, toujours adaptée et modifiée, de la littérature occidentale. Cette approche en termes de modernité permet de sortir des clivages entre « littérature des temps modernes » (jindai), « fin Qing » et « moderne ». Sur l’histoire de l’étude de la littérature moderne, voir le résumé de Yang Lianfen, op. cit., pp. 1-16. Par ailleurs, l’approche en termes de « modernité » est propre à l’histoire des idées et intellectuelle de la Chine : les intellectuels chinois aujourd’hui s’interrogent en effet sur l’héritage du 4 Mai, se situant ainsi par rapport à lui (cf. par ex. Chen Pingyuan, « Zouchu ‘Wusi’ ». In Xuezhe de renjian qinghuai, pp. 34-9).

(18)

littérature chinoise est dès les débuts associée au « langage » du corps déchiré – dans lequel je propose de voir un critère de définition de la Nouvelle littérature.

Cette perspective de définition permet de contourner la question de la « modernité », et la relative imprécision de ce concept24. La thématique du « corps déchiré » permet de définir une période historique et un corpus cohérent : c’est une approche qui n’a pas encore été proposée. La thèse principale de mon travail est donc que la notion de « corps déchiré » permet de rendre compte d’un ensemble de représentations centrales de la Nouvelle littérature chinoise, et qu’elle permet d’approcher l’histoire de cette dernière selon la logique et les problématiques propres à la représentation du corps.

1.2. Le Mouvement du 4 Mai

La « naissance » de la Nouvelle littérature est associée au « Mouvement du 4 Mai » (Wu Si yundong) au sens large, qui englobe la « Nouvelle culture » (Xin wenhua)25. Ce mouvement est complexe, et ne peut être résumé en quelques traits. J’indique cependant ici quelques-uns des principaux thèmes du 4 Mai, dans la perspective de mon sujet.

Le point de départ du « Mouvement du 4 Mai » au sens restreint, est une manifestation ayant lieu à Pékin le 4 Mai 1919, en protestation contre le Traité de Versailles, qui prévoyait d’accorder au Japon les anciennes concessions allemandes de la province du Shandong26. Mais le « 4 Mai » au sens large désigne

24 La question de la « modernité » appelle une mise au point : elle n’est pas simplement le produit d’une « occidentalisation » unilatérale, qui « aurait réveillé » la Chine de sa « léthargie », et dont les intellectuels chinois du 4 Mai auraient été les seuls représentants, contre la « tradition » chinoise caduque. La « modernité » est encore parfois présentée comme commençant avec la rencontre de l’Occident et les « Guerres de l’Opium » (1839-42), conservant le discours daté qui parle de la « Chine agraire », « féodale et arriérée » projetée dans la modernité industrielle occidentale. De fait, les Chinois ont choisi d’importer l’Occident culturel qu’ils ont adapté et assimilé, comme ils ont adapté les textes occidentaux dans les premières grandes vagues de traductions, à partir des années 1890. C’est ici qu’est utile le concept de « translingual practice » de L. Liu, impliquant de lire les notions et discours, même d’origine occidentale, en fonction de leur contexte de traduction et d’acculturation (cf. aussi sa critique du concept « d’orientalisme » d’Edouard Saïd, jugé trop rigide, pp. 21-2, 25, passim).

25 D’un point de vue de l’histoire littéraire, les origines de la Nouvelle littérature remontent, comme le montre notamment Chen Pingyuan, aux années 1890. La notion de « Nouvelle culture » tend chez Chen Pingyuan ou Yang Lianfen, à englober le mouvement weixinpai, soit de 1880-1930. Cette approche élargit la définition traditionnelle qui fait débuter la Nouvelle culture en 1915 et la Nouvelle littérature en 1917 (cf. note 41). Sur le « 4 Mai » en général, cf. par ex. Chow Tse-tsung, The May Fourth Movement, Intellectual Revolution in Modern China ; Vera Schwarcz, The Chinese Enlightenment, Intellectuals and the Legacy of the May Fourth Movement of 1919 ; Lin Yü-sheng, The Crisis of Chinese Consciousness : Radical Antitraditionalism in the May Fourth Era. Sur la littérature du 4 Mai, cf. par ex. Merle Goldman (ed.), Modern Chinese Literature in the May Fourth Era ; Brunhild Staiger, “Littérature et art”, in La Chine au XXe siècle, pp. 357-81 ; Wu Zhongjie, Zhongguo xiandai wenyi sichao shi.

26 Sur le jour du 4 Mai, cf. Chen Pingyuan, « Wuyue siri na yijian ». In Chumo lishi yu jinru Wusi, pp. 8-49 ; Jonathan Spence, The Search for Modern China, pp. 310 sqq. Les ambitions japonaises sur le Shandong datent de 1925 avec les « Vingt-et-une propositions », et touchent à leur paroxysme à partir de 1937, date de l’invasion japonaise en Chine, et début effectif de la Seconde Guerre Mondiale.

(19)

surtout un mouvement culturel, à la recherche d’émancipation et de modernité, qu’il tend à revendiquer exclusivement27, en s’opposant progressivement à la « tradition » chinoise.

Le Mouvement du 4 Mai se comprend dans la continuité du courant réformiste de la fin du 19ème siècle, bien qu’il s’oppose en grande partie ouvertement à celui-ci. Les intellectuels du 4 Mai cherchent à assurer un renouveau culturel à la Chine : à la suite de Hu Shi, ce mouvement est présenté comme la

« Renaissance chinoise », et se pense aussi en mouvement des « Lumières » (qimeng, litt. « instruire les ignorants »), par l’introduction des idées occidentales de « science » et de « démocratie ». Le Mouvement du 4 Mai, désigné aussi comme la « Nouvelle culture », cherche à promouvoir les idées de libération de la personne, de la femme, ainsi que l’exploration et l’expression de la subjectivité : ces thèmes sont perçus et présentés en opposition à la « tradition » chinoise.

L’affirmation de « l’individu » n’est donc pas toujours entièrement dissociée du discours de l’émancipation nationale. De plus, l’un des points communs à ces thèmes, et important dans la perspective du corps déchiré, est qu’ils construisent une représentation de la victime (le sujet, les femmes, la Chine). Enfin, plus généralement, le 4 Mai est un mouvement de protestation et de révolte politique, car beaucoup sont déçus de la révolution de 1911 et scandalisés de la tentative de restauration avortée de Yuan Shikai en 1915, et la réaction morale qui est présentée comme caractéristique de cette période28. La littérature du 4 Mai présente cette situation comme allant s’accentuant à partir de la fin des années 1920 avec le régime « nationaliste » du

« Gouvernement de Nankin » (1927-37) de Tchang Kai-tchek, faisant suite à la période des « Seigneurs de la guerre » (1916-27). Mais dans notre perspective, le Mouvement du 4 Mai désigne avant tout une période de grande activité culturelle, de création, de traduction, d’introduction et appropriation de la plupart des courants d’idées et pratiques artistiques étrangères en Chine.

1.3. « Littérature moderne » ou « Nouvelle littérature » ?

Il est nécessaire à présent d’introduire les termes concernant la périodisation littéraire, afin de délimiter et caractériser le corpus retenu, celui de la « Nouvelle littérature chinoise » (xin wenxue).

Au cours des années 1980 en Chine, des chercheurs comme Qian Liqun, Huang Ziping et Chen Pingyuan, ont proposé la notion de « littérature chinoise du 20ème siècle » (ershi shiji Zhongguo wenxue)29. Plus récemment encore, ce concept tend à être remplacé par celui de « littérature moderne » (xiandai wenxue),

27 Ce souci constant du moderne et du « nouveau » (xin), de fait une caractéristique de la « modernité », date de la fin des Qing (cf. David Der-wei Wang, Fin-de-Siècle Splendor, p. 5).

28 Voir la volonté de Yuan Shikai de créer une religion d’Etat à partir du confucianisme (cf. Lin Yü-sheng, The Crisis, p. 65).

29 Cf. Chen Pingyuan, « Lun ershi shiji Zhongguo wenxue ». In Qian Liqun, Huangziping, Chen Pingyuan, Ershi shiji Zhongguo wenxue san ren tan, pp.

11-30.

(20)

redéfini et élargi à la littérature de la « fin des Qing » (wan Qing wenxue)30, voire à la « littérature populaire » (tongsu wenxue), qui, tout comme la littérature de la fin des Qing, est réappréciée et réévaluée. Les périodisations littéraires courantes distinguent entre la « littérature moderne » (xiandai wenxue, désignant exclusivement la « Nouvelle littérature »), de 1917 à 1949, et la « littérature contemporaine » (dangdai wenxue), de 1949 à nos jours. Cette division est en partie idéologique, car elle recoupe une périodisation historique et politique, 1949 marquant la date de fondation de la République populaire de Chine, Zhonghua renmin gongheguo ; cette distinction a été longtemps reprise sans autre en Occident, ou l’est encore aujourd’hui par commodité31.

Cette périodisation de la critique littéraire qui exclut de la « modernité » tout ce qui n’est pas « Nouvelle littérature », remonte aux années 1930, avec comme moment important, l’édition en 1935-6 du Compendium de la littérature chinoise moderne sous l’impulsion de Zhao Jiabi, établissant un canon de la « littérature moderne chinoise » ou « Nouvelle littérature »32. La « littérature moderne » chinoise est ainsi définie comme littérature nationale33 ; elle est distinguée de la littérature populaire, qui coexiste à l’époque, et radicalement séparée de la littérature de la fin des Qing34. Les auteurs et intellectuels « modernes » du 4 Mai eux-mêmes cherchent à se distancer des auteurs populaires ou « commerciaux »35, accusés de « traditionnalisme », ne pouvant incarner à la fois modernité et moralité. Cette idée d’une « littérature moderne » canonique excluant d’autres littératures, est conservée par la suite, même lorsque dans les années 1930 le critique littéraire marxiste Qu Qiubai juge que la Nouvelle littérature emploie une nouvelle langue classique, illisible pour le « peuple »36, ou encore, lorsqu’il est question à partir du contexte nationaliste et idéologique des années 1930 dans les discussions théoriques sur la littérature, de la promotion des « formes nationales » (minzu xingshi) et de la « littérature pour les masses »

30 Dénommée depuis les années 1950 comme « littérature des temps modernes » (jindai wenxue) (cf. Yang Lianfen, Wan qing zhi Wusi, pp. 13, sqq.).

31 Certains spécialistes évitent la question, d’autres proposent des aménagements, ou une périodisation en fonction de leur propos : ainsi Bonnie McDougall et Louis Kam parlent de « literature of China in the twentieth century », définissant trois périodes, en fonction du degré

« d’occidentalisation » de la littérature. Même Qian Liqun, dans l’édition revue de 2006 de son manuel, Zhongguo xiandai wenxue sanshinian, garde le terme de xiandai pour la période de 1917 à 49, et conserve une division en trois décennies, selon des événements socio-politiques.

32 Voir sa « Préface » (1935) (Compendium, vol. 1, pp. 1-2). Sur l’établissement d’une littérature nationale par la critique chinoise, cf. Lydia Liu, Translingual Practice, pp. 35, 214 sqq (pour des exceptions dans les années 1930, cf. Yang Lianfen, op. cit., p. 13). A certains égards cette anthologie établit une norme littéraire et des « genres », la « fiction » (xiaoshuo), la « poésie » (shi), « l’essai » (sanwen), et le « théâtre » (xiju), ce qui est un rôle traditionnel de l’anthologie dans l’histoire de la littérature chinoise.

33 Dès les manifestes de Hu Shi ou Chen Duxiu de 1917 (voir plus bas), la réflexion se formule implicitement en termes de littérature nationale ou langue nationale (il est à relever pourtant que le terme de « guomin wenxue », littérature nationale, n’est introduit qu’en 1923 par Zheng Boqi) ; on peut même remonter au xin xiaoshuo de la fin des Qing, et à sa vision didactique et politique du roman.

34 Alors que l’une des justifications du baihua et de la Nouvelle littérature, est de revendiquer une origine remontant à la littérature populaire ancienne – c’est l’un des paradoxes de l’attitude des intellectuels chinois modernes face au populaire (voir plus bas, p. 289).

35 Voir la distinction polémique entre « école de Pékin » (Jingpai) et « école de Shanghai » (Haipai), terme dépréciatif inventé par Lu Xun et lancé par les tenants de la première école : cf. Isabelle Rabut et Angel Pino (ed.), Pékin-Shanghai.

36 Cf. Marston Anderson, The Limits of Realism, p. 60.

(21)

(dazhonghua, « massification ») et du rejet du 4 Mai trop « individualiste » et occidentalisé. Ce modèle est institutionnalisé dans les années 1950 par l’établissement de la « littérature moderne » comme discipline académique spécifique, distincte de la « littérature des temps modernes » (jindai wenxue) la précédant à la fin des Qing.

Dans ce travail, j’utiliserai des périodisations qui correspondent en partie aux usages habituels. Par « Nouvelle littérature chinoise », je désignerai cette littérature débutant grosso modo en 1917 par la parution des manifestes de Hu Shi et Chen Duxiu pour une nouvelle littérature (voir p. 131)37, à l’exclusion des littératures populaires et de la fin des Qing – ce critère est validé par la problématique du corps. Je distinguerai ensuite, toujours en fonction de la représentation du corps, entre « littérature du 4 Mai » (Wu Si wenxue)38 et « littérature des années 1930-1940 »39 ; c’est-à-dire, entre ce que j’appelle la littérature du « corps faible » et la littérature du « corps fort ». « Littérature moderne » sans précision désignera toute forme littéraire publiée durant la période des années 1890 à 1949, et non simplement la période de 1917-1949, que le terme désigne traditionnellement.

La littérature du 4 Mai est dite littérature en « langue parlée » (baihua), notion du reste assez vague et qui tend à être idéologique et polémique avant tout40 ; elle est née de la « Révolution littéraire » (wenxue geming) et de la

37 Il est difficile d’établir quelle serait « la première » fiction moderne. La critique a établi un panthéon de « premiers textes » : le « Journal d’un fou » (1918) de Lu Xun pour la « première nouvelle moderne » (sur une autre candidate, Chen Hengzhe, cf. Michel Hockx, “Mad Women and Mad Men : Intraliterary Contact in Early Republican Literature”. In Autumn Floods, pp. 308-11) ; Le Naufrage (1921) de Yu Dafu pour le « premier recueil de nouvelles modernes » (précédé en fait d’un autre, jamais mentionné, Premier recueil de nouvelles, 1920) ; Hu Shi, Liu Bannong et Shen Yinmo pour les « premiers poèmes » en baihua (1918). Remarquons que plusieurs auteurs du 4 Mai ont commencé par publier des nouvelles en wenyan dès les années 1910, comme Lu Xun ou Ye Shengtao – dont des thèmes repris ensuite dans leur littérature en baihua après 1918 : bien des textes en wenyan des années 1910-20 présentent des thèmes de critique sociale et familiale que l’on tend à attribuer seulement au 4 Mai.

38 Soit approximativement des années 1910-20, exprimant les « idées et discours que l’on peut rattacher au 4 Mai ».

39 Ce terme est de moi : il recouperait différents thèmes ou courants, tels que la « littérature révolutionnaire », « littérature des masses » ou

« prolétaire », « littérature de gauche », etc. Mais il inclut aussi des courants non politiques, comme la littérature de Shanghai occupée des années 1940 – il y a peut-être une plus grande variété durant cette période historique que dans celle de la Nouvelle littérature des années 1910-20, compte tenu du statut des différentes « zones » (occupées par le Japon, « libérées » par les Communistes, « contrôlées » par les Nationalistes), des allégeances politiques et littéraires, etc.

40 La littérature chinoise en langue vernaculaire (baihua, baihua wen) ou semi-vernaculaire, remontant aux Tang, se développe à partir des Song.

Mais la « langue vernaculaire » dont il est question ici est une langue écrite nouvelle (xinti baihua wen), qui fait son entrée en littérature à la fin des années 1910. Le fait que certains intellectuels des années 1930, tel Qu Qiubai, la dénoncent ensuite comme une nouvelle langue lettrée artificielle,

« mi-humaine, mi-monstrueuse », montre qu’elle est en réalité très peu « vulgaire ». La notion de baihua est difficile à cerner avec précision, car elle recouvre différents niveaux de signification, et est avant tout idéologique. Plusieurs facteurs sont néanmoins à prendre en compte : l’introduction des langues étrangères et le rôle de la traduction ; la continuité d’une « tendance » historique qui irait vers un rapprochement des langues écrites et parlées ; la volonté de créer une langue nationale, et la revendication d’une rupture avec le passé (cf. Wolfgang Kubin, Die Chinesische Literatur, pp.

3-5 ; Yan Jiayan, Kaobian yu xiyi, pp. 53-4 ; Zhu Ziqing, Jingdian changtan, pp. 111-2).

(22)

« Nouvelle culture », soit aux alentours de 191741. La littérature du 4 Mai est écrite, diffusée et lue dans un milieu différent de celui de la « nouvelle fiction » (xin xiaoshuo)42 politique et réformiste de la littérature de la fin des Qing ; elle revendique l’usage du baihua, l’occidentalisation, la diffusion et réalisation des idées de la

« Nouvelle culture » et du « 4 Mai ». La Nouvelle littérature, bien que canonisée ensuite comme « littérature nationale » et destinée aux « masses », concerne un lectorat différent de celui de la littérature populaire républicaine : elle s’adresse aux universitaires, étudiants, intellectuels ayant fait des études à l’étranger, ou enseignants des écoles nouvelles, c’est-à-dire le milieu urbain des idées « modernes ». De plus, les auteurs tiennent à se distancier des auteurs populaires, ou qui vivent de leur plume : car la Nouvelle littérature est en grande partie une « littérature d’universitaires », partageant une vision du monde et des références communes, malgré l’existence de chapelles et des polémiques souvent violentes en leur sein. Ce qui explique aussi pourquoi la représentation du corps dans cette littérature, outre de renvoyer à des thèmes propres aux œuvres, ou à vocation collective, culturelle, politique et sociale, est aussi à comprendre comme représentation de l’identité des intellectuels et auteurs « modernes ».

1.4. Littérature du 4 Mai, « esprit » et « réalisme »

On définit généralement le « 4 Mai » par son esprit « iconoclaste », qui se développe en fait progressivement à partir de la fin des années 1910, venant à renier en apparence tout ce qui est « traditionnel ». Cet iconoclasme culturel qui atteint à son apogée à la fin des années 1910 et jusqu’au milieu des années 1920, se lit aussi comme une révolte contre le « Père »43 : c’est-à-dire, la « tradition », le « confucianisme », la « famille », la

« société ». Comme l’a relevé Lin Yü-sheng, ce « totalistic iconoclasm » se comprend en continuité avec une conception traditionnelle du lettré chinois, qu’il appelle « cultural-intellectualistic approach »44 : un culturalisme total en d’autres termes, pour lequel les problèmes et questions sociaux et politiques trouvent leur solution dans une démarche et une résolution culturelles. De plus, les intellectuels et auteurs modernes se sentent investis d’une responsabilité collective qui leur donne vocation à revendiquer un rôle de leaders culturels. Cette revendication culturelle et identitaire, face tout à la fois à l’Occident, aux discours chinois dominants du

41 Au sens strict, la « révolution littéraire », qui recoupe à peu près la période dite du 4 Mai, désigne une période s’étendant approximativement de 1917 à 1927-8, moment où l’on passe à la « littérature révolutionnaire ». Ce sont cependant des tendances générales, et une distinction en grande partie conventionnelle (cf. Qian Liqun, Zhongguo xiandai wenxue sanshi nian, pp. 29, 147 sqq. ; Lin Yü-sheng, The Crisis, p. 3 ; Chow Tse-tsung, The May Fourth Movement, pp. 5-6).

42 Cf. Chen Pingyuan, Zhongguo xiaoshuo xushi moshide zhuanbian, p. 21. Néanmoins, ce même « nouveau roman », de même que le courant de pensée des réformes, prépare la littérature du 4 Mai.

43 Cf. Zhang Jingyuan, Psychoanalysis in China, p. 72.

44 Cf. Lin Yü-sheng, The Crisis, pp. 6-7, 27 sqq.

Références

Documents relatifs

Pour vérifier la validité de cette théorie du critique littéraire, engageons une étude de ce mythe dit de la ‘Connaissance’ dans l’œuvre romanesque de Amélie Nothomb

La diversité de !'ADN du noyau cellulaire ou de !'ADN mitochondrial est étudiée depuis quelques années à l'échelle mondiale et ouvre de nouvelles voies dans l'étude

Cependant, la “mythologie” de la société contemporaine se distingue de la mythologie archaïque non seulement par le fait que les “mythes” contemporains naissent et

Trace écrite élaborée par les élèves Dans un coin de la classe, on garde la corde à linge avec les nombres – étiquettes rangés dans le bon ordre.. Remarque : Certains

Au cours d’une séance de travaux pratiques, Anna et Arthur étudient l’équilibre d’une barre à trous soumises à deux forces et.. Ils mesurent d = 17,5 cm et d’ =

DIFFICULT!ltS RENCONTREES La confection de .la partie locale sl1:st heur- tée· à d e séri· E'Uses difficultés.. La parution du prEmier numéro a produit un ·:·ffe

parce que nous 'vivons dans un monde en évolUtion constante ' Où

Jung précise : "Cette rumeur, ces bruits et le problème de l'existence physique éventuelle des objets volants qu'ils évoquent me paraissent tellement importants que je