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Sous l’impulsion de l’association de familles et amis de malades souffrant de schizophrénie (AFS), les SPJBB se sont positionnés en tant que partenaires des proches aidants. Dès 2001, ils organisent conjointement le cours Profamille. Entre 10 et 15 proches suivent le cours ; celui-ci a lieu le soir pour permettre la participation des familles

qui exercent un emploi. L’investissement pour l’institution a été calculé à 0.15 EPT39 par

animateur pour l’ensemble du programme (module 1, 2). La contribution financière est de 100.- par famille. Le coût réel total de l’ensemble du cours (3 ans) est estimé entre 4000.- et 5000.- francs par participant. Cet investissement est récupéré (facteur de 1 à 3) grâce à la diminution des coûts de la santé liés à la baisse des hospitalisations.

Notre expérience et les diverses évaluations effectuées lors de notre session 8 (formation 2009-2012 avec 18 proches, voir annexe n°2) semblent confirmer les études à large échelle. Concrètement, le nombre de jours d’hospitalisation des malades dont les familles suivent le cours passe de 568 durant l’année 2009 (année précédent le cours) à 93 pour 2011, de 12 hospitalisations à 4, les rechutes de 12 à 3.

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La plupart des références et des textes sont tirés du travail de « Module Santé » effectué dans le cadre d’un MAS à la HES-SO (Corzani, Ragusi & Risse, 2013).

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L’efficacité du programme est démontrée notamment sur les connaissances acquises, le «coping» (savoir faire face), l’évolution du malade et également l’humeur des familles. L’effectivité (applicable à tous), l’efficience (économiquement rentable) et la validité sociale (Les techniques utilisées sont-elles éthiquement acceptables?) sont également

démontrées. Le fardeau psychologique des proches montre une diminution notable de

l’humeur dépressive qui va de pair avec l’amélioration de l’état de santé somatique et une diminution de plus de 30% des douleurs chroniques.

Au-delà de ces considérations chiffrées, mes 15 ans de pratique à l’animation de cours psychoéducatifs m’ont permis d’être témoin d’une composante qualitative importante :

celle du sentiment d’auto-efficacité. Celui-ci a été déterminant, aussi bien sur les

animateurs professionnels que sur les proches participants au cours.

L’auto-efficacité ou le sentiment d’efficacité personnelle40

« M.Ragusi, pourriez-vous animer le cours Profamille avec le couple Pasche41 ? ». Mes

premières pensées automatiques de l’époque furent : « Quel effort cela va-t-il demander ? J’ai déjà tellement à faire ! » et « En serais-je capable ? ». Ces deux interrogations, liées à l’effort fourni et à sa propre aptitude à l’animation, ont été celles que j’ai le plus souvent entendues de la part de chaque nouvel animateur que j’ai tenté de recruter par la suite. Au fur et à mesure de ma pratique, une autre réalité s’est imposée à moi, à savoir celle d’un sentiment de satisfaction et d’efficacité liés à mon action. J’ai constaté en effet des changements visibles, durables (sur 3 ans) et répliqués à chaque groupe de participants. Des familles souvent épuisées, résignées et percevant leurs actions auprès de leurs proches malades comme des échecs, se sont mises à comprendre, à croire et à tester les enseignements du cours dans leur vie quotidienne. Les changements obtenus et rapportés les ont stimulés à « y croire » encore plus ; les familles sont aussi plus sereines émotionnellement. Les efforts à fournir pour le cours (présence, révisions, exercices à la maison, etc.) ont été jugés comme nécessaires car corrélés à des perspectives d’espoir et de changement. Le fardeau de la maladie est toujours présent, mais les participants se sont « musclés » pour mieux pouvoir la supporter.

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Cette théorie fait partie de la théorie sociocognitive et est expliquée dans l’ouvrage de référence de A. Bandura (chapitres 1-3, 2007).

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Ces faits empiriques illustrent l’un des objectifs de Profamille, celui d’améliorer la qualité

de vie des proches et de développer leur sentiment d’efficacité personnelle.Ce terme

désigne les croyances d'une personne sur sa capacité à atteindre des buts ou de faire face à différentes situations. Selon Bandura (2007, couverture du livre), la confiance que la personne place dans ses capacités à produire des effets désirés influence ses aspirations, ses choix, sa vulnérabilité au stress et à la dépression, son niveau d’effort et de persévérance, sa résilience face à l’adversité.

En d’autres termes, si les gens ne croient pas qu’ils peuvent obtenir les résultats qu’ils désirent grâce à leurs actes, ils ont bien peu de raisons d’agir ou de persévérer face aux difficultés (Bandura, 2007, préface VI). Or, les aptitudes personnelles peuvent être facilement annulées par des doutes sur soi (p. 63), comme c’est souvent le cas des familles au début du programme. Toutefois, l’efficacité personnelle perçue n’est pas une mesure des aptitudes d’une personne mais une croyance relative à ce qu’elle peut faire dans diverses situations quelles que soient ses aptitudes (p. 64). Pour Bandura, un fonctionnement efficace nécessite donc à la fois des aptitudes et des croyances d’efficacité pour bien les utiliser (p. 63).

Dans les faits, cela se traduit par un fort taux d’adhésion des participants. Le taux d’absentéisme au cours est très bas (voir annexe n°2). A la fin du module 1, la plupart des familles deviennent membres d’associations de proches et parfois une association se crée

suite à un cours Profamille42. Nous assistons dès lors à une dimension collective de

l’auto-efficacité où les personnes partagent leurs croyances sur leur capacité à traiter les défis et les actions ensemble (Bandura, 2007, préface VII). J’ai vu beaucoup de participants s’engager dans les journées francophones de la schizophrénie, donner à ces occasions leur témoignage dans la presse, la radio et les télévisions locales. Ils deviennent présents dans les forums sur internet. Les journalistes s’intéressent au programme et y consacrent

des articles spécifiques43. Le partenariat avec les professionnels de la santé est souhaité,

avec une recherche d’amélioration de la communication et de la coopération. L’expertise des professionnels rencontre celle de proches mieux formés et mieux affirmés.

A Bienne, comme à d’autres endroits du réseau Profamille, on retrouve cette capacité à agir des proches (appelée aussi « empowerment ») par le fait que l’animation est assurée à la fois par des professionnels de la santé mentale et des membres d’une association de familles formés à l’animation de ce type de groupe. La possibilité que des proches formés animent le programme Profamille est parfois perçue avec scepticisme par les professionnels et aussi certaines familles (Profamille, 2012). Plusieurs publications scientifiques montrent pourtant que leur participation a un effet bénéfique sur l’animation (Dixon et al., 2001 ; Rummel, Pitschel-Walz & Kissling, 2005, cités dans Rummel-Kluge, Pitschel-Walz, Bäuml & Kissling, 2006, p. 771). L’implication des familles

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A titre d’exemple, l’association Profamille à Fribourg ou la section AFS de Neuchâtel.

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Estelle Saget a remporté en 2008 le prix européen du journalisme de santé avec son reportage sur Profamille (Saget, 2008).

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dans l’animation des programmes psychoéducatifs est un signe fort contre la stigmatisation des proches aidants et vers un partenariat plus généralisé.

Du côté des professionnels, le programme Profamille transmet aux soignants qui l’animent de nouvelles pratiques basées sur des techniques validées et efficaces. Le sentiment d’auto-efficacité et la satisfaction au travail augmentent à mesure que des résultats concrets sont observés, non pas seulement sur les familles, mais également sur les patients qui rechutent moins. Les services hospitaliers rapportent des « changements impressionnants » dans leur rapport avec certaines familles qui ont suivi le cours. Quelques patients nous disent que le cours a changé leurs parents « en bien : ils sont devenus plus cool ! ».

Le grand défi reste néanmoins le recrutement des professionnels à l’animation et celui des familles à s’inscrire pour un tel programme. Les soignants « non-avertis » peuvent regarder davantage aux efforts et/ou à leur sentiment de (in)capacité et les familles « mal-informées » ne voudront pas s’engager alors qu’elles ont déjà l’impression d’en faire beaucoup. Des soirées d’information grand public ont été mises en place à cet effet, pour tenter de convaincre les familles et les professionnels de l’efficacité d’un tel programme (voir chapitre évaluation du programme). En même temps, cela peut s’avérer insuffisant, car il est nécessaire d’y intégrer également les expériences vicariantes (Bandura, 2007, pp. 135-156). Ce sont les expériences et le témoignage de proches aidants ou d’animateurs qui fonctionnent comme modèle de réussite. La démonstration qu’un changement est possible peut créer auprès des auditeurs plus de motivation à changer. A cet effet, tous les cours donnés à Bienne ont intégré entre 2 à 4 professionnels nommés « observateurs ». Ils vont suivre tout le programme, mais n’interviennent pas, à moins qu’ils ne soient sollicités par les animateurs. Le but est qu’ils fassent l’expérience de cette « pédagogie par l’exemple » et qu’ils deviennent des relais auprès des institutions en témoignant de leur vécu. Ces observateurs sont également aptes à devenir les animateurs des cours suivants.

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