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View of Le rappel stimulé pour mieux comprendre les stratégies de lecture d’élèves du primaire à risque et compétents

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 37:1 (2014)

©2014 Canadian Society for the Study of Education/

Catherine Turcotte

Université du Québec à Montréal

Émilie Cloutier Université McGill

Résumé

Cet article décrit de quelle façon la méthode du rappel stimulé, utilisée après une tâche de compréhension d’un texte informatif, amène une meilleure connaissance des stratégies de lecture de trois élèves de sixième année ayant des portraits de lecteur différents. Les explicitations et commentaires rappelés de ces élèves portant sur leurs actions et pensées permettent de dégager leurs procédures pour comprendre un texte, en utilisant ou non des stratégies efficaces, qui elles-mêmes se réfèrent à des connaissances différentes. Les contributions et les limites du rappel stimulé utilisées auprès d’élèves sont discutées.

Mots-clés : rappel stimulé, lecteurs en difficulté, élève, primaire, évaluation, stratégies de lecture, rétroaction, vidéo

Cette recherche a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines.

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Abstract

This article describes how a stimulated recall method used after a reading comprehension task contributes to a better understanding of the strategies employed by three different Grade 6 readers. After reading an informative text, the students explained and commented on their own actions and thoughts, exposing how they proceeded to understand their read- ing and whether or not they used strategies based on multiple knowledge types. Contribu- tions and limits of the stimulated recall method for students are discussed.

Keywords: stimulated recall, struggling readers, student, elementary school, reading strat- egies, assessment, video, feedback

This research has been financed by the Social Sciences and Humanities Research Council.

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Introduction

C’est un défi que de connaître les stratégies de lecture d’un élève, puisque l’action de lire se réalise généralement en silence et ne laisse pas de traces écrites. À cet égard, peu d’évaluations s’intéressent aux processus menant à la compréhension, se centrant plus souvent sur le résultat (Sperling, Howard, Miller, & Murphy, 2002). Pourtant, il est important de mieux cerner les stratégies des élèves, puisque plusieurs d’entre eux ter- minent l’école primaire avec des difficultés de compréhension en lecture (Biancarosa &

Snow, 2006; Cartier, 2006; Hiebert & Taylor, 2000; McCormack, Paratore & Dahlene, 2003). Parfois, ces élèves présentent déjà un long historique de difficultés, depuis la première année par exemple. Or, il peut s’agir aussi de lecteurs du deuxième et troisième cycle du primaire qui commencent à manifester des difficultés sur le plan de la com- préhension de l’écrit (Chall, 2000). Selon Torgesen (2002), le niveau de complexité des textes augmente dramatiquement à partir du deuxième cycle, ce qui se traduit par l’appa- rition d’une hétérogénéité de lecteurs en difficulté.

Si les stratégies de compréhension de lecture des élèves gagneraient à être mieux connues, c’est qu’elles sont essentielles à la création de sens dans tous les types de textes (Pressley, 2006). Des recherches (Artelt, Schiefele, & Schneider, 2001; Pressley, 2002) démontrent toutefois que ces stratégies sont inadéquates chez la grande majorité des lecteurs en difficulté. En conséquence, il est essentiel de pouvoir analyser la présence, l’absence, l’efficacité ou l’inefficacité des stratégies de lecture des élèves, afin de mieux intervenir. Or, la compréhension en lecture est un construit complexe difficilement éva- luable, puisque les processus qui forment cette compréhension ne peuvent être obser- vables de façon directe (Cain & Oakhill, 2006). Il devient donc inévitable d’avoir recours aux explications ou aux verbalisations du lecteur sur ses processus pour comprendre ces derniers (Block, 2005). Or, bien que cette complexité et les implications qui en découlent sur le plan évaluatif soient reconnues, les évaluations abordent souvent la compréhen- sion comme un simple concept (Keenan, Betjemann, & Olson, 2008). Pourtant, afin de connaître un lecteur et les stratégies qu’il utilise en situation de lecture, une épreuve com- prenant des questions à répondre à l’écrit ne suffit pas, car elle ne considère pas ce lecteur comme une source d’informations sur ses processus de compréhension de lecture, comme un informateur essentiel pour expliquer son action lorsqu’il lit (Oster, 2001). Des instru- ments donnant une voix au lecteur sont plutôt rares pour l’amener à expliquer ses actions

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et pensées. À partir de ces constats, cet article traite d’une méthode qui considère le lec- teur comme une source d’informations sur ses stratégies de compréhension de lecture.

Les stratégies cognitives et métacognitives en lecture

Puisque cet article s’intéresse davantage à une méthode qu’à l’étude spécifique des straté- gies, la présentation de ces dernières demeure brève, mais rappelle que les stratégies des lecteurs efficaces ont été abondamment décrites dans les années 1990 et 2000 (voir Duke

& Pearson, 2002; Pressley & Afflerbach, 1995; Scharlach, 2008). Les lecteurs compétents disent qu’ils anticipent leurs lectures, prédisent le contenu et la structure du texte, véri- fient leurs prédictions, font des liens avec leurs connaissances, formulent des inférences, sélectionnent l’information importante, se posent des questions, identifient les bris de compréhension et y remédient efficacement, puis résument. Des stratégies sont d’ailleurs activées auprès de tous les processus cognitifs en lecture (Irwin, 2006), qu’elles soient liées à l’identification de mots ou à la compréhension écrite.

De plus, les stratégies cognitives de ces lecteurs sont pilotées par des stratégies métacognitives, qui réfèrent aux connaissances de leurs processus cognitifs et aux capa- cités de contrôle de ces processus (Flavell, 1979). Selon Schmitt (2005), il existe trois catégories de connaissances référant aux stratégies métacognitives. Les connaissances déclaratives sont descriptives et parfois éloignées de l’action concrète. Les connaissances procédurales concernent le Comment. Elles relèvent de l’action, se forment grâce à la répétition et l’exercice. Les connaissances conditionnelles, quant à elles, réfèrent au Quand et au Pourquoi. Elles s’acquièrent grâce à la richesse des expériences et permettent au lecteur d’être flexible et polyvalent. Un lecteur ayant ces connaissances est autonome, car il utilise des stratégies de façon ingénieuse pour prévenir ses difficultés de compré- hension, y remédier, évaluer l’efficacité de ses stratégies, etc. (Pressley, 2006; Woolley, 2011). À l’opposé, les lecteurs en difficulté sont plus rigides dans leur utilisation de stratégies et ne font pas suffisamment interagir ces dernières pour optimiser leur compré- hension (David, 2006). Selon Fayol (2003), il est essentiel de se pencher spécifiquement sur les conduites et déviations de conduite de ces jeunes lecteurs pour mieux intervenir.

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Limites et contributions de méthodes évaluant les stratégies de lecture

Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour documenter les stratégies d’un lecteur.

Celles dites « indépendantes » de la tâche recueillent des données verbales à l’oral ou à l’écrit indépendamment de la réalisation d’une ou plusieurs tâches (Mariné & Huet, 1998). Par exemple, des questionnaires permettent d’avoir une certaine idée des stratégies usuelles d’un lecteur. Ce dernier répond à une série de questions du type : « Que fais-tu quand tu ne comprends pas le sens d’un paragraphe? » (Miholic, 1994). Certains de ces questionnaires comprennent des échelles de type Likert servant à indiquer la fréquence perçue d’utilisation de stratégies énoncées (Mokhtari & Reichard, 2002; Sperling et al., 2002) ou encore l’aisance avec laquelle l’élève croit maîtriser ces stratégies (Block, 2004). Dans la même veine, d’autres auteurs (Almasi, 2003; Israel, 2007) utilisent des entrevues dirigées afin de connaître les stratégies des élèves. On demande aux élèves, par exemple, de décrire ce qu’ils font habituellement quand ils ont terminé de lire. L’avantage de ces entrevues est de pouvoir relancer les interviewés (Paris & Flukes, 2005).

Bien que ces méthodes permettent d’obtenir rapidement et parfois même auprès de plusieurs élèves des informations sur leurs stratégies, habitudes et intérêts (Guthrie &

Wigfield, 2005), on ne peut s’assurer que leurs réponses soient fidèles à leurs conduites (Duffy, 2003; Paris & Flukes, 2005). Les réponses des élèves pourraient être davantage basées sur ce qu’ils croient, devraient ou souhaitent faire pour plaire (Turner, 1995).

D’ailleurs, on ne sait également pas si les stratégies rapportées sont issues de connais- sances déclaratives, procédurales ou conditionnelles, puisque les élèves ne sont pas en situation véritable de lecture. L’élève qui rapporte ses pratiques doit d’ailleurs tenter de raviver sa mémoire, mais sans appui pour le faire, de telle sorte que ses réponses peuvent être aléatoires (Gravel & Tremblay, 1996). L’évaluation des stratégies de lecture devrait donc être reliée directement à une expérience précise et à un type de texte, de façon à fournir des conditions d’expression des stratégies de compréhension (Paris, 2002). Ces méthodes d’évaluation indépendantes de la tâche s’éloignent d’une activité authentique de lecture (Leslie & Caldwell, 2009).

À ce sujet, une méthode, nommée « think aloud » ou « verbalisation simultanée à la tâche » (Huet & Mariné, 1998), se révèle pertinente, car elle recueille les commen- taires des participants au moment même où ils sont en activité (Block & Israel, 2004; Farr

& Conner, 2004; Paris & Stahl, 2005). Selon Ericsson et Simon (1993), cette façon de

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procéder est la plus précise pour documenter la pensée derrière l’action. Cependant, ces rappels peuvent créer une surcharge cognitive (Tochon, 1996). Dans une étude conduite par Biemiller et Meichenbaum (1992), des élèves très habiles dans la réalisation d’une tâche ont montré un surplus de capacité cognitive leur permettant de décrire ce qu’ils faisaient en cours d’action. À l’opposé, les élèves montrant moins d’habiletés ont été surchargés mentalement et ne détenaient donc plus l’espace cognitif nécessaire pour ver- baliser leur action. Cette limite doit être considérée lorsqu’on s’adresse spécifiquement aux lecteurs du primaire, surtout en difficulté. À cet égard, des recherches (David, 2003;

Jaffré, 1995; Parent, 2007) menées plutôt en écriture ont pu modérer cette surcharge en questionnant des élèves à la suite d’une tâche donnée afin d’accéder à la justification de leurs choix graphiques. L’intérêt d’un tel entretien vient du fait qu’il s’attache au point de vue de l’interviewé, qui explicite son action afin de rendre sa logique compréhensible pour l’intervieweur après avoir effectué une tâche. Les chercheurs ayant utilisé un tel entretien indiquent que ces commentaires représentent une source essentielle d’informa- tions sur les stratégies intériorisées ou en voie de l’être, même auprès d’élèves du tout début du primaire.

En écriture, les élèves peuvent émettre des commentaires de type « méta » à partir de leurs traces écrites, ce qui demeure difficile en lecture. Néanmoins, Marianne McTavish (2008) a utilisé un « rappel stimulé » pour connaître les stratégies d’une bonne lectrice du primaire après la lecture d’un texte narratif et d’un texte informatif. Ce rappel a permis d’identifier les stratégies adéquates explicitées par la jeune participante, mais également les limites de ses stratégies. Selon McTavish, non seulement les stratégies de lecture d’une lectrice compétente ont pu être mises en lumière, mais les difficultés poten- tielles que cette lectrice risque de développer, jusqu’alors imperceptibles, ont pu être repérées à l’aide de ses verbalisations.

Ce rappel stimulé consiste à filmer un élève en train de lire un texte à voix haute.

Une fois la lecture terminée, l’intervieweur visionne l’enregistrement avec l’élève en lui posant des questions sur sa lecture : « Comment as-tu fait cela ici? Que pensais-tu ici? ».

L’élève, en se visionnant, verbalise les stratégies qu’il a utilisées durant sa lecture. Les commentaires portent donc sur les actions filmées, ce qui représente en quelque sorte une

« trace ». Puisque cette méthode est, cette fois, dépendante d’une tâche donnée (Huet

& Mariné, 1998) et que la verbalisation suit immédiatement l’activité de lecture à partir d’une vidéo, la validité des rapports rétrospectifs est plus grande que dans le cas d’une

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méthode indépendante d’une tâche (Gravel & Tremblay, 1996). Selon McTavish, cette méthode permet d’ailleurs de conserver le contexte authentique de lecture sans surcharger cognitivement l’élève, puisque l’entretien survient uniquement lorsque la lecture est bien terminée.

Bloom a utilisé cette méthode dès 1953 pour aider ses étudiants à perfectionner leurs exposés. Cette méthode est utilisée notamment dans l’apprentissage des langues (DiPardo, 1994; Hull & Rose, 1990), auprès des éducatrices en formation (Gravel &

Tremblay, 1996) et des enseignants (Deaudelin et al., 2007). À l’instar de ces travaux, le rappel stimulé se veut intéressant, car il permettrait de proposer une tâche de lecture à l’élève, d’utiliser l’enregistrement vidéo pour le questionner sur les processus auxquels il a recours, puis d’effectuer des liens avec ses performances pour mieux comprendre son action (McTavish, 2008). L’objectif de cet article est donc de décrire comment le rappel stimulé, qui implique directement le participant dans la verbalisation de ses processus, amène à mieux connaître ses stratégies de compréhension de lecture.

Méthodologie

Cette étude de cas utilise le rappel stimulé des procédures de compréhension de lecture à partir d’une tâche filmée auprès de trois jeunes lecteurs.

Participants

Les trois participants francophones sont en 6e année du primaire. Selon son enseignante, Simon1 détient de très bonnes compétences en lecture. Les évaluations scolaires des deux autres élèves (Alexa et Joanie) mettent en lumière des difficultés de compréhension en lecture, sans toutefois relever de difficultés à identifier des mots. Ces deux élèves ont accès à un service d’orthopédagogie afin notamment de développer leurs stratégies de compréhension de lecture.

1 Tous les prénoms sont des pseudonymes.

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Instruments

Chaque entretien nécessite l’installation de deux caméras. La première est incluse dans la tablette numérique iPad2, afin de pouvoir rapidement passer d’un mode « tournage » à un mode « visionnement » lorsque l’élève termine la tâche de lecture. La deuxième caméra est une « Canon Power Shot SX20 IS ». Elle demeure fixe et en mode tournage afin de filmer l’entretien du début à la fin.

Afin de susciter l’activation de stratégies et leur verbalisation, le texte doit être accessible sans être trop facile (McTavish, 2008). Le texte choisi « Emprisonnés pour l’éternité! » provient d’un magazine scientifique québécois, « Les Débrouillards », des- tiné aux jeunes de 9 à 14 ans. Il comprend 317 mots et informe sur la préhistoire et la fossilisation, ce qui représente un défi, car ces thèmes et certains mots employés dans le texte (ambre, inclusion, résine) sont peu abordés à l’école.

Dans cette étude, le rappel stimulé a comme point d’ancrage un entretien semi- dirigé qui comprend six questions portant sur le texte, rédigées par deux chercheuses. Ces questions sont inspirées d’un modèle cognitif des processus de lecture (Irwin, 2006) et demandent à l’élève de repérer des informations, faire des inférences et comprendre les idées principales de ce texte informatif. Les questions de repérage d’informations litté- rales sont les suivantes : D’où vient l’ambre? Comment se nomment les restes d’animaux pris dans l’ambre? Les questions qui requièrent la formulation d’une inférence sont : Pourquoi les petits animaux restent-ils plus souvent pris dans l’ambre? Pourquoi dit-on que l’ambre est un cercueil? Enfin, les questions demandant de dégager une idée princi- pale d’un ou plusieurs paragraphes sont les suivantes : Pourquoi retrouvons-nous encore aujourd’hui des animaux piégés dans l’ambre? Les animaux étaient-ils morts ou vivants lorsqu’ils ont été pris dans la résine? Explique pourquoi.

Bien que le texte et les questions soient choisis et planifiés en fonction de cette étude, cette tâche est considérée comme authentique, car elle se réalise à partir d’un texte complet qui cerne un sujet précis, ce qui correspond à ce qui lui est demandé dans les tâches de compréhension de lecture à l’école (Leslie & Caldwell, 2009; Paris, 2002).

Elle représente également une expérience authentique de lecture selon McTavish (2008), puisque le lecteur n’est pas interrompu lors de sa lecture afin de devoir expliciter sa pensée.

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Procédure

Un protocole d’entretien a été préparé à partir d’études antérieures (McTavish, 2008;

O’Brien, 1993). Des entretiens pilotes se sont tenus auprès de trois élèves de 12 ans afin d’ajuster le protocole et former l’intervieweuse. Certaines consignes se sont révélées trop incitatives. Par exemple, l’intervieweuse mentionnait qu’il était permis d’utiliser du matériel (surligneur, dictionnaire). Cette consigne a plutôt été remplacée par « tu dois faire comme d’habitude lorsque tu lis en classe ». Le matériel était à portée de main sans être suggéré. Lors de ces mêmes entretiens, les jeunes lecteurs ont rarement pris l’ini- tiative d’arrêter eux-mêmes la vidéo, même si on leur demandait de le faire dès qu’ils avaient un commentaire. Certains ont peut-être été timides envers l’intervieweuse. On peut également penser qu’on leur demande peu, en contexte scolaire, d’initier ce geste d’autocommentaire, laissant plutôt à l’enseignant la responsabilité de questionner. Il a donc été décidé de donner à la fois au lecteur et à l’intervieweuse la possibilité d’arrêter le visionnement.

À la suite de ces entretiens pilotes et des réajustements, des entretiens individuels d’une durée de 50 minutes ont été menés auprès de Simon, Joanie et Alexa dans un local d’orthopédagogie, à l’extérieur des heures de classe et dans un climat calme. Conformé- ment aux règles du comité d’éthique de recherche de l’Université du Québec à Montréal ayant approuvé cette étude, les élèves ont été informés de leurs droits de refuser de parti- ciper ou d’interrompre la séance. L’intervieweuse précisait également lors de l’entretien que l’objectif n’était pas de les tester, mais bien de connaître comment des jeunes lecteurs s’y prenaient pour comprendre un texte.

Dans un premier temps, l’élève filmé lisait le texte à haute voix, puis ensuite silencieusement afin de se concentrer sur sa compréhension plutôt que sur sa prononcia- tion. Il répondait ensuite oralement aux six questions de compréhension. Dans un deu- xième temps, l’élève visionnait sa vidéo et devait commenter sa lecture à voix haute ainsi que ses réponses aux questions, de façon spontanée et à la demande de l’intervieweuse.

Cette partie de l’entretien détient donc une certaine unicité liée à la lecture, aux actions et aux réponses de l’élève aux questions. Par exemple, si l’élève regarde ou balaie le texte du regard avant de le lire, lors du visionnement, l’intervieweuse lui demande « À quoi pensais-tu à ce moment-ci? ». De la même façon, l’intervieweuse demandera à l’élève de décrire pourquoi il a relu un mot. Par exemple : « La première fois, tu as lu “remplies”,

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mais ensuite tu as relu “repliées”. Comment as-tu fait pour savoir que tu devais te corri- ger? ». Cette verbalisation, qui s’appuie sur l’enregistrement vidéo, se tenait immédiate- ment après la tâche afin d’éviter les distorsions (Mariné & Huet, 1998).

Ces entretiens furent retranscrits de façon verbatim. Deux chercheuses ont effec- tué une analyse des thèmes des entretiens en s’appuyant spécifiquement sur les stratégies verbalisées par les élèves lors du visionnement de leur vidéo. Ces segments furent reco- piés à l’intérieur de tableaux. Le codage a permis d’identifier les stratégies verbalisées et de déterminer leur efficacité, établie en fonction du fait qu’elles permettent ou non de contrôler leur compréhension du texte (Woolley, 2011). Les stratégies ont également été associées aux connaissances déclaratives, procédurales ou conditionnelles, toujours en se rapportant aux verbalisations des élèves. Les deux chercheuses ont travaillé de façon indépendante et se sont rencontrées après la réalisation d’un premier cas afin de discuter des éléments discordants et de préciser les codes. De plus, afin de documenter la crédi- bilité de cette procédure, l’analyse des stratégies de chaque élève a été présentée à son enseignante. Cette dernière n’a retrouvé aucune contradiction, mais bien une confirmation et un enrichissement de ses propres observations et évaluations en classe.

Résultats

Ces résultats exposent des extraits représentatifs, c’est-à-dire qu’ils illustrent l’ensemble de l’entretien mené auprès de chaque élève. Certains extraits présentent les commentaires des élèves à l’égard de leurs réponses aux questions de compréhension, alors que d’autres extraits portent sur des commentaires apportés lors du visionnement de la lecture à voix haute. À la suite de chaque extrait, une description des stratégies mises en lumière par le rappel stimulé est présentée.

Extrait 1 de l’entretien de Simon

Simon se visionne en train de lire un mot nouveau

Intervieweuse : Quand tu as lu ce mot, savais-tu ce que c’était de l’ambre?

Simon : Non, mais maintenant je le sais.

Intervieweuse : Comment as-tu fait?

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Simon : Au début, ça m’avait fait penser à « arbre ». Parce que « ambre », « gomme », ça a rapport avec « arbre ». Mais ensuite, j’ai pensé à de la glue, mais de couleur, de couleur transparente-jaune, à cause des images et du lien avec le texte.

Les explicitations de Simon mènent à voir que sa compréhension du mot « ambre

» fait l’objet de plusieurs stratégies, ce qui demeurait imperceptible avant le rappel sti- mulé. Simon explique ainsi qu’il réfère à ses connaissances antérieures, puis ensuite au contexte pour découvrir son sens. Ceci s’avère une combinaison de stratégies très efficace liée à ce contexte spécifique, ce qui indique donc des connaissances conditionnelles.

Extrait 2 de l’entretien de Simon

Simon se visionne en train de répondre à la question : Pourquoi les petits animaux restent plus souvent pris dans l’ambre? Il répond adéquatement : Parce que les plus gros, après 5 centimètres, réussissent à s’en sortir.

Intervieweuse : Ici, comment as-tu fait pour répondre?

Simon : Bien je me souvenais comment les animaux restent coincés. Alors je suis allé voir dans le texte où j’avais lu ça et après j’ai pu avoir la réponse exactement de 5 centimètres.

Intervieweuse : Mais tu n’es pas retourné longtemps dans le texte, regarde, seule- ment 3 secondes. Pourquoi?

Simon : C’est parce que j’avais compris que les gros animaux étaient plus forts.

L’extrait montre Simon survolant le texte. Lors du rappel, il explique qu’il se sou- venait d’une idée principale du texte (6e paragraphe), a fait une inférence (les plus gros animaux étaient plus forts) et est retourné au texte pour donner une réponse « exacte » à la question de l’intervieweuse. Il s’agit encore une fois d’une combinaison de stratégies très efficace qui aurait été impossible à documenter sans ses explications.

Extrait 3 de l’entretien de Simon

Simon se visionne en train de répondre adéquatement à la question : Pourquoi est-ce qu’on dit que l’ambre est un cercueil? Il répond : Bien quand l’ambre tombe de là (pointe

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l’arbre), c’est comme une boîte pour les animaux. C’est le même principe pour les cer- cueils des êtres humains.

Intervieweuse : Comment as-tu fait pour le savoir?

Simon : Je savais que c’était dans ce paragraphe-là. J’ai fait un survol du para- graphe. C’est souvent ça quand je cherche des informations parce que dans les autres livres c’est plutôt une aventure. Comme dans les bandes dessinées je ne fais pas de survol parce que c’est comme une aventure. Quand je lis un texte sur les dinosaures par exemple, c’est pas une aventure, c’est de l’information.

Sa réponse à la question sur le texte est adéquate et rapide. On aurait pu croire que Simon répond en utilisant ses connaissances antérieures du mot « cercueil ». Or, Simon explique qu’il se réfère également à la structure du texte informatif pour comprendre l’organisation de ses idées, ce qui représente une stratégie de haut niveau utilisée par les lecteurs très autonomes devant un texte informatif de ce type. Cette stratégie est une fois de plus difficile à examiner sans la mise en mots de l’action de Simon.

Extrait 1 de l’entretien de Joanie

Joanie se visionne en train de lire le mot « résine »

Intervieweuse : Est-ce que tu avais déjà entendu le mot « résine »?

Joanie : Non

Intervieweuse : Qu’est-ce que tu as fait quand tu l’as lu?

Joanie : Je l’ai passé

Intervieweuse : D’accord, pourquoi tu l’as passé?

Joanie : Parce que je [ne] le connaissais pas.

Intervieweuse : Est-ce que tu fais ça en classe, quand tu ne connais pas des mots, tu continues à lire?

Joanie : Oui

Intervieweuse : Est-ce que tu as trouvé ce que cela voulait dire en lisant?

Joanie : Non, je ne l’ai pas trouvé!

Ici, Joanie poursuit sa lecture même si elle rencontre un mot inconnu, une straté- gie inefficace dans ce cas, car au lieu de contribuer à remédier à cette perte de sens, elle

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la maintient. Lors de sa lecture, elle décode le mot « résine » sans problème. Ce sont ses commentaires lors du rappel qui permettent de comprendre qu’elle n’a pas l’habitude de se questionner sur les mots nouveaux qu’elle rencontre.

Extrait 2 de l’entretien de Joanie

Joanie se visionne en train de répondre à la question : D’où vient l’ambre? Elle survole le texte et répond adéquatement « de l’écorce des conifères ».

Intervieweuse : Qu’est-ce que tu as fait pour trouver cette réponse?

Joanie : Parce que dans le texte c’était écrit ces mots, je pense que c’était écrit quelque chose que t’avais demandé dans la question.

Le comportement de Joanie mène à penser qu’elle survole le texte à la recherche d’une réponse. Cette observation est confirmée lorsqu’elle dit utiliser un mot-clé dans la question pour ensuite le repérer dans le texte. Cette stratégie de repérage est parfois utile lorsque la question demande de chercher une information littérale.

Extrait 3 de l’entretien de Joanie

Joanie se visionne en train de répondre à la question : Pourquoi les petits animaux restent plus souvent pris dans l’ambre? Elle répond : parce que la résine durcit.

Intervieweuse : Comment t’as fait pour répondre?

Joanie : Je suis allée voir dans le texte.

Intervieweuse : Ok, puis qu’est-ce qui t’a aidé dans le texte?

Joanie : Je pense que j’ai trouvé un mot que t’avais dit dans la question pis je suis allée le chercher.

Joanie ne semble pas saisir qu’il est question précisément des « petits animaux », ce qui l’amène à donner une réponse imprécise. Elle décrit de façon générale pourquoi les animaux restent coincés dans l’ambre, ce qui montre une compréhension partielle des informations. Ceci s’explique d’ailleurs à l’aide des commentaires de Joanie, qui dit pro- céder par repérage, ce qui s’avère cette fois inefficace, car cette stratégie n’implique pas la formulation d’inférences nécessaires pour joindre des informations réparties dans plus d’un paragraphe.

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Extrait 1 de l’entretien d’Alexa

Alexa se visionne en train de lire le mot « organisme » Intervieweuse : Savais-tu ce que c’est un organisme?

Alexa : Non, mais là je le sais, des insectes un peu plus rares.

Intervieweuse : Comment as-tu fait pour le savoir?

Alexa : J’ai répondu comme ça. (elle hésite) Je ne sais pas finalement.

Intervieweuse : Comment pourrais-tu le savoir?

Alexa : Il faudrait que je le cherche dans le dictionnaire.

Alexa arrive à définir partiellement ce mot, mais elle ne peut expliquer sa pro- cédure ni approuver sa définition. Elle dit qu’elle pourrait chercher dans le dictionnaire, mais lors de l’entretien, elle n’a pas demandé à le faire. On peut croire ici qu’elle connaît cette stratégie, mais qu’il s’agit d’une connaissance déclarative, ce qui demeurait impos- sible à comprendre sans le rappel stimulé.

Extrait 2 de l’entretien d’Alexa

Alexa se visionne en train de répondre à la question : Pourquoi les petits animaux restent plus souvent pris dans l’ambre? Elle répond d’emblée et adéquatement : parce qu’ils sont inférieurs à 5 centimètres et les plus gros réussissent à s’en sortir.

Intervieweuse : Comment as-tu répondu à cette question?

Alexa : Je ne sais plus.

Intervieweuse : On voit sur la vidéo que tu parcours rapidement le texte avec tes yeux avant de répondre.

Alexa : Oui. Mais je pensais que c’était ça la bonne réponse, mais là je suis moins sûre.

Intervieweuse : Tu doutes de ta réponse?

Alexa : Parce que je ne sais plus pourquoi j’ai répondu ça.

Intervieweuse : Qu’est-ce que tu peux faire pour être certaine?

Alexa : Je ne sais pas. (Alexa demeure confuse).

Alexa répond adéquatement à la question, mais quand on lui demande de verbali- ser sa façon de faire, elle n’y arrive pas et se met à douter de sa réponse. La vidéo montre

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qu’Alexa a survolé le texte avant de répondre, mais elle ne peut décrire ce qu’elle cher- chait. D’un point de vue d’analyse des processus cognitifs, cet extrait dévoile qu’Alexa n’a pas mis en place de stratégies pour évaluer sa compréhension et confirmer ses choix de stratégies. Sans le rappel stimulé, une bonne réponse serait constatée, mais l’incerti- tude rapidement provoquée par le questionnement de l’intervieweuse et le peu de contrôle sur ses processus cognitifs seraient demeurés imperceptibles.

Ces extraits apportent des informations riches et complexes au sujet de l’activité de compréhension des lecteurs participants. L’analyse des extraits révèle aussi de nom- breuses contributions du rappel stimulé pour éclairer leurs stratégies, et ce, à partir de ce que les participants dévoilent.

Discussion

Cet article présente une méthode peu utilisée pour mieux connaître les stratégies de com- préhension de trois lecteurs du primaire. Ces données et les portraits qui en découlent, présentés dans cette section, contribuent à dégager des implications de l’utilisation du rappel stimulé pour la recherche et la pratique.

Portrait de Simon

Les données de l’entretien suggèrent que Simon détient des stratégies variées et efficaces, car elles lui permettent de contrôler sa compréhension tout au long de sa lecture. Même avant de devoir répondre à des questions sur le texte, il explique qu’il active ses stratégies pour mieux comprendre des éléments implicites du texte. Ces données n’auraient pu être révélées avec un questionnaire sur le texte, car le « comment » et le « pourquoi » de ses réponses, même adéquates, n’étaient pas observables. Ainsi, les combinaisons de straté- gies qu’il dévoile lors du rappel montrent une grande maîtrise de son activité de compré- hension, ce qui lui permet probablement, à l’instar des travaux de Biemiller et Meichen- baum (1992) de pouvoir les expliciter si aisément. Le fait que Simon soit reconnu comme un lecteur compétent en classe concorde avec l’autonomie et la flexibilité qu’il a démon- trées dans l’utilisation des stratégies lors du rappel stimulé.

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Portrait de Joanie

Joanie semble connaître quelques stratégies qu’elle utilise de façon répétée, même lorsqu’elles ne lui permettent pas de maintenir le sens du texte. Lorsqu’elle ne comprend pas un mot, par exemple, elle poursuit sa lecture, ce qui ne lui permet pas toujours de récupérer le sens du texte. Cette donnée est d’ailleurs mise en lumière grâce au rappel stimulé, car en lisant à voix haute, Joanie ne fait aucun retour en arrière, ne ralentit pas sa lecture ou ne montre pas de confusion. Il serait alors difficile de conclure qu’elle éprouve une perte de sens. Dans les deux derniers extraits, elle utilise la même stratégie de repé- rage, ce qui s’avère efficace une fois sur deux. Ses connaissances procédurales sont donc possiblement utilisées avec rigidité, sans tenir compte des différents contextes et sans se questionner sur leur efficacité en cours d’action ou après. Enfin, sans le rappel stimulé, la seule information accessible aurait été ses réponses aux questions, pour lesquelles nous n’aurions pu que juger de leur exactitude.

Portrait d’Alexa

Dans les extraits présentés, Alexa ne peut justifier ou expliquer ses réponses aux ques- tions. Lors des échanges avec l’intervieweuse, elle exprime ses doutes sur ses stratégies sans savoir comment les gérer pour contrôler sa compréhension. À cet égard, l’entretien pourrait lui avoir causé un inconfort. Malgré cela, le rappel stimulé demeure révélateur, car si Alexa avait eu un meilleur contrôle de sa compréhension, elle aurait pu expliquer davantage sa procédure. Ceci est d’une grande utilité pour comprendre les raisons qui mènent Alexa vers un échec en lecture à l’école.

Contributions du rappel stimulé

La création des portraits et la compréhension des stratégies des élèves n’auraient été possibles sans le rappel stimulé. Les réponses aux questions de compréhension n’étaient qu’un indicateur de leur compréhension, sans renseigner sur les processus pour y arriver.

D’ailleurs, ce rappel mène à voir les doutes des élèves envers leurs réponses, leur mala- dresse à agir, leurs questionnements, l’utilisation répétitive de certaines stratégies, etc.

Les commentaires des élèves, même lorsqu’ils indiquent une confusion, sont toujours porteurs d’informations sur leur activité cognitive de lecteur. Il est d’ailleurs surprenant

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de découvrir les procédures d’un élève, qui passe par un tout autre chemin que celui initialement perçu lors d’une simple observation. C’est uniquement en donnant ainsi une voix au lecteur que ses processus de compréhension peuvent être exprimés, avec préci- sions et subtilités. À titre d’exemple, les rappels ont permis de voir qu’Alexa et Joanie, bien que deux élèves du même âge éprouvant des difficultés en lecture, montrent des portraits très différents, qui impliqueraient des interventions tout aussi différentes. À cet égard, le rappel stimulé, en se penchant sur le processus plutôt que sur le produit de la compréhension, permet d’envisager les erreurs de compréhension des élèves comme étant résolubles plutôt que simplement déconcertantes.

Les extraits présentés permettent également de comprendre les types de connais- sances (déclaratives, procédurales ou conditionnelles) impliquées dans leur utilisation de stratégies, ce qui contribue à déterminer le niveau d’autonomie de chaque lecteur. C’est le cas de Simon lorsqu’il explicite ses combinaisons complexes de stratégies. On le constate également auprès de Joanie, qui utilise une même stratégie procédurale pour tenter de répondre à deux questions exigeant pourtant un contrôle différent de la compréhension.

Auprès d’Alexa, les réponses qui induiraient l’utilisation de bonnes stratégies se révèlent finalement peu appuyées par un contrôle de la tâche. Le rappel stimulé, tel qu’utilisé dans cette étude, dévoile donc les stratégies de compréhension utilisées, en plus du type de connaissances auxquelles elles réfèrent, ce qui est peu commun dans les évaluations questions/réponses ou encore avec des méthodes indépendantes des tâches recueillant les pratiques rapportées.

Enfin, à l’aide du rappel stimulé, le lecteur a l’occasion d’expliquer à autrui et de se préciser la manière dont il procède pour y arriver. En demandant à un lecteur de commenter sa compréhension de lecture, on lui offre donc une prise sur son action et sur l’évaluation de son action. Cette contribution concorde avec le besoin de dévelop- per des lecteurs autonomes, sachant évaluer leur activité, poser un jugement, rectifier leurs comportements et expliquer leurs procédures. Il répond également aux besoins des intervenants scolaires et des chercheurs de mieux comprendre les processus, habituel- lement peu perceptibles, menant à la compréhension, car c’est à ce niveau que se dirige l’intervention. Cette étude contribue donc à l’avancée des connaissances sur les méthodes impliquant directement les jeunes lecteurs, afin de connaître leurs conduites et déviations de conduite (Fayol, 2003) en compréhension de lecture et ce, qu’ils soient grandement autonomes ou non.

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Limites de la recherche

Si le rappel stimulé peut faire prendre conscience aux lecteurs qu’ils activent des straté- gies ou à l’opposé, qu’ils n’activent pas des stratégies qu’ils disent pourtant connaître, l’intervieweur ne sait pas toujours si les stratégies qui semblent explicites lors du rappel l’étaient dans l’action. En d’autres mots, dans un tel rappel, le lecteur passe d’une posi- tion d’acteur à une position d’observateur et commentateur (Tochon, 1996). Ce qu’il commente est-il réellement ce qui s’est passé au moment où il était dans l’action? Le rap- pel nécessite une reconstruction de l’action et de la pensée, de telle sorte qu’il est difficile de savoir dans quelle mesure ce qui est relaté est fidèle à ce qui s’est réellement déroulé.

Ces limites doivent par contre être nuancées, car les méthodes utilisant la rétroaction vidéo augmentent la validité des rapports rétrospectifs, qui seraient encore davantage aléatoires s’ils n’étaient pas stimulés (Gravel & Tremblay, 1996). Comme nous l’expli- quons dans l’introduction du présent article, il est de toute façon nécessaire de question- ner les élèves pour arriver à comprendre leurs stratégies de lecture.

Le rappel stimulé se voulait une méthode qui permettait de contourner, dans cette étude, les difficultés rencontrées lorsqu’on demande aux élèves de verbaliser leurs stra- tégies ou procédures alors même qu’ils réalisent une tâche complexe. Bien que le rappel apporte de nombreuses contributions, il est pertinent de se pencher sur les difficultés ren- contrées par Alexa, qui ne pouvait bien justifier ou expliquer ses procédures. Les élèves qui n’ont jamais eu d’enseignement explicite sur les stratégies peuvent manifester des difficultés à clarifier leurs propres actions (Scharlach, 2008). La timidité de cette élève peut avoir également créé un malaise. Même si les participants ne se trouvent pas avec leur enseignante ou leur parent, l’intervieweuse est une adulte, ce qui peut par exemple gêner leur initiative d’interrompre la vidéo ou de s’exprimer plus librement lors du rap- pel. Enfin, pour contourner ces limites, il serait intéressant de familiariser les participants à cette méthode en réalisant plus d’un entretien avec eux.

Une autre limite de l’étude vient du fait que chaque élève décrit des stratégies lors de la lecture d’un texte ayant une structure descriptive. Dans le cas d’une lecture de texte littéraire, par exemple, les stratégies seraient différentes et nuanceraient les portraits..

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Implications pour la pratique et la recherche

À partir du moment où des élèves sont à l’aise avec la méthode de rappel stimulé, des enseignants pourraient par exemple leur demander de s’autoévaluer après la réalisation d’une tâche complexe. Cette méthode serait également toute indiquée pour l’orthopéda- gogue, qui travaille parfois avec un seul élève afin d’évaluer ses stratégies de compréhen- sion de lecture ou de développer des stratégies à partir de ses conduites et verbalisations.

En milieu scolaire, comme dans les recherches futures, il serait intéressant de laisser les élèves choisir leur texte à partir d’une présélection, ce qui pourrait favoriser leur engage- ment dans la tâche et l’activation de connaissances potentiellement préexistantes.

Enfin, un tel rappel contribue à raffiner notre connaissance de la complexité de la compréhension en lecture grâce aux lecteurs eux-mêmes impliqués dans le dévoilement de leurs processus. Cette place leur est rarement accordée, car la compréhension et les stratégies auxquelles elle fait appel sont souvent interprétées très rapidement et à tort, à la lumière de simples questions de compréhension. Il serait d’ailleurs intéressant de réaliser une série de rappels stimulés avec un même lecteur pour mieux comprendre son utilisa- tion de stratégies dans des contextes variés. Il serait également intéressant de comprendre la façon dont le rappel stimulé, vécu de façon répétée, influence ses processus, ce qui alimenterait notre connaissance du développement de la compréhension de l’écrit.

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