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Qu'est-ce que la géographie humanimale?

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01659338

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Submitted on 8 Dec 2017

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Jean Estebanez

To cite this version:

Jean Estebanez. Qu’est-ce que la géographie humanimale? . 2017. �hal-01659338�

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1 Historien et Géographes, 2017, 439, Territoires humains – Mondes animaux

Qu’est-ce que la géographie humanimale ? (p. 49-51)

Jean Estebanez

Maitre de conférences, Université Paris Est-Créteil

Qu’est-ce que la géographie humanimale ?

Dans un contexte où la question animale est devenue un enjeu éthique important, autour du droit des animaux, de leur mise à mort, du véganisme, mais aussi une question de politiques publiques et de débat en sciences sociales, l’objet de ce court article est de se demander ce qu’apporte l’expression de géographie humanimale (Estebanez, Gouabault, Michalon, 2013) par rapport à celle de géographie des animaux ou de géographie animale.

La géographie humaniale, qui s’articule avec d’autres approches, propose de mettre en valeur une géographie partagée, c’est-à-dire de mettre l’accent sur la relation.

Il ne s’agit en effet pas de s’intéresser aux animaux, en tant que tels – ce que prend par exemple en charge une branche de la biologie des animaux- mais bien ce en quoi nous nous partageons un monde commun. Ce n’est donc pas tant la vie des abeilles, des loups ou des chiens qui nous intéresse, en tant que telle, que ce qui se noue entre nous et eux. Il n’est, pour autant, bien entendu pas question d’ignorer les espèces dont on parle ou les riches travaux en éthologie, en primatologie ou en écologie, qui informent ce que la relation peut être et le sens qu’on peut lui donner, le champ du vivant –et ce qu’on a coutume d’appeler la nature- étant profondément socialisés.

L’hypothèse forte, désormais largement théorisée et documentée (Haraway, 2008 ; Shepard, 1996), et qui rend la question particulièrement intéressante, est que nous sommes, en tant qu’humains, transformés par notre vie commune avec les animaux, tout comme les animaux sont transformés par leur vie avec nous : nous avons un devenir en commun. En somme, l’idée est que nous serions d’autres humains, si nous n’avions jamais côtoyé d’animaux. L’histoire millénaire de la domestication, des animaux sauvages utilisés à des fins spectaculaires par les puissants, et celle, un peu plus récente, des animaux de compagnie, nous renvoie à cette dimension essentielle du compagnonnage. Etre avec des animaux nous a, par exemple, amenés à développer des compétences de communication non verbales –fort utiles avec les jeunes enfants ou avec certaines personnes en fin de vie- et, de manière générale, celles du soin de l’autre (le care). Engagés dans un rapport de pouvoir dissymétrique avec les animaux, nous ne pouvons cependant résumer la domestication à un simple jeu de domination, mais bien également à l’apprentissage des responsabilités, de l’engagement voire de l’amour envers autrui (Porcher, 2011).

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2 Il apparait clairement que les animaux participent de la société (Houdart, Thiery, 2011) et sont dotés d’une forme de capacité d’action autonome, qu’on appelle parfois l’agentivité (Despret, 2014). Ce sont donc des acteurs sociaux, ce que les sciences sociales ne reconnaissent que depuis assez peu de temps, mais qui a amené à un assez profond renouvellement de nombreuses disciplines dont la géographie, qui a vu des courants importants, parfois labellisés « plus qu’humain » (Whatmore, 2002) se développer. Si le « plus » a le mérite d’indiquer que les humains, seuls, ne font pas la société, il semble aussi signifier qu’il y aurait ici quelque chose de supplémentaire à l’humanité, alors qu’il ne s’agit sans doute que d’une dimension qui forge les rapports entre humains. Toutes les thématiques et les approches qui sont présentées ici ne se réclament pas ou ne se rejoignent d’ailleurs pas dans ce label « humanimal », l’essentiel restant le travail sur la question des relations.

Si les animaux participent de notre vie, depuis les lions du zoo ou du safari, jusqu’aux blattes et aux moustiques s’invitant chez nous, ils viennent accompagner l’ensemble des questionnements que pose la géographie, c’est-à-dire, au fond, ceux de la dimension spatiale de la société (Ripoll, Veschambre, 2005). Ces questions ont été inégalement traitées mais on peut ici proposer quelques lignes de lecture.

- Les rapports d’appropriation de l’espace

Un premier axe de réflexion important concerne la question des rapports de domination, d’appropriation de l’espace et conflits qui y sont liés. Certains animaux peuvent être vécus comme une gêne voire une menace, face à laquelle un processus de contrôle, voire de reconquête doit être mené. Loin d’être lié (uniquement) à des propriétés intrinsèques, la qualification d’animaux comme désirables ou indésirables (Blanchard, à paraître en 2017), utile ou nuisible, est d’abord une attribution sociale, variable selon les contextes.

Si les chiens sont généralement interdits dans les supermarchés ou dans le métro, une exception est par exemple faite pour les guides d’aveugles. Un éléphant protégé par des institutions internationales et les autorités du pays dans un parc naturel, deviendra facteur de troubles à son entrée dans les cultures, alors même que l’éléphant de village, domestiqué depuis longtemps, et servant au débardage ou à la promenade de touristes sera un compagnon banal et bienvenu des humains (Lainé, 2015). Aux animaux dont la qualification est, on le voit, contextuelle est ainsi associée une juste place, constamment négociée et redéfinie. Comme le signalait Isabelle Mauz (2005) en analysant le discours des habitants du Parc de la Vanoise, la place des humains comme des animaux était l’enjeu de constantes discussions, de conflits et de réglementation. La transgression de la limite, les dispositifs mis en œuvre pour la constituer –mais également la dépasser et la faire exister, les processus d’inclusion, par exemple par le biais du travail (Porcher, 2017) ou d’exclusion (Philo, Wilbert, 2000) sont ainsi largement développés.

Un point émergent et contesté est la discussion de la matrice classique articulant les rapports sociaux de classe, de genre et de race (Dorlin, 2009), suggérant d’y adjoindre le spécisme (Singer, 2009 [1975), soit les effets de dominations fondés sur les distinctions d’espèce. Suggérant que l’espèce serait un équivalent, entre humains et non humains, de la race, ces approches proposent une géographie critique et des questionnements éthiques, fondés cependant sur une conception qui

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3 pense essentiellement nos relations en question de domination et non également de coopération voire d’amour.

Repenser les objets classiques de la géographie avec les animaux

Un deuxième axe important relève d’une relecture d’objets classiques mais complexifiés par la prise en compte de la place des animaux dans leur constitution. La ville est, par exemple, non plus seulement pensée comme le domaine de la société des humains mais comme une composition articulant des éléments minéraux, végétaux, des humains, des objets, des animaux (Bourillon, Degeurce, Estebanez, 2015). Cela passe par la reconnaissance de la place des animaux dans la production de la ville, par le biais d’un aménagement qui a longtemps été pensé à l’aune du cheval de transport et des animaux de boucherie, centraux pour assurer l’approvisionnement. Ce sont aussi des spécialisations commerciales ou spectaculaires (le zoo, le cirque, les parcs) mais aussi la composition des espaces domestiques, les volailles et les porcs des cours d’immeubles populaires s’articulant avec la présence d’oiseaux et des poissons exotisés, dans les salons bourgeois. Le souci contemporain, dans les pays riches, des circuits courts et des questions écologiques, par exemple en ce qui concerne l’alimentation, amènent au retour d’une agriculture et d’élevage urbain, avec des nouveaux métiers, comme l’éco-pâturage.

Loin de rejouer la dichotomie nature-culture, l’inclusion des animaux dans la pensée de la ville amène à reconsidérer la pertinence du découpage : les villes ne peuvent fonctionner sans la présence animale et, réciproquement, le monde urbain est devenu une niche écologique bien spécifiques pour de nombreuses espèces qui y trouvent nourriture, chaleur et parfois même, un emploi. C’est ainsi le centre de gravité d’espèces entières, comme les pies, qu’on voit se déplacer vers les espaces urbains et périurbains. Les mobilités sont également repensées pour y intégrer les animaux. Ceux-ci peuvent ainsi être analysés comme une marchandise coloniale, qui participe des échanges tissant le monde dans les différentes vagues de colonisation (Rothfels, 2008). Ils sont aussi pensés comme des vecteurs mais aussi des acteurs des pandémies contemporaines, dans le cadre d’un renouvellement des questionnements, en terme de santé ; la santé humaine et animale étant articulée du fait d’une transmissibilité des virus et des maladies entre les uns et les autres de mieux en mieux documentée (Keck, 2010).

Au final, la géographie humanimale s’inscrit dans un nouveau positionnement, concernant en particulier le retour du matériel en sciences sociales, avec une attention redoublée aux théories non- représentationnelles, soit c’est-à-dire aux approches qui ne mobilisent pas d’abord des textes et des discours, mais le corps lui-même. La géographie des émotions (Davidson, Bondi, Smith, 2007) voire des sexualités (Bell, Valentine, 1995), en s’intéressant au non-verbal au corps donnent ainsi à penser de nouvelles façon de réfléchir à nos relations avec les animaux et à déstabiliser les catégories usuelles.

David Bell, Gill Valentine (dir.), Mapping Desire: Geography of Sexuality, Routledge, 1995

Emmanuel Blanchard, « Les propriétaires de chiens à la rue. Retour sur un binôme indésirable dans la ville », Géographie et cultures, 98, à paraitre en 2017

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4 Florence Bourillon, Christophe Degueurce, Jean Estebanez (dir.), Les animaux dans la ville, numéro spécial de la Revue d’histoire Urbaine, 44, 2015

Joyce Davidson, Liz Bondi, Mick Smith (dir.), Emotional Geographies, Routledge, 2007

Vinciane Despret, Que diraient les animaux, si…on leur posait les bonnes questions ?, La Découverte, Paris, 2014

Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race et classe : pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009 Jean Estebanez, Emmanuel Gouabault, Jérôme Michalon, « Où sont les animaux ? Vers une géographie humanimale », Carnets de Géographes, 2013

Isabelle Mauz, Gens, cornes et crocs, Paris, Inra, 2005

Donna Haraway, When species meet, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2008 Sophie Houdart, Olivier Thiery, Humains et non humains, La Découverte, Paris, 2011 Frédéric Keck, Un monde grippé, Flammarion, Paris, 2010

Nicolas Lainé, « Isoler pour mieux conserver ? Enjeux et paradoxes autour de la conservation des éléphants dans l’Inde contemporaine », Ecologie et Politique, 50, 2015, pp. 147-162

Chris Philo, Chris Wilbert, Animal spaces, beastly places, New York/London, Routledge, 2000

Jocelyne Porcher (dir.), Travail animal. L’autre champ du social, numéro spécial de la revue Ecologie

& Politique, 54

Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux, La Découverte, Paris, 2011

Fabrice Ripoll, Vincent Veschambre, « L’appropriation de l’espace comme problématique », Norois, 195, 2005, pp. 7-15

Nigel Rothfels, Savages and Beasts. The Birth of the Modern Zoo, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2008

Paul Shepard, The Others: How Animals Made Us Humans, Island Press, 1996

Peter Singer, Animal liberation, New York, Harper, 2009 [1975] peut être mettre la reference française La liberation animale, Paris, Payot

Sarah Whatmore, Hybrid geographies, Sage, London, 2002

Références

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