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Gérard Balvay : témoignage

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 Jun 2020

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To cite this version:

Gérard Balvay. Gérard Balvay : témoignage. Archorales : les métiers de la recherche, témoignages,

14, Editions INRA, 2010, Archorales, 978-2-7380-1286-9. �hal-02821321�

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Avez-vous été marqué par des professeurs au cours de vos formations ?

Au lycée et surtout en faculté, j’ai eu des enseignants convain- cants, en particulier les spécialistes des lacs (J. Wautier, J.

Juget), ou d’autres domaines de la biologie : zoologie (R.

Ginet, A.L. Roux, E. Pattee, M. Pavans de Ceccaty) ou biologie générale (MM. Nigon et Legay). Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait partie à une époque des comités scientifiques ou des jurys des concours de l’INRA.

Ils m’ont conforté dans mon désir d’œuvrer en limnologie, en approfondissant mes connaissances dans différents domaines comme la biologie animale et végétale, la taxonomie qui sont des disciplines essentielles pour la limnologie, science relative- ment complexe qui intègre de nombreux autres domaines comme la météorologie, la géologie, l’hydrodynamique, la chi- mie et la physique des eaux, la bactériologie, la toxicologie...

Pouvez-vous nous en dire plus sur la limnologie ?

Il y a plus d’un siècle, le savant suisse François-Alphonse Forel, à la suite de ses études menées sur le Léman durant plus de trois décennies, créait la limnologie, science nouvelle relative à l’étude des lacs et définie en 1892 comme l’océanographie des eaux douces.

Autrefois limité à l’étude des lacs, le domaine de la limnologie s’est progressivement étendu à l’ensemble des eaux douces, qu’elles soient stagnantes, à faible vitesse de renouvellement des eaux (milieux lentiques : lacs, retenues, étangs, gravières et ballastières, tourbières...) ou courantes (milieux lotiques : fleu- ves, rivières, torrents, ruisseaux...) pour englober actuellement l’ensemble des eaux superficielles continentales.

Cette science pluridisciplinaire fait appel à un ensemble com- plexe d’études : hydrologie, physique et chimie des eaux, bio- logie des organismes (benthos, plancton, poissons...), écotoxi- cologie, bactériologie, nature et utilisation du bassin versant (urbanisation, agriculture, industrie), sources de pollution, envi- ronnement des milieux aquatiques...

La productivité d’un lac repose sur le fonctionnement du réseau trophique allant du monde inorganique au phytoplanc- ton consommé par le zooplancton, lui-même proie des pois- sons. Tout impact sur une partie du réseau trophique peut avoir des répercussions néfastes sur le fonctionnement global d’un plan d’eau. Une surpopulation de poissons peut limiter l’abondance du zooplancton dont la pression de prédation sur le phytoplancton est alors insuffisante ; l’abondance des algues dégrade alors la qualité des eaux. Le fonctionnement

de l’écosystème dépend en outre de nombreux facteurs exter- nes comme la climatologie locale, les apports nutritifs ou pol- luants en provenance du bassin versant par les affluents ou le ruissellement diffus...

La gestion des milieux aquatiques qui débouche sur la fourni- ture d’eau potable, assure une production piscicole de valeur et permet la pratique des activités de loisirs, implique de connaître le fonctionnement et la structure des divers compar- timents de ces écosystèmes complexes, la productivité de ces milieux et les risques potentiels encourus. D’où l’approfondis- sement des recherches sur le zooplancton tant en lui-même qu’en collaboration avec d’autres disciplines (structure du phy- toplancton, physiologie algale, production bactérienne et pro- duction primaire algale, production secondaire zooplancto- nique, ichtyologie...) afin de contribuer à une meilleure con- naissance du fonctionnement des écosystèmes lacustres.

La limnologie est-elle couramment enseignée à l’université ? La limnologie est toujours enseignée dans plusieurs universités françaises, mais j’ai l’impression que l’enseignement magistral de cette discipline synthétique se perd progressivement au profit d’autres enseignements pourtant utilisés en limnologie (chimie, bactériologie, hydrodynamique, génétique, biologie cellulaire, écotoxicologie...).

Dans le monde existent de nombreux instituts et laboratoires de recherche pour promouvoir la limnologie et former les étu- diants

1

.

Cependant à Thonon, l’effectif des chercheurs n’est en rien comparable à celui des équipes canadiennes. Là où ils sont

Gérard Balvay

Je suis né en 1941 à Mâcon, terre natale de Lamartine dont le célè- bre poème Le Lac a peut-être été le signe prémonitoire de ma future orientation professionnelle sur l’étude des milieux lacustres.

Petit-fils de fermiers, fils d’un préparateur en pharmacie et d’une mère au foyer, j’ai suivi mes études primaires et secondaires à Mâcon, toujours passionné par les sciences naturelles et expéri- mentales. J’ai poursuivi mes études supérieures avec une licence de sciences naturelles à la faculté des sciences de Lyon (1964), un DEA en biologie (1965) et un doctorat de spécialité en sciences biolo- giques (option biologie animale) en 1967.

1 Au Canada le centre canadien des eaux intérieures (CCIW) à Burlington, les universités du Québec et de Montréal, en Suisse l’Institut Forel à Versoix, le laboratoire de Kastanienbaum et les instituts poly- techniques fédéraux de Lausanne et de Zurich, les instituts allemands de Langenargen et de Constance, la station biologique de Lunz-am-See (Autriche), l’Institut italien d’hydrobiologie à Pallanza...

La France n’est pas en reste avec ses universités, l’INRA (stations de Thonon, Saint-Pée-sur-Nivelle, Jouy-en-Josas, Rennes), l’IRD et le CNRS, le CEMAGREF, le CEA et EDF, l’École nationale des Ponts et Chaussées, les stations biologiques de Villefranche-sur-Mer, Tamaris, Orédon, Roscoff, la Tour-du-Valat, Besse-en-Chandesse... en regrettant de ne pouvoir citer toutes les struc- tures impliquées en limnologie.) 195 Le bâtiment administratif de la station.

Photo :©INRA - Christian Galant

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plusieurs dizaines, nous ne sommes qu’une poignée mais avec une certaine notoriété, ce qui m’a valu, ainsi qu’à mes collè- gues, d’accueillir de nombreux étudiants français et étrangers au cours de stages obligatoires, mais parfois dans des situa- tions curieuses. Ainsi, l’UST du Languedoc (CREUFOP) à Montpellier m’avait envoyé des étudiants du Niger, du Gabon et du Congo pour se former à la pisciculture en eau chaude...

au Léman ! Il semblait difficile d’accueillir de tels stagiaires mais nous les avons quand même formés à l’hydrobiologie, aux méthodes et aux techniques de base de l’aquaculture afin qu’ils puissent les adapter aux conditions climatiques de leur pays d’origine.

Thonon fut durant plusieurs années une base de repli de l’ex- ORSTOM (IRD), accueillant les chercheurs qui revenaient en France pour s’informer des nouvelles techniques de la limnolo- gie, rédiger leur thèse ou publications, avant que cet institut ne s’installe à Montpellier.

Grâce aux nombreux rapports entretenus avec différentes struc- tures de recherche sur les milieux aquatiques, il est possible de faire de la limnologie comparée, ce qui est beaucoup plus inté- ressant du point de vue scientifique que de s’enfermer dans une tour d’ivoire en ne travaillant que sur un seul lac comme le Léman ou sur un seul sujet (élément chimique, algue ou micro- crustacé, macrophyte, poisson...). Cette méthodologie multidis- ciplinaire débouche sur la conservation des milieux naturels, l’utilisation des lacs comme ressource en eau potable, la ges- tion globale des milieux aquatiques, le développement et l’amélioration des productions aquicoles de valeur, avec des implications socio-économiques très importantes ; il en est de même des fonctions patrimoniales et touristiques des lacs qui en découlent. C’est pourquoi de nombreuses instances de

l’INRA ont toujours fait référence à Thonon dans le domaine de la protection des milieux naturels, même si l’on a l’impression que notre unité a parfois servi de bonne conscience pour l’Institut.

Quelle est votre perception de la formation universitaire dans votre spécialité ?

À mon avis l’université ne forme pas suffisamment les étu- diants à la limnologie et à la taxonomie. Ces étudiants présen- tent souvent d’importantes lacunes dans leur formation de base en taxonomie, écologie et éthologie aquatiques, domai- nes indispensables pour une connaissance approfondie du fonctionnement des écosystèmes lacustres, mais qu’ils consi- dèrent souvent comme peu valorisants. Or, cette connaissance synthétique des plans d’eau est primordiale tant pour l’étude des écosystèmes que dans la valorisation et le transfert des connaissances.

Les étudiants actuels sont très compétents en biochimie, bio- logie moléculaire ou cellulaire, génétique, biométrie, dyna- mique des populations, modélisation... mais ils sont parfois incapables de connaître les différences fondamentales entre un insecte et une grenouille !

Le transfert des savoirs se fait actuellement surtout pour des étudiants, futurs limnologues ou hydrobiologistes au cours de stages parfois volontaires, le plus souvent obligatoires dans le cadre des études, sur des thèmes choisis par le maître de stage pour compléter ses propres recherches ou aborder un nouveau domaine pouvant s’avérer utile.

Que diriez-vous aujourd’hui à des jeunes désireux de se lancer dans la limnologie ?

Je leur déconseillerais la recherche en limnologie générale ; les débouchés paraissent limités car cela n’intéresse que les orga- nismes communaux ou intercommunaux et les instances loca- les qui veulent protéger ou valoriser leurs plans d’eau, souvent par l’intermédiaire de bureaux d’études.

Les orientations actuelles favorisent les disciplines considérées comme nobles ou dans le vent (liées à des financements inté- ressants) comme la génétique, la génomique, l’écotoxicologie, la biologie moléculaire... On reproche aux écologistes et aux taxonomistes des techniques anciennes ou jugées trop clas- siques, mais les disciplines ci-dessus ne remplaceront jamais l’œil de l’observateur pour identifier correctement un organis- me sous le microscope.

Que diriez-vous encore sur l’évolution des métiers ? Plusieurs fois je suis intervenu avec diverses structures profes- sionnelles du Chablais (gendarmerie, douanes, eaux et forêts, chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture, notariat...) dans des actions visant à sensibiliser les lycéens sur leur inser- tion dans la vie professionnelle. Certains élèves auraient aimé devenir chercheur, mais en apprenant qu’il fallait au moins 6 ans d’études après le bac, alors là ils capitulaient, surtout en sachant en plus que l’avancement se faisait par concours. On essayait de leur démontrer qu’un premier pas pouvait être tenté avec les concours de techniciens, permettant ensuite d’envisager une carrière d’ingénieur ou de chercheur.

Bassin versant du Léman.

Schéma du réseau trophique lacustre.

©INRA©INRA

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Pouvez-vous nous retracer l’histoire de la station d’hydrobiologie dans laquelle nous nous trouvons actuellement ?

À Thonon, le premier établissement domanial de pisciculture remonte à 1884, à l’initiative du service des Ponts et Chaussées dont dépendait le service de la pêche et chargé d’assurer la gestion piscicole du Léman après incubation d’œufs de salmo- nidés provenant de l’étranger. Nommé à Thonon en 1887, André Delebecque, ingénieur des Ponts et Chaussées fait cons- truire de 1889 à 1907 plusieurs bassins d’alevinage. En novem- bre 1896, cet établissement est remis au service des forêts. En 1908, A. Delebecque laisse la direction à Jean Crettiez, inspec- teur des eaux et forêts qui crée un petit laboratoire à la station aquacole de Thonon, considérablement agrandi plus tard par l’ingénieur forestier Louis Kreitmann qui dirige dès 1919 l’éta- blissement de pisciculture de Thonon, obtient en 1924 les pre- miers individus albinos de truite arc-en-ciel et installe un nou- veau laboratoire de biologie en 1936.

À partir de 1944 la station de recherches lacustres des eaux et forêts de Thonon, à laquelle est rattaché l’établissement doma- nial de pisciculture, passe sous le contrôle de la station centra- le d’hydrobiologie appliquée de Paris dirigée par Paul Vivier, qui regroupe déjà le Paraclet (laboratoire central d’hydrobiologie appliquée, fonctionnel en 1939), la station d’hydrobiologie appliquée de Bron-Parilly, la station de terrain de Brignon-sur- Sauldre (étangs) et la station de Biarritz (poissons migrateurs, aménagement des eaux).

En 1949, Bernard Dussart quitte le Paraclet pour être nommé à Thonon où il agrandit les locaux de la station de recherches lacustres en 1953, avant de laisser la direction à Pierre Laurent

en 1958. Puis nous sommes entrés à l’INRA en 1964 en deve- nant station d’hydrobiologie lacustre. Pierre Laurent quitte la direction en 1982 pour être remplacé par Philippe Olive, alors directeur du CRG (centre de recherches géodynamiques) et Daniel Gerdeaux prend le relais en 1988 jusqu’à l’arrivée de Pierre Luquet en 1998.

La station étant à l’étroit dans ses locaux au port de Rives, les biologistes émigrent en 1968 pour s’installer au “château”, ancienne propriété des sucreries Beghin, achetée 1 000 000 de francs par l’INRA pour un domaine de 2,7 ha riverain du Léman et doté d’un port privé. Le déménagement de toute la structure se termine en 1974 et l’inauguration des nouveaux locaux a lieu en 1975 en présence de monsieur Raymond Février, directeur général de l’INRA.

Après une période de crise en 1980 où il était question de sup- primer l’une des implantations du département d’Hydrobiologie et Faune sauvage (HyFS), la station risquait d’être fermée mais l’association en 1982 avec le centre de recherches géodyna- miques de Thonon (université Pierre et Marie Curie, Paris VI) spécialisé dans les eaux souterraines et les sources, a permis de créer le GIS Institut de limnologie qui pourtant n’a pas perduré et finalement le centre de recherches géodynamiques a été définitivement fermé en 2005.

En 1999, l’INRA et l’université de Savoie à Chambéry (labora- toire de microbiologie) créent l’UMR 42 dénommée centre alpin de recherches sur les réseaux trophiques en écosystèmes limniques (CARRTEL). En 2003, à la suite de la suppression du département HyFS, nous avons été absorbés par le nouveau département Écologie des Forêts, Prairies et Milieux aqua-

tiques (EFPA).

197

Lac Léman vu par satellite.

Photo :©INTELSAT

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Comment s’est développée la station d’hydrobiologie ? Après le recrutement à l’INRA de P. Laurent et J. Pelletier en 1964 et mon intégration en 1966, le cadre scientifique a été progressivement étoffé à partir de 1967, avec Guy Barroin puis Jacques et Mauricette Feuillade, permettant ainsi d’effectuer régulièrement des campagnes mensuelles sur les grands lacs (Léman, Bourget, Annecy, Nantua). En 1989, il y avait 40 per- sonnes dont 20 scientifiques et ingénieurs, sans compter les thésards. Avec la création de l’UMR en 1999, 38 personnels INRA (dont 11 DR2/CR + 27 ITA), 6 à Chambéry (1 PR2, 1 MC et 4 ITA) et 7 doctorants dans les deux structures.

Depuis 2001, les départs à la retraite (10), la fin des détache- ments (4) et les décès (2) ; l’effectif a encore évolué : en 2008, l’UMR était composée de 10 CR et DR, 9 TR et IE, 2 AI, 17 TR et AT et 2 PR, 3 MC, 4 IATOS soit 38 personnels INRA et 9 uni- versitaires ; ce qui fait 47 titulaires et 14 thésards, sans comp- ter les masters, IUT...

En quelle année avez-vous été intégré à l’INRA ?

Avec ma thèse débutée en 1965 à la faculté des sciences de Lyon, j’avais déjà trouvé ma voie en étudiant le plancton du Lac d’Annecy quand en 1966 j’appris que la station INRA de Thonon avait besoin d’un chercheur pour prendre en charge un contrat sur le Lac d’Annecy. J’étais sur un poste provisoire d’assistant de faculté (remplaçant un chercheur parti au servi- ce militaire), quand j’ai su que Thonon recrutait, j’ai préféré être intégré plutôt que de rester assistant temporaire à Lyon.

J’ai donc rejoint l’INRA en juin 1966 comme ingénieur 3A, après avoir fait preuve d’obstination pendant plusieurs mois,

l’INRA voulant m’intégrer en me sous-classant malgré mon DEA, ma thèse en cours et mon poste d’assistant à Lyon.

Vous venez de la filière universitaire et néanmoins vous intégrez l’INRA dans la filière ingénieur ! Avez-vous tenté d’entrer dans la filière scientifique ? Ayant quitté la faculté pour rejoindre l’INRA comme ingénieur en 1966, j’ai rapidement intégré la filière scientifique, nommé assistant stagiaire (1967), titularisé en 1969, et après le servi- ce militaire (mai 1968-août 1969) j’ai été nommé CR en 1977 et CR1 en 1984, terme de mon avancement, n’ayant jamais été reçu comme DR2 malgré toutes mes tentatives.

Que saviez-vous de la station de Thonon-les-Bains ?

Je ne connaissais pas du tout l’INRA et en faculté on ne par- lait que rarement de la station de recherches lacustres de Thonon. Cependant, j’ai découvert cette structure de façon indirecte avant 1964 car je venais souvent en stage de limno- logie avec le Dr Bernard Dussart au centre de recherches géo- dynamiques. Le programme du stage comportait en outre la visite de la station de recherches lacustres dirigée par Pierre Laurent, affecté en qualité de chef de travaux stagiaire en 1958 et nommé directeur de la SRL en 1963, succédant à l’an- cien directeur B. Dussart parti fonder le centre de recherches géodynamiques à Thonon en 1958.

Quels étaient les thèmes de recherche à l’époque ?

Il n’y avait que deux chercheurs à la station de recherches lacustres, P. Laurent (chef de travaux) et J. Pelletier (attaché de travaux), ces deux scientifiques relevant de l’administration des eaux et forêts avant d’intégrer l’INRA en 1964, respectivement sur des postes de chargé de recherche et d’assistant.

Les recherches concernaient la chimie des eaux, la production primaire, la biologie des poissons et la pêche, ainsi que la pol- lution dans le cadre de la commission internationale du Léman, P. Laurent et J. Pelletier ayant été associés à cette struc- ture internationale. Le directeur se consacrait aux poissons et à la chimie des eaux, J. Pelletier étudiait le taux de croissance des algues via des méthodes radioactives (carbone 14) en col- laboration avec le CEA de Cadarache.

Qui travaillait sur le plancton avant vous à Thonon ? Seule une technicienne avait commencé une approche sur le zooplancton. Mon arrivée en 1966 a permis d’ouvrir le secteur

À gauche, l’ancienne station d’hydrobiologie lacustre INRA au port de Rives à Thonon.

À droite, le nouveau bâtiment inauguré en 1975.

De gauche à droite : Pierre Laurent, Gérard Balvay, Jean Pelletier et Jacques Feuillade. “Les médecins des lacs” ainsi dénommés par l’Express, octobre 1970.

Photos :©INRA

Photo :©INRA

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zooplancton, complétant ainsi le travail de Jean-Claude Druart, technicien recruté en 1965 pour étudier le phytoplancton.

Existait-il des méthodes pour aborder ces questions ? Non, rien n’existait sur place. J’avais fait des études en taxono- mie planctonique avec B. Dussart qui avait quitté le centre de recherches géodynamiques pour rejoindre à Jouy-en-Josas le professeur Lefebvre afin de s’occuper d’hydrobiologie en région parisienne. J’ai tout appris sur le tas, le plus souvent en autodi- dacte, ou en fonction des pratiques utilisées dans d’autres labo- ratoires, mettant au point la méthodologie des prélèvements et les techniques d’étude du zooplancton (triage, identification, comptage et exploitation des résultats).

Quelles étaient les méthodes utilisées ?

Les méthodologies employées pour l’étude du zooplancton ne font pas appel à des techniques hyper-sophistiquées ou à un appareillage extrêmement coûteux, et les résultats ne sortent pas mécaniquement d’un ordinateur. La limnologie est une science reposant sur l’observation et l’esprit de synthèse, avec le renfort des connaissances acquises dans diverses disciplines complémentaires et indispensables.

Nous avons adapté les méthodes existantes aux différents lacs étudiés, les prélèvements de zooplancton ont été standardisés, de 0 à 25 m ou de 0 à 50 m selon la profondeur de la zone étudiée, nous avons employé systématiquement l’appareil à prélèvements intégrés pour la récolte du phytoplancton et la détermination ultérieure de la concentration en chlorophylle...

Compte tenu des moyens humains et financiers disponibles, il a fallu restreindre le nombre des sites des prélèvements mensuels, limités à la zone de profondeur maximale avec une station au centre du Grand Lac dans le Léman sur un axe Évian-Lausanne et deux stations à Annecy, une au centre de chaque bassin.

Avec cette procédure, nous pouvons suivre en continu l’évolu- tion d’un plan d’eau sur le long terme tandis que l’utilisation d’un nombre élevé de stations (autrefois une trentaine au Léman réparties entre les équipes suisses et françaises, jusqu’à 10 à Annecy nécessitant 3 jours de travail sur le terrain) permet- tait de mieux prendre en compte l’hétérogénéité du milieu.

Etes-vous intervenu la nuit sur le lac ?

Nous avons effectué quelques études de nuit mais c’était très ponctuel et pourtant riche en enseignements. En effet, la consommation des algues par le zooplancton herbivore est plus intense la nuit que le jour, en raison de la migration nocturne des organismes en direction des couches superficielles. Le plancton était échantillonné toutes les heures pour les mesures de broutage ; ceci impliquait un personnel nombreux et surtout une quantité importante de prélèvements dont l’examen au laboratoire a nécessité de très longues journées de travail.

Après avoir copieusement mangé dans les couches superficiel- les durant la nuit, le zooplancton herbivore (comme les daph- nies) redescend en profondeur avant l’aube pour se mettre à l’abri des prédateurs car un organisme de grande taille est plus visible qu’un petit organisme. En effet, beaucoup de poissons chassent à vue ; il leur faut donc de la lumière et c’est pour- quoi les gros individus du zooplancton se positionnent en pro-

fondeur pour éviter ou du moins limiter la prédation.

199

Crustacé zooplanctonique Mixodiaptomus laciniatus (femelle avec spermatophore à gauche, mâle à droite avec son antenne géniculée).

Appareils pour les prélèvements intégrés.

Photo :©INRA - Gérard BalvayPhoto :©INRA

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Cette ascension du zooplancton durant une période d’intensi- té lumineuse réduite, moins prononcée que durant une nuit classique, a également été mise en évidence lors de l’éclipse solaire du 11 août 1999 en collaboration avec une de mes sta- giaires.

Quels matériels utilisiez-vous pour les prélèvements ? Il fallait tout d’abord un bateau et un treuil électrique équipé d’un câble de plus de 300 m pour atteindre le fond du Léman.

L’eau était collectée avec des bouteilles de prélèvements à fer- meture commandée depuis la surface, c’est-à-dire qu’il suffi- sait d’envoyer un poids le long du câble pour fermer la bou- teille et ensuite remonter le prélèvement d’eau depuis une pro- fondeur donnée. La température était mesurée avec un électrothermomètre équipé d’un câble de 50 m. Le plancton se récupérait en continu entre 50 m et la surface avec deux filets différents.

Depuis plusieurs années, une sonde multiparamètres facilite énormément le travail en permettant d’enregistrer en continu jusqu’à 309 m de profondeur les profils de plusieurs paramèt- res (température, oxygène dissous, conductivité électrique, pH, teneur en chlorophylle, turbidité et transmission de la lumière).

En 1966, pour chaque campagne mensuelle à Annecy, nous tractions depuis Thonon un bateau sur remorque. Le treuil était manuel, autant dire que c’était fastidieux et fatigant lorsqu’il fallait descendre les instruments à 55 m ou 65 m de profondeur plusieurs fois par jour durant 3 jours. Les conditions de travail se sont nettement améliorées avec la mise à notre disposition du bateau du syndicat intercommunal du Lac d’Annecy.

Les prélèvements étaient-ils les mêmes pour le zooplancton et le phytoplancton ?

Les prélèvements de plancton se faisaient simultanément grâce à l’emploi de filets jumelés, l’un avec des mailles d’ou- verture de 64 micromètres pour récupérer les petites algues du phytoplancton et l’autre à 200 µm pour récupérer les plus gros organismes du zooplancton (rotifères, microcrustacés).

Depuis 1974, les prélèvements de phytoplancton ne se font plus au filet car les plus petites algues passaient à travers les mailles du filet et n’étaient donc pas collectées correctement, d’où une sous-estimation de leur abondance.Actuellement, un échantillonneur intégré mis au point par mes collègues J. Pelletier et A. Orand (brevet INRA) permet de récolter de l’eau brute en continu de 0 à 20 m de profondeur. Les résul- tats sont bien différents car ce système récupère tout ce qu’il y a dans l’eau, sans filtration donc sans perte d’organismes.

Le comptage du phytoplancton s’effectue après sédimentation d’un sous-échantillon dans des chambres d’Utermohl ; les algues sédimentent sur une lamelle qui est ensuite examinée avec un microscope inversé.

Le comptage des plus petits organismes du zooplancton (la plu- part des rotifères) s’effectue selon la même procédure que celle utilisée pour les algues. Le zooplancton crustacéen et les grands rotifères sont étudiés avec un microscope classique pour iden-

Daphnia hyalina femelles avec ephippium renfermant 2 œufs de durée (à gauche) et 2 œufs à développement immédiat (à droite).

Filets jumelés permettant de capturer simultanément le phytoplancton et le zooplancton dans la même colonne d’eau.

Photo :©INRA - Jean-Claude Druart

Photo :©INRA

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tifier chaque organisme au point de vue espèce, sexe, stade de développement, fertilité potentielle (nombre d’œufs). Les résul- tats consignés sur des cahiers de comptage étaient ensuite mis sur ordinateur afin de préparer les dossiers de fin d’année.

Nos partenaires français et étrangers utilisent les mêmes méthodes avec des variantes adaptées aux milieux étudiés. La transparence des eaux dans le Léman est mesurée avec un disque de Secchi, disque de 30 cm de diamètre descendu au bout d’un câble étalonné jusqu’à sa disparition à la vue de l’observateur. En stage chez Ulrich Einsle au Lac de Constance, je me souviens que cet hydrobiologiste allemand utilisait un

“disque carré”. Je me suis posé la question de cette forme inusitée qui donnait les mêmes résultats qu’avec un disque classique ; devais-je en déduire que ce “disque carré” évitait les mesures arrondies de la transparence !

Avez-vous utilisé la photo aérienne ?

Nous avons fait des essais avec un laboratoire de Genève spé- cialiste des photos aériennes pour essayer de caler le passage d’un satellite qui pouvait mesurer la transparence et la teneur en chlorophylle, avec nos campagnes de prélèvements sur le Léman. Nous n’avons jamais pu synchroniser nos prélève- ments avec le passage du satellite, parce que le lac était trop agité pour sortir et effectuer correctement nos mesures, ou que le satellite ne pouvait rien voir en raison d’une couverture nua- geuse.

À vos débuts dans ce laboratoire,

quelle était votre perception de cet organisme qui s’appelle l’INRA ? Que saviez-vous de cet organisme qui comptait déjà plus de 5 000 personnes ?

Je connaissais seulement trois laboratoires d’hydrobiologie, ceux de Jouy-en-Josas, Rennes et Saint-Pée-sur-Nivelle (ex Biarritz) dont les travaux étaient complémentaires des nôtres, sauf en ce qui concernait le zooplancton. J’étais le seul spécia-

liste du zooplancton à l’INRA - j’ai le souvenir d’une remarque d’un scientifique de l’École normale supérieure à qui je disais que je cherchais des spécialistes du zooplancton, il me répon- dit qu’il y avait Gérard Balvay à Thonon. J’étais donc connu, mais j’étais bien le seul en ce domaine à l’INRA !

J’étais donc un cas au sein de l’INRA, et depuis lors de nom- breuses institutions de toute nature (DGRST, Agences de l’eau, DDAF, bureaux d’études, syndicats intercommunaux et com- munaux, municipalités...) ont fait appel à mes compétences sans avoir jamais rien demandé ni recherché en termes de contrats. Il s’agissait très souvent d’études ponctuelles accep- tées lorsqu’elles m’étaient utiles pour étudier la structure fonc- tionnelle du réseau trophique dans divers types de milieux aquatiques.

À quel département de recherche étiez-vous rattaché ? À mes débuts, il s’agissait du département d’Hydrobiologie avant de devenir Hydrobiologie et Faune sauvage (HyFS) en ayant récupéré par exemple l’héliciculture et certains mam- mifères (chevreuils). Nous avons eu un certain nombre de responsables scientifiques dont Paul Vivier, directeur de l’hy- drobiologie française, Raymond Février (inspecteur général), les chefs du département Richard Vibert, Jacques Lecomte,

201 Port INRA de Thonon.

Crustacé carnivore Leptodora kindtii (≤15 mm).

Photo :©INRA - Jean-Claude Druart Photo :©INRA - Gérard Paillard

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Bernard Chevassus-au-Louis, Bernard Jalabert et le dernier en date Benoît Fauconneau, qui le plus souvent ont facilité nos recherches sur les lacs : fonctionnement et gestion d’écosystè- mes aquatiques, compréhension du fonctionnement des lacs et étangs, impact des activités humaines, gestion des ressour- ces aquatiques naturelles...

Quelle est la profondeur du Lac Léman ?

Le Léman fait partie des grands lacs mondiaux ; il est en 40

ème

position pour son volume (89 km

3

), en 43

ème

pour la profon- deur (309 m), mais seulement en 113

ème

position pour la super- ficie (580 km

2

).

En raison de la profondeur importante, les eaux du Léman ne se mélangent intégralement qu’à la suite d’hivers longs, froids et ventés, ce qui est arrivé en 1986, 2005 et 2006. Entre deux périodes de circulation totale et donc d’homogénéisation de la totalité de la colonne d’eau, les eaux profondes se réchauffent progressivement sous l’effet de la chaleur interne du globe ainsi que par convection thermique à partir des couches supé- rieures du lac, fortement influencées par le réchauffement cli- matique de la planète. À 309 m de profondeur, la températu- re moyenne du Léman a augmenté de plus de 1°C entre 1971 et 2003, et de 1,8°C dans la strate 0-10 m pour la période 1972-2003.

Dans le cas du Lac d’Annecy, qui se mélange intégralement chaque hiver, les effets du réchauffement climatique sont moins marqués en profondeur (+0,3°C au-delà de 50 m entre 1967-1976 et 1996-2005) qu’en surface (+1,2°C dans la strate 0-10 m durant la même période).

L’état du Léman est suivi en continu depuis 1957 par la com- mission internationale pour la protection des eaux du Léman contre la pollution (CIPEL). Encore oligotrophe (eaux de bonne qualité) au début du XX

ème

siècle, le Léman a montré les pre- miers signes de dégradation vers 1950, celle-ci étant due à l’accroissement continu des teneurs en phosphore pour deve- nir eutrophe (milieu dégradé) dans les années 1970-80.

Actuellement, le lac présente une amélioration progressive de la qualité des eaux.

Quelles sont les origines de l’eutrophisation ?

L’eutrophisation est un problème lié au phosphore qui est le facteur limitant la croissance végétale. Pour le phytoplancton (plancton végétal) comme pour tous les végétaux, il faut du carbone, de l’azote et du phosphore pour croître. Dans les lacs, on a en surabondance du carbone et de l’azote en raison des échanges permanents entre l’atmosphère et l’eau ; c’est donc la teneur en phosphore qui va conditionner l’importance de la croissance algale.

L’origine du phosphore est multiple : agricole (engrais à base de phosphore), urbaine (dans la mesure où il n’y a pas assez de stations d’épuration, les eaux usées arrivant directement au lac), industrielle (traitements de surface des métaux par exem- ple), sans omettre les rejets métaboliques de l’homme et des animaux, ainsi que les apports dus à la pollution aérienne.

Jusqu’en 1959 lorsque le Léman étant encore en bon état, le facteur limitant de la croissance algale était le phosphore avec des concentrations très faibles, voisines de 10 microgrammes (µg) par litre. Petit à petit les teneurs ont augmenté jusqu’à 90 µg/l de 1976 à 1979 (valeur moyenne dans la tranche d’eau 0-309 m). Depuis le début des années 80, les concentrations ont baissé régulièrement avec les progrès dans la collecte et l’épuration des eaux usées, la mise en œuvre progressive de la déphosphatation dans les stations d’épuration, l’interdiction du phosphore dans les lessives en Suisse dès 1986, la restruc- turation du paysage rural pour limiter le ruissellement de sur- face (maintien des haies, labours selon les courbes de niveau, bandes herbeuses à proximité des ruisseaux et des cours d’eau...), les modifications des pratiques agricoles (limitation des engrais phosphatés)...

Développement de la végétation dans les ports à la suite de l’eutrophisation du Léman.

Station d’épuration d’eaux usées.

Photo :©INRA - Gérard BalvayPhoto :©INRA - Jean Bertin

(10)

Dans le Lac de Paladru (Isère) en août 1973, une algue filamen- teuse très envahissante de couleur rouge, Planktothrix (ex Oscillatoria) rubescens surnommée le Sang des Bourguignons (légende née en souvenir de la cuisante défaite du Duc de Bourgogne Charles le Téméraire devant les troupes helvétiques au Lac de Morat en 1476, et dont le sang des Français tués aurait coloré en rouge les eaux de ce lac) s’est développée de façon catastrophique. Des couches d’algues de 10 à 15 cm d’épaisseur étaient rabattues sur les rives -sur un plan artis- tique, c’était très beau avec de magnifiques couleurs vertes, jau- nes et rouges, mais du point de vue odeur c’était horrible, pire que des déchets d’abattoirs. Vous imaginez bien qu’avec cette pollution liée à l’eutrophisation et apparue de façon catastro- phique en août, il ne restait plus personne au bord du lac.

C’était l’occasion idéale pour que les communautés riveraines prennent enfin la décision de supprimer les rejets directs dans le lac : égouts, porcheries. On se demande comment il n’y a pas eu autrefois de maladies hydriques dans ce lac utilisé en parti- culier pour la baignade.

Depuis on a mis en place un soutirage des eaux profondes du lac à 30 m de profondeur pour éliminer des eaux de fond appauvries en oxygène et riches en phosphore et qui sont envoyées dans l’émissaire du lac. Ces techniques ont permis d’améliorer l’écosystème et depuis plusieurs années le Lac de Paladru se porte beaucoup mieux.

Comment expliquer qu’avec plus de nourriture on obtient des produits de moins bonne qualité ?

Plus les algues prolifèrent dans le milieu naturel, moins celles- ci pourront être totalement consommées par le zooplancton, surtout s’il s’agit d’algues filamenteuses. Les algues non con- sommées meurent et tombent au fond du lac. Elles se décom- posent, consomment l’oxygène dissous et libèrent dans le milieu les composants de la matière organique morte, en par- ticulier du phosphore, source interne de pollution s’ajoutant aux apports exogènes en provenance du bassin versant.

Avec la désoxygénation des eaux profondes, le phosphore piégé dans les sédiments repart dans les eaux et contribue à accroître encore la production algale. Le plan d’eau présente alors des eaux troubles, peu attractives, riches en algues, ne permettant qu’une production piscicole de cyprinidés (carpes, tanches, gardons...), les espèces dites nobles comme les sal- monidés (truite, corégone, omble chevalier) ne pouvant surviv- re dans un tel milieu.

Une controverse est apparue lorsque l’INRA a démontré que l’eutrophisation était un facteur de productivité accrue des populations végétales et animales. Il nous a fallu expliquer et faire comprendre qu’il valait mieux produire un kilogramme de poissons de qualité (truite, corégone, omble chevalier) que 50 kg de gardons et d’épinoches pleins d’arêtes, la qualité devant l’emporter sur la quantité, et qu’une trop importante biomas- se algale ne peut que nuire à la qualité des eaux.

Comment avez-vous pu faire prendre conscience aux autorités qu’il y avait un problème d’eutrophisation ? En raison de leur mauvaise situation économique et des accu- sations de surexploitation du Léman, les pêcheurs profession- nels furent les premiers à lancer une offensive contre la pollu-

tion des eaux qui entraînait un mauvais rendement des pêches, la raréfaction de certaines espèces, le développement important d’algues souvent filamenteuses qui engluaient les filets et limitaient leur efficacité de capture.

Au sein de la CIPEL où nous travaillons régulièrement avec nos collègues suisses, nous avons pu répondre aux pêcheurs en identifiant en 1963 la cause majeure de l’eutrophisation, à savoir le phosphore. À partir des recommandations annuelles de la CIPEL, les administrations de France et des cantons suis- ses ont alors imposé des moyens de lutte efficaces pour com- battre ce fléau : construction de stations d’épuration permet- tant de traiter les apports ponctuels d’eaux usées (égouts), mise en place de la déphosphatation dans les stations d’épu- ration, limitation d’emploi des engrais...

Mais que font les aménageurs ?

Le plancton est une composante biologique typique des milieux aquatiques à renouvellement nul (étangs de la Dombes) ou lent des eaux (lacs, retenues artificielles...). Une rivière ne renferme pas de plancton sauf dans les zones d’eaux mortes littorales souvent colonisées par les macrophytes. Il est toutefois possible d’en trouver en pleine eau, en particulier à l’aval des lacs comme à Genève, le zooplancton étant entraîné par l’émissaire hors du Léman.

Pose de filets à omble-chevalier dans le Léman.

Omble.

Photo :©INRA - Gérard Balvay

Photo :©INRA - Jacques Escomel 203

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Lorsqu’un barrage est construit sur le cours d’une rivière, la cir- culation de l’eau est fortement ralentie et le plancton est en mesure de se développer. L’intensité de la production des algues dépend alors des concentrations en phosphore de la rivière.

Les aménageurs n’ont pas toujours pris en compte les condi- tions environnementales initiales comme les teneurs en phosphore des cours d’eau qu’ils allaient barrer (toute mise en eau d’un barrage entraîne une crise initiale d’eutrophisation de plus ou moins longue durée par submersion des terrains et de la végétation, souvent aggravée par la richesse en phosphore des eaux fluviales barrées). Dans le cas du barrage de Petit Saut en Guyane, la qualité de l’eau a été fortement dégradée en raison de l’importance et de la vitesse de croissance de la végétation. Les apports permanents de matière végétale, la submersion de terrains boisés ont rendu difficiles voire impos- sibles, en dehors de la production hydroélectrique, les autres usages initialement envisagés pour cette retenue (pêche de loisir et professionnelle, bases nautiques...). Il a même fallu installer des aérateurs pour oxygéner les eaux à la sortie de la retenue, l’état biologique de la rivière émissaire étant très dégradé.

Pour le Léman, quelles sont les mesures prises ?

La première urgence consistait à intercepter les eaux résiduai- res transportées par les égouts et à les traiter dans 167 sta- tions d’épuration situées dans tout le bassin versant, dont 140 ont été contrôlées en 2007 avec un rendement moyen d’élimi- nation du phosphore voisin de 90%.

On protège aussi le Léman en contrôlant les apports qui ne peuvent pas passer par une station d’épuration ; c’est le cas du ruissellement diffus qui est intensifié par les pluies, se retrouve dans les ruisseaux et finit dans le lac. Il faut alors limiter ce ruis- sellement diffus (maintien et entretien des haies, labours selon les courbes de niveau, zones herbacées à proximité des cours d’eau...), envisager le bon fonctionnement et la pérennité des marais et des zones annexes aux eaux courantes, la protection de toutes les zones humides qui constituent autant de pièges à phosphore. Mais il faut que ces marais soient entretenus, par exemple régulièrement broutés ou fauchés pour fournir de la litière pour le bétail.

On peut supposer que cela passe par des choix politiques d’aménagement.

Effectivement, c’est aux administrations nationales, régionales et départementales, aux communes, chambres d’agriculture, syndicats intercommunaux, d’agir à leur niveau de compéten- ce pour appliquer et favoriser la mise en œuvre des proposi- tions de la CIPEL : intensification de la collecte des eaux rési- duaires, amélioration de l’étanchéité des réseaux et élimina- tion des eaux claires, contrôle du bon fonctionnement des sta- tions d’épuration et de l’assainissement individuel, passage à l’agriculture extensive, emploi limité des pesticides et des engrais, modification des pratiques agricoles, entretien des marais par le pâturage ou le fauchage...

Comment fonctionne cette commission internationale qu’est la CIPEL ?

C’est une collaboration très étroite entre la France et la Suisse pour la surveillance continue de la qualité des eaux du Léman.

Cette commission n’a qu’un rôle consultatif ; à partir du bilan des diverses études établi chaque année par les scientifiques suisses et français de la CIPEL, la commission transmet aux gouvernements respectifs des recommandations qui se tradui- sent en textes législatifs avec un certain délai. Il a fallu deux décennies pour que les gouvernements prennent conscience du problème de l’eutrophisation du Léman et du rôle du phosphore dans cette dégradation. La Suisse a été plus rapide que la France, en interdisant les phosphates dans les lessives dès 1986 alors que la France s’est contentée d’une simple limi- tation des teneurs (l’interdiction française datant seulement du 1

er

juillet 2007). Cependant les lessives industrielles ne sont pas concernées par les mesures. On parviendra à une limita- tion effective de l’utilisation du phosphore, mais ce sera long car le problème est complexe ; la pollution par le phosphore est d’origine mixte, globalement disons un tiers pour chacun des trois types de pollution (urbaine, industrielle et agricole).

Actuellement, la CIPEL surveille les produits phytosanitaires, les résidus de médicaments, les métaux lourds dans les eaux du Léman, lac qui fournit annuellement de 80 à 100 millions de m

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d’eau potable à plus de 500 000 personnes à partir de 11 sta- tions de pompage. En effet, la production d’eau potable néces-

Démarche synchronique

©INRA

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site des traitements plus ou moins poussés et complexes : traite- ments bactéricides par ozonisation, chloration ou traitement UV, filtration sur sable ou charbon actif, ultrafiltration sur membrane, les techniques les plus modernes permettant une élimination très poussée des micropolluants qui pourraient s’avérer toxiques.

Revenons à vos débuts à l’INRA. Comment avez-vous commencé à travailler sur le zooplancton ?

J’ai commencé à travailler sur le zooplancton du Lac d’Annecy en 1965 pour ma thèse. Ce lac avait été l’objet d’une première alerte à la dégradation des eaux lancée en 1943 par le limno- logue, Étienne Hubault, professeur à l’École nationale des eaux et forêts de Nancy, mais sans résultat. Cette alerte fut reprise à partir de 1947 et enfin entendue en 1952 par B. Dussart, direc- teur de la station de recherches lacustres de Thonon (devenue station INRA en 1964). La prise de conscience progressive de la réalité des choses, abordée notamment lors de l’assemblée générale de l'association des pêcheurs du lac d'Annecy et au conseil supérieur d'hygiène publique de France en 1955, amena les politiques à se saisir de cette question.

Je citerai à ce sujet, l'engagement déterminant dans la croisa- de pour la sauvegarde du lac d'Annecy du docteur Paul Servettaz, maire-adjoint de cette ville.

Dès 1966, j’ai eu la charge de présenter au syndicat intercom- munal des communes riveraines du Lac d’Annecy (SICRLA) un bilan annuel de la physico-chimie des eaux et des variations éventuelles des teneurs en oxygène, phosphore, azote. Car le contrat passé avec le SIRCLA était destiné à suivre l’évolution de ce plan d’eau afin de fournir de l’eau pure aux communes rive- raines du lac. Dans le même temps, j’étudiais les microcrustacés planctoniques d’Annecy dans le cadre de ma thèse afin de relier les modifications de la qualité des eaux à celles du zooplancton.

Comment êtes-vous passé du Lac d’Annecy au Lac Léman ? Après mon intégration à l’INRA en 1966, je me suis retrouvé le 4 mai 1968 à l’armée, d’abord à Nantes puis à l’école du ser- vice de santé militaire de Lyon. Le directeur P. Laurent a alors repris le contrat Annecy surtout sur le plan physico-chimique, complété avec quelques données sur le phytoplancton établies par J.-C. Druart, technicien à cette époque.

Libéré du service militaire le 1

er

septembre 1969, je n’ai pas été invité à reprendre le contrat Annecy bien qu’étant régulière- ment mis à contribution pour des articles et des rapports sur ce lac. Aussi ai-je engagé un programme de recherche sur Chaoborus, moustique non piqueur fréquent dans les lacs comme à Nantua et Annecy mais absent dans le Léman, et dont j’ai étudié les caractéristiques morphométriques et le cycle bio- logique. La larve aquatique migre la nuit, quittant les eaux pro- fondes du lac pour manger le zooplancton en surface ; et pou- vant apporter des profondeurs du phosphore mais cela n’a pas été concluant en raison des faibles quantités de phosphore transportées et excrétées dans les couches superficielles par une population relativement peu abondante.

En 1974, je me suis tourné vers la limnologie comparée avec un contrat du ministère de la Qualité de la Vie (direction de la pré- vention des pollutions et nuisances) pour mettre au point et tes- ter une méthodologie pour le Pré-Inventaire du degré de pollu- tion des lacs et des étangs de France.

Après ce Pré-Inventaire, j’ai intégré le groupe de travail pluridis- ciplinaire sur la polyculture en étangs pour améliorer et diversi- fier la production piscicole globale en étangs par raccourcisse- ment du réseau trophique, en introduisant des carpes chinoises herbivores (Hypophthalmichthys molitrix) destinées à consom- mer le phytoplancton surabondant dû à une intense fertilisa- tion, servant alors de nourriture pour les brochets afin qu’ils dédaignent les carpes communes.

Je me suis intéressé au zooplancton du Léman à partir de 1975 tout en gardant contact avec le Lac d’Annecy jusqu’en 1981. De 1986 à 1995, le suivi du Lac d’Annecy a été confié au bureau d’études IRAP (Annecy) pour la biologie et à la Sogreah (Echi- rolles) pour la physico-chimie (sous-traitée en partie à l’INRA Thonon). En regardant de près avec J.-C. Druart les rapports éta- blis par ces intervenants, nous avons constaté que les tech- niques de mesure différaient des nôtres, les identifications fai- saient appel à d’anciens ouvrages, leurs résultats divergeaient parfois fortement avec nos connaissances et étaient incomplets en particulier pour le phytoplancton (et en plus, il n’y avait aucu- ne donnée sur le zooplancton). Nous avons dénoncé ce gâchis et depuis 1996, la station d’hydrobiologie lacustre INRA assure seule le suivi des recherches en collaboration avec le SILA.

Rappelez-nous vos premières responsabilités au laboratoire.

J’ai pris en charge le laboratoire de zooplancton en juin 1966, assisté par une technicienne. Mais dès juillet, j’ai eu la respon- sabilité d’organiser et de conduire une campagne héliportée de prélèvements dans plusieurs lacs de montagne des Hautes- Alpes assisté par 2 ouvriers (était-ce un test de mes compéten- ces ?).

Comment a évolué ce laboratoire ?

Au gré des transferts et des mobilités, mais on ne peut pas par- ler de réel recrutement. Dans les années 80 une scientifique américaine a été intégrée temporairement à Thonon, suivie en

205 Transmission des isotopes dans les réseaux trophiques

Les signatures isotopiques des producteurs primaires à la base de la chaî- ne trophique se transmettent jusqu’au prédateur final de façon inchan- gée pour le carbone, avec un enrichissement de 3 à 4 ‰ à chaque niveau trophique pour l’azote.

Plusieurs sources de production primaire peuvent être à l’origine d’un réseau trophique (végétal terrestre apporté par le bassin versant, phyto- plancton...). La signature du carbone d’un organisme du réseau permet d’estimer la part des différentes sources dans son alimentation.

La signature de l’azote permet de positionner le niveau d’un organisme dans la chaîne trophique et d’estimer la longueur de cette chaîne quand on dispose de la signature des producteurs primaires et des consomma- teurs finaux.

©INRA

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1984 par une chargée de recherche CNRS dont le laboratoire à Lille venait de fermer. Nous nous sommes donc retrouvés à trois pour travailler sur le zooplancton (réseaux trophiques, évolution de la structure du plancton, migration des organis- mes). En confrontant les résultats de nos diverses approches, nous parvenions à faire une synthèse du fonctionnement de l’écosystème lacustre au niveau du plancton ; travaux menés en collaboration avec J.-C. Druart (IE), car nous ne pouvions pas nous passer de nos compétences réciproques, surtout pour l’étude du fonctionnement du réseau trophique et la caracté- risation de l’état de la qualité des eaux.

Aviez-vous le soutien de votre département de recherche ? La station de Thonon a toujours été soutenue par le départe- ment HyFS ainsi que par Daniel Courtot, délégué régional Rhône-Alpes de l’INRA. Ce qui a permis entre 1972 et 1989 d’obtenir des renforts conséquents avec 8 chercheurs, 5 ingé- nieurs et 11 techniciens.

Avez-vous exercé des responsabilités administratives à l’INRA ?

J’ai été élu au conseil de gestion (1990-1998) et au conseil scientifique (1998-2002) du département d’Hydrobiologie et Faune sauvage. Localement j’ai été directeur adjoint (mars 1998-2000) puis directeur de l’UMR 42 INRA-université de Savoie (2000-2002) et simultanément directeur adjoint (1998- 2000) puis directeur de la station d’hydrobiologie lacustre (2000-2002), ce qui m’a valu d’être membre du conseil scien- tifique et du conseil de gestion du centre INRA de Dijon, avec participation aux réunions des DU et aux CAPL.

La participation à des concours internes et externes de l’INRA a été pour moi très enrichissante en abordant les diverses recherches conduites à l’Institut. J’étais attentif à l’intérêt porté en général par les candidats à conduire leur travail. Cependant je me souviens de candidats cantonnés dans un travail quoti- dien routinier et qui ne parvenaient pas à situer leur activité dans leur laboratoire, n’étant pas ou mal informés de l’utilité et du devenir de leur travail. D’où leurs difficultés à faire vali- der leur travail de tri des graines par exemple par rapport à d’autres activités beaucoup plus valorisantes.

Mes responsabilités extérieures m’ont conduit, en raison de ma spécialisation, à être membre permanent des comités scienti-

fiques de la CIPEL et du SICRLA, du conseil scientifique pour le contrat de bassin du Lac du Bourget et du conseil consultatif auprès de la commission environnement du conseil général de Haute-Savoie. Sans oublier les jurys de thèse en France (10) et à l’étranger (6), de DEA (5) et divers (BTA, BEPA...).

Comment se passait la gestion du personnel à la station de Thonon ?

Nous avons toujours soutenu nos personnels pour les promo- tions annuelles, les campagnes d’avancement et de promotion, mais une fois mis en concurrence avec les autres candidats du centre de Dijon, ils étaient parfois difficiles à défendre. Je me souviens d’un concours à Dijon où je défendais un candidat qui évoquait son travail avec Bernard Chevassus-au-Louis qui n’était alors que chercheur. Les autres membres du jury qui ne connaissaient pas l’histoire du département ont pensé que le candidat voulait se faire mousser en faisant référence au (futur) directeur général de l’INRA ; heureusement que j’ai pu remettre les choses au point et faire réussir ce candidat.

Pourquoi la station a-t-elle été rattachée au centre de Dijon sur le plan administratif ?

L’INRA estimait que nous étions trop isolés et trop éloignés de notre direction parisienne -nous étions un peu considérés comme des électrons libres- il nous fallait une tutelle adminis- trative mais il n’y avait pas de centre INRA en Rhône-Alpes, région sous domination du CNRS depuis l’après-guerre. Il était difficile d’être rattaché à Clermont-Ferrand en raison de la dis- tance et des difficultés de communication. Il ne restait donc que la région Bourgogne avec le centre INRA de Dijon, ayant perdu sa compétence limnologique depuis le départ pour Thonon de J. et M. Feuillade en 1968, mais relativement acces- sible (malgré 3 heures de route !) et auquel nous avons été rat- tachés en 1974.

Une question à propos de l’isolement de la station.

Aviez-vous des visites des personnalités du centre de Dijon ? Le centre de Dijon s’est toujours intéressé à notre sort et à nos besoins. Le président Jacques Brossier et le directeur des servi- ces d’appui, les responsables prévention, formation permanen- te, travaux, venaient étudier nos problèmes sur place. Ce qui n’empêchait pas la direction et le personnel de Thonon de se rendre régulièrement à Dijon pour les conseils scientifiques et de gestion du centre, et également pour s’informer auprès des responsables des différents secteurs pour résoudre des problè- mes administratifs...

Comment êtes-vous devenu directeur d’unité ?

Je le suis devenu de façon imprévue. Daniel Gerdeaux ne sou- haitant pas pérénniser ses fonctions de directeur au bout de 10 ans, l’administration a nommé en 1998 Pierre Luquet, directeur de recherche à Saint-Pée-sur-Nivelle pour diriger la station. C’est alors que j’ai eu la surprise de voir débarquer à Thonon Bernard Jalabert (chef du département HyFS) et son adjoint Benoît Fauconneau pour me proposer le poste de directeur adjoint. Seulement directeur adjoint m’a-t-on fait clairement entendre ; je ne pouvais devenir directeur car il y

Initiation au zooplancton de Michel Crépeau (au centre), ministre de l’environnement, par Gérard Balvay, 1982.

Photo :©INRA

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avait localement une animosité et une jalousie envers moi et je n’ai jamais voulu en savoir plus à ce sujet !

Mais quand P. Luquet est tombé malade et a cessé ses activi- tés directoriales en 2000, j’ai hérité des fonctions de directeur de la station, menées en solitaire. En 2003 j’ai dû arrêter pour des problèmes de santé, remplacé par Jean-Marcel Dorioz (à l’époque encore CR1) et Jean Guillard (IR), respectivement directeur et directeur adjoint.

J’ai abandonné la direction d’unité absolument sans regret car je pense que je n’étais pas assez formé à cet exercice, d’autant plus que certains dossiers demandés par Paris me paraissaient vraiment ésotériques et vagues. J’ai essayé de faire de mon mieux et j’aurais aimé cette période s’il n’y avait pas eu le poids des problèmes administratifs, la mise en place des ARTT, les directoriales... J’ai été trop absorbé par la gestion du do- maine, la paperasse et les contraintes administratives, à tel point que je ne pouvais plus m’occuper régulièrement de ma recherche, sauf en allongeant la durée du travail quotidien. Je mentionnerai en outre pour mémoire le temps passé à prépa- rer et à rédiger les évaluations de l’UMR (en 2000), de l’unité, des équipes et des chercheurs, la réhabilitation de l’UMR (en 2002), les dossiers des CSS et des concours, les entretiens annuels avec le personnel, la préparation de documents pour l’ARTT, pour le schéma stratégique du département HyFS et son évaluation collective, l’organisation des conseils de service et de direction...

Comment se passait l’animation scientifique ?

Lancée par Philippe Olive et Daniel Gerdeaux et poursuivie avec l’UMR, l’animation a permis de resserrer les liens entre les différentes équipes. Les thésards présentaient l’état d’avance- ment de leurs travaux dans l’ambiance et les conditions de soutenance de thèse et cela leur était très profitable ; les cher- cheurs présentaient également leurs résultats. Ces réunions permettaient aux chercheurs, techniciens et stagiaires de mieux connaître les recherches en cours et de s’ouvrir à la connaissance globale des écosystèmes. Mais surtout nous pré- parions nos techniciens à affronter les divers concours en simulant les conditions d’examen.

Étiez-vous demandeur de formations ?

J’ai suivi des formations basiques en informatique mais sans plus. J’ai souvent été déçu par les formations proposées qui ne correspondaient pas forcément à mes besoins ou à mes désirs, idem pour les formations aux jurys de concours que j’ai trou- vées parfois inutiles. Cela ne m’a guère encouragé à formuler d’autres demandes, même si j’ai parfois ressenti qu’une forma- tion à la gestion administrative pour mieux exercer mes fonc- tions de directeur aurait été plus utile.

Avez-vous formé du personnel sur le zooplancton ?

Mon premier stagiaire qui venait de l’ENITA de Quétigny a tra- vaillé sur les conséquences de l’introduction de plancton sur un petit lac thononais afin d’y restructurer le réseau trophique for- tement dégradé. Il est maintenant directeur de recherche au CNRS, spécialiste des réseaux trophiques des lacs de la région parisienne.

Parmi mes stagiaires de longue durée, j’en ai retrouvé au CNRS, à l’IFREMER et à l’IRD, aux universités d’Alger, de Marrakech, de Montréal, en biologie marine au Canada.

Plusieurs stagiaires ont trouvé un emploi dans les agences de l’eau, des syndicats intercommunaux ou dans des bureaux d’é- tudes, leurs connaissances en limnologie et sur le plancton entrant pour une part plus ou moins importante dans leurs activités.

Avez-vous formé des chercheurs INRA ?

J’ai rarement formé des chercheurs INRA, peu intéressés par ma spécialisation sauf lorsqu’ils avaient des problèmes dans leurs milieux aquatiques ; ils se contentaient presque toujours de m’adresser leurs échantillons à des fins d’analyses.

Comment transmettiez-vous vos compétences et votre savoir-faire ?

J’ai organisé des stages de formation de plus ou moins longue durée pour les étudiants de différents niveaux (thèse, licence, DEUTS, MST, BTS...), pour le personnel de bureaux d’études ou d’entreprises comme la SAGEP (société anonyme de gestion des eaux de Paris, chargée de l’élaboration et de l’approvision- nement en eau potable de la capitale intra muros). Ainsi que des stages pratiques et des cours pour les délégués, gardes- pêche et stagiaires du conseil supérieur de la pêche, les pisci- culteurs d’étangs, les gestionnaires de plans d’eau, les respon- sables piscicoles régionaux, les plongeurs subaquatiques du Lac d’Annecy... En plus de la vidéomicroscopie largement uti- lisée dans ces rencontres, j’ai réalisé un document sur les éco- systèmes lacustres et le zooplancton, largement distribué aux différents stagiaires afin qu’ils puissent plus tard ne pas assi- miler comme vérités les erreurs rencontrées dans quelques ouvrages soi-disant de référence comme certains dictionnaires encyclopédiques. Il s’agit cependant de littérature grise, non valorisée par les instances supérieures, mais qui fournit un ensemble de données permettant aux intéressés d’aborder les domaines de la limnologie et de la biologie lacustre et de disposer de pistes pour accéder à des informations complé- mentaires si nécessaire.

Quel est votre avis sur les évaluations scientifiques ? Les CSS sont utiles pour faire le point tous les deux ans sur ce qui a été fait. Je me demande pourtant si aux échelons supé- rieurs cela servait à quelque chose, le message de retour étant souvent vague ou peu critique. Pour moi, il était cependant intéressant de faire régulièrement le point des recherches et je le faisais volontiers même si cela me prenait du temps.

Revenons à votre carrière. Quel en a été son déroulement ? Je suis passé chargé de recherche à l’ancienneté. En 1993 et 1994, j’ai présenté sans succès le concours de DR2 du temps où cela se faisait sur dossier. Je n’ai jamais été reçu, recalé dès ma première candidature au profit d’un candidat à sa cinquiè- me tentative (sous le fallacieux prétexte que je pouvais me représenter ultérieurement !), ensuite dans des concours avec pré-sélection sur dossier, où le jury comportait très rarement

des hydrobiologistes ou des limnologues et où la mémoire des

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examinateurs pour les concours précédents faisait souvent défaut. Plus tard, je me suis trouvé face à un chercheur de Thonon admis à quelques mois de la retraite et ensuite en concurrence inégale avec de jeunes loups bardés de diplômes, souvent HDR, équipés de matériels parfois très onéreux dans des créneaux de recherche très étroits (pour être le seul, le pre- mier ou la référence dans le domaine étudié) ou dans des sec- teurs porteurs confortés par l’INRA (nutrition et qualité des produits par exemple). Domaines beaucoup plus étroits que ne l’est la limnologie, science des eaux douces continentales, science de synthèse dont l’un des objectifs, pour ne pas dire le plus important, consiste à maintenir ou à retrouver partout une excellente qualité des milieux aquatiques pour disposer :

•d’une ressource en eau potable justifiant des traitements simples et les moins onéreux possibles

•d’un milieu propice à une production piscicole de valeur

•et permettre le plein exercice de loisirs liés à l’eau dans un milieu bactériologique correct.

D’où une certaine amertume, le sentiment d’avoir été floué à la suite des concours de DR2.Après la publication des résultats, le chef de département me donnait chaque fois un coup de fil en me disant qu’il regrettait mon échec. Il m’a même proposé de passer ingénieur de recherche, mettant en avant un salaire et une prime de recherche plus intéressants parce qu’il ne fallait pas que je me fasse d’illusions car je ne serai jamais reçu au concours de DR2.

J’ai le sentiment d’avoir été volontairement écarté des heureux élus, mais je ne me suis jamais découragé car j’ai présenté 9 fois le concours de DR2 ! Je considère que mon parcours de chercheur n’a jamais été valorisé, même si j’ai été nommé (à titre compensatoire ?) chevalier du mérite agricole en 2003 sur proposition de l’INRA.

Parlez-nous de votre expérience dans le domaine de la vulgarisation scientifique autour de la connaissance du Lac Léman, de sa biologie et de la qualité des eaux.

En raison d’une méconnaissance du Léman plus ou moins pro- noncée chez les touristes de passage, les vacanciers et même chez les Savoyards, je me suis décidé dans les années 70 en collaboration avec l’Office du tourisme de Thonon à remédier à cet état de fait, pour les CE d’EDF-GDF (Anthy, Thonon, Yvoire), l’association VVF d’Evian et de nombreuses autres structures (sociétés scientifiques, Rotary Clubs du Léman, réserves naturelles de Haute-Savoie, DIC Paris, cinquantenaire de l’INRA...). D’où mes conférences, les projections commen- tées en direct de mon diaporama (160 diapos), les travaux pra- tiques pour scolaires (Génération Léman : formation des jeu- nes à la biologie lacustre avec mon collègue J.-C. Druart), les croisières-conférences sur le Colibri et les sorties vers les lacs de montagne..., activités réalisées bénévolement, le plus sou- vent en dehors des heures de travail ou en prenant des congés.

Mes interventions ont toujours été très appréciées hors INRA.

Les Rotary Clubs du Léman m’ont récompensé en 2002 d’un Léman de Cristal, distinction généralement décernée à des associations ou des collectivités locales mais rarement attribuée à un scientifique, pour mes interventions de vulgarisation scien- tifique relatives à la connaissance du Léman et à sa protection.

Le contenu de mes interventions est prévu pour intéresser un maximum de personnes dont les questions m’embarquent

parfois sur un sujet qui les passionne ou dans un domaine qu’ils croient connaître. Et souvent je dois mettre un terme à des légendes tenaces comme celle du Rhône traversant le Léman sans s’y mélanger, sur les communications souterraines du Léman avec le Lac du Bourget ou sur l’eau des Alpes pas- sant sous le Léman pour alimenter les fontaines du Jura sur la rive nord du lac.

Comment cela se passe-t-il avec les écologistes ?

J’ai toujours entretenu de bons rapports avec les écologistes pour compléter leur culture et leur éviter de mauvaises prises de position si nécessaire. Cela m’était d’autant plus facile que j’ai été fondateur et président (1974-1982) de la section de Haute-Savoie de la fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA-74).

Débouchiez-vous sur des débats citoyens à propos de l’évolution de la recherche dans le domaine de l’environnement ?

Les gens ne connaissent pas vraiment l’INRA, ni ses structures, ni son fonctionnement, encore moins ses résultats. Dans mes interventions publiques, je présente l’Institut en évoquant quelques exemples des résultats des recherches comme la frai- se Gariguette, la pomme Ariane, la poire Angelys ou le raisin Danuta. Mais dans le commerce, ces produits ne sont pas iden- tifiés par et pour le public par les commerçants (sauf la Gariguette). Ces innovations sont souvent inconnues de la population comme la poule Vedette, et certains résultats mal compris prêtent à critiquer l’utilité de la recherche (pourquoi supprimer une production alimentaire végétale utile en la transformant en biocarburant polluant) ou à rire comme avec le trèfle à quatre feuilles.

Avez-vous pensé un temps à travailler ailleurs qu’à l’INRA ? Oui, si la pérennité de la station avait été mise en cause comme ce fut le cas en 1980. J’aurais peut-être demandé à être intégré à l’université ou au CEMAGREF, mais cela ne s’est pas produit et je ne regrette pas d’être resté à Thonon, locali- sation idéale pour étudier les lacs et faire de la limnologie com- parée dans une ambiance conviviale et laborieuse, à proximité des laboratoires suisses et italiens.

Avez-vous travaillé sur le zooplancton océanique ?

Lors de stages de faculté à Tamaris et à Villefranche-sur-Mer, j’ai pu aborder le zooplancton marin. Et j’ai travaillé sur la baie de Somme à l’interface eau douce-eau salée où il existe une interpénétration entre les espèces d’eau douce, saumâtres ou marines ; ce qui m’a permis d’élargir le champ de mes connais- sances.

Comment ferons-nous demain s’il n’y a plus de spécialistes du zooplancton ?

Que se passera-t-il s’il n’existe plus de données régulièrement

mises à jour et relatives à ce compartiment essentiel du réseau

trophique ? Certes nul n’est indispensable tant que l’écosystè-

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