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RÊVES DE GLOIRE PRAGUE LA VILLE D'OR

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RÊVES DE GLOIRE

PRAGUE LA VILLE D'OR

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OUVRAGES DE L'AUTEUR

G. QUITTNER-ALLATINI internationally known as the author of Fleur de Grâce, one of the out standing French novels of recent years.

Frances Fenwick Hill literary critic of the New-York Herald Tribune.

Vers un Nouveau Patriotisme, par G. QUITTNER-ALLATINI, devrait être lu par tous nos hommes d'état dignes de ce nom.

JACQUES BAINVILLE. Le Figaro.

An admirable study of the English and American character is given is L'Exemple Anglo-Saxon by G. QUITTNER-ALLATINI, a writer of great talent. She knows and understands us far better than we do ourselves.

Literary critic of the Daily Mail.

Fondatrice d'une nouvelle école de littérature, G. QUITTNER-ALLA- tini, auteur de Fleur de Grâce, qui publie The Lure and Romance of Lugano, fait passer dans ses livres un ardent souffle patriotique, elle apporte d'heureuses solutions aux grands problèmes sociaux, et sait examiner les sentiments les plus profonds du cœur humain.

Le Figaro.

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G. QUITTNER-ALLATINI

R Ê V E S DE G L O I R E

PRAGUE LA VILLE D'OR

ÉDITIONS BERNARD GRASSET 61, RUE DES SAINTS-PÈRES, VI

PARIS

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays,

y compris la Russie.

Copyright by Editions Bernard Grasset 1938.

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Cet ouvrage, comme la Plupart de mes livres, fut écrit en écoutant jouer les orchestres du Café Huguenin et du Park Hôtel à Lugano et de l'Hôtel Astoria à Paris.

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AVANT-PROPOS

C

E livre d'évocations de la Vieille Bohême histo- rique, avec ses habitants, ses villes et ses pay- sages doit continuer l'œuvre que j'ai entreprise avec Fleur-de-Grâce, The Lure and Romance of Lugano : par des ouvrages littéraires contribuer au développement intense du tourisme en Europe.

Dans cette industrie les différentes nations, malgré les tensions politiques et la haine furieuse, loin d'être des ennemies ou des concurrentes sont d'étroites colla- boratrices.

Par la force d'attraction qu'exerce un pays grâce à ses beautés naturelles, à ses souvenirs historiques, il agit aussi pour la propagande de ses voisins.

Les milliardaires américains, australiens, les prin- ces hindous, qui par suite de mes livres se sentiront attirés vers Prague, l'Eglise de Wres en Bavière, Arles, Avignon, Lugano, Bergame en Lombardie, ne manqueront pas de visiter aussi Paris, Munich, Rome et Vienne.

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Le but de la littérature n'est pas seulement de dis- traire et d'instruire, mais d'augmenter pour les pau- vres gens les moyens de gagner leur pain.

Sous ce rapport les belles-lettres peuvent admira- blement servir le tourisme, que je considère toujours comme la Plus saine des industries.

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INTRODUCTION

E

N décrivant les richesses fabuleuses de la vieille Bohême, l'organisation moderne de la patrie de Masaryk, je veux dire le grand rôle que jouent les rêves de gloire dans l'existence des hommes — pendant notre enfance quand ils prennent un air drôle parfois même fort amusant;

pendant la jeunesse, quand les plus nobles aspira- tions, la plus folle témérité, si elles ne sont pas canalisées vers un but utile et élevé, peuvent revê- tir une forme dangereuse et néfaste.

Dans les chapitres de ce livre, je raconte la tra- gédie des rêves de gloire avortés chez les héros de l'Histoire de la Bohême : Georges Popel von Lob- kowitz, Albert von Wallenstein, prince héritier Rodolphe, qui finit à Mayerling, l'épanouissement des rêves de gloire quand les incarne la figure do- minante de ce livre : Thomas Masaryk et la lutte pour leur réalisation chez celui, que même ses ad- versaires reconnaissent comme un des esprits su- périeurs des temps modernes : Edouard Benès.

Les documents m'ayant fait défaut sur la vie

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intérieure des grands hommes pendant leurs an- nées de collège, on m'excusera si pour expliquer les rêves de gloire de l'enfance, je me suis vue for- cée de raconter les miens, que toutefois je n'ai pas la prétention de vouloir faire servir d'introduction

à la vie des hommes illustres.

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PREMIÈRE PARTIE

PRAGUE LA VILLE D'OR

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CHAPITRE PREMIER PRAGUE

ET LE DYNAMISME DE LA JEUNESSE

C la Belgique, la Bavière, la Saxe, l'Al- sace-Lorraine, la Lombardie, la Vénétie et la plupart des pays et provinces qui ont servi de champ de bataille à l'Europe, et où pres- que chaque village rappelle les luttes furieuses entre armées formidables, la vieille Bohême après chaque conflagration mondiale renaît de ses cen- dres plus riche, plus jeune, plus belle que jamais.

Pour la forme de gouvernement, la valeur des hommes d'état, l'éducation de la jeunesse, l'ex- pansion du sentiment patriotique parmi leurs con- citoyens pauvres, les Tchèques ont été souvent cités en exemple.

Pendant ces vingt années, depuis 1918 jusqu'au moment où j'écris ces lignes, mars 1938, la Vieille Bohême sous Masaryk et son successeur, s'est montrée comme la terre de la liberté et en même temps la patrie du travail, de la discipline, de l'ordre, de l'hygiène, de la propreté et aussi de

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l'art, de la littérature, de la musique et c'est là encore que l'on trouve les plus grandes industries de luxe et de guerre.

Dans les temps modernes, la première, elle com- prit ce besoin qu'a la jeunesse (qu'éprouvent les masses aussi) de s'enrôler derrière fanions et fan- fares, en costume de gymnaste « shorts and shirts ou shorts and skirts », au service de la patrie.

C'est si agréable quand on ne peut pas encore travailler avec son cerveau, c'est-à-dire quand on ne sait pas encore avoir de l'initiative, accepter des responsabilités ou prendre des décisions, de sentir ceci : « par mes forces physiques, par mon adresse aux sports, par ma soumission librement consentie à une certaine discipline, par mon pou- voir de donner des ordres faciles et tous les jours les mêmes, dans une salle de gymnastique ou sur un champ de manœuvres, je contribue aussi à la grandeur de la nation. »

Ce sentiment est très juste et il faut que les petits, les jeunes et le peuple pensent : « Nous aussi, nous formons la patrie. » Les enfants doi- vent grandir dans cette pensée.

La plupart des hommes qui détiennent le pou- voir aujourd'hui en Europe sont fils de différentes révolutions. Ils se sont rappelé leur jeunesse ora- geuse, leur esprit inquiet, les folles ardeurs de leurs vingt ans, leurs ambitions sans bornes, leur désir passionné de s'élever dans la vie en servant la patrie.

Le Pont Charles et le Hradschin.

Photo. Centropress.

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Dans les rêves des adolescents pauvres, et même riches ou même puissants (c'est si ennuyeux de travailler dans le bureau de son père ou d'être un prince constitutionnel et de devoir subir parle- ment, secrétaires d'état), revient toujours ce thème brûlant : Quel bonheur ce serait de pouvoir opérer au nom des plus grands sentiments un changement de régime, qui nous donnerait la place des vieux ministres.

Il y a cent ans chaque petit écolier s'entraînait à devenir Napoléon, aujourd'hui les dictateurs han- tent les cerveaux des collégiens, des employés de bureau, des clercs de notaire, des enfants de ban- quiers, de grands industriels et même des fils de rois.

Une erreur d'optique ne nous permet pas d'esti- mer d'en bas la hauteur des montagnes et l'effort qu'il faut pour atteindre leurs cimes. De même pour la jeunesse tout ce qui est lointain, difficile, élevé, grandiose paraît beaucoup plus facile et naturel que la tâche immédiate qu'on lui donne à faire.

Le lecteur se demandera sans doute comment un auteur grave peut-il être si bien documenté sur ce sujet? Hélas! c'est que j'ai été plus folle que tous les plus méchants garçons réunis.

Quand j'étais enfant, je pensais qu'on ne doit pas se fier au prestige de sa famille. Par mes propres moyens, pensais-je, grâce à mes brillantes qualités (dont je ne doutais pas un instant), je vais conquérir le suffrage de tous.

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En soi ces principes sont justes et nobles; mais à cet âge, par ma façon de les mettre en pratique, je m'écartais considérablement du domaine de la raison pure pour entrer dans la voie de la plus folle fantaisie.

Ainsi je ne comprenais pas pourquoi on louait tant mon père, mes oncles, les Messieurs Allatini, parce qu'ils procuraient des emplois à quelque pau- vre diable, ou aidaient des jeunes gens à se ma- rier, à fonder une famille, à se créer une situation.

Je les plaignais au contraire, tutti quanti bienfai- teurs et protégés.

Se marier, chercher à gagner sa vie, aller tous les jours au bureau, quelle folie! On donne un grand coup de sabre dans les pages de l'histoire et l'on conquiert à la fois gloire, fortune et situation.

Ces deux dernières me semblaient des éléments assez vagues, dont je ne me préoccupais guère.

Seule la gloire me paraissait un bien positif, tan- gible, réel.

En attendant je plaquais sur le piano des accords de fausses notes avec une assurance propre à faire sauter en l'air mes professeurs et institutrices. Une de celles-ci déclara même : Si jamais cette enfant se trompe dans la vie ce sera épouvantable, parce qu'elle fait tout avec une conviction et un aplomb d'enfer.

Depuis trois générations ma famille étant con- nue pour ses œuvres de charité, mon père tenait beaucoup à nous élever dans ces traditions de gé-

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nérosité envers les pauvres, et insistait pour que nous donnions une large part de notre argent de poche aux indigents de la ville.

A cette époque, la tête pleine de vastes projets politiques, j'avais besoin de toutes mes économies, pour acheter des livres anglais, « stories of adven- ture », sur lesquels j'échafaudais mes nombreux plans d'avenir.

Je ne crois pas que les grands capitalistes d'au- jourd'hui se donnent autant de mal pour cacher leurs gains à leurs gouvernements respectifs que moi, pour cacher mon argent de poche à mon père.

Continuellement préoccupée par mes rêves de gloire, je n'avais d'autre désir que mettre au plus vite l'histoire en action.

Bouddha conquit une partie de l'univers et l'im- mortalité, parce qu'un jour en sortant de la mai- son paternelle il donna tout ce qu'il possédait aux mendiants de la rue. Ayant lu cette histoire, je pensais dans l'innocence de mon âme : voilà une bonne façon de concilier mes nobles aspirations et les principes de mon père.

Comme les mendiants ne manquaient pas dans notre ville, et que j'avais reçu ce matin-là d'un de mes oncles, un mégidié (cinq francs or),je décidai de suivre l'exemple du Dieu.

Ma sœur marchait devant moi avec l'institu- trice; un de nos gardiens albanais, le cawass Cédi- que m'accompagnait.

Sur le quai, à un moment donné, je le quittai

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et m'approchai du mendiant le plus sale et le plus piteux de la ville.

Je me rappelle encore cette scène, comme si c'était hier : la tête bourdonnante des récits d'his- toire, j'étais convaincue qu'au moment précis, où je remettrai cette pièce au mendiant, automatique- ment les trompettes de la renommée allaient clai- ronner mon nom à travers le monde, peintres, sculpteurs et écrivains immortaliseraient mon geste, comme pour Bouddha épousant la pauvreté, et je serais désormais la gloire de ma famille.

Je n'avais pas plutôt donné mon argent au mendiant, que le cawass, qui était généralement mon homme lige, qui me fabriquait arcs et flèches, commença à crier terriblement : Cette enfant ne sait pas ce qu'elle fait!

Je le vois encore tirant avec rage de la poche intérieure de son boléro bleu brodé d'or, un sac qui lui tenait lieu de porte-monnaie :

— Moi je donnerai à cet individu quelques da- ventis (centimes), dit-il, et qu'il vous rende le mé- gidié.

Le mendiant, un bon diable à moitié aveugle.

impressionné par la colère du cawass et effrayé sans doute par ma folle générosité, tenait entre le pouce et l'index, la pièce que je lui avais donnée comme pour dire : Voilà elle est à votre disposition.

L'institutrice et ma sœur attirées par les éclats de voix de Cédique se retournèrent, et la première joignit sa fureur à celle du cawass : « That child

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is not to be trusted with money. (On ne peut pas confier de l'argent à cette enfant.) Elle aussi était d'avis que le mendiant devait me rendre le mé- gidié.

Ma sœur qui avait très bon cœur intervint :

« Papa se fâchera s'il apprend qu'on a donné de l'argent à un pauvre pour le lui retirer. » Ce rai- sonnement ne parut pas toucher Cédique ni Miss Baily; quand elle eut ajouté : « Et maman se met- tra terriblement en colère à cause du foyer de mi- crobes que représente ce malheureux », mes deux cerbères cédèrent alors, mais je fus grondée tout le long du chemin. L'Albanais ne pouvait pas se calmer : jeter ainsi l'argent par la fenêtre, quelle pitié!

Voilà ce que je devais entendre à la place des trompettes de la renommée, lançant mon nom à travers le monde civilisé. Après avoir été traitée comme une simple d'esprit et une méchante en- fant par le cawass et l'institutrice, je devais encore entendre ma sœur, qui connaissait mes grandes ambitions me dire :

— Espèce d'idiote, parce que sur le quai de Sa- lonique tu donnes un mégidié au mendiant le plus sale de la ville, tu t'imagines que l'univers va tomber à genoux devant toi et t'adorer comme une déesse?

— Oui, répondis-je indignée, dans les livres d'histoire c'est comme cela, mais ici l'institutrice et le cawass ont tout embrouillé.

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Je ne perdis pas trop de temps en regrets; le métier de saint n'était pas pour moi. L'histoire m'offrait d'autres façons de conquérir la gloire, et je résolus aussitôt de remettre les Stuarts sur le trône d'Angleterre.

J'avais dressé des plans de bataille et élaboré de nombreux projets; quelle ne fut pas ma cons- ternation d'apprendre que la dynastie s'était éteinte avec « bonne Prince Charlie ». J'avais omis d'étu- dier l'Histoire d'Angleterre jusqu'au bout. Mon avenir sombrait dans un trou noir. Que faire de la vie s'il n'y a plus de Stuarts à remettre sur le trône de Grande-Bretagne?

Une de mes cousines alors plus versée que moi dans l'Histoire de France, touchée par mon désar- roi, me dit : « Il y a encore les Bourbons, dont tu pourrais t'occuper. »

Hélas! je ne connais pas le français, répondis-je, et je n'ai pas le temps de l'apprendre, c'est trop compliqué. J'avais, à cette époque, la même pitié méprisante pour les gens qui se donnaient la peine de s'initier aux mystères de l'orthographe et de la grammaire, que pour les hommes qui s'efforcent de gagner leur vie en allant tous les jours au bureau.

J'envisageais participes passés, verbes et adjec- tifs comme des obstacles, des embûches, inventés exprès par les institutrices pour encombrer mon grand cerveau d'un bagage superflu, qui entrave- rait le libre cours de mes pensées et le succès de ma brillante carrière.

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Ma cousine insista cependant : J'ai beau cher- cher dans mes souvenirs historiques, je ne vois pas autre chose pour toi, que la restauration des Bour- bons-Orléans sur le trône de France.

Après tout, elle pouvait avoir raison. Puisque je ne parvenais pas à maîtriser la langue française, étant très forte dans tous les sports, je résolus, pour l'heureuse exécution de ma grande tâche, de déve- lopper au plus haut degré mon courage physique.

Amazone intrépide, je sautais les obstacles sans étriers. Mon père n'ayant pas de fusils et deux de mes oncles, grands chasseurs, ayant refusé de me confier les leurs, j'empruntais en cachette les armes à feu du cawass; son fusil me donnait un recul terrible et me jetait presque par terre.

Un autre de mes sports préférés était, au cours de nos nombreux voyages à travers l'Europe, de descendre du train quand il s'ébranlait, et de sau- ter ensuite sur le marchepied.

A Nisch, en Serbie, gare où on ne voyait la nuit que soldats, officiers et tziganes et point de rubans jaunes pour la protection des jeunes filles, je faillis manquer le train; cela occasionna une émotion assez désagréable à tous les miens. Néanmoins je parvins à me raccrocher au dernier wagon, tandis que ma mère désespérée me croyait définitivement perdue parmi les mâles de Nisch.

Mais ce n'était pas suffisant.

Après le déjeuner de midi, quand la plupart des gens faisaient tranquillement la sieste, de sorte

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que j'étais bien sûre de ne pas être dérangée, je m'entraînais à marcher en équilibre sur le parapet du toit de notre villa, qui était assez haute.

Hélas! j'avais compté sans mes voisins et voi- sines surtout, qui prenaient le frais dans leur jar- din, au lieu de dormir derrière des volets clos.

Le premier moment de stupeur passé, ils ne purent supporter mes acrobaties sans éprouver palpitations de cœur et toutes sortes d'émotions.

Ma mère, M Allatini, la grande dame du pays, qui passait en outre pour une femme moderne, tenant à donner une éducation sportive à ses en- fants, nos voisins n'osaient lui dire : la promenade hygiénique de votre fille est peut-être un peu trop haut placée.

En Orient les hommes sont généralement in- telligents, travailleurs, extrêmement doués ; très équilibrés, ils sont la plupart du temps calmes, pondérés et mesurés dans leur langage; les femmes par contre, sont vives, nerveuses et comme vous vous en serez déjà rendu compte au cours de ce récit, leur imagination galope, fait facilement du cent à l'heure et prend très vite le mors aux dents.

Aussi une de ces dames fut incapable de sup- porter plus longtemps ce spectacle quotidien que je lui offrais gratuitement, parce qu'elle me voyait tombant du toit et gisant sur le sol, baignée dans une mare de sang.

Après de longues hésitations, n'osant toujours

Le Pont Charles.

Photo. Centropress.

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pas affronter ma mère, elle prit l'héroïque résolu- tion de faire part de ses terreurs à mes tantes.

Ma sœur, qui eut vent de la chose, m'annonça qu'une tempête épouvantable allait éclater sur ma tête innocente.

— Quand on s'entraîne à tous les héroïsmes, il ne faut pas commencer par avoir peur d'une gron- derie de sa maman, dis-je, du reste ma plaidoierie est prête, et j'expliquerai mes intentions sur la carrière que je pense suivre.

Néanmoins, je ne me sentais pas très courageuse.

Ma mère naturellement me fit une grande scène et je ne pus placer un mot; à la fin elle me de- manda : « Mais pourquoi commets-tu des folies pareilles? »

Devant cette question directe, je crus bon de lui dévoiler mes projets d'avenir et de lui énumé- rer l'enchaînement des causes et des effets, cette longue suite de circonstances fâcheuses, depuis l'extinction de la lignée des Stuarts jusqu'à ma difficulté à maîtriser la grammaire française, qui me poussaient inéluctablement à développer le côté courage physique de ma nature, afin de pou- voir jouer un rôle prépondérant dans la restaura- tion des Bourbons en France.

Ici encore, comme lors de ma folle générosité envers le mendiant, j'étais convaincue qu'à la nouvelle de mes grands projets, mes parents, non seulement me pardonneraient, mais seraient éblouis par mon génie, et très reconnaissants à leur fille

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qui allait ajouter au prestige, à la gloire de la famille.

Très sérieusement je commençai :

— Je pense que c'est utile...

Je voulais dire pour ma future carrière, mais je n'ai jamais pu terminer cette phrase.

A la place de la grande considération à laquelle je croyais avoir droit, ma mère, qui encore aujour- d'hui est une femme très vive, m'interrompit indi- gnée. Le mot utile paraissait avoir le don de la faire sursauter.

Au lieu d'écouter respectueusement jusqu'au bout une jeune personne qui se prépare à inscrire son nom dans l'Histoire, elle me fit l'affront su- prême :

— Si tu veux te rendre utile, tu n'as qu'à aller à la cuisine apprendre à faire des macaroni.

Mon père et mes oncles, qui étaient souvent pré- sents pendant ces drames de famille, interrom- paient les tirades de maman par mille plaisante- ries.

Quoique je leur fusse très reconnaissante pour cette intervention, je ne comprenais pas comment ces hommes qui passaient pour grands philan- thropes et gens fort sérieux en affaires, pouvaient prendre aussi légèrement ces épouvantables tra- gédies entre mère et fille.

Cette fois aussi mon père dit :

— Pourquoi tant gronder cette pauvre enfant?

— Mais que faire avec elle? Je lui demande

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pourquoi elle se promène sur le parapet de notre toit au risque de se casser tous les os et de nous briser le cœur, et elle répond « parce qu'elle trouve cela très utile ».

Là-dessus mon père s'adressant à ma mère pro- nonça cette phrase, employée par des générations de chefs de famille italiens qui, encore aujourd'hui, n'ont aucune espèce de considération pour les ten- dances ardemment féministes et super-modernes de leurs filles.

— Patience, quand toutes ces jeunes folles se marieront, le mari leur mettra du jugement dans la tête (giudizio nella testa).

Et l'institutrice d'ajouter pour moi seule : « Cui- sine, mariage? A lunatic asylum is the only place fit for you. (Un asile d'aliénés est le seul endroit qui vous convient.)

Depuis, j'ai dû promettre bien souvent, à ma mère, de ne pas me casser la tête en galopant à tombeau ouvert à travers la campagne, et, plus tard, à mon mari, de ne pas finir comme les grands martyrs de l'Histoire.

J'ai raconté ces anecdotes parce que, si autrefois je plaignais mon père et les braves gens qu'il aidait, tous ces messieurs croyant nécessaire pour réussir dans la vie, d'aller régulièrement au bureau, au- jourd'hui je plains de tout mon cœur ces jeunes gens qui se figurent qu'en levant le bras pour un certain salut, en portant les insignes d'une société secrète, ils ont déjà fait carrière et sauvé la patrie;

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et partant, ils se voient revêtus, je ne dirai pas de la pourpre des Césars, mais de la chemise de cou- leur de quelque dictateur.

Comme écrivit Frédéric le Grand dans ses Mé- moires :

« Tant de jeunes princes s'imaginent que pour gagner une bataille, il suffit de galoper à la tête des troupes; ils ne savent pas, ces malheureux, com- bien de travail, d'émotions de toutes sortes, de nuits sans sommeil, m'a coûté chaque feuille de mes lauriers. »

Je me souviens de deux jeunes gens, novices dans les affaires, un Grec et un Autrichien, ils avaient, tout comme moi lorsque j'étais enfant, une certaine pitié méprisante pour la façon de tra- vailler de mon père et de mon mari. Ayant dès le début de leur carrière dans les affaires, gagné une grosse fortune pendant les années de prospérité, ils éprouvaient une grande commisération pour ceux qui se rendent régulièrement à leur usine, à leur banque, et y passent toute la journée.

— M. Allatini, M. Quittner, disaient-ils, aujour- d'hui ce n'est plus nécessaire de travailler, de bûcher comme autrefois; quelques heures passées au bureau de temps en temps, un coup d'œil par-ci par-là, suffisent.

Savez-vous comment ils ont fini ces brillants jeunes gens? Ayant considéré comme superflu de surveiller quotidiennement leurs vastes entre- drises, lors de la crise, ils furent complètement

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ruinés. Acculés au désespoir, eux et leurs femmes se sont suicidés.

Jadis je croyais aussi comme Mrs Carlyle alors jeune fille :

« Ce soir, je me mettrai à mon bureau, j'écrirai un chef-d'œuvre, et demain je me réveillerai célèbre. »

Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris la phrase profonde de Baudelaire :

« L'inspiration c'est le travail de tous les jours. » Heureusement, il y a une Providence pour les femmes, qui n'existe pas toujours pour les hom- mes : c'est à l'âge de nos plus grandes folies que nous gagnons nos galons de capitaine, notre mé- tier n'étant pas exclusivement un travail de tête.

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CHAPITRE II

PRAGUE ET LE DYNAMISME DE LA JEUNESSE (suite)

P

OUR les jeunes gens qui se laissent emporter par leurs rêves, il y a un moment difficile à passer.

Comme je l'ai dit dans un de mes l' Exemple anglo-saxon, la grande tragédie de la jeunesse masculine provient, comme pour moi enfant, de ce que sur les bancs de l'école, tout lui paraît facile.

Ah! comme ces petits adolescents allaient vite dépasser leurs aînés!

Mais quand sonne l'heure d'entrer dans l'arène, pour prouver au monde ce qu'ils peuvent faire, ils s'aperçoivent soudain de l'abîme qui sépare leurs rêves de gloire de la réalité, et de la pauvreté de leurs moyens d'exécution, comparés à leurs aspirations grandioses, à leurs ambitions sans bornes.

C'est à ce moment-là, avant d'avoir appris à

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canaliser les forces tumultueuses de la jeunesse vers un but utile, qu'ils pensent au suicide, à la guerre ou au chambardement général.

Dans la plupart des états modernes, au lieu de laisser ces forces jeunes, ce dynamisme (qui au fond, chez les garçons, n'est que mécontentement de leur situation actuelle) s'égarer dans des illu- sions dangereuses, suivies de ces conséquences inévitables et désastreuses : désespoir, pensées de suicide ou de meurtre, chambardement général, partout on a commencé à suivre avec des variations plus ou moins heureuses, l'exemple que nous offre la Tchécoslovaquie de 1918 à 1938 : donner un costume aux jeunes gens et, grâce à des marches, à des chansons, à des exercices en commun, canaliser leur dynamisme vers un but utile à la patrie.

On dit l'habit ne fait pas le moine, mais rap- pelez-vous bien qu'il fait souvent le bon pa- triote.

Le prince Antonio de Galati e di Spuches, duc de Caccomo, chevalier d'honneur de la reine d'Italie, grand seigneur sicilien, me disait que pendant les années d'après-guerre, lorsque les communistes le menaçaient il s'était barricadé dans son palais à Palerme, prêt à tirer sur le premier qui l'attaque- rait. Comme Palerme n'est pas une ville immense, il connaissait de vue la plupart des gavroches et voyous qui l'insultaient.

Après l'avènement du nouveau régime, il vit les mêmes communistes en chemise noire, fusil sur

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l'épaule, défiler devant lui dans un ordre parfait, criant : « Vive le Roi! Vive la discipline! Vive la patrie! »

Il y a quelques jours, j'appris qu'une dame alle- mande ayant dû quitter sa patrie après avoir vendu ses biens à perte, disait comme le Prince de Galati : le nouveau régime a su gagner à sa cause une foule de jeunes communistes rien qu'en leur remettant un uniforme; pantalons courts, che- mise de couleur, insignes et fusil.

Il est certain que les petits, les jeunes, les pau- vres, tous ceux qui n'ont pas su se créer encore une brillante situation dans la vie, aiment à sen- tir ceci : grâce à l'uniforme nous formons un avec notre belle patrie, elle nous soutient comme nous aussi la soutenons. Ce sentiment est, de plus, très sain. Vous pouvez imaginer la joie des enfants dans les petits villages perdus, quand le dimanche ils revêtent leur uniforme et paradent devant leurs parents. Quelle reconnaissance ils éprouvent alors pour le chef de l'État; et ils grandissent dans ce sentiment.

La duchesse de la Rochefoucauld, dans un de ses discours, a dit que la France aussi devrait suivre cet exemple, ce qui est très juste. Mais dans les pays latins et même ailleurs, est-ce que les hom- mes ont jamais écouté les femmes, quand elles parlent le langage de la sagesse et de la froide rai- son?

Avant la guerre de 1914 c'est l'Angleterre qui

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avait le plus de sollicitude pour les ratés et les mé- contents :

« Vous ne voulez pas travailler jeunes gens, cela vous ennuie de rester assis dans un bureau, allez donc aux colonies, « go and rough it out in the colonies ». Là-bas vos forces généreuses mais dan- gereuses aussi seront utiles à la patrie. Alors que l'ancien empire des Habsbourg n'offrait aucun emploi aux adolescents mécontents, qui aspiraient à s'élever dans la vie en servant la patrie. Ce man- que de sympathie, de compréhension pour la jeu- nesse agitée est souvent le signe précurseur de la ruine et de la défaite. Ceux qui ont su conquérir les hautes situations dans la vie, doivent toujours se rappeler ce vers de Victor Hugo : Ayez pitié de la sombre jeunesse.

Oui, autrement son dynamisme, comme j'ai déjà dit, fruit du mécontentement, risque de tout bou- leverser.

Aujourd'hui l'Angleterre, ayant compris que, de 1918 à 1938, les Tchèques la dépassèrent dans leur manière de donner satisfaction aux petits, aux jeunes et aux pauvres, est en train d'élargir et de perfectionner l'organisation des boy-scouts.

Pendant ces vingt ans, l'institution des Sokols demeure dans l'Histoire comme une des meilleures du monde et mérite de servir de modèle aux autres pays d'Europe.

A part la très grande satisfaction morale et phy- sique qu'elle donne aux petits, aux jeunes et aux

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ACHEVÉ D ' I M P R I M E R LE 1 3 MAI 1 9 3 8 PAR L ' I M P R I M E R I E FLOCH A M A Y E N N E (FRANCE)

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