L. Gétaz L. Loutan
N. Mezger
introductionLes tiques sont des acariens hématophages, réparties en deux familles principales (figures 1A et B). Les Ixodidae possèdent des zones de tégument chitinisé et sont appelées «tiques dures» (L 600 espèces). Les Agarasidae, qui ne possèdent pas de sclérification, sont nommées «tiques molles» (environ 180 espèces). Chaque espèce de tiques possède une répartition géographique et un habitat qui lui est propre. Seules certai nes transmettent à l’homme des germes pathogènes, virus, bacté- ries ou parasites, actuellement au nombre d’une trentaine.1 En raison des changements environnementaux tel le réchauf- fement climatique, les zones à risques de contamination des maladies transmises par les tiques changent et s’étendent. La constante et progressive ascension des «zones à tiques» en Suisse, passant de 1200 à 1400 mètres d’altitude et l’évolution en Suède de la répartition de l’encéphalite à tiques en témoignent.2 Plusieurs maladies transmises par les tiques se manifestent par un tableau clinique non spécifique, pseudo-grippal. Certaines présentations peuvent être sévères.
Comme plusieurs de ces pathologies répon dent à des traitements spécifiques, il est primordial d’évoquer ces diagnostics.
étatfébrile après piqûredetiquesen suisse
Une étude, conduite dans le nord-est de la Suisse, a investigué les causes d’états fébriles après piqûre de tiques. Elle a démontré que les pathologies transmises par ces acariens ne se cantonnent pas uniquement à la maladie de Lyme et à l’encéphalite à tiques, mises en évidence chez respectivement 25 et 11% des patients. L’ehrlichiose (10%) et une rickettsiose (Rickettsia helvetica 11%) ont été aussi diagnostiquées, et 8% des patients souffraient d’une co-infection.
Cinquante pour cent des fièvres sont restées inexpliquées, ce qui suggère que la liste des agents pathogènes transmis est encore loin d’être close.3
De façon générale, la figure 2 résume quelques exemples de bactéries, virus et parasites transmis par diverses espèces de tiques, en soulignant que des pa- thologies non infectieuses causées par des piqûres de tiques sont aussi décrites, telles que des intoxications à neurotoxines et des allergies à la salive.
Diseases transmitted by ticks locally and abroad
This article provides a brief overview of some diseases transmitted by ticks. These vectors do not transmit only Lyme disease and tick- borne-encephalitis, even in Switzerland. Se- veral tick-borne diseases cause nonspecific flu-like symptoms. Nevertheless sometimes severe, some of these diseases can be treated with specific treatments. Repellents, appro- priate clothes impregnated with permethrine and prompt removal of the tick are effective preventive measures to limit the risk of infec- tion. There is an effective vaccine which pro- tects against tick-borne encephalitis.
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 974-6
Cet article propose un bref aperçu de quelques maladies transmises par des tiques, pathologies qui ne se cantonnent pas qu’à la maladie de Lyme et à l’encéphalite à tiques, même en Suisse. Souvent ces maladies se manifestent par un tableau clinique pseudo-grippal non spécifique. Néanmoins parfois sévères, plusieurs de ces maladies répondent à des traitements spécifiques. L’application de répulsif, des habits adaptés im- prégnés et le retrait rapide des tiques sont des mesures pré- ventives efficaces pour limiter le risque d’infection. Il existe un vaccin protégeant très efficacement contre l’encéphalite à tiques.
Maladies transmises par des tiques d’ici et d’ailleurs
mise au point
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9 mai 2012 Dr Laurent GétazService de médecine de premier recours
Dr Nathalie Mezger Pr Louis Loutan
Service de médecine internationale et humanitaire
Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences HUG, 1211 Genève 14 laurent.getaz@hcuge.ch
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quelquesexemplesdemaladiestransmisespar lestiqueschez levoyageur
Fièvre récurrente à tiques
La fièvre récurrente à tiques est une pathologie cosmo- polite causée par une bactérie du genre Borrelia. Elle est transmise par des tiques molles (Ornithodoros). De par le monde, au moins quinze espèces distinctes de ces Borrelia induisent des maladies fébriles aux caractéristiques clini- ques assez proches. Des accès fébriles de quelques jours sont entrecoupés par trois à sept jours sans fièvre (maximum vingt rechutes). Thrombophlébites, méningo-encéphalites et hépatites sont les complications de cette maladie dont la mortalité avoisine les 2 à 5%. Ces cycles sont dus à la va- riabilité antigénique marquée de cette bactérie qui lui permet d’échapper en début de chaque recrudescence aux défenses immunitaires. Dans le pourtour méditerranéen et en Afrique du Nord, Borrelia hispanica est responsable d’une forme généralement peu sévère. En Afrique du Nord et dans les pays du Sahel, Borrelia crocidurae provoque une maladie souvent bénigne, mais avec des complications neurologiques et oculaires occasionnelles.4 Borrelia duttoni, endémique dans de nombreux pays d’Afrique subsaha-
rienne, entraîne plus souvent des symptômes sévères.
Le diagnostic repose sur la mise en évidence de bacté- ries spirillées qu’il est parfois possible d’identifier au mi- croscope sur des gouttes épaisses ou des frottis sanguins (figure 3). Cet examen hématologique manque de sensibi- lité et seuls quelques laboratoires spécialisés dans le monde disposent de techniques de biologie moléculaire permet- tant de confirmer ce germe. Un traitement empirique de doxycycline (100 mg 2 x/jour pendant 5 à 10 jours) devrait donc être proposé au patient potentiellement exposé en région endémique qui présente une fièvre récurrente, ou en cas de signes de gravité sans diagnostic alternatif.
Rickettsioses
Les rickettsies sont de très petites bactéries intracellu- laires dont la majorité sont associées à des tiques qui leur servent de vecteur. Parmi les seize rickettsioses connues actuellement, plusieurs sont considérées comme des «ma- ladies émergentes» et potentiellement mortelles.1 Elles se multiplient fréquemment à leur point d’inoculation provo- quant la création d’escarre. Leur tropisme pour les cellules endothéliales explique l’apparition de vascularites, de thromboses, l’apparition de purpura autour des lésions ca- pillaires, et aussi des atteintes viscérales.
La fièvre boutonneuse méditerranéenne, endémique non seulement sur le pourtour méditerranéen mais aussi dans une grande partie de l’Asie et de l’Afrique, est discutée dans l’article du Dr Gilles Eperon dans ce numéro de la Revue Médicale Suisse.
La fièvre à tiques africaine (Rickettsia africae) affecte régu- lièrement des voyageurs durant ou au retour de safari.5 Elle est caractérisée par des escarres noirâtres (figure 4) sou- vent multiples des membres inférieurs et s’accompagne de fièvres, céphalées et myalgies. Souvent, les personnes infectées ne se souviennent pas avoir été piquées par une tique, étant donné que les minuscules larves ou nymphes Figure 2. Exemples de maladies transmises par les
tiques
Toxines
• Paralysies à tiques
• Allergie
Protozoaires
• Babésiose Virus
• Méningo-encéphalite à tiques
• Fièvre hémorragique de Crimée-Congo Bactéries
Spirochètes
• Maladie de Lyme
• Fièvres récurrentes à tiques Rickettsioses
• Fièvre boutonneuse méditerranéenne
• Fièvre pourprée des montagnes rocheuses
• Ehrlichiose
• Tularémie
Figure 3. Borrelia sp sur un frottis sanguin (Coloration de May-Grünwald/Giemsa).
Figure 4. Escarre dans un contexte d’infection par Rickettsia africae
Figure 1. Tiques
A. Tique dure (Ixodes ricinus) (Source Wikimedia Commons/CC BY WWalas).
B. Tique molle (Ornithodoros)
(Source Wikipedia/photographie CDC/William L. Nicholson).
A B
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de ces tiques dures (Amblyomma) ont la capacité d’inoculer le germe, et que la durée du repas est généralement assez brève. Un traitement de doxycycline 100 mg 2 x/jour pen- dant sept jours permet une guérison rapide.
Rickettsia slovaca est responsable de la «TIck-BOrne Lym- phAdenitis» (TIBOLA). Elle est transmise par des tiques dures du genre Dermacentor. C’est l’une des principales ri- ckettsioses en Europe, décrite dans la Péninsule ibérique, en France, en Italie, en Allemagne, en Autriche et dans plu- sieurs pays d’Europe de l’Est. Elle ne doit pas être oubliée en Suisse, ces tiques infectées y ayant été observées.6 L’association d’une escarre d’inoculation au cuir chevelu, d’adénopathies cervicales et parfois d’état fébrile doit sys- tématiquement faire évoquer ce diagnostic. Cette maladie est bénigne mais peut s’accompagner de séquelles dont une alopécie résiduelle au site de piqûre ou une asthénie persistante. La doxycycline est le traitement de choix.6
Fièvre hémorragique de Crimée-Congo
Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, et bien qu’elle ait d’abord été repérée en Turquie, c’est l’une des maladies transmises par les tiques les plus répandues dans le monde, de l’Afrique subsaharienne à l’Asie, en pas- sant par l‘Europe de l’Est, les Balkans et le Moyen-Orient.
Cette pathologie virale, transmise par des tiques dures du genre Hyalomma, provoque principalement des céphalées, de la fièvre, des myalgies, une hépatite et des manifesta- tions hémorragiques parfois sévères. Sa mortalité est éle- vée (10-50%). Un diagnostic précoce est souhaitable, un traitement de ribavirine, bien que controversé, ayant dé- montré quelques succès.7
mesurespréventives
Plusieurs mesures préventives peuvent être envisagées afin de limiter le risque de développer certaines infections liées aux tiques.
La seule maladie transmise par les tiques pour laquelle nous disposons d’un vaccin est l’encéphalite à tiques, en soulignant que l’immunité induite est excellente.
Pour éviter les piqûres, des études récentes ont dé- montré que l’application sur la peau de répulsif (DEET en- viron 30%) diminue le risque de transmission d’environ 20%, le port d’habits adaptés longs et fermés d’environ 40%, et lorsque ces habits sont en plus imprégnés avec de la per- méthrine, le risque est diminué de 93%.8,9
Lorsqu’une tique est découverte sur la peau, il faut la
retirer «au plus vite». Plus le temps de fixation de la tique est long, plus le risque de transmission de la maladie de Lyme croît.10 Dès lors, après des expositions potentielles dans la nature, une révision minutieuse de l’ensemble de la peau est préconisée pour permettre un éventuel retrait précoce. Pour ce faire, un simple fil de coton suffit. Il faut alors serrer un nœud sur la tique au plus près de la peau, puis la retirer dans l’axe pour ne pas la disloquer. Lorsqu’on utilise une pince à épiler, il faut saisir la tique au plus près de ses pièces buccales, et la tirer sans la tordre. Ceci per- met d’éviter de comprimer son corps, ce qui pourrait pro- voquer une injection de salive infectée. L’emploi d’un ma- tériel adapté (par exemple : crochet tire-tic) augmente la probabilité du retrait total de la tique, mais n’est pas indis- pensable. Si la tique se déchire, la persistance des pièces buccales dans la peau peut entraîner une réaction locale.
Cependant, plus aucune transmission de pathogène n’est alors à craindre.1
conclusion
Les tiques sont vectrices de plusieurs maladies. En cas d’infection, le patient n’a pas toujours souvenir de la pi- qûre, étant donné d’une part que certaines espèces de tiques se nourrissent durant un bref instant, et d’autre part que les larves et nymphes, qui sont de très petite taille, ont la capacité d’inoculer des germes. Une connaissance des manifestations cliniques et des régions endémiques de ces maladies peut permettre la prescription précoce d’un traitement adéquat. Il sera parfois prescrit de manière empirique, le diagnostic de confirmation étant parfois dif- ficilement accessible ou retardé.
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9 mai 2012Implications pratiques
Les maladies transmises par les tiques ne se cantonnent pas à la maladie de Lyme et à l’encéphalite à tiques, même dans nos contrées. Les tiques peuvent inoculer d’autres virus, bac- téries et aussi des parasites
Bien souvent les personnes ne se rappellent pas d’avoir été piquées par une tique
Le diagnostic de confirmation de certaines maladies trans- mises par les tiques est parfois difficile, néanmoins la présen- tation clinique et les facteurs d’exposition peuvent permet- tre la prescription précoce de médicaments efficaces
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1 ** George JC. Maladies liées à la morsure des tiques en France. www.maladies-a-tiques.com/
2 Lundkvist A, Wallensten A, Vene S, Hjertqvist M.
Tick-borne encephalitis increasing in Sweden, 2011.
Euro Surveill 2011;16:1981.
3 * Baumann D, Pusterla N, Péter O, et al. Fever after a tick bite : Clinical manifestations and diagnosis of acute tick bite-associated infections in northeastern Switzerland. Dtsch Med Wochenschr 2003;128:1042-7.
4 Rebaudet S, Parola P. Epidemiology of relapsing fe- ver borreliosis in Europe. FEMS Immunol Med Micro- biol 2006;48:11-5.
5 Jensenius M, Fournier PE, Kelly P, Myrvang B, Raoult D. African tick bite fever. Lancet Infect Dis 2003;3:557-64.
6 Parola P, Rovery C, Rolain JM, et al. Rickettsia slo- vaca and R. raoultii in tick-borne Rickettsioses. Emerg Infect Dis 2009;15:1105-8.
7 Keshtkar-Jahromi M, Kuhn JH, Christova I, et al.
Crimean-Congo hemorrhagic fever : Current and future prospects of vaccines and therapies. Antiviral Res 2011;
90:85-92.
8 * Vázquez M, Muehlenbein C, Cartter M, et al. Effec- tiveness of personal protective measures to prevent
Lyme disease. Emerg Infect Dis 2008;14:210-6.
9 * Vaughn MF, Meshnick SR. Pilot study assessing the effectiveness of long-lasting permethrin-impregnated clothing for the prevention of tick bites. Vector Borne Zoonotic Dis 2011;11:869-75.
10 Sood SK, Salzman MB, Johnson BJ, et al. Duration of tick attachment as a predictor of the risk of Lyme disease in an area in which Lyme disease is endemic. J Infect Dis 1997;175:996-9.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
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