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Schizophrénie : analyse des pratiques de direction des institutions psychiatriques de Suisse romande par rapport aux approches psychoéducatives familiales : module Travail de Master

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Master of Advanced Studies HES-SO

Direction des institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires

MAS HES-SO DIS

« Schizophrénie : analyse des pratiques de

direction des institutions psychiatriques de

Suisse romande par rapport aux approches

psychoéducatives familiales »

S

ébastien

R

agusi

Module Travail de Master

Françoise Cinter, Prof., HEdS-Genève

Directrice du travail de MAS DIS

Viviane Prats, Prof., EESP-Lausanne

Déléguée du COPIL MAS-DIS

Serge Mimouni, CC., HETS-Genève

Juré expert externe

(2)

R

EMERCIEMENTS

F

in des années 1990...

Un couple arpente les couloirs du centre psychiatrique de Bienne... Sous le bras du mari, un manuel qu’il serre avec espoir... En s’adressant au médecin-chef : „Nous aurions tellement besoin de quelqu’un pour nous donner le cours, s’il-vous-plaît ...“.

Je m’enferme dans mon bureau ... „Pourvu qu’il ne pense pas à moi“.

Merci à vous, Monique et Pierre PASCHE!

Ce fut le début d’une longue aventure ensemble. Vous m’avez ouvert les portes du partenariat avec les proches. Vous avez été un exemple de persévérance, convaincus et toujours respectueux. Vous avez compris que quitte à subir les fardeaux, mieux valait s’engager pour un fardeau plus noble, celui de redonner espoir et courage à toutes les familles en souffrance. Aujourd’hui, vous en mangez les fruits. Prenez bien soin de vous.

Merci au Dr Yann Hodé

Ton travail est une excellence. Ta passion contamine. Tes écrits resteront. Rédigés par ta main, ils proviennent du cœur même des familles.

Merci à tous les proches

Pour votre confiance. Votre reconnaissance, votre courage et vos sourires m’ont donné la force et la conviction de continuer.

Merci à tous mes collègues professionnels, aux précurseurs de la psychoéducation en

Suisseromande (J. Favrod, B. Grossenbacher, R. Filippoz, C. Bonsack, G. Gabrieli, ...), à

tous mes co-animateurs du cours Profamille. Vous vous êtes engagés sans compter.

Merci aux dirigeants de mon institution, en particulier M. R. Monnat, M. L. Pataki et M.

N. Racine. Vous avez toujours donné les moyens pour promouvoir les cours et la coopération avec les proches aidants. Merci au Professeur Christophe Lauber pour la relecture de ce travail.

Merci à mafamillequi m’a soutenu avec patience et douceur dans cette saison d’études.

Merci à toutes les personnes rencontrées dans le cadre de mes interviews

Votre disponibilité et votre accueil m’ont touché. La qualité de votre gouvernance aussi.

Merci à Françoise Cinter

Pour tes encouragements, les partages enrichissants et la profondeur de tes connaissances au service de l’Humain et des pratiques de soins.

(3)

C

I T A T I O N S

« Ce ne sont pas les

événements qui perturbent

les hommes,

mais l’idée qu’ils se font

des événements »

Epictète, 1er siècle après J.C

.

« Il y a un avant…

et un après…

Profamille

»

Un couple participant

du cours Profamille

(4)

T

ABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ

LISTE DES ABRÉVIATIONS

INTRODUCTION 1

PREMIÈRE PARTIE –

4

L’ITINÉRAIRE D’UN PRATICIEN...LES QUESTIONNEMENTS D’UN DIRIGEANT

CONTEXTE DE LA RECHERCHE 5

MOTIVATION 6

OBJET DE L’ÉTUDE 7

QUESTION DE LA RECHERCHE 9

DEUXIÈME PARTIE

– REVUE DE LITTÉRATURE

10

SCHIZOPHRÉNIE- PROCHES AIDANTS - PSYCHOÉDUCATION

POURQUOI S’INTÉRESSER À LA SCHIZOPHRÉNIE ? 11

LA SCHIZOPHRÉNIE, UN ENJEU MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE 11

ÉPIDÉMIOLOGIE 11

MALADIE GRAVE DES JEUNES ADULTES 11

LES PERSONNES SOUFFRANT DE SCHIZOPHRÉNIE VIVENT MOINS LONGTEMPS 12

LES PERSONNES ATTEINTES ONT DES MALADIES ASSOCIÉES 12

LA SCHIZOPHRÉNIE, UN ENJEU MAJEUR SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE 13

LA SCHIZOPHRÉNIE PRÉSENTE UN ENJEU SOCIÉTAL MAJEUR 16

LA STIGMATISATION EST UNE DOUBLE PEINE 17

LA SCHIZOPHRÉNIE, UN ENJEU MAJEUR EN TERMES DE PRATIQUES DE SOINS 18

LA SCHIZOPHRÉNIE EST DIAGNOSTIQUÉE AVEC RETARD ET LA PHASE DE MALADIE NON

TRAITÉE PEUT ATTEINDRE PLUSIEURS MOIS 18

LA PLUPART DES PERSONNES NE SE RECONNAISSENT PAS COMME MALADE 19

SCHIZOPHRÉNIE : POURQUOI S’INTÉRESSER AUX PROCHES AIDANTS ? 21

UN ENJEU DE SANTÉ 21

LE CONCEPT DU FARDEAU 22

LES IMPACTS PHYSIQUES ET PSYCHOLOGIQUES 22

LE CONCEPT DES ÉMOTIONS EXPRIMÉES (EE) 23

UN ENJEU ÉCONOMIQUE 24

UN ENJEU DE SOCIÉTÉ 25

LA STIGMATISATION : AUSSI UNE DOUBLE PEINE POUR LES FAMILLES 25 ÉVOLUTION DES PARADIGMES : DE LA FAMILLE COUPABLE À LA FAMILLE PARTENAIRE 25

(5)

LA PSYCHOÉDUCATION DES PROCHES AIDANTS EN PSYCHIATRIE 27

ORIGINE, DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES 27

PSYCHOÉDUCATION : QUELLE LÉGITIMITÉ ? 29

LA PSYCHOÉDUCATION DES FAMILLES FAIT PARTIE DES RECOMMANDATIONS

INTERNATIONALES DE BONNES PRATIQUES CLINIQUES 29

LA PSYCHOÉDUCATION DES FAMILLES A DÉMONTRÉ SON EFFICACITÉ 29 LA PSYCHOÉDUCATION DES FAMILLES EST RENTABLE SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE 31

PROFAMILLE (programme le plus utilisé en francophonie) 32

HISTORIQUE 32

UN PROGRAMME EN CONSTANTE ÉVOLUTION 32

LE CONTENU DU PROGRAMME 33

L’ÉVALUATION DU PROGRAMME 35

EXEMPLE D’UNE PRATIQUE À BIENNE 36

L’AUTO-EFFICACITÉ OU LE SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE 37

TROISIÈME PARTIE –

40

HYPOTHÈSES ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

HYPOTHÈSES 41

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 42

QUESTIONNEMENT ET MISE EN PROBLÉMATIQUE 42

CHOIX MÉTHODOLOGIQUE 43 L’ANALYSE QUALITATIVE 43 L’INTERVIEW SEMI-DIRIGÉ 44 L’INTERVIEW EXPLORATOIRE 44 L’ANONYMAT 44 RECUEIL DE DONNÉES 45

CHOIX DES INSTITUTIONS ET DES PERSONNES INTERVIEWÉES 45

DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE 46

QUATRIÈME PARTIE –

48

PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS 49

QUELQUES MOTS EN PRÉAMBULE 49

LES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE 50

PLACE DE LA FAMILLE ET DES ASSOCIATIONS DANS LA PRISE EN SOINS EN PSYCHIATRIE :

UN CHANGEMENT DE PARADIGME 50

LA PSYCHOÉDUCATION DES FAMILLES, UNE VISION PARTAGÉE ? 52 CONNAISSANCE DES ASPECTS CONCRETS : QUELS IMPACTS ET QUELLE MESURE DE CEUX-CI ? 54 LIMITES DES APPROCHES FAMILIALES PSYCHOÉDUCATIVES ? 56 LE PROGRAMME PROFAMILLE, EXPÉRIENCES EN SUISSE ROMANDE 59 Implémentation de Profamille et travail en partenariat 59

Visibilité institutionnelle de Profamille 60

Quelle est l’offre actuelle du programme Profamille ? 60 Mesure des objectifs cibles du programme Profamille par les directions ? 61 Implication des directions pour le programme Profamille 63

(6)

POSTURE DES AUTORITÉS CANTONALES 64

Le lobby des associations 65

Financement versus reconnaissance ? 65

EN GUISE DE CONCLUSION 68

VALIDATION DES HYPOTHÈSES ET RECOMMANDATIONS 68

VALIDATION DES HYPOTHÈSES N° 1-2 / RECOMMANDATIONS N° 1-7 68 VALIDATION DE L’HYPOTHÈSE N° 3 / RECOMMANDATIONS N° 8-9 72 VALIDATION DE L’HYPOTHÈSE N° 4 / RECOMMANDATIONS N° 10-13 73

RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES 76

PISTES D’EXPLORATION ET PERSPECTIVES 76

DÉCLARATION 78

ANNEXE 1 : STRUCTURE DU PROGRAMME PROFAMILLE, VERSION 3.2 79 ANNEXE 2 : PROFAMILLE, BILAN DE LA SESSION 8, BIENNE, 2009-2012 90

ANNEXE 3 : INTERVIEWS, GRILLES D’ENTRETIEN 108

BIBLIOGRAHIE 113

MONOGRAPHIES 113

COURS ET CONFÉRENCES 113

ARTICLES, PÉRIODIQUES ET REVUES 114

ARTICLES DE JOURNAL 117

RESSOURCES ÉLECTRONIQUES 117

(7)

R

ÉSUMÉ

La schizophrénie est une maladie défiante. Elle est déroutante car elle frappe en grande partie des jeunes au moment de s’engager dans la vie d’adulte. Elle est déstabilisante pour des proches qui entament dès lors un parcours chargé de multiples fardeaux. La schizophrénie n’est pourtant pas une condamnation à mort, on peut la traiter, de mieux en mieux ; les moyens d’y faire face existent, l’espoir d’une vie de qualité est légitime. Cet espoir est aussi celui que l’on peut transmettre aux familles, ces aidants naturels, sans lesquels l’intégration dans la communauté des personnes souffrant de schizophrénie serait compromise.

Cette étude vise à comprendre les choix et les pratiques des directions des grandes institutions psychiatriques de Suisse romande face à la prise en compte des proches aidants dans le domaine de la schizophrénie. Elle s’intéresse particulièrement aux stratégies de ces directions par rapport aux approches psychoéducatives familiales dans

la schizophrénie qui font partie à ce jour des recommandations internationales de

bonnes pratiques cliniques. Ce travail de master présente une recherche construite sur deux composantes distinctes. La première démarche analyse l’abondante littérature scientifique et restitue une synthèse sur les enjeux majeurs (de santé, économiques, sociétaux et de pratiques de soins) que représentent la schizophrénie, les proches aidants et la psychoéducation des familles. Une deuxième phase expose les résultats d’une enquête de terrain basée sur des entretiens semi-dirigés et menée auprès des dirigeants de huit grandes institutions psychiatriques réparties sur l’ensemble des cantons de Suisse romande.

Les témoignages recueillis montrent que les directions se positionnent clairement pour des missions institutionnelles qui tiennent comptent des proches aidants. La plupart des dirigeants sont unanimes pour dire que la psychoéducation des familles, et plus particulièrement le programme PROFAMILLE, fait partie du paysage de la psychiatrie depuis une vingtaine d’années. Elle est perçue comme efficace à différents niveaux, notamment sur la santé des malades (diminution des rechutes) et sur l’allègement du fardeau des familles. L’étude révèle toutefois une certaine contradiction, car en dépit de cette efficacité mesurée avant tout sur un mode expérientiel, elle reste à certains égards peu utilisée et/ou peu exploitée, notamment en ce qui concerne le nombre de familles potentiellement à atteindre. Cette étude suggère ainsi des pistes stratégiques et des recommandations afin que les directions puissent promouvoir auprès de leur institution, de la société et de leurs autorités politiques, un outil moderne, ayant donné la preuve de son efficacité dans le domaine de la santé, de l’économie (efficience) et de la société (lutte contre la stigmatisation et travail de partenariat avec les proches).

(8)

L

ISTE DES ABRÉVIATIONS

AFS Association de familles et amis de malades souffrant de

schizophrénie

AI Assurance invalidité

EPT Emploi plein temps

ICUS Infirmier-chef d’unité de soins

INSERM Institut national de la santé et de la recherche médicale

OBSAN Observatoire suisse de la santé

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

OMS Organisation mondiale de la santé

PIB Produit intérieur brut

PORT Patient Outcomes Research Team

SPJBB Services psychiatriques Jura Bernois Bienne-Seeland

SWOTT Outil d’analyse stratégique :

Strenghts-Weaknesses-Opportunities-Threats (forces, faiblesses, menaces, opportunités)

(9)

1

I

NTRODUCTION

« Votre travail consistera à vous occuper surtout des schizophrènes. C’est des chroniques, on ne va pas changer grand-chose, il faut surtout les suivre et les soutenir. ». Tels étaient les premiers propos tenus par mon supérieur en décembre 1994. Je venais de débuter

comme jeune diplômé et seul infirmier au Centre psychiatrique de Bienne1. Les objectifs

fixés à l’époque, plutôt modestes et peu ambitieux, reflétaient l’image que l’on pouvait avoir de la schizophrénie, une maladie au long cours, au pronostic défavorable, et des patients qu’il s’agissait avant tout de « contenir » dans leur milieu de vie. Certains collègues de l’époque traduisaient également les préjugés accolés à cette pathologie : « Je suis content que c’est toi qui t’occupes de ces schizophrènes, moi, je ne saurais pas quoi faire (...) tu peux faire ce que tu veux, aller à domicile ou les voir au centre, de toute façon, ils vont finir en clinique tôt au tard ; il faudra que tu te fasses à cette idée ».

Cette étude s’inspire de ma pratique professionnelle. Elle puise ses réflexions suite aux centaines de rencontres avec des personnes souffrant de schizophrénie, dans mon bureau, chez elles, dans la rue, à l’hôtel, dans les restaurants, les ateliers, les foyers, les cliniques psychiatriques ou somatiques. Ces personnes ont été vues en individuel, en

groupe et également avec leur entourage (familles, voisins, employeurs, tuteurs, etc.).Ce

travail est aussi le résultat d’une expérience de plusieurs années à l’animation de cours d’information et de formation destinés aux familles de malades souffrant de schizophrénie. En fin de compte, j’ai réalisé que je ne me suis jamais fait à l’idée « qu’on

ne pouvait rien faire » !

Cette étude propose une réflexion analytique sur les enjeux liés à la schizophrénie, aux impacts de cette maladie sur les personnes atteintes mais également sur leurs proches. Je présenterai les grandes lignes de la psychoéducation des familles, comme une approche permettant aux professionnels et aux directions d’institution d’opter pour des interventions efficaces, dans un message d’espoir et non-stigmatisant. Et d’embrasser

l’idée : « Oui, on peut faire, et même beaucoup».

La première partie de ce travail de master permettra au lecteur de prendre connaissance

du contexte de la recherche et de la motivation qui la sous-tend. La question de la recherche s’ouvre à une dimension plus large que l’institution. Elle s’intéressera plus particulièrement aux choix stratégiques et aux pratiques des directions d’institutions psychiatriques de Suisse romande face à la prise en compte des proches aidants dans le domaine de la schizophrénie. L’objet de l’étude traitera en particulier le positionnement

1

Le centre psychiatrique de Bienne était une institution psychiatrique cantonale de soins ambulatoires. Suite à la sectorisation de la psychiatrie dans le canton de Berne, cette structure fait partie depuis 2001 des Services psychiatriques Jura bernois Bienne-Seeland (SPJBB).

(10)

2

de ces directions par rapport à la psychoéducation des proches de personnes souffrant de schizophrénie. Cette approche, nous le verrons, fait partie des recommandations de bonnes pratiques cliniques, mais semble malgré tout peu proposée, peu ou mal exploitée, ou encore inexistante. Les interrogations auxquelles cette étude devra tenter de répondre s’inscrivent dès lors dans des perspectives de niveau interdisciplinaire, car elles font référence à des enjeux sanitaires, sociaux, économiques, politiques et éthiques.

La revue de la littérature nous conduira, dans la deuxième partie, à découvrir la

documentation et les écrits scientifiques en lien avec trois thématiques centrales contenues dans le titre de cet ouvrage. Le premier sujet abordera la schizophrénie sous l’angle de quatre enjeux majeurs de santé publique, économiques, sociétaux et de ceux qui touchent aux pratiques de soins. Ces mêmes enjeux concernent également les proches aidants, et le deuxième volet va démontrer la nécessité de s’intéresser également à eux. Dans un troisième temps, nous aborderons la psychoéducation des proches aidants dans la schizophrénie, sa définition, ses caractéristiques ; nous discuterons de la légitimité de cette approche et des cibles d’efficacité qu’elle poursuit. Nous prendrons, à titre d’exemple, le programme psychoéducatif PROFAMILLE car il représente, à ce jour, le programme le plus utilisé en francophonie. Je terminerai par la présentation d’une évaluation menée sur trois ans auprès d’un groupe de proches ayant suivi le programme Profamille à Bienne.

Nous arriverons ainsi à la troisième partie de cette étude qui nous introduira à ma

recherche empirique auprès des dirigeants de huit grandes institutions psychiatriques de Suisse romande. Les choix méthodologiques seront explicités et notamment l’analyse qualitative qui sera menée au travers d’interviews semi-dirigés. Dans cette enquête, je me « dépouille » volontairement de mes habits de praticien pour revêtir la casquette d’infirmier chef. Mon intention à ce stade est de m’élever à un niveau plus stratégique afin d’explorer la manière dont la psychoéducation des proches est comprise et utilisée par les directions des institutions de Suisse romande. Mon fil rouge suivra quatre hypothèses de recherche dont la principale énonce que la plupart des directions des institutions de Suisse romande ont mis en place un programme de psychoéducation des familles, mais elles ne l’exploitent pas assez, car son évaluation n’est pas encore une pratique courante dans la culture de la psychiatrie.

La quatrième partie présentera et analysera les résultats de l’enquête. La restitution des

entretiens rendra compte des représentations, des croyances, des analyses et des pratiques des dirigeants au sein de leur institution, en rapport avec les proches aidants d’une part et plus spécifiquement avec les approches psychoéducatives d’autre part. J’analyserai cinq domaines en partant de la vision de la psychoéducation, de ses apports bénéfiques concrets ou au contraire des limites ou des réserves qu’elle suscite. Les expériences pratiques recensées confirment que Profamille est le programme

(11)

3

psychoéducatif le plus utilisé en Suisse romande. Nous verrons dans le quatrième domaine exploré comment sa mise en place peut varier en fonction des contextes institutionnels et cantonaux mais aussi en fonction du positionnement, des connaissances et de l’investissement des directions pour un tel programme. Le dernier domaine investigué dévoilera le degré de collaboration entre les institutions et leurs autorités politiques, de même que le regard et le soutien de celles-ci en ce qui concerne les proches aidants dans la schizophrénie. J’en démontrerai les rapprochements possibles, y compris les demandes de financement auprès des instances politiques pour les programmes comme Profamille.

A la suite de cette dernière partie, nous serons en mesure de restituer les points forts de ce travail et d’établir les liens entre les résultats et les écrits scientifiques. Nous répondrons aux questionnements et aux enjeux de cette étude en exposant ce qui a été trouvé par rapport aux hypothèses. Afin de répondre à l’objectif d’opérationnalité, je conclurai ce travail de réflexion analytique en proposant plusieurs éléments de réponse ainsi que des recommandations au niveau stratégique pour les postes de direction au niveau des institutions psychiatriques de Suisse romande.

(12)

4

PREMIÈRE PARTIE

L’itinéraire d’un praticien…

Les questionnements d’un dirigeant

(13)

5

C

ONTEXTE DE LA RECHERCHE

Je travaille depuis 25 ans dans le domaine de la psychiatrie adulte et plus particulièrement depuis 20 ans au sein des Services psychiatriques Jura bernois - Bienne-Seeland (SPJBB), institution publique cantonale. J’ai exercé la fonction d’infirmier chef d’unité de soins (ICUS) pendant 17 ans pour accéder en février 2014 au poste d’infirmier chef. Le mandat de notre institution est d’offrir une assistance psychiatrique dans le domaine hospitalier (la clinique), semi-hospitalier (les cliniques de jour) et ambulatoire. Mon expérience s’est construite avant tout dans le domaine de la psychiatrie ambulatoire et communautaire et auprès d’une population dite « chronique » nécessitant des soins au long cours. Ces personnes sont entourées généralement par un réseau important d’aidants (professionnels de la santé, du social, etc.) mais aussi de leurs familles (ou amis proches) appelées également proches aidants ou aidants naturels.

Au cours de ces années, j’ai observé une réalité inchangée, celle de personnes souffrant d’une pathologie psychiatrique et celle de proches faisant partie intégrante du parcours de vie des malades et qui souffrent également. Un nombre important d’études et de

méta-analyses2 (Fadden, Bebbington & Kuipers, 1987; Creer & Wing, 1974 cité par

Alexander, 1995; Vitaliano et al., 2005) révèlent l’impact des situations de handicap, que ce soit sur le plan somatique ou psychique. Ces situations stressantes et qui perdurent entraînent une détérioration de la santé psychique et physique des proches aidants, du fonctionnement familial global, de la qualité de vie, ainsi que des risques de rechutes pour le malade, avec des répercussions sur l’évolution de la maladie.

L’histoire de la psychiatrie et son rapport aux familles trace un parcours jonché de théories, d’hypothèses historiquement culpabilisantes, de tentatives d’implications des familles aux processus institutionnels et thérapeutiques. Depuis les années 80, et en particulier pour les pathologies du spectre de la schizophrénie, nous assistons à un changement important des paradigmes au travers des approches psychoéducatives d’orientation cognitivo-comportementale. Les proches reçoivent non seulement des informations sur la maladie, mais également une formation sur plusieurs mois pour faire face à celle-ci. Ils deviennent partenaires, leur qualité de vie et donc leur santé s’améliore. Le rapport de l'INSERM (2004) sur les psychothérapies (4 méta-analyses et 6 études contrôlées) considère que l'efficacité de ces approches est démontrée (diminution du taux de rechute et des ré-hospitalisations), ce qui n'est pas le cas pour d'autres approches familiales.

2 Une méta-analyse est une analyse qui fait la synthèse de plusieurs études contrôlées publiées sur le même

(14)

6

Ma pratique professionnelle m’a conduit à animer depuis une quinzaine d’année, un programme de formation psychoéducatif appelé Profamille. Il est destiné aux proches et amis de personnes souffrant de schizophrénie. Les évaluations obtenues par nos groupes semblent conformes aux résultats des études internationales. A titre d’exemple, le bilan d’un groupe mené sur 3 ans (session 8) peut être consulté dans l’annexe n°2 de ce travail. Au vu de ces expériences, plusieurs convictions se sont installées en moi, mais également de nombreuses interrogations. Cette tension a constitué le moteur de ma recherche et a fait naître en moi la motivation d’explorer les enjeux liés à la thématique de cette étude.

M

OTIVATION

Le constat que je porte actuellement en tant qu’infirmier, mais surtout comme cadre supérieur d’une institution psychiatrique publique, est que, si l’idée de venir en aide aux proches semble acquise de nos jours, la façon d’apporter cette aide peut être multiple ; elle est parfois controversée ou alors inexistante et peut dépendre :

des croyances individuelles des professionnels de la santé (certains pensent par exemple que les familles pourraient avoir une part de responsabilité dans la maladie ou qu'elles pourraient interférer négativement dans les soins).

de la mise à jour des connaissances et du développement des compétences des professionnels dans l’apport de cette aide.

des choix stratégiques ou idéologiques des directions d’institutions psychiatriques. Comment collaborer avec les proches ? Quelles interventions souhaite-t-on ? Quelles formes de partenariat faut-il envisager? Quelle posture faut-il adopter et qui prend l’initiative du partenariat ? Faut-il opter pour une politique proactive de soutien aux familles ou simplement «être à disposition » ? Quels moyens humains et financiers faut-il investir et qui les finance ?

Ma motivation principale s’est tout d’abord nourrie d’un constat personnel subjectif. En effet, en dépit du fait que la psychoéducation des proches de personnes souffrant de schizophrénie fasse partie des recommandations de bonnes pratiques cliniques (Lehman & Steinwachs, 1998), elle semble encore peu proposée dans nos institutions, peu ou mal exploitée ou encore insuffisamment valorisée. Les familles qui se regroupent de plus en plus en association continuent à dire qu’elles ne sont souvent pas informées ou alors qu’elles ne sont pas entendues, voire exclues (Hurt-Clément, 2012). Les moyens financiers sont souvent employés à d’autres programmes ou priorités institutionnelles. Voulant objectiver mon ressenti, j’ai parcouru la littérature scientifique. J’ai découvert que très peu d’études ont mesuré l’étendue et la fréquence d’utilisation des programmes

(15)

7

psychoéducatifs pour les malades et/ou leurs proches. Cet état de fait a intrigué une équipe allemande. Celle-ci a mené une enquête dans toutes les institutions en Allemagne, Autriche et Suisse (Rummel-Kluge, Pitschel-Walz, Bäuml & Kissling, 2006). Les conclusions de ce sondage sont éloquentes. La psychoéducation est annoncée comme faisant partie des programmes offerts dans le 86% des institutions. Parmi ces programmes, le 84% concerne la schizophrénie. Or, le résultat principal montre que, pour toute l’année 2003, seuls 21% des malades souffrant de schizophrénie et 2% des proches ont participé à un programme psychoéducatif (p. 770). Une étude américaine rapporte un taux de participation des familles de 8% (Dixon et al., 1999). En 2002, Tempier et Favrod (p. 625) déclarent que les effets des interventions familiales sur la schizophrénie sont connus depuis les années 80, mais elles ne sont pas encore monnaie courante dans les pays francophones européens. On en ignore les raisons car des manuels d’intervention sont disponibles en français.

Cette « ignorance » et cette apparente contradiction ont piqué ma curiosité. J’ai dès lors choisi ce sujet et saisi l’opportunité de ce travail pour l’explorer davantage.

O

BJET DE L’ETUDE

Limites de la recherche

Au vu de ce qui a été présenté auparavant et notamment en partant du constat que les approches familiales psychoéducatives sont peu développées, ma recherche pouvait cibler trois dimensions :

La dimension politique

Quelle est la part de conscience de la plupart des grands relais d’opinion ? Quelles sont les politiques sanitaires et les stratégies mises en place pour les proches aidants de la part des plus hautes autorités?

La dimension institutionnelle

Quelle est la part d’implication des structures de soins et de leurs dirigeants ?

La dimension individuelle

Cette dimension se réfère aux pratiques de soins de chaque professionnel de la santé.

Suivant la logique de mon parcours professionnel et celle de ma formation à la direction

des institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires, mon choix s’est naturellement

porté sur la dimension institutionnelle.

Ce travail de master consistera donc en une réflexion analytique spécifique des choix et des pratiques des directions d’institutions psychiatriques de Suisse romande face à la

(16)

8

prise en compte des proches aidants dans le domaine de la schizophrénie. Je chercherai également à comprendre les raisons du positionnement de celles-ci par rapport à la psychoéducation dans la perspective des enjeux actuels :

Enjeux sanitaires :

Nos institutions ont une mission confiée par la société et par le politique. Afin de bien remplir cette mission, elles devraient être à l’écoute des bénéficiaires de soins, mais aussi de leurs proches, et offrir des programmes ayant un impact réel sur la santé. Des méta-analyses récentes montrent un taux de rechute divisé par 4 à un an et par 2 les années suivantes lorsqu’une prise en charge psychoéducative est proposée aux familles (Magliano et al., 2005).

Enjeux éthiques :

L’évaluation des pratiques est devenue indispensable pour mesurer les effets réels de celles-ci sur les malades et/ou sur leurs proches et donc pour les légitimer. Peut-on de nos jours encore défendre des programmes thérapeutiques qui n’Peut-ont pas d’évaluation méthodologique et qui ne prouvent pas par conséquent leur caractère bénéfique (efficacité, efficience, effectivité, validité sociale, etc.)? L'absence de prise en charge appropriée des familles représente une perte de chance pour les malades. A titre d’exemple, on sait notamment que la prise en charge psychoéducative des familles a un impact thérapeutique pour le malade d’amplitude équivalent à l’amplitude de l’effet du traitement médicamenteux (Dixon & Lehman, 1995).

Enjeux économiques :

Les contextes socio-politiques actuels tendent quasi majoritairement à une diminution des ressources financières. Les choix stratégiques se font de plus en plus selon des logiques financières et les institutions sont tenues de rendre des comptes (reporting, benchmarking, etc.). L'intérêt à réduire les conséquences négatives de la schizophrénie sur les familles paraît évident, d'autant que j’ai mentionné précédemment que certaines interventions peuvent améliorer la situation des familles et donc réduire les coûts de la santé. Les investissements dans les approches psychoéducatives sont économiquement rentables et relativement faibles par rapport au budget total d'un hôpital psychiatrique. Il s'agit bien d'un investissement, puisque des études montrent que, grâce aux programmes psychoéducatifs, cet argent est ensuite récupéré par la baisse des coûts directs des soins (baisse des réhospitalisations ou des interventions des professionnels).

Enjeux médico-légaux:

Renoncer à mettre en place des programmes psychoéducatifs pour les proches aidants est une perte de chance pour les malades (diminution du taux de rechute). On pourrait imaginer, dans un futur proche, des associations de famille saisissant les institutions qui « priveraient » les malades des meilleurs soins.

(17)

9

Q

UESTION DE LA RECHERCHE

Ma question de recherche tentera de répondre à la question principale suivante :

Quels sont les choix stratégiques et les pratiques des directions d’institutions psychiatriques de Suisse romande face à l’implication des proches aidants, en regard des approches psychoéducatives familiales ?

D’autres questions vont se décliner dans une même logique :

A quel point l’institution intègre-t-elle les proches aidants ? Et ce, dans le contexte de la schizophrénie, dans la perspective des

- enjeux sanitaires : connaître l’existence et le degré de pratique de la psychoéducation des proches aidants. Le cas échéant, connaître les raisons d’une non-utilisation de la pratique de la psychoéducation par certaines institutions.

- enjeux économiques : connaître les ressources financières mises à disposition pour les programmes psychoéducatifs ou, d’une manière générale, pour les proches aidants.

- enjeux éthiques : connaître l’existence et la forme d’évaluation des approches familiales (psychoéducatives ou autres).

- enjeux politiques : connaître le degré de connaissance ou d’implication des autorités politiques face aux programmes psychoéducatifs mis en place dans les institutions.

L’étude que je propose au lecteur résulte d’une démarche inductive3. Elle part, en effet,

de mes observations et des pratiques de soins sur le terrain de la psychiatrie. Je suis

conscient de risquer de m’exposer de ce fait à un certain défaut de neutralité axiologique4

5

. A cet effet, il m’a semblé important de confronter mes expériences et mes fonctions (infirmier, ICUS, puis cadre supérieur d’institution) avec une recherche rigoureuse de lectures scientifiques. Elles permettront de placer les éléments de cette étude dans un contexte plus large et représentatif. Au chapitre suivant, je présenterai une synthèse de la littérature répondant à trois thématiques contenues dans le titre de mon étude et qui répondent aux questions suivantes :

Pourquoi s’intéresser à la schizophrénie ? Pourquoi inclure les proches aidants ?

Quel est l’intérêt des programmes psychoéducatifs pour les familles ?

3

M. Breviglieri. Méthodologie du travail de master. Prise de note. Cours HES-SO, Lausanne, 24 avril 2015.

4 L’attitude de neutralité du chercheur s’abstenant de tout jugement de valeur. 5 Ibid note 3.

(18)

10

DEUXIÈME PARTIE

REVUE DE LITTÉRATURE

Schizophrénie

Proches aidants

Psychoéducation

(19)

11

P

OURQUOI S’INT

É

RESSER À LA SCHIZOPHR

É

NIE ?

La schizophrénie, un enjeu majeur de santé publique

Épidémiologie

Selon les données de l’OMS, ce sont 21 millions de personnes qui sont atteintes dans le monde entier par cette maladie en 2014 (World Health Organisation, 2015). Pour l’Europe, on parle de 3 mio de personnes (Llorca, 2014, p. 3). La schizophrénie n’est donc

pas rare puisqu’elle touche environ 1% de la population. Cette prévalence6 varie toutefois selon les études entre 2 et 10 pour 1000 (Favrod & Maire, 2012, p. 3). Si l’on

considère une incidence7 annuelle moyenne de 15 pour 100'000 habitants (Tandon,

Keshavan & Nasrallah, 2008, p. 1), cela représente pour la Suisse environ 1200 personnes nouvellement diagnostiquées chaque année pour un total de 80'000 malades (prévalence à 1%). Ces données montrent bien que le faible nombre de nouvelles maladies et les chiffres relativement élevés de prévalence indiquent que cette maladie, qui débute chez le jeune adulte, a un risque élevé de chronicisation8 (Rössler, Salize, van Os &

Riecher-Rössler, 2005). La prévalence à vie est de 0.7% (Favrod & Maire, 2012, p. 4).

Maladie grave des jeunes adultes

Les pathologies de la santé mentale atteignent en particulier la jeunesse. Dans 75% des cas, les maladies se déclarent avant l’âge de 25 ans (The Economist Intelligence Unit, 2014, p. 9). La schizophrénie apparaît elle aussi majoritairement entre 16 et 30 ans, plus rarement avant l’adolescence ou

après 45 ans (Mueser & McGurk, 2004).

Selon l’OMS, elle est la première cause de handicap chez l’adulte jeune qui se trouve dans une étape de vie où se construit son avenir professionnel ainsi que son tissu

social et familial (Profamille9, 2012).

6

Nombre de personnes atteintes dans la population à un moment donné.

7

Nombre de nouveaux cas dans la population observée durant une année.

8 Traduction française parue dans la revue Forum Med Suisse (2011), 11(48), 885-888 sous le titre

« Epidémiologie de la schizophrénie ». La citation se trouve à la page 885.

9 La diffusion du cours Profamille est limitée aux équipes d’animation. La distribution des documents est

assurée par la coordination du Réseau Profamille à Rouffach (profamillealsace@ch-rouffach.fr).

Source: Le Quotidien du médecin Dr Yann Hodé Novembre 2005

(20)

12

Les personnes souffrant de schizophrénie vivent moins longtemps

Plusieurs études ont démontré qu’un diagnostic de schizophrénie prédit une diminution

moyenne de l’espérance de vie des malades de 10 à 25 ans. (Yasamy, Cross, McDaniell &

Saxena, 2014 ; Ames et al., 2002). D’après l’OMS, le taux de mortalité est de 2 à 2.5 fois

plus élevé que dans la population générale (World Health Organisation10). Ces décès

prématurés peuvent être corrélés aux impacts de la maladie psychique. Ainsi, entre 40 et 50% des personnes souffrant de schizophrénie font au moins une tentative de suicide durant leur vie ; 10% meurent par suicide (Summerville, 2009, p. 9). Ce taux de mortalité

est 12 fois supérieur à celui de la population générale (World Health Organisation11).

Toutefois, la plupart des décès sont directement causés par des maladies physiques. Plusieurs études démontrent en effet, que les personnes souffrant de schizophrénie ont une prévalence plus élevée pour les maladies cardio-vasculaires, respiratoires, métaboliques (obésité, diabète, hypercholestérolémie) et infectieuses (sida, hépatites, tuberculose), (Scott & Happell, 2011 ; Yasamy, Cross, McDaniell & Saxena, 2014). Paradoxalement, ces personnes atteintes de schizophrénie sont statistiquement moins traitées pour leurs problèmes somatiques que le reste de la population (Mitchell & Lord, 2010). Les raisons recensées sont une difficulté d’accès aux services de santé, la discrimination de la société et des professionnels (Nordt, Rössler & Lauber, 2006), un manque de support social et familial, de même qu’une difficulté personnelle à se prendre en charge (sédentarité, refus de soins, etc.) (Yasamy, Cross, McDaniell & Saxena, 2014).

Les personnes atteintes ont des maladies associées12

Un malade sur deux présente une dépendance à l’alcool ou à une autre drogue (Regier

et al., 1990). Par rapport à la population générale, le risque est 10 fois plus élevé pour une dépendance à l’alcool et de 7,5 fois par rapport à d’autres substances (Profamille, 2012). Un programme national australien pour le traitement des premières psychoses révèle que

70% des jeunes ayant eu un premier épisode de maladie ont consommé des substances illicites et en particulier du cannabis, dans les 12 mois précédents le premier traitement

(Edwards & McGorry, 2002, p. 54). La recherche scientifique ne permet pas de conclure que le cannabis augmente l’incidence des troubles schizophréniques. Par contre, chez les

personnes vulnérables, le risque de développer des troubles psychotiques13 est multiplié

par 6 (Merlo, Rey-Bellet, Gekle & Ferrero, 2003, p. 1716) et l’usage régulier du cannabis

contribue à un début plus précoce de la maladie et en péjore son évolution.

10

La date du document n’est pas précisée mais il est référencé dans la bibliographie, dans la rubrique «ressources électroniques».

11

Ibid note 9.

12En terme médical, on parle de comorbidité. 13

La psychose (rapport perturbé à la réalité) fait partie des symptômes de la schizophrénie mais elle est présente également dans d’autres maladies. Elle inclut les hallucinations, les idées délirantes et une désorganisation de la pensée.

(21)

13

Un fort taux de tabagisme se retrouve également parmi les personnes souffrant de schizophrénie. Entre 5 et 8 personnes sur 10 sont fumeurs et la prévalence est de 2 à 6

fois supérieure en comparaison de la population générale (Correll, 2007).

D’autres pathologies psychiatriques se retrouvent plus fréquemment associées à la schizophrénie (Profamille, 2012). Ainsi, les troubles dépressifs se retrouvent chez près

d’un patient sur deux à un moment donné de sa vie, contre 20% dans la population générale. Les troubles obsessionnels compulsifs (T.O.C) sont présents chez 1 personne sur 10 (2% dans la population générale) et le taux des attaques de panique se monte à 15% (4 fois plus que la population générale).

La schizophrénie, un enjeu majeur sur le plan économique

D’une manière générale, le coût des maladies mentales est très important. Une étude

européenne révèle que les coûts directs (60%) et indirects14 (40%) en Europe pour 2010

s’élèvent à 798 milliards d’Euros, soit le 3,4% du PIB total (Gustavsson et al., 2011, p. 720). Ces mêmes auteurs concluent que chaque année, ce sont 38,2% de la population en Europe qui souffrent au moins d’une maladie mentale, que le fardeau lié à l’handicap est immense, et que la plupart des malades ne reçoivent pas de traitement. Selon l’European Brain Council (EBC) (cité dans The Economist Intelligence Unit, 2014), seul un quart des

malades reçoivent un traitement dont le 10% peut être considéré comme «adéquat ».

Pour l’EBC, cela soulève un défi éthique qui ne génère pas la réponse qu’on serait en droit

d’attendre. Le professeur Wittchen (Wittchen et al., 2011, p. 656)déclare que les troubles

mentaux sont le défi du 21ème siècle, non pas parce qu’ils se détériorent, mais parce que nous sommes incapables d’agir dans la prévention et le traitement de ces maladies.

L’OMS place la schizophrénie dans les dix premières maladies contribuant de façon

probante au nombre total de jours d’invalidité de la population mondiale. C’est donc une maladie invalidante, et on estime à 80% le nombre de personnes qui n’arriveront pas à travailler (Profamille, 2012).

A l’échelle mondiale, il existe un paramètre pour calculer le poids d’une maladie en

termes économiques. Il s’agit de la mesure DALY15 (Disability Adjusted Life Years). Elle

combine le nombre d’années perdues conséquemment à l’handicap et à la mortalité causés par la maladie. La schizophrénie représente le 1,1% de tous les DALY (toutes catégories de maladies confondues, dans le monde entier) et le 2,8% des années vécues avec l’handicap (Rössler, Salize, van Os & Riecher-Rössler, 2005, p. 399).

14 Les coûts indirects sont essentiellement liés à l’incapacité de travail. 15 1 Daly équivaut à une année de santé perdue.

(22)

14

L’étude européenne menée par Wittchen (2011) montre que les coûts liés à la

schizophrénie sont proportionnellement les plus élevés parmi les maladies mentales.

Ces coûts s’expliquent par l’évolution au long court de la maladie. Le tableau ci-après montre d’ailleurs la part très importante des coûts indirects (70%) en comparaison des autres pathologies psychiatriques.

Selon le Laboratoire Universitaire de Recherche en Neurosciences Psychiatriques (LUNEP) à Lausanne, présidé par le Dr Kim Q. Do Cuénod, les coûts moyens de la schizophrénie en

Suisse peuvent être estimés à 50'000 francs par patient et par an (traitement, rentes

d’invalidité, etc.). A l’échelle nationale, cela représente environ trois milliards de francs

par an (Do Cuénod16).

Au niveau Suisse, on dispose également de chiffres intéressants concernant l’assurance

invalidité (AI). Le 3ème rapport de l’OBSAN (Schuler & Burla, 2012, p. 67) montre que les

maladies psychiques constituent la cause d’invalidité la plus fréquente avec 43% des nouveaux bénéficiaires en 2010. Parmi par les maladies psychiques, la part de la

schizophrénie et autres psychoses est de 26,7 %, soit une personne sur quatre.

Toujours au niveau national, on constate que la schizophrénie représente une part

importante des coûts hospitaliers. En 2009, le taux d’hospitalisation pour les diagnostics

psychiatriques s’élevait à 11,9 cas pour 1000 habitants (p. 52). Le tableau ci-après montre qu’environ une personne hospitalisée sur cinq présente un diagnostic de schizophrénies/autres troubles psychotiques.

16 La date de l’article n’est pas précisée. Le document est référencé dans la bibliographie, dans la rubrique

des ressources électroniques.

Source : Conférence, H.U. Wittchen ECNP/EBC Report 2011 Size and Burden of Mental Disorders and other Disorders of the Brain in Europe 2010 Hans-Ulrich Wittchen

(23)

15

On retrouve quasiment les mêmes chiffres en 2013, avec une part des hospitalisations à 16,6% (OFS, 2015).

La durée des séjours des maladies psychiatriques s’élevait en 2009 à 363 journées de soins pour 1000 habitants (Schuler & Burla, 2012, p. 54). La schizophrénie est le diagnostic qui, après la dépression, demande le plus de temps de traitement (pp. 54-55).

Toujours selon le 3ème rapport de l’OBSAN (p. 49), il n’existe à ce jour aucune statistique

concernant les établissements ambulatoires et semi-hospitaliers en Suisse, notamment pour la psychiatrie. Pour pallier à cette absence de statistiques, l’Obsan a fait établir en 2006 un inventaire des institutions psychiatriques ambulatoires et semi-hospitalières ayant un mandat public. Selon les cantons, elles traitent de 11 à 65 cas pour 1000 habitants (p. 49). Avec les cabinets privés, ces établissements soignent plus de personnes souffrant de troubles psychiques que les établissements hospitaliers (Lavignasse & Moreau-Gruet, 2006 cité par Schuler & Burla, 2012, p. 49).

Le tableau ci-après montre toutefois que les cliniques psychiatriques traitent surtout les troubles schizophréniques (catégorie F2), les troubles affectifs (F4) et névrotiques (F4). L’ambulatoire traite surtout les catégories F4, les troubles de l’humeur (F3) et les troubles liés à l’utilisation de drogues (F1).

(24)

16

Dans la suite de mon travail, nous verrons les liens existants entre les approches psychoéducatives familiales dans la schizophrénie et les enjeux économiques, notamment en rapport avec le taux de rechutes et le nombre des hospitalisations.

La schizophrénie présente un enjeu sociétal majeur

Au-delà des enjeux de santé, des répercussions sur l’économie et des questions éthiques qui sont soulevées (Quels traitements ? Quelle accessibilité aux soins? Comment répartir les ressources?), la personne en souffrance va être confrontée à un autre écueil important : celui de sa place dans la société. Les constats partout dans le monde rapportent que les personnes avec des maladies mentales sévères, comme la schizophrénie, sont davantage sujettes à être sans logement, sans emploi et vivent dans

la précarité (Yasamy,Cross, McDaniell&Saxena,2014). L’OMS parle même de violations

des droits humains à la fois à l’intérieur des institutions et dans la communauté ; les discriminations réduisent les chances d’accès à l’éducation, au logement et à l’emploi (WHO, octobre 2014).

Une étude australienne menée sur 2 ans conclut que 17,6% des personnes avec des troubles psychotiques sont victimes de violence, et que 10,2% sont incarcérées (Jablenski et al., 1999). On retrouve les mêmes proportions aux Etats Unis où 10 à 20% des personnes en prison souffrent de schizophrénie et dont la majorité ont commis des crimes alors qu’ils n’avaient pas de traitement ou qu’ils étaient sans domicile fixe (Profamille, 2012 ; Amador, 2007, p. 41).

(25)

17

Un article rassemblant diverses études dans plusieurs pays (Arboleda-Florez, 2009) conclut que les prisons sont devenues les « centres de santé » de notre époque, par la diversité et la complexité des maladies mentales qu’elles rencontrent. Le nombre des malades ne décroit pas et il serait nécessaire d’améliorer la coopération entre les institutions et les accès aux traitements pour éviter le transfert des patients psychiatriques des hôpitaux aux prisons.

La stigmatisation17 est une double peine

Mon expérience de 25 ans au contact de personnes souffrant de schizophrénie me force de constater que les malades souffrent autant de leur pathologie que des préjugés et comportements négatifs de la société à leur égard. Les familles subissent également ces étiquetages : elles n’osent pas en parler, se culpabilisent et ont des difficultés à demander de l’aide.

Une méta-analyse récente sur plus de 90'000 personnes met en évidence que la stigmatisation est un facteur majeur empêchant l’accès aux traitements (Clement et al., 2014). Elle contribue à augmenter le retrait social (Magliano, Fiorillo, Malangone, Del

Vecchio & Maj, 2008). Elle conduit également à la discrimination18, notamment en ce qui

concerne l’accès au monde du travail (Evans-Lacko, Knapp, McCrone, Thornicroft & Mojtabai, 2013).

Les principaux préjugés sur la schizophrénie persistent malgré de nombreuses campagnes de déstigmatisation. Les plus courants sont les suivants : la schizophrénie est une maladie mystérieuse, les malades ne s’en remettent jamais, on ne peut pas la traiter efficacement. Elle résulte d’un rôle parental mal assumé. Les drogues provoquent la maladie. Les deux croyances les plus fortes sont celles de croire que la schizophrénie est un dédoublement de la personnalité et que ces personnes sont violentes et criminelles. Ces croyances résultent le plus souvent d’un manque d’information, malgré le fait que de nombreuses recherches et études ont été validées par la communauté scientifique internationale. On apprend ainsi que la schizophrénie est une « vraie » maladie, liée à un dysfonctionnement du cerveau et dont les causes sont en grande partie liées à des facteurs génétiques et environnementaux (infections prénatales, complications obstétriques, etc.) (Favrod & Maire, 2012, pp. 3-5).

Concernant le préjugé le plus répandu, on sait que la majorité des personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas dangereuses et que la majorité des personnes dangereuses ne souffrent pas de schizophrénie. Le risque de violence est estimé à 3%, 10% en cas d’abus

d’alcool ou de drogues (Jablenski et al., 1999). Le risque de mourir des suites d’une

17 La stigmatisation fait référence aux idées fausses (préjugés), aux croyances et attitudes négatives envers

une catégorie de personnes.

18 Définition du dictionnaire Larousse : le fait de traiter différemment quelqu’un par rapport au reste de la

(26)

18

attaque de la part d’une personne schizophrène inconnue (3 pour 10 millions d’habitants) peut être comparé à celui de mourir frappé par la foudre (Simpson, Mckenna, Moskowitz, Skipworth, & Barry-Walsh, 2004).

Il existe plusieurs façons d’intervenir et d’agir contre la stigmatisation. Dans mon travail, je ne traiterai pas des axes d’interventions possibles auprès des malades. Toutefois, je vous invite à consulter la littérature mondiale (par exemple, Edwards & McGorry, 2002, chapitre 4) mais aussi les voix qui s’élèvent en Suisse romande et qui défendent des modèles comme le rétablissement (Favrod & Scheder, 2004). Ces messages d’espoir adressés tant aux professionnels qu’aux personnes atteintes, disent que la schizophrénie est certes une maladie grave, mais qu’il est possible de la soigner. Son évolution n’est pas fatalement déficitaire. Grâce à des soins appropriés, on peut s’attendre à un pronostic favorable, de même qu’à une qualité de vie acceptable. Dans la préface du livre de

Jérôme Favrod sur le rétablissement (Favrod & Maire, 2012), Charles Bonsack19 déclare

que patients et professionnels doivent sortir de l’auto-stigmatisation – cette capacité à endosser des défauts faussement attribués par un miroir social déformant et que le professionnel de première ligne doit contribuer à véhiculer l’espoir, à faciliter l’accès aux soins, à guider les personnes vers les soins adéquats et augmenter leur capacité d’autodétermination. Nous verrons dans la suite de mon travail que ces mêmes messages sont repris en ce qui concerne les approches familiales psychoéducatives. Celles-ci s’inscrivent en complémentarité des pratiques de soins et des traitements au sens large.

La schizophrénie, un enjeu majeur en termes de pratiques de

soins

Nous avons déjà abordé les principaux enjeux de santé publique qui peuvent à eux seuls questionner nos instances politiques, sociales, économiques et bien évidemment nos structures de santé. Parmi les défis que pose la schizophrénie aux professionnels de la santé, deux domaines sont particulièrement ardus et très souvent déroutants pour les proches.

La schizophrénie est diagnostiquée avec retard et la phase de maladie non traitée peut atteindre plusieurs mois

Les enquêtes réalisées dans plusieurs études montrent que la durée moyenne de

psychose non traitée (DUP, Duration of Untreated Psychosis) est de 1 à 2 ans (Larsen et

al., 2001, p. 323). Les premiers signes de la maladie apparaissent la plupart du temps de manière insidieuse, sur plusieurs mois ; on peut les confondre avec une crise

19

Médecin-chef de la Section de psychiatrie sociale du Service de psychiatrie communautaire du CHUV, Charles Bonsack a été nommé professeur associé de l’UNIL le 1er mai 2014.

(27)

19

d’adolescence, une déprime, des traits de caractère. Des symptômes « plus visibles », comme la psychose, peuvent alors s’installer. Cette phase de psychose non diagnostiquée et non-traitée peut également perdurer sur plusieurs mois, avant que la personne n’entre dans le système de santé.

Au premier chapitre de leur livre, Edwards & McGorry (2002) relèvent que l’un des défis majeurs de santé publique est celui de réduire cette phase de maladie non traitée. Ils citent une liste de conséquences potentielles importantes, à la fois pour les patients et leurs proches, tels un pronostic péjoré, un rétablissement plus lent et incomplet, un risque augmenté de dépression et de suicide, des perturbations du fonctionnement psychologique (estime de soi), social et professionnel (arrêt des études, épuisement du soutien familial), les abus de substances, et la criminalité. Parmi les pistes de solutions invoquées, les auteurs insistent sur la nécessité pour les malades d’accéder plus

rapidement aux soins psychiatriques, de manière plus flexible et tournée vers la

communauté (par exemple, grâce à des équipes mobiles). Pour eux, les professionnels de la santé devraient acquérir de nouvelles compétences dans les soins et la relation. Ils devraient par exemple être actifs dans les informations à donner, dans la formation aux patients et à leurs proches (cours psychoéducatifs). Ils pourraient contribuer à la réduction des préjugés liés à la maladie et aux structures psychiatriques, développer des réponses positives, « normalisantes », diminuer les traumatismes liés à des premières hospitalisations non-volontaires, etc. Les deux premières années de traitement sont également très importantes car elles vont prédire le niveau d’handicap des années suivantes (Edwards & McGorry, 2002, p. 11), d’autant plus que pour les schizophrénies débutantes, 80% des patients rechutent dans les cinq ans (p. 13). Le traitement n’inclut pas seulement la médication, mais aussi les interventions psycho-sociales et familiales.

La plupart des personnes ne se reconnaissent pas comme malades20

Ce défaut de ne passe reconnaître comme malade peut être un mécanisme défensif ou

une stratégie psychologique (Favrod, 2012, pp. 23-24). Les malades voudraient préserver

20 En termes médicaux, on parle d’anosognosie ou d’un défaut « d’insight ». Il s’agit d’un trouble empêchant

la personne de percevoir entièrement ou partiellement la maladie, ses manifestations et ses conséquences. Source: Philippe Conus

Conférence Profamille (2004)

(28)

20

leur estime de soi, surtout en regard de tous les stigmates véhiculés par la société et les médias. Toutefois, de nombreuses études (Amador, 2007, p. 31, pp. 57-58) démontrent que les manques de perception de la maladie sont davantage des troubles

neuropsychologiques causés par un dysfonctionnement cérébral (lobes frontaux).

Autrement dit, les déficits de perception de la maladie et le manque d’adhésion au traitement résultent d’un dommage cérébral et non de l’entêtement ou du déni (p. 58). Ce

n’est pas que les malades ne veulent pas, mais ils ne peuvent pas se reconnaître malade.

Ce trouble de la conscience d’être malade atteint 60% des personnes souffrant de schizophrénie (p. 31). C’est un défi important pour les acteurs de la santé car 50% des malades refusent de ce fait un traitement médicamenteux (p. 31). Ils adhèrent difficilement à d’autres formes de traitement non médicamenteux d’ordre psychosocial et sont plus exposés aux hospitalisations contre leur gré (p. 44). Le pronostic est moins bon, et les hospitalisations plus longues et plus fréquentes (p. 43). C’est un défi important car laisser quelqu’un sans soins est la plus sûre façon de contribuer à la stigmatisation du malade (p. 8).

Au-delà des conséquences pour le malade, ce trouble de la perception fait probablement partie des charges les plus lourdes à porter par les familles. Comment convaincre leur proche malade de se faire soigner alors qu’il ne se perçoit pas comme malade ? Comment convaincre les thérapeutes quand certains invoquent le manque de motivation du malade ou qu’ils veulent « respecter leurs droits » ? Comment réagir quand le patient nous annonce qu’il veut arrêter ses médicaments alors que cela a été la cause de nombreuses hospitalisations par le passé ? La charge émotionnelle est alors très forte et peut être dommageable pour les familles, mais aussi pour le malade (le stress est un facteur majeur de rechute).

Pour Amador (2007), ces troubles neuropsychologiques ne doivent pas nous pousser au pessimisme. Il est d’avis que l’ennemi, c’est le dysfonctionnement cérébral et non la personne (…) et il est beaucoup plus difficile de changer la personnalité de quelqu’un que

Comparaisons entre premiers épisodes et multi-épisodes 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Conscient de la maladie Par tiellement conscient Pas conscient 27% 42% 31% 43% 24% 33%

Premier épisode M ulti-épisodes

Thompson & al . 2001

Source : J. Favrod (2004). Conférence

(29)

21

de lui enseigner comment compenser certaines formes de dysfonctionnement cérébral (p. 60). Il poursuit en affirmant que la clé du succès ne réside pas dans le fait que la personne se reconnaisse comme malade (elle ne le peut pas !) mais qu’on l’aide à percevoir certains signaux d’alarmes précoces et les effets bénéfiques du traitement.

Ce dernier exemple est emblématique et montre la nécessité d’inclure les proches. C’est la visée des programmes psychoéducatifs, et en particulier celui de Profamille. Les proches sont informés sur la maladie et ses troubles. Une fois « éclairés» et rassurés, ils vont pouvoir développer des habiletés pour communiquer différemment avec le malade et expérimenter le fait que des résultats concrets sont possibles. Les familles sortent ainsi progressivement d’un sentiment « d’incapacité apprise » et ils retrouvent espoir dans le futur. Ils retrouvent confiance dans leur capacité à agir, notion qui sera reprise par la suite sous le terme de sentiment d’auto-efficacité ou d’efficacité personnelle.

L’analyse des différents enjeux liés à la schizophrénie me permet d’affirmer que cette maladie est « l’affaire de tous ». Elle touche les sphères politiques (Quels programmes de santé ?), économiques (Comment répartir les ressources ?), sociales (Comment lutter contre la discrimination) et évidemment mes pratiques en tant que soignant (Quels sont les meilleurs soins ?) et dirigeant d’institution (Quelles réponses donner à ces enjeux?). Dans le prochain chapitre, nous allons voir pourquoi la schizophrénie est aussi l’affaire des proches aidants et également pourquoi les enjeux les concernant sont de taille.

S

CHIZOPHR

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NIE :

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RESSER AUX PROCHES AIDANTS ?

Un enjeu de santé

Les associations de proches en Suisse romande comme l’AFS21 s’accordent à dire que,

pour chaque personne atteinte, 3 à 4 proches sont concernés. Pour la Suisse, on peut estimer ce nombre à environ 300'000 personnes (prévalence de la maladie à 1%).

Suite à l’introduction des premiers traitements antipsychotiques dans les années 1950 et

au mouvement de désinstitutionalisation22 des années 1960, la responsabilité de la prise

en charge des malades s’est transférée de plus en plus vers la communauté et notamment sur les familles (Grasset, Orita, Veillon & Cucchia, 2004, pp. 183-184).

21

Association de familles et amis de malades souffrant de schizophrénie (AFS).

22

Mouvement ayant contribué à diminuer le recours aux milieux psychiatriques hospitaliers en créant des structures intermédiaires (foyers, appartements et ateliers protégés, etc.) et ambulatoires intégrées dans les cités.

(30)

22

Plusieurs études récentes (années 2000) montrent que de nos jours, les proches sont de plus en plus impliqués dans le système de soutien aux malades atteints de schizophrénie ;

50 à 90% de ces malades chroniques vivent avec leurs proches ou retournent vivre chez eux après une hospitalisation 23 (Lauber, Eichenberger, Luginbühl, Keller & Rössler, 2003, p. 285). A l’instar de ces derniers auteurs, le fardeau reposant sur les familles est accentué par la tendance toujours plus marquée d’une diminution de la durée des séjours hospitaliers et des restrictions plus marquées concernant les hospitalisations non-volontaires à des fins d’assistance (p. 285).

Le concept du fardeau

Depuis la fin des années 1950, de nombreuses recherches se sont penchées sur les conséquences du « retour au domicile » des patients. L’impact de la maladie sur les proches était manifeste et beaucoup d’auteurs ont tenté de définir le concept de fardeau familial. Entre les années 2000 et 2003, quelques 500 articles ont été consacrés aux proches aidants et au fardeau (Sartorius, Leff, Lopez-Ibor, Maj & Okasha, 2005, p. 218). En 1966, Hoenig et Hamilton ont défini deux dimensions du fardeau, l’une objective et l’autre subjective. Le fardeau objectif décrit les impacts mesurables de la maladie sur les proches, comme les comportements perturbateurs du malade, les conséquences sociales,

financières, et l’emploi du temps. Le fardeau subjectif englobe les répercussions

psychologiques, émotionnelles et cognitives telles que l’anxiété, la dépression, les sentiments de culpabilité. Bien que le niveau d’affectation de ces fardeaux varie d’une famille à l’autre, ils conduisent généralement à une diminution de la qualité de vie et à un sentiment de détresse (Papastravrou et al., 2010 et Mitsonis et al., 2010, cités dans Rexhaj, Bonsack & Favrod, 2014, p. 56).

Contrairement à ce qu’on pourrait logiquement penser, une étude dirigée par Magliano et al. (1999) a montré que le fardeau n’atteignait pas uniquement la famille proche (parents, époux, frères et sœurs), mais de façon identique la famille au sens large. Ainsi, le risque de développer des symptômes psychiatriques était égal pour les deux catégories. Les auteurs concluent que ces données soulignent l’importance de pourvoir à la mise en place d’interventions de soutien au plus grand nombre de proches possibles24 (Magliano et al., 1999, p. 10).

Les impacts physiques et psychologiques

Lors du congrès du Réseau Profamille tenu à Nice en 2013, Hodé (2013) déclarait que les familles sont condamnées à une double peine. Elles ont d’une part un proche qui a une maladie grave et souvent handicapante. D’autre part, la moitié de ces familles ont des symptômes dépressifs qui vont augmenter leur risque de mortalité d’un facteur 2, ainsi que d’autres problèmes somatiques. Hodé affirme en outre que ce risque de

23 Traduction personnelle. 24 Traduction personnelle.

Références

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