Première partie
Introduction
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Chapitre 1
Les membranes cellulaires et protéines associées
Les cellules de tous les organismes présentent une ou plusieurs membranes biologiques. Parmi celles- ci, la membrane plasmique est la démarcation entre une cellule et son environnement. Les cellules pro- caryotiques (bactéries et archaebactéries) (Figure 1.2) ne présentant pas de compartimentation interne ne possèdent que celle-ci. A l’inverse, les cellules des organismes eucaryotes (Figure 1.1) présentent plusieurs compartiments sous-cellulaires entourés par des membranes biologiques dont la structure et la composition restent globalement semblables quelque soit l’organisme et l’organite.
1.1 Caractéristiques et structure des membranes biologiques
1.1.1 Structure des membranes
Dès la fin du XIXème siècle, Ernest Overton avait observé que les substances liposolubles pénétraient plus rapidement les cellules que les substances non liposolubles et en déduisit que les membranes se com- posaient de lipides. Quelques années plus tard, l’analyse de membranes isolées à partir de globules rouges démontra que ces membranes étaient formées de phospholipides et de polypeptides [1].
Les phospholipides sont des lipides possédant un groupement phosphate, ils présentent donc une partie hydrophile et une partie hydrophobe (molécule amphiphile). On distingue les glycérophospholipides (Figure 1.3) [2], plus courants et les sphyngolipides dont la structure est basée sur le céramide.
Les polypeptides sont des chaînes plus ou moins longues d’acides aminés reliés entre eux par des liaisons peptidiques. Les polypeptides constituent les protéines qui sont composés d’un ou plusieurs polypeptides reployés. Ils sont synthétisés à partir de l’information génétique codée par le génome et remplissent la grande majorité des fonctions au sein de l’organisme (structure, métabolisme, transport, etc).
Sur cette base, on proposa au début du XXème siècle que les phospholipides s’associent en une double
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IG. 1.1 – Membranes et organites d’une cellule eucaryote. Source Wikipedia
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IG. 1.2 – Structure d’une cellule procaryote. Source Wikipedia
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IG. 1.3 – Représentations schématiques d’un glycérophospholipide. (a) Structure chimique simplifiée d’un
glycérophospholipide formé d’un glycérol lié à deux acides gras apolaires et à un groupement phosphate
polaire. Les glycérophospholipides varient entre eux selon la nature des acides gras et le radical (X) lié au
groupement phosphate. Adapté de Wikipedia. (b) Représentation schématique classique des glycérophos-
pholipides représentant la tête polaire et les deux queues hydrophobes.
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IG. 1.4 – Représentation schématique de structure de la membrane plasmique. (a) Modèle de la mosaïque fluide [3]. (b) Mise à jour du modèle. Tiré de [4].
couche constituant une limite stable entre deux compartiments aqueux. En effet, la disposition des molécules abritait de l’eau les queues hydrophobes tout en y exposant les têtes hydrophiles.
La question fut posée de savoir comment les polypeptides étaient associés à ces membranes. Il avait été observé en effet que ces protéines membranaires, contrairement à celles dissoutes dans le milieu cellulaire aqueux (cytosol) comportaient elles aussi une partie hydrophobe et une partie hydrophile. Ainsi, après de multiples controverses, le modèle de la mosaïque fluide fut avancé dans les années 1970. Selon ce modèle, les protéines membranaires sont insérées dans la double couche de lipides permettant aux parties hydrophiles d’en émerger pour entrer en contact avec le milieu aqueux [3] (Figure 1.4a). Ce modèle a subi d’importantes modifications dans les années qui ont suivi. En effet, avec le modèle de la mosaïque fluide apparaît l’idée que les protéines membranaires flottent aléatoirement à faible concentration dans une bicouche lipidique très étendue. Premièrement, il est apparu que la densité de protéines dans la membrane est très importante et que celles-ci ne sont pas dispersées aléatoirement mais au contraire sont présentes dans des régions denses en protéines parfois sous forme de complexes séparés par des régions plus riches en lipides. Ensuite, il semble que l’épaisseur de la membrane varie fortement selon les protéines et les lipides qui la composent. Enfin, il apparait que les protéines occupent une partie non négligeable, bien que non encore quantifiée, de la surface de la membrane d’une façon qui favorise les interactions avec d’autres composants extra (autres cellules, protéines, etc) ou intra-cellulaires (cytosquelette, organites, etc) [4] (Figure 1.4b).
1.1.2 Fluidité des membranes
La fluidité des membranes est nécessaire à leur bon fonctionnement. Ainsi, dans des conditions extrêmes, lorsqu’une membrane se solidifie, sa perméabilité change et les protéines qui y sont insérées peuvent devenir inactives [5].
Les membranes ne sont pas des couches figées où les molécules sont maintenues en place mais pré-
sentent au contraire une certaine fluidité. Les lipides et certaines des protéines dérivent assez rapidement
latéralement au sein de la membrane. A l’inverse, le passage spontané des phospholipides d’une couche à
l’autre est beaucoup plus improbable car la partie hydrophile de la molécule devrait traverser le centre hy-
drophobe de la membrane (ce mouvement peut cependant être favorisé par certaines enzymes [6]). Enfin, les
mouvements des protéines dans les membranes ne se font pas anarchiquement en raison de contraintes sté-
riques principalement. Il sont surtout le fait de protéines voyageant entre différents assemblages protéiques
plus complexes [4].
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IG. 1.5 – Diffusion simple au travers de la membrane plasmique. Tiré de Wikipedia.
1.1.3 Protéines associées aux membranes biologiques
Comme évoqué précédemment, les cellules eucaryotes présentent plusieurs types de membranes en plus de la membrane plasmique. Celles-ci délimitent les différentes parties de la cellule et permettent leur spé- cialisation fonctionnelle.
Si la structure de base, la double couche de phospholipides, est conservée pour toutes ces membranes, les protéines et les lipides qui y sont insérés peuvent grandement différer et permettent la spécialisation des compartiments sous-cellulaires.
On distingue deux types de protéines associées aux membranes. D’une part, les protéines intramembra- naires, qui pénètrent assez profondément la membrane ou la traversent complètement, afin que leur partie hydrophobe soit entourée par les parties hydrocarbonées des phospholipides et d’autre part, les protéines périphériques qui ne pénètrent pas dans la membrane mais qui y sont rattachées.
On retiendra que ces protéines peuvent être des récepteurs, des transporteurs, ou encore jouer un rôle enzymatique ou structurel. Dans la suite, nous nous pencherons plus spécialement sur les protéines de mem- branes permettant le transport de solutés aux travers des membranes biologiques.
1.2 Perméabilité sélective et perméases
Le centre hydrophobe de la double couche de phospholipides ne permet pas le passage des ions et des mo- lécules polaires hydrophiles. Cependant, les molécules hydrophobes comme les hydrocarbures se dissolvent dans la membrane et la traversent aisément. Ainsi, le passage des molécules polaires neutres (saccharides, etc), des ions (Na+, H+) ou encore des molécules chargées n’est possible que grâce aux protéines présentes dans les membranes.
1.2.1 Diffusion simple
La diffusion simple, un phénomène physique passif, est la diffusion dans la membrane plasmique de molécules solubles dans la bicouche phospholipidique capables de traverser directement la membrane. Cette diffusion se fait dans le sens des concentrations fortes vers les concentrations faibles, jusqu’à équilibre des concentrations de part et d’autre de la membrane (Figure 1.5).
1.2.2 Transport impliquant des protéines
Certaines substances hydrophiles ou insolubles dans la bicouche lipidiques sont néanmoins capables de
traverser les membranes hydrophobes afin d’entrer ou de sortir de la cellule ou des compartiments cellu-
laires. En fait, ces molécules évitent le contact avec la double couche lipidique en passant par des protéines
intramembranaires : les protéines de transport, aussi appelées transporteurs ou perméases.
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IG. 1.6 – Types de transporteurs. Les flèches colorées représentent les gradient de concentration dans dif- férents solutés représentés par les disques de la même couleur. Les transporteurs de type uniport (canaux et pompes) ne transportent qu’un seul composé à la fois. Les canaux permettent aux composés de traverser les membranes biologiques du compartiment le plus concentré en ce métabolite vers celui le moins concentré (diffusion facilitée). A l’inverse, les pompes et ls co-transporteurs peuvent transporter un soluté du compar- timent le plus concentré vers le moins concentré en ce métabolite en hydrolisant l’ATP ou en utilisant un gradient de concentration favorable.
Diffusion facilitée
La diffusion facilitée est un mécanisme passif de diffusion au travers des membranes selon le gradient de concentration. Il implique des protéines de transport.
D’une part, ces protéines de transport peuvent être des canaux qui ne lient pas le soluté, mais qui sont plutôt des pores dans la membrane permettant généralement le passage d’ions hydrophiles.
D’autre part, les protéines permettant la diffusion facilitée peuvent aussi être des perméases qui subissent des modifications conformationnelles afin de déplacer les molécules d’un côté à l’autre, le gradient électro- chimique fournissant l’énergie nécessaire à ces modifications.
La diffusion facilitée (ainsi que le transport actif que nous évoquerons dans la suite) présente générale- ment les caractéristiques des mécanismes enzymatiques (sauf dans le cas des canaux). En effet, ce transport peut être saturé (la vitesse de diffusion dépend du nombre de perméases présentes à la membrane) et est spécifique (les perméases ne sont capables de transporter qu’une seule molécule ou des molécules du même type).
Transport actif
Le transport actif implique le transfert d’un soluté contre le gradient de concentration du compartiment le moins concentré en soluté vers le compartiment le plus concentré par des transporteurs.
On distingue différents types de transporteurs membranaires permettant le transport actif (ou la diffusion facilitée). D’une part les perméases de type uniport qui ne transportent qu’un seul soluté au travers de la membrane (pompes) et d’autre part les transporteurs secondaires qui transportent deux solutés simultané- ment (co-transport). C’est le cas des perméases de type symport qui transportent deux solutés simultanément et dans la même direction et les perméases de type antiport qui transportent deux solutés simultanément mais dans des directions opposées. La Figure 1.6 et le Tableau 1.1 illustrent l’importance relative des différents types de transporteurs que nous allons décrire dans la suite dans plusieurs organismes modèles.
Le transport de solutés à l’encontre du gradient de concentration n’est possible que grâce à l’utilisation
de l’énergie métabolique (ATP) ou à l’utilisation par les transporteurs secondaires des gradients de concen-
tration existants.
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AB. 1.1 – Nombre et importance relatives des protéines de transport de chacune des classes principales chez différents organismes modèles. Pour chaque organisme et chaque classe de transporteurs, le nombre de total de protéines dans cette classe (#), la proportion de ces protéines sur l’ensemble du protéome (%prot) et sur l’ensemble des transporteurs (%trans) sont indiqués. Adapté de [7]
Types de trans-
porteurs S.cerevisiae E.coli A.thaliana O.sativa C.elegans D.melanogaster H.sapiens N.crassa
# %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans %
prot # %
trans % Canaux 22 6.85 0.37 15 4.25 0.35 160 16.19 0.52 144 12.85 0.72 230 35.06 0.90 180 28.17 0.91 353 43.96 0.82 14 3.95 prot0.14
Pompes 70 21.81 1.19 72 20.40 1.68 173 17.51 0.57 245 21.86 1.23 73 11.13 0.29 91 14.24 0.46 99 12.33 0.23 63 17.80 0.64
Phosphotransferases 0 0.00 0.00 29 8.22 0.68 0 0.00 0.00 0 0.00 0.00 0 0.00 0.00 0 0.00 0.00 0 0.00 0.00 0 0.00 0.00
Transporteurs secondaires (uni- port / symport / antiport)
223 69.47 3.79 233 66.01 5.43 635 64.27 2.08 721 64.32 3.61 349 53.20 1.37 359 56.18 1.82 337 41.97 0.78 271 76.55 2.76
Non classifiées 6 1.87 0.10 4 1.13 0.09 20 2.02 0.07 11 0.98 0.06 4 0.61 0.02 9 1.41 0.05 14 1.74 0.03 6 1.69 0.06
Total 321 5.46 353 8.22 988 3.24 1121 5.61 656 2.57 639 3.23 803 1.87 354 3.61
Nombre total de
gènes codants 5880 4294 30480 20000 25537 19759 42937 9817