Service de la Recherche Biologique
La propagation de salmonidés non-endémiques dans les tributaires du cours inférieur
et du golfe St-Laurent
par
Grégoire Ouellet
Yvon Côté
Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche Québec, Canada
Mai 1977
Introduction
On signale de plus en plus souvent des captures de poissons sportifs exotiques au Québec. D'une part, les aires de distribution de ces poissons qui ont été introduits dans nos eaux depuis plusieurs années s'étendent et le nombre des individus augmente; d'autre part, les pê- cheurs sont de plus en plus enclins à vérifier l'identification des poissons qu'ils capturent, conséquence de l'information additionnelle mise à leur disposition via le Ministère et les média.
Le présent texte traitera plus particulièrement de la pré- sence des salmonidés non-endémiques dans les tributaires du cours inférieur du Golfe St-Laurent et nous tenterons d'évaluer les inci- dences de la présence de deux espèces de truites i.e. la truite brune, Salmo trutta et la truite arc-en-ciel Salmo gairdneri sur deux de nos salmonidés indigènes, l'omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) et le saumon atlantique (Salmo salar).
Mentions de capture
Au début des années '70 les biologistes du Ministère du Tourisme de la Chasse et de la Pêche ont commencé à recevoir des spécimens de truites brunes et arc-en-ciel: le 19 juin 1972, un pêcheur capturait une truite brune dans la rivière Restigouche (Baie-des-Chaleurs); le 4 août de l'année suivante, le biologiste
John Gibson attrapait une truite arc-en-ciel dans la rivière
Matamek; deux ans plus tard, (14 juin 1975) une truite brune était prise dans la rivière Grande Cascapédia; une autre brune a été sortie
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de la rivière Momorency (aux pieds des chutes) le ler août 1976; enfin le 24 août de la même année un pêcheur sportif ferrait deux arc-en- ciel dans la rivière Jupiter (ile d'Anticosti).
Toutes ces captures ont fait l'objet d'une identification par des personnes compétentes.
A première vue, ces prises peuvent sembler trop peu nom- breuses pour justifier des inquiétudes; toutefois, il faut se rappeler que plusieurs spécimens de truite arc-en-ciel ou brune ont pu passer inaperçus chez certains pêcheurs ou que ceux-ci n'ont pas jugé utile de les signaler.
On s'aperçoit également que les mentions de capture couvrent un grand territoire et que donc aucune région du cours inférieur du fleuve n'échappe aux extensions d'aire de ces poissons venus d'ailleurs.
Il est à remarquer que les spécimens capturés avaient séjourné en eau salée et entreprenaient une migration en vue de frayer.
Dangers de compétition
L'omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) et le saumon atlantique (Salmo salar) sont les deux poissons d'intérêt sportif qui caractérisent le mieux la faune ichtienne de l'Est du Québec; d'autre part, ce sont deux espèces très recherchées et appréciées des pê- cheurs sportifs.
Ces deux espèces peuvent cohabiter sans trop se nuire, le saumon étant plus agressif que l'omble qui occupe les niches écologiques laissées libres par l'autre.
Tant en Europe qu'aux Etats-Unis, où des populations de truites brunes et arc-en-ciel sont déjà établies depuis nombre d'années, les
études ont montré que la truite brune est plus agressive que le saumon (Lindroth 1955; Kalleberg 1958; Le Cren 1965) et qu'elle va même
jusqu'à le déloger (Fenderson 1954). Cette compétition se fait aussi bien au niveau des frayères et des zones d'alevinage qu'au stade tacon et truitelle.
Les alevins de truite brune émergent plus rapidement du gravier que ceux du saumon ce qui leur permet de supplanter les jeunes saumons tout au long du cycle biologique. Si la truite brune déplace le saumon à plus forte raison déplace-t-elle l'omble de fontaine.
La littérature traitant des interrelations omble de fontaine truite arc-en-ciel est moins fournie. Si elle peut nuire plus ou moins à l'omble de fontaine, elle a donc peu de chance de gêner le saumon atlantique du moins là où il est bien implanté et là où l'environne- ment lui est favorable. Il y aurait compétition lors de la fraie et de la recherche de nourriture si la truite arc-en-ciel se retrouvait en bon nombre.
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Le potentiel de récolte constitue un autre aspect très important de la question en effet, selon Fenderson (1954) la truite brune est un poisson très difficile à ferrer; seuls les pêcheurs les plus adroits réussissent parfois à en capturer quelques-unes;
l'auteur conclut à l'inutilité et même à la nuisance de cette espèce dans un plan d'eau exploité sportivement.
Quant à la truite arc-en-ciel, autant sa croissance est rapide en eau chaude, autant elle affiche une faible performance en eau froide: le spécimen capturé à Anticosti, âge de 5 ans (3 en
eau salée et 2 en eau douce), mesurant 16 pouces alors que d'après Scott et Crossman 1974 p. 203, il aurait dû mesurer entre 23 et 32 pouces.
Enfin, il est bien connu que l'omble de fontaine supporte mal, d'une part, toute la pollution et d'autre part, la compétition avec d'autres espèces plus agressives. Déjà des problèmes de pollution affecte certaines populations d'ombles et de saumons; l'introduction d'espèces compétitrices amplifierait les risques de perturbations de ces populations.
D'ailleurs l'attitude des autres contrées doit nous aider à établir une règlementation adéquate. En effet, l'état du Maine, entre autres, considère, la truite brune comme indésirable et plus généralement nuisible. De plus 1'American Fishery Society s'est prononcé, il y a peu de temps contre l'introduction d'espèces exotiques dans les cours d'eau fréquentés par le saumon atlantique.
Conclusion
Bien sûr ces quelques mentions de truites brune et arc- en-ciel ne mettent pas pour l'instant, l'existence de la mouchetée et du saumon en péril mais si l'on songe que ces quelques captures
d'espèces exotiques ne sont vraisemblablement le résultat que d'ense- mencements sporadiques ou d'accidents, il est facile d'imaginer les effets d'ensemencements à grande échelle.
Jusqu'à ce que des travaux scientifiques rigoureux arrivent à infirmer nos arguments, 'introduction de ces espèces exotiques
devraient être interdite.
