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9 janvier 2019
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suggèrent qu’environ 10 000 HSH avaient initié une PrEP en France fin juin 2018. En comparaison, selon une estimation de Santé Publique France, ce serait de l’ordre de 32 000 HSH qui seraient « à haut risque d’acquisition du VIH » en France.3 L’ANSM ajoute que la mise en route d’une PrEP dans les départements et territoires fran
çais d’outremer est restée rare – et ce
« alors que ce sont dans ces départements, et en premier lieu en Guyane que les nou
veaux diagnostics de séropositivité sont les plus nombreux dans le pays ».
Comment comprendre que les femmes bénéficient rarement de la PrEP (seules 241 avaient initié un traitement fin juin 2018) ? Les spécialistes de l’ANSM se bornent à répondre que le traitement est probable
ment « rarement proposé dans les situa
tions exposant les femmes au risque d’acquisition du VIH » : usages de drogues injectables avec échanges de seringues chez des sujets non infectés par le VIH ; travailleurs du sexe/prostitués non infectés par le VIH et ayant des rapports sexuels à risque ; vulnérabilité exposant à des rap
ports sexuels non protégés à haut risque de transmission du VIH.
Au total, pour l’ANSM, ces résultats sont « encourageants ». « Les indicateurs mesurés illustrent la lente mais réelle appropriation de cette stratégie de pré
vention en France, en particulier parmi les HSH à haut risque d’acquisition du VIH en métropole, conclutelle. Toutefois, une marge de progression persiste et les efforts doivent être poursuivis afin d’assurer la plus grande accessibilité à la PrEP pour toutes les populations concernées en France. »
Et cette même Agence de rappeler que l’utilisation du Truvada, ou ses géné
riques, dans la PrEPVIH doit impérative
ment s’intégrer « dans une stratégie de prévention diversifiée de la transmission du VIH par voie sexuelle ». Une stratégie qui comprend également la promotion de l’usage du préservatif, le recours au dépis
tage régulier du VIH et des autres IST, la connaissance du statut virologique VIH du/des partenaires ainsi – le cas échéant – que le recours au « Treatment as Preven
tion (TasP) » chez le partenaire séropositif.
VOIES PARALLÈLES
Ecrire une carte blanche me permet souvent de m’arrêter sur une situation ou sur une phrase qui m’interpelle au cours des consultations quotidiennes. C’est toujours une expérience enrichissante mais qui donne peut-être l’impression que mes journées sont un long fleuve tranquille.
Il n’en est rien !
Cette fois-ci, j’ai choisi de vous relater une rencontre plus conflictuelle. Madame W., que je n’ai pas vue depuis six mois, vient consulter récemment. Le bilan, que j’ai reçu ces dernières semaines, suggère que l’épanchement pleural métastatique qu’elle présente, augmente ; mais ses examens de sang sont stables. Elle signale des diffi- cultés respiratoires modérées, non invalidantes, et me demande d’effectuer des examens plus approfondis.
Cette démarche me paraît très adéquate, mais lorsque je formule les conséquences de ce processus, à savoir
l’instauration d’un traitement en cas de progression de la maladie, elle refuse tout net : pas question d’avaler des comprimés antihormonaux ou d’envisager une chimio- thérapie !
Cette discussion se répète à intervalles réguliers. Mais que vient-elle faire chez moi ? Que cherche-t-elle puisqu’elle refuse systématiquement les soins que je lui propose ? Les premières fois, j’ai imaginé m’être mal exprimée, avoir manqué de clarté. Mais devant la répétition du scénario, je sais qu’elle a très bien compris mes propositions. Elle n’en veut pas ! Soit ! Elle n’est pas obligée d’accepter les propo- sitions thérapeutiques que je lui fais.
J’ai un peu le sentiment que nous perdons notre temps.
Un bouillonnement intérieur me gagne. J’abandonne le terrain des négociations et décide une voix plus directive.
J’impose des règles : on ne fait un scanner que si le résultat peut dicter un traitement. Sinon, je continue à la suivre mais par l’examen clinique.
La patiente accepte mes conditions et renonce au scanner. Elle me décrit alors en détail les traitements parallèles qu’elle entreprend.
Elle insiste sur la valeur des produits qu’elle absorbe. Je clarifie mon attitude auprès du médecin traitant, dans un courrier, pour limiter les malentendus et je reste
perplexe.
Que penser ? Est-elle plus ambivalente qu’elle ne le laisse paraître ? Veut-elle entendre et rapporter que finalement on ne peut rien faire, en omettant de se souvenir qu’elle refuse toute proposition ? Veut-elle simple- ment juger, à l’aide du scanner, de l’efficacité du trai tement parallèle, qu’elle prend, sans en discuter avec moi ? Ces patients ont une autre logique que la nôtre : ils pensent mieux savoir traiter leur maladie que nous. Parfois ils ont, comme Madame W., la chance d’avoir une maladie qui évolue lentement. Ce décours les conforte dans leur attitude.
Ils viennent « tâter le pouls » de la médecine traditionnelle à intervalles réguliers pour confirmer leur choix. Mais parfois, lorsqu’ils reviennent, la maladie a pris le dessus et la faillite des organes ne permet plus de traitement efficace. Il est trop tard.
L’évolution leur confirme alors que nous ne pouvons rien pour eux. Nous sommes dans des mondes parallèles.
Alors que dire à Madame W. ? Que la porte, bien sûr, reste toujours ouverte.
Même si ces négociations me semblent stériles, elles l’aident peut-être dans son quotidien et s’avèrent plus positives qu’il n’y paraît. Ces adaptations que nous impose le dialogue, confirment la complexité de l’art de communiquer.
CARTE BLANCHE
Dr Anne Hügli
Chemin de Beau-Soleil 22 1206 Genève
annehugli@bluewin.ch
D.R.
1 Plus de 10 000 personnes ont initié une prophylaxie préexposition (PrEP) au VIH par Truvada ou génériques – Point d’Information.»
2 Nau JY. VIH : La France autorise et remboursera intégralement le Truvada prophylactique. Rev Med Suisse 2015;11:2302-3.
3 Un HSH à haut risque d’acquisition du VIH par voie sexuelle est défini par un HSH « ayant eu plus de deux pénétrations anales dans les douze derniers mois avec des partenaires occasionnels ». Enquête Presse Gay et Lesbiennes 2011, VelterA, et al., Santé Publique France.