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Les Systèmes Urbains Cognitifs et l’écueil du déterminisme technologique

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Academic year: 2021

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Raphaël Besson

Directeur de Villes Innovations (Madrid, Grenoble) Chercheur associé à PACTE-CNRS

r.besson@villes-innovations.com

LES SYSTEMES URBAINS COGNITIFS ET L’ECUEIL DU DETERMINISME TECHNOLOGIQUE GEOGRAPHIE, ECONOMIE ET SOCIETE

2017

Pour citer l’article : Besson, R., 2017, Les Systèmes Urbains Cognitifs et l’écueil du déterminisme technologique. Géographie, économie, société, vol. 19,(4), 459-483.

doi:10.3166/ges.19.2017.0019

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RESUME - Les systèmes urbains cognitifs et l’écueil du déterminisme technologique

Les mutations récentes du capitalisme, où la connaissance tend à remplacer les ressources naturelles et le travail physique comme outils de croissance économique, transforment en profondeur les villes contemporaines. L’une des manifestations de ces mutations réside dans la multiplication de projets de « districts technologiques », de « clusters créatifs », de « clusters culturels », de « districts du design » ou encore de « cyber districts ». Ces projets se développent sur le modèle des « Systèmes Urbains Cognitifs » (SUC). Les SUC émergent au cœur des villes, et font suite à des politiques publiques fortes de revitalisation socioéconomique et urbaine, sur des sites de quelques centaines d’hectares. Ces projets cherchent à attirer les talents et les activités innovantes, tout en jouant un rôle actif dans les processus de production d’innovations. Une autre caractéristique des SUC est qu’ils sont bâtis sur un fort déterminisme technologique. Ils reposent sur l’illusion selon laquelle les innovations technologiques seraient aptes à stimuler par elles-mêmes le développement socio-économique, urbain et durable des villes. L’objet de notre article est de discuter de la portée et des limites de la perspective technologiste des SUC, à travers une analyse de quatre SUC : 22@Barcelona à Barcelone, les Distrito Tecnológico et Distrito de Diseño de Buenos Aires et le projet GIANT/Presqu’île à Grenoble.

Mots-clés : déterminisme technologique, capitalisme cognitif, Systèmes Urbains Cognitifs, villes créatives, nouvelle économie

SUMMARY - Cognitive Urban Systems and technology determinism

In the recent capitalism mutations, knowledge tends to replace natural resources and physical work as economic growth tools, and this deeply transforms modern cities. Progressively, contemporary cities fit their productive, spatial and organizational structures to new economy demands. One of the most evident sign of these mutations lies in the multiplication of projects such as “technological district”, “creative” or “cultural clusters”, “design districts” or “cyber districts”.

These projects are all developed on a same model, the model of “Cognitive Urban Systems” (CUS).

Those CUS emerge at the core of the cities as the consequence of strong public policies of socio- economic and urban revitalization, on areas of approximately 200 acres. The aim of the projects is

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to attract talents and innovative activities, paying an active role in the process of production of innovations. Another characteristic of the CUS is that they are built on the base of a strong technological determinism. The lay on the illusion that technological innovations would be able of stimulating by themselves the socioeconomic, urban and sustainable development of the cities.

The object of this article is to discuss the impact and the limits of the CUS’s technological perspective, through an analysis of four CUS: 22@Barcelona (Barcelona), Distrito Tecnológico and Distrito de Diseño (Buenos Aires) and the project GIANT/Presqu’île (Grenoble).

Keywords : Technologic determinism, Cognitive Capitalism, Cognitive Urban Systems, Creative cities, new economy

Depuis la fin des années 1990, on observe un intérêt croissant des métropoles pour la thématique des villes innovantes et créatives. Que ce soit New York, Boston, Paris, Londres, Milan ou Barcelone, c’est dit, la ville du futur sera nécessairement innovante ! Des théories se développent pour expliquer les facteurs propices à la création d’un milieu urbain innovant, à travers les notions de villes créatives (Landry et Bianchini, 1995 ; Florida, 2002 ; Cohendet et al, 2011 ; Vivant, 2009 ; Pratt, 2010 ; Scott, 2010), de villes apprenantes (Glaeser, 1999), de villes intelligentes (Komninos, 2002), ou encore de villes du savoir (Ovalle et al., 2004 ; Yigitcanlar et al., 2007).

A cette littérature pléthorique est associée une multiplication de think tanks, de Fondations1 et d’experts spécialisés sur ces questions. Des politiques publiques supra et infranationales tentent de stimuler la créativité des villes, à l’image du Réseau des villes créatives de l’UNESCO, de l’année européenne de la créativité et de l’innovation, ou de l’initiative Quartiers numériques (rebaptisée French Tech) lancée en 2013 par le Ministère du Redressement productif.

1 Citons notamment la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING), à l’origine de la réflexion sur la « ville 2.0 », le think tank Fabrique de la Cité créé par le Groupe Vinci ; ou la Fondation des Territoires de Demain qui œuvre au développement de Living Labs en Europe.

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Les collectivités intensifient la dynamique en planifiant des projets de districts technologiques, des quartiers des sciences, de la création ou de l’innovation. Ce phénomène a émergé dans les années 2000 avec le projet 22@Barcelona à Barcelone, avant de se développer de manière exponentielle en Europe (quartiers de la création et de l’innovation à Nantes et Lausanne ; campus de l’innovation GIANT / Presqu’île à Grenoble), en Amérique du Nord (Mission Bay à San Francisco ; district et quartier de l’innovation à Boston et Montréal), en Asie et en Amérique Latine (avec l’exemple des districts technologiques et du design de Buenos Aires).

Dans la conception de ces grands projets, les responsables se sont en partie inspirés de travaux issus de la sociologie urbaine et de l’économie territoriale. Parmi ces travaux, évoquons l’approche sociologique qui repose sur une analyse visant à déterminer «les éléments d’un environnement urbain susceptible d’attirer (...) un groupe de personnes censées, par leur présence et surtout leur occupation professionnelle, constituer un facteur prépondérant de la dynamique de croissance économique urbaine » (Darchen et Tremblay, 2008). C’est ici l’approche de Charles Landry ou de Richard Florida (Florida, 2002). Ces auteurs cherchent à identifier les facteurs d’attractivité de la classe créative, composée autant d’artistes, informaticiens, que de bohémiens et scientifiques. Et c’est la formule des « Trois T » de « Talent, Technologie et Tolérance », qui selon Richard Florida, serait la clé pour attirer cette classe ouverte, tolérante et essentielle au développement économique des villes contemporaines. L’approche de l’économie territoriale, et les notions liées de milieux innovateurs (Maillat, 1995 ; Crevoisier et Camagni, 2000), de districts technologiques (Antonelli, 2000), de clusters (Porter, 1998), de clusties (Gaschet, Lacour, 2007) ou de districts culturels (Scott, 2006), défendent quant à elles l’idée de la concentration géographique d’entreprises, universités et laboratoires de recherche. L’existence et la permanence de liens de proximité entre firmes et travailleurs de la connaissance étant censée favoriser une dynamique relationnelle propice

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à la créativité, l’échange de connaissances tacites et l’innovation (Kline et Rosenberg 1986 ; Becattini 1990 ; Maskell et Malmberge 1999 ; Rallet et Torre, 2008).

Ces thèses ont largement influencé le développement des quartiers de l’innovation ou de la création. D’une certaine manière, les projets comme 22@Barcelona, GIANT/Presqu’île ou Mission Bay ont fait la synthèse de ces deux approches disciplinaires. Ils ont concentré sur des espaces compris entre 100 et 300 hectares, un ensemble de fonctions et aménités urbaines, technologiques, culturelles et sociales, non seulement pour attirer des talents et des activités innovantes, mais aussi jouer un rôle actif dans les processus d’innovation. Ils se sont concentrés au cœur des villes, à la suite à de politiques publiques de revitalisation socioéconomique et urbaine.

Loin de constituer des villes dans la ville ou des zones interdites dédiées à la créativité, leur ambition a été de créer les conditions d’une innovation encastrée dans un tissu économique, urbain et socioculturel diversifié. Avec pour objectif d’ériger ces quartiers en de véritables laboratoires d’expérimentation et de diffusion des innovations technologiques dans la ville. C’est ici une des caractéristiques essentielles des quartiers de l’innovation. Ceux-ci sont bâtis sur un fort déterminisme technologique. Dans une perspective déterministe, on suppose que le changement technique influence la société, sans que la société ne soit en mesure d’influencer en retour la technologie, censée évoluer de manière autonome (Vinck, 1995). Or ces grands projets urbains reposent sur l’idée selon laquelle les innovations technologiques seraient aptes à stimuler par elles- mêmes le développement socio-économique, urbain et durable des villes. Selon ces principes, les innovations produites au sein des quartiers permettraient de répondre aux grands enjeux environnementaux («expérimenter la ville durable »), économiques (« accroître la compétitivité des entreprises , « échapper à la dépendance économique vis-à-vis de décideurs extérieurs »), sociaux (« recherche de solutions plus collectives et créatives avec les citadins ») ou encore urbains

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(« préfigurer un modèle urbain innovant conjuguant innovations technologiques, qualité de vie, densité et mixité sociale »). Pour asseoir de telles affirmations, les responsables des projets s’appuient sur la littérature relative à la classe créative (Florida, 2002), aux systèmes locaux d’innovation et à leurs impacts sur la socio-économie des villes (Glaeser, 2007 ; Glaeser, Gottlieb, 2008). Ils s’inspirent également de la littérature consacrée aux externalités de connaissance et au rôle de la proximité géographique dans la diffusion des connaissances au niveau local (Jaffe et al., 1993 ; Audretsch et Feldman, 1996 ; Jaffe, 1986 ; Autant-Bernard et Massard, 1999, Goytia et al., 2009).

Cet ensemble de caractéristiques des quartiers de l’innovation et de la création, nous a incité à construire le modèle des Systèmes Urbains Cognitifs (Besson, 2014). L’analyse de ces projets nécessitait de se doter d’un cadre conceptuel préalable, afin d’éviter le risque d’une « dérive monographique » (Pinson, 2002). Les quartiers de la création ou de l’innovation sont une catégorie de la pratique. Pour les étudier, la modélisation était nécessaire, afin d’en faire des « objets problématisables et une catégorie pertinente de l´analyse » (Ibid). Le profil idéal-typique des Systèmes Urbains Cognitifs (SUC), nous a permis de tester un certain nombre d’hypothèses. Parmi ces hypothèses, celle du lien existant entre SUC et déterminisme technologique.

Pour discuter de la perspective technologiste au sein des SUC, nous nous sommes appuyés sur une analyse comparative de quatre SUC: 22@Barcelona à Barcelone, les Distrito Tecnológico et Distrito de Diseño de Buenos Aires et le projet GIANT / Presqu’île à Grenoble. Afin de sélectionner nos études de cas, nous avons élaboré une grille d’analyse multicritères d’une trentaine de sites.

Ces critères ont essentiellement concerné la taille des projets ; l’état d’avancement des projets2 et

2 Les projets devaient être suffisamment avancés pour permettre une observation pertinente d’une réalisation, d’une action ou d’un résultat quelconque.

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la faisabilité de l’analyse. Par ailleurs, les SUC que nous avons sélectionné présentaient des situations sociales et urbaines contrastées. Les districts de Buenos Aires et le projet 22@Barcelona se sont développés sur d’anciens quartiers industriels : les quartiers de Parque Patricos et de Barracas au sud de Buenos aires et le quartier de Poblenou à Barcelone (autrefois dénommé la

« Manchester catalane »). Le projet GIANT / Presqu’île s’est construit quant à lui sur un Polygone scientifique situé au nord ouest de l’agglomération grenobloise. Malgré cette différence en termes d’urbanisme, ces SUC ont un dénominateur commun. Ils ont tous vocation à devenir dans les prochaines années des centralités d’agglomération structurantes, au sein desquelles cohabiteront des entreprises innovantes avec des Universités, des centres de recherche et de transfert de technologie, mais aussi des commerces, des logements, des parcs et espaces publics de qualité.

La réalisation de nos études de cas a impliqué une présence de plusieurs mois dans chaque ville étudiée. Le matériau empirique a été constitué à partir d’entretiens semi-directifs conduits auprès d’un centaine de personnes sélectionnées parmi les producteurs et les observateurs des SUC (responsables publics d’aménagement, maîtres d’œuvre des projets, élus locaux, universitaires etc.) et les producteurs d’innovations au sein des SUC (grandes entreprises, PME, start-up, organismes de recherche et de formation etc.)3. Le tableau ci-dessous détaille la manière dont se sont répartis les entretiens en fonction des SUC et des types d’acteurs :

3 Nos entretiens ont également concerné une dizaine de spécialistes de la nouvelle économie et des questions de villes innovantes et créatives (professeurs aux seins d’universités, d’Instituts d’Urbanisme, philosophes, responsables de Fondations et de laboratoires de recherche).

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Sites Producteurs et observateurs des SUC

Producteurs d’innovations et utilisateurs des SUC

GIANT /

Presqu’île (Grenoble)

12 entretiens. SEM Innovia Grenoble Durablement, Ville de Grenoble, Atelier Christian de Portzamparc, Groupe 6, CEA, Enseignants-chercheurs (IUG, PACTE), associations (ADES, CCSTI, CCS2)

13 entretiens. MINATEC, MINATEC IDeas Lab, B2i – Bâtiment des Industries Intégratives, artistes, Grenoble Ecole de Management, Start Ups, PME et grands groupes (Px´Therapeutics, Cytoo, Serma Technologies, Movea, ST Microelectronics)

22@Barcelona (Barcelone)

9 entretiens. 22@Barcelona, Barcelona Activa, Cloud 9 Architecture

17 entretiens. Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones (CMT), El Consorci de la Zone Franca de Barcelona, Barcelona Centro de Diseño, 22@Network. Association d’entreprises et d’institutions de 22@Barcelona, Stars Ups (HolaLuz, Gestor Energético Integral, Worldsensing , Sanoaktiv), PME et grands groupes (Urbiotica, Social Point, Nivaria, Abacus, Vodafone, Telefonica, Endesa), Fab Lab de Barcelone, Hangar Centre de producció i recerca d'arts visuals

Distrito

tecnológico et Distrito de diseño

(Buenos Aires)

19 entretiens. Centro Metropolitano de diseño, Ville de Buenos Aires, journalistes, Instituto de investigaciones Gino Germani, Université Torcuato Di Tella, Faculté d’architecture, de design et d’urbanisme de l’université de Buenos Aires, Architecte

20 entretiens. Start-up du Distrito de Diseño (Mateos Davenport design, Estudio Diseñaveral, Estudio Pomada, Carro, Bonzai Boards, Totebag, Gruba, Bugio), Entreprises du Distrito Tecnológico (SETSA, Czyne, Consortium d’entreprises du Distrito Tecnológico, Novatech, Quantum Tecnología, Iroun Mountain, Sensebyte, Datco, Yel Informática S.A, Open Computación, Tata Consultancy Services, Quantum Tecnología)

Des grilles de questionnement différenciées ont été utilisées en fonction de nos interlocuteurs. Les questions auprès des producteurs d’innovations et des utilisateurs des SUC, cherchaient à mieux comprendre leur travail au quotidien (dans ses aspects organisationnels et créatifs), ainsi que leurs stratégies de localisation au sein des SUC. D’autres questions concernaient leur perception des effets des SUC sur leur capacité à innover et leur vision des SUC à moyen terme. Les entretiens auprès des producteurs et observateurs des SUC nous ont permis de mieux saisir l’origine et le fonctionnement des SUC, ainsi que des stratégies mises en oeuvre pour attirer les activités innovantes, et stimuler les processus d’innovations. Ce travail sur entretiens a été complété par une étude des archives récentes (compte-rendu de conseils municipaux et de réunions, dossiers de presse, documents de planification, schémas de développement économique, documents de travail interne, études, etc.) et par l’observation de nombreux débats publics. Quant à l’analyse quantitative, celle-ci s’est avérée plus délicate à conduire. Le recueil de données statistiques comparables a été particulièrement complexe. Seules quelques données socio-économiques et

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urbaines ont pu être collectées4. Elles nous ont permis d’évaluer l’adéquation entre certains objectifs socio-économiques et urbains initialement affichés et l’évolution des réalités de terrain.

L’analyse qualitative et quantitative des SUC, nous a permis d’étudier l’influence des principes du déterminisme technologique dans la conception même des projets (1), et de discuter de la portée et des limites de la perspective technologiste des SUC. A cette fin, nous avons analysé la capacité des SUC à produire (2) et diffuser des innovations susceptibles d’intéresser le développement socio-économique des villes (3).

1. L’INFLUENCE DU DETERMINISME TECHNOLOGIQUE DANS LA CONCEPTION DES SYSTEMES URBAINS COGNITIFS

Les collectivités se représentent les SUC comme des supports privilégiés non seulement d’attractivité des activités innovantes, mais aussi de production d’innovations technologiques. Dans cette perspective, la science et les innovations techniques produites au sein des SUC doivent permettre un développement généralisé des villes, que ce soit d’un point de vue économique (1), urbain (2) ou socio-culturel (3).

4 Nous avons cherché à recueillir les données socio-économiques suivantes : le nombre d’entreprises et de centres de recherche publics et privés implantés ; le type et la taille des entreprises implantées ; le nombre d’emplois induits et la typologie des emplois créés ; le niveau des investissements publics et privés consacrés aux activités scientifiques, de recherche et aux infrastructures ; le nombre de start-up créées ; le nombre et le type de structures ayant vocation à stimuler les créations d’activités et à diffuser les innovations.

Quant aux données urbaines, elles ont notamment concerné : le nombre de m² de SHON développés pour la recherche, l’éducation, les activités tertiaires, l’industrie, les services et les logements ; le nombre d’habitants implantés ; le niveau des investissements publics et privés consacrés aux aménagements ; le niveau de densité ; le nombre d’infrastructures de transport ; le nombre d’infrastructures culturelles, sportives, sociales ou de loisirs ; etc.

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1.1 Les effets attendus des Systèmes Urbains Cognitifs sur le développement économique

En attirant sur un même espace des universités, des entreprises et des laboratoires de recherche, les SUC sont censés assurer une dynamique continue d’innovations, à même de développer le tissu socio-économique local. Pour Geneviève Fioraso, alors Adjointe à l’économie de la Ville de Grenoble, c’est sur le projet GIANT / Presqu’île « que se dessine l’avenir économique du territoire, là où s’imagine la ville de demain (…), là où se créent les emplois durables »5. Le Distrito Tecnológico doit selon les termes de Damián Specter (Directeur du Centro de Atención al Inversor de Buenos Aires) « régénérer les quartiers sud de la ville, affectés par la désindustrialisation » [entretien, octobre 2010]. Les instigateurs du Distrito envisagent l’installation à moyen terme de

« 300 entreprises, 30 000 nouveaux emplois et 300 000 m² de bureaux » [entretien de Carlos Pirovano, Sous-Secrétaire aux Investissements du Ministère du Développement Économique de la Ville de Buenos Aires, octobre 2010]. Quant au projet 22@barcelona, il prévoit à terme la réalisation de 3,2 millions de m², à destination d’activités tertiaires et industrielles légères et la création de 130 000 emplois supplémentaires (Lefèvre et Romera, 2007).

Pour développer la socio-économie métropolitaine, les SUC organisent en premier lieu la mise en synergie des entreprises innovantes, des Universités et des centres de recherche autour de clusters thématiques : TIC (thématique commune aux quatre SUC), santé et biotechnologies (22@, GIANT), médias et audiovisuel (22@, Distrito tecnológico, distrito de diseño), design (22@Barcelona, distrito tecnólogico, distrito de diseño), énergies et environnement (GIANT, 22@, distrito de diseño) ou micro et nanotechnologies (GIANT). Mais les SUC ne s’arrêtent pas là. Il cherchent à stimuler les interactions entre les clusters et les disciplines : biologie, physique,

5 Citation extraite de la Lettre d’Information du Projet Grenoble Presqu’île n°7, octobre 2011.

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sciences humaines et sociales, mathématiques, etc. Ce processus de convergence doit assurer le développement de nouvelles applications dans des domaines scientifiques complexes et des champs aussi variés que l’information, la communication, le transport, l’habitat, l’environnement ou la santé.

Les SUC soutiennent par ailleurs la création de start-up à travers la mise en place de dispositifs d’accompagnement qui interviennent depuis l'idée qui germe en laboratoire, jusqu'au démarrage commercial et industriel des sociétés. Ils favorisent également la diffusion des innovations au tissu économique traditionnel des villes (logistique, mécanique, chimie, textile, papeterie etc.). Sur le Distrito de Diseño, le Centro Metropolitano de Diseño (CMD) fait en sorte selon Anabella Rondina (Directrice Opérationnelle du CMD) que « les innovations dans les champs du design, créent de la valeur ajoutée pour les industries des filières textiles et logistiques, présentes sur le quartier de Barracas » [entretien, octobre 2011]. Sur le projet GIANT, le Bâtiment des Industries Intégratives (B2I) favorise la diffusion des innovations technologiques vers le tissu des PME-PMI régionales des filières traditionnelles. Une success story a notamment concerné la société iséroise RYB (leader français de systèmes réseaux et canalisations), qui grâce aux technologies de type RFID du CEA- LETI6, a imaginé les premières « canalisations plastiques détectables et communicantes au monde »7. Cette innovation promet la conquête de nombreux marchés, tant la localisation plus rapide et sécurisée des canalisations (avec une précision de l’ordre de quelques centimètres et jusqu’à 1,50 m de profondeur), est une problématique partagée par l’ensemble des villes à travers le monde.

6 Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Laboratoire d’Electronique des Technologies de l’Information (LETI).

7 Citation extraite de la Lettre d’Information du Projet Grenoble Presqu’île n°7, octobre 2011.

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1.2 Les effets attendus des Systèmes Urbains Cognitifs sur le développement urbain

Les innovations technologiques conçues au sein des SUC, sont également sensées jouer un rôle dans la fabrique des villes elles-mêmes. Les technologies potentiellement transférables au fonctionnement des villes sont nombreuses et intéressent des domaines comme la mobilité, la sécurité, l’urbanisme (domotique ; maquettes interactives), l’environnement (smart grids), la sociabilité (bornes d’information digitale), la culture (valorisation numérique du patrimoine) ou encore les loisirs (jeux en réalité alternée).

Dans cette perspective, le site de la Presqu’île de Grenoble est pensé comme un espace de test et de démonstration des technologies produites par les centres de R&D et les entreprises de GIANT.

Se préfigure sur la Presqu’île un laboratoire en grandeur réelle, de plusieurs centaines d’hectares, « où les scientifiques, les urbanistes, les architectes, et tous ceux qui ont une réflexion sur la ville pourront apporter leur contribution » (François Peyronnet, Directeur général Adjoint du Pôle Economie-Relations Internationales de la ville de Grenoble8). Le site sert aujourd’hui de support d’expérimentation des smart grids (réseaux intelligents de maitrise des consommations énergétiques) et des transports innovants comme les véhicules électriques, les bus hybrides ou les liaisons « blanc-blanc » (une innovation utilisant le transport par câble pour relier deux salles blanches entre elles).

A Barcelone, le projet 22@Urban Lab, met le quartier de Poblenou à disposition des entreprises innovantes, pour « tester en situation réelle la performance et les usages de technologies de pointe en phase de pré-commercialisation » [entretien de Josep Miquel Piqué, Président de

8 Citation extraite de « EXPO les villes en mouvement » – 3ème édition. « L’aménagement de la Presqu’île de Grenoble : un projet innovant et durable ». Débat du 28 avril 2009.

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22@Barcelona, décembre 2011]. Ces technologies intéressent les secteurs des déplacements (véhicules électriques, systèmes de détection de places de parking) ou de l’environnement (capteurs optimisant la collecte des déchets ou les systèmes d’arrosage, lampadaires à détection de présence, etc.).

1.3 Les effets attendus des Systèmes Urbains Cognitifs sur le développement socio-culturel

L’ultime vertu conférée aux innovations technologiques des SUC, concerne l’amélioration du bien être des citoyens ! Ces derniers sont désormais incités à devenir pro-actifs dans la définition et la conception d’innovations qui répondront demain à leurs besoins, qu’ils soient matériels ou idéels.

Des stratégies d’ouverture des SUC au grand public se dessinent progressivement. Les actions

« sciences-société » se multiplient et les techniques de médiation scientifique tendent à se perfectionner.

Sur le quartier Parque Patricios de Buenos Aires, un show room technologique vient d’être inauguré. Ce centre « d’interprétation créative », permettra au public d’expérimenter et de détourner les nouveaux produits et services imaginés par les entreprises et les centres de R&D du Distrito Tecnológico. A Grenoble, l’Open Innovation Center (OIC) actuellement en cours de montage et de programmation par le CEA, sera le bâtiment emblématique de l’ouverture des sciences et des technologies à la société civile. D’une surface d’environ 10000 m², « il sera conçu comme une plateforme d’innovation ouverte et instaurera un contact direct entre les chercheurs et le grand public » [entretien de Stéphane Siebert, ancien adjoint à la Ville de Grenoble et chef de Projet GIANT pour le CEA, avril 2012]. L’OIC comprendra des espaces de test et d’évaluation des technologies ainsi que des commerces, des restaurants ou des librairies.

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Les Systèmes Urbains Cognitifs tentent par ailleurs d’accroître les échanges entre la sphère des innovations technologiques et celle de la création artistique. Il est attendu de certaines technologies (robotique, systèmes RFID, réalité augmentée, capteurs de mouvement, etc.) qu’elles inspirent les artistes, afin que ces derniers les détournent et ouvrent de nouveaux défis aux scientifiques. Sur le site GIANT, c’est tout l’enjeu du salon EXPERIMENTA créé il y a trois ans dans le cadre de l’Atelier Arts Sciences, réunissant l’Hexagone de Meylan, le CEA et depuis 2011 le CCSTI9 de Grenoble-La Casemate. Ce salon de rencontres entre arts, sciences et technologies, a généré une série d’innovations originales, comme le gant interactif du beatboxer Ezra, permettant à l’artiste de modeler la matière sonore par simple pression des doigts. Sur 22@Barcelona, le Centre de recherche et de production en Arts visuels « Hangar », assure un rôle de diffusion des innovations numériques pour que les artistes les mettent en scène dans le cadre de créations multimédia originales.

Que ce soit d’un point de vue économique, urbain ou socio-culturel, les SUC sont développés autour de l’idée selon laquelle les technologies seraient aptes à assurer un développement exponentiel et optimal des villes. Qu’en est-il en réalité ? Les SUC constituent-ils vraiment des supports privilégiés de productions d’innovations technologiques ? Dans quelle mesure la diffusion de ces innovations génère-t-elle des effets positifs pour la socio-économie métropolitaine et le fonctionnement des villes ?

9 Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle.

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2. DE LA CAPACITE DES SUC A PRODUIRE DES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES

Nos enquêtes de terrain nous ont permis de constater toute l’importance des SUC dans les processus de production d’innovations. Les SUC apparaissent comme des supports privilégiés d’attractivité (1) et de développement (2) d’activités innovantes. Ils jouent par ailleurs un rôle majeur dans la création d’innovations technologiques hybrides à forte valeur ajoutée (3).

2.1 Une capacité à attirer les activités innovantes

Les SUC assurent un rôle de « lieu-aimant » (Markussen, 2000) vis-à-vis d’entreprises innovantes, de centres de recherche et d’Universités. 22@ et GIANT sont indéniablement les projets qui présentent la plus grande capacité à attirer les activités innovantes. Les Districts de Buenos Aires, s’ils permettent l’implantation d’entreprises spécialisées dans les TIC et le secteur du design, connaissent de plus grandes difficultés à capter les Universités et les centres de recherche.

2.1.1 De la capacité de 22@Barcelona à capter des « activités @ »

Malgré la crise économique que connaît l’Espagne depuis 2008, le projet 22@ n’a cessé d’attirer des entreprises, des Universités et des centres de recherche technologiques10. En l’espace de dix ans, 22@ a permis d’attirer pas moins de 1500 entreprises, se traduisant par un total d’environ 45 000 emplois. 72% des emplois ainsi créés sont directement liés aux « activités @ » (TIC, audiovisuel et media, technologies médicales, design, énergie et environnement) (Charle, 2011 ; Molas et Parellada, 2011). La dynamique actuelle de 22@ s’inscrit donc pleinement dans les objectifs

10 Voir de ce point de vue, El Pais, “El 22@ resiste la crisis económica”, 14 de marzo de 2009.

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initialement fixés : la réalisation, à termes, de 3,2 millions de m² d’espaces productifs, à même d’accueillir plus de 100 000 nouveaux emplois (Lefèvre et Romera, 2007). De nombreuses Universités publiques et privées se sont par ailleurs implantées sur le site 22@11, représentant un total de plus de 200 000 étudiants et « une ressource essentielle pour les entreprises de haute technologie » [entretien de Josep Miquel Piqué, Président de 22@barcelona, décembre 2011].

2.1.2 De la capacité du projet GIANT à attirer et développer les activités innovantes

GIANT accueille actuellement une quarantaine d'entreprises, des centres de recherche et des Universités, totalisant plus de 5000 emplois industriels, 5000 emplois dans la recherche et 5000 étudiants (GIANT, 2011). Le projet est extrêmement ambitieux puisqu’il prévoit à moyen terme de doubler ces effectifs. A ce jour, aucune donnée quantitative et relative à l’attractivité de GIANT n’a encore été publiée. Nous devons donc nous contenter d’identifier un certain nombre de tendances, qui consistent essentiellement dans le développement d’activités déjà présentes sur le site.

La zone d'activités Polytec, située au cœur de la Presqu'île, accueille sur cinq hectares une trentaine de sociétés de haute technologie totalisant 750 emplois dans les secteurs des biotechnologies, de la microélectronique et de la domotique. Certes la zone a été commercialisée avant le développement du projet GIANT, mais son attractivité constitue un indice intéressant.

Evoquons notamment l’implantation récente de BioMérieux (200 personnes), Schneider Electric (250 emplois) ou encore de CORYS T.E.S.S (230 emplois).

11 Evoquons la présence d’Universités publiques comme l’Université Pompeu Fabra, l’Universitat de Barcelona, l’Universitat Politècnica de Catalunya ou encore l’Universitat Oberta de Catalunya, ainsi que des Universités privées (l’Universitat Ramon Llull, l’Universitat Internacional de Catalunya, l’Universitat Abat Oliba).

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Un autre exemple concerne la commercialisation rapide du Bâtiment de Haute Technologie (BHT).

Après quatre années d’existence, le BHT est aujourd’hui entièrement rempli par des start-up technologiques, spécialisées dans des champs aussi divers que la bio-informatique, la commercialisation de composants électroniques 3D multi-matériaux, la traçabilité appliquée à la santé. Le BHT accueille actuellement une vingtaine de sociétés, ce qui représente, selon Geneviève Fioraso « près de 400 emplois directs et 3 fois plus d’emplois indirects ». Fort de ce succès, un projet d’extension est envisagé, le BHT2, dédié aux biotechnologies, à la bio-santé et aux nouvelles technologies de l’énergie.

Quant à l’objectif de doubler le nombre d’étudiants, GIANT semble là aussi sur la bonne voie, avec l’implantation récente de Grenoble INP, de Grenoble Ecole de Management et du LETI, qui vient de créer l’Ecole Nationale Supérieure de la Création Industrielle. Sur le site de la Presqu’île, on observe par ailleurs une capacité à développer les activités d’entreprises déjà implantées. C’est le cas par exemple de l’extension du centre de R&D de BioMérieux (avec 18 millions d’euros d’investissement), du développement de l’unité de conception de ST Microelectronics, de l’extension du pôle recherche et innovation de Schneider Electric (850 emplois), ou encore de Siemens (900 emplois), qui prévoit un investissement de 10 millions d’euros pour rénover et renforcer son site.

Le pôle de micro et nanotechnologies MINATEC (4 000 personnes réparties sur une surface de 55 000 m²) devrait bientôt doubler sa superficie avec « Minatec+ » (130 000 m2). GIANT prévoit également la construction de Nanobio (pour les biotechnologies et la santé) et de GreEn-ER, pôle dédié aux nouvelles énergies et aux transports innovants.

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2.1.3 Les Districts de Buenos Aires. Une présence d’activités technologiques et créatives, qui ne parvient à masquer une attractivité insuffisante de centres de recherche et de formation

« Le quartier de Parque Patricios connaît depuis trois ans une profonde transformation. Des immeubles de grande hauteur apparaissent. Les entrepôts, les locaux commerciaux et les « casas chorizo »12 sont rénovés pour accueillir de nouvelles entreprises spécialisées dans les TIC » [entretien de Guillermo Rodriguez, Président de Soluciones para Empresas Tecnológicas S.A (SETSA)].

Dès le mois d’août 2009, soit quatre mois après son ouverture officielle, le Distrito Tecnológico comptait déjà plus d’une vingtaine d’entreprises. Depuis, les entreprises n’ont cessé de s’implanter, les autorités enregistrant jusqu’à deux localisations par semaine. Fin 2010, ce chiffre s’élevait à 67 entreprises, mi-2011 à 75 entreprises, et fin 2012, il dépassait le seuil symbolique des 100 entreprises. En septembre 2012, la ville de Buenos Aires a annoncé l’installation de 125 entreprises, soit le développement de plus de 100 000 m² d’espaces productifs et la création de plus de 8000 emplois directement liés aux TIC (GCBA, 2012 ; Cristini et al., 2012). La majorité des entreprises implantées sont des PME argentines relocalisées et spécialisées dans la production de software. Depuis 2010, on observe également l’arrivée croissante de multinationales (Belen et al., 2013). C’est par exemple le cas de Tata Consultancy Services (multinationale indienne, spécialisée dans le software et les services informatiques), d’Iron Mountain (multinationale nord américaine experte dans la gestion des enregistrements et la protection de données et d’informations) et, plus récemment, de leaders mondiaux comme IBM, 3M, Microsoft, ou encore Telefónica.

12 Maisons construites à la fin du XIXème siècle et emblématiques de la culture traditionnelle de Buenos Aires.

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Sur le Distrito de Diseño, le Centro Metropolitano de Diseño a d’ores et déjà hébergé plus d’une centaine d’entreprises spécialisées dans les secteurs du design et des industries créatives. Le

« Barracas Central Park », récemment créé sur le quartier, « attire de nombreuses marques, comme Levis, Lacoste, Legacy, Cacharel ou encore Christian Dior » [entretien de Carolina Ruggero, Coordinatrice du programme INCUBA au sein du CMD, octobre 2011].

S’il est indéniable que les Districts de Buenos Aires parviennent à attirer de nombreuses entreprises technologiques et créatives, on constate néanmoins une absence de centres de recherche et d’Universités. Sur le Distrito Tecnológico, la construction en cours du Centro Metropolitano de Tecnología (centre de transfert technologique et d’incubation) peut expliquer un tel phénomène.

Sur le Distrito de Diseño, une telle absence est compensée par la présence de « l’Instituto Metropolitano de Diseño e Innovación » (IMDI). L’IMDI participe en effet à la création de partenariats entre les agences de design du CMD et les laboratoires de recherche et Universités de Buenos Aires.

2.1.4 Les facteurs d’attractivité des Systèmes Urbains Cognitifs

Pour comprendre cette capacité d’attraction des SUC, nous avons interrogé un certain nombre de dirigeants d’entreprises et de laboratoires de recherche implantés sur les sites. Dans les cas de 22@ ou GIANT, l’attractivité des activités innovantes est largement liée à la concentration de compétences, notamment à travers la présence de grands instruments de recherche et de valorisation, d’Universités et d’entreprises technologiques de pointe. Pour compenser leur manque de ressources cognitives, les Districts de Buenos Aires proposent quant à eux des politiques

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fiscales incitatives couplées à diverses subventions. Ces politiques constituent le principal facteur d’attractivité des entreprises sur les quartiers de Barracas et de Parque Patricios.

Au-delà de ces différences fondamentales, on observera que les enquêtés ne valorisent pas un seul facteur de localisation, mais une constellation de facteurs. Parmi ceux-ci, la qualité des espaces urbains et architecturaux joue un rôle essentiel : patrimoine, aménités urbaines, image de marque, proximités et configurations spatiales adaptées aux besoins des activités innovantes. Ce résultat rejoint un certain nombre de recherches empiriques qui constatent l’attractivité des environnements urbains culturellement riches, combinant travail et loisir vis-à-vis des activités de la nouvelle économie et de la classe créative (Kratke, 2004 ; Lloyd, 2002 ; Gertler, 2001 ; Lasagni et Sforzi, 2007).

2.2 Une capacité à stimuler la création d’activités technologiques

Les SUC bénéficient d’une capacité à attirer, mais aussi développer les activités technologiques.

On observe sur GIANT la création depuis 2000 d’une cinquantaine d’entreprises de haute technologie directement issues des laboratoires du CEA, du LETI ou du CNRS. Ces start-up représentent aujourd'hui environ 600 emplois directs (GIANT, 2011). Par ailleurs, on constate une accélération de ce processus ; selon Alain Briand, responsable du soutien à la création d’entreprises au CEA, MINATEC a récemment enregistré des chiffres record dans la création de start-up. « De 2008 à 2010, les technologies développées par les partenaires de MINATEC ont donné naissance à vingt cinq sociétés représentant déjà 250 emplois. Trois d’entre elles – Kalray,

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Presto Engineering et Cytoo – dépassent les 20 salariés. Par ailleurs, nous avons vingt projets en incubation ou en maturation »13.

Au sein du Centro Metropolitano de Diseño (CMD), le programme INCUBA a depuis 2001, permis la création de plus d’une centaine d’entreprises spécialisées dans les secteurs du design et des industries créatives. De 2002 à 2007, sur 66 entreprises accompagnées, 9 sont toujours hébergées au sein du CMD (14%), 8 ont développé leur activité dans le quartier de Barracas (12%) et 25 dans l’aire métropolitaine de Buenos Aires (38%). En revanche, 24 ont cessé leur activité pour des raisons économiques ou d’ordres personnels (36%) [entretien de Gloria M. Ayerza, Responsable du programme Gestion du Design au sein du CMD, septembre 2011].

L’incubateur d’entreprises Glòries de Barcelona Activa, implanté au cœur de 22@, enregistre lui aussi de nombreux succès. Depuis sa création en 2007, il héberge chaque année environ 70 entreprises, qui représentent un peu plus de 350 emplois. Les deux tiers des entreprises accueillies ont « augmenté leur chiffre d’affaires, notamment grâce aux nombreux projets de collaboration initiés par le centre » [entretien de Jaume Baró, Directeur des programmes d’entrepreneuriat de Barcelona Activa, avril 2012]. Seul le Distrito Tecnológico n’a toujours pas donné lieu à la création de start-up technologiques. L’inauguration récente du District et la construction en cours du Centro Metropolitano de Tecnología, expliquent en partie ce phénomène.

13 Citation extraite du journal d’information de MINATEC, n°15, juin 2011.

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2.3 Une capacité à produire des innovations hybrides à forte valeur ajoutée

Les SUC ne sont pas positionnés sur un secteur d’activité ou un domaine scientifique précis. Leur spécificité réside dans leur capacité à organiser l’hybridation entre des sciences, des filières et des savoir-faire hétérogènes. Cette organisation pluridisciplinaire des SUC et leurs moyens technologiques diversifiés leur permettent de produire des innovations hybrides, à la frontière de nombreux champs disciplinaires et technologiques.

Selon Nicolas Mouz, directeur scientifique de PX’Therapeutix, les innovations produites par son entreprise ont été rendues possibles par le « mariage de la biologie, du diagnostic et de la technologie, à travers notamment un système de lecture optimisé et développé par le CEA-LETI.

Sans cette conjonction de compétences, nous n’aurions pu développer notre test pour le diagnostic in vivo de la tuberculose latente » [entretien, avril 2012]. La technologie développée par la start-up Cytoo repose quant à elle sur une combinaison entre « la biologie et la micro électronique. Cette alliance ayant permis de développer la recherche de nouveaux médicaments en industrie pharmaceutique à travers la création d’une gamme de produits pour le criblage cellulaire haut débit » [entretien de Alexandra Fuchs, Directrice de Cytoo, mai 2012]. L’innovation « Motion Core » de Movea fusionne quant à elle « les technologies intégrées dans les capteurs de mouvement et les technologies numériques (tablettes PC, smartphones) » [entretien de Sam Guillaumé, Directeur de Movea, mai 2012].

Sur le Distrito Tecnológico, l’innovation du « EduBook », un netbook spécialisé dans le secteur éducatif, a été produite grâce à la technologie hardware de Coradir et de Novatech (entreprises localisées dans le District et spécialisées dans la fabrication d’équipements numériques) et de la

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technologie software issue du programme Lihuen GNU/Linux développé par le « Laboratorio de Investigación en Nuevas Tecnologías en Informática »14 (LINTI) de la province de Buenos Aires. Sur 22@Barcelona, quatre étudiants fondateurs de l’entreprise Reactable Systems (start-up issue de l’Université Pompeu Fabra), ont eu l’idée d’intégrer les connaissances musicales, numériques (capteurs sensoriels) et celles issues des mathématiques, pour créer le Reactable, un instrument électro-acoustique interactif, permettant aux musiciens de convertir leur musique en éléments visuels.

La seconde spécificité des innovations produites par les SUC est qu’elles possèdent des champs d’applications multiples : santé, environnement, loisirs, médias, etc. Sur 22@barcelona, les systèmes distribués intelligents développés par la start-up Wattpic intéressent de nombreux secteurs tels que les systèmes d'information d'entreprise, le commerce électronique, le cloud computing, la domotique ou l'informatique mobile. Sur GIANT, la société Movea, spécialiste de la conception et de la réalisation de dispositifs électroniques de capture de mouvements, a développé de nombreuses applications dans les domaines de la santé, du sport et du grand public. L’écran ultra compact inventé par la société MicroOLED, permet quant à lui d’imaginer des « applications allant de la défense au secteur médical, en passant par les appareils photo professionnels qui requièrent des images avec des nuances de tons très fines »15.

Enfin de nombreuses innovations produites au sein des SUC ont pour domaine d’application la ville elle-même. Sur la Presqu’île scientifique, le projet Greenlys teste le fonctionnement des smart grids.

L'opération Green-Car-e expérimente les performances et les nouveaux usages de la voiture électrique. Sur 22@, de nombreuses innovations ont émergé au sein du programme

14 Laboratoire de recherche dans les nouvelles technologies de l’informatique.

15 Citation extraite de la Lettre d’informations MINATEC ENTREPRISES, n°5, Mars 2012.

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22@UrbanLab. Dans le domaine des déplacements, différents projets pilotes ont été testés, comme des points de recharge intelligents pour véhicules électriques (entreprises Circuitor, Quimera, Worldsensing), des systèmes de détection de places de parking (WorldSensing) ou de régulation des feux de signalisation. Concernant les innovations environnementales, la société Urbiotica a testé différents capteurs dans l'espace public de Poblenou : lampadaires à détection de présence, capteurs de l’humidité de l’air, du sol (arrosages), de la température, du niveau de remplissage des containers à verre ou des bennes à ordure [entretien de Irène Compte, Directrice de Urbiotica, décembre 2011]. Des systèmes de lecture numériques de compteurs d’eau, d’électricité et de gaz ont été testés par l’entreprise Wimet. Ils ont permis aux habitants d’obtenir des données de consommation en temps réel pour, de la sorte, personnaliser leur consommation [Majó, 2011].

Pour comprendre cette capacité des SUC à produire des innovations, nous avons identifié deux principaux facteurs. Les SUC bénéficient en premier lieu d’une réelle facilité à capter les financements dédiés à l’innovation. Sur GIANT, le CPER (Contrat de Projet État-Région), l’Opération campus et les Investissements d’avenir contribuent à hauteur de 600 millions d’euros au développement du projet. Selon Stéphane Siebert (ancien directeur délégué du projet GIANT),

« on peut compter sur autant d’investissements des collectivités territoriales pour le projet urbain »16. Sur 22@barcelona, les investissements public-privé réalisés pour la rénovation urbaine de Poblenou ont atteint selon la municipalité les 180 millions d’euros sur 10 ans. Sur le Distrito Tecnológico, plus de 200 millions de dollars de financements publics ont été investis entre 2009 et 2012 pour rénover les infrastructures publiques et les logements, et aider à l’implantation des entreprises TIC, de services et de divers commerces. Parmi les raisons qui expliquent la facilité

16 Citation extraite de GIANT : un campus d’innovation en construction à Grenoble, Sylvie Lecherbonnier, 6 juin 2011, www. educpros.fr.

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avec laquelle les SUC captent les financements dédiés à l’innovation, nous en identifions essentiellement deux. D’une part leur capacité à s’inscrire dans des enjeux de développement local (les pouvoirs publics étant plus enclins à financer des projets ancrés territorialement), et d’autre part à construire une image marketing rassurante vis-à-vis des investisseurs publics et privés.

En outre, les SUC créent des milieux favorables aux proximités et à l’échange d’informations tacites. Ces « micro-proximités » (« moins de cinq minutes à pied ») constituent selon les personnes interrogées des ressources essentielles dans les phases de production d’innovations. La configuration urbaine et architecturale des SUC est particulièrement valorisée par les entreprises.

Sur 22@, les espaces mutualisés du Centre Glòries, permettent aux entrepreneurs d’échanger facilement entre eux. « Il existe une multitude d’espaces de rencontres et de travail qui sont ouverts et adaptables en fonction de nos activités. Depuis notre implantation au sein de Glòries (il y a maintenant quatre mois), nous avons réussi à nouer au moins cinq partenariats utiles au développement de notre entreprise » [entretien d’Alexandre Ramón Corrales, Directeur de Geeni, avril 2012]. Par conséquent, l’espace architectural et urbain au sein des SUC n’est pas neutre ; il est entièrement intégré aux process d’innovations eux mêmes. Cette dimension spatiale joue une fonction essentielle pour stimuler les interactions entre des acteurs de l’innovation, mais aussi expérimenter les innovations dans l’espace public des villes.

Les SUC développent par ailleurs des rencontres régulières et personnelles entre les professionnels de l’innovation, dans le cadre des conférences « midis-MINATEC » sur GIANT, ou des programmes intitulés « 22@Espacio de Relación Personal » ou « 22@network » sur Barcelone. Nos entretiens nous ont permis de confirmer que ces dispositifs favorisent le sentiment d’appartenance identitaire ainsi que les relations de confiance entre les acteurs. Certains entrepreneurs n’hésitant pas à

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comparer les SUC à une « communauté indispensable » à leurs processus d’innovation. Pour Alexandre Ramón Corrales, Directeur de l’entreprise Geeni sur 22@, « l’offre « coffee to coffee » du centre Glòries constitue une réelle valeur ajoutée pour une entreprise technologique. A chaque fois qu’une start-up s’implante, celle-ci explique à l’ensemble des entreprises du Centre les services et produits qu’elle développe. A partir de là, il existe de multiples rencontres, évènements, conférences et formations, qui permettent de nouer des rapports personnels entre les entrepreneurs » [entretien, avril 2012].

GIANT permet selon les termes de Patrick Cogez, Directeur de l’innovation et de la recherche chez STMicroelectronics, « de conforter la dynamique de proximité propre à l’écosystème grenoblois.

GIANT multiplie les occasions d’échanges d’informations et de discussions » [entretien, juin 2012].

La plupart des start-up accueillies au sein du BHT nous a fait part « d’échanges de couloirs » et de collaborations régulières avec les laboratoires de recherche présents sur la Presqu’île. « Ces rencontres informelles permettent d’apprendre à nous connaître et d’envisager dans un climat de confiance, la mise en place de projets communs » [entretien de Nicolas Mouz, Directeur Scientifique de PX´Therapeutics, avril 2012]. Selon Laurent Callet, la collaboration de Serma Technologies avec le CEA-LITEN et la plateforme de nanocaractérisation de MINATEC a permis à son entreprise « de poursuivre l’évolution de son haut niveau d’expertise dans son cœur de métier, la microélectronique et les nanostructures. Grâce à ce partenariat, nous avons également déployé nos compétences dans d’autres secteurs, comme celui des énergies alternatives » [entretien, juin 2012].

Certes, l’ensemble des enquêtés nous a également fait part de nombreux partenariats développés avec des acteurs situés en dehors du périmètre des SUC (échelle des agglomérations, échelle

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régionale, nationale et internationale). Mais ils ont également exprimé tout l’intérêt de bénéficier de « micro-proximités » lors des phases de recherche et d’innovation. C’est ce que nous explique Sam Guillaumé, Directeur de Movea. « Pour innover, Movea ne se limite pas aux acteurs de la Presqu’île scientifique. La majorité de nos partenaires sont implantés un peu partout dans le monde et tout particulièrement dans la Silicon Valley. Nous choisissons nos collaborateurs d’abord et avant tout sur des questions technologiques de fond, avant de nous intéresser à la présence éventuelle de collaborateurs situés à proximité. Cependant, lorsque les technologies développées par des acteurs de GIANT rencontrent les besoins de notre société, cela constitue indéniablement un

« plus » pour notre activité (…). C’est notamment le cas d’innovations développées récemment en collaboration avec le CEA-LETI ou avec la start-up Tronics Microsystems » [entretien, mai 2012].

A travers ces différents terrains de recherche, on constate que la proximité géographique reste incontournable à certaines étapes des processus d’innovations (Gallié et Guichard, 2005). Les technologies numériques n’effacent pas les contraites spatiales et les besoins de relation de face- à-face restent déterminants dans l’échange de connaissances tacites (Courlet et Pecquuer, 2013).

On observe également au sein des SUC une intensification et une diversification des formes de proximité : géographique, organisationnelle et institutionnelle (Rallet et Torre, 2008). Les SUC se dotent d’une structure organisationnelle commune, à travers le développement de règles et de projets partagés sur des clusters thématiques (TIC, santé, média, design, énergie, etc.). Plus encore, les SUC favorisent le sentiment d’appartenance des acteurs à un espace commun de représentations, voir de valeurs (Gilly et Lung, 2004). C’est ici l’objectif des programmes comme « 22@Espacio de Relación Personal », « 22@Network », « 22@SinergyS », « Midis- MINATEC » ou encore la « Red de Amigos » des districts de Buenos Aires. A travers l’organisation de rencontres régulières et personnelles entre les créatifs des SUC, l’enjeu est de stiumuler les liens forts et les

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proximités relationnelles. Les SUC rejoignent en cela toute une littérature que démontre l’importance des relations personnelles dans les processus d’innovations (Saxenian, 2006; Wolfe 2002; Subramaniam et Youndt 2005 ; Suire, 2007). Selon Raphaël Suire, « il ne faut désormais plus tant s’intéresser aux interactions inter-organisationnelles qu’aux interactions inter-personnelles entre les individus qualifiés et créatifs. Ce sont eux les porteurs d’idées qui par combinaisons originales ou par échange en face à face forment les futures innovations » (Suire, 2007).

Les SUC concentrent donc une série de facteurs, qui mis côte à côté, permettent de maximiser les chances de produire l’innovation : une configuration urbaine et spatiale à même d’attirer les talents, de stimuler les processus de « fertilisation croisée », d’expérimenter les innovations en grandeur réelle ou de mutualiser les équipements nécessaires aux innovations ; une organisation pluridisciplinaire produisant des innovations hybrides, à la frontière de nombreux champs technologiques ; une stratégie de développement intégré (scientifique, économique, urbain), associée à une politique de marketing, facilitant la captation des financements dédiés à l’innovation,,. La spécificité des SUC ne se réduit donc pas à tel ou tel facteur (de nombreuses innovations hybrides sont par exemple produites en dehors des SUC), mais à l’hyper-concentration d’ingrédients propices à la production d’innovations.

S’il est indéniable que les SUC stimulent les processus de production d’innovations technologiques, il nous a semblé essentiel d’interroger la capacité de ces innovations à impacter positivement la socio-économie et le fonctionnement des villes. De ce point de vue, les SUC connaissent des difficultés à intéresser d’autres sphères que celles des scientifiques et des entrepreneurs du Hi Tech.

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3. DES LIMITES DES SUC DANS LEUR CAPACITE A DIFFUSER LES INNOVATIONS

Les programmes de diffusion d’innovations susceptibles d’intéresser l’urbanisme ou l’économie des villes sont rares et ne bénéficient pas de la masse critique suffisante pour induire un réel effet levier. Au delà d’une problématique strictement quantitative, c’est de la perspective déterministe des programmes dont il est question. Les innovations technologiques ne parviennent pas à induire par elles-mêmes un développement urbain (1), culturel (2) ou socio-économique (3) des villes.

3.1 Des limites des Systèmes Urbains Cognitifs dans leur capacité à « faire ville »

Les programmes de renouvellement urbain des SUC atteignent globalement leurs objectifs. La rénovation des espaces publics, la construction de logements, de bureaux et d’infrastructures publiques, améliorent sensiblement la qualité de vie de ceux qui vivent et travaillent au sein des SUC. Néanmoins, l’urbanité ainsi produite semble réduite à sa plus simple expression. Les SUC souffrent de réelles difficultés à « faire ville ». En dehors de la communauté scientifique et créative, l’espace public des SUC semble hermétique aux autres catégories sociales, et notamment celle des habitants ordinaires résidant depuis de nombreuses années au sein des quartiers17. Loin de générer une atmosphère créative ou une urbanité innovante, l’espace des SUC se caractérise par la présence d’espaces banalisés voir aseptisés par l’architecture moderne. Une telle standardisation des lieux tend à inhiber la créativité d’espaces promus comme tels. Quant aux rares tentatives de valorisation de l’histoire industrielle des quartiers, elles se réduisent le plus

17 On observe sur les SUC de Buenos Aires et de Barcelone des phénomènes de gentrification (Díaz, Ferme, Raspall, 2010 ; Langlois et Pawlak, 2010). Le développement des Systèmes Urbains Cognitifs attire des classes privilégiées qui poussent progressivement au départ des résidents historiques du quartier (principalement issus de la classe ouvrière ou défavorisée). Entre 2008 et 2012, la création du District technologique a induit une augmentation de la valeur de la propriété immobilière (résidentielle et commerciale) sur le quartier de Parque Patricios. Une augmentation supérieure à la moyenne des autres quartiers de Buenos Aires (Belen, et al., 2013).

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souvent à la réactualisation naïve des signes du passé, comme la préservation et la mise en scène de quelques cheminées.

Notre analyse de l’urbanité des SUC est ici particulièrement critique. Certes, il pourra être objecté que les SUC n’ont pas encore produit tous leurs effets matériels. On peut néanmoins douter de leur capacité à produire même à long terme, une véritable vitalité urbaine, tant la temporalité des SUC est en réalité strictement alignée sur celle des horaires de bureaux. De nombreux enquêtés travaillant sur les SUC, nous décrivent ces quartiers comme des espaces « froids », « vides » et « superficiels ». D’autres évoquent tour à tour « le manque de bars », de « restaurants », de « fleuristes», de « commerces », de « parkings » ou encore de « coiffeurs ». Les SUC sont certes

« des espaces agréables pour travailler, mais certainement pas pour vivre ».

Pour comprendre la faillite d’urbanité des SUC, il semble nécessaire d’évoquer l’écueil du déterminisme technologique. Les SUC ont tendance à concevoir les fonctions urbaines, socio- culturelles ou éducatives, sous un prisme essentiellement technologique. La ville est ici pensée comme un support privilégié pour attirer activités Hi Tech, ou encore tester et mettre en scène les dernières innovations. Quant à la volonté des SUC de planifier la ville innovante, elle relève d’une méconnaissance des ressorts du hasard et de la « sérendipité » dans les processus créatifs et innovants (Vivant, 2009). Enfin, les SUC connaissent des difficultés à construire une démarche de planification fondée sur une vision partagée des projets. S’il est indéniable que des tentatives ont existé, la participation de la société civile semble le plus souvent réduite à sa plus simple expression. Cette participation n’a jamais porté sur le contenu des choix économiques, urbains ou scientifiques ; elle n’est intervenue qu’une fois les projets entièrement finalisés (Novarina, 2010). A Grenoble par exemple, « l’Association Démocratie Ecologie Solidarité » (ADES) a critiqué la manière

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dont GIANT a été imposé aux élus et développé dans « le plus grand secret ». Ce manque de participation des habitants a pour conséquence directe l’émergence de critiques de la part d’une frange de la population. Ces objections portent essentiellement sur la légitimité des projets, les risques induits en termes de gentrification et de déséquilibre des structures socio-économiques spatiales. Plus rarement on voit émerger des questions relatives aux effets réels ou supposés des innovations technologiques sur la santé et sur les dangers de la « ville technicisée » (atteinte aux libertés individuelles, risques d’instrumentalisation des habitants à des fins économiques, etc.). Le choix par exemple des nanotechnologies et de la construction de MINATEC à Grenoble, se sont effectués sans véritable consultation préalable, avec comme conséquence directe l’organisation de manifestations violentes lors de l’inauguration de MINATEC en 2006.

3.2 Des difficultés dans la mise en place d’un milieu innovant et créatif

Nos enquêtes de terrain nous ont permis d’observer un certain nombre d’expériences s’efforçant de relier les sciences et les technologies, aux Arts et à la culture. Ces projets sont essentiellement développés sur les sites GIANT / Presqu’île (Atelier Art-Sciences, salon EXPERIMENTA) et 22@

(Centre Hangar et Can Ricart).

Si les expériences Arts-Sciences présentent l’intérêt de développer des passerelles entre des mondes hermétiques, elles souffrent néanmoins d’une certaine artificialité et révèlent des difficultés des SUC à penser conjointement les problématiques d’innovation et de créativité. Prenons l’exemple du projet 22@ et du quartier de Poblenou. Une étude a récemment conclu que de 2000 à 2010 plus de 200 ateliers d’artistes et d’exposition avaient fermé sur le quartier. Pour les responsables du projet Hangar, « on ne compte aujourd’hui plus qu’une cinquantaine d’ateliers,

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alors qu’ils étaient plus de 250 au début des années 2000 » [entretiens de Laila Agzaou et Marta Gracia, Responsables des Services Administratifs et de Recherche de Hangar, avril 2012]. Au fond, le véritable apport des expériences « Arts-Sciences » est de modifier l’image souvent austère des centres technologiques et des laboratoires, en proposant de nouvelles formes de médiation au public. L’art est ici convoqué par la science pour humaniser la recherche et démythifier les espaces de production technologiques. Par ailleurs, les expériences Art-Sciences ne semblent pas répondre à un objectif pourtant essentiel : « ouvrir de nouvelles voies d’innovation aux ingénieurs au travers de l’expression de la créativité des artistes » (Paing, 2010). L’immersion des artistes dans les laboratoires de recherche n’a pas permis, à quelques rares exceptions près, d’introduire de nouveaux défis technologiques aux ingénieurs.

3.3 Des limites des Systèmes Urbains Cognitifs dans leur capacité à impacter la socio-économie métropolitaine

3.3.1 De très rares exemples de diffusion des innovations au tissu économique traditionnel des villes

Les Systèmes Urbains Cognitifs proposent une série de programmes dont l’objet est de diffuser les innovations au tissu économique traditionnel des villes (textile, papeterie, logistique, etc.). Citons par exemple le programme « Incorporación de Diseño en Empresas »18 sur le Distrito de Diseño, « Barcelona Centro de Diseño »19 sur 22@, ou le programme PEPITE20 sur GIANT / Presqu’île. Si ces programmes peuvent se targuer d’un certain nombre de réussites (comme le projet de

« canalisations communicantes » de la société RYB), on ne peut que constater la faiblesse

18 Intégration du design dans les entreprises.

19 Le Centre du Design de Barcelone.

20 Plate-formE Pour l'Innovation Technologique pour les Entreprises.

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