Auto-organisation, émergence, et universalité:
le cas du mouvement collectif
Hugues Chaté
Service de Physique de l’Etat Condensé
CEA - Saclay
Étourneaux dans le ciel de Rome…
Pour commencer, élargissons le propos…
D’abord quelques mots sur l’émergence, l’universalité, les modèles
Dans un deuxième temps, l’approche
moderne du mouvement collectif
Émergence:
quelques remarques liminaires
éviter de gloser sur le « pourquoi », se concentrer d’abord sur la difficulté réelle, le « comment »
l’émergence est surtout un vocable chargé en biologie
(sélection naturelle, vitalisme déguisé, voire créationnisme)
projet: démonter le spectaculaire, montrer qu’il n’y a rien d’inexplicable, que même le tout le plus surprenant peut se comprendre à partir de ses parties
ce programme est difficile. Il est tentant, sans une culture et une intuition de physique statistique moderne, de se
« laisser aller à l’émerveillement »
Émergence
le programme traditionnel de la physique statistique:
passage entre 2 niveaux (micro→macro)
mais aujourd’hui, pas seulement de la matière à l’équilibre: les molécules sont devenues des
« agents » (grains de sable, moteurs moléculaires,
cellules, animaux, humains, robots… écono-physique, socio-physique… et bien sûr biologie)
dans ce cadre moderne, les objets élémentaires et/ou les interactions sont hors-équilibre et non-linéaires:
c’est pour ça que le tout n’est pas juste la somme de ses parties
Émergence
le « comment » de l’émergence, c’est donc le passage micro→macro en présence de non-linéarités et de fluctuations
exemple: des oscillateurs non-linéaires
simples couplés globalement
Emergence de chaos collectif
dynamique
individuelle non- chaotique (un simple cercle,
toujours le meme)
avec couplage:
chaos local et global
Universalité
émergence, mais aussi universalité:
la diversité du réel micro se traduit souvent par une simple variation de paramètres au niveau macro de théories effectives
exemple: les équations de Navier-Stokes
en ce sens, ce qui émerge, c’est l’universel, et
c’est ça qui intéresse le physicien (statisticien)
Modèles minimaux
pour comprendre l’universel qui émerge, pas de
souci de fidélité à telle ou telle situation réelle, mais intérêt pour la minimalité:
plus le microscopique est simple, mieux on est à même de comprendre l’universel qui en émerge
► construction de modèles minimaux, qu’on ne peut priver d’aucun de leurs ingrédients sans changer qualitativement le macro qui en émerge
Un automate cellulaire spectaculaire
automate à 2 états, 0 ou 1, sur réseau 3D cubique, règle appliquée en parallèle à tous les sites:
si, au temps t, somme sur 6 plus proches voisins et moi-même vaut 0 ou 5, alors je prends la valeur 1 au temps t+1
σ(t+1) = 1 iff Σ σ(t) = 0 ou 5
i j~i j
Résultats
Règle chaotique localement, mais
oscillations continues globalement
Une dynamique oscillante continue émerge d’un
discret chaotique
Relié à synchronisation, croissance d’interfaces, loi d’échelles universelles
Mouvement collectif à toutes les échelles… Propriétés universelles?
Retour au mouvement collectif
■coût/bénéfice pour l’individu
■coût/bénéfice pour l ’espèce
■taille optimale, stratégie optimale
■échelles de temps et d’espace
■universalité, asymptotique
■ingrédients minimaux
■modélisation, pas simulation
Non pas:
Mais plutôt:
Le point de vue du physicien
Et vous l’aurez compris, une démarche de théoricien
Stratégie de modélisation:
minimalité et conditions les plus défavorables
bruit / fluctuations / chaos fort
interactions strictement locales, inspirées de celles entre particules classiques
NB: pertinence pour animaux?
pas de leader, pas de bords, pas de champ extérieur
alignement attraction-répulsion
Alignement contre bruit:
le modèle de Vicsek (1995)
Dans l’esprit de la recherche des propriétés universelles dans les modèles minimaux, on néglige tout, ou presque!
Particules ponctuelles à vitesse de module constant
Alignement avec orientation des voisins
Bruit en compétition avec alignement
Transition vers mouvement collectif, en diminuant l’intensité du bruit, ou en augmentant la densité de particules
Quelques résultats de portée (probablement) universelle
mise en mouvement collectif: transition de phase discontinue
sans cohésion:
mouvement collectif en bandes
Quelques résultats de portée (probablement) universelle
toujours sans cohésion:
marche vers l’ordre:
croissance de structures avec longueur de
corrélation
proportionnelle au temps
Dans la phase de mouvement collectif homogène:
Fluctuations « géantes » de densité et superdiffusion
Quelques résultats de portée
(probablement) universelle
La théorie de Toner & Tu (1995)
Pour les techniciens dans la salle: croisement entre
Navier-Stokes et Landau-Ginzburg, plus de termes que N-S car moins de symétries (pas conservation de
l’impulsion)
Décrit bien, au niveau continu, la phénoménologie du modèle de Vicsek
retour à la réalité…
Pour 2 raisons principales:
Le réel est rarement minimal!
Les expériences contrôlées sont rares
Animaux: interactions inconnues, peu ou pas de contrôle
Bactéries, cellules: grands nombres, peu de contrôle, possibilité d’interactions « supplémentaires »
En dehors du vivant: particule granulaires vibrées,
colloïdes « actifs », composants subcellulaires purifiés
La confrontation au réel est difficile
« Motility assay »: auto-organisation des composants élémentaires de l’architecture des cellules
Synchronisation faible de la nage de bactéries
Modélisables fidèlement par des modèles à la Vicsek
Et maintenant 2 exemples particulièrement
spectaculaires
Microtubules ou filaments d’actine
Moteurs moléculaires: protéines « consommant » de l’ATP pour effectuer un mouvement
Phénoménologie du modèle de Vicsek observée récemment
« motility assay »
25nm
10-20m
plus end
L’auto-organisation au travail…
500 µm
Zoom sur un coin de vortex
Structures entièrement dynamiques, formées de microtubules en
mouvement dans les 2 sens
Centaines de millions d’objets en mouvement sur des échelles bien plus grandes que leur taille
Bactéries E. coli standard
Inoculation dans boite de Petri, conditions de croissance optimales
Après 10-20h, couche de liquide grouillant de bactéries de 5-10 μm d’épaisseur
En microscopie standard: structures relativement petites, « turbulence »
Agar (hydrogel) Air
~ 5 μm
Colonie ultra-dense de bactéries
Bactéries E. coli standard
Inoculation dans boite de Petri, conditions de croissance optimales
Après 10-20h, couche de liquide grouillant de bactéries de 5-10 μm d’épaisseur
En microscopie standard: structures relativement petites, « turbulence »
Agar (hydrogel) Air
~ 5 μm
Colonie ultra-dense de bactéries
Avec des goutelettes d’huile flottant sous la surface…
Colonie ultra-dense de bactéries
Champ de vitesse des bactéries
Moyenne spatiale de la vitesse oscille comme les gouttelettes
Trajectoires individuelles complètement dominées par la stochasticité
Comme pour l’automate cellulaire, émergence d’oscillations globales
Mouvement collectif de centaines de millions de cellules ayant des trajectoires erratiques
Résumé, mots de la fin
Émergence et auto-organisation partout…
Pas étonnant car tout est en interaction, non-linéaire, et hors équilibre (physique des non-éléphants)
A priori, pas d’émergence irréductible, c’est le programme de la physique statistique
Ce qui sauve le physicien: l’universalité, les modèles minimaux
Le mouvement collectif fait aujourd’hui partie de ce qu’on appelle la physique de la matière active (matière composée d’éléments moteurs)
Cette « matière active » est à la croisée des chemins de la
biologie, du comportement animal, de la science des (nouveaux) matériaux, de l’informatique/robotique distribuée
Mouvement collectif sans chef, Matière active
Emergent collective motion: no leader, no guiding field/geometry
Spontaneous symmetry breaking
Here only physicist’s viewpoint:
‘how?’, not ‘why?’
Now part of active matter
physics: when energy is spent locally to produce directed
motion
constant-speed, smooth reptation motion of
isolated microtubules
Almost perfectly nematic collisions between pairs of microtubules
Two simple experimental facts
a φ
φ
0 s 0.33 s 0.66 s 1.00 s 1.33 s
1
2
1
2
0 s 0.33 s 0.66 s 1.00 s 1.33 s
1 2
1 2
b
φ
0 s 0.33 s 0.66 s 1.00 s 1.33 s
1 2
1 2
c
d
0 20 40 60 80 100
0 π/2 π
φ (rad)
probability (%)
π/4 3π/4 0
20 40 60 80
number of obs.
0 π/2 π
φ (rad)
π/4 3π/4
e