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Ce chapitre analyse la représentation du corps, soit le « discours du corps fort », chez les « Réformistes ». Leur mouvement d’idée, « l’Ecole réformiste » (Weixin pai, cf. note 19) apparaît en réaction à la la défaite de 1895, et atteint son apogée lors des Réformes des Cent jours de 1898 (Wuxu bianfa, « Réformes de l’an wuxu »). Les principales figures intellectuelles en sont Yan Fu, Kang Youwei, ou Liang Qichao, dont nous allons étudier des textes plus bas. Cette « école » s’oppose au courant d’idées politiques précédant 1895, dite de « l’Ecole des affaires étrangères »108, tenue responsable de la défaite devant le Japon par les tenants du réformisme. Ces deux mouvements, malgré leurs différences dans les solutions politiques proposées, présentent dans notre perspective de la représentation du corps, le thème commun de la Chine malade.

Pour Tan Guanghui, les discours des deux écoles diffèrent : « L’Ecole des affaires étrangères » veut

« renforcer le corps » (qiang shen jian ti), tandis que les « réformistes » veulent « curer la maladie » nationale (zhi bing jiu guo) 109. Ainsi, comme le dit Tan, même si le yangwu pai utilise la métaphore de la maladie, celle-ci ne prend une grande importance qu’avec le weixin pai, et en particulier Kang Youwei, qui présente la Chine comme un « malade » (bingfu). Tan montre des antécédents de ce discours sur la maladie comme métaphore politique en Chine ancienne. Mais son origine est surtout à rechercher dans le discours colonial, comme le montrent L.

Heinrich à propos de la représentation du corps chinois malade, et L. Liu à propos du thème des

« caractéristiques nationales » des Chinois110.

Cette dimension d’ailleurs n’échappe pas aux réformistes eux-mêmes, puisque Kang Youwei attribue ce terme de « malade » à la Turquie, donnée comme exemple de ce qui attend la Chine, si elle ne sait pas se soigner et se régénérer111. Néanmoins, la différence relevée par Tan Guanghui est peut-être avant tout polémique ; il s’agit surtout d’un discours d’appartenance, d’une revendication de différence des réformistes à l’encontre des « Affaires étrangères ». Même si les premiers semblent mettre en avant le discours de la

« guérison », ils prônent aussi un « renforcement du corps », car soigner, c’est toujours renforcer. Même si les réformistes reprochent au yangwu pai de ne pas avoir fait de réformes en profondeur, et de s’être limité à la construction d’usines, d’arsenaux et d’une flotte militaire inefficace, ils restent eux aussi dans une démarche de réformisme à l’intérieur de la « tradition » du « confucianisme » : c’est la doctrine que Zhang Zhidong a résumée dans la formule « le savoir chinois pour fondement, le savoir occidental pour pratique » (zhongxue wei ti, xixue

108 Ou « Mouvement pour l’auto-renforcement » (ziqiang yundong).

109 Cf. Tan Guanghui, Zhengzhuangde zhengzhuang, pp. 58-69.

110 Cf. Larissa Heinrich, The Pathological Body, pp. 55-104 ; Lydia Liu, Translingual Practice, pp. 45-76.

111 Cf. Tan Guanghui, Zhengzhuangde zhengzhuang, p. 60.

wei yong) 112. Ce n’est que dans les mouvements et courants d’idées révolutionnaires au tournant du siècle que se développe l’idée du rejet à la fois du système traditionnel et des Mandchous.

Les textes réformistes appellent à rendre la Chine forte, même si pour ce faire, ils construisent la représentation d’un état morbide par la métaphore de la maladie. Cette représentation suppose aussi celle du corps fort et l’idéologie du renforcement, car même si l’on décrit le corps malade, le paradigme idéal de référence est symboliquement celui du corps fort. Cette représentation construit une esthétique du corps fort, qui caractérise ainsi le discours politique et culturel de la fin des Qing, intégrant les discours de l’évolutionnisme, du darwinisme social, du nationalisme et des théories sur les races. Les thèmes principaux du discours du corps fort sont donc : la maladie, la primauté de la collectivité nationale et raciale, la valorisation de la force. Le thème du corps malade réapparaîtra plus tard dans la littérature du 4 Mai, mais sous une forme métaphorisée, qui tendra à refuser le discours et l’esthétique du corps fort, au profit de la valorisation de l’esprit113.

La défaite de la Chine devant le Japon en 1895 , l’humiliation de ne pouvoir défendre la Corée, la perte et la cession de territoires de l’Empire chinois dont Taiwan, et la signature d’un traité inégal, sont donc un choc pour la Chine. Cet événement produit un important sentiment de crise, ajouté aux différents problèmes internes rencontrés par l’Empire mandchou au cours du 19ème siècle114. C’est dans ce contexte que Kang Youwei fonde à Shanghai en 1895 la Société d’étude pour le Renforcement (Qiang xuehui). Cette fondation est en lien direct avec le milieu des intellectuels, qui seront quelques années plus tard à l’origine du Mouvement des Cent jours de 1898. Leur projet est d’introduire des réformes institutionnelles, éducatives115, et économiques, afin de

« renforcer » la Chine, face aux puissances impérialistes, l’Occident et le Japon, et lui permettre de s’enrichir afin de retrouver un statut respecté et fort.

A partir de la fin du 19ème siècle en Chine, se met donc en place la représentation d’un corps fort, ou comme le dit D. Der-wei Wang, d’une « esthétique du corps (fort) »116. Un élément qui intervient dans

112 Cf. ibid., p. 64.

113 Les intellectuels réformistes, comme Liang Qichao ou Tan Sitong, par exemple, attachent eux aussi une grande importance à « l’esprit » : cependant, ils se placent dans une perspective de l’esthétique du corps fort, ce qui n’est pas le cas de la littérature du 4 Mai.

114 Tels notamment l’augmentation de la population, la crise du système mandarinal, la révolte des Taiping, la pression russe en Mandchourie, les guerres de l’Opium et les premières « concessions » cédées aux puissances étrangères.

115 Ces réformes induisent l’ouverture de « nouvelles écoles » et le mouvement des « nouvelles études » (xin xue, xin jiaoyu). Les auteurs de la Nouvelle littérature sont éduqués dans ces écoles (cf. Chen Pingyuan, Zhongguo xiaoshuo xushi moshi, p. 21).

116 « Aesthetics of corporeality » (tipo de meixue) dans ses termes : Wang Dewei, [David Der-wei Wang], Xiandai Zhongguo xiaoshuo shi jiang, p. 376.

Cette esthétique du corps fort est une esthétique du « sublime » : David Der-wei Wang reprend le propos de Wang Ban (cf. The Sublime Figure, pp. 55-9) sur le corps comme « signe du ‘sublime’ ». L’introduction de la théorie esthétique du « sublime » en Chine est le fait de Wang Guowei, qui pour traduire cette notion occidentale, emploie le mot zhuangmei (littéralement « strong and muscular beauty », cf. Wang Ban, op. cit., p. 56), aujourd’hui couramment traduit et lu comme « sublime » (il existe un autre terme, xiongmei). Wang Guowei introduit cette notion en 1904, pour établir une synthèse entre l’esthétique occidentale du sublime et la tradition chinoise. Le « sublime » défini par Wang Guowei se distingue du « beau » (youmei, la

l’établissement de cette esthétique du corps fort, est ce que Wang Ban désigne comme la « découverte du corps » chez les Réformistes, suite à la Guerre sino-japonaise de 1894-95, établissant la représentation d’un corps fort et militairement exercé, prôné d’abord par Yan Fu, repris ensuite entre autres par Mao Zedong. Cette représentation est construite en réaction à celle de la Chine comme « malade de l’Asie » (dongya bingfu).

Cette esthétique du corps fort oriente les représentations dominantes du corps à partir de 1895 et pendant la période républicaine. La Nouvelle littérature se définit par rapport à cette esthétique, reprenant certains de ses aspects et s’opposant à d’autres. Le corps fort sous-tend et implique une esthétique et une morale visant au renforcement collectif et individuel, pour permettre le salut national. Cette représentation se construit à partir de l’introduction, traduction et appropriation de discours occidentaux modernes scientifiques, philosophiques, culturels et politiques. Ce mouvement de renforcement du corps, de dressage, de valorisation de la force martiale (wu) et de priorité accordée au « groupe racial » sur l’individu pour répondre à la menace coloniale, n’est pas seulement textuel et limité aux débats d’idées. Cette tendance constitue un discours dominant et général, se traduisant aussi dans les réalités et pratiques sociales durant toute la période républicaine, et au-delà, au moins jusqu’à la fin de la Révolution Culturelle (1976) – ce qui montre l’importance de cette représentation du corps pour comprendre la Chine du 20ème siècle. Ce phénomène de « martialisation » et de

« nationalisation » du corps dans la société chinoise est d’ailleurs analysé par Huang Jinlin117 ; dans une perspective proche, les travaux de Frank Dikoetter analysent la représentation du corps dans les discours de la médecine et du politique.

A la fin du 19ème siècle donc, le darwinisme est introduit en Chine, en même temps que les théories raciales, assimilées et reprises par les intellectuels et les révolutionnaires chinois : la nation, la race, l’Etat et la société forme un ensemble, un continuum, perçu à travers la métaphore organiciste du corps ou de l’organisme118. Or, ce corps collectif est perçu comme menacé d’extinction dans la grande lutte pour la survie que les intellectuels chinois voient dans les relations internationales, et en particulier, dans leur attitude de subordination face aux pays occidentaux et au Japon, et leur « retard » dans la modernisation du pays ; la Chine est perçue comme

contemplation d’un objet sans relation avec le sujet produisant le calme dans son esprit), en ce qu’il naît de la menace que l’objet fait peser sur la volonté de vivre du sujet, qui est appellé ainsi à l’observer en profondeur. Dans Sur le poème à chanter, ces deux notions sont équivalents aux deux stades esthétiques du « sans-moi » (wu wo zhi jing) et du « moi » (you wo zhi jing) (cf. Adele Rickett, Wang Kuo-wei’s Jen-chian Tz’u-hua, pp. 13 sqq.). Selon Wang Ban, le sublime pour Wang Guowei consiste à fortifier et régénérer l’esprit par la représentation du sublime dans la nature – ce qui montre l’importance du discours esthétique dans la Chine moderne, compris comme un élément de renforcement et développement culturel. De plus, toujours d’après Wang Ban, le corps chez Wang est problématique, car il empêche de fortifier l’esprit chinois.

117 Cf. Huang Jinlin, Lishi, shenti, guojia ; Chen Huifen, « Dushi balei, ‘shehuixue de xiangxiangli’ ji shenti zhengzhi », pp. 13-9.

118 Sur l’introduction et L’appropriation de ces théories, cf. Frank Dikötter, The Discourse of Race in Modern China, et Sex, Culture and Modernity in China.

vieille et malade, devant se régénérer, se moderniser, et se renforcer sous peine de disparaître. Ce devoir collectif passe par différents devoirs individuels, dont notamment l’éducation des femmes, pour inculquer à celles-ci les notions de base qui vont leur permettre d’élever des enfants sains. La médecine moderne prend une signification politique, en opérant un glissement vers le corps individuel, celui-ci devenant le medium entre la collectivité nationale et la personne, qui en est un composant et devient objet de dressage. Il est nécessaire pour l’individu d’avoir un corps sain, pour que la nation le soit également. Un discours « hygiéniste » en découle, appelant à pratiquer la gymnastique, pour se prévenir des maladies et des maux sociaux ou moraux, qui ont une influence néfaste sur les corps, les esprits, et la nation119. Parallèlement à la volonté d’édifier une nation nouvelle et un corps modernes, se met en place une importante littérature populaire de traités de gymnastique, et d’ouvrages qui inventent un corps chinois « national », présenté comme « traditionnel », mélange de représentations modernes et anciennes120.

Tout cela définit une « esthétique du corps ». La représentation du corps entre donc en relation avec le nationalisme, comme aussi avec le « racialisme »121. Cette représentation implique la constitution d’un sujet national, incarné dans un corps racialement distinct et identifiable, qui souffre, victime de l’étranger. Certains textes littéraires modernes reprennent directement cette représentation, dont la nouvelle « Chiens » (1931), de Ba Jin, dans lequel un narrateur chinois à la première personne, se décrivant comme racialement chinois, est l’objet du mépris et de la violence des « Blancs »122.

1 Les Réformistes et le corps

Nous allons aborder maintenant la représentation du corps dans les textes de quelques auteurs réformistes, comme Yan Fu, Kang Youwei et Liang Qichao, qui ont comme point commun d’être des intellectuels

« traditionnels », c’est-à-dire, d’envisager la situation politique et historique de la Chine dans une perspective de

« totalité culturelle », et cherchant de plus à se situer dans la tradition des textes anciens : cette perspective culturelle constitue un point de jonction entre eux et les intellectuels du 4 Mai. Malgré l’iconoclasme de ces derniers et de différents objectifs, ils partagent en effet un système commun de représentations politique, culturelle et identitaire, s’articulant en termes de corps et d’esprit.

119 Sur « l’hygiénisme social » dans l’Europe du 19ème siècle, cf. L’Histoire du corps, vol. 2, pp. 47-8.

120 Ce corps chinois se caractériserait par la pratique de techniques d’arts martiaux et de gymnastiques « nationales », opposées et comparées aux gymnastiques occidentales ; beaucoup de manuels ou d’histoire de ce genre paraissent pendant l’époque républicaine : cf. par ex. Guo Xifen, Histoire de l’éducation physique en Chine (1919) (Minguo congshu, 1ère série, vol. 50). Par ailleurs, le volume Ziran kexue-yiyao weisheng du catalogue Minguo shiqi zong shumu liste des dizaines de livres parus et souvent réédités pendant la République sur diverses techniques du corps (hygiène, gymnastique moderne, exercices de respiration), pour la plupart traduit du japonais, de l’anglais ou de l’allemand.

121 Je prends ce mot dans le sens de « théorie établissant l’existence de races humaines », quel que soit ensuite le discours tenu sur les

« caractéristiques », négatives ou positives, qui leur sont prêtées.

122 Ba Jin xiaoshuo jingbian, pp. 24-33 ; tr. française Martine Valette-Hémery, Treize récits chinois, pp. 125-31.

La première section de ce chapitre aborde l’équation suivante : le discours du corps fort des réformistes est le résultat de l’importation des discours occidentaux de la médecine, de « l’évolutionnisme » ou darwinisme social, du nationalisme et du racialisme, tous faisant l’objet d’une synthèse avec des représentations chinoises existantes ou elles-mêmes redéfinies. L’intellectuel réformiste se définit ainsi comme un médecin culturel, identité qu’un Lu Xun par exemple reprendra à son compte dans les années 1920.

Yan Fu est l’auteur d’un des textes fondateurs du courant des Réformes, « Les Origines de la puissance », publié en 1895, en réaction directe à la défaite navale contre le Japon de la même année123. Yan Fu y oppose la force des grandes puissances du temps, occidentales et japonaise, à la faiblesse nationale chinoise. Il présente les raisons qui sont selon lui à l’origine de cette « puissance », et les trouve dans des facteurs d’ordre politique, moraux, institutionnels, et raciaux. Il appelle ainsi au « renforcement » de la Chine, en s’inspirant de ces modèles, ce qu’il résume en trois idées : renforcer la « force du peuple » (minli), « l’intelligence du peuple » (minzhi) et la

« vertu du peuple » (minde).

Le substrat théorique de Yan Fu repose sur les idées du darwinisme social, qu’il introduit en Chine en publiant en 1898 sa traduction de Evolution and Ethics (1893) de Thomas H. Huxley, sous le titre De l’évolution.

Pour Yan Fu, les nations existent comme peuples et groupes (qun) associés, qui sont autant de catégories naturelles, formées comme tout organisme naturel. Ces groupes obéissent aux lois de l’évolution et de la sélection naturelle : seules les nations les plus aptes et les plus fortes sont habilitées à survivre124. Yan Fu intègre aussi le discours des races ; il établit quatre races, qui se distinguent par leur origine géographique, des particularités physiques visibles, et surtout, par des qualités morales et culturelles. Cette liste est hiérarchisée : elle commence par la « race jaune » (Mandchous, Chinois et Japonais) pour s’achever sur la « race noire »125. Ce qui distingue les différents peuples « jaunes » entre eux, comme le Japon et la Chine, et ces derniers de la « race blanche », c’est l’opposition entre le « civil » (wen), et le « martial, militaire » (wu), une distinction chinoise traditionnelle. Cette distinction dessine d’ailleurs une double opposition, d’une part entre les « Jaunes » et les

« Blancs », puis d’autre part au sein du premier groupe, le Japon tenant à son tour une position dominante, assimilable à celle des Occidentaux – la Chine occupant donc dans les deux cas de figure la position wen

« inférieure ». Selon Yan Fu, les Chinois sont un peuple trop « civil », c’est-à-dire faible. La Chine, faible et humiliée, est ainsi menacée d’extinction nationale et raciale, dans la lutte du « fort contre le faible ».

C’est là tout le propos de « Aux Origines de la puissance », et partant, du mouvement pour le renforcement et l’enrichissement national (ziqiang, fuqiang). La représentation du corps vigoureux et martial est

123 Cf. « Aux origines de la puissance ». In Yan Fu ji, vol. 1, p. 7.

124 Cf. ibid., pp. 5-6.

125 Ibid., p. 10.

à l’origine de ce discours, indissociable par ailleurs de celui de la résistance physique et morale126. Les trois notions proposées par Yan Fu pour renforcer la Chine, « force, intelligence et morale du peuple », forment un ensemble. Yan Fu établit un rapport entre le discours « national-racial » et le corps, c’est-à-dire, un rapport entre ce dernier avec la nation, sa constitution et son évolution :

Considérons une personne [dans son intégralité] : elle peut agir grâce à l’entraide de son esprit et de son corps matériel. [De même,] une nation s’établit et se maintient par la complétude de la morale et de la force.

Une nation est ainsi comme un corps humain : si l’on attaque sa tête, les quatre membres répondent, mais si l’on perce son ventre, le corps entier meurt […]. (1)127

Les nations et les peuples obéissent aux lois naturelles physiologiques de l’évolution, et la totalité d’un Etat est comparable à l’unité organique du corps humain : cette ancienne métaphore renvoie à une vision du monde et à un ordre traditionnel, réactualisée ici dans la perspective de l’évolutionnisme national128. La dimension traditionnelle se retrouve dans les couples de concepts employés : « constitution » (ti) vs. (implicitement)

« fonction » (yong)129, et « corps (forme) » (xing) vs. « esprit » (shén), ainsi que la désignation du corps par sa totalité, « les quatre membres » (sizhi). Une version ultérieure du texte de Yan Fu appuie davantage sur cette dimension traditionnelle de la représentation du corps :

Une nation est comme un corps humain : il est parcouru de méridiens, et ses organes s’assistent réciproquement. Ainsi, si l’on attaque sa tête, les quatre membres répondent, mais si l’on perce son ventre, le corps entier meurt […]. (2)

Le corps est désigné plus explicitement encore que précédemment par des termes traditionnels, tels que

« méridiens » (mailuo) et « organes » (guanti). L’étymologie de guanti possède une connotation politique, supposant une unité cosmique, car le terme peut aussi désigner les « règlements administratifs » -- Yan Fu reprend une ancienne vision holistique du corps-Etat130. Cette représentation est à l’opposé de la conception

« moderne » occidentale du corps, dont l’introduction des théories les plus récentes sur l’évolution et ses fonctionnements naturels impliquerait en principe l’adoption : mais il est vrai que la représentation moderne du

126 Cf. Wang Ban, The Sublime Figure, p. 57.

127 La numérotation entre parenthèses renvoie aux textes originaux et leurs références dans l’annexe 1 (page 377). Sauf indication contraire, les traductions sont de moi.

128 Une version ultérieure remaniée par Yan Fu remplace « nation, pays » (guo) par « groupe, masse » (qun), terme issu de l’introduction du discours évolutionniste en Chine (« Aux origines de la puissance », p. 17).

129 Sur ces notions, cf. Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p. 312 et passim.

130 Sur le rapport entre corps et politique, cf. par ex. Nathan Sivin, « State, Cosmos, and Body » ; Nicolas Zufferey, Introduction à la pensée chinoise, p.

174. Il est à remarquer que le sens de « organes » pour guanti est d’après le HYDCD attesté à partir de Yan Fu seulement ; mais c’est après tout l’un des sens anciens de guan pris tout seul.

corps objet n’est pas encore intégrée en tant que telle à ce moment. La perception en termes corporels de la nation explique ainsi le constat porté sur la situation de la Chine :

Hélas ! La Chine se trouve aujourd’hui dans une position de faiblesse accrue qui l’empêche de se dresser et se réveiller : elle

Hélas ! La Chine se trouve aujourd’hui dans une position de faiblesse accrue qui l’empêche de se dresser et se réveiller : elle

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