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Définition de la maladie (1927 - 1944)

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Chapitre 2 - Découverte et historique de la drépanocytose Introduction

La drépanocytose tire son nom de la forme caractéristique, en faucille, que prennent des globules rouges chez des sujets porteurs d'une hémoglobine anormale S (δρέπανον, faucille et κύτος, cellule; Hahn et al., 1927).. Du point de vue biochimique, l'hémoglobine S résulte d'une substitution sur la chaîne β de l'acide glutamique par la valine en position 6. D'autres hémoglobinopathies par remplacement d'un acide aminé sur la chaîne β sont décrites; elles sont abordées chapitre 4.

La maladie avant 1910

Les premiers chapitres de la préhistoire humaine s'écrivent en Afrique tropicale, dans un environnement pathologique rude vu la variété des vecteurs de maladies. La réponse génétique aux infections paludéennes constitue le premier chapitre de l'expérience humaine avec une maladie infectieuse (Chippaux et al., 1976; Webb, 2005).

La péninsule arabique, de l'Asie à l'Afrique, est supposée à l'origine de la mutation qui a conduit au gène responsable de la drépanocytose. L'analyse de la structure des chromosomes semble établir qu'il y a eu au moins quatre mutations indépendantes: trois en Afrique, une quatrième en Arabie Saoudite ou en Inde centrale. Ces événements, indépendants, se seraient produits il y a environ 70000-150000 ans (3000 à 6000 générations; Desai et al., 2004). La première évidence physique humaine d'anémie drépanocytaire est trouvée dans l'ADN de trois momies égyptiennes du quatrième millénaire B.C.E. (Marin et al., 1999).

Les ghanéens auraient reconnu la maladie comme un syndrome héréditaire dangereux (Konotey-Ahulu, 1968). Les tribus affectées la désignent sous des vocables spécifiques, faits de syllabes répétées évoquant les crises douloureuses récurrentes. Nous trouvons ahututuo (tribu Twi), chwecheechwe (tribu Ga), nuidudui (tribu Ewe), nwiiwii (tribu Fante), maladi ya SS (en Swahili), maladi a biè (en Créole aspect ictérique). Certaines appellations imitent les cris et les gémissements des malades ou comportent des mots tels "mâcher, mordre".

La littérature médicale africaine nigériane fait état dans les années 1870 des "ogbanjes" enfants qui meurent très jeunes (qui ne font que passer), esprits malins qui tentent d’infiltrer la famille (Stevenson, 1985; Innvista, 2007). De leur religion traditionnelle les Igbos ont retenu la possibilité de "réincarnation", qui s'explique si l'enfant souffre de drépanocytose. Ils tentent d'identifier l'ancêtre au moyen de marques physiques, de déclarations de l'enfant dès qu'il parle, de ressemblances de comportement avec le décédé. Le haut taux de natalité et la prédisposition familiale étaient presque la garantie d'une autre naissance d'un enfant SS. Une amélioration de la santé publique et des normes socio- économiques ont permis une augmentation de l'espérance de vie des enfants SS et, de là, l'extinction presque totale de la conviction en une possible réincarnation (Onwubalili, 1983).

Si la maladie est surtout fréquente en Afrique, ce n’est que vers les années 1870 qu'elle y est évoquée. Ce que Horton (1874) décrit sur le "rhumatisme chronique" est vraisemblablement la drépanocytose, hémoglobinopathie fréquente en Afrique de l'Ouest (Adeloye, 1973; 1974). Il détaille la variété idiopathique de splénomégalie tropicale fréquente dans les pays où la malaria est endémique et où, longtemps avant Herrick, il aurait reconnu la maladie comme un syndrome héréditaire dangereux. C'est à Horton que revient probablement le crédit des premières descriptions de la maladie.

La traite des esclaves a exporté très tôt la mutation vers le Maghreb et le Moyen-Orient. En 1455, le pape Nicolas V a autorisé leur transfert vers le Portugal, en s’appuyant sur une exégèse de l’Ancien Testament, dont le monde chrétien s’accommodera pendant des siècles (Driss, non daté). En France, ce commerce de traite sera régi par "Le code noir"

(1685), produit d’une collusion bien rôdée entre l’Eglise et le pouvoir royal. Il ne sera supprimé qu’en 1848 (Sala- Molins, 2006).

Identification du syndrome (1910 - 1925)

L'affection est identifiée par Herrick (fig. 2-1), aux Etats-Unis, à Chicago, qui décrit le syndrome en 1910, chez un patient noir originaire des Antilles Anglaises: anémie sévère associée à une forme particulière des érythrocytes évoquant celle d'une faucille (le patient, W.C. Noel, étudiant en dentisterie, retournera à Grenade où il mourra de pneumonie à l’age de 32 ans; Savitt et al., 1989). C’est l’interne Irons, qui ne figure pas dans la publication princeps, qui a réalisé l’examen sanguin et alerté Herrick au vu des globules anormaux (des éléments de la maladie auraient été reconnus auparavant: Lebby (1846) décrit l'absence de rate lors de l'autopsie d'un esclave noir en fuite).

Le second patient, une servante noire du nom de Ellen Anthony, victime d'une douleur abdominale sévère, est traitée par l'étudiant Washburn (fig. 2-2, modifiée de Serjeant, 2001), qui relie son cas à la description de Herrick et publie son observation en 1911 (Washburn, 1911; Savitt, 1989, 1998).

Un troisième cas, aussi de race noire, est rapporté (Cook et al., 1915), qui ressemble étonnamment à l’histoire clinique et hématologique des patients de Herrick et de Washburn. La patiente, âgée de 21 ans attire l’attention de Emmel qui soupçonne une étiologie héréditaire: trois enfants de la même famille sont décédés d’anémie; elle-même et son père (asymptomatiques) sont sensibles au test de falciformation qu’il décrit. Le test démontre la réversibilité de la

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falciformation, in vitro, sous l'action de la pression partielle d'oxygène, en ajoutant du disulfite de sodium au sang du malade ou en créant artificiellement une atmosphère pauvre en oxygène (Emmel, 1917).

Figure 2-1: J.B. Herrick (1861-1954) Figure 2-2: B. E. Washburn (1885-1979) De 1910 à 1925 l’entité clinique est définie par la forme des globules rouges et une symptomatologie associée. Où la classer reste une question ouverte (Wailoo, 1991). En 1915 seulement, Cook et al., à partir des trois seuls cas décrits, proposent une entité spécifique basée uniquement sur la clinique et la symptomatologie. Avec Emmel (1917) ils suggèrent une origine héréditaire.

Emmel passe de la clinique pure au laboratoire. En décrivant le potentiel de falciformation (fig. 2-3), réversible in vitro, il souligne le rôle prépondérant de la cellule dans la maladie. La particularité des globules (blood-picture) aurait valeur de test diagnostique, à la différence de Cook et al. (1915) qui se basent uniquement sur la clinique.

A B

Figure 2-3: transformation des globules (A), en croissants allongés (B), après désoxygénation (Emmel, 1917)

En 1922, sur les seuls trois cas identifiés, Mason (1922) propose le nom de "sickle cell anemia", exprimant l’aspect

"en faucille" des globules et une nouvelle entité pathologique. Il maintient l’importance des symptômes associés et insiste sur l’aspect racial, sous tendant l’anomalie congénitale, confirmée par Huck (1923). Il établit un gradient de gravité de la maladie, de sévère à absent, en fonction des manifestations cliniques: si la maladie peut être définie en terme génétique, l’observation clinique reste importante. Les premières descriptions de la "crise hémolytique"sont de Sydenstricker (1924), qui décrit l'aspect aigu et douloureux (cycles de rémissions et phases actives). Il reconnaît un aspect latent à la maladie, suivant la gravité de la symptomatologie, prédictif plus que descriptif. Il diffère de Huck en ce qu’il ne reconnaît aucun groupe asymptomatique.

Définition de la maladie (1927 - 1944)

Les caractéristiques de la maladie s’affinent mais sa compréhension est de plus en plus complexe. La falciformation, considérée comme phénotype, ne distingue pas trait et anémie. Hahn et al. (1927) forgent le terme "drepanocytemia"

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(a) HbA

(b) HbS

(c) trait

(d) 50%-50% HbA-HbS (a) HbA

(b) HbS

(c) trait

(d) 50%-50% HbA-HbS

pour remplacer "latent sickle cells anemia", après avoir identifié un groupe d'individus dont les globules sont susceptibles de falciformation in vitro, sans pour autant présenter les symptômes de la maladie. Cette redéfinition réfute la notion d'uniformisation, sans préciser la signification de "drepanocytemia", terme vague, non corrélé à une connaissance génétique sous jacente (Emmel, 1917; Taliaferro et al., 1923). Le terme "sickle cell anemia" est utilisé pour désigner deux conditions:

- une prédisposition héréditaire à l'anémie propre à la race noire, caractérisée par des globules rouges en forme de croissant, dans certaines conditions;

- une anémie chronique, sévère affectant seulement des noirs, caractérisée par les rémissions et les aggravations, ictère hémolytique, épisodes de douleurs abdominales, ostéo-articulaires sans inflammation, tendance à l'ulcère de la jambe.

Ces conditions résument le regroupement historique de l'anémie et du trait drépanocytaire, montrant les aspects diagnostiques opposés de symptômes cliniques et l'évidence héréditaire: "il est extrêmement désirable de distinguer formellement la prédisposition héréditaire de la falciformation et de la "sicklanémie".

Hahn et al. (1927), les premiers, démontrent le lien entre désoxygénation de l'hémoglobine et falciformation (plus de vingt ans avant que Pauling ne l'ait abordé au niveau moléculaire). Ils revoient la littérature concernant 11 cas et démontrent que les globules des patients atteints se déforment en situation d’asphyxie (pression partielle d’oxygène inférieure à 45 mm/Hg). L’oxygénation de la préparation résout la situation de sicklémie en 4 minutes. Dans une suspension de globules rouges, les cellules déformées sédimentent au fond de l'éprouvette; ils en déduisent que la basse concentration d'oxygène y régnant induit la déformation. Ils corroborent leurs résultats en utilisant une chambre à gaz et déterminent que la falciformation est réversible par oxygénation de l'hémoglobine. L'observation que les globules fantômes (cellules sans hémoglobine) ne se déforment pas, soutient l'hypothèse.

Sherman (1940) propose l'hypothèse d'une hémoglobine anormale à partir de l'observation de la biréfringence des hématies utilisant des méthodes basées sur la tension d’oxygène nécessaire au "sickling", il distingue le trait falciforme et l’anémie falciforme. Hahn et al. (1927), Sherman et al. (1940) sont les premiers à suggérer le rôle de l’hémoglobine dans cette anémie, qu’ils considèrent comme héréditaire.

Smith (1934) détaille l'effet de la falciformation sur les organes, étendant la caractérisation clinique de la maladie.

Simultanément Diggs et al. (1934), comparant les tissus de patients affectés du trait et des victimes de l'anémie, explicitent le phénomène cellulaire à la symptomatologie observée: "une explication possible de l'engorgement capillaire est que les cellules allongées et pointues s'emboîtent et passent plus difficilement les obstacles que les cellules normales". C'est la première hypothèse explicative de la relation entres cellules déformées et manifestations cliniques. Ils suggèrent un rapport causal entre "sickling" et obstruction vasculaire, responsable des signes cliniques et de la symptomatologie.

Concept de maladie moléculaire (1945 - 1960)

Le paradigme "maladie moléculaire" émerge avec la publication de Pauling et al. (1949), reliant drépanocytose et hémoglobine anormale. A l'électrophorèse les deux composants de l'hémoglobine des sicklémiques sont présents, mélange à peu près égal de HbS et de HbA (Pauling et al., 1949, fig. 2-4).

Figure 2-4: électrophorèse de (a) HbA, de (b) HbS, (c) du trait drépanocytaire, (d) d'un mélange à part égales de HbA et HbS (modifié de Pauling et al., 1949)

Les molécules de HbS migrent différemment que HbA, (a différent de b). Le trait drépanocytaire (c) a une image voisine de celle de (d) où les hémoglobines A et S sont réparties à parts égales (le profil électrophorétique des patients

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présentant le trait est semblable à celui obtenu avec HbA et HbS se déplaçant sur le gel, à des vitesses différentes).

Elle ressemble à un mélange grossier de proportions égales d'hémoglobine normale et pathologique: "les deux composantes dans l'hémoglobine S sont identifiables avec l'hémoglobine d'anémie falciforme et avec l'hémoglobine normale" (Itano et al., 1949), confirmant la transmission de la maladie suivant le mode mendélien. C'est la première maladie génétique due à un défaut de structure moléculaire d'une protéine spécifique, la première d'une longue série.

L'histoire complaisamment racontée par Pauling (1958) est réductrice et correspond mal à la complexité réelle de la relation interdisciplinaire (Feldman et al., 1997).

La chaîne évènementielle découvrant l'énigme de la falciformation, qui allait clarifier la compréhension du contrôle des gènes sur la structure des protéines, commence par une nuit printanière en 1945. Pauling, membre du Comité Consultatif Médical, dirigé par Bush (1945), pour préparer un rapport destiné au Président, sur l'état et l'orientation à donner à la recherche scientifique, à la fin de la seconde guerre mondiale raconte: "Un soir, le Dr G.B. Castle

…mentionna l'anémie drépanocytaire, décrivant la déformation caractéristique des globules, l'effet protecteur de l'oxygène et accélérateur du dioxyde de carbone". Informé des travaux de Hahn et al. (1927), de Sherman (1940) il suggère "l'action du dioxyde de carbone devait accélérer la dissociation d'oxygène dans l'oxyhémoglobine... et j'ai montré que la relation de sickling à la présence d'oxygène a indiqué clairement que les molécules d'hémoglobine dans la cellule rouge sont impliquées dans le phénomène de sickling" (Pauling, 1955).

Il reste indiscutable que Pauling réagit instinctivement à l'énoncé de Castel. Pauling et al. (1949) proposent un mécanisme de falciformation impliquant la combinaison de sites de molécules d’hémoglobines voisines, analogue à l’interaction présumée entre antigènes et anticorps, hypothèse qui permet d’expliquer la réversibilité du phénomène sous l’effet d’oxygène par la rupture de liaisons faibles entre les molécules d’hémoglobine.

Pauling reconnu le sens d’une collaboration avec un médecin pour mieux explorer son nouvel intérêt pour l'anémie drépanocytaire. En 1946, il suggère à Itano (médecin) d’étudier l'hémoglobine drépanocytaire pour tenter d'identifier en quoi en quoi elle diffère de l'hémoglobine adulte normale. Itano, fin 1946, montre que le sickling est prévenu tant par l'oxygène que par le monoxyde de carbone. Il développe une épreuve diagnostique permettant de rapidement différencier le trait de l'anémie falciforme (Itano et al., 1949).

Harris (1950) étudie sous microscope, en lumière polarisée, des concentrations variées d’hémoglobine drépanocytaire oxygénées ou désoxygénées et confirme l’approche de Pauling du mécanisme de falciformation: les molécules d'hémoglobine SS désoxygénées s'associent pour former un arrangement avec formation de longues chaînes d'éléments d'hémoglobine (tactoïdes). Pour Pauling les molécules anormales d’hémoglobine, sont de longues chaînes s’alignant pour produire un cristal d’une longueur supérieure au diamètre du globule et le déforme (Pauling 1960;

Gormley, 2003; fig. 2-5).

Figure 2-5: les molécules HbA ou HbS oxygénées sont indépendantes et réparties au hasard, les molécules HbS désoxygénées s'organisent en cristaux parallèles à l'intérieur du globule (modifié de Gormley, 2003) Les travaux en diffraction des rayons X indiquent que chaque molécule d’hémoglobine se compose de deux demi- molécules identiques, sans différence entre hémoglobine normale et drépanocytaire, preuve de leur grande similitude.

Le résultat est surprenant, en ce que l’hémoglobine d’espèces animales voisines a une structure cristalline différente.

"As to the structural differences between normal and sickle-cell anemia haemoglobin, our crystallographic results provide no clue, but merely serve to emphasize the close similarity between the two proteins" (Perutz et al., 1951).

La nature des différences moléculaires entre hémoglobines A et S ne devait pas être révélée par la diffraction des rayons X. Une différence entre deux protéines dans HbA et HbS, résulterait en changements minimes. Combinant électrophorèse et chromatographie permettant la comparaison de l’empreinte (finger print) de fragments de HbS et de HbA, obtenus après digestion par la trypsine. Un peptide clairement visible dans HbS n’apparaît pas clairement dans HbA (Ingram, 1956). Il localise la particularité de l’hémoglobine drépanocytaire, différente de l’hémoglobine normale par substitution de l’acide glutamique par la valine sur la chaîne β, en position 6. Les empreintes ont permis de trouver une différence entre les globines A et S: "there is one peptide spot clearly visible in the digest of haemoglobin S which is not obvious in the haemoglobin A".

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La drépanocytose devient la première maladie moléculaire connue. Ingram (1957) évoque une différence minime dans le gène de l'hémoglobine: "il se peut que cela n'implique que le remplacement de seulement une paire de base simple dans la chaîne de l'acide désoxyribonucléique". Cette hypothèse d'un gène humain et de sa protéine concorde avec les nouvelles connaissances en génétique moléculaire. En 1957, les généticiens savent qu'un gène d'hémoglobine mutant produit la maladie en changeant la présence d'un seul acide aminé dans la chaîne polypeptidique de la molécule d'hémoglobine. Pour Ingram il n'est pas surprenant que l'étude de pathologies humaines ou animales permettent la compréhension de mécanismes fondamentaux en biologie. Mais "si quelqu'un avait prédit en 1955 d'où viendrait la première preuve qu'une différence dans un gène peut spécifiquement modifier une protéine, ils auraient pensé à du matériel bactérien ou viral. Nous avons été surpris qu'il soit arrivé à partir d'une protéine humaine" (Ingram 1976, in Swazey et al., 1978).

Les empreintes d'Ingram d'hémoglobines A et S fournissent un soutien indirect à la proposition de Pauling et al.

(1949) que le gène mutant responsable de l'hémoglobine S soit un allèle, ou une variante du gène normal, occupant le même locus sur le chromosome. La cristallographie de Perutz et l'empreinte de Ingram permettent de conclure que la globine consiste en deux séries de chaînes de polypeptides ou, un total de quatre chaînes formant deux demis molécules identiques (Rhinesmith et al., 1957).

Transmission héréditaire de la drépanocytose

L’existence d’un caractère dominant sera accepté, avant la compréhension des modes de transmission homozygote et hétérozygote (Huck, 1923; Taliaferro et al., 1923). Sydenstricker (1924), qui a fait l'analyse détaillée des pedigrees des patients de Huck, conclut, avec lui, que le phénomène est récessif autosomique mendélien.

Dès 1949, Pauling et al. discutent les aspects génétiques: les patients présentant une anémie sont homozygotes, les sicklémiques hétérozygotes. Deux allèles normaux synthétisent uniquement HbA; deux allèles SS produisent uniquement HbSS, cause de l'anémie. Les hétérozygotes HbAS ont une proportion de 60% de HbA et seulement 40%

de HbS. Ils concluent que HbA, "hémoglobine la plus probable", est produite avec plus de succès. Pauling connaît les travaux de Neel (1947, 1949), sur 13 sujets anémiques, publiés peu avant (juillet 1949), avec les mêmes conclusions.

Il insiste sur le fait qu'il est, avec ses collaborateurs, arrivé indépendamment à la même conclusion. Beet avait étudié la tribu de Bantu de Rhodésie du nord, démontrant que l'anémie est moins fréquente que le trait, qui devait avoir une origine hétérozygote. Dans "Harvey Lectures" de 1953 à 1954, Pauling mentionne les recherches de Beet tout en insistant sur le fait que lui et ses collaborateurs de Caltech avaient formulé leur conclusion génétique avant la publication de Beet (1949). Dès qu'il en a connaissance, Pauling incorpore les résultats de Ingram, insistant sur le fait qu'un seul minuscule changement génétique peut entraîner une maladie moléculaire. Dès 1958 Pauling justifie deux résidus aminés sur 600 (et non sur 300, comme Ingram) par le fait que l’acide de glutamique de HbA est remplacé par la valine dans HbS dans deux des quatre chaînes polypeptidiques.

Pendant les années suivant la publication de 1949, Pauling redéfinira souvent la maladie moléculaire, citant l'anémie falciforme et y incorporant des théories évolutionnistes. Les maladies moléculaires sont d'origine génétique, l'anomalie résultant de la synthèse de protéines altérées sous l'influence de gènes transmis suivant les lois de l'hérédité. De 1950 à 1960 Itano et Singer abordent les aspects génétiques de la synthèse de chaînes de polypeptide dans l'hémoglobine normale et anormale et précisent comment les séquences d'acides aminés d'autres hémoglobines diffèrent. Hunt et Ingram découvrent que la séquence d'acides aminés de HbC diffère de HbS et HbA au même site, sur la chaîne β (Gormley, 2003; Ingram, 2004).

Lien entre drépanocytose et paludisme

Certaines mutations, dont le gène drépanocytaire (HbS), offrent une protection d'au moins 90% contre la mortalité paludéenne. La fréquence du gène S est élevée (jusqu’à 40%) dans les régions d’Afrique Centrale où la malaria est endémique. Cela s’explique par l’effet protecteur de l’hémoglobine S chez des hétérozygotes (AS) par rapport aux enfants sains (AA) vis-à-vis des formes malariennes pernicieuses et mortelles (Allison, 1954; Vandepitte et al., 1957;

Friedman, 1978; Luzzatto, 1979; Bernstein et al., 1980; Sangare et al., 1990; Allison, 2004; fig. 2-6).

Dans le monde "pré moderne" les individus SS survivaient rarement au delà de la puberté. En terme de reproduction, le prix d'une homozygotie S est une perte nette, voisine de 100%. Aux États-Unis, de tels individus atteignent, aujourd'hui, l'âge adulte. Une telle mutation ne pouvait "survivre" que sous une forme hétérozygote, associant hémoglobine A et hémoglobine S, avantage suffisant pour équilibrer le prix de l'homozygotie, confirmé par la protection contre le risque de décès par malaria: les enfants hétérozygotes voient leur risque de mort par malaria réduit à 10% par rapport aux enfants homozygotes. Dès 1946, Beet observe une résistance meilleure à la malaria des patients drépanocytaires, qu'il y a moins de porteurs du gène S parmi les paludiques sévères (Beet, 1949). Les effets protecteurs du trait drépanocytaire contre la malaria ont été, depuis, abondamment explorés (Allison, 1954, 1957;

Vandepitte et al., 1957; Friedman, 1978; Bernstein, 1980; Carter, 2002). L'hémoglobine S réalise les conditions de

"l'hypothèse malaria" proposée par Brain (1952): la signification évolutionniste de l’hémoglobine S se trouverait dans la protection qu'elle confère contre les parasites paludéens.

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Figure 2-6: distribution de P. falciparum fréquence de Hb SS hétérozygote

La coïncidence entre l'aire de répartition de la drépanocytose et la zone d'endémie du paludisme suggéra que le paludisme opère une sélection en faveur des porteurs de l'hémoglobine S responsable de la drépanocytose. Si les homozygotes SS ont tout à perdre, les hétérozygotes AS, possédant 50% d'hémoglobine S et, s'en accommodant fort bien, acquièrent une résistance au paludisme.

Le parasite responsable du paludisme (Plasmodium falciparum) présente un cycle de vie dont une phase a lieu dans les globules rouges, entravé en présence de HbS. En conséquence, les hétérozygotes survivent, atteignent l'âge de la reproduction et, in fine, diffusent le gène dans la population. Les héritiers homozygotes développent la maladie, sous ses formes les plus graves et meurent avant l'âge de reproduction. La mutation "falciforme" est à double tranchant, transmettant à la communauté avantages et inconvénients. En termes de génétique, la distribution de la drépanocytose augmente les chances de survie pour les porteurs hétérozygotes, équilibrant le prix de l'anémie falciforme. C'est un

"polymorphisme équilibré" (balanced polymorphism, Livingstone, 1958).

Discussion

Au début des années 1950 les séquences aminoacides constituant les protéines étaient peu connues et beaucoup moins encore les molécules tridimensionnelles des chaînes polypeptidiques. La difficulté réside dans la complexité des protéines, polymères faits de quelque 20 unités élémentaires différentes, les acides aminés, dont la chimie doit déterminer leur ordre et leurs liaisons. Au vu de la complexité de l'analyse de la structure de l'insuline (poids moléculaire 5,8KD), une "petite protéine" dont la plus longue chaîne polypeptide contenait seulement 51 aminoacides (Sanger et al., 1945), l'hémoglobine présentait une tâche énorme, avec un poids moléculaire d'environ 67KD, les chercheurs savaient qu'il contiendrait sans doute environ 600 résidus aminoacides.

Chez le sujet hétérozygote, les deux hémoglobines sont présentes. Pauling et al. (1949) suggèrent que le responsable de l'hémoglobine S soit un allèle, variante du gène de l’hémoglobine normale, occupant le même site chromosomique, présentant une différence de comportement électrophorétique que l'hémoglobine adulte A. La découverte d'autres hémoglobines anormales, commençant avec l'identification de HbC en 1950.

Que le sickling se produise seulement quand la pression partielle d'oxygène est basse suggère qu'un des sites soit voisin de l'atome en fer dans un au moins des hèmes et que, quand l'atome de fer est combiné avec l'un ou l'autre de ces gaz, le fait d'être complémentaire des deux structures est considérablement diminué. Dans les conditions appropriées les molécules pathologiques pourraient être capables de réagir réciproquement entre elles pour s'aligner suffisamment dans la cellule, rendant l'érythrocyte biréfringent et dénaturant la membrane cellulaire par des structures relativement rigides. L'adjonction d'oxygène ou d'oxyde de carbone à la cellule pourrait inverser ces effets en désorganisant certaines des liaisons faibles entre les molécules d'hémoglobine en faveur des liaisons formées entre les molécules du gaz et les atomes de fer du hème (Pauling et al., 1949).

Schröder et al. (1950) recherchent des différences dans le contenu d'aminoacide d'hémoglobines des noirs avec et sans anémie falciforme. Leurs résultats, comme les études de diffraction de rayon x de Perutz, étaient négatifs, l'analyse comparative n'a indiqué aucune différence significative. Les différences faibles, pourtant, ont été découvertes dans le contenu des deux hémoglobines de quatre aminoacides non chargés, différences qui pourraient affecter l'enroulement des chaînes polypeptidiques et changer ainsi indirectement les propriétés électrophorétiques des hémoglobines. Le travail de Schröder se fait sur la base de la suggestion de Pauling: les différences structurelles entre les hémoglobines A et S concernent la portion globine de la molécule. L'exactitude de cette hypothèse sera démontrée en 1952. Séparant la hème de la globine et en soumettant les portions globines à l’électrophorèse, ils constatent que la globine a les mêmes différences de mobilité électrophorétique que l'hémoglobine entière A et les molécules S (Havinga et al., 1953).

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Conclusions

Tout au long du dix-huitième siècle, le "solidisme" (la maladie affecte uniquement les organes et les tissus, les parties solides du corps) refuse d'attribuer un quelconque rôle aux liquides dans la pathologie, si ce n'est que des propriétés mystiques attribuées au sang le distinguent des autres liquides de corps (Coley, 2004). Bernard (1865) développe le concept de "milieu intérieur": le sang, qui baigne tous les tissus et les cellules, crée un environnement dans lequel tous les éléments nécessaires à la vie, dont l'oxygène. La notion de sang comme "agent de liaison" est établie.

Les caractéristiques de la maladie s’affinent mais sa compréhension devient de plus en plus complexe. La falciformation est considérée comme un phénotype sans distinction entre trait et anémie. Ce terme va rester ambiguë ne correspondant pas aux concepts génétiques relatif à la maladie.

Trois aspects de recherche, au début des années 1960, ont marqué la maturité de la "pathologie moléculaire" avec une nouvelle compréhension du contrôle des gènes sur la structure des protéines. Deux questions critiques étaient posées par le groupe de Pauling: quelle est la nature biochimique exacte de la différence entre HbA et HbS et où, dans la molécule d'hémoglobine, cette différence est-elle localisée? Murayama (1966) énoncera les premières hypothèses concernant les bases moléculaires de la gélation (tab. 2-1).

Tableau 2-1: premières étapes de la découverte de la maladie

Lebby R. Absence de rate 1846

Horton J.A.B. The diseases of tropical climates 1874

Herrick J.B. Globules anormaux 1910

Washburn R.E. Globules anormaux 1911

Cook J.E. et al., Globules anormaux. Troisième cas, de race noire 1915

Emmel V.E. Test de falciformation. Evocation de l'hérédité 1917

Mason V.R. Entité pathologique qu'il nome "sickle cell anemia". Hérédité possible 1922

Huck, J.G. Gradient de gravité. Rôle de l'hérédité 1923

Sydenstricker V.P. Notion de crise. Aspect latent et actif 1924

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