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La tête et la main

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1890 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 octobre 2014

actualité, info

Actualités du prélèvement de greffon hépatique sur donneur vivant

L’affaire avait durablement impressionné dans le monde de la transplantation. C’était il y a sept ans, en France. Un homme de 48 ans, ayant fait don d’un lobe hépatique à l’hôpital Beaujon (Assistance-Publique Hô- pitaux de Paris) en vue d’une greffe pour son frère malade, était décédé à l’hôpital Bichat où il avait été transféré. Ce décès faisait suite à des complications médicales survenues deux mois après le prélèvement.

«Le prélèvement et la greffe s’étaient dérou- lés dans de bonnes conditions et les suites immédiates des deux interventions chez le donneur et le receveur étaient satisfaisantes jusqu’à ce que surviennent plusieurs com- plications médicales associant notamment une phlébite, une embolie pulmonaire et une insuffisance rénale aiguë qui ont con duit au décès du donneur» avait par la suite expli- qué l’Agence française de la biomédecine.

Cette Agence rappelait alors que treize

décès de donneurs vivants de foie avaient été recensés dans le monde pour un total de 6000 prélèvements de lobes hépatiques. En France, sur 415 greffes hépatiques réalisées depuis 1994 à partir de donneur vivant, on ne comptait jusqu’alors qu’un décès de donneur survenu en octobre 2000. Ici les principales causes de décès connues sont l’embolie pulmonaire, les infections graves et les complications de l’anesthésie. Depuis une dizaine d’années, le nombre des prélè- vements sur donneur vivant a, en France, notablement baissé passant d’une cinquan- taine par an au début des années 2000 à moins de vingt à compter de 2007.

C’est dans ce contexte qu’une communi- cation faite dans le cadre de l’Académie française de chirurgie fournit de nouvelles données techniques – des données de nature à renouveler la problématique du donneur hépatique vivant adulte. Cette communica-

tion est signée du Pr Daniel Cherqui (Centre hépato-biliaire, hôpital Paul-Brousse, Ville- juif ; Inserm Unité 785).1

«La transplantation hépatique à donneur vivant (THDV) a débuté à la fin des années 80 par le prélèvement de lobes hépatiques gauches, destinés à des receveurs pédia- triques, rappelle le Pr Cherqui. Cependant, la principale pénurie d’organes touche la population des receveurs adultes et les chi- rurgiens se sont rapidement intéressés au don vivant dans cette situation. Les receveurs adultes ont toutefois besoin de greffons de plus grande taille (classiquement 1% de leur poids corporel) ce qui représente une inter- vention plus importante pour le donneur.»

Il ajoute que bien que les premières tenta- tives aient consisté dans le prélèvement du foie gauche dans les années 90, le prélève- ment du foie droit (représentant 60 à 70%

de la masse hépatique) s’est rapidement dé- veloppé – et ce de façon majoritaire en Asie où l’utilisation de donneurs en état de mort encéphalique a été longtemps illégale (et reste aujourd’hui très limitée). Ces techni- ques ont également été utilisées à une plus faible échelle dans les pays occidentaux, en raison de la pénurie d’organes croissante de avancée thérapeutique

La tête et la main

«Quand il y a dissociation de la tête et de la main, il en résulte un affaiblissement mental» (1, p.74) Le goût du travail bien fait semble inscrit pro­

fondément dans la nature humaine, depuis la nuit des temps et sous de nombreuses lati­

tudes, si l’on en croit Richard Sennett, pro­

fesseur de sociologie à Londres et New York, qui a consacré un de ses ouvrages à la culture de l’artisanat.1

Mais Richard Sennett montre comment l’obsession moderne de la mesure de la qua­

lité a un effet paradoxalement destructeur sur ce goût humain de la bienfacture.

Les systèmes «Qualité» ont envahi, après l’industrie, les professions sociales et des soins. Comme il n’est guère possible de tout y traduire en chiffres, on exige que chaque acte soit consigné par écrit, dans le but théo­

rique de pouvoir vérifier si les processus pré­

définis ont bien été respectés. Cette obses­

sion de la transcription explique pourquoi les infirmières et les médecins assistants pas­

sent clairement plus de temps devant un écran qu’auprès d’un patient.

L’histoire suivante, qui s’est déroulée cet été, montre où nous conduit ce genre d’obsession : Jocelyne, une de mes patientes, qui souffre d’un discret handicap de langage, séjourne quelque part en Suisse pour des vacances.

Elle est victime d’une entorse de la cheville droite et consulte le service des urgences de l’hôpital régional. Elle y reçoit les premiers soins, ainsi qu’un rendez­vous pour un con­

trôle à une semaine, à l’hôpital de jour où se tient une consultation d’orthopédie. L’assis­

tant et la cheffe de clinique de cette consulta­

tion posent l’indication à une immobilisation plâtrée.

Jocelyne est alors redirigée vers les ur­

gences, où se trouvent la salle de plâtre et les infirmiers plâtriers. On installe Jocelyne et l’infirmier entreprend de lui confectionner une botte plâtrée… sur la jambe gauche ! Joce­

lyne, stupéfaite, tente alors de faire com­

prendre au plâtrier que la cheville blessée est la droite. Comme il ne réagit pas, elle pro­

teste un peu plus énergiquement. L’infirmier se tourne vers son écran d’ordinateur puis répond, avec assurance : «Non, non, Madame,

c’est bien la jambe gauche que je dois vous plâtrer».

Jocelyne commence à se fâcher et exige de voir un médecin. On appelle alors l’as­

sistant des urgences, qui ne connaît rien à l’histoire de Jocelyne. Ce dernier procède, lui aussi, à une vérification des ordres transmis sur l’ordinateur, puis explique à Jocelyne :

«Madame, mon collègue a raison, c’est bien la jambe gauche qu’il doit plâtrer».

Lorsque le mari de Jocelyne vient chercher son épouse, il la trouve avec une botte plâ­

trée… à gauche ! Jocelyne lui explique ce qui s’est passé. Le mari se fâche tout rouge et annonce qu’ils ne quitteront pas l’hôpital avant d’avoir vu le médecin­chef. Une longue attente commence. Le médecin­chef d’ortho­

pédie arrive enfin. Il semble plus diplomate et carte blanche

Dr François Pilet Chemin d’Outé 3 1896 Vouvry

francoispilet@vouvry­med.ch

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 octobre 2014 1891

1 Cherqui D, Sanchez Cabu S, Sa Cunha A,et al. (Centre hépato­biliaire, Villejuif) «Petit greffon et petite incision dans la transplantation hépatique à donneur vivant chez l’adulte : Transfert du risque du donneur vers le receveur».

donneurs décédés.

Pour le Pr Cherqui, la sécurité du donneur est, bien évidemment, la priorité. Malgré la capacité unique du foie à régénérer, la mor- bidité du prélèvement hépatique sur don- neur vivant se situe autour de 20% (mortalité de 0,1 à 0,5% rapportée). Les rares décès sont survenus essentiellement après le pré- lèvement du foie droit. Ces éléments ont conduit à un déclin de la greffe à donneur vivant adulte aux Etats-Unis et en Europe.

L’aggravation de la pénurie d’organes pour- rait cependant entraîner un regain d’intérêt dans ces pays.

En pratique, l’hépatectomie sur donneur vivant nécessite une longue incision sous- costale droite, plus ou moins étendue à gauche, qui participe à la morbidité de l’in- tervention. «Au cours des vingt dernières années, la chirurgie mini-invasive a été dé- veloppée dans tous les domaines de la chi- rurgie abdominale et le prélèvement rénal sur donneur vivant par voie laparoscopique est devenu le standard. Certains chirurgiens ont exploré cette voie pour le prélèvement hépatique sur donneur vivant, explique le Pr Cherqui. Nous avons réalisé le premier prélèvement hépatique laparoscopique pour

transplantation pédiatrique à Paris, en 2001.

L’intervention consiste à prélever le lobe gauche (segments 2 et 3) chez de jeunes parents en bonne santé par voie laparosco- pique pure et avec extraction du greffon par voie sus-pubienne. Nous avons rapporté les deux premiers cas en 2002 puis une série de seize cas en 2006 et l’expérience française regroupe actuellement soixante-dix cas. A ce jour, la procédure reste limitée à quelques centres, Villejuif, Paris, Séoul et New York.

Aucun décès n’a heureusement été rapporté, la morbidité des donneurs a été minime et les greffons ainsi prélevés ont donné des ré- sultats équivalents à ceux obtenus par voie ouverte.»

Le chef du centre hépato-biliaire de l’hô- pital Paul-Brousse explique que dans le cas de la greffe adulte, la situation est très dif- férente du fait de la plus grande masse pa- renchymateuse qui rend plus difficile le pré- lèvement par voie laparoscopique. En 2006, l’équipe de la Northwestern University de Chi cago a rapporté l’utilisation d’une mé- thode hybride de prélèvement de foie droit pour l’adulte. «Elle consistait en une mobili- sation hépatique cœlioscopique, suivie d’une courte incision médiane pour l’hépatectomie proprement dite» précise-t-il. Cette techni que a également été utilisée, entre autres, à Morio- ka au Japon, à Columbia University de New York et plus récemment dans le centre de Villejuif. Elle est applicable au prélèvement du foie gauche ou du foie droit. «Il n’est pas possible de connaître le nombre exact d’inter- ventions réalisées, par manque de données publiées, mais on peut estimer ce chiffre à environ 200. Il y a eu un décès possible aux

Etats-Unis en 2010, souligne le spécialiste français. D’autres auteurs ont également poursuivi la méthode totalement laparo- scopique pour l’adulte.»

Parallèlement, dans un effort de réduc- tion du risque chez le donneur, la règle du rapport poids du greffon/poids du receveur a été remise en question et des succès ont été obtenus pour des rapports aussi bas que 0,6% chez des receveurs sélectionnés avec peu ou pas d’hypertension portale.

«De février 2013 à septembre 2014, onze prélèvements hépatiques sur donneur vivant, destinés à un receveur adulte, ont été réalisés à l’hôpital Paul-Brousse par une méthode hybride : mobilisation du foie et dissection pédiculaire par voie cœlioscopique, suivie de l’hépatectomie proprement dite par une incision médiane sus-ombilicale de 14 à 16 cm, résume le Pr Cherqui. Neuf d’entre eux ont consisté dans le prélèvement du foie gauche accompagné de la veine hépatique médiane». Il ajoute que la morbidité chez les donneurs a été de 10%, comportant unique- ment des complications de grade I ou II.

Aucun donneur n’a été transfusé et aucun cas d’insuffisance hépatique observé. La durée d’hospitalisation médiane a été de six jours. Tous les donneurs ont eu un scanner avant leur sortie et aucune réhospitalisation n’est intervenue. Chez les receveurs, le rap- port moyen poids du greffon/poids du pa- tient était de 0,74% (0,48-0,9%) et la survie a été de 100%. Deux retransplantations ont été pratiquées.

«L’utilisation des techniques mini-invasi- ves pour le prélèvement de greffons hépa- tiques sur donneur vivant reste limitée à quelques centres hautement spécialisés, con- clut le Pr Cherqui. L’approche totalement laparoscopique pourrait devenir le standard pour la greffe pédiatrique de lobes gauches.

Pour l’adulte, l’abord hybride ainsi que l’uti- lisation de greffons gauches sont des voies prometteuses. L’avenir de la transplantation hépatique à donneur vivant pourrait être dans la réduction de la taille du greffon et la réduction de la taille de l’incision pour ré- duire la morbidité du donneur : "Petit Gref- fon – Petite Incision". Ceci nécessite une haute technicité chirurgicale et une grande expérience du centre dans la prise en charge médico-chirurgicale des receveurs.»

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

demande au couple ce qui se passe, écoute attentivement le récit, demande à Jocelyne d’ôter son pantalon et sa chaussette droite…

et constate le gros hématome sous­malléo­

laire externe. Il adresse ses excuses au couple et donne l’ordre de réparer l’erreur.

Qu’on me comprenne bien : si je relate cette histoire tristement véridique, ce n’est pas pour blâmer l’erreur. Ecrire sur un rapport «gauche»

au lieu de «droite» est vite arrivé ; mes dos­

siers pourraient en témoigner. Mais qu’on puisse faire davantage confiance à l’ordre écrit sur l’écran qu’au récit de la patiente, au point de ne pas examiner l’autre cheville, m’inquiète profondément.

On peut bien sûr blâmer le plâtrier, mais dans un système qui privilégie la validation écrite jusqu’à l’obsession, et qui mesure la qualité en vérifiant des processus, on aurait tort de projeter sur lui seul la responsabilité de cette grotesque méprise.

Je me demande parfois si la bouche et les oreilles vont progressivement s’atrophier, au cours des générations, au profit des doigts et des yeux, habilement posés sur des écrans.

Que se passera­t­il le jour où même les médecins­chefs n’auront pas connu la cul­

ture orale ?

1 Sennett R. Ce que sait la main. Paris : Albin Michel, 2010.

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