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ADIEU, ROUGES GLOBULES...

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ISSN 0246-2346 ISBN 9782070218820 DOI 10.3917/deba.002.0034

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://preprod.cairn.info/revue-le-debat-1980-2-page-34.htm

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LE CHÔMAGE

et l’économie souterraine

Adieu, rouges globules...

Tita Reut

N’y aura-t-il plus de sang à la une ?

Plus rien n’est sacré. Voici qu’après Shakespeare, les savants, à leur tour, ont « scié » – non le som- meil, non le rêve – mais l’étymologie même de la mémoire collective. En effet, si la plupart des concepts scientifiques ou métaphysiques oscillent entre les pôles symboliques de la vie et de la mort, pour justi- fier le sens de toute recherche, c’est bien dans le sang que se « concentre » – si l’on peut dire – toute leur imagerie. Lié à l’idée d’un devenir surnaturel, il est à la fois le véhicule de la vie et de l’âme indisso- ciable de l’être physique. Ce rôle vital du sang a été compris dès la préhistoire ; puis démontré et mis en relief par les scientifiques, à partir du XVIIesiècle. Sortis, depuis, de l’ombre où les avaient plongés les contraintes de la tradition et de la religion, les chercheurs ont disséqué, expliqué le sang, découvert un certain nombre de facteurs sanguins permanents, stables et transmissibles, contribuant, ainsi, sinon à la démythification du sang, du moins à sa « réduction » à la qualité d’organe parmi d’autres organes. Par la mise au point d’un substitut synthétique du sang1, ils viennent d’entamer le domaine de l’utopie.

La vérité scientifique finit-elle où commence la fiction ? Les scientifiques furent les premiers surpris devant ce résultat incroyable ; la possibilité de substituer un milieu artificiel extrêmement simplifiéà un sang naturel extrêmement complexe. Mais l’inconcevable est maintenant réalité : le scepticisme scientifique initial est dépassé.

Un homme âgé de soixante-sept ans, et à qui ses convictions religieuses – il est Témoin de Jéhovah – interdisaient de subir une transfusion de sang humain, vient de recevoir environ deux litres d’un substitut totalement artificiel du sang.

Un sang universel et anonyme.

La disponibilité d’un substitut du sang présenterait un intérêt considérable, car il permettrait de pallier les inconvénients inhérents au sang naturel, tels que problèmes d’hémocompatibilité, durée de

1. Pour plus de détails, voir par exemple l’article de J. Riess dans La Recherche, numéro de mars 1980, « L’homme exsangue est-il pour demain ? ».

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conservation limitée, risques de contamination, coût élevé du stockage, de la conservation et de la dis- tribution (dans le tiers monde, en particulier), difficulté de prévision et de renouvellement des réserves, surtout dans les zones à faible densité de population. Universel donc, et illimité – tant au niveau de la production que de la conservation – le sang artificiel offrira aussi un recours à la demande croissante de sang naturel et au manque chronique de donneurs. Il rendra, par ailleurs, la transfusion possible dans les pays peu ou pas équipés.

En outre, de nombreuses applications nouvelles ont été suggérées : rinçage du système circulatoire en cas d’empoisonnement, d’« overdoses », ou pour le débarrasser de toxiques, de virus ; emploi dans le traitement de diverses formes d’anémies, d’infections, en cas d’embolie, puisqu’il devrait permettre de contourner les caillots ; perfusion d’organes isolés, développement de banques d’organes ; oxygéna- tion extracorporelle du sang en cas de défection pulmonaire, en recherche biomédicale, etc.

Des rats exsangues, mais bien vivants.

Stupéfiante encore est la survie de rats rendus « exsangues », par vidange de leur sang et substitution de sang artificiel, dans des atmosphères contenant jusqu’à 50 % d’oxyde de carbone, dont on sait l’extrême toxicité : après avoir respiré une telle atmosphère pendant une dizaine d’heures, nos rats, s’ils sont replacés dans une atmosphère normale, survivent normalement !

À quand leshommesexsangues ?

Est-ce à dire que l’emploi généralisé de tels substituts sur l’homme est pour demain ? Si les avis sont dans leur ensemble optimistes, il reste bien des difficultés à résoudre pour atteindre le degré de fiabilité que nécessite leur emploi systématique chez l’homme : mise au point patiente de matériaux faits sur mesure pour cet usage précis, de protocoles opératoires reproductibles, etc. S’ajoute à ces limitations l’absence d’hémostatiques (facteurs coagulants) et des fonctions de défense normalement assurées par les leucocytes, auxquelles on ne remédie que timidement par l’addition éventuelle d’antibiotiques. En revanche, les chercheurs japonais de la Green Cross Corporation ont pu résoudre partiellement les difficultés liées à la stabilité des émulsions et à la persistance des dérivés perfluorés dans l’organisme.

Passant ainsi sur les difficultés qui, l’an passé encore, repoussaient l’opportunité de débuter les essais cliniques sur l’homme, les chercheurs japonais ont pris le parti de brûler les étapes en s’infusant, ainsi qu’à un certain nombre de volontaires, 50 puis 500 millilitres de leur substitut. Puis ce furent neuf patients – le premier groupe d’hommes dont la vie a peut-être été sauvée par ce procédé – qui ont subi le traitement. La plupart souffraient d’hémorragies sévères alors que les stocks de sang de leur groupe – un groupe rare – étaient épuisés. À ce jour, plus de cinquante personnes auraient bénéficié de cette thérapie.

Adieu leucocytes, adieu hématies...

Au seuil du merveilleux et de l’aberrant, le sang artificiel offre à la réflexion une nouvelle amplitude d’ouverture sur l’avenir du monde. Faussant le jeu des références et des analogies, faussant la durée, il démythifie le sens de l’homme et de la vie, et, permettant à chacun de s’inscrire dans le temps de façon

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moins provisoire, il reproduit le geste de l’être à la recherche d’une durée toute pure. Nous touchons ici au problème de l’essence et de la création. Divine/humaine.

Quelle que soit la définition qu’on lui donne, le chef-d’œuvre marque une volonté de dépassement.

La science y ouvre l’éternité de la matière inerte. Vaincre le fini, repousser les termes, griffer dans la matière le signe d’un passage contre la mort... Oui, mais à quel prix ? L’abandon des particularismes : le sang universel est un sang anonyme, inodore, incolore et sans saveur. Il « substitue », à l’image du savant traditionnel tenant un crâne, celle du scientifique moderne tenant un flacon de sang laiteux.

Supprimant le réseau des connotations habituelles, le sang artificiel présente une nouvelle grille d’intelligibilité pour la lecture du monde vivant.

Qu’un sang impur...

Du pacte de sang à l’allégorie de l’ogre flairant la chair fraîche du rêve collectif, nœud de toutes les révoltes possibles, le sang rouge verse dans le chant son atroce et visuelle symbolique, du « sang impur abreuvant les sillons » aux

Cerises d’amour aux robes pareilles Tombant sous la feuille en gouttes de sang, vin meurtri de la Butte Rouge assoiffée...

Signe et fonction de contraste dans l’expression populaire, le thème du sang peut se définir, à travers l’image colorée, comme moyen de reconnaissance et comme une résistance à toutes les injustices du monde.

Aussi, comme l’indiquent tous les Hiroshima du monde, à l’époque où le déséquilibre dangereux entre le pouvoir de l’homme et l’accroissement de sa volonté fait appel à la concentration pour ne pas presser le bouton du mandarin, l’analogie fondamentale du sang offre toute sa dimension. La délin- quance de la raison, en effet, est le premier des crimes, car elle remplace l’artisanat de la délinquance criminelle par son industrialisation. C’est donc la « chair de l’homme » et le « goût du sang » de la Condition humaine qui font découvrir dans sa douleur l’écho d’une autre douleur concrète, fondée sur le principe d’égalité. Sang de l’un, sang de l’autre, marqué de sa typologie originale comme peut l’être une empreinte digitale. Et se précise alors, dans la pression du couteau sur la veine, le sens d’une soli- darité toute pure et immédiate. C’est le sang matriciel que l’on verse et, par lui, la vie du cœur – qui marque l’émotion –, la vie de l’esprit créateur et irremplaçable.

L’interdit du sang.

Voici que le carnaval de la vendange barbouillant les joues de moût violacé est remis en question, et avec lui toute la sacralisation du sang. Le sang relève en effet d’une potentialité qui le place au-dessus de la matière. Siège de l’âme et de la vie, quand la chair n’en est que le support. On comprend, dès lors, l’interdiction formulée dans le Lévitique : « Celui qui mangera du sang, celui-là sera banni de son peuple. » Il y a là quelque chose comme la « version alimentaire d’un viol ». En déverrouillant le mythe du sang chaud et rouge, rythmant nos pouls dans les ténèbres, la science découvre, malgré elle, le

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lyrisme des us et coutumes et des civilisations : l’interdit du sang pèse sur les civilisations où l’on égorge ; à l’époque de la vogue de l’hémoglobine, un relent de sabbat entoure la thérapie du sang frais prescrite aux tuberculeux ; un vague satanisme contamine la femme en règles, frappée jusqu’à nos jours d’interdits et de malédictions. De plus, la virtuelle fiabilité du sang artificiel ajoute son eau au moulin des fables de jouvence par le sang neuf. L’immortalité se gagne au prix de l’intégrité : le sang n’est plus ce qu’il était.

Du même coup, le relais de la mémoire poétique et plastique n’est plus assuré. Plus même : il est remis en question. Que serait le délire de Macbeth devant un sang de navet ? Et la « secrète architecture » des

« grenades entrouvertes », simulant, dans leurs « gemmes rouges », la cloison souveraine de quelque front éclaté... La viande blanche ne parle qu’à la sauce des cuisines sophistiquées. Il y a, dans la sève des laboratoires, la pâleur d’un Narcisse assoupi, l’asthénique raideur d’un visage sculptural et déplissé.

Valéry :

Qui voulut ta perte, ô liqueur ? J’obéis peut-être au devin ? Peut-être au souci de mon cœur, Songeant au sang, versant le vin ?

Le fantastique du réel phagocyte le fantastique nu : Apollinaire sans Alcools et sans femmes sanglantes, l’harmonie baudelairienne d’un soir lavé, mais non de rouge. « Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige », disait-on. L’inquiétude n’est plus du mauvais sang : la voix du sang cède à l’appel des émulsions. Adieu leucocytes, adieu hématies : puisque les dieux s’arrêtent à la peau, adieu à la provo- cation sanglante des corridas et de la peinture. Dans l’antre du paganisme, le Bœuf écorchéde Rembrandt parle des métamorphoses viscérales où n’entre pas le sang « bouilli » des alambics. On dévampirise et, du même coup, on dépavoise la valeur tutélaire du sang. Plus rien du bouillonnement tragique sur la peau blême du Christ. Adieu, Marion de Lorme, à « l’homme rouge qui passe ». Vive le raisin blanc ! La parenthèse se referme : les apprentis sorciers de la science expérimentale ont mis au point un pansement puissant pour nourrir le sang palpable.

Une interrogation reste-t-elle suspendue quant au panachage des sangs et, bien sûr, quant à l’intégrité de l’individu ? La parole est à la science.

Et si, pour la mémoire des peuples, il restait quelque bastion de symboles à sauver, il est à espérer que le souvenir subsiste sans la cause et que les cathédrales demeurent après l’effondrement des religions. D’ailleurs, on n’en est pas à un colorant près.

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