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Shakespeare, Auteur, 1593-1609

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Shakespeare, Auteur, 1593-1609

ERNE, Lukas Christian

ERNE, Lukas Christian. Shakespeare, Auteur, 1593-1609. In: Norman, Larry F.; Desan, Philippe; & Strier, Richard. Du Spectateur au lecteur: Imprimer la scène aux XVIe et XVIIe siècle . Paris : Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2002. p. 185-204

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14613

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LUKAS ERNE

SHAKESPEARE, AUTEUR, 1593-1609

Not marble, nor the guilded monuments Of princes, shall outlive this powerful rhyme

(Shakespeare, Sonnet 55)

Dans ce que Samuel Schoenbaum considère la contribu- tion la plus importante d'Alexander Pope à la biographie de Shakespeare', le poète et critique anglais écrit:

Shakespear, (whom you and ev'ry Play-house bill Style the divine, the matchless, what you will) For gain, not glory, wing'd his roving flight, And grew Immortal in his own despight 2.

Ces vers de Pope, écrits en 1737, renforcèrent sans doute l'opinion, qui ne tarda pas à se figer en dogme, selon laquelle la seule forme d'exposition recherchée p"ar Shakespeare était celle qu'offrait la scène théâtrale. Puisque ses oeuvres litté- raires, en particulier les fameuses traductions de l'Iliade et de l'Odyssée, lui garantissaient «gain» et «gloire», Pope semble avoir été réconforté par le fait que ses motifs à lui, comparés à ceux qu'il attribuait à Shakespeare, étaient relativement nobles. Or, bien que les vers de Pope semblent plus révéla- teurs de sa propre attitude envers le gain et la gloire que de

I S. Schoenbaum, Shakespeare's Lives, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 91.

2 A. Pope, «The First Epistle of the Second Book of Horace, Imitated», Imitations of Horace, éd. John Butt, Londres, Methuen, 1953, p. 199.

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celle de Shakespeare, les critiques n'ont pas cessé de perpé- tuer l'opinion exprimée par Pope. La thèse, avancée récem- ment par T. Berger et J. Lander, selon laquelle Shakespeare

«never showed the least bit of interest in being a dramatic au- thor while he lived» reste aujourd'hui généralement acceptée3 .

Malgré le consensus selon lequel Shakespeare ne s'intéres- sait pas à la publication de ses pièces de théâtre, une voix dis- sidente essaya de se faire entendre en 1965 déjà, lorsque E.

Honigmann recommanda aux experts d'abandonner «the mod- ern myth of [Shakespeare's] complete indifference to the printing of his plays» 4 . Si cette suggestion de Honigmann — contrairement à bien d'autres de ses théories — n'a pas provo- qué de débat dans la critique shakespearienne, c'est peut-être parce qu'un aspect crucial de la publication des pièces de théâtre de l'époque élisabéthaine n'a pas encore été pris suffi- samment au sérieux. G. D. Johnson remarque que «The eco- nomics of the book-trade have been largely ignored by analy- tical bibliographers and textual critics, whose primary interest is to recover the text of Shakespeare and other key literary figures from the vicissitude of the printing houses of the per- iod» 5 . Grâce à P. Blayney, qui a récemment revu et corrigé certaines demi-vérités bibliographiques qui s'étaient incrustées dans les études sur le théâtre de la Renaissance anglaise au cours du vingtième siècle, nous sommes peut-être en mesure,

3 T. L. Berger et J. M. Lander, «Shakespeare in Print, 1593-1640», in A Companion to Shakespeare, éd. Par D. S. Kastan, Oxford, Blackwell, 1999, p. 409. De même, D. A. Brooks croit que «Shakespeare seems to have been reluctant to see his plays published» (From Playhouse to Printing House:

Drama and Authorship in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 9). La même thèse est répétée, encore plus récem- ment, dans D. S. Kastan, Shakespeare and the Book, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

E. A. J. Honigmann, The Stability of Shakespeare's Text, Londres, Ed- ward Arnold, 1965, p. 189.

5 G. D. Johnson, «Thomas Pavier, Publisher, 1600-25», The Library, vol.

14, 1992, p. 13.

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aujourd'hui, d'entreprendre le projet pour lequel Honigmann plaida dans les années soixante6.

Les raisonnements servant à expliquer l'indifférence présu- mée de Shakespeare à la publication de ses pièces de théâtre — indifférence qui n'était vaincue que lorsque la peste engen- drait la fermeture des théâtres et, par conséquent, un grand be- soin de liquidité — suivent deux lignes différentes. Quant à la première, l'opinion d'E. K. Chambers est représentative: «the danger was [... ] that other companies might buy the plays and act them» 7 . Blayney, Roslyn L. Knutson, et Richard Dutton ont tous démontré que rien de la sorte ne se produisait à Londres sauf dans un ou deux cas exceptionnels 8 .

L'autre raison qui est censée avoir empêché les troupes de faire imprimer leurs pièces de théâtre est que la disponibilité d'un texte aurait réduit le nombre de spectateurs au théâtre.

Fredson Bowers, par exemple, écrit: «if the play continued to be popular, the company could withhold it entirely in order to maintain the curiosity of the public» 9. De même, Richard Dut- ton argumente que «It is possible that those who had paid good money for a play were less certain than I can now be that publication would not reduce its value» 10. Or, à part sa longue tradition, ce raisonnement ne peut s'appuyer sur aucun témoignage crédible. Il paraît, au contraire, qu'une pièce —

6 P. Blayney, «The Publication of Playbooks», A New History of Early English Drama, éd. par J. D. Cox et D. S. Kastan, New York, Columbia Uni- versity Press, 1997, pp. 383-422.

7 E. K. Chambers, The Elizabethan Stage, 4 vols., Oxford, Clarendon Press, 1923, vol. 3, p. 183.

B P. Blayney, op. cit., p. 386; R. L. Knutson, «The Repertory», A New History of Early English Drama, op. cit., pp. 461-80; R. Dutton, «The Birth of the Author», Elizabethan Theater: Essays in Honor of S. Schoenbaum, éd.

par R. B. Parker et S. P. Zitner, Newark, University of Delaware Press, 1996, pp. 72-75.

9 F. Bowers, «The Publication of English Renaissance Plays», Elizabe- than Dramatists, éd. par Fredson Bowers, Detroit, Gale Research Company, 1987, p. 406.

10 R. Dutton, op. cit., p. 75.

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telle La Tragédie espagnole de Thomas Kyd — dont la version imprimée était un succès, restait exceptionnellement populaire sur scène. Il semble plausible que Shakespeare et ses col- lègues ne voulaient pas se faire publier par n'importe qui.

Qu'une publication à un certain moment était moins désirable qu'à un autre moment paraît aussi raisonnable. Or, il ne s'en- suit pas que les acteurs se désintéressaient de la publication en soi. Blayney, par exemple, «knows of no evidence that any player ever feared that those who bought and read plays would consequently lose interest in seeing them performed» 11 . Selon un commentateur récent, l'article de Richard Dutton a considérablement éclairci les liens qui attachaient Shake- speare au théâtre et qui le maintenait à l'écart des imprime

-ries 12 . Cet article mérite donc toute notre attention. Soulevant la question «Why did Shakespeare not print his own plays?», Dutton affirme que les troupes s'efforçaient particulièrement d'empêcher la publication des pièces de théâtre des drama- turges liés à une troupe en exclusivité (comme Shakespeare) plutôt que ceux des dramaturges indépendants 13 . La question que soulève cette théorie est pourquoi cette stratégie aurait eu aussi peu de succès. Shakespeare ne pouvait sans doute pro- duire qu'une petite partie des nouvelles pièces de théâtre dont sa troupe avait besoin. Le journal de Philip Henslowe dé- montre en effet que la troupe de Lord Admiral, le principal concurrent de la troupe de Shakespeare, intégrait une nouvelle pièce dans leur répertoire toutes les deux à trois semaines. Or, seules huit pièces conçues pour la troupe de Lord Chambellan par quelqu'un d'autre que Shakespeare furent publiées entre 1594 et 1603 14. En comparaison, pas moins de douze des

11 P. Blaynet, op. cit. p. 386.

12 D. Brooks, op. cit., p. 56.

13 R. Dutton, op. cit., pp. 71, 75. Dutton s'appuie sur l'étude de G. E.

Bentley, The Profession of Dramatist in Shakespeare's Time 1590-1642, Princeton, Princeton University Press, 1971, pp. 264-292.

14. Voir R. L. Knutson, «Shakespeare's Repertory», A Companion to Shake- speare, éd. par D. S. Kastan, op. cit., pp. 346-361. Voir aussi R. L. Knutson,

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pièces de théâtre de Shakespeare parurent jusqu'en 1603 15 . Si la troupe de Lord Chambellan était particulièrement anxieuse d'empêcher la publication des pièces de théâtre de leur princi- pal dramaturge, leur stratégie fut un échec cuisant.

Si les acteurs s'opposaient à la publication de leurs pièces de théâtre, qu'est-ce qui explique la publication des pièces qui étaient imprimées du vivant de Shakespeare? II semble peu probable que Shakespeare ait encouragé la publication des premiers in-quartos de Roméo et Juliette, Henry V, Les Joyeuses commères de Windsor et Hamlet (traditionnellement comptés parmi les «bad quartos»). Même si on les déduit du nombre total, il ne reste pas moins de treize textes publiés entre 1597 et 1609 qui remontent à des manuscrits dont l'inté- grité textuelle n'est pas en question. Malgré ce nombre impor- tant, la critique s'est jusqu'à présent contentée de considérer ces textes comme des exceptions qui confirment la règle.

Nous pensons qu'un raisonnement plus économique peut ex- pliquer la publication de ces pièces si on suppose, au contrai- re, que la troupe de Lord Chambellan, y compris son principal dramaturge, encourageaient activement la publication des pièces de Shakespeare, et'que c'est l'absence plutôt que la présence d'une édition publiée du vivant de Shakespeare qui demande une explication.

Selon Blayney, la conviction selon laquelle les troupes

The Repertory of Shakespeare's Company, 1594-1613, Fayetteville, Universi- ty of Arkansas Press, 1991.

15 Ces chiffres comprennent Peines d'amour récompensées (Love's La- bour's Won) dont une édition qui se serait perdue fut peut-être imprimée vers le tournant du siècle. Voir T. W. Baldwin, Shakespeare's «Love's Labor's Won»: New Evidence from the Account Books of an Elizabethan Bookseller, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1957; S. Wells et G. Taylor, A Textual Companion, Oxford, Clarendon Press, 1987, p. 117, et S. We lls, G.

Taylor et al. (éd.), William Shakespeare: The Complete Works, Oxford, Cla- rendon Press, 1986, p. 349. Ces chiffres n'incluent pas, par contre, Edward III, dont Shakespeare semble avoir écrit moins que la moitié et ceci, proba- blement, avant de devenir un membre de la troupe de Lord Chambellan en 1594. Voir King Edward III, éd. par G. Melchiori, The New Cambridge Shakespeare, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, pp. 3-17.

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théâtrales considéraient la publication de leurs pièces de théâtre comme allant à l'encontre de leurs propres intérêts est parmi les «mythes non fondés» dont les études shakespea- riennes ont été victimes depuis l'étude de Pollard sur Shake- speare Folios and Quartos de 1909 16 . Il paraît donc utile de reconsidérer la publication des pièces de Shakespeare sans le parti pris habituel selon lequel la troupe s'y opposait. Nous commencerons par les douze premières pièces écrites par Shakespeare après qu'il eut rejoint la troupe de Lord Cham- bellan en 1594.

Quatre de ses pièces posent peu de problèmes: Roméo et Juliette, Les Joyeuses commères de Windsor, Henry V et, peut-être, Peines d'amour perdues parurent d'abord dans ce qu'on appelle depuis Pollard des «mauvais in-quarto», des textes d'intégrité douteuse auxquels Shakespeare aurait proba- blement préféré des versions plus complètes 17. On pourrait être amené à croire que les éditions plus longues et

«meilleures» de Roméo et Juliette, Hamlet et, peut-être, Peines d'amour perdues remplaçant les «mauvais in-quarto»

démontre que Shakespeare et ses collègues n'étaient pas indif- férents au problème et intervenaient pour remplacer un «mau- vais» manuscript par un «meilleur» 18 . Toutefois, l'explication est plus complexe. Dans le cas de Hamlet, par exemple, il semble probable que le manuscrit qui est à la base du deuxiè-

16 P Blaynay, op. cit., pp. 383-384.

17 La première édition de Peines d'amour perdues s'est complètement perdue, mais la page de titre de la deuxième édition de 1598 affirme que le texte était «Newly corrected and augmented/ By W. Shakespere.» Au sujet de la première édition, voir P. Werstine, «The Editorial Usefulness of Printing House and Compositor Studies», Play-Texts in Old Spelling: Papers from the Glendon Conference, éd. par G. B. Shand et R. C. Shady, New York, AMS Press, 1984, pp. 35-64.

18 Voir E. A. J. Honigmann, op. cit., p. 190; A. Gun (id.), King Henry V, The New Cambridge Shakespeare, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 217; et W. W. Greg, The Editorial Problem in Shakespeare: A Sur- vey of the Foundations of the Text, 3ème éd., Oxford, Clarendon, 1954, p. 17.

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me, «bon», in-quarto fut vendu par les acteurs avant, et non pas après, la parution du «mauvais» in-quartot 9

D'autre part, en ce qui concerne les «mauvais in-quarto»

qui n'étaient pas remplacés par de meilleurs textes (ou pour le moins pas jusqu'en 1623), il semble problématique d'affirmer que rien n'était fait durant le vivant de Shakespeare pour rem- placer les mauvais textes de Henry V et des Joyeuses com- mères de Windsor20. En fait, rien ne nous permet de vérifier une telle hypothèse. Les Joyeuses commères, paru en 1600 dans un texte particulièrement déformé, ne fut pas réimprimé jusqu'en 1619. Même si les acteurs avaient fourni un meilleur texte à Arthur Johnson, l'éditeur de la pièce, il n'aurait eu au- cune raison de l'imprimer et d'investir dans une seconde édi- tion tant que la première n'était pas épuisée. Il est vrai que Pavier publia une deuxième édition de Henry V en 1602. Néan moins, il n'est pas impossible que quelqu'un lui ait présenté un texte moins déformé et plus long mais qu'il préféra réduire les risques commerciaux en imprimant un texte plus court.

Il nous reste sept pièces que Shakespeare semble avoir écrites entre 1594 et la fin du siècle2 1 . Le Roi Jean représente

19 La pièce fut enregistrée au Registre des libraires par James Roberts le 26 juillet 1602. Or, le premier in-quarto fut imprimé par Valentine Simmes pour Nicholas Ling and John Trundell (et pas pour James Roberts qui déte- nait les droits). Le deuxième in-quarto, l'année suivante, fut imprimé par James Roberts pour Nicholas Ling. Plusieurs scénarios ont été avancés pour expliquer cette suite d'événements, mais un seul semble crédible et conforme aux pratiques courantes au sein de la compagnie des libraires (nous nous ap- puyons ici sur une communication non-publiée de Peter Blayney): Ling et Trundle firent licencer leur «mauvais» manuscript sans pour autant le faire enregistrer. Par la suite, ils le firent imprimer sans que personne ne se rende compte que Roberts avait enregistré une autre version de la même pièce.

Ayant réalisé que Ling et Trundell, ses voisins à la Fleet Street, avaient com- mis une infraction involontaire, Roberts aurait pu les poursuivre en justice mais préféra négocier un accord qui lui était favorable: il leur vendit son ma- nuscrit et les obligea à le payer pour l'impression du texte.

20 M. J. B. Allen et K. Muir (éd.), Shakespeare's Plays in Quarto, Berke- ley, University of California Press, 1981, p. xviii.

2' La douzième pièce, s'ajoutant aux quatres traitées ci-dessus et les sept qui suivront ci-dessous, est Peines d'amour récompensées (voir note 15).

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un cas spécial. La pièce ne fut pas imprimée avant la publica- tion de l'in-folio en 1623 pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'indifférence, voire l'opposition, présumée des ac- teurs. Une pièce très similaire (et anonyme), Le Règne troublé du roi Jean (Troublesome Reign of King John), avait été pu- bliée en 1591 par Sampson Clarke. Ce dernier aurait sûrement considéré toute édition du Roi Jean à laquelle il n' avait pas consenti comme une méconnaissance délibérée de ses droits.

Blayney explique que le propriétaire d'un manuscrit avait non seulement les droits exclusifs à toute réimpression du texte, mais que la Compagnie des libraires lui garantissait aussi de bonnes conditions pour récupérer ses dépenses initiales. La Compagnie des libraires aurait donc interdit n'importe quel nouveau livre — pas seulement une réédition ou un plagiat de sa propre copie — qui aurait diminué ses chances de vendre toutes les copies déjà imprimées 22. Le fait que Le Roi Jean ne fut pas publié avant 1623 ne suggère donc aucunement que les acteurs s'opposaient à la publication du drame.

Les six dernières pièces, Richard II, Le Songe d'une nuit d'été, Le Marchand de Venise, 1 Henry IV, 2 Henry IV et Beaucoup de bruit pour rien, furent toutes publiées entre 1597 et 1600. La réponse à la question de savoir si Shakespeare et ses collègues étaient responsables de la vente des manuscrits dépendra de ce que les analyses bibliographiques révèlent sur la nature des manuscrits depuis lesquels les pièces de théâtre avaient été imprimées. En ce qui concerne Richard II et Le Marchand de Venise, il semble difficile de déterminer si les manuscrits étaient des holographes ou des copies de scribe, tandis que 1 Henry IV fut probablement imprimé depuis une copie d'un manuscrit de Shakespeare 23. Quant au Songe d'une

22 P. Blayney, op. cit., p. 399.

23 D. Bevington (id.), The Complete Works of Shakespeare, 4ème éd.

New York, Longman, 1997, pp. A-4, A-10-11; G. B. Evans (éd.), The River- side Shakespeare, 2e éd., Boston et New York, Houghton Mifflin Company,

1997, pp. 57-58; S. Greenblatt (id.), The Norton Shakespeare, New York et

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nuit d'été, 2 Henry IV et Beaucoup de bruit pour rien, la plu- part des experts sont d'accord que des manuscrits holographes sont à la base des premières éditions 24 . Il est vrai que les para- digmes même des études bibliographiques du théâtre shake- spearien sont actuellement en train de changer 25 . Néanmoins, bien qu'il soit impossible de déterminer avec précision la na- ture de ces manuscrits, rien ne semble contredire l'interpréta- tion selon laquelle chacun d'entre eux aurait pu se trouver entre les mains de Shakespeare et/ou de ses collègues avant d'être vendu à des libraires.

Ce qui ressort d'une analyse plus détaillée est que la trou- pe de Lord Chambellan tentait bien de faire publier les pièces de leur dramaturge principal, mais pas tout de suite après leur création. Si on considère d'une part les dates probables de leur création et d'autre part les dates auxquelles les pièces de théâtre furent entrées au Registre des libraires, la règle suivan- te peut en être déduite: en général, une durée approximative de deux ans s'écoulait entre création et vente à un libraire. Rich- ard II, probablement écrit en 1595 26 , fut entré au Registre

Londres, W. W. Norton, 1997, pp. 950, 1089, 1155; Wells et Taylor, op. cit., pp. 306, 323, 329.

24 D. Bevington (éd.), op. cit., pp. A-4-5, A-11; S. Greenblatt (éd.), op.

cit., pp. 812, 1302, 1387; Wells et Taylor, op. cit., pp. 279, 351, 371; P. Hol- land (éd.), A Midsummer Night's Dream, The Oxford Shakespeare, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 113; R. WEIS, éd., Henry IV, Part 2, The Oxford Shakespeare, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 90; G. Melchiori (éd.), The Second Part of King Henry IV, The New Cambridge Shakespeare, Cam- bridge, Cambridge University Press, 1989, p. 53. Quant à Beaucoup de bruit pour rien, Sheldon P. Zitner affirme moins catégoriquement que «The 1600 Quarto was set from the author's manuscript or a transcription of it» (Much Ado About Nothing, The Oxford Shakespeare, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 80)•

25 Voir B. Mowatt, «The Reproduction of Shakespeare's Text», A Com- panion to Shakespeare, éd. par M. De Grazia et S. Wells, Cambridge, Cam- bridge University Press, 2001.

26 Cette date est proposée par Bevington (op. cit., p. A-10), Evans (op.

cit., p. 81), Wells et Taylor (op. cit., pp. 117-118) et Andrew Gurr (King Richard II, The New Cambridge Shakespeare, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 1).

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des libraires le 29 août 1597. 1 Henry IV et Le Marchand de Venise, qui tous deux datent probablement de 1596/97 27, fu- rent entrés le 25 février et le 22 juillet 1598. 2 Henry IV, da- tant de la fin de 1597 ou du début de 1598 28, et Beaucoup de bruit pour rien, probablement créé à la fin de 1598 ou au dé- but de 1599 29, sont mentionnés au Registre en août 1600. Les deux autres pièces publiées avant la mort de Shakespeare dont la première édition pourrait remonter à un manuscrit holo- graphe, Troilus et Cresside et Le Roi Lear, se conforment à la même règle: David Bevington et Ernst Honigmann ont dé- montré que Troilus et Cresside — entré au Registre le 7 février

1603 (mais pas imprimé jusqu'en 1609) — date probablement de 1601 3°. Finalement, Le Roi Lear, qu'on croit daté de

1605/063 1 , fut enregistré le 26 novembre 1607.

Indépendamment de la provenance du manuscrit sur lequel la première édition de Peines d'amour perdues était basée, cette pièce semble elle aussi se conformer à notre règle. Pro- bablement créée autour de 1594-5 32 , elle ne fut pas entrée au Registre des libraires et fut publiée quelque peu avant 1598.

La durée entre création et première édition pourrait donc bien être de près de deux ans. Quant à Roméo et Juliette, la date approximative est 1595 33 , tandis que le premier, «mauvais»

27 Voir D. Bevington (éd.), op. cit., pp. A-4, A-10-11, G. B. Evans (éd.), op. cit., p. 82, et S. Wells et G. Taylor, op. cit., pp. 119-120.

28 Voir D. Bevington (ed.), op. cit., pp. A-11-12, G. B. Evans (éd.), op.

cit., pp. 82-83, et S. Wells et G. Taylor, op. cit., p. 120.

29 Voir D. Bevington (éd.), op. cit., p. A-5, G. B. Evans (ed.), op. cit., p. 83, et S. Wells et G. Taylor, op. cit., pp. 120-21.

30 E. A. J. Honigmann, «The Date and Revision of Troilus and Cressi- da», Textual Criticism and Literary Interpretation, éd. par Jerome J. McGann, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1985, pp. 38-54; D. Bevington (éd.), Troilus and Cressida, The Arden Shakespeare, Walton-on-Thames, Thomas Nelson, 1998, p. 11.

31 D. Bevington (éd.), Complete Works, op. cit, p. A-17; S. Wells et G.

Taylor, op. cit., p. 128.

32 G. B. Evans (éd.), op. cit., 80-81; et S. Wells et G. Taylor, op. cit., 117.

33 Voir D. Bevington (éd.), Complete Works, op. cit., p. A-14; G. B.

EVANS (éd.), op. cit., p. 81; et S. Wells et G. Taylor, op. cit., p. 118.

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in-quarto date de 1597 et le deuxième, «bon» in-quarto de 1599. Il est impossible de savoir si Shakespeare et ses col- lègues vendirent le manuscrit qui allait donner naissance au deuxième in-quarto avant ou après la publication de la pre- mière édition. Quoi qu'il en soit, le temps qui s'écoula était de nouveau près de deux ans. Quant à Henry V, si la troupe de Lord Chambellan avait entendu vendre un manuscrit à peu près deux ans après sa création, il est possible qu'ils aient été devancés par celui ou ceux qui vendirent le manuscrit qui est à l'origine du premier, «mauvais» in-quarto. Il semble signifi- catif, en effet, que la durée entre la création de la pièce et la vente du manuscrit est nettement inférieure à deux ans: datant de 159934, Henry V est mentionné au Registre des libraires en août 1600 dans une liste de «thinges formerlye printed», ce qui implique que la pièce de théâtre fut probablement impri- mée vers le début de cette année-1A 33.

Il est possible que Les Joyeuses commères de Windsor ait connu un sort similaire. Elizabeth Schafer et Giorgio Melchio- ri ont récemment discrédité l'opinion de Leslie Hotson selon laquelle la pièce fut écrite pour la fête de la Jarretière (Garter Feast) à Westminster en 1597 36, et la date proposée par Mel- chiori — «not before late 1599 or 1600» — semble plausible 37.

La vente du manuscrit qui fut entré au Registre des libraires le 18 janvier 1602 aurait donc probablement été effectuée avant

34 Voir D. Bevington (éd.), Complete Works, op. cit., pp. A-12-13; G. B.

EVANS (éd.), op. cit., p. 83; et S. Wells et G. Taylor, op. cit., p. 121.

35 E. Arber (éd.), A Transcript of the Registers of the Company of Sta- tioners of London 1554-1640, 5 vols., Londres, 1875-94, vol. 3, p. 169.

36 L. Hotson, Shakespeare Versus Shallow, Boston, Little, Brown and Company, 1931, pp. 111-122; W. Green, Shakespeare's «Merry Wives of Windsor», Princeton, Princeton University Press, 1962.

37 G. Melchiori (éd.), The Merry Wives of Windsor, The Arden Shake- speare , Walton-on-Thames, Surrey, Thomas Nelson, 2000, pp. 18-30, en parti- culier p. 20. Voir aussi G. Melchiori, Shakespeare's Garter Plays: «Edward III» to «Merry Wives of Windsor», Newark, University of Delaware Press;

Londres et Toronto, Associated University Presses, 1994, pp. 92-112.

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que Shakespeare et ses collègues n' aient pu vendre un manus- crit holographe.

En résumé, jusqu'en 1602, parmi la première douzaine de pièces de théâtre écrites par Shakespeare pour la troupe de Lord Chambellan, toutes celles qui pouvaient légalement être imprimées avait été éditées au moins une fois. En règle géné- rale, la troupe de Lord Chambellan semble avoir vendu un manuscrit de chaque pièce de Shakespeare à un éditeur (si elle n'avait pas été devancée par quelqu'un d'autre et si des contraintes légales ne l'en empêchaient pas) approximative- ment deux ans après la création des pièces 38 . Si Le Songe d'une nuit d'été (qui ne fut entré au Registre des libraires que le 8 octobre 1600) date vraiment de 1595 ou de 1596, cette pièce représente une exception, et la seule exception, parmi la première douzaine de pièces de théâtre écrites par Shake- speare pour la troupe de Lord Chambellan dans la mesure où la publication s'est faite deux ou trois ans plus tard que ce qui semble avoir été la norme.

Qu'est-ce qui peut expliquer la durée approximative de deux ans entre création, d'une part, et vente d'un manuscrit de l'autre? Pourquoi, en d'autres termes, est-ce que Shakespeare et ses collègues — s'ils ne s'opposaient pas à la publication mais, au contraire, l'encourageaient — attendaient un certain temps au lieu de vendre les manuscrits tout de suite? Une ex- plication possible est que, tant que la pièce était relativement nouvelle, la troupe de Shakespeare espérait profiter d'une for- me de publication plus prestigieuse et lucrative. Selon Harold Love, il est fort possible que Shakespeare ait fait publié ses pièces en manuscrit. Love note par ailleurs que la vente ou la

38 Blayney a argumenté que «since the overall demand for plays was unimpressive it is likely that many of those that saw print were offered to, rather than sought out by, their publishers» (op. cit., p. 392). Les libraires

avec qui la troupe de Shakespeare semble avoir été en contact le plus souvent sont Andrew Wise (qui entrait au Registre Beaucoup de bruit pour. rien, 1 et 2 Henry IV, Richard II et Richard III) et James Roberts (qui entrait Le Mar- chant de Venise, Hamlet et Troilus et Cresside).

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Shakespeare, auteur, 1593-1609 215 présentation d'un manuscrit à un mécène offrait une possibili- té de rémunération supplémentaire 39.

Il existe une explication alternative pour le temps que la troupe de Shakespeare laissait s'écouler avant de vendre ses manuscrits. Dans sa discussion du grand nombre de pièces de théâtre qui paraissait en 1594, peu après la réouverture des théâtres suite à une fermeture à cause de la peste, Blayney écrit:

If we assume that the players thought of performance and publication as mutually exclusive alternatives, it would in- deed seem likely that the closure, rather than the reopening, caused the glut. But if we decline to make that assumption, there is a perfectly plausible reason why the reopening itself might have prompted the players to flood the market with scripts. The strategy is known today as «publicity» or «ad- vertising» 40:

En d'autres termes, les troupes auraient considéré les deux formes d'exposition d'une pièce de théâtre, la scène et la page, le théâtre et le livre, non seulement compatibles mais synergiques. S'il en était ainsi, ceci pourrait expliquer le délai que la troupe imposait avant la vente des manuscrits. Le re- gistre de Henslowe démontre que lors des premières représen- tations, le succès commercial d'une pièce de théâtre était pro- bable pour la simple raison que la pièce était nouvelle 41 . Mais lors d'une reprise, sa parution en forme de livre devait repré- senter une publicité tout à fait bienvenue.

Après le tournant du siècle, le nombre de publications de pièces shakespeariennes baissa. En tout, seules cinq pièces fu- rent publiées entre 1601 et 1616, alors qu'elles avaient été

39 H. Love, Scribal Publication in Seventeenth-Century England, Oxford, Clarendon Press, 1993, pp. 67-68.

ao P. Blayney, op. cit., p. 386.

41 R. A. makes et R. T. Rickert (éd.), Henslowe's Diary, Cambridge, Cambridge University Press, 1961.

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treize à paraître entre 1594 et 1600 42 . Un total de vingt im- pressions pour la période de 1594 à 1600 43 (une moyenne de presque trois par an) s'oppose aux dix-neuf impressions dans les seize ans avant la mort de Shakespeare (une moyenne de guère plus d'un par an). Les Joyeuses commères de Windsor, dont un «mauvais in-quarto» parut en 1602, est la seule comé- die qui fut publiée. Alors que quatre comédies furent impri- mées entre 1598 et 1600, aucune ne fut réimprimée avant

1619. A part Richard II, Richard III et 1 Henry IV, qui avaient été populaires au seizième siècle et continuaient de l'être au début du dix-septième, seuls Hamlet et Périclès fu- rent imprimés plusieurs fois entre le tournant du siècle et la mort de Shakespeare.

Or, l'indifférence présumée des acteurs est loin de repré- senter la meilleure explication pour ces chiffres. Une explica- tion plausible, par contre, est que le marché des pièces de théâtre, au début du dix-septième siècle, souffrait d'une offre qui dépassait largement la demande. Pas moins de vingt-sept pièces furent entrées au Registre des libraires entre mai 1600 et octobre 1601. Conscients de la saturation du marché, plu- sieurs éditeurs renvoyèrent l'impression de leurs manuscrits de plusieurs années44. Dans une telle situation, un libraire au- rait eu tendance à hésiter avant d'investir dans un nouveau manuscrit. A quelques exceptions près, les ventes des pièces de théâtre généraient, pendant les premières années après leur publication, un rendement inférieur à l'investissement initial.

Au début du dix-septième siècle, les libraires avaient plus de peine que d'habitude à rentabiliser leurs pièces de théâtre.

Parmi les pièces publiées en 1600 ou plus tard, Hamlet et

42 Peines d'amour récompensées n'est pas compris dans ce total parce qu'il est impossible de savoir si la pièce, si elle existait, fut imprimée avant ou après le tournant du siècle.

as Nous incluons l'édition de Peines d'amour perdues dont aucun exem- plaire semble avoir survécu jusqu'à nos jours, ainsi que la première édition de Henry IV dont seules quelques feuillets subsistent encore.

44 P. Blayney, op. cit., p. 385.

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Shakespeare, auteur, 1593-1609 217

Pericles (qui tous deux furent édités trois fois en une dizaine d'années) eurent un succès commercial, au contraire du Mar- chand de Venise, de Beaucoup de bruit pour rien, du Songe d'une nuit d'été, des Joyeuses commères de Windsor, de L'Histoire du Roi Lear et de Troilus et Cresside (aucun réim- primé jusqu'aux collections de 1619 et 1623), qui n'en eurent pas.

Une raison supplémentaire pour laquelle les pièces de Shakespeare eurent moins de succès au début du dix-septième qu'à la fin du seizième siècle fut la réouverture des troupes d'enfants à St. Paul's et Blackfriars' en 1599/1600. Ces troupes jouaient devant des spectateurs plus sophistiqués et plus aisés que les troupes adultes. Ces spectateurs ne man- quaient pas d'argent pour acheter, ni d'éducation pour lire des pièces de théâtre. Une part disproportionnée des pièces écrites pour des troupes d'enfants (par Jonson, Marston, Chapman, Dekker et Webster entre autres) étaient imprimées et, par conséquent, le nombre d'autres pièces publiées (y compris celles de Shakespeare) s'en ressentait. En d'autres termes, il n'y a pas lieu à croire que l'attitude de la troupe de Shake- speare envers l'impression de leurs pièces de théâtre changea de manière significative après le tournant du siècle. L'histoire des publications des pièces shakespeariennes, du premier in- quarto de Richard en 1597 jusqu'au premier in-quarto de Troilus et Cresside en 1609, semble indiquer, au contraire, que la troupe de Lord Chambellan (appelée la troupe du Roi à partir de 1603) ne s'opposait, ni n'était indifférente, à la pu- blication des pièces de Shakespeare. Au contraire, elle l'en- courageait activement. Du fait que la majorité des pièces de théâtre de la troupe qui était imprimées sont des pièces shakespeariennes, il est de plus en plus difficile de croire que Shakespeare y était lui-même indifférent.

Le fait que rien ne suggère que Shakespeare ait assisté en personne à l'impression de ses pièces de théâtre a sans doute renforcé l'opinion selon laquelle Shakespeare était indifférent, voire opposé, à leur publication. Or, ce fait ne permet guère une telle interprétation. Il serait en effet fallacieux de suppo-

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ser que Shakespeare aurait très bien pu superviser l'impres- sion de ses pièces s'il avait voulu. En tant que copropriétaire, actionnaire, acteur et dramaturge de la troupe de Lord Cham- bellan, il écrivait une moyenne de deux pièces par année, étu- diait ses rôles ou répétait le matin, jouait sur scène l'après-mi- di et rentrait à Stratford au moins une fois par année. On ne peut donc pas vraiment reprocher à Shakespeare de ne pas avoir passé son temps dans les imprimeries. On pourrait s'imaginer que lorsque les imprimeurs travaillaient sur des pièces de théâtre qui comptent aujourd'hui parmi les chefs- d'oeuvre de la littérature anglaise, ils étaient prêts à apporter les épreuves au Globe, au Fortune ou au domicile de Shake- speare à Bishopsgate, Southwark ou Cripplegate, et attendaient patiemment leur retour après que le maître eut eu le temps de les examiner. Or, la réalité était très différente. Les pièces de théâtre publiées dans des éditions in-quarto n'étaient vendues plus de six pennies. L'impression était peu soigneuse car elles étaient considérées comme des publications de peu d'impor- tance. D'habitude les caractères devaient être redistribués im- médiatement après qu'une page eut été imprimée afin de per- mettre leur réutilisation 45 , ce qui signifie qu'un auteur dési- reux de superviser l'impression de son texte aurait dû investir un temps considérable à cette tâche. Pour l'édition in-quarto de L'Histoire du roi Lear de 1608, par exemple, vingt et une feuilles d'épreuve auraient été imprimées et corrigées à vingt et un moments différents 46 . Il semble peu raisonnable de pré- sumer que Shakespeare aurait pu envisager de superviser l'im- pression de ses pièces de théâtre même s'il n'était pas indiffé- rent à leur publication.

Les textes des premières éditions des poèmes narratifs de

as Voir P. Gaskell, A New Introduction to Bibliography, Oxford, Claren- don Press, 1972, p. 116.

46 Voir P. Blayney, The Texts of «King Lear» and their Origins: Volume Nicholas Okes and the First Quarto, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, pp. 188-218.

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Shakespeare, auteur, 1593-1609 219

Shakespeare, Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce, sont d'une qualité remarquable comparée à celle des éditions in- quarto des pièces shakespeariennes. Il en a été déduit que Shakespeare supervisait l'impression des premiers, un mythe avec une longue tradition qu'on a intérêt à démystifier. Les imprimeurs de Londres fournissaient un travail de qualité très diverse, et l'intégrité des textes de

Vénus

et Adonis et du Viol de Lucrèce sont une conséquence de Richard Field, impri- meur, et non de William Shakespeare, correcteur d'épreuves.

John Roe, éditeur des poèmes narratifs de Shakespeare, a en effet démontré que «Once [Shakespeare's] carefully prepared manuscript was in the hands of the printer he most likely en- trusted the enterprise to the professional competence of others, pausing over the printed copy only long enough to make sure that all was well with the dedication page» 47. Rappelons que même Ben Jonson, toujours soucieux d'exercer

un

contrôle maximal sur l'impression de ses oeuvres, ne supervisa qu'une partie de l'impression de l'édition in-folio de ses Workes de

161648.

Il est vrai, bien sûr, que Shakespeare dédicassait ses poèmes narratifs, mais pas ses pièces de théâtre. Or, ceci re- flète simplement les conventions de l'époque. Même si Shake- speare, contrairement à Jonson, ne faisait rien pour changer ces conventions, on aurait tort d'en déduire que Shakespeare était indifférent au sort de ses pièces de théâtre. Dans l'étude la plus complète des dédicaces de pièces de théâtre de l'époque shakespearienne, Virgil B. Hetzel démontre que

47 J. Roe (éd.), The Poems, The New Cambridge Shakespeare, Cam- bridge, Cambridge University Press, 1992, p. 291. Voir aussi D. W. Foster, Elegy By W. S.: A Study in Attribution, Newark, University of Delaware Press; Londres et Toronto, Associated University Presses, 1989, pp. 227-228.

48 Voir D. Brooks, op. cit., pp. 104-139. Foster a démontré que, «Renais- sance authors assisted in reading the proofs far less often than has usually been supposed in past criticism. It was the exception, rather than the rule, for a writer in Shakespeare's London to make a thorough inspection of his proofs» (op. cit., pp. 228-229).

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durant tout le règne d'Elisabeth I, les pièces de théâtre n'étaient pas jugées dignes de faveurs patronales et, par conséquent, n'étaient pas dédicacées 49 . Le premier dramaturge à dédicacer une pièce de théâtre qui avait été jouée dans un théâtre com- mercial était George Chapman qui, en 1608, dédia Charles, le duc de Byron à Sir Thomas Walsingham et à son fils 5o Dédicacer des pièces de théâtre était donc une coutume qui ne commença à s'établir qu'à la fin de la carrière de Shake- speare.

Dans la préface au premier in-folio de Shakespeare publié en 1623, sept ans après la mort du dramaturge, Heminge et Condell, amis et collègues de Shakespeare dans la troupe du Roi et qui savaient sans doute bien plus que nous sur l'attitu- de de Shakespeare envers le sort bibliographique de ses pièces de théâtre, ne font pas croire que leur ami avait été in- différent à la postérité de sa création: «It had bene a thing, we confesse, worthie to haue bene wished, that the Author him- selfe had liu'd to haue set forth, and ouerseen his owne writ- ings...». Alors que Heminge et Condell n'affirment pas ex- plicitement que Shakespeare avait eu l'intention de préparer lui-même l'édition in-folio de ses pièces de théâtre avant sa mort, leurs paroles ne suggèrent pas qu'ils trouvent une telle idée absurde.

Afin d'éclaircir le rapport entre théâtre et livre à l'âge éli- sabéthain et mieux comprendre l'attitude des dramaturges, troupes théâtrales et, en particulier, de Shakespeare envers la publication de leurs pièces de théâtre, il faut s'habituer à adopter le point de vue des éditeurs et libraires londoniens plutôt que seulement celui des acteurs et des dramaturges.

49 V. B. Hetzel, «The Dedication of Tudor and Stuart Plays», Wiener Bei- träge zur Englischen Philologie, vol. 65, 1957, pp. 74-86.

5o Hetzel suggère que «Chapman may have been encouraged in this by Jonson's dedicatory epistle dated February 11, 1607, and prefixed to Volpone, in which he undertakes to defend despised dramatic poetry and with boldness to place the stamp of respectability upon his play by addressing it `to the most noble and most aequall sisters, the two universities'» (op. cit., p. 82).

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Shakespeare, auteur, 1593-1609 221

C'est en effet cette omission plus que toute autre chose qui est à la source des thèses douteuses avancées par d'éminentes au- torités du théâtre shakespearien telles E. K. Chambers, G. E.

Bentley, Fredson Bowers et Richard Dutton 51 . Blayney a résu- mé l'histoire de cette idée fausse en écrivant que tout dépen- dait de l'axiome selon lequel la demande pour des pièces de théâtre dépassait l'offre, axiome qui s'avère faux 52. L'impor- tance des répercussions de cet axiome est considérable. Tant que l'on continue à penser que les éditeurs voulaient désespé- rément acquérir des textes dramatiques, on va croire que les troupes essayaient souvent d'empêcher leurs publications. Or, une fois qu'on accepte que les éditeurs avaient peu à gagner des pièces de théâtre, on est ouvert à l'idée que les acteurs et les dramaturges n'avaient en principe pas d'objections à la pu- blication de leurs pièces et l'encourageaient souvent active- ment. Il est vrai que Shakespeare ne semble pas avoir été en mesure de faire publier ses pièces sans l'accord de ses col- lègues. Or, il ne s'ensuit pas que la troupe de Lord Chambel- lan / du Roi s'opposait à la publication ni que Shakespeare y était indifférent. Au contraire. Une fois cela admis, un nombre de questions apparaissent sous un jour nouveau: pourquoi Shakespeare écrivait-il des textes qui sont bien trop longs pour correspondre à ce que le prologue de Roméo et Juliette appelle «the two hours' traffic of our stage»? Quelle était l'at- titude de Shakespeare envers la possibilité que ses pièces de théâtre soient lues? Quel était le rapport entre texte théâtral et texte publié? Qu'est-ce que Wells et Taylor, éditeurs des oeuvres complètes de Shakespeare dans la prestigieuse édition d'Oxford, appelle «le texte socialisé» d'une pièce de Shake- speare? Et quelle sorte de texte et/ou de représentation peut-on deviner derrière les in-quarto dits «mauvais»? Une analyse ap-

51 E. K. Chambers, op. cit., vol. 3, pp. 157-200; G. E. Bentley, op. cit., pp. 264-292; F. Bowers, op. cit., 406-416; et R. Dutton, op. cit., pp. 71-92.

52 P. Blayney, «Playbooks», op. cit., p. 384. Voir aussi la section «Supply and Demand», pp. 384-389.

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profondie des aspects économiques du livre serait à même de soulever bien des questions que les experts auraient tout inté- rêt à se poser à l'avenir 53 .

Université de Genève

53 Nous remercions Shakespeare Quarterly de nous autoriser à reproduire ci-dessus une traduction plus brève de l'article paru dans le volume 53, n° 1 (2002). Par ailleurs, nous tenons à remercier Sarah Henzi, Michaela Krieten- brink, et Myriam Perregaux pour leur aide précieuse concernant les difficultés posées par cette traduction.

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