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Dix mille euros pour ne pas honorer sa femme

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78 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 11 janvier 2012

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Dix mille euros pour ne pas honorer sa femme

Jusqu’où les hommes laisseront-ils leur jus- tice aller ? Comment ne pas observer au- jourd’hui que cette même justice se pique de plus en plus fréquemment de médecine ; ne serait-ce que par la fonction thérapeutique que, tacitement, on assigne à cette aveugle.

Hier encore, il ne s’agissait pour elle que de dire le droit ; aujourd’hui, il importe que le trébuchet penche de manière à aider les vic- times à faire leur deuil. Il est d’autres évolu- tions, moins fondamentales mais également signifiantes du pouvoir que peuvent s’oc- troyer les magistrats. Ainsi en France, cet arrêt remarqué de la cour d’appel d’Aix-en-Pro- vence. Cet arrêt a été rendu en mai 2011 mais on vient seulement de le publier. Il traite de sexualité, de divorce et – l’un allant rarement sans l’autre – d’argent. Résumons l’affaire.

En pratique, cette cour d’appel confirme un jugement rendu en septembre 2010 par le tribunal de grande instance de Nice ; il prononçait alors le divorce aux torts exclu- sifs du mari. Le couple avait deux enfants majeurs mais à la charge de leurs parents.

Ces deux enfants avaient exprimé le souhait d’être domiciliés chez leur père. On peut ici passer sur les différents petits aspects maté-

riels de la situation et de ses conséquences.

Ajoutons que, dans sa grande sagesse, le code civil prévoit tout. Ainsi l’article 1382 créé par la loi du 2 février 1804, promulguée le 19 février de la même année : «Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute du- quel il est arrivé à le réparer». C’est sur le fondement de cet article que Mme Elisabeth B. avait obtenu du premier

juge des dommages et inté- rêts à hauteur de 10 000 eu- ros et ce «pour absence de relations sexuel les pendant plusieurs années». «Jean G.

con teste l’absence de rela- tions sexuelles, considérant qu’elles se sont simplement espacées au fil du temps en raison de ses problèmes de santé et d’une fatigue chro- nique générée par ses ho-

raires de travail» soulignent en appel les magistrats de la cité du Roi René.

Et ces magistrats d’ajouter : «Il ressort toutefois des éléments de la cause que la quasi-absence de relations sexuelles pendant

plusieurs années, certes avec des reprises ponctuelles, a contribué à la dégradation des rapports entre époux.» Où est passé le se- mainier ? On aurait aimé en savoir plus sur le plusieurs années, étant entendu par ailleurs que le couple était marié depuis vingt ans.

On appréciera toutefois ici comme il se doit le toutefois, la quasi-absence, les reprises ponc- tuelles sans parler de la dégradation des rap- ports. «Il s’avère, en effet, que les attentes de l’épouse étaient légitimes dans la mesure où les rapports sexuels entre époux sont no- tamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement, tandis qu’ils s’ins- crivent dans la continuité des devoirs dé- coulant du mariage».

Et enfin le couperet de la cour d’appel : «Il s’avère enfin que Jean G. ne justifie pas de problèmes de santé le mettant dans l’inca- pacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse. Il y a donc lieu de confir- en marge

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 11 janvier 2012 79 mer la décision du premier juge de ce chef.»

Soit 10 000 euros pour n’avoir pas rempli les devoirs du mariage, une forme par défaut, en creux, de harcèlement sexuel. Ainsi donc, en France et dans le cadre d’une procédure de divorce, un époux peut (sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle) obtenir de son conjoint réparation de son préjudice d’abstinence ; abstinence non pas voulue mais contrainte. Mieux, il faudrait paradoxale- ment voir là un préjudice moral, étranger à celui résultant de la rupture du lien conjugal.

Depuis peu l’affaire commence à passion- ner les juristes (sinon les sexologues) de l’Hexagone. «Le droit offre de temps à autre des gourmandises dont raffolent la commu- nauté des juristes et autres amateurs de prose jurisprudentielle. Ainsi en est-il depuis quel- ques jours d’un arrêt rendu par la cour d’ap- pel d’Aix-en-Provence qui a condamné un homme à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son ex-épouse au motif qu’il ne l’honorait plus sexuellement depuis plu- sieurs années, écrivait ainsi il y a quelques jours notre consœur Pascale Robert-Diard dans les colonnes du Monde. La publication récente de cet arrêt suscite des commentaires passionnés dans le petit monde des juristes émérites. Ainsi de Me Emmanuelle Pierroux qui, dans la Gazette du Palais, ironise sur ce nouveau commandement : "En mariage, une sexualité active tu auras donc, sinon ton conjoint victime, abstinent forcé par ta faute, tu indemniseras !" Au moment où l’absti-

nence sexuelle est célébrée en librairie, re- lève l’avocate, voilà que des juges décrètent

"pas de sexe, plus de mariage !". "Cette thèse est choquante tant le devoir conjugal n’im- plique pas nécessairement l’existence d’une sexualité active entre époux".» L’avocate ne cite pas, semble-t-il, ses sources bibliogra- phiques.

Certains hommes de robe vont plus loin.

Comme l’ancien avocat général, Philippe Bilger, qui a consacré à l’affaire un billet titré

«L’amour au rabais» sur son blog (www.

philippebilger.com). Lui s’indigne du faible montant des dommages et intérêts accordés à l’ancienne épouse. «Qui osera courir le risque de l’exhibition, devant des magistrats, d’une existence privée du meilleur pour une si médiocre réparation ?» demande-t-il. Et il poursuit : «Cette abstention durablement sup portée nous enseigne que, si l’égalité des sexes est loin d’être assurée, au moins cer- taines femmes sont prêtes à engager des ac- tions qui hier auraient été inconcevables.

Venir se plaindre d’une carence renouvelée concernant la relation amoureuse manifeste à quel point les temps ont changé et com- ment on ose judiciairement protester devant le manque qu’un mari négligent, trop peu réactif ou infidèle, vous impose. Pour quel-

ques-uns, comme l’écrivait le poète, la chair est vraiment triste ou ne l’est que chez soi.

(…) Hypothèse ultime, les conseillers au- raient-ils pu oublier l’exaltation intime au point de ne quantifier qu’un amour au ra- bais ?»

Comment savoir ? Comment savoir si cet homme qui allègue des problèmes de fatigue et de santé mais n’en apporte pas la preuve était véritablement en état de remplir ce que les lois (et peut-être même le sacrement) du mariage hissent au rang des devoirs ? Où si-

tuer le curseur de la légitimité des attentes des épouses ? Qu’entend la justice fran- çaise par l’expression de l’af- fection mutuelle ? Et puis que la réponse aux atten tes féminines sem ble ne pouvoir prendre ici d’autres formes que monétaires, le sordide étant ce qu’il sait être, osons cette question terminale : à combien de relations sexuelles manquantes corres- pondent, précisément, ces 10 000 euros ver- sés par l’ex-époux au titre des domma ges agrémentés de leurs intérêts ?

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

… à combien de relations sexuelles manquantes correspondent, précisément, ces 10 000 euros versés par l’ex-époux ? …

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