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L’écart entre le sens analytique et le sens global dans les expressions figées amazighes

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L’ECART ENTRE LE SENS ANALYTIQUE ET LE SENS GLOBAL DANS LES EXPRESSIONS FIGEES AMAZIGHES

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THE GAP BETWEEN ANALYTICAL SENSE AND GLOBAL SENSE IN AMAZING FIXED EXPRESSIONS

Fatima Ez-zahra BENKHALLOUQ FLAM, Université Cadi Ayyad, Maroc

f.benkhallouq@hotmail.com

« Même si, pour la plupart de ces expressions [figées], leur origine ou statu nascendi n’est pas clair, car mal documenté, il est assez surprenant de considérer qu’il n’y a aucune relation entre le sens compositionnel et leur sens idiomatique. »

Gabriela Soare &Jacques Moeschler (2013)

Résumé :

L’amazighe est très riche en expressions figées qui reflètent un système de pensée relevant du culturel, du littéraire et du social. Le rapport entre sens analytique et sens global s’opère grâce à la motivation iconique et/ou culturelle qui prend forme au moyen de métaphore conceptuelle, métonymie...

Cet article vise à étudier les expressions figées relatives aux représentations de la mort dans la culture amazighe. La notion de la mort semble traverser toutes les cultures et les civilisations, ce qui explique que certaines métaphores conceptuelles reviennent dans plusieurs locutions figées amazighes et françaises avec des différences près.

Notre projet, s’inscrivant dans une perspective cognitive, est de montrer que la motivation iconique (métaphore, métonymie ou image mentale) et la motivation culturelle (religion, mythologie…) rétablissent le lien entre sens littéral et sens figé. Il s’agit de montrer qu’au sein même du sens compositionnel des unités lexicales amazighes, résident des indices du sens recherché si on réussit l’articulation entre éléments internes et données de la société, l’histoire et de la culture.

Mots-clés : Expressions figées-langue amazighe-langue française-motivation iconique- métaphore conceptuelle-métonymie-culture

Abstract :

Amazigh is very rich in fixed expressions that reflect a system of thought pertaining to the cultural, literary and social. The relationship between analytical meaning and global meaning operates through iconic and / or cultural motivation that takes shape by means of conceptual metaphor, metonymy ...

This article aims to study fixed expressions relating to representations of death in Amazigh culture. The notion of death seems to cross all cultures and civilizations, which explains why certain conceptual metaphors come back in several fixed Amazigh and French phrases with some differences.

Our project, from a cognitive perspective, is to show that iconic motivation (metaphor, metonymy or mental image) and cultural motivation (religion, mythology, etc.) re-establish the link between literal meaning and fixed meaning. This is to show that within the compositional meaning of Amazigh lexical units, there are clues to the meaning sought if we succeed in the articulation between internal elements and data of society, history and culture.

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Keywords : Fixed expressions-Amazigh language-French language-iconic motivation- conceptual metaphor-metonymy-culture.

Introduction

L’objectif de cet article est de mettre en lumière l’écart réduit entre sens analytique (compositionnelle) et sens global dans le domaine de la phraséologie linguistique tout en accentuant le rôle déterminant des sciences sociales et de la linguistique cognitive dans le décodage des expressions figées. Il s’agit d’interroger le rôle de la métaphore conceptuelle et de la métonymie et de la culture dans le fonctionnement cognitif de l’expression figée (Lakoff et Johnson, 1980).

Les sociologues et sociolinguistes partent du fait que chaque groupe social utilise la langue et ses expressions dans un milieu socioculturel partagé. La langue étant un fait social (Durkheim, 1894) intimement liée à la pratique au sein de la communauté. Les expressions figées se relèvent donc comme phénomène social qui sert à la communication en mettant en exergue des particularités de la perception de l’univers au sein d’une communauté linguistique donnée. En effet, dans le domaine de l’idiomaticité, la métaphore conceptuelle et la métonymie sont des instruments cognitifs qui reflètent un mode de pensée, voire même une expérience conceptualisée.

Le figement a fait l’objet de plusieurs recherches en accentuant un aspect particulier : syntaxique, sémantique, pragmatique, etc. Les deux dernières décennies sont marquées par une abondance de recherches qui empruntent des pistes d’études holistiques et interdisciplinaires (Rey, 2002, Palma, 2007, Lakoff, 2006, Moeshler, 2013). En effet le degré de transparence sémantique des expressions figées diffère selon trois indicateurs, la métaphore conceptuelle (Lakoff et Johnson, 1980), le sens des éléments constitutifs de l’expression et l’intuition du locuteur natif à la déconstruction du sens littéral et la reconstruction de celui conventionnel ou recherché.

Nous partirons du fait que la motivation iconique et/ou culturelle rétablit le lien entre sens littéral et sens figé. Il s’agit de montrer qu’au sein même du sens compositionnel des unités lexicales amazighes résident des indices du sens recherché si on réussit l’articulation entre éléments internes et données de l’histoire et de la culture. Ainsi, l’expression se rapporte à une réalité culturelle, difficile à cerner d’un point de vue syntaxique et sémantique.

Nous procèderons de la manière suivante : d’abord la transcription phonétique, puis le sens littéral, dorénavant abrégé en (S.L) et enfin le sens recherché (S.C).

Soit les deux occurrences ci-dessous : (a) :« Itša tasaft »

Sens littéral : il a mangé le chêne.

Sens recherché : il parle couramment la langue amazighe.

(b) : « « inšǝr z yuzġǝr nǝs » S.L : il est né de sa racine.

S.R : Le comportement des enfants ressemble à celui de leurs parents. Prov.Fr « tel père, tel fils ».

À la signification compositionnelle [i+ tša+ tasaft] « il a mangé le chêne », se dresse une réalité d’apparence loin du sens figuré, celle de « parler couramment la langue amazighe ». Or, une étude approfondie du lien entre le chêne-arbre situé essentiellement dans les montagnes de

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l’Atlas- et la langue amazighe – parlée par des montagnards amazighophones-apparait clairement dans le contexte extralinguistique d’origine, ici, la zone géographique.

Le mot « tasaft : le chêne » renvoie sémantiquement à « un arbre de la famille des amentacées connu par sa grandeur ». Or, pour pouvoir attribuer à l’énoncé le sens implicite recherché, il faut introduire le paramètre du contexte qui permet de faire un décalage sémantique découlant d’une métonymie, figure de style par laquelle on exprime ici le tout pour la partie. L’arbre qui se trouve majoritairement dans les zones montagneuses amazighes donne un fruit « ader : les glands » que tout amazigh mange abondamment. D’où le parallélisme entre le fait de manger ce fruit et de parler couramment la langue amazighe.Donc, l’expression suppose que celles ou ceux qui côtoient ces arbres et mangent leurs fruits ne peuvent être qu’amazighophones.

Le deuxième exemple véhicule un fait vrai. Sa valeur scientifique est juste puisque toute plante ou arbre suit sa racine, toute branche est le prolongement naturel de l’arbre. Le végétal est alors transposé sur l’humain.

1. À propos des expressions figées et des proverbes

Nous nous proposons ici de dégager les divers aspects sémantiques et pragmatiques du phénomène du figement et les réunir dans une définition conjonctive, pour pouvoir ultérieurement centrer notre intérêt sur sa portée symbolique et culturelle. Nous exposerons, de façon succincte quelques définitions pour dégager les critères qui servent à définir les expressions figées.

Dans le dictionnaire de linguistique, J. Dubois (1980 : 214) écrit : « le figement est un processus linguistique qui, d’un syntagme dont les éléments sont libres, fait un syntagme dont les éléments ne peuvent être dissociés ». Le Petit Robert (1990 : 780) définit l’expression figée comme « une expression, locution figée dont on ne peut changer les termes et qu’on analyse généralement mal ».

La première définition revient sur le passage de la liberté à la fixité de l’expression.

Tandis que la deuxième souligne la difficulté à l’analyser. Pour Charles Bally (1909 : 94) :

« On dit qu’un groupe forme une unité lorsque les mots qui le composent perdent toute signification et que l’ensemble seul a un sens (…) il faut en outre que cette signification soit nouvelle et n’équivaille pas simplement à la somme de signifiants. »

Ce qui nous intéresse dans cette recherche, c’est surtout la remise en question des définitions de Thun et Rey (1980), en ce qui concerne « l’impossibilité de déduire le sens global des signifiés des composants » et « l’écart entre le sens analytique et le sens fonctionnel global

».

Pour rechercher les critères de distinction entre énoncé libre et énoncé figé1, nous analyserons deux énoncés d’un point de vue syntaxique et sémantique.

Considérons les deux phrases suivantes : (a) « ihǝzza iġf »

S.L : il a soulevé la tête.

S.R : il a soulevé la tête (regarder en haut).

(b) « Ihǝzza iskiwn » S. L : il a soulevé les cornes.

1 Selon (Searle, 1993), lorsque le vouloir dire coïncide avec la signification de la phrase, l’énoncé est littéral, par contre, quand les conditions de vérité ne sont prises en charge par l’énoncé, celui-ci est métaphorique.

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S.R : il est devenu agressif ou arrogant.

Si nous observons les deux énoncés, nous remarquons qu’ils ont la même structure syntaxique, cependant d’un point de vue sémantique, l’énoncé (b) possède en plus du sens littéral, un sens qui ne doit rien aux éléments lexicaux qui y figurent. Il est donc appelé sens métaphorique. Mises à part les modalités verbales qui peuvent être changées, on ne peut rien changer aux constituants de l’énoncé. Ce blocage des axes paradigmatiques et syntaxiques n’admet ni commutation ni expansion, c’est pourquoi on l’appelle énoncé figé.

L’adjectif « figé » qui vient s’ajouter au nom « expression ou locution » met l’accent sur deux aspects importants :

• L’impossibilité de décomposer les éléments constituants de l’expression : suppression, addition ou même changement de l’ordre.

• Le sens ne découle pas de l’addition des traits sémantiques des éléments constitutifs de l’expression. La plupart des cas, le sens est métaphorique et à chercher dans le contexte culturel ou historique.

Il existe trois types d’expressions figées :

• Locutions : groupes de mots, locutions nominales ou verbales figées

• Dictons et proverbes : phrases qui expriment des conseils ou vérités générales d’une manière imagée. Elles sont figées par l’usage ou la tradition

Elles sont de provenances inconnues ou incertaines « imzwura : les ancêtres », mais la transmission assure leurs passages de génération en génération traduisant ainsi un sens implicite, voire imprévisible.

Comment peut-on distinguer entre locution figée et proverbes ? Selon Conenna (1988 :100) :

« L’identification d’un proverbe se fait à partir de l’intuition, c’est cette dernière qui permet la mise en évidence des caractères qui distinguent la phrase proverbiale de la phrase libre et de la phrase figée avec laquelle est souvent confondue. »

Certains dictionnaires accentuent les éléments intrinsèques au proverbe à savoir : l’expérience, la vérité et le bon sens. Le dictionnaire de Français Larousse définit le proverbe comme « court énoncé exprimant un conseil populaire, une vérité de bon sens ou une constatation empirique et qui est devenu d'usage commun ».

Le Grand Robert (1984) le définit comme étant une : « vérité d’expérience ou conseil de sagesse pratique et populaire commun à tout un groupe social, exprimé en une formule elliptique généralement imagée et figurée ». Il est de ce fait clair que le sens pré-établi du proverbe ne correspond pas au sens compositionnel des mots constitutifs de ce dernier.

Reconnus par une communauté linguistique donnée, les proverbes ont traversé les époques transportant des expériences, des vérités et une sagesse. Ces séquences phrastiques codées ont fait l’objet de plusieurs études linguistiques, à ne citer que (Greimas, 1960).

En effet, la valeur du proverbe est d’abord celle de sa pré-construction qui vient se greffer autour du discours et en faire partie intégrale. Retenons ainsi que la compétence des locuteurs

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est très souhaitable dans la mesure où ils jugent l’acceptabilité d’un proverbe dans un contexte précis. Se dégage ainsi clairement la différence entre locuteur natif et locuteur non natif.

Dans une langue à tradition orale, les proverbes et les dictons prennent une toute autre ampleur, ils traduisent des schémas de pensée et une construction d’esprit que la traçabilité ne met pas en avant. En qualifiant le proverbe d’ « awal idderr : parole vivante », l’Amazigh accentue la véracité et la force des propos dits dans le contexte en question. Il s’agit de « awal », une parole dont le poids équivaut à un argument d’autorité. Cette connotation est renchérie par l’adjectif qualificatif «idderr : vivant » pour mettre en relief le fait que le proverbe dure et perdure pour transcender les générations. Peu de mots englobent une réalité partagée et viennent illustrer des situations vécues.

Il existe certes des expressions analogues dans d’autres langues, notamment la langue française, mais elles sont peu nombreuses. Elles viennent accentuer ce qui est commun et universel à toutes les langues. Bentolila (1993,13) précise que « le proverbe ne veut rien nous apprendre de nouveau : sa réussite consiste à saisir la réalité, l’expérience de tout un chacun en peu de mots. Et cette forme lapidaire qui s’est transmise par l’usage est devenue apte à signifier des situations riches et complexes. Est-ce ce fond commun d’expérience humaine qui explique qu’on retrouve des proverbes analogues dans les cultures très différentes ? ».

Il est à signaler que nous nous intéressons dans cet article à la motivation sémantique des expressions figées, autrement dit, à la mise en relief du rapport entre signifiant et signifié des expressions. Il s’agit de repenser le signe linguistique en dehors de la relation arbitraire qui a longtemps régnée (Saussure, 1916)1. La linguistique cognitive réussit à rendre compte de la systématicité des expressions à travers l’analyse de la motivation qui peut être de deux types : iconique et/ou culturelle. Le transfert de traits d’un domaine à un autre relate un mécanisme cognitif digne d’étude et permet de pointer la métaphore conceptuelle ainsi que la représentation d’un élément à partir désignant un fait interne afin de permettre d’accéder à la compréhension (Lakoff et Johnson 1984 : 36-37)2.

2. Les expressions figées, entre sens analytique et sens global

Nous proposons un corpus de locutions relatives à la notion de la mort dans la culture amazighe et leurs équivalents en français dans la mesure du possible ; (a) désigne l’expression amazighe et (b) renvoie à celle en français. Imprégnées du culturel mais aussi de l’humain, ces expressions rendent compte d’une réalité choquante que nous tendons à atténuer ou détourner grâce à des tournures métaphoriques, métonymiques et culturelles3.

Soit les exemples suivants : (1a) « Rhil amggaru »

S.L:« déménagement dernier » S.R : la mort

(2a) « yedda s gur rebbi » S.L : Il est parti chez Dieu

1 Selon Saussure la relation entre signifiant et signifié est immotivée ou arbitraire.

2« Metaphor and metonymy are different kinds of processes. Metaphor is principally a way of conceiving of one thing in terms of another, and its primary function is understanding. Metonymy, on the other hand, has primarily a referential function, that is, it allows us to use one entity to stand for another. But metonymy is not merely a referential device. » (Lakoff et Johnson 1984 : 36-37).

3 Nous nous inspirons dans ce travail d’une étude menée sur les expressions figées de la mort en langue française, espagnole et anglaise (Isabel Negro Alousque, 2013).

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S.R : il est mort.

(1b) : « le dernier départ/ le grand voyage » (2b) : « Dans les bras du seigneur »

(3a) :« itSat waSal » S.L: la terre l’a mangé S.R : il est mort

(3b) : « mordre la poussière »

Les exemples (1a) et (2a) sont sémantiquement transparents. Le déménagement et le départ renvoient à une métaphore conceptuelle très claire, celle du voyage. L’exemple donné par Lakoff et Jhonson « la vie est un voyage » est repris ici pour convenance : si la vie et le voyage présentent plusieurs traits en commun tel le mouvement, l’expérience et l’aventure, le dernier déménagement de cette vie ne peut être que vers un dernier voyage. Dans « dernier » se dessine clairement l’image de l’expression « aller simple »vers l’au-delà. D’où les expressions en français « grand voyage » ou encore «dernier départ ».

Les deux premières occurrences en français et en amazighe (1a et 2b) mettent l’accent sur un mouvement horizontal, alors que les deux derniers exemples retracent une trajectoire ascendante/verticale grâce au mot « rebbi/ Dieu ».

Dans les exemples (3a et 3b), la relation entre le sens analytique et le sens global est à chercher dans les connaissances extralinguistiques. La motivation culturelle, basée ici sur le domaine de la religion, met en exergue la relation entre sens compositionnel et celui recherché.

Aussi, notons-nous qu’une légère nuance apparait entre l’expression amazighe et celle française. L’idée que l’être humain devient nourriture de la terre après sa mort est scientifiquement et culturellement justifiée (3a). Scientifiquement, après le décès, le corps se décompose et se réduit à l’état de poussière après quelques années. Culturellement, l’amazighe entretient une relation particulière avec la terre, en témoigne le vers ci-dessous :

« a yašal nmmerẓam i leḥsab, ur illi yri yitš Məš turud ša ntšat nuru ša qqen akkin wulun »

« Oh! Terre, on n’a pas de compte à se rendre. Ta progéniture est ma nourriture et la mienne retournera jusqu’à toi (et sera ta nourriture) ».

La terre avec tous ses éléments est à la fois source de survie pour les montagnards mais aussi réceptrice de ces derniers dans la mesure où ils deviennent à leur tour sa propre nourriture après le décès.

Toutefois, dans l’exemple français (3b), la poussière devient nourriture du défunt qu’il mord en dernier lieu. Cette métaphore résonne parfaitement avec le Hadith du prophète : « ne remplit la bouche du fils d’Adam que la poussière »1, faisant allusion à la cupidité de l’être humain qui n’est rassasiée que quand on l’enterre.

Examinons les exemples suivants : (4a) :« Taguni tamggarut »

S.L: le sommeil dernier.

S.R : la mort.

(4b) : «Le dernier sommeil ».

(5a) :« man wussan nes » / S.L: ses jours ont expiré.

(5b) : « Finir sa vie »

1 « بارتلا لاإ مدآ نبا فوج لأمي لا »

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(6) :« yuwed wassens » S.L: son jour est arrivé.

L’usage métaphorique de la notion de la mort représente, comme le montrent les exemples ci-dessus, une lignée prévisible de métaphores conceptuelles : mort/ sommeil, mort/fin dans le temps.

Il nous semble que le dernier exemple (4a et 4b) réfère littéralement à la mort dans le sens où la personne décédée ou endormie se trouve allongée1, les yeux fermés. L’adjectif

« dernier » précise qu’il s’agit bien de la fin. Les exemples (5a, 5b et 6) mettent en avant la fin des jours à vivre ici-bas.

Il ressort de ce corpus étudié qu’il n’est pas possible de comprendre les unités phraséologiques qu’en passant par la métaphore comme processus cognitif qui assure la substitution d’un élément par un autre et le passage du sens figuré au sens recherché. On appréhende ainsi un fait ou un état à travers un autre domaine. Lakoff & Johnson (1980 : 3) notent que la métaphore conceptuelle est omniprésente dans nos discours : « our ordinary conceptual system, in terms of which we both think and act, is fundamentally metaphoric in nature. »2

L’usage métonymique diffère du métaphorique dans la mesure où il met en jeu un lien nécessaire et logique de cause pour effet, de contenant pour le contenu ou de la partie pour le tout. Ce dernier type de métonymie s’appelle synecdoque.

Lakoff & Johnson (1980 : 39) insistent aussi que « metonymic concepts (like the part of the whole) are part of the ordinary everyday way we think and act as well as talk. »3

Passons en revue les expressions figées relatives à la notion de la mort et qui s’inscrivent dans la métonymie.

(7a) : « iqqen allen » S.L : il a fermé les yeux.

(7b) : « il a fermé les yeux » (8) : « ifezza ten-t »

S.L : il les a mâchées.

Si « bon pied, bon œil » signifie être en bonne santé et que la personne se porte bien, l’exemple (7a) reprend un élément révélateur du corps « les yeux » pour désigner la fin de l’action et l’état passif de la personne morte. En effet, il s’agit de l’organe de la vue qui s’éteint après que la personne rend l’âme. Et donc, elle sombre dans l’obscurité et les ténèbres.

L’exemple (8) cible une autre partie du corps déductible du pronom « les : féminin, pluriel » qui renvoie aux dents. Le serrement involontaire des dents de la mâchoire en cas de décès s’explique par le fait de mâcher les dents.

C’est sans doute pour le rôle important que jouent le système de métaphore et de métonymie qu’il connait un regain d’intérêt en linguistique cognitive. Il en ressort de cette systématicité des deux procédés une compréhension des faits, actes et propos.

1 Dans la tradition musulmane, le sommeil est qualifié comme une mort momentanée.

2 « Notre système conceptuel, qui régit nos pensées et nos actes, est d’essence fondamentalement métaphorique » (Traduction personnelle).

3 « Les concepts de la métonymie (tel la partie pour le tout) font partie de notre mode de pensée quotidien et ordinaire, nos actes et propos ». (Traduction personnelle).

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Il est difficile de dissocier certaines expressions du métaphorique et du culturel.

Rappelons que la motivation culturelle puise ses emplois dans le religieux et la mythologie et l’histoire.

(9a) : « tman takurt nes » S.L : sa pelote est finie.

(10) : « ibbiy ṛǝbbi astta nǝs »

S.L : Dieu a coupé son tissage (fils de laine).

(11a) : « « yuwi rebbi lamant nes » S.L: Dieu a pris objet confié (son âme)

Dans la tradition musulmane, le tissage symbolise la structuration, la patience et l’engagement1. Il est à noter que quand le travail arrive à sa fin chez les amazighes du Moyen Atlas, et avant de couper les fils de la chaîne, la femme prononce une prière en plongeant le peigne à tisser dans de l’eau et le faisant circuler sur le dernier fil de trame, symbolisant ainsi l’agonie de cet ouvrage nouvellement né. Elle le personnifie et lui adresse la parole comme si elle s’adressait à un mourant. Couper le fil symbolise donc, couper l’agent qui relie le bas- monde à l’au-delà. Il n’y a plus de va- et vient ni de mouvement, le tissage rend son âme, comme en témoignent les exemples (9 et 10), l’image de la pelote terminée et de l’ouvrage tissé coupé, symbolise la mort.

Dans l’exemple (11), la notion de rendre l’âme correspond à l’idée du prêt à rendre. Dans les traditions musulmane et chrétienne2, l’être humain doit prendre soin de son âme et n’a pas le droit de mettre fin à sa vie. Une fois son dernier jour arrivé, il poussera son dernier souffle et rendra l’âme à son seigneur.

Il parait clairement que les locutions idiomatiques font partie du lexique vivant des langues et qu’ils ont des incidences importantes en tant que suite sémantique décrivant un vécu, une réalité et un code culturel ou même une réalité universelle. Les processus cognitifs de la métaphore et de la métonymie mènent à une analyse cohérente et structurée des connexions logiques et des perceptions culturelles propres à une communauté donnée.

Conclusion

Le présent article présente de nouvelles pistes pour l’étude des expressions idiomatique en langue amazighe. Notre étude a mis en évidence la possibilité d’un décodage sémantique des expressions figées relative à une notion aussi abstraite que la mort en faisant appel au cadre de la linguistique cognitive et aux principes fondamentaux de la métaphore conceptuelle, la métonymie et les représentations socioculturelles d’une communauté linguistique donnée.

En conclusion de notre esquisse du phénomène du figement, nous affirmons que l’appartenance à un contexte socio-culturel impose un cadre expressif particulier. Les expressions idiomatiques sont les plus marquées culturellement. Dès lors, un travail extralinguistique s’impose pour appréhender le point commun explicite des fois, implicite dans la plupart des cas entre le sens littéral et le sens métaphorique. C’est pourquoi les théories

1 Dieu le compare dans le Coran au serment : « Ne soyez pas comme celle qui détordait en brin son filé, après l’avoir serré bien fort ; ne faites pas de vos serments une astuce réciproque, pour gonfler une communauté au détriment d’une autre. ». Sourate les Abeilles, Verset : 92. Le tissage symboliserait aussi la structure et le mouvement de l’univers dans la tradition islamique (Jean Chevalier ; Alain Gheebrant, 1982 : 950).

2 Isabel Negro Alousque (2013,10) note que : « pour le christianisme, seul le corps est concerné par la mort.

Séparée par la mort, l’âme d’une personne retourne à Dieu (meet the Maker / reunirse con el Creador ‘rencontrer le Créateur’, return to Abraham’s bosom ‘retourner au sein d’Abraham’, (…) »

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cognitives semblent apporter des réponses plausibles et réduire l’écart entre le sens analytique et celui global en s’ouvrant sur les connaissances approfondies du contexte socioculturel. Un grand nombre d’expressions figées relatives à la mort puisent soit dans la métaphore conceptuelle (voyage, déménagement, sommeil, etc.) soit dans la composante culturelle.

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Références

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