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Le théâtre à l aube de la théorie classique

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Academic year: 2022

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Khnata Lahrichi

Université Ibn Toufaïl - Kénitra

L’idée du «classicisme» ou de la doctrine classique a été introduite en France par les auteurs italiens du XVIème siècle. En effet, l’Italie, à cette époque, connaissait une activité littéraire intense où éditions et traités théoriques de La Poétique d’Aristote préoccupaient un nombre assez large d’érudits. Leur influence était de taille sur l’esprit d’un théoricien français, Chapelain dont le rôle dans l’établissement de la doctrine classique en France est des plus considérables. D’Aubignac, également, célèbre critique français, participe à cette élaboration et justifie le classicisme par la nécessité de l’ordre inhérent à l’intelligence humaine, d’autant plus que toutes les règles de l’art poétique convergent vers le goût de l’ordre et de la convenance.

Ainsi, la littérature antique demeure la source essentielle des érudits du XVIIème siècle, que cela soit en France, en Italie ou en Espagne. Les historiens s’accordent à dire que le culte des anciens, faisant l’éloge de la raison, est devenu celui des auteurs de l’époque.

Mais il faudrait, avant de définir les principes classiques étrangers et français, noter rapidement le rôle de l’imitation des anciens instaurée par Ronsard qui fut justement critiqué par la génération de Boileau, lui reprochant son imitation servile des anciens et son lyrisme ; et les réformes poétiques et linguistiques de Malherbe, qui, à l’aube du XVIème siècle recherchait la rigueur et la discipline, qualités fondamentales pour les classiques.

L’Espagne et l’Italie, à tour de rôle, marquent l’activité de la littérature française. Mais il est à signaler que les auteurs espagnols ont été, eux aussi, influencés par l’Italie.

Sur quoi se fonde le « classicisme étranger » ? Chez les espagnols, le classicisme reste plutôt une

théorie qu’un asservissement aveugle aux règles dans leurs œuvres théâtrales ; ainsi la littérature espagnole est romantique, plus « baroque » que régulière, dans le sens où l’entendent les Italiens.

D’où sa faible influence sur la France.

Par contre, l’Italie, prônant le culte d’Aristote, est l’instigatrice de la formation de la doctrine classique en France. Aux environs de 1550, un groupe de théoriciens italiens instaurent l’orthodoxie aristotélicienne : l’imitation de la nature, la vraisemblance, le bon sens, le goût de l’ordre et des règles doivent être les principales préoccupations d’un poète.

En effet, l’art du XVIIème siècle, le théâtre en particulier est fondé sur l’imitation des anciens et le rejet des valeurs médiévales, d’où l’idée d’une continuité dans la création littéraire : héritage et renouveau sont le credo de toute production littéraire.

Dans toute élaboration d’une théorie les avis et les idées diffèrent et convergent : le «leitmotiv»

des théoriciens français est le bon sens. Ce qu’ils demandent, Chapelain entre autres, dans sa fameuse Lettre des vingt-quatre heures, et l’abbé d’Aubignac dans la Pratique du théâtre, c’est avant tout de respecter la vraisemblance du poème dramatique : « En un mot, la vraisemblable, s’il faut ainsi dire, est l’essence du poème dramatique et sans laquelle il ne peut rien faire ni dire de raisonnable sur la scène. » (1)

De plus l’Abbé d’Aubignac, qui marque bien la différence des genres, réserve à la comédie la mise en scène des bourgeois dans les villes. Il définit explicitement l’unité de temps, séparant le temps de la représentation et la durée de l’action dramatique qui «devrait être renfermée dans un temps court et limité, suivant la règle d’Aristote.»(2)

S’agissant de l’action, il en impose une seule ayant la qualité d’être continue. Le choix du jour où le poète enferme ses intrigues, de l’ouverture de l’histoire (le plus près possible de la catastrophe), le bon enchaînement des épisodes, sont les principaux points qu’il énumère pour ne faire

Le théâtre à l’aube

de la théorie classique

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de la représentation et de l’action qu’une même réalité.

Chapelain, partant de la même source, c’est-à-dire La Poétique d’Aristote, fonde essentiellement les règles sur le bon sens : «il en est le véritable artisan.» (3). C’est un fervent défenseur des doctes et il ne conçoit un poème dramatique que dans l’ordre, avançant que même si une pièce plaît alors qu’elle est irrégulière, c’est qu’elle renferme des régularités sous-jacentes.

Corneille maintient l’efficacité des règles, mais non pas le culte d’Aristote ; en quelque sorte, il rejoint à la fois Chapelain et Molière : chose apparemment contradictoire, son but est de plaire au public tout en prônant « qu’une pièce qui plaît en dehors des règles, n’atteint pas le but de l’art.»

(4). L’établissement des règles classiques impose la distinction des genres ; la comédie a besoin d’incidents vifs et imprévus, à la différence de la tragédie ou de la tragi-comédie dont les sujets et les personnages nobles ne permettaient pas un mouvement dramatique alerte. Autrement dit, la comédie se prêtait plus à se plier aux règles des trois unités que la tragédie.

En fait, tous les théoriciens s’accordent à imposer les règles, aussi bien à la tragédie qu’à la comédie ; ils exigent des deux genres cinq actes, la vraisemblance, une action unique, un temps limité à une journée ; le lieu est réduit à un seul décor : un carrefour ou une place publique pour les comédies, un palais pour les pièces tragiques.

L’élaboration de ses règles permet à l’œuvre théâtrale d’épouser l’esthétique de la clarté recherchée par les classiques. A parcourir les ouvrages pré classiques, notamment, la comédie, mais plus particulièrement la tragi-comédie, n’obéissaient à « aucune loi » : les situations confuses, la longue durée des évènements représentés sur scène, les personnages en forme de types, la multiplication des lieux, tout cela faisait l’objet de la représentation théâtrale du XVIème siècle et du début du XVIIème siècle. L’exemple de Hardy est frappant dans sa pièce La Force du sang écrite en 1625.

Pour rester dans le cadre de la théorie, une question se pose : comment les théoriciens et les critiques définissent la règle des trois unités ; en l’occurrence, l’unité d’action, l’unité de temps et l’unité de lieu ?

Deux célèbres vers de Boileau définissent judicieusement le triple précepte classique :

«Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.»

L’origine des règles est connue, le point de départ est Aristote, la théorie est réétudiée par l’abbé d’Aubignac et par Chapelain ; la première mise en scène est prise en charge par Mairet dans sa Silvanire (en 1631), première pièce régulière, qui sera suivie par Corneille.

A vrai dire, la règle des trois unités s’est imposée au théâtre, non seulement par souci de vraisemblance, mais aussi pour répondre à une certaine esthétique dite « classique » (par opposition au goût baroque). En fait sa mise en application se détermine plus par un goût de l’ordre et l’imitation de la nature que par le respect d’une doctrine : une action unifiée entrant dans la cadre des vingt-quatre heures et occupant un seul lieu, ainsi est conçue la triple unité classique. Cette définition assez sommaire englobe les trois unités dans un même moule. Mais, selon les théoriciens, l’unité d’action apparaît avant celles de temps et de lieu. C’est, néanmoins son application, l’essence de son existence qui conduisit de façon logique à l’emploi des deux autres.

Quel est le principe de l’action dramatique selon les théoriciens ?

Corneille donne une définition assez précise de l’action de la comédie : « l’unité d’action consiste dans la comédie en l’unité d’intrigue ou obstacles aux desseins des principaux personnages… . » (5) A quoi peut renvoyer le terme d’intrigue ? En fait, nœud ou intrigue désigne l’ensemble des incidents

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d’une pièce. Ce que veulent les théoriciens, c’est maintenir une action principale alimentée par différents épisodes dont l’agencement devrait nécessairement aboutir au dénouement, et donc amener l’action principale à son terme.

Les péripéties interviennent pour animer le mouvement dramatique de l’action.

Dans le registre comique, l’unité d’action est subordonnée à l’unité d’intérêt. Cette dernière sert à mettre en relief un caractère ; à l’opposé du mécanisme de l’action (début, milieu, fin), l’unité d’intérêt est, par contre, vivante, et réside dans le ressort de l’activité humaine.

Ainsi, la définition de l’unité d’action n’a jamais été précisée (du moins pour la comédie) ; les théoriciens ont souvent rattaché à cette unité - bien qu’ils aient fixé ces qualités (continuité, unicité) qui lui sont propres - une multitude d’unités accessoires, telles l’unité de ton, l’unité d’intérêt et l’unité d’intrigue qui lui sont corollaires. De plus, concernant la comédie, la théorie classique reste assez éloignée de la réalité des représentations théâtrales de l’époque.

Les unités de temps et de lieu dépendent plus étroitement l’une de l’autre. C’est la règle des vingt-quatre heures qui fut d’abord imposée par les érudits au nom de la vraisemblance. Elle consiste à limiter le temps de l’action au point qu’elle entre sans difficulté dans le cadre d’une journée. Cette unité a pour but de contraindre les auteurs à ne mettre en scène que les incidents qui peuvent servir l’action et son dénouement.

Mais pour condenser les évènements dans un laps de temps aussi réduit, l’intervalle des actes et des scènes, l’exposition qui devrait s’ouvrir au moment où la «crise» (pour employer un terme aristotélicien) est à sa dernière phase, aideront le dramaturge à respecter les vingt-quatre heures.

Parallèlement à cette unité, et pour rester dans la vraisemblance, les érudits de l’époque proposent également une unité de lieu ; ainsi, le lieu est fonction du temps et les personnages ne peuvent se déplacer que dans l’espace dont le parcours

n’excède pas la durée fixée par les théoriciens.

Pour ne pas entraver les bienséances, le lieu ne peut représenter que ce qui peut-être perçu par l’œil du spectateur.

La comédie, en fait, n’avait pas de problème au niveau de la représentation : un carrefour, une place publique permettaient aux différents personnages de se rencontrer. Cependant l’unité de lieu peut-être envisagée de plusieurs façons : le lieu composite, le décor simultané, la pluralité des lieux ; les classiques se sont mis d’accord sur un lieu unique, avec un changement possible mais qui ne gênerait en aucune manière, ni la vraisemblance, ni les unités de temps et d’action.

Le rôle du lieu dans le théâtre pré-classique était ignoré à cause du caractère narratif plus que scénique de certaines formes théâtrales.

Qu’en est-il de l’application de ces règles précédemment définies ?

Entre élaborer une théorie et la mettre en pratique, la marge est énorme. La preuve est que Chapelain, qui en fut le théoricien le plus tenace, avait écrit une épopée irrégulière.

Comment expliquer la transition de la théorie à la pratique ? Dans toute formation d’une doctrine, l’établissement des règles précède leur mise en application, et de cette dernière naissent les polémiques.

En France au début du XVIIème siècle, la tragi- comédie est reine, la farce subsiste, la comédie est remise à la mode après une longue absence sur les scènes françaises. D’après Jacques Scherrer, l’histoire de la dramaturgie classique française se divise en trois périodes : une période archaïque (de 1600 à 1630) caractérisée par des pièces à plusieurs actions ; une période pré-classique (de 1630 à 1650) définie par un prestige de la forme théâtrale , essor dû à l’appui de Richelieu qui a voulu encourager la production française ; enfin l’époque classique (de 1648 à la fin du XVIIème siècle) essentiellement marquée par le goût du public qui tend vers les pièces bien construites.

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Le théâtre français présentait des formes diverses et variées, des genres appelés mineurs et d’autres majeurs. La farce entrait dans le genre dit mineur.

En effet, la farce française du début du XVIIème siècle est très archaïque. C’est un genre des plus anciens et des plus populaires. Elle a été de tout temps considérée comme n’appartenant pas aux grands genres. La mise en scène et les accessoires sont réduits à peu de choses. Le mouvement de la farce n’était rythmé ni par des scènes ni par des actes, quelques brèves pauses interrompaient le cours de l’action ; celle-ci n’occupait qu’un seul lieu. Le temps de la représentation pouvait se confondre avec la durée de l’action. Le sujet de la pièce était tiré de la réalité contemporaine. La farce avait la forme d’un sketch rudimentaire; à la fin du XVIème siècle et au début du XVIIème siècle, la farce connaît son apogée, ce regain «farcesque»

s’explique par le manque de culture d’un public qui attachait peu d’importance aux règles et à l’imitation des anciens.

La comédie, par contre, pouvait s’inscrire dans le genre théâtral majeur (quoique plus employé pour désigner la tragédie). La comédie fut rétablie par Rotrou (1630), Corneille (1629) et Mairet (1630).

Les principes de Mairet concernant la comédie figurent dans la préface de La Silvanire : « le sujet de la comédie doit-être composé d’une matière toute feinte, et toutefois vraisemblable (…). La comédie, à son entrée, est suspendue, turbulente en son milieu, c’est là que se font toutes les tromperies et les intrigues, et joyeuse en son issue.

» (6). Il énumère, également, les principales parties de la comédie, insistant sur l’unité d’action et celle de temps (à la différence de la tragédie, le sujet de la comédie n’est pas simple mais composé).

En fait, les auteurs français de l’époque ont peu innové (du moins dans la comédie), comme leurs modèles italiens et antiques, ils ont centré leurs préoccupations dramatiques sur les effets de l’intrigue et non pas sur le respect de la triple unité. Ainsi, la Mélite de Corneille (1633) ne respecte nullement les vingt-quatre heures, mais

les bienséances sont prises en considération.

De même, dans L’Illusion comique, Corneille cumule trois actions auxquelles sont associées trois lieux différents, œuvre faite d’un mélange de « baroque et de classicisme »(7). Que ce soit Rotrou, Scudéry, Mairet ou Corneille, et selon les sources auxquelles ils font appel, les auteurs transgressent ou respectent la règle des trois unités, voire la rigoureuse théorie imposée par les érudits de l’époque.

La farce n’a pas besoin du respect des règles ; la comédie-ballet, genre mixte, se voit contrainte d’ignorer les règles ou de s’en accommoder, si besoin est ; la comédie héroïque use des procédés dramaturgiques espagnols, procédés qui ne respectaient pas rigoureusement les règles.

Ceci explique probablement les limites de la théorie classique, elle fut élaborée pour le grand genre, c’est-à-dire la tragédie et l’épopée ; la comédie ne « se pliera » aux règles que plus tard, mais également, cette même comédie traitée, sous divers aspects, ne pouvait mettre en pratique les règles prônées par les théoriciens.

Le XVIIème siècle s’est distingué par la quête de la vraisemblance. Néanmoins, nul auteur n’a pu, de façon catégorique, établir la part de vraisemblance d’une œuvre dramatique. En effet cette notion est étroitement liée à la culture du public. L’idée de vraisemblance reste obscure, mais pertinente à étudier en fonction des sujets et des personnages mis en scène. C’est en partant de ce concept que peuvent se comprendre les conjonctions et les restrictions entre le réel et l’illusion théâtrale.

Ainsi, serait-il judicieux de dire que les érudits du XVIIème siècle attachaient plus d’importance et de considération au fond qu’à la forme d’une œuvre théâtrale, ou d’une quelconque production littéraire de leur époque ?

Et dans quelle mesure, la distanciation esthétique entre le représenté et l’écrit, le dire et le sous- entendu, la beauté artistique d’une œuvre et ses limites est-elle admise au temps du triomphe de l’ordre et de la raison?

Fallait-il attendre l’un des plus éminents

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dramaturges de la 2ème moitié du XVIIème siècle, Racine dont le théâtre et plus précisément la tragédie a permis au classicisme d’atteindre son apogée et d’acquérir, par là, ses lettres de noblesse?

La lecture et l’analyse de ses œuvres théâtrales, les sujets, les personnages, le traitement de la

dramaturgie classique dans ses pièces révèlent d’une parfaite adhésion aux principes classiques.

Néanmoins, Racine a toujours refusé de « s’enliser dans les discussions théoriques ». Par ailleurs, il n’a jamais considéré les règles comme une contrainte, des éléments rigides mais sa technique a merveilleusement servi l’idée du classicisme.

NOTES

(1) L’abbé d’Aubignac, Pratique du théâtre, L.II, chap. II, p.92.

(2) Ib., L. I, chap. VII, p.151.

(3) Bray René, La formation de la doctrine classique, p.113.

(4) Ib., p.109.

(5) Ib., p.247.

(6) La Pléïade : Le théâtre du XVIIème siècle, pp.482-483.

(7) Lebègue René, Etudes sur le théâtre français, t.II, p.24.

N.B : Corneille, Hardy, Mairet, Racine, Rotrou, Scudéry: dramaturges français du XVIIème siècle

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