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La Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels : un point de vue de civiliste

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La Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels : un point de vue de civiliste

FOËX, Bénédict

FOËX, Bénédict. La Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels : un point de vue de civiliste. In: Renold, Marc-André, Gabus, Pierre et de Werra, Jacques. Criminalité, blanchiment et nouvelles réglementations en matière de transfert de biens culturels. Genève : Schulthess, 2006. p. 17-41

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8554

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(2)

1

LA LOI FÉDÉRALE SUR LE TRANSFERT INTERNATIONAL DES BIENS CULTURELS: UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

BÉNÉDICT FOËx

Professeur à l'Université de Genève*

1. INTRODUCTION

Les Chambres fédérales ont adopté il y a un peu plus d'un an la Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels (L TBC)'. Cette loi est entrée en vigueur le 1 cr juin 2005, en même temps qu'une Ordonnance sur le transfert international des biens culturels (OTBC)'. Parallèlement, la Suisse a ratifié la Convention de l'UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels3

Je remercie mes collègues Ursula Cassani et Marc-André Renold (Faculté de droit de )'Universitê de Genève) de discussions aussi stimulantes qu'amicales sur les thèmes abordés dans la présente contribution. Je sais égaJement gré à mes assistants, Julika Starova Malvataj et Marc Bellon, d'une relecture attentive de ce texte et de leurs suggestions.

FF 2003 p. 4019 55; RS 444.1.

RS 444.11.

RS 0.444.1 (entrée en vigueur pour la Suisse: le 3 janvier 2004).

(3)

18 LA L TBe : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

La L TBC contient une sene de dispositions de droit administratif", de droit pénal' et de droit privé. C'est sur ces dernières que nous allons nous concentrer, en laissant le soin au prof. Ursula Cassani de présenter les aspects de droit pénal6

Le présent exposé se bornera à présenter les principales innovations, puis à soumettre au lecteur trois remarques à caractère plus général, avant de conclure.

II. LES RÈGLES DE DROIT PRIVÉ

A. Le bien culturel

La LTBC introduit la notion de bien culturel et en fait une catégorie de choses à part, soumises à un régime juridique propre. Notre droit des choses repose sur la distinction entre immeubles et choses mobilières;

nous connaissions cependant déjà certaines catégories particulières, soit notamment les papiers-valeurs', les aéronefs', les bateaux9 et depuis peu les animauxlO La LTBC introduit une nouvelle catégorie : les biens culturels. S'il existe assurément des motifs sérieux et fondés de le faire",

Cf. par ~xemple les art. 3 5S L TBC.

Cf. les art. 24 58 L me.

Voir infra. p. 43 58.

Art. 965 S8 CO.

Art. 1 ssLRA(RS748.217.1).

Art. 1 ss LRB (RS 747. Il).

10 Art. 64la CC, entré en vigueur le 1er avril 2004; cf. RO 2003 p. 466. Cf. à cet égard P.·H.

Steinauer, Tertium datur?, in Figures juridiques. Mélanges dissociés pour Pierre Tercier, Zurich 2003, p.

51 58, p. 56 : « Pascal avait déjà compris que / 'homme n'est ni ange ni bête. Nous savons désormais que la bêle n'est ni homme ni chose ».

Il Voir par exemple: P. Lalive, La Convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (du 24 juin 1995), in RSDIE 1997 p. 13 88, p. 24: « l'acquisition d'un bien mobilier des mains d'un non-propriétaire (<< a non domino ,,) peut-elle vraiment être régie par les mêmes règles, la même jurisprudence, les mêmes traditions lorsque cet objet est une œuvre d'art ou un bien culturel archéologique, de provenance inconnue, et lorsqu 'jJ s'agit d'un objet mobilier ordinaire, d'une caméra, d'un cheval QU d'une cargaison de souliers ou de tomates? ». Le Message du Conseil fédéral relatif à la Convention de l'UNESCO de 1970 et à la loi fédérale sur le transfert international des biens culturels, du 21 novembre 200! (in FF 2002 p. 505 ss) note dans sa première phrase que« les biens culturels sont des biens particuliers» (p. 509).

(4)

LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 19

l'on peut néanmoins regretter cette tendance à une parcellisation du droit:

quousque tandem?

Sont des biens culturels, selon l'art. 2 al. 1 LTBC, les biens qU!,

«à titre religieux ou profane» :

• «revêtent de l'importance pour l'archéologie, la préhistoire, l'histoire, la littérature, l'art ou la science»

• et «qui font partie d'une des catégories prévues à l'art. 1 de la Convention de l'UNESCO».

Ces catégories de la Convention de l'UNESCO sont aussi nombreuses que variées 12 : on y trouve non seulement les objets historiques, les produits des fouilles archéologiques et les biens présentant un intérêt artistique ou les livres anciens et les manuscrits, mais également, par exemple, les spécimens rares de zoologie et de botanique, le matériel ethnologique et même les timbres-poste, les timbres fiscaux et les archives.

Ainsi donc, un animal empaillé, un tableau peint récemment ou la correspondance d'un politicien local, pour peu qu'ils revêtent de l'importance pour l'une des sciences mentionnées à l'art. 2 LTBC, sont aussi des biens culturels régis par la loi. On pourrait également admettre - pour répondre à une question posée à l'issue des débats de ce colloque- que des voitures anciennes et de collection, à supposer qu'elles revêtent de l'importance pour l'histoire (art. 2 al. 1 LTBC), sont des biens culturels en tant que «biens concernant [ ... jl'histoire des sciences et des techniques»

(art. 1 lit. b de la Convention de l'UNESCO).

12 Voici la liste complète de l'art. 1 de la Convention de l'UNESCO; « a) collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et d'anatomie; objets présentant un intérêt pal6ontologique;

b) les biens concernant l'hiSlOire. y compris J'histoire des sciences et des techniques, l'histoire militaire et sociale ainsî que la vie des dirigeants, penseurs, savants et artistes nationaux, et les événements d'importance nationale; c) le produit des fouilles archéologiques (régulières et clandestines) et des découvertes archéologiques; d) les éléments provenant du démembrement de monuments artistiques ou historiques et des sites archéologiques; e) objets d'antiquité ayant plus de cent ans d'âge, tels que inscriptions, monnaies et sceaux gravés; f) le matériel ethnologique; g) les biens d'intérêt anistique tels que: i) tableaux, peintures et dessins faits entièrement à la main sur tout support et en toutes matières (à J'exclusion des dessins industriels et des articles manufacturés décorés à la main); ii) productions originales de l'art statuaire et de la sculpture en toutes matières; iii) gravures, estampes et lithographies originales; IV) assemblages et montages artistiques originaux, en toutes matières; h) manuscrits rares et incunables, Ii"res, docwnents et publications anciens d'intérêt spécial (historique, artistique, scientifique, littéraire, etc.) isolés ou en collections; il, timbres-poste, timbres fiscaux et analogues, isolés ou en collections; j) archives, y compris les archives phonogmphiques, photographiques et cinématographiques; k) objets d'ameublement ayant plus de cent ans d'Age et instruments de musique anciens».

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20 LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

Selon le Rapport explicatif relatif au projet d'Ordonnance sur le transfert international des biens culturels du 30 juin 2004, il conviendrait d' «interpréter largemenb) la notion de bien culturel, si bien qu' «en cas de doute, on admettra le caractère culturel d'un objet» 13. Cette manière de voir me semble difficilement conciliable avec le fait que les biens culturels sont soumis à un régime juridique spécifique, dérogeant aux règles normalement applicables: il s'impose bien plutôt d'interpréter restrictivement la notion de bien culturel.

B. Le régime juridique de droit privé réservé aux biens culturels Le régime juridique introduit par la LTBC se concentre sur le transfert des biens culturels; il faut entendre par là un «acte juridique passé à titre onéreux dans le domaine du commerce d'art et de la vente aux enchères et attribuant la propriété d'un bien culturel à une personne »14.

1. Le devoir de diligence

L'art. 16 LTBC introduit un devoir de diligence, qui présente un double aspect. On observera au préalable que l'art. 16 OTBC prétend définir le champ d'application de l'art. 16 LTBC ainsi que des art. 15 et 17 LTBC (notamment en prévoyant que ces dispositions ne s'appliquent pas «aux biens culturels dont le prix d'achat ou [ ... lle prix d'estimation est inférieur à 5000 francs»), ce qui paraît pour le moins contestable, l'art. 31 LTBC n'autorisant le Conseil fédéral qu'à «édicter les dispositions d'exécutioID).

a) L'art. 16 al. 1 LTBC

Quoi qu'il en soit, la loi a prévu que celui qui entend aliéner un bien culturel dans le commerce d'art ou dans une vente aux enchères, ne peut l'aliéner que s'il «peut présumer, au vu des circonstances», que le bien n'a pas été volé, n'a pas été <<enlevé à son propriétaire sans sa volonté», n'est pas le produit de fouilles illicites et n'a pas été importé illicitement".

Il Rapport explicatif(disponible sur le site internet de la Confédération li J'adresse bttp:l/www.kultum:hweiz.admin.ch.-bakffileslkgtvJCkgtv_300604.pdl).p. 14.

]4 Cf. art. 1 lit. fOTBe. Cf. par exemple, sur cette notion: G. von Segesser 1 A. Jolies, Switzerland's new federal act on the intemationaJ transfer of cultural property, in Art Antiquity and Law, vol. X, issue 2 [IWle 2oo5J, p. 115 s~ p. l8!.

"

An. 16.1. 1 LTBC.

(6)

LA L TBC ; UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 21

L'importation illicite est défmie à l'art. 2 al. 5 LTBC; on doit en conclure qu'un bien culturel a été importé illicitement au sens de l'art. 16 LTBC si son importation «contrevient à un accord au sens de l'art. 7» LTBC

«ou à une mesure au sens de l'art. 8, al. 1, let. a» LTBC. Quant à la notion de «fouilles illicites», elle n'est - assez curieusement - défmie ni par la LTBC, ni par l'OTBC, ni par la Convention de l'UNESCO, ni non plus par la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (que la Suisse a ratifiée)'6, qui recourt pourtant à plusieurs reprises à cette expression" ; il en résulte à mon sens que si l'illicéité résulte de l'application d'une norme impérative du droit étranger, le juge ne pourra en tenir compte qu'aux conditions et dans les limites prévues à l'art. 19 LDIP. Enfin, s'agissant du vol et de l'enlèvement sans la volonté du propriétaire, il faut admettre par souci de cohérence qu'ils ne tombent sous le coup de l'art. 16 al. 1 LTBC qu'aussi longtemps qu'ils peuvent faire l'objet de l'action mobilière des art. 934 et 936 CC ; en d'autres termes, un bien culturel qui a été volé mais qui a depuis lors fait l'objet d'une acquisition de bonne foi dûment protégée n'est plus «volé» au sens de l'art. 16 al. 1 LTBC et peut donc être transféré sans autre.

D'une façon générale, il y a à mon sens lieu de retenir que l'application de l'art. 16 al. 1 LTBC présuppose que l'aliénateur ne soit pas propriétaire du bien culturel en cause: si l'origine suspecte du bien n'a pas pour effet d'empêcher l'acquisition de la propriété (par exemple, la règle dont résulte l'illicéité de l'importation se concentre sur les conséquences douanières ou pénales, sans entraver la transférabilité du bien culturel) ou si le vice affectant initialement l'acquisition disparaît par l'effet d'une norme protégeant l'acquéreur (application de l'art. 934 CC ou de l'art. 728 CC, par exemple), on voit mal que la propriété ainsi reconnue par notre ordre juridique puisse être simultanément privée d'un de ses attributs essentiels, le pouvoir de disposer". On observera d'ailleurs que le Message du Conseil fédéral justifie de façon circonstanciée la restriction temporaire à la propriété qu'implique la délivrance d'une garantie de restitution au sens des art. 10 ss LTBC'9; si l'art. 16

"

RS 0.440.5, en vigueur pour la Suisse depuis le 28 septembre 1996.

"

Cf. les art. 3 i) a), 10 i), la ii), 10 iii) et 10 v).

"

Cf. art. 64' .1. 1 CC.

"

Message du Conseil fédéral (note Il), p. 551 s.

(7)

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"

22 LA LTBC: UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

LTBC avait eu pour effet de priver le propriétaire de son droit de disposer, le Conseil fédéral n'aurait pas manqué de l'indiquer et de s'en expliquer,

Quoi qu'il en soit, l'aliénateur dans le commerce d'art doit pouvoir admettréO, au vu des circonstances, que le bien qu'il aliène n'est pas d'origine suspecte; le critère semble s'approcher de celui de l'art. 3 CC2l Si l'aliénateur, au vu des circonstances du cas particulier, ne peut admettre que le bien n'a été ni volé, ni enlevé à son propriétaire, ni importé illicitement, il doit s'abstenir de procéder au transfert,

Ce devoir est assorti d'une sanction de droit pénaf2, mais la loi n'indique en revanche pas quelles sont les conséquences de droit civil:

elle se borne à prévoir que le bien culturel «ne peut faire l'objet d'un transfert»; cela ne signifie pas encore que le transfert effectué en violation de ce devoir est inopérant. En particulier, on ne voit pas que les conditions de la nullité pour objet illicite23 ou contraire aux mœurs24 soient réalisées, On peut noter au passage que l'art. 3 de la Convention de l'UNESCO - qui prévoit que sont illicites, notamment, les transferts de propriété effectués en violation des «dispositions prises par les Etats parties en vertu de la présente Convention» - ne permet pas non plus de conclure à la nullité des actes juridiques en cause (cette sanction n'étant pas prévue expressément et ne résultant par ailleurs pas non plus du sens et du but de cette disposition).

Il faut donc admettre que si un aliénateur vend dans le commerce d'art un bien culturel sans s'être conformé à son devoir de diligence, la validité du contrat n'est pas entachée pour ce seul motif; autre est la question de savoir si l'acquéreur peut le cas échéant se prévaloir d'une erreur essentielle ou de la garantie pour éviction,

Quant à l'aliénateur potentiel qui, se conformant à son devoir de diligence, fait des recherches, découvre que le bien culturel dont

10 Cf. la version allemande de l'art. 16 al. 1 LTBC: « [ ... ] wenn die übertragende Perron nach den Umstanden annehmen darf[ ... ] ~,.

"

Cf. le Message du Conseil fédéral (note Il), p. 558.

"

Art. 25 al. 1 lit. aL me ; voir infra, p. 54 55.

"

cr par exemple; A TF 119 Il 147/155, JdT 199412051212 ; ATF 117 Il 47/48.

,.

Cf. par exemple: ATF 129 III 604/617.

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LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 23

il se croyait propriétaire est en réalité d'origine douteuse et s'abstient en conséquence de procéder à l'aliénation envisagée, il se retrouve possesseur d'une «hot potata>} intransférable; il n'en deviendra pas propriétaire (étant désormais - techniquement - de mauvaise foi) et devra se retourner dans la mesure du possible contre la personne auprès de laquelle il s'est procuré le bien culturel.

b) L'art. 16 al. 2 LTBC

Le second volet du devoir de diligence concerne les «commerçants d'art et les personnes pratiquant la vente aux enchères»". La loi requiert qu'ils établissent l'identité du vendeur (et, le cas échéant, du fournisseur") des biens culturels qu'ils ·sont chargés de vendre et qu'ils exigent du vendeur et du fournisseur une déclaration écrite quant au droit de disposer du bien culturel en cause". Par ailleurs, commerçants d'art et vendeurs aux enchères doivent tenir un registre des acquisitions28, qui doit contenir une série d'indications mentionnées aux art. 16 al. 2 LIBC et 19 OIBe.

A nouveau, le législateur a prévu une sanction de droit pénal29 et se tait sur les conséquences de droit civil. A nouveau, il y a lieu de retenir que la violation de ces obligations de diligence n'entra1ne pas l'invalidité du contrat.

On peut enfin noter que le projet d'Ordonnance prévoyait que les commerçants d'art et les vendeurs aux enchères devaient désigner un «responsable du devoir de diligence» et un «répondant qui se tiendra à la disposition des autorités pour leur donner des observations»3o, exigences

"

Selon l'art. 1 lit. e OTBe, il s'agit de personnes physiques ou morales «( qui acquièrent des biens

culturels dans le but de les rev(''1ldre pour leur propre compte ou qui en font le commerce pour le compte de tiers ), Cette définition est trop large, en tant qu'elle vise les persolUlCS actives dans le commerce de biens culturels (et non pas les commerçants d'objets d'arls et les vendeurs aux enchères, mentionnés par l'art. 16 al. 2 LTBC). Cf. pour le surplus les remarques critiques du prof. U. Cassani. p. 55 s.

Selon l'art. 1 UI. g OTBe. le fournisseur est WlC 1( personne qui charge un tiers pt'Illiquant le commerce d'art ou la vente aux enchêres de transférer uo bien culturel ».

"

Art. 16 al. 2UI. a Lmc.

"

Art. 16 al. 2 lit. c L mc.

"

Art. 25 al. 1 lit. a L me.

"

Art. 20 du projet d'OTBC.

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24 LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIV[lISTE

qui étaient dépourvues de base légale; on peut donc se réjouir qu'elles n'aient pas été reprises dans l' OTBC.

2. Allongement de délais a) L'art. 934 al. Ibis CC

L'entrée en vigueur de la LTBC a emporté une modification de l'art. 934 CC. Par l'adjonction d'un alinéa Ibis, le délai pour revendiquer des biens culturels mobiliers qui ont été volés ou dont le possesseur a été dessaisi de quelque autre manière sans sa volonté a été porté à trente ans. En d'autres termes, l'acquéreur de bonne foi d'un bien culturel volé ne sera en principe désormais protégé que trente ans après le vol (au lieu des cinq ans exigés par l'art. 934 al. 1 CC) .

Un délai de trente ans peut paraître court, notamment si l'on songe au délai prévu par la Convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, à savoir cinquante ans'l. Mais il s'agissait avant tout pour le droit suisse de s'aligner sur le droit de l'Union Européenne32, dont la directive relative à la restitution des biens culturels prévoit également un délai de trente ans33

Cela étant, le législateur a introduit dans ce même alinéa 1 bis un second délai, plus court: il a prévu que l'action mobilière de l'art. 934 CC doit être introduite, à l'intérieur de ce délai de trente ans, dans l'année "à compter du moment où le propriétaire a eu connaissance du lieu où se trouve l'objet et de l'identité du possesseUD>.

En d'autres termes, si un bien culturel mobilier est volé en août 2005 (soit après l'entrée en vigueur de la LTBC), son propriétaire peut en principe

"

Cf l'art. 3 al. 3 de la Convention d'Unidroit.

"

Voir pat exemple la déclaraûon du Conseil national Yves Guisan laD du débat devant les Chambres

fédérales: « La majorité de fa commission est d'avis que fa durée de 30 ans est correcte puisqu'elle correspond cl une généraiion. Surtout, elle est compatible Ql.·ec le droit européen sur le transfert des biens culturels. Formuler des règles divergentes dans un dofTI(Jine pareiIJemenl exposé au trafic international serait pour le moins incongru» (BO CN 2003 p. 1049). Voir par ailleurs le Message du Conseil fédéral (note 1 t), p. 570: «En relevant à trente ans [ .. .J Je délai de prescription acquisitive de l'art. 728 CC et celui de l'action en revendication de l'art. 934 CC, nous nous alignons sur les nOmles internationales ».

Cf. l'art. 7 al. 1 de la Directive 93n/CEE du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le tenitoire d'W1 Etat membre (JO L 74 du 27.3.1993, p. 74).

(10)

'.

LA LTBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 25

le revendiquer jusqu'en 2035 auprès d'un acquéreur de bonne foi34 Toutefois, si le propriétaire apprend en 20 Il où se trouve le bien et qui en est le possesseur, il devra agir dans l'année, soit jusqu'en 2012 - sous peine de déchéance (l'acquéreur de bonne foi étant alors protégé).

On notera pour le surplus que la rédaction de cet alinéa 1 bis est peu soignée: elle laisse entendre que seul le propriétaire dépossédé aurait qualité pour agir". On sait qu'en réalité, l'action mobilière de l'art. 934 CC compète au possesseur dépossédé sans sa volonté, qu'il soit ou non propriétaire de la chose mobilière volée, perdue, etc.36 La rédaction maladroite de cet alinéa a notamment pour conséquence qu'à rigueur de texte légal, un possesseur dépossédé (par exemple, un musée dépositaire du bien culturel en cause) pourrait intenter l'action plus d'un an après avoir appris où se trouve l'objet et qui en est le possesseur, sous le prétexte que le propriétaire (seul mentionné par l'alinéa Ibis), lui, n'a (par hypothèse) connaissance de ces éléments que depuis moins d'un an. Il convient dès lors à tout le moins d'interpréter le nouvel alinéa Ibis comme prévoyant que 'l'action se périme par un an à compter du moment où le demandeur a eu connaissance du lieu où se trouve l'objet et de l'identité du possesseurJ7.

b) Allongement d'autres délais (notamment: art. 728 al. 1 bis «1b, CC) Par souci de cohérence, d'autres délais prévus par le droit civil ont également été portés à trente ans. Il s'agit de la prescription acquisitive (art. 728 al. Ibis CC, disposition qui réserve cependant les exceptions légales, soit notamment l'imprescriptibilité des biens culturels de la Confédération inscrits dans un inventaire fédéral38), de l'action

Si l'acquéreur est de mauvaise foi. le possesseur antérieur peul exiger la restitution « en tout temps» ; cf. art. 936 al. 1 CC.

"

Voir aussi: C. Wieser, Gutglaubiger Fatuniserwerb und BesitzesrechlSklage. Unter besonderer

8erOcksichtigung der Rückforderung (i entarterter») Kunstgegenstànde, thèse, Bâle 2004, p. 281 s.

"

Cf. par exemple P.·H. Steinauer, Les droits réels, Tome 1, r éd., Berne 1997, nO 458. Voir aussi:

Wieser (note 35), p. 281.

Voir aussi: Wieser (note 35), p. 281.

Art. 3 al. 2 Ut. Il LTBC; cf. Message du Conseil fédéral (note II), p. 570.

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(11)

Il

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26 LA L

me :

UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

en garantie en cas d'éviction (art. 196a CO) et de la garantie pour défaut dans la vente (art. 210 al. Ibis CO)J9.

On relèvera cependant ici une singularité: la nouvelle règle concernant la prescription acquisitive constitue l'art. 728 al. 1 bis CC. Or, il se trouve que l'art. 728 CC comprend déjà, depuis le 1er avril 2003, un alinéa Ibis, consacré à l'acquisition par prescription acquisitive de la propriété des animaux". L'art. 728 CC devait donc compter deux alinéas 1 bis, ce qui aurait constitué une première, si l'on ose dire ; cette erreur a cependant été corrigée après l'adoption de la LIBC, si bien que l'alinéa introduit par cette dernière dans l'art. 728 CC est en définitive un alinéa Iter.

3. L'action «en retoUD>

La LIBC introduit une nouvelle action pour favoriser la restitution des biens culturels. Il s'agit de l'action dite «en retouD>, qui vise la restitution des biens culturels importés illicitement en Suisse (art. 9 LIBC).

a) Accord international avec l'Etat requérant

L'action en retour est dirigée contre le possesseur du bien culturel, la qualité de demandeur étant réservée aux Etats. La loi n'exige pas que l'Etat requérant soit propriétaire du bien culturel en cause. En revanche, il résulte de la note mar§inale de l'art. 9 LIBet, qui a été précisée lors des débats parlementaires', que l'Etat requérant doit avoir passé avec la Suisse un «accord" portant sur le retour des biens culturels au sens de l'art. 7 LIBe.

Le Message du Conseil fédéral indique que l'action en retour peut également être fondée sur une mesure temporaire au sens de l'art. 8 L IBC" . Cette manière de voir est cependant contredite par la note marginale de l'art. 9 LIBC telle qu'adoptée depuis lors; d'autre part, à s'en tenir au texte

19 Ces deux aernières dispositions prévoient en outre un délai de déchéance d'un an «à compter du moment où l'acheteur a découvert les dêfauts)).

RD 2003 pp. 464 01466 .

..

«Actions en retour fondées sur des accords».

"

Cf. ootammenl BD CN 2003 p. 36.

"

Message du Conseil fédéral (note 11), p. 550.

(12)

LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 27

légal, l'objet des mesures temporaires de l'art. 8 LTBC ne s'étend pas à l'action en retour: il s'agit de «pennettre, assortir de conditions, restreindre ou interdire l'importation, le transit et l'exportation de biens culturels» et de <<participer à des opérations internationales concertées au sens de l'art. 9 de la convention de l'UNESCO»'"; le retour des biens culturels n'est pas mentionné, contrairement à la fonnulation adoptée à l'art. 7 al. 1 s'agissant de défurir l'objet des «accords»". Dans ces conditions, on peut sérieusement douter que le Conseil fédéral puisse, parune mesure temporaire au sens de l'art. 8 LTBC, conférer à un Etat la faculté d'intenter l'action en retour.

Enfin, selon l'art. 7 al. 1 LTBC, les «accords» ne peuvent être passés qu'avec des <<Etats parties», à savoir des Etats ayant ratifié la Convention de l'UNESCO (art. 2 al. 3 LTBC). En défmitive, à mon sens, seuls sont susceptibles de bénéficier de l'action en retour les Etats ayant ratifié la Convention de l'UNESCO, pour autant qu'ils aient passé un accord en ce sens avec la Suisse (accord qui doit notamment accorder à la Suisse la réciprocité)46.

b) Exportation et importation illicites

Quoi qu'il en soit, l'art. 9 al. 1 LTBC réserve l'action en retour à l'Etat

«d'où le bien a été illicitement exporté». L'action en retour suppose donc qu'il y ait eu exportation illicite, puis importation illicite en Suisse.

Ces deux notions ne se recouvrent pas nécessairement. La seconde d'entre elles est définie à l'art. 2 al. 5 LTBC. Quant à la première, elle devra être précisée par l'accord ouvrant l'action au retour; à défaut, l'art. 19 LDIP devrait être applicable.

c) Importance significative paur le patrimoine culturel

L'action en retour ne pourra être intentée que si le bien revêt

<rune importance significative» pour le <<patrimoine culturel» de l'Etat

Art. 8 al. 1 iii. a ct b L TBC.

"

Art. 7 al. 1 LTBC: "[ ... ] le Conseil fédéral peut conclure avec des Etats parties des traités

internationaux (accords) portant sur l'importation et sur le retour des biens culturels" .

..

Art. 7 al. 2 lit. c L TBC.

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28 LA L TBe : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

requérant47. Le «patrimoine culturel>, est défini à l'art. 2 al. 2 LTBC comme

<des biens culturels qui font partie de l'une des catégories prévues à l'art. 4 de la convention de l'UNESCO de 1970».

d) Délais

L'action en retour doit être intentée dans les trente ans qui suivent l'exportation illicite, mais au plus tard dans l'année après que les «autorités»

de l'Etat requérant ont eu «connaissance du lieu où se trouve l'objet et de l'identité du possesseun,48. C'est donc la sortie illicite du bien culturel hors du territoire de l'Etat requérant qui fait courir le délai de trente ans, et non l'arrivée du bien en Suisse.

Quant au point de départ du délai d'un an, il peut donner lieu à des difficultés pratiques. Par exemple, va-t-on admettre que le fait que le bien en cause ait été offert publiquement à la vente lors d'une vente aux enchères organisée à Genève par une grande maison de vente aux enchères, précédée d'une large diffusion du catalogue, suffit pour que l'Etat requérant ait «connaissance du lieu où se trouve l'objet et de l'identité du possesseun, ? La réponse est probablement négative; mais quid si les représentants locaux de l'Etat requérant (Mission diplomatique, Ambassade, Consulat, etc.) figurent parmi les destinataires du catalogue?

La loi n'exige pas que l'autorité en charge des affaires culturelles dans l'Etat requérant soit au courant; en revanche, la logique voudrait que le délai d'un an ne commence à courir que si les autorités de l'Etat requérant (Ministère de la culture, douanes, police, représentants diplomatiques, etc.) ont une connaissance certaine du lieu où se trouve l'objet et de l'identité de son possesseur.

De même, il y a vraisemblablement lieu d'admettre que le délai d'un an est interrompu et recommence à courir en cas d'aliénation de l'objet culturel en cause: la ratio de ce délai de déchéance est d'amener l'Etat requérant à agir dans un délai raisonnable dès qu'il est à même de le faire, condition

"

Art. 9 al. 1 L TBC. Cf. par exemple, sur cette notion: von Segesser 1 Jolies (noie 14), p. 178 .

..

Art. 9 al. 4 L me.

(14)

LA L TBe : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 29

qui n'est plus remplie si, avant l'expiration du délai, l'identité du possesseur (originaire ) change".

e) Indemnité

Enfin, le défendeur de bonne foi peut exiger le paiement d'une indemnité,

«établie sur la base du prix d'achat et des impenses nécessaires et utiles à la protection et à la préservation du bien culturel» (art. 9 al. 5 LTBC).

Cette question de l'indemnité a été très débattue par les Chambres fédérales. La majorité des parlementaires a souhaité assurer une certaine cohérence avec l'indemnité normalement prévue à l'art. 934 al. 2 CC dans le régime commun'· ; c'est notamment pour cela que le parlement a rejeté toute indexation de l'indemnité due par l'Etat requérant.

Mais force est de constater que notre parlement n'a pas été jusqu'au bout dans sa recherche de cohérence. A l'art. 934 al. 2 CC, une indemnité n'est due à l'acquéreur de bonne foi que s'il a acquis la chose mobilière dans un marché, auprès d'un marchand d'objets de même espèce ou dans des enchères publiques. L'art. 9 LTBC ne reprend pas celte condition pour l'indemnité de l'action en retour. En d'autres termes, une indemnité est due au défendeur de bonne foi à l'action en retour même s'il a acquis le bien culturel ailleurs que dans un marché, dans des enchères publiques ou auprès d'un marchand d'objets de même espèce (soit par exemple auprès d'un collectionneur).

Le régime des impenses varie également. Le défendeur de bonne foi à l'action de l'art. 934 CC a droit au remboursement des impenses nécessaires et utiles" et dispose d'un droit d'enlèvement s'agissant des impenses somptuaires". Le défendeur de bonne foi à l'action au retour peut espérer le remboursement des impenses nécessaires et utiles, à la condition cependant qu'elles aient été engagées pour la protection

"

En revanche, on ne voit pas qu'une aliénation intervenant après l'écoulement du délai d'un an

donne une seconde chance à l'Etat requérant: le délai s'étant écoulé sans être utilisé, l'Etat est déchu de son droit d'intenter l'action en retour.

Cf. par exemple: BO CE 2003 p. 552 ; BO CN 2003 p. 1054 s.

"

Art. 939 al. 1 CC.

"

Art. 939 al. 2 CC.

(15)

r

i,

30 LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

et la préservation du bien culturel" ; rien n'est par ailleurs prévu s'agissant des impenses somptuaires.

On notera enfm que les art. 934 al. 2 CC et 939 al. 1 CC permettent au défendeur de bonne foi d'exiger le remboursement du prix qu'il a payé el des impenses (nécessaires et utiles) qu'il a engagées. L'art. 9 al. 5 va moins loin, puisqu'il n'octroie au défendeur de bonne foi que la faculté d'exiger le paiement d'une indemnité, «établie sur la base du prix d'achat et des impenses nécessaires et utiles à la protection et à la préservation du bien culture!> •. En d'autres termes, le défendeur à l'action en retour n'obtiendra pas nécessairement le plein remboursement du prix d'achat qu'il a payé et des impenses qu'il a engagées: même si le parlement semble être parti du principe que de tels cas seront rares", il n'en demeure pas moins que la LTBC laisse au juge une marge de manœuvre lui permettant de ne pas ordonner le remboursement complet d'un prix d'achat qu'il jugerait excessif ou de réduire en équité le montant à rembourser d'impenses qui, quoique utiles à la protection du bien à restituer, lui paraîtraient dispendieuses ou présenter peu d'intérêt pour l'Etat requérant.

C'est à se demander si un Etat qui serait au bénéfice tant de l'action en retour que de celle de l'art. 934 CC ne sera pas tenté de tirer parti de ces différences, en intentant l'action qui lui permettra, en fonction de toutes les circonstances du cas particulier, d'obtenir à meilleur compte la restitution du bien culturel en cause. Il faut cependant espérer que les tribunaux auront la sagesse de parfaire la coordination voulue par le législateur", en veillant à ce que les conditions financières

13 Art. 9 al. 5 L TBC. Ainsi et par exemple, des primes d'assurance concernant l'objet en cause ou de$

frais d'expertise peuvent constituer des impenses nécessaires ou utiles au sens de l'art. 939 CC, mais non couvertes par l'art. 9 al. 5 LTBC, faute d'être ( nécessaires et utiles à la protection et à la préservation du bien culturel ».

$4 Cf. J'intervention du Conseiller aux Etats P. Sieri: «Zudem ut festzuhalten, dass in der Regel und ordentlichen+'eise der Kaufpreis massgebend isl und dass man sich nur in ganz seltenen Ausnahmen lediglich am Kaufpreis orienliert, ohne ihn voll zu überne!rmen. "Orienlieren·' eroJfoel aine generelle 8andbreile nach unten » (BO CE 2003 p. 552).

~ Cf. par exemple les interventions des Conseillers nationaux V. Müller-Hemmi (<< Die Enlschiidigung orien/ierl s;ch oMo lm ZGB w;e: hier am Koufpreis und an den nom'endigen und nützlicnen Aufwendungen; Jas ist wie erwiihnt in den ArlIJœ/n 934 und 939 ZOB festgehol/en. Das !reLut, dass wir hier eitre Xoordination rwischen der Rückforderungsregel nach dem KOTG und der Rückgaberege/ung gemiiss ZGIJ machen. Dies ist unuo wichtiger, ais ein und dasse/be gutgliiubig ef"l1,'Qrbene Kulturgut wlter heide RJtgelungsbereiche follen kan" H ; HO eN 2003 p. 1054) et Y. Guisan (<< La solution du Conseil féderal el de la majorilé de la commission est aussi bien équitable que praticable, en reprenant les modalités préconisées par l'article 934 alinéa Ibis du Code civil. L'une et l'autre propositions de minorité

(16)

LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 31

de la restitution ne varient pas selon que l'une ou l'autre voie est suivie;

dans ce contexte, il conviendra également de tenir compte de la situation de l'acquéreur de mauvaise foi, qui a droit selon l'art.940 al. 2 CC au remboursement des impenses nécessaires «si l'ayant droit eût été dans la nécessité de les faire lui-même»'·, alors qu'il n'est pas mentionné par l'art. 9 LTBC.

j) Situation du défendeur propriétaire

Il faut enfm se demander si le défendeur peut résister à l'action en retour en excipant de sa propriété. Cela ne fait à mon sens guère de doute". Il résulte assez clairement du Message du Conseil fédéral et des travaux parlementaires que l'intention du législateur était d'instaurer une action répondant certes à des conditions différentes de l'action mobilière de l'art.

934 CC, mais demeurant néamnoins «parallèle» à cette dernière".

On ne voit pas que, dans ce contexte, le propriétaire puisse s'opposer avec succès à l'action mobilière, mais qu'il doive en revanche restituer le bien culturel si c'est l'action en retour qui est intentée contre lui.

A cela s'ajoute que l'art. 7 b) ii) de la Convention de l'UNESCO, qui sert en quelque sorte de fondement à l'art. 9 LTBC, prévoit que les Etats doivent prendre les mesures appropriées pour permettre <da restitution à l'Etat d'origine» d'un bien culturel volé (dans un musée, un monument public, etc.), «à condition que l'Etat requérant verse une indemnité équitable à la personne qui est acquéreur de bonne foi ou qui détient légalement la propriété de ce biem,. L'art. 9 LTBC mentionne l'acquéreur de bonne foi, mais non le propriétaire: il me semble que si le législateur avait entendu permettre que le propriétaire soit tenu à restitution, il l'aurait indiqué,

créeraient une incongruence inacceptable entre les deux lois. Cela ne serait pas sans coméquences. Le même objet peut patfaiJement relever simultanément de la loi sur le transfert des biens culturels et du Code civil, par exemple s'il est volé et en même temps illicitement exporté. Il est alors important que le prix d'achat soit évalué selon les mêmes critères» ; BO eN 2003 p. 1054). Voir enfin le Message du Conseil fédéral (note Il), p. 551 : «Cette réglementation s'inspire du droit de retour du code civil (cf arl. 934. al.

1, en liaison avec l'arl. 939, al. J, CC) [. .. ]. La coordination des dispositions sur le retour prévues par la LTBC et celles du code civil est ainsi assurée ».

~6 Certains autems proposent en outre de lui reconnatrre un droit d'enlèvement pour les impenses utiles et somptuaires; cf. par exemple Steinauer (note 36), nO 522a.

D'un avis contraire, semble-t-il : Wieser (note 35), p. 275.

"

Cf. par exemple les citations supra, note 55.

(17)

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11 ~!

32 LA L

me:

UN POINT DE VUE DE CNlLlSTE

comme le fait la Convention de l'UNESCO, lorsqu'il s'agit de régler le point crucial de l'indemnité.

On relèvera pour le surplus que, fort curieusement, lorsqu'il traite de l'art. 7 de la Convention de l'UNESCO, le Message du Conseil fédéral n'indique pas que le propriétaire pourrait être visé: «Enfin, les biens volés seront restitués au pays d'origine à sa demande "à condition que l'Etat requérant verse une indemnité équitable à la personne qui est acquéreur de bonne foi" (let. b ii»>'9 S'il avait été question d'introduire en droit suisse une action permettant de condamner le légitime propriétaire à restituer un bien culturel, pourquoi le Conseil fédéral ne l'aurait-il pas dit? On doit en conclure que l'art. 7 de la Convention de l'UNESCO n'a pas été interprété par le législateur suisse comme imposant une telle solution et qu'elle n'a dès lors pas été concrétisée dans l'art. 9 LTBC.

4. La garantie en restitution

La L TBC introduit par ailleurs une «garantie de restitutioO», qui aura des incidences de droit civil.

Selon l'art. 10 LTBC, cette garantie peut être octroyée à l'institution60 qui prête temporairement à un musée ou une autre institution culturelle en Suisse un bien culturel provenant d'un Etat partie à la Convention de l'UNESCO pour être exposé. La demande de garantie doit être formée par <d'institution bénéficiaire du prêt» auprès d'un <<service spécialisé»

(art. 2 al. 4,10 et 18 lit. h LTBC), en faveur de <d'institution prêteuse».

La demande de garantie doit être publiée dans la Feuille Fédérale, avec une «description précise du bien culturel et de sa provenance» (art. 11 al. 1 LTBC). Les «personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre»61 disposent alors d'un délai de trente jours pour faire opposition par écrit à la délivrance de la garantie (art. Il

"

Message du Conseil fedéral (note Il), p. 535.

60 Cf. l'art. 10 LTBC: « [ ... ] délivrer à l'institution prêteuse [ ... ]»; voir également le Message du Conseil fédéral (note) 1), p. 552 : « La garantie de restitution n'est pas accordée pour des biens culturels provenant de collec/ions particulières AI. A noter que l'art. 1 lit d orne donne une définition large de

I\<institution prêteuse», qui inclut même le (<prêteur particulier».

61 Cf. !'aIt. 6 de la Loi fédérale sur la procédure administrative, du 20 décembre 1968 (qui mentionne en outre «les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision ))). auquel se réfère l'art. 11 al. 3 Lrnc.

(18)

LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 33

aI. 3 LTBC). Toutefois, l'art. 12 al. 2 lit. a LTBC prévoit de façon quelque peu contradictoire que la garantie de restitution peut être délivrée si «personne n'a fait opposition en se prévalant d'un titre de propriété sur le bien culture!>,. Il semble en résulter - ce qui paraît fort critiquable - que les personnes qui invoqueraient un droit autre que la propriété sur le bien culturel en cause (un droit de gage ou un usufruit, par exemple) De pourraient en définitive pas s'opposer avec succès à la délivrance de la garantie de restitution, alors même que la qualité pour former opposition leur est par ailleurs reconnue. On ne s'explique pas la ratio d'un tel système et il faut espérer que la jurisprudeoce y remédiera, en admettant que l'existence de droits autres que la propriété peut justifier le refus de la garantie62

S'il n'est pas fait opposition ou si l'opposition est écartée, la garantie de restitution est délivrée par le. <<service spécialisé» des art. 1 al. 4, 12 al. 1 et 18 lit h LTBC et 22 OTBC. S'agit-il d'une «affaire intéressant les relations extérieures» au sens de l'art. 100 al. 1 lit. a OJF, avec cette conséquence que le Conseil fédéral serait la dernière instance de recours·3 ? On peut en douter; il y a me semble-t-il bien plutôt lieu d'admettre que les décisions relatives à la garantie de restitution peuvent être portées en dernière instance (soit après avoii été portées devant le Département fédéral de l'intérieur en vertu de l'art.47a PA) devant le Tribunal fédéral par le biais du recours de droit administratif64

L'octroi de la garantie de restitution a pour effet «que les particuliers et les autorités ne peuvent faire valoir aucune prétention sur le bien culturel tant qu'il se trouve eD Suisse» (art. 13 LTBC). Le bien culturel ne peut pas faire l'objet d'une action civile (revendication, etc.), d'un séquestre, d'une saisie, d'une mesure provisionnelle, etc.65 Si une action civile est pendante (et qu'il D'a pas été fait opposition ou que l'opposition a été rejetée), la délivrance de la garantie devrait entraîner la suspension

62 Voir aussi : A. Raschèf 1 F. Schmidt-Gabain. Besserer SchulZ fIlr den internationaJen Leibverkehr unter Museen? Die C<ROckgabegarantÎe» im KulturgOtertransfergesetz, in PJA 2005 p. 686 ss. p. 692 s.

Cf. à cet égard le Message du Conseil fédéral (note 11), p. 568.

64 Art. 97 OJF; cf. aussi A. Raschèr / F. Schmidt-Gabain (note 62), p. 691 s. Voir pour le surplus

"art. 30 al. 1 LTBC et les art. 44 S8 PA.

Cf. Message du Conseil fédéral (note Il), p. 553.

(19)

34 LA L THe : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE

de l'instance durant le séjour du bien en Suisse, «aucune prétentioID>

ne pouvant être élevée selon l'art. 13 LTBC.

5. Modification de l'art. 724 CC

La LTBC emporte par ailleurs une modification de l'art. 724 CC, disposition régissant l'acquisition de la propriété des curiosités naturelles (fossiles, squelettes, météorites, etc.) et des antiquités (pièces de monnaie anciennes, armes d'époque romaine, etc.) lors de leur découverte.

La loi prévoyait jusqu'à présent que s'ils présentent un <<intérêt scientifique considérable» ces objets deviennent la propriété du canton sur le territoire duquel ils sont découverts. Le nouvel art. 724 al. 1 CC introduit avec la LTBC se contente d'un intérêt scientifique (sans autre qualificatif). Il s'agit d'une solution de compromis66 entre la proposition du Conseil fédéral (qui consistait à supprimer purement et simplement l'exigence d'un intérêt scientifique)61 et le maintien de la solution actuelle, jugé peu satisfaisante68

En outre, le nouveau texte indique que ces objets <<sont la propriété du cantoID>, en lieu et place du texte actuel, selon lequel les antiquités et curiosités naturelles «deviennent la propriété du cantoID>. Il s'agissait de liquider une controverse sur la nature du droit du Canton69, notamment suite à un arrêt du Tribunal cantonal bâlois (interprétant l'art. 697 du Code civil turc à la lumière de la doctrine suisse minoritaire relative à l'art. 724 CC ... )'0; la loi indique désormais clairement qu'il s'agit de la propriété et non pas d'un simple droit d'appropriation'l . A vrai dire,

..

La proposition a émane de la Commission du Conseil des Etats (cf. BQ CE 2003 p. 556).

Cf. Message du Conseil fédéral (note Il). p. 598.

6& Cf. l'intervention de la Conseillêre nationale K. Rîklin, selon laquelle« der alte Begriff "erheblich"

ist schwammig. f. . .] Kun: Der BegriJJ "erheblich" bringt mehr Unsicherheit ais Klarheil » (BD CN 2003 p.1056).

69 Cf. K. Sichr, Du Sacbenrecht der Kulturgüter. Kulturgütertrarlsfergesctz und das schweizerische Sachenrecht, ln AktueUe Aspekte des Schuld- und Sachenrechts. Festschrift fi1r Heinz Rey zum 60.

Geburtstag, Zurich 2003, p. 127 ss, p. 134.

10 Appelationshof as, 18.8.1995, in BJM 1997 p. 17 ss. Voir notamment à ce propos: K. Siehr / ç.

Üsti1n, Antike Grabstclen aus der Türkei bleiben in der Schweiz, in IPRAX 1999 p. 489 ss.

11 Cf. notamment à cet égard: P.·H. Steinauer, Les droits réels, Tome II, 3~ éd., Berne 2002, nO 2115d; P. Liver, Das Eigentum, in Schweizeriscbes Privatrechl, vol. VII, Bâle 1977, p. 366 ss.

(20)

LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVILISTE 35

a ngueur de texte légal, l'on pourrait même considérer que le Canton est propriétaire des antiquités et curiosités naturelles avant même qu'elles ne soient découvertes.

Pour le surplus, un nouvel alinéa 1 bis precise que les antiquités et curiosités naturelles appartenant au Canton «ne peuvent être aliénées sans l'autorisation des autorités cantonales compétentes». Cette fonnulation est peu heureuse, car en exigeant une «autorisatioll>', elle laisse entendre que le Canton n'est en définitive pas propriétaire des biens en question72 (ce qui n'est évidemment pas le cas).

L'art. 724 al. Ibis CC prévoit en outre que les antiquités et curiosités naturelles appartenant au Canton «ne peuvent faire l'objet d'une prescription acquisitive ni être acquises de bonne foi», "action tendant à leur revendication étant au surplus déclarée imprescriptible. Les antiquités et curiosités naturelles appartenant au Canton ne sont pas purement et simplement inaliénables, mais leur acquisition par un tiers ne peut s'effectuer autrement que par un transfert de propriété dûment effectué ; on peut considérer qu'il s'agit d'une catégorie particulière de res extra commercium 73.

6. Le régime juridique particulier réservé aux biens culturels propriété de la Confédération

L'art. 3 LTBC institue un regl1lle juridique particulier pour les biens culturels dont la Confédération est propriétaire. En effet, si ces biens présentent une «importance significative pour le patrimoine cultureb,", ils doivent être inscrits dans un inventaire fédéral (art. 3 al. 1 LTBC).

L'inscription dans ce registre a pour conséquence que ces biens culturels ne peuvent pas faire l'objet d'une acquisition de bonne foi ou d'une prescription acquisitive, l'action en revendication étant par ailleurs

"

Cf. l'intervention du Conseiller aux Etats R. Schweiger, BO CE 2003 p. 557. Voir la réponse de

la Conseillère nationale V. MUller-Henuni, qui conclut en disant t( in diesem Sinne hal der erste Nebensatz von Absotz J bis, "ohne Genehmigung der zustiindigen kantonalen BeMrde ", eine deklaratorische Bedeutung » (BO CN 2003 p. 1057).

Cf. Siche (note 69), p. 134. Voir aussi: M. Müller-Chen, Die Crux mil dem Eigentum an Kunst, in PlA 2003 p. 1267 ss, p. 1277.

On rappellera ici que la notion de patrimoine culturel est définie à l'art. 2 al. 2 LTBC.

(21)

36 LA L TBC : UN POINT DE VUE DE CIVlUSTE

imprescriptible (art. 3 al. 2 lit. a et b LTBC). Le statut des biens culturels de la Confédération portés à l'inventaire est donc le même que celui des antiquités et curiosités naturelles appartenant au Canton 75, à cette différence près qu'en outre l'exportation définitive des biens culturels de la Confédération est interdite (art. 3 al. 2 lit. c LTBC).

On peut noter pour le surplus que les Cantons peuvent «déclarer que les biens culturels figurant dans leurs inventaires ne peuvent faire l'objet d'une prescription acquisitive ni être acquis de bonne foi et que le droit à la restitution n'est pas soumis à prescription» (art. 4 al. 2 LTBC).

III. TROIS REMARQUES SUR LE CHAMP D'APPLICATION DES RÈGLES

A. Le champ d'application territorial

A première vue, la LTBC s'applique uniquement en matière internationale.

C'est ce qu'indique son titre: Loifédérale sur le transfert international des biens culturels. Cela résulte également de l'art. 1 al. 1 LTBC, qui indique que la loi règle «l'importation en Suisse des biens culturels, leur transit et leur exportation ainsi que le retour des bien culturels qui se trouvent en Suisse». Le Message du Conseil fédéral va dans le même sens: «le titre de la loi indique clairement que celle-ci vise à régler le transfert international des biens culturels. La loi constitue l'interface entre la Convention de l'UNESCO de 1970 et le droit suisse»76.

Et pourtant, force est de constater que le texte de la plupart des dispositions de la LTBC, ainsi que les modifications qu'elle introduit dans le CC et le CO, ne requièrent pas un élément d'extranéité pour être applicables. On ne voit pas que le devoir de diligence de l'art. 16 al. 1 LTBC, par exemple, ne doive pas être observé si le transfert porte sur un bien culturel situé en Suisse, entre deux personnes domiciliées en Suis sen On ne voit pas non plus que le devoir de ·diligence imposé aux commerçants d'art et aux personnes pratiquant la vente aux enchères (art. 16 al. 2 L TBC) ne vaille que si la transaction est internationale. Quant aux

"

Cf. supra, p. 35.

"

Message du Conseil fédéral (note Il), p. 541.

11 Cf. aussi: K. Siebt, Das KulturgntertransCergesetz der Schweiz aus der Sicht des Auslandes, in PJA 2005 p. 675 ss. p. 676.

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