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Ville et culture en Europe. Genève, entre urbanisme et littérature

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Ville et culture en Europe. Genève, entre urbanisme et littérature

LÉVY, Bertrand

LÉVY, Bertrand. Ville et culture en Europe. Genève, entre urbanisme et littérature. In: Guindani, S. & Talens, J. Carrefour Europe. Une approche interdisciplinaire dédiée à Philippe Braillard. Louvain : Academia Bruylant, 2010. p. 61-76

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:18059

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V ille et culture en Europe.

Genève, entre urbanisme et littérature

→ Bertrand Lévy

Les carac téristiques principales de la ville européenne

Comment comprendre l’identité et la culture européennes sans approfondir la question de la ville ? La ville européenne a été de tout temps un foyer de culture, un lieu d’échange, de marché et de pouvoir.

Elle demeure au cœur d’innovations artistiques et scientifiques. Enfin – et c’est peut-être le plus important et ce qui la démarque de nombreu- ses villes d’autres continents – elle est l’expression d’une centration urbanistique, d’un achèvement architectural et d’un patrimoine histori- que exprimant un vouloir-vivre ensemble. Parmi ses lieux d’aménité, le café est certainement l’une de ses marques de fabrique1. Ses rues, ses places, ses parcs, ses promenades publiques sont à la fois un espace public et un espace du public. L’Europe a fabriqué un modèle de ville qui sera exporté à travers le monde, du xvie au xixe siècle, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, en Océanie. Au xxe siècle, c’est le modèle nord-américain qui va prendre la relève. Le débat sur la présence de gratte-ciel dans les villes attractives devient universel et les ceintures autoroutières à l’américaine avec leurs centres commerciaux périphéri- ques se sont imposées presque partout dans le monde. Néanmoins, le

« faire-ville », cette urbanité spécifiquement européenne fondée sur la

1. Cf. Georges Steiner, Une certaine idée de l’Europe, Arles, Actes Sud, 2005, pp. 23-26.

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coïncidence de l’urbs, la ville construite, et de la civitas, la communauté des citoyens, qui suppose une densité humaine et architecturale, demeure un ardent désir pour l’humanité entière.

L’automne passé, j’ai visité l’ancienne Brixia des Romains, aujourd’hui Brescia, une ville lombarde surtout connue pour son industrie et peu touristique. Les moindres travaux d’excavation donnent encore lieu à des découvertes archéologiques stupéfiantes. En se laissant guider de la ville moyenâgeuse à la ville romaine, exceptionnelle car incorporée à la ville vécue au quotidien, on prend conscience d’un véritable paysage palimpseste, d’une épaisseur historique qui nous fait voyager autant dans l’espace que dans le temps, sur un périmètre très restreint. Sa piéto- nisation n’est pas encore idéale, car, comme l’expliquait un édile de la ville, tant que le tramway – encore une invention européenne – n’arri- vera pas au centre, les autobus continueront de sillonner la place du Dôme. Toutefois, Brescia est un excellent exemple d’une ville euro- péenne bâtie à l’échelle du pas de l’homme, dense et mixte, sur le plan humain et fonctionnel. Après les heures de travail, on est frappé par le nombre élevé d’Africains et d’Asiatiques siégeant dans le cœur commer- cial de la ville, extra-Européens qui font aujourd’hui tourner les usines.

Si, du point de vue morphologique, la ville européenne est de forme centrée, le plus souvent radioconcentrique, c’est-à-dire avec une struc- ture viaire en forme de roue à rayons, une minorité de villes, le plus souvent d’origine romaine, possèdent une structure en damier. Narbonne est dans ce cas, dotée d’un cardo (l’axe nord-sud) et d’un decumanus (l’axe est-ouest) bien visibles, les deux axes de départ de l’urbanisation romaine. Toutefois, même avec des portions de villes de structure ortho- gonale (pensons au quartier xixe de l’Eixample de Barcelone), la ville européenne demeure une ville radio-concentrique, comme l’a démontré Paul Waltenspuhl2. Dans d’autres cas, c’est la topographie qui déforme ou adapte cette structure ; la présence d’un lac ou de collines séparant la ville en deux rives, comme à Genève, Zurich, Rome, Prague ou Budapest, voit les rues s’adapter à la configuration du terrain. Ces sites montueux, à l’origine défensifs, donnent accès aujourd’hui à un panorama sur la ville et sa région environnante. On peut aussi contempler une vue urbaine du haut d’une tour de cathédrale ou de château ou d’une tour

2. Paul Waltenspuhl, Villes de structure radioconcentrique, Sulgen, Niggli, 1997.

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prise pour elle-même comme la Tour Eiffel, « degré zéro du monument » comme l’écrivait Roland Barthes3 dans un sens sémiotique. Pour cet auteur, le panorama aide à se repérer sur le plan et s’y plonger équivaut à une démarche intellectuelle plus qu’esthétique. La ville n’est en effet pas comparable à une œuvre d’art : c’est une construction beaucoup plus aléatoire et diverse. Embrasser une géographie grâce au regard circulaire, c’est aussi, dans le cas des villes d’Europe, se confronter à l’Histoire. Le spectateur, du haut d’une cathédrale, peut reconstituer l’histoire sécu- laire des cités, leur continuité comme leurs ruptures spatio-temporelles.

Existe-t-il des différences morphologiques entre les villes du Nord et du Sud, de l’Ouest et de l’Est de l’Europe ? Entre le Nord et le Sud, deux particularités m’apparaissent : la présence de parcs et d’espaces verts plus prégnante dans la ville saxonne que dans la ville latine, et inversement, la densité minérale plus grande au sein de celle-ci. L’espacement de la ville du Nord, qui se traduit par la présence d’un habitat pavillonnaire, a pour origine la nature et la culture : la présence de grandes plaines et l’idéal saxon du home sweet home avec jardin. Ce modèle est actuellement mis en cause pour sa consommation d’espace et son degré de dépendance face à l’automobile, dans les quartiers peu irrigués par les transports en commun. Au Sud, la rareté des terres littorales et le besoin de proximité sociale s’est traduit à partir du Haut Moyen Âge par un habitat groupé : il n’y avait guère de place sur les bastides méditerranéennes qui accueilli- rent quantité de bourgades. La plaine méditerranéenne était trop mena- çante : ouverte aux envahisseurs, aux inondations brutales, au paludisme.

Aujourd’hui, le rêve de l’habitat individuel se diffuse au Sud et à l’Est – qui avait privilégié sous le communisme un habitat collectif. J’ai découvert sur les collines d’Iasi, en Roumanie, les nouveaux quartiers de villas qui se sont édifiés sur d’anciennes terres agricoles appartenant à l’État, aujourd’hui privatisées. Ce qui frappe avant tout est la nudité des collines, comme si la plantation d’arbres était pour l’instant secon- daire.

Avec les parcs, jardins, squares arborisés, quais et promenades plus verdoyants au Nord qu’au Sud, on touche bien sûr au climat, mais aussi à la culture. C’est à la fois l’influence du romantisme rêveur des pays du

3. Roland Barthes, « La Tour Eiffel » (1964), OC, t. II, Paris, Seuil, 2002, pp. 530-534.

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Nord4 qui a favorisé le règne du végétal et l’espacement, ainsi que l’idéo- logie libérale-bourgeoise d’essence individualiste. Le rapprochement du paysage urbain de la nature semble bien une prérogative des pays d’ori- gine protestante. Les jardins et les parcs à l’anglaise ont été un moyen pacifique pour la puissance britannique d’imposer son hégémonie cultu- relle sur le Centre et le Sud du continent après les défaites napoléonien- nes ; tant la France que l’Italie (on pense aux parcs de Turin et à un récent petit parc à l’anglaise qui fait la fierté d’un quartier de Bari) en ont adopté le modèle, même si la tradition du Jardin Renaissance tel celui de Boboli à Florence ou celui du Luxembourg à Paris, sont porteurs d’une identité historique et nationale plus authentique. Sur ce plan, c’est l’Eu- rope du Nord qui a imposé ses valeurs au reste de l’Europe, ce qui n’em- pêche pas bien sûr le Sud d’avoir des jardins caractéristiques, comme les jardins mauresques d’Andalousie.

La présence d’espaces verts tient bien sûr à la façon d’urbaniser. Le Sud a pris très tôt le parti de la densité pour des raisons de culture et de défense du territoire, l’habitant des pays méditerranéens affectionnant la densité humaine pour déployer son jeu social. L’habitant du Nord pré- fère généralement l’espace et le calme. Toutefois, les mœurs changent, le Sud se nordise, le Nord se méridionalise, et – c’est peut-être le phéno- mène le plus frappant en Europe aujourd’hui – l’Est s’occidentalise voire s’américanise. Si les terrasses de café enflent sur les trottoirs de Londres, Berlin ou Prague, la vie sociale se retire du centre dans de nombreuses villes d’Europe latine. À Milan, le dimanche, il devient très difficile de trouver un restaurant ouvert. À Iasi (350 000 habitants), la popula- tion préfère les centres commerciaux périphériques – qu’on appelle

« Mall » – au centre historique pour faire ses achats. Les lieux nocturnes s’écartent aussi du centre. Certes, en Italie, la passeggiata du soir ou du dimanche est toujours vivace, mais il suffit d’un rien pour qu’elle ago- nise : une averse ou une retransmission sportive. Va-t-elle perdurer ?

Certaines différences morphologiques sont inscrites dans la pierre, et elles sont plus permanentes que les particularités comportementales.

Une des raisons de la quasi-absence d’espaces verts dans les villes médi- terranéennes tient aussi à un facteur climatique que je découvris lors

4. Cf. Charles Victor de Bonstetten, L’Homme du Midi et l’Homme du Nord, ou l’influence du climat (1824), Lausanne, L’Aire, 1990.

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d’une nuit estivale passée à Crémone, dans la plaine du Pô. Dans la cour intérieure de l’hôtel proliférait une végétation sauvage, et ma nuit fut infestée de moustiques pugnaces. Il existe ainsi une raison d’hygiène et de santé à limiter la croissance de la végétation dans certains milieux anciennement impaludés. Enfin, il s’agit de ne pas sous-estimer ce qui apparaît parfois comme un cliché : c’est le goût de l’homme du Sud pour le spectacle de la rue et de la place publique qui, durant les heures d’af- fluence, se transforme en scène de théâtre. L’homme du Nord est moins démonstratif ; cela ne signifie pas qu’il soit moins sociable, mais il se réfugie plus facilement dans la nature ou dans les espaces privés. Tout cela est bien sûr sujet aux changements et aux exceptions. Ainsi, certains soirs d’été, Copenhague et Edimbourg sont plus animés que Milan ou Palerme.

Genève : au carrefour des points cardinaux de l’Europe

Genève est un excellent lieu d’observation de cette Europe « multi- vers » qui se déploie dans plusieurs directions. Nicolas Bouvier, l’écrivain voyageur le plus connu de cette ville, a cherché à la situer sur une carte géographique et culturelle. Il reprend la définition de l’Encyclopedia Britannica (édition de 1906) qui définit la Suisse comme un « petit pays d’Europe centrale situé à l’ouest de l’Europe »5. Par là, l’encyclopédie entend que la Suisse ne fait pas partie de l’« Europe de l’Ouest », mais bien de l’« Europe centrale ». On comprend bien que la partie orientale de la Suisse, située entre Zurich et le lac de Constance, fasse partie de la Mitteleuropa, mais on aura passablement de peine à expliquer à un Bâlois, à un Romand ou à un Tessinois, qu’il ne fait pas partie de l’Europe occi- dentale. Voici l’argument de l’auteur de « Lectures d’un Suisse errant. La Taverne des Conteurs orientaux » : « Il y a chez nous (…) une grande nappe d’irrationnel et d’intuition qui font que notre cinéma et notre poésie sont parfois plus proches de Prague que de Paris. J’apprendrais sans surprise que la Salamandre de Tanner est un film polonais ou que

5. Cité in Nicolas Bouvier, « Lectures d’un Suisse errant. La Taverne des Conteurs orien- taux », in La Suisse romande et sa littérature, La Licorne, 16, 1989, p. 79.

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L’Office des morts de Chappaz a été écrit en Bohême (…). À cause de notre histoire, de notre géographie, de cette ambiguïté, nous sommes très nombreux ici à parler et lire d’autres langues que la nôtre et à juger que les littératures hispaniques, anglo-saxonnes, germaniques ou balka- niques, nous ont nourris presque autant que la française »6.

L’auteur insiste sur la sensibilité non métropolitaine de la Suisse qu’il situe entre la Saône et le Danube pour l’axe est-ouest et entre le Rhin et le Rhône pour l’axe nord-sud. En se focalisant plus précisément sur Genève, Nicolas Bouvier, s’appuie sur Les Mémoires d’un touriste de Stendhal (1837), qui a nettement inscrit Genève dans une identité des pays protestants. Ce n’est guère étonnant puisque Genève, sur la carte de l’Europe protestante, en figurait le bastion méridional (Genève n’est devenue un canton à majorité catholique que dans la seconde partie du xixe siècle, avec l’arrivée de nombreux immigrants des cantons suisses catholiques, puis de France et d’Italie). Si Nicolas Bouvier insiste tant sur l’héritage européen de conteurs orientaux tels Ossip Mandelstam, Panaït Istrati, Nikos Kazantzakis et Albert Cohen, c’est qu’il supportait mal le puritanisme genevois et victorien. Cependant, Nicolas Bouvier, même s’il a très peu écrit sur sa ville, en connaissait parfaitement l’his- toire et tout ce qu’elle devait à l’Angleterre : « L’origine de cette amitié, qui est restée vivace, c’est le goût du libéralisme et la passion de la botanique.

Depuis le début du xviiie, les Genevois, toutes classes confondues, sont des botanistes impénitents. De leurs lointaines possessions coloniales, les Anglais nous envoyaient des graines, des boutures, des bulbes, des rhizomes, que nous nous empressions de planter. Notre minuscule can- ton est – de toute l’Europe – le territoire le plus riche en essences diver- ses. Et notre bibliothèque botanique est – en prélinéen – la deuxième du monde après celle de Kew. Le voyage, comme les sciences naturelles, développe évidemment l’esprit d’observation. À cet égard, je dois sans doute quelque chose à ma ville natale »7.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, que tous les grands parcs gene- vois soient des parcs à l’anglaise, avec quelques compromis à la française, c’est-à-dire conçus avec l’esprit de géométrie. Le parc à l’anglaise recherche

6. Idem.

7. Nicolas Bouvier, « Petite morale portative », in Alain Borer et al., Pour une littérature voyageuse, Bruxelles, Complexe, 1992, p. 52.

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l’effet du pittoresque, il vise à ressembler le plus fidèlement à la campagne ou à la lande anglaise. Son but est de surprendre le promeneur au détour du chemin, de lui offrir des milieux atmosphériques variés, qui doivent refléter toute la gamme des sentiments. Il permet au peintre aquarelliste de varier ses points de vue. Sur la rive gauche genevoise, le parc des Eaux- Vives et le parc Bertrand répondent à ces exigences. Le parc Bertrand constituait le domaine privé d’Alfred Bertrand (1856-1924), un explora- teur et évangélisateur convaincu de l’Afrique. Mécène, il le légua à la Ville à la condition qu’on n’édifiât aucune construction permanente dans le parc, en addition de sa maison de maître, aujourd’hui transformée en école. Les citoyens doivent toujours lutter pour que l’on respecte ce prin- cipe, de plus en plus mis à mal. Alfred Bertrand était lui aussi un anglo- mane ; ses explorations africaines furent publiées en Angleterre et il était très lié à la Royal Geographical Society de Londres.

Le goût pour les voyages de nombreux Suisses et Genevois provient de plusieurs causes. D’abord, la petitesse et la quasi-insularité du pays ont évidemment joué leur rôle, mais il existe d’autres raisons. Dans une ville aux identités croisées et à l’identité propre conjuguant le localisme le plus étroit et l’internationalisme le plus débridé, Cité-État indépen- dante et coupée de son arrière-pays naturel, français et vaudois, pendant près de trois siècles, il n’est guère étonnant que les enfants du lieu aient eu envie de partir au loin, à l’image des Vénitiens ou des Hambourgeois, qui habitaient aussi des Villes-États. Certes, Genève n’est pas un port de mer et n’a pas joué de rôle dans la colonisation des « nouvelles terres » ; elle a plutôt cherché à coloniser les esprits avec sa religion réformée.

L’atmosphère parfois pesante que décrivait au début du xxe siècle Isabelle Eberhardt ou Ella Maillart – qui n’aimait pas la ville en général – a aussi poussé certains aux grands départs.

Stendhal représente le cas inverse, très fréquent lui aussi ; il fait partie des innombrables voyageurs qui ont séjourné à Genève, sur le chemin de l’Italie ou de l’Orient, tout comme Chateaubriand, Gérard de Nerval ou Gustave Flaubert. Dans sa longue étude sur Genève (trente-cinq pages), il situe son point de vue sur l’axe religieux et culturel. Les qualités de sérieux du Genevois, sa rigueur, la netteté de son esprit, la vie politique et sociale tournée vers la science et l’économie plutôt que vers les arts, préfigurent des stéréotypes que l’on va accoler à la société protestante

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locale de l’époque. Il emprunte à Voltaire son trait railleur sur Genève :

« On y calcule et jamais on y rit »8. Genève apparaît comme une ville dominée par la banque, prude et austère, une anti-Milan, ainsi qu’une ville éloignée du goût français : « On voit qu’une grande moitié de la littérature française agit à contresens sur l’esprit genevois. On peut dire que le fond du caractère français, gai, satirique, moqueur, libertin, cheva- leresque, étourdi, échappe entièrement à une tête genevoise ; au contraire, ce qui est emphatique, raisonnable et triste : Nicole, de Bonald, Bossuet, Bourdaloue, Abbadie, va droit à leur cœur »9.

Stendhal accroche Genève à la « triste Angleterre ». La Genève des clubs (on disait cercles à l’époque) le fascine toutefois, et cette ville aux mœurs raisonnables et au goût campagnard n’est pas pour lui déplaire, dans un premier temps tout au moins. La citation suivante fut reprise en partie par Nicolas Bouvier : « Le genre de beauté genevoise consiste, quand il n’est pas strictement allemand, dans de grands traits à la flo- rentine, embellis par une extrême fraîcheur. Le défaut de cette beauté, c’est quelquefois la lourdeur du menton et des ailes du nez, et pour l’ex- pression l’air insignifiant, l’air d’un beau mouton qui rêve. Rien n’est au-dessus d’une belle genevoise de dix-huit ans ; mais sur une figure si pure, où toute gaieté est difficile, le momiérisme fait des ravages affreux. Au contraire, la dévotion jésuitique embellit une belle Milanaise (Mme Marini, contrada della Baguta) »10.

Stendhal eut la dent dure contre les Genevois(es), faisait observer Nicolas Bouvier, mais il plaisait dans les salons. Il faut laisser à ce portrait de genre une certaine finesse d’observation (même si le momiérisme a depuis lors quasiment disparu). Nous nous situons ici, comme dans tout le texte de Stendhal, bien au-delà du stéréotype. À ses yeux, Genève balance entre le Nord (pour l’aspect moral) et le Sud (par certains traits physiques). Je suis frappé par cet aspect relatif toujours présent : venant de Bâle, Genève est une ville du Sud ; venant de Lugano, c’est une ville du Nord. Son rapport avec Paris est à la fois proche et distant, différent de celui d’une ville de province française : « Les villes de province haïssent

8. Stendhal, Mémoires d’un touriste (1837), rééd. in Bertrand Lévy (ed.), Le Voyage à Genève, Genève, Metropolis, 1994, p. 37.

9. Ibid., p. 45.

10. Ibid., p. 62.

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Paris et l’imitent (…). À Genève, on hait Paris, et heureusement on ne l’imite pas, mais on en parle sans cesse »11. Genève est bien entendu reliée à la langue française mais cultive une singularité, une indépendance d’esprit et de ton qui plaît à Stendhal, du moins par certains aspects, car il ne se retrouve guère dans le moralisme et dans le style littéraire : « Le style genevois est pénible avant tout ; on croit voir un attelage de bœufs qui labourent lourdement. Le Français de Genève est exact, mais tou- jours gêné ». En fait, si Stendhal s’attarde tant sur « cette petite ville de vingt-six mille habitants », c’est que la cité de Calvin lui permet, d’affir- mer, d’affiner son identité culturelle, ainsi que son goût pour l’Italie.

Deux ans plus tard, en 1839, Victor Hugo arrive à Genève. Il a proba- blement lu Stendhal et en prend le contre-pied concernant l’architec- ture. Entre-temps, on a achevé la construction du quai des Bergues, qui prolonge dans l’esprit la rue de la Corraterie ; tous deux ont été dessinés par l’ingénieur (on ne disait pas encore urbaniste) et cartographe Guillaume-Henri Dufour, qui devint général par la suite. Dufour a été formé à l’École Polytechnique de Paris ainsi qu’à Metz pendant l’occu- pation napoléonienne de Genève (1798-1813), époque qui vit de nom- breux étudiants genevois se tourner vers Paris plutôt que vers Londres ou Berlin. Le style de Dufour, qui va donner le ton à tout l’aménagement de la rade, est clairement inspiré par la France, mais avec une touche de sobriété genevoise qui proscrit les balcons et les saillies des façades.

C’est un style très clair, rationaliste, épuré, qui affectionne la ligne droite.

Il est doté d’une certaine élégance, et il est genevois dans sa manière de tout égaliser, de tout niveler. Aucun édifice ne doit dépasser les autres en hauteur. C’est la matérialisation d’une philosophie morale, notera Pierre Gascar dans son remarquable Genève12. C’est une rupture formelle avec l’urbanisation très accidentée de la Vieille Ville ; c’est surtout un urba- nisme de prestige qui va assurer à Genève un visage de capitale.

Or, Victor Hugo, et avec lui la vague des romantiques français qui lui succèdent, préfèrent au modernisme le style pittoresque helvétique. Ils vont s’émouvoir de cette première uniformisation, calquée sur le modèle de Paris : « Genève a beaucoup perdu et croit, hélas ! avoir beaucoup gagné. La rue des Dômes a été démolie. La vieille rangée de maisons

11. Ibid., p. 63.

12. Pierre Gascar, Genève, Seyssel, Champ Vallon, 1984.

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vermoulues, qui faisait à la ville une façade si pittoresque sur le lac, a disparu. Elle est remplacée par un quai blanc, orné d’une ribambelle de grandes casernes blanches que ces bons Genevois prennent pour des palais. Genève, depuis quinze ans, a été raclée, ratissée, nivelée, tordue et sarclée de telle sorte qu’à l’exception de la butte Saint-Pierre et des ponts sur le Rhône il n’y reste plus une vieille maison. Maintenant, Genève est une platitude entourée de bosses. (…) Rien de plus maussade que ces petits Paris manqués qu’on rencontre maintenant dans les provinces en France et hors de France.

On s’attend à une vieille ville avec ses tours, ses devantures sculptées, ses rues historiques, ses clochers gothiques ou romans, et l’on trouve une fausse rue de Rivoli, une fausse Madeleine (…) »13.

Poursuivons dans le goût romantique avec Théophile Gautier, l’un des meilleurs descripteurs de la ville. Il signe un chapitre dans Italia inti- tulé « Genève, Plainpalais, L’Hercule acrobate » en 1852, et poursuit la réflexion de Stendhal et de Victor Hugo, en apportant ce que Gaston Bachelard appelait une « différentielle de nouveauté » : « Genève a l’as- pect sérieux, un peu raide des villes protestantes. Les maisons y sont hautes, régulières ; la ligne droite, l’angle droit règnent partout, tout va, par carré et parallélogramme. La courbe et l’ellipse sont proscrites comme trop sensuelles et trop voluptueuses : le gris est bien venu partout, sur les murailles et sur les vêtements. Les coiffures sans y penser tournent au chapeau de quaker : on sent qu’il doit y avoir un grand nombre de bibles dans la ville, et peu de tableaux »14.

Ce qui plaît à Théophile Gautier, ce sont les tuyaux de cheminée, parce qu’ils sont tout contorsionnés et inégaux. Ce doit être la faute du climat, des vents nombreux qui tombent des montagnes et qui s’engouf- frent dans la vallée… Plus loin, Théophile Gautier qualifie Genève de ville à l’américaine tracée à l’équerre ; rien de plus vrai en ce qui concerne les nouveaux quartiers bâtis sur les anciennes fortifications et les quais.

Entre religion, idéologie, philosophie de l’espace et aménagement urbain, il existe un fil conducteur qu’ont très bien retracé les auteurs français du xixe siècle. Toutefois, pour mieux comprendre le débat archi-

13. Victor Hugo, Fragment d’un Voyage aux Alpes (1869), rééd. in B. Lévy, Le Voyage à Genève, op. cit. pp. 115-116.

14. Théophile Gautier, Italia (1855), rééd. in Bertrand Lévy, op. cit., p. 150.

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tectural du xxe siècle, il faut se tourner vers un auteur suisse, Gonzague de Reynold, qu’on ne lit plus guère, car il est exclu de la vague du « poli- tiquement correct ». Certes, il fut un intellectuel de droite mais ses idées étaient très contradictoires ; admirateur et ami de Mussolini et de Salazar, il a très tôt condamné le racisme et l’antisémitisme. Je le compare volon- tiers à un « Paul Morand suisse », en moins extrémiste : grand styliste, en dépit d’idées politiques que je suis loin de partager.

Le passage qui suit fait partie d’un ouvrage remarquable écrit entre les années 1914 et 1920 qui a pour titre Cités et Pays suisses15. C’est une géographie sentimentale du pays par celui qui considérait que la Suisse était son parc. De Reynold, né dans une famille catholique de Fribourg, a mieux que quiconque condensé les tensions identitaires que recèlent les styles architecturaux à Genève. Prenant à son tour le contre-pied des romantiques français, il insiste sur le caractère classique de l’urbanisme genevois. Genève est la seule ville de Suisse à cultiver ce classicisme, écrit-il, et c’est ce qui la distingue des autres villes du pays, plutôt portées sur le style néo-médiéval et pittoresque alémanique – ces constructions à tourelles et à charpente de bois qu’on peut voir à Bâle, Zurich ou Schaffhouse. Elles essaiment aussi à Genève à partir de l’Exposition natio- nale de 1896 ; de cette époque datent les chalets qui parsèment la cam- pagne genevoise. Genève a manifesté le désir de mieux matérialiser son côté helvétique, proche de la montagne ; c’est pourquoi on a construit dans le style alpestre traditionnel, dans le sillage des courants nationaux d’architecture qui cherchaient à renouer avec leurs racines fin du xixe siè- cle et début du xxe dans toute l’Europe : en Allemagne, Angleterre, Hongrie, Roumanie… À Genève, au Jardin anglais, une impressionnante statue de femme regarde d’un air éperdu vers la Suisse, au-dessus du lac : c’est le Monument National, dressé à la même époque, et qui symbolise le resserrement des liens de Genève avec l’Helvétie.

L’originalité du raisonnement de Gonzague de Reynold, qui a servi de conseiller à l’état-major de l’armée suisse durant le Premier conflit mondial, réside en sa prise de position paradoxale contre le style natio- nal et alémanique imposé à Genève. Pourquoi ? Parce qu’il ne s’inscrit pas dans la continuité de l’œuvre de Dufour, qui prolonge le grand siècle de l’architecture genevoise, le xviiie, avec ses hôtels particuliers à la pari-

15. Gonzague de Reynold, Cités et pays suisses (1914-1920), Lausanne, L’Âge d’Homme, 1982.

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sienne. Pour Reynold, Genève doit se prévaloir du lustre d’une cité clas- sique, aux larges avenues, et aux constructions rappelant son rattachement à la culture gréco-latine. C’est là qu’intervient l’idéologie de celui qui fonda avec d’autres La Voile latine, une revue cherchant à renouer avec l’identité romande et à se démarquer d’une part de Paris et d’autre part de la puissante Suisse alémanique. De Reynold insiste sur l’appartenance rhodanienne de Genève16. On sait que les mouvements pro-latins mani- festèrent souvent une admiration sans borne pour l’œuvre de Mussolini qui prétendait aussi se nourrir aux mamelles de la louve romaine. La page qui suit est celle d’un écrivain de l’enracinement : « Par les matériaux avec lesquels sont construits ses plus beaux monuments, par la molasse du lac, la roche alpestre des fondations romaines, le tuf jaunâtre et les cailloux roulés des superstructures primitives, Genève, comme un grand ormeau de sa campagne ou de ses parcs, plonge ses racines dans le sol qui l’entoure, car toute ville est un arbre qui ne tolère point sans dommage des greffes étrangères. Certes, je ne veux point condamner les influences extérieures, exotiques mêmes. Mais Genève ! Romaine, romane, gothi- que, italienne, française, savoyarde, suisse, elle a pu changer de style : elle n’a point changé de race. Si vous descendez sur la place Neuve, n’oubliez pas de regarder le Conservatoire : ce petit bâtiment est l’œuvre élégante et distinguée d’un élève qui a travaillé à Paris, à l’École des Beaux-Arts ; banal partout ailleurs, il paraît, ainsi que l’Athénée et le Palais Eynard, charmant là où il est, car il est à sa place, il continue une tradition. En revanche, voici de l’autre côté des Bastions, un manoir allemand : tou- relle, toits aux larges pans, tuiles rouges. Édifice qui n’est point laid en soi, mais choque en un tel lieu : cette construction rustique fait, au cen- tre d’une ville, erreur de ton ; elle est étrangère à la race de Genève. Or, de toutes les capitales de la Suisse – de cette Suisse dont la diversité est une beauté, une force – Genève est précisément la seule qui puisse don- ner un enseignement classique »17.

16. C’est encore le Rhône (et les Alpes occidentales) qui structurent l’Eurorégion en for- mation Alpes-Méditerranée, qui regroupe Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Ligurie, le Piémont et le Val d’Aoste, et à laquelle ont été invités à s’associer les cantons de Genève, Vaud et du Valais. Cf. Daniel Audétat, « La Méditerranée offre l’adhésion au Léman », L’Hebdo, 16 novembre 2006, p. 46.

17. Gonzague de Reynold, op. cit., p. 43.

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Et plus loin : « Genève, de Calvin jusqu’à nos jours, a su rester une capitale de l’Europe sans cesser de parler français, de bâtir dans un style latin »18.

Gonzague de Reynold met en avant le concept éminemment discu- table de « race » de Genève. Il faut bien se rendre compte que ce terme n’avait pas encore la connotation terrifiante qu’il acquit après l’hitlé- risme, mais le terme n’est pas choisi au hasard. Aujourd’hui, le propos de Reynold nous paraît très démodé, dans une Genève cosmopolite – et qui l’était déjà à l’époque mais à une échelle européenne –, une Genève qui s’est constituée par les apports successifs de vagues d’immigrés, en com- mençant par les réfugiés protestants. En somme, ce genre d’argumenta- tion possède le don d’irriter un maximum d’acteurs. D’abord, les touristes français et étrangers qui apprécient le style typiquement helvé- tique, exotique à leurs yeux, pour qui cette architecture « nationale » et mâtinée d’Art Nouveau distingue Genève de la France. Ensuite, les Confé dérés ou les « Suisses de l’intérieur » qui affectionnent le Heimatstyl – qu’on peut apprécier place Longemalle ou le long du boulevard des Tranchées – et qui rappelle le pays. Enfin, elle déplaît aux mondialistes actuels pour qui Genève doit ressembler à une « ville internationale », c’est-à-dire à rien de spécifique.

Il faut attendre Charles-Albert Cingria, qui est, de l’avis de Nicolas Bouvier19, l’un des écrivains majeurs du xxe siècle, pour observer un renversement d’axe. Autant Gonzague de Reynold fut-il un personnage officiel, aux préjugés solides, ayant officié aux universités de Berne, Fribourg et Genève, autant C.-A. Cingria fut-il un écrivain vagabond, bien avant la vogue des écrivains voyageurs. Né à Genève en 1879, d’ori- gine dalmate par son père et polonaise par sa mère, il sillonna d’abord l’Europe latine, dont il devint un fin connaisseur. Il aimait bien revenir à Genève, pour en repartir aussitôt. Il eut beaucoup de peine à vivre de son œuvre, que nombre d’éditeurs refusèrent. Pourquoi Nicolas Bouvier le tenait-il pour un écrivain majeur ? Par son style, coupant allègrement avec le style classique, Cingria est l’écrivain des ruptures, d’une certaine incorrection de la langue. Sa pensée primesautière, son âme slave, exprime sa manière de vivre, joyeuse et improvisée. C’est une écriture rebelle, très

18. Idem.

19. Cf. Nicolas Bouvier, Charles-Albert Cingria en roue libre, Genève, Zoé, 2005.

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peu « genevoise » dans le sens où Stendhal l’entendait. Dans Queue d’Arve, il brosse un portrait de Genève assez étonnant : « Il y a peu de sites au monde où la vie qui est bonne petite vie – cela se contemple dans le tremblotement d’un tram qui effectue un parcours démesuré, soit de Moillesulaz à Carouge, et presque jamais il n’y a de campagne – se joigne par imperceptibles si bien et d’une pâte d’habitat aussi poignante à un substratum comme celui d’un vieux conglomérat glaciaire. Oui, c’est un vieux sale glacier arrêté là et monté à cause d’un cul-de-sac – l’angle avec une faible brèche que fait le Jura et le Salève –, et l’invincible d’abord pendant des myriades quand même y cognait le soleil, qui peu à peu a fondu, permettant à ces lumières de naître, lumières qui sont toutes ces maisons, jusqu’à conditionner une écriture aussi humaine, la première à vrai dire du monde moderne, que réalise à nos sens à leur droit difficile celle-là de J.-J. Rousseau »20.

Que Cingria ait abusé ou non de l’« apéritif », heure à laquelle il signa ce texte, n’est pas la question. Celle qui m’intéresse est plutôt de comprendre le pourquoi et le comment de sa vision de Genève par les marges, par les espaces creux, les non-lieux. C’est un texte-itinéraire qui va de la périphérie au centre, alors que les auteurs prennent généralement le sens inverse. Il faut savoir que Ramuz, de Reynold et Cingria fondèrent ensemble La Voile latine en 1904, mais se séparèrent sept ans plus tard, à cause de divisions dont la raison ultime est livrée par Nicolas Bouvier :

« Après quelques numéros remarquables (6), la revue éclate sur une querelle entre ceux qui veulent une Suisse romande « burgonde » et ceux qui la veulent classique et latine plus proche de Rome que de Beaune ou de Dijon (Bourgogne) »21.

C.-A. Cingria cherche à faire de Genève le « centre d’un immense pays » où régnaient les « Gondikar, Goderick, Chilpéric, Godomar, Gondobad »22. Il espère, en accrochant Genève au monde du Nord et à celui des Celtes, faire contrepoids à la solennité gréco-latine de Gonzague de Reynold. Dans son dialogue imaginaire, Cingria contrecarre toutes les images « guides » de son confrère fribourgeois : plutôt que la suite

20. Charles-Albert Cingria, « Queue d’Arve » (1942), OC, t. 7, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1967-1981, p. 122.

21. Nicolas Bouvier, Charles-Albert Cingria en roue libre, op. cit., p. 52.

22. C.A. Cingria, « Queue d’Arve », op. cit., p. 123.

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des hommes célèbres, il loue la promenade dans le Mandement (le vignoble genevois), un jour de semaine « avec des petits pains dans un cornet »23. Au lieu de l’Université et de l’Académie, il vante Rousseau et les rugosités de la rue. Au lieu des abords de la cathédrale où flotte l’âme de Calvin, il préfère Carouge (l’ancienne cité sarde) où Sigismond fut sacré en 517, d’après lui. Enfin, en lieu et place des édifices prestigieux et du patriciat local, il met en avant la vie des bars et des cabarets ou la dif- ficulté d’un créateur de vivre à Genève. Cette écriture, qui traite du monde familier et des « petites gens », voire des déclassés, plaisait à Nicolas Bouvier qui avait, lui aussi, tendance à fuir les hauts lieux et les monuments durant ses voyages. Et puis – et là nous sommes certaine- ment au plus profond d’un esprit qui commence à se développer dès Rousseau et culmine au xxe siècle avec Robert Walser – c’est un éloge de la promenade égarante, qui se projette dans la structure du texte. Par sa grammaire insolite, ce passage parodie la langue, lui infligeant un traite- ment libertaire qui indique une apparente perte de maîtrise. Il va sans dire que Cingria « savait écrire », aussi bien que les peintres de l’abstrac- tion savaient dessiner. Il s’agit plutôt de déstabiliser le lecteur, de lui faire imaginer un paysage primitif et halluciné au lieu de la ville actuelle. C’est une géopoétique dans le sens où l’entend Kenneth White, une langue issue de la terre, de l’eau et de la glace, une langue caillouteuse, une lan- gue qui charrie des pensées qui s’entrechoquent. Cingria montre par-là que l’on peut aussi évoquer une des villes les plus policées d’Europe dans une langue brute et sauvage. Sa tentation est peut-être de dévoiler la force non domestiquée qui court sous la ville organisée et bien ordonnée.

Conclusion brève

La littérature issue d’époques, de courants idéologiques et littéraires différents, confronte de manière vivante et critique les enjeux architectu- raux et identitaires d’une cité. Elle nous enseigne que l’urbanisme et l’architecture expriment toujours une pensée, inséparable de grands courants historiques et philosophiques ; que le langage employé relève d’une culture et de goûts personnels irréductibles et souverains, comme

23. Ibid., p. 122.

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aurait dit Denis de Rougemont. Les retournements d’axes dont Genève a été témoin depuis plus de deux siècles montrent à quel point elle est au cœur d’une Europe géographique et culturelle, parcourue de lignes de tension qui font sa richesse, sa diversité. Tantôt tirée du côté du monde gréco-romain, tantôt du côté de celui des Celtes, tiraillée entre l’Est et l’Ouest sans vraiment appartenir à la Mitteleuropa, elle est la métaphore d’une Europe syncrétique dont l’interprétation relève de points de vue souvent rivés à des axes cardinaux.

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